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Que mon sort est affreux ! S'écriait un hibou :
Vieux, infirme, souffrant, accablé de misère,
Je suis isolé sur la terre,
Et jamais un oiseau n'est venu dans mon trou
Consoler un moment ma douleur solitaire.
Un pigeon entendit ces mots,
Et courut auprès du malade :
Hélas ! Mon pauvre camarade,
Lui dit-il, je plains bien vos maux.
Mais je ne comprends pas qu'un hibou de votre âge
Soit sans épouse, sans parents,
Sans enfants ou petits-enfants.
N'avez-vous point serré les nœuds du mariage
Pendant le cours de vos beaux ans ?
Le hibou répondit : non vraiment, mon cher frère :
Me marier ! Et pourquoi faire ?
J'en connaissais trop le danger.
Vouliez-vous que je prisse une jeune chouette,
Bien étourdie et bien coquette,
Qui me trahît sans cesse ou me fît enrager,
Qui me donnât des fils d'un méchant caractère,
Ingrats, menteurs, mauvais sujets,
Désirant en secret le trépas de leur père ?
Car c'est ainsi qu'ils sont tous faits.
Pour des parents, je n'en ai guère,
Et ne les vis jamais : ils sont durs, exigeants,
Pour le moindre sujet s'irritent,
N'aiment que ceux dont ils héritent ;
Encor ne faut-il pas qu'ils attendent longtemps.
Tout frère ou tout cousin nous déteste et nous pille.
Je ne suis pas de votre avis,
Répondit le pigeon : mais parlons des amis ;
Des orphelins c'est la famille :
Vous avez dû près d'eux trouver quelques douceurs.
- Les amis ! Ils sont tous trompeurs.
J'ai connu deux hiboux qui tendrement s'aimèrent
Pendant quinze ans, et, certain jour,
Pour une souris s'égorgèrent.
Je crois à l'amitié moins encor qu'à l'amour.
- Mais ainsi, Dieu me le pardonne !
Vous n'avez donc aimé personne ?
- Ma foi, non, soit dit entre nous.
- En ce cas-là, mon cher, de quoi vous plaignez-vous ?
De jeunes écoliers avaient pris dans un trou
Un hibou,
Et l'avaient élevé dans la cour du collège.
Un vieux chat, un jeune oison,
Nourris par le portier, étaient en liaison
Avec l'oiseau ; tous trois avaient le privilège
D'aller et de venir par toute la maison.
À force d'être dans la classe,
Ils avaient orné leur esprit,
Savaient par cœur Denys d'Halicarnasse
Et tout ce qu'Hérodote et Tite-Live ont dit.
Un soir, en disputant (des docteurs c'est l'usage),
Ils comparaient entre eux les peuples anciens.
Ma foi, disait le chat, c'est aux égyptiens
Que je donne le prix : c'était un peuple sage,
Un peuple ami des lois, instruit, discret, pieux,
Rempli de respect pour ses dieux ;
Cela seul, à mon gré, lui donne l'avantage.
J'aime mieux les athéniens,
Répondait le hibou : que d'esprit ! Que de grâce !
Et dans les combats quelle audace !
Que d'aimables héros parmi leurs citoyens !
A-t-on jamais plus fait avec moins de moyens ?
Des nations c'est la première.
Parbleu ! Dit l'oison en colère,
Messieurs, je vous trouve plaisants :
Et les romains, que vous en semble ?
Est-il un peuple qui rassemble
Plus de grandeur, de gloire, et de faits éclatants ?
Dans les arts, comme dans la guerre,
Ils ont surpassé vos amis.
Pour moi, ce sont mes favoris ;
Tout doit céder le pas aux vainqueurs de la terre.
Chacun des trois pédants s'obstine en son avis,
Quand un rat, qui de **** entendait la dispute,
Rat savant, qui mangeait des thèmes dans sa hutte,
Leur cria : je vois bien d'où viennent vos débats :
L'Égypte vénérait les chats,
Athènes les hiboux, et Rome, au capitole,
Aux dépens de l'état nourrissait des oisons :
Ainsi notre intérêt est toujours la boussole
Que suivent nos opinions.
« De grâce, apprenez-moi comment l'on fait fortune,
Demandait à son père un jeune ambitieux.
- Il est, dit le vieillard, un chemin glorieux :
C'est de se rendre utile à la cause commune,
De prodiguer ses jours, ses veilles, ses talents,
Au service de la patrie.
- Oh ! trop pénible est cette vie ;
Je veux des moyens moins brillants.
- Il en est de plus sûrs, l'intrigue... - Elle est trop vile ;
Sans vice et sans travail je voudrais m'enrichir.
- Eh bien ! sois un simple imbécile,
J'en ai vu beaucoup réussir. »
Le plus aimé des rois est toujours le plus fort.
En vain la fortune l'accable ;
En vain mille ennemis ligués avec le sort
Semblent lui présager sa perte inévitable :
L'amour de ses sujets, colonne inébranlable,
Rend inutiles leurs efforts.
Le petit-fils d'un roi grand par son malheur même,
Philippe, sans argent, sans troupes, sans crédit,
Chassé par l'anglais de Madrid,
Croyait perdu son diadème.
Il fuyait presque seul, accablé de douleur.
Tout-à-coup à ses yeux s'offre un vieux laboureur,
Homme franc, simple et droit, aimant plus que sa vie
Ses enfants et son roi, sa femme et sa patrie,
Parlant peu de vertu, la pratiquant beaucoup,
Riche et pourtant aimé, cité dans les Castilles
Comme l'exemple des familles.
Son habit, filé par ses filles,
Était ceint d'une peau de loup.
Sous un large chapeau sa tête bien à l'aise
Faisait voir des yeux vifs et des traits basanés,
Et ses moustaches de son nez
Descendaient jusques sur sa fraise.
Douze fils le suivaient, tous grands, beaux, vigoureux.
Un mulet chargé d'or était au milieu d'eux.
Cet homme, dans cet équipage,
Devant le roi s'arrête, et lui dit : où vas-tu ?
Un revers t'a-t-il abattu ?
Vainement l'archiduc a sur toi l'avantage ;
C'est toi qui régneras, car c'est toi qu'on chérit.
Qu'importe qu'on t'ait pris Madrid ?
Notre amour t'est resté, nos corps sont tes murailles ;
Nous périrons pour toi dans les champs de l'honneur.
Le hasard gagne les batailles ;
Mais il faut des vertus pour gagner notre cœur.
Tu l'as, tu régneras. Notre argent, notre vie,
Tout est à toi, prends tout. Grâces à quarante ans
De travail et d'économie,
Je peux t'offrir cet or. Voici mes douze enfants,
Voilà douze soldats ; malgré mes cheveux blancs,
Je ferai le treizième : et, la guerre finie,
Lorsque tes généraux, tes officiers, tes grands,
Viendront te demander, pour prix de leurs services,
Des biens, des honneurs, des rubans,
Nous ne demanderons que repos et justice.
C'est tout ce qu'il nous faut. Nous autres pauvres gens
Nous fournissons au roi du sang et des richesses ;
Mais, **** de briguer ses largesses,
Moins il donne et plus nous l'aimons.
Quand tu seras heureux, nous fuirons ta présence,
Nous te bénirons en silence :
On t'a vaincu, nous te cherchons.
Il dit, tombe à genoux. D'une main paternelle
Philippe le relève en poussant des sanglots ;
Il presse dans ses bras ce sujet si fidèle,
Veut parler, et les pleurs interrompent ses mots.
Bientôt, selon la prophétie
Du bon vieillard, Philippe fut vainqueur,
Et, sur le trône d'Ibérie,
N'oublia point le laboureur.
Unis dès leurs jeunes ans
D'une amitié fraternelle,
Un lapin, une sarcelle,
Vivaient heureux et contents.
Le terrier du lapin était sur la lisière
D'un parc bordé d'une rivière.
Soir et matin nos bons amis,
Profitant de ce voisinage,
Tantôt au bord de l'eau, tantôt sous le feuillage,
L'un chez l'autre étaient réunis.
Là, prenant leurs repas, se contant des nouvelles,
Ils n'en trouvaient point de si belles
Que de se répéter qu'ils s'aimeraient toujours.
Ce sujet revenait sans cesse en leurs discours.
Tout était en commun, plaisir, chagrin, souffrance ;
Ce qui manquait à l'un, l'autre le regrettait ;
Si l'un avait du mal, son ami le sentait ;
Si d'un bien au contraire il goûtait l'espérance,
Tous deux en jouissaient d'avance.
Tel était leur destin, lorsqu'un jour, jour affreux !
Le lapin, pour dîner venant chez la sarcelle,
Ne la retrouve plus : inquiet, il l'appelle ;
Personne ne répond à ses cris douloureux.
Le lapin, de frayeur l'âme toute saisie,
Va, vient, fait mille tours, cherche dans les roseaux,
S'incline par-dessus les flots,
Et voudrait s'y plonger pour trouver son amie.
Hélas ! S'écriait-il, m'entends-tu ? Réponds-moi,
Ma sœur, ma compagne chérie ;
Ne prolonge pas mon effroi :
Encor quelques moments, c'en est fait de ma vie ;
J'aime mieux expirer que de trembler pour toi.
Disant ces mots, il court, il pleure,
Et, s'avançant le long de l'eau,
Arrive enfin près du château
Où le seigneur du lieu demeure.
Là, notre désolé lapin
Se trouve au milieu d'un parterre,
Et voit une grande volière
Où mille oiseaux divers volaient sur un bassin.
L'amitié donne du courage.
Notre ami, sans rien craindre, approche du grillage,
Regarde et reconnaît... ô tendresse ! ô bonheur !
La sarcelle : aussitôt il pousse un cri de joie ;
Et, sans perdre de temps à consoler sa sœur,
De ses quatre pieds il s'emploie
À creuser un secret chemin
Pour joindre son amie, et par ce souterrain
Le lapin tout-à-coup entre dans la volière,
Comme un mineur qui prend une place de guerre.
Les oiseaux effrayés se pressent en fuyant.
Lui court à la sarcelle ; il l'entraîne à l'instant
Dans son obscur sentier, la conduit sous la terre ;
Et, la rendant au jour, il est prêt à mourir
De plaisir.
Quel moment pour tous deux ! Que ne sais-je le peindre
Comme je saurais le sentir !
Nos bons amis croyaient n'avoir plus rien à craindre ;
Ils n'étaient pas au bout. Le maître du jardin,
En voyant le dégât commis dans sa volière,
Jure d'exterminer jusqu'au dernier lapin :
Mes fusils ! Mes furets ! Criait-il en colère.
Aussitôt fusils et furets
Sont tout prêts.
Les gardes et les chiens vont dans les jeunes tailles,
Fouillant les terriers, les broussailles ;
Tout lapin qui paraît trouve un affreux trépas :
Les rivages du Styx sont bordés de leurs mânes ;
Dans le funeste jour de Cannes
On mit moins de romains à bas.
La nuit vient ; tant de sang n'a point éteint la rage
Du seigneur, qui remet au lendemain matin
La fin de l'horrible carnage.
Pendant ce temps, notre lapin,
Tapi sous des roseaux auprès de la sarcelle,
Attendait en tremblant la mort,
Mais conjurait sa sœur de fuir à l'autre bord
Pour ne pas mourir devant elle.
Je ne te quitte point, lui répondait l'oiseau ;
Nous séparer serait la mort la plus cruelle.
Ah ! Si tu pouvais passer l'eau !
Pourquoi pas ? Attends-moi... la sarcelle le quitte,
Et revient traînant un vieux nid
Laissé par des canards : elle l'emplit bien vite
De feuilles de roseau, les presse, les unit
Des pieds, du bec, en forme un batelet capable
De supporter un lourd fardeau ;
Puis elle attache à ce vaisseau
Un brin de jonc qui servira de câble.
Cela fait, et le bâtiment
Mis à l'eau, le lapin entre tout doucement
Dans le léger esquif, s'assied sur son derrière,
Tandis que devant lui la sarcelle nageant
Tire le brin de jonc, et s'en va dirigeant
Cette nef à son cœur si chère.
On aborde, on débarque ; et jugez du plaisir !
Non **** du port on va choisir
Un asile où, coulant des jours dignes d'envie,
Nos bons amis, libres, heureux,
Aimèrent d'autant plus la vie
Qu'ils se la devaient tous les deux.
Un écureuil sautant, gambadant sur un chêne,
Manqua sa branche, et vint, par un triste hasard,
Tomber sur un vieux léopard
Qui faisait sa méridienne.
Vous jugez s'il eut peur ! En sursaut s'éveillant,
L'animal irrité se dresse ;
Et l'écureuil s'agenouillant
Tremble et se fait petit aux pieds de son altesse.
Après l'avoir considéré,
Le léopard lui dit : je te donne la vie,
Mais à condition que de toi je saurai
Pourquoi cette gaîté, ce bonheur que j'envie,
Embellissent tes jours, ne te quittent jamais,
Tandis que moi, roi des forêts,
Je suis si triste et je m'ennuie.
Sire, lui répond l'écureuil,
Je dois à votre bon accueil
La vérité : mais, pour la dire,
Sur cet arbre un peu haut je voudrais être assis.
- Soit, j'y consens, monte. - J'y suis.
À présent je peux vous instruire.
Mon grand secret pour être heureux,
C'est de vivre dans l'innocence ;
L'ignorance du mal fait toute ma science ;
Mon cœur est toujours pur, cela rend bien joyeux.
Vous ne connaissez pas la volupté suprême
De dormir sans remords : vous mangez les chevreuils,
Tandis que je partage à tous les écureuils
Mes feuilles et mes fruits ; vous haïssez, et j'aime :
Tout est dans ces deux mots. Soyez bien convaincu
De cette vérité que je tiens de mon père :
Lorsque notre bonheur nous vient de la vertu,
La gaîté vient bientôt de notre caractère.
Dans certains pays de l'Asie
On révère les éléphants,
Surtout les blancs.
Un palais est leur écurie,
On les sert dans des vases d'or,
Tout homme à leur aspect s'incline vers la terre,
Et les peuples se font la guerre
Pour s'enlever ce beau trésor.
Un de ces éléphants, grand penseur, bonne tête,
Voulut savoir un jour d'un de ses conducteurs
Ce qui lui valait tant d'honneurs,
Puisqu'au fond, comme un autre, il n'était qu'une bête.
Ah ! Répond le cornac, c'est trop d'humilité ;
L'on connaît votre dignité,
Et toute l'Inde sait qu'au sortir de la vie
Les âmes des héros qu'a chéris la patrie
S'en vont habiter quelque temps
Dans les corps des éléphants blancs.
Nos talapoins l'ont dit, ainsi la chose est sûre.
- Quoi ! Vous nous croyez des héros ?
- Sans doute. - Et sans cela nous serions en repos,
Jouissant dans les bois des biens de la nature ?
- Oui, seigneur. - Mon ami, laisse-moi donc partir,
Car on t'a trompé, je t'assure ;
Et, si tu veux y réfléchir,
Tu verras bientôt l'imposture :
Nous sommes fiers et caressants ;
Modérés, quoique tout puissants ;
On ne nous voit point faire injure
À plus faible que nous ; l'amour dans notre coeur
Reçoit des lois de la pudeur ;
Malgré la faveur où nous sommes,
Les honneurs n'ont jamais altéré nos vertus :
Quelles preuves faut-il de plus ?
Que je te plains, petite plante !
Disait un jour le lierre au thym :
Toujours ramper, c'est ton destin ;
Ta tige chétive et tremblante
Sort à peine de terre, et la mienne dans l'air,
Unie au chêne altier que chérit Jupiter,
S'élance avec lui dans la nue.
Il est vrai, dit le thym, ta hauteur m'est connue ;
Je ne puis sur ce point disputer avec toi :
Mais je me soutiens par moi-même ;
Et, sans cet arbre, appui de ta faiblesse extrême,
Tu ramperais plus bas que moi.

Traducteurs, éditeurs, faiseurs de commentaires,
Qui nous parlez toujours de grec ou de latin
Dans vos discours préliminaires,
Retenez ce que dit le thym.
Un lièvre de bon caractère
Voulait avoir beaucoup d'amis.
Beaucoup ! Me direz-vous, c'est une grande affaire ;
Un seul est rare en ce pays.
J'en conviens ; mais mon lièvre avait cette marotte,
Et ne savait pas qu'Aristote
Disait aux jeunes grecs à son école admis :
Mes amis, il n'est point d'amis.
Sans cesse il s'occupait d'obliger et de plaire ;
S'il passait un lapin, d'un air doux et civil
Vite il courait à lui : mon cousin, disait-il,
J'ai du beau serpolet tout près de ma tanière,
De déjeuner chez moi faites-moi la faveur.
S'il voyait un cheval paître dans la campagne,
Il allait l'aborder : peut-être monseigneur
A-t-il besoin de boire ; au pied de la montagne
Je connais un lac transparent
Qui n'est jamais ridé par le moindre zéphyr :
Si monseigneur veut, dans l'instant
J'aurai l'honneur de l'y conduire.
Ainsi, pour tous les animaux,
Cerfs, moutons, coursiers, daims, taureaux,
Complaisant, empressé, toujours rempli de zèle,
Il voulait de chacun faire un ami fidèle,
Et s'en croyait aimé parce qu'il les aimait.
Certain jour que tranquille en son gîte il dormait,
Le bruit du cor l'éveille, il décampe au plus vite.
Quatre chiens s'élancent après,
Un maudit piqueur les excite ;
Et voilà notre lièvre arpentant les guérets.
Il va, tourne, revient, aux mêmes lieux repasse,
Saute, franchit un long espace
Pour dévoyer les chiens, et, prompt comme l'éclair,
Gagne pays, et puis s'arrête.
Assis, les deux pattes en l'air,
L'œil et l'oreille au guet, il élève la tête,
Cherchant s'il ne voit point quelqu'un de ses amis.
Il aperçoit dans des taillis
Un lapin que toujours il traita comme un frère ;
Il y court : par pitié, sauve-moi, lui dit-il,
Donne retraite à ma misère,
Ouvre-moi ton terrier ; tu vois l'affreux péril...
Ah ! Que j'en suis fâché ! Répond d'un air tranquille
Le lapin : je ne puis t'offrir mon logement,
Ma femme accouche en ce moment,
Sa famille et la mienne ont rempli mon asile ;
Je te plains bien sincèrement :
Adieu, mon cher ami. Cela dit, il s'échappe ;
Et voici la meute qui jappe.
Le pauvre lièvre part. à quelques pas plus ****,
Il rencontre un taureau que cent fois au besoin
Il avait obligé ; tendrement il le prie
D'arrêter un moment cette meute en furie
Qui de ses cornes aura peur.
Hélas ! Dit le taureau, ce serait de grand cœur :
Mais des génisses la plus belle
Est seule dans ce bois, je l'entends qui m'appelle ;
Et tu ne voudrais pas retarder mon bonheur.
Disant ces mots, il part. Notre lièvre hors d'haleine
Implore vainement un daim, un cerf dix-cors,
Ses amis les plus sûrs ; ils l'écoutent à peine,
Tant ils ont peur du bruit des cors.
Le pauvre infortuné, sans force et sans courage,
Allait se rendre aux chiens, quand, du milieu du bois,
Deux chevreuils reposant sous le même feuillage
Des chasseurs entendent la voix.
L'un d'eux se lève et part ; la meute sanguinaire
Quitte le lièvre et court après.
En vain le piqueur en colère
Crie, et jure, et se fâche ; à travers les forêts
Le chevreuil emmène la chasse,
Va faire un long circuit, et revient au buisson
Où l'attendait son compagnon,
Qui dans l'instant part à sa place.
Celui-ci fait de même, et, pendant tout le jour,
Les deux chevreuils lancés et quittés tour à tour
Fatiguent la meute obstinée.
Enfin les chasseurs tout honteux
Prennent le bon parti de retourner chez eux ;
Déjà la retraite est sonnée,
Et les chevreuils rejoints. Le lièvre palpitant
S'approche, et leur raconte, en les félicitant,
Que ses nombreux amis, dans ce péril extrême,
L'avaient abandonné. Je n'en suis pas surpris,
Répond un des chevreuils : à quoi bon tant d'amis ?
Un seul suffit quand il nous aime.
Une linotte avait un fils
Qu'elle adorait, selon l'usage,
C'était l'unique fruit du plus doux mariage,
Et le plus beau linot qui fût dans le pays.
Sa mère en était folle, et tous les témoignages
Que peuvent inventer la tendresse et l'amour
Étaient pour cet enfant épuisés chaque jour.
Notre jeune linot, fier de ces avantages,
Se croyait un phénix, prenait l'air suffisant,
Tranchait du petit important
Avec les oiseaux de son âge,
Persiflait la mésange ou bien le roitelet,
Donnait à chacun son paquet,
Et se faisait haïr de tout le voisinage.
Sa mère lui disait :
Mon cher fils, sois plus sage,
Plus modeste surtout.
Hélas ! je conçois bien
Les dons, les qualités qui furent ton partage :
Mais feignons de n'en savoir rien,
Pour qu'on les aime davantage.
A tout cela notre linot
Répondait par quelque bon mot.
La mère en gémissait dans le fond de son âme.
Un vieux merle, ami de la dame,
Lui dit : Laissez aller votre fils au grand bois,
Je vous réponds qu'avant un mois
Il sera sans défauts. Vous jugez des alarmes
De la mère, qui pleure et frémit du danger.
Mais le jeune linot brûlait de voyager :
Il partit donc malgré ses larmes.
A peine est-il dans la forêt,
Que notre petit personnage
Du pivert entend le ramage,
Et se moque de son fausset.
Le pivert, qui prit mal cette plaisanterie,
Vient à bons coups de bec plumer le persifleur.
Et, deux jours après, une pie,
Le dégoûte à jamais du métier de railleur.
Il lui restait encor la vanité secrète
De se croire excellent chanteur
Le rossignol et la fauvette
Le guérirent de son erreur.
Bref, il retourna chez sa mère
Doux, poli, modeste et charmant.
Ainsi l'adversité fit, dans un seul moment,
Ce que tant de leçons n'avaient jamais pu faire.
Un milan plumait un pigeon,
Et lui disait : méchante bête,
Je te connais, je sais l'aversion
Qu'ont pour moi tes pareils : te voilà ma conquête !
Il est des dieux vengeurs. Hélas ! Je le voudrais,
Répondit le pigeon. ô comble des forfaits !
S'écria le milan ! Quoi ! Ton audace impie
Ose douter qu'il soit des dieux ?
J'allais te pardonner : mais, pour ce doute affreux,
Scélérat, je te sacrifie.
Dans le beau siècle d'or, quand les premiers humains,
Au milieu d'une paix profonde,
Coulaient des jours purs et sereins,
La vérité courait le monde
Avec son miroir dans les mains.
Chacun s'y regardait, et le miroir sincère
Retraçait à chacun son plus secret désir
Sans jamais le faire rougir ;
Temps heureux, qui ne dura guère !
L'homme devint bientôt méchant et criminel.
La vérité s'enfuit au ciel,
En jetant de dépit son miroir sur la terre.
Le pauvre miroir se cassa.
Ses débris qu'au hasard la chute dispersa
Furent perdus pour le vulgaire.
Plusieurs siècles après on en connut le prix :
Et c'est depuis ce temps que l'on voit plus d'un sage
Chercher avec soin ces débris,
Les retrouver parfois ; mais ils sont si petits,
Que personne n'en fait usage.
Hélas ! Le sage le premier
Ne s'y voit jamais tout entier.
Non **** des rochers de l'Atlas,
Au milieu des déserts où cent tribus errantes
Promènent au hasard leurs chameaux et leurs tentes,
Un jour, certain enfant précipitait ses pas.
C'était le jeune fils de quelque musulmane
Qui s'en allait en caravane.
Quand sa mère dormait, il courait le pays.
Dans un ravin profond, **** de l'aride plaine,
Notre enfant trouve une fontaine,
Auprès, un beau dattier tout couvert de ses fruits.
Oh ! quel bonheur ! dit-il, ces dattes, cette eau claire,
M'appartiennent ; sans moi, dans ce lieu solitaire,
Ces trésors cachés, inconnus,
Demeuraient à jamais perdus.
Je les ai découverts, ils sont ma récompense.
Parlant ainsi, l'enfant vers le dattier s'élance,
Et jusqu'à son sommet tâche de se hisser.
L'entreprise était périlleuse :
L'écorce, tantôt lisse et tantôt raboteuse,
Lui déchirait les mains, ou les faisait glisser :
Deux fois il retomba : mais d'une ardeur nouvelle
Il recommence de plus belle,
Et parvient enfin, haletant,
A ces fruits qu'il désirait tant.
Il se jette alors sur les dattes.
Se tenant d'une main, de l'autre fourrageant.
Et mangeant,
Sans choisir les plus délicates.
Tout à coup voilà notre enfant
Qui réfléchit et qui descend.
Il court chercher sa bonne mère,
Prend avec lui son jeune frère,
Les conduit au dattier. Le cadet incliné,
S'appuyant au tronc qu'il embrasse,
Présente son dos à l'aîné ;
L'autre y monte, et de cette place,
Libre de ses deux bras, sans efforts, sans danger,
Cueille et jette les fruits ; la mère les ramasse,
Puis sur un linge blanc prend soin de les ranger :
La récolte achevée, et la nappe étant mise,
Les deux frères tranquillement,
Souriant à leur mère au milieu d'eux assise,
Viennent au bord de l'eau faire un repas charmant.
De la société ceci nous peint l'image :
Je ne connais de biens que ceux que l'on partage.
Coeurs dignes de sentir le prix de l'amitié,
Retenez cet ancien adage :
Le tout ne vaut pas la moitié.
Un enfant élevé dans un pauvre village
Revint chez ses parents, et fut surpris d'y voir
Un miroir.
D'abord il aima son image ;
Et puis, par un travers bien digne d'un enfant,
Et même d'un être plus grand,
Il veut outrager ce qu'il aime,
Lui fait une grimace, et le miroir la rend.
Alors son dépit est extrême ;
Il lui montre un poing menaçant,
Il se voit menacé de même.
Notre marmot fâché s'en vient, en frémissant,
Battre cette image insolente ;
Il se fait mal aux mains. Sa colère en augmente ;
Et, furieux, au désespoir,
Le voilà devant ce miroir,
Criant, pleurant, frappant la glace.
Sa mère, qui survient, le console, l'embrasse,
Tarit ses pleurs, et doucement lui dit :
N'as-tu pas commencé par faire la grimace
A ce méchant enfant qui cause ton dépit ?
- Oui. - Regarde à présent : tu souris, il sourit ;
Tu tends vers lui les bras, il te les tend de même ;
Tu n'es plus en colère, il ne se fâche plus :
De la société tu vois ici l'emblème ;
Le bien, le mal, nous sont rendus.
Un arabe à Marseille autrefois m'a conté
Qu'un pacha turc dans sa patrie
Vint porter certain jour un coffret cacheté
Au plus sage dervis qui fût en Arabie.
Ce coffret, lui dit-il, renferme des rubis,
Des diamants d'un très grand prix :
C'est un présent que je veux faire
À l'homme que tu jugeras
Être le plus fou de la terre.
Cherche bien, tu le trouveras.
Muni de son coffret, notre bon solitaire
S'en va courir le monde. Avait-il donc besoin
D'aller **** ?
L'embarras de choisir était sa grande affaire :
Des fous toujours plus fous venaient de toutes parts
Se présenter à ses regards.
Notre pauvre dépositaire
Pour l'offrir à chacun saisissait le coffret :
Mais un pressentiment secret
Lui conseillait de n'en rien faire,
L'assurait qu'il trouverait mieux.
Errant ainsi de lieux en lieux,
Embarrassé de son message,
Enfin, après un long voyage,
Notre homme et le coffret arrivent un matin
Dans la ville de Constantin.
Il trouve tout le peuple en joie :
Que s'est-il donc passé ? Rien, lui dit un iman ;
C'est notre grand vizir que le sultan envoie,
Au moyen d'un lacet de soie,
Porter au prophète un firman.
Le peuple rit toujours de ces sortes d'affaires ;
Et, comme ce sont des misères,
Notre empereur souvent lui donne ce plaisir.
- Souvent ? - Oui. - C'est fort bien ; votre nouveau vizir
Est-il nommé ? - Sans doute : et le voilà qui passe.
Le dervis, à ces mots, court, traverse la place,
Arrive, et reconnaît le pacha son ami.
Bon ! Te voilà ! Dit celui-ci :
Et le coffret ? - Seigneur, j'ai parcouru l'Asie ;
J'ai vu des fous parfaits, mais sans oser choisir :
Aujourd'hui ma course est finie ;
Daignez l'accepter, grand vizir.
Un paon faisait la roue, et les autres oiseaux
Admiraient son brillant plumage.
Deux oisons nasillards du fond d'un marécage
Ne remarquaient que ses défauts.
Regarde, disait l'un, comme sa jambe est faite,
Comme ses pieds sont plats, hideux.
Et son cri, disait l'autre, est si mélodieux,
Qu'il fait fuir jusqu'à la chouette.
Chacun riait alors du mot qu'il avait dit.
Tout-à-coup un plongeon sortit :
Messieurs, leur cria-t-il, vous voyez d'une lieue
Ce qui manque à ce paon : c'est bien voir, j'en conviens ;
Mais votre chant, vos pieds, sont plus laids que les siens,
Et vous n'aurez jamais sa queue.
Un fils avait tué son père.
Ce crime affreux n'arrive guère
Chez les tigres, les ours ; mais l'homme le commet.
Ce parricide eut l'art de cacher son forfait,
Nul ne le soupçonna : farouche et solitaire,
Il fuyait les humains, il vivait dans les bois,
Espérant échapper aux remords comme aux lois.
Certain jour on le vit détruire à coups de pierre
Un malheureux nid de moineaux.
Eh ! Que vous ont fait ces oiseaux ?
Lui demande un passant : pourquoi tant de colère ?
Ce qu'ils m'ont fait ? Répond le criminel :
Ces oisillons menteurs, que confonde le ciel,
Me reprochent d'avoir assassiné mon père.
Le passant le regarde ; il se trouble, il pâlit,
Sur son front son crime se lit :
Conduit devant le juge, il l'avoue et l'expie.
Ô des vertus dernière amie,
Toi qu'on voudrait en vain éviter ou tromper,
Conscience terrible, on ne peut t'échapper !
Je veux me corriger, je veux changer de vie,
Me disait un ami : dans des liens honteux
Mon âme s'est trop avilie ;
J'ai cherché le plaisir, guidé par la folie,
Et mon cœur n'a trouvé que le remords affreux.
C'en est fait, je renonce à l'indigne maîtresse
Que j'adorai toujours sans jamais l'estimer ;
Tu connais pour le jeu ma coupable faiblesse,
Eh bien ! Je vais la réprimer ;
Je vais me retirer du monde,
Et, calme désormais, libre de tous soucis,
Dans une retraite profonde,
Vivre pour la sagesse et pour mes seuls amis.
Que de fois vous l'avez promis !
Toujours en vain, lui répondis-je.
Çà, quand commencez-vous ? - Dans huit jours, sûrement.
- Pourquoi pas aujourd'hui ? Ce long ****** m'afflige.
- Oh ! Je ne puis dans un moment
Briser une si forte chaîne ;
Il me faut un prétexte : il viendra, j'en réponds.
Causant ainsi, nous arrivons
Jusques sur les bords de la Seine,
Et j'aperçois un paysan
Assis sur une large pierre
Regardant l'eau couler d'un air impatient.
- L'ami, que fais-tu là ? - Monsieur, pour une affaire
Au village prochain je suis contraint d'aller ;
Je ne vois point de pont pour passer la rivière,
Et j'attends que cette eau cesse enfin de couler.
Mon ami, vous voilà, cet homme est votre image ;
Vous perdez en projets les plus beaux de vos jours :
Si vous voulez passer, jetez-vous à la nage ;
Car cette eau coulera toujours.
Un gros perroquet gris, échappé de sa cage,
Vint s'établir dans un bocage :
Et là, prenant le ton de nos faux connaisseurs,
Jugeant tout, blâmant tout, d'un air de suffisance,
Au chant du rossignol il trouvait des longueurs,
Critiquait surtout sa cadence.
Le linot, selon lui, ne savait pas chanter ;
La fauvette aurait fait quelque chose peut-être,
Si de bonne heure il eût été son maître
Et qu'elle eût voulu profiter.
Enfin aucun oiseau n'avait l'art de lui plaire ;
Et dès qu'ils commençaient leurs joyeuses chansons,
Par des coups de sifflet répondant à leurs sons,
Le perroquet les faisait taire.
Lassés de tant d'affronts, tous les oiseaux du bois
Viennent lui dire un jour : mais parlez donc, beau sire,
Vous qui sifflez toujours, faites qu'on vous admire ;
Sans doute vous avez une brillante voix,
Daignez chanter pour nous instruire.
Le perroquet, dans l'embarras,
Se gratte un peu la tête, et finit par leur dire :
Messieurs, je siffle bien, mais je ne chante pas.
La vanité nous rend aussi dupes que sots.
Je me souviens, à ce propos,
Qu'au temps jadis, après une sanglante guerre
Où, malgré les plus beaux exploits,
Maint lion fut couché par terre,
L'éléphant régna dans les bois.
Le vainqueur, politique habile,
Voulant prévenir désormais
Jusqu'au moindre sujet de discorde civile,
De ses vastes états exila pour jamais
La race des lions, son ancienne ennemie.
L'édit fut proclamé. Les lions affaiblis,
Se soumettant au sort qui les avait trahis,
Abandonnent tous leur patrie.
Ils ne se plaignent pas, ils gardent dans leur cœur
Et leur courage et leur douleur.
Un bon vieux petit chien, de la charmante espèce
De ceux qui vont portant jusqu'au milieu du dos
Une toison tombant à flots,
Exhalait ainsi sa tristesse :
Il faut donc vous quitter, ô pénates chéris !
Un barbare, à l'âge où je suis,
M'oblige à renoncer aux lieux qui m'ont vu naître.
Sans appui, sans secours, dans un pays nouveau
Je vais, les yeux en pleurs, demander un tombeau,
Qu'on me refusera peut-être.
Ô tyran, tu le veux ! Allons ! Il faut partir.
Un barbet l'entendit : touché de sa misère,
Quel motif, lui dit-il, peut t'obliger à fuir ?
- Ce qui m'y force, ô ciel ! Et cet édit sévère
Qui nous chasse à jamais de cet heureux canton... ?
- Nous ? - Non pas vous, mais moi. - Comment ! Toi,
Mon cher frère ?
Qu'as-tu donc de commun... ? - Plaisante question !
Eh ! Ne suis-je pas un lion ?
Le phénix, venant d'Arabie,
Dans nos bois parut un beau jour :
Grand bruit chez les oiseaux ; leur troupe réunie
Vole pour lui faire sa cour.
Chacun l'observe, l'examine ;
Son plumage, sa voix, son chant mélodieux,
Tout est beauté, grâce divine,
Tout charme l'oreille et les yeux.
Pour la première fois on vit céder l'envie
Au besoin de louer et d'aimer son vainqueur.
Le rossignol disait : jamais tant de douceur
N'enchanta mon âme ravie.
Jamais, disait le paon, de plus belles couleurs
N'ont eu cet éclat que j'admire ;
Il éblouit mes yeux et toujours les attire.
Les autres répétaient ces éloges flatteurs,
Vantaient le privilège unique
De ce roi des oiseaux, de cet enfant du ciel,
Qui, vieux, sur un bûcher de cèdre aromatique,
Se consume lui-même, et renaît immortel.
Pendant tous ces discours la seule tourterelle
Sans rien dire fit un soupir.
Son époux, la poussant de l'aile,
Lui demande d'où peut venir
Sa rêverie et sa tristesse :
De cet heureux oiseau désires-tu le sort ?
- Moi ! Mon ami, je le plains fort ;
Il est le seul de son espèce.
Persécuté, proscrit, chassé de son asile,
Pour avoir appelé les choses par leur nom,
Un pauvre philosophe errait de ville en ville,
Emportant avec lui tous ses biens, sa raison.
Un jour qu'il méditait sur le fruit de ses veilles,
C'était dans un grand bois, il voit un chat-huant
Entouré de geais, de corneilles,
Qui le harcelaient en criant :
C'est un coquin, c'est un impie,
Un ennemi de la patrie ;
Il faut le plumer vif : oui, oui, plumons, plumons,
Ensuite nous le jugerons.
Et tous fondaient sur lui ; la malheureuse bête,
Tournant et retournant sa bonne et grosse tête,
Leur disait, mais en vain, d'excellentes raisons.
Touché de son malheur, car la philosophie
Nous rend plus doux et plus humains,
Notre sage fait fuir la cohorte ennemie,
Puis dit au chat-huant : pourquoi ces assassins
En voulaient-ils à votre vie ?
Que leur avez-vous fait ? L'oiseau lui répondit :
Rien du tout ; mon seul crime est d'y voir clair la nuit.
Un prêtre de Jupiter,
Père de deux grandes filles,
Toutes deux assez gentilles,
De bien les marier fit son soin le plus cher.
Les prêtres de ce temps vivaient de sacrifices,
Et n'avaient point de bénéfices.
La dot était fort mince. Un jeune jardinier
Se présenta pour gendre ; on lui donna l'aînée.
Bientôt après cet hyménée
La cadette devint la femme d'un potier.
À quelques jours de là, chaque épouse établie
Chez son époux, le père va les voir.
Bon jour, dit-il, je viens savoir
Si le choix que j'ai fait rend heureuse ta vie,
S'il ne te manque rien, si je peux y pourvoir.
Jamais, répond la jardinière,
Vous ne fîtes meilleure affaire :
La paix et le bonheur habitent ma maison ;
Je tâche d'être bonne, et mon époux est bon :
Il sait m'aimer sans jalousie,
Je l'aime sans coquetterie ;
Aussi tout est plaisir, tout jusqu'à nos travaux ;
Nous ne désirons rien, sinon qu'un peu de pluie
Fasse pousser nos artichauts.
- C'est là tout ? - Oui vraiment. -tu seras satisfaite,
Dit le vieillard : demain je célèbre la fête
De Jupiter ; je lui dirai deux mots.
Adieu, ma fille. - Adieu, mon père.
Le prêtre de ce pas s'en va chez la potière
L'interroger, comme sa sœur,
Sur son mari, sur son bonheur.
Oh ! Répond celle-ci, dans mon petit ménage,
Le travail, l'amour, la santé,
Tout va fort bien en vérité ;
Nous ne pouvons suffire à la vente, à l'ouvrage :
Notre unique désir serait que le soleil
Nous montrât plus souvent son visage vermeil
Pour sécher notre poterie.
Vous, pontife du dieu de l'air,
Obtenez-nous cela, mon père, je vous prie ;
Parlez pour nous à Jupiter.
- Très volontiers, ma chère amie :
Mais je ne sais comment accorder mes enfants ;
Tu me demandes du beau temps,
Et ta sœur a besoin de pluie.
Ma foi, je me tairai, de peur d'être en défaut.
Jupiter mieux que nous sait bien ce qu'il nous faut ;
Prétendre le guider serait folie extrême.
Sachons prendre le temps comme il veut l'envoyer :
L'homme est plus cher aux dieux qu'il ne l'est à lui-même ;
Se soumettre, c'est les prier.
Que je hais cet art de pédant,
Cette logique captieuse,
Qui d'une chose claire en fait une douteuse,
D'un principe erroné tire subtilement
Une conséquence trompeuse,
Et raisonne en déraisonnant !
Les grecs ont inventé cette belle manière.
Ils ont fait plus de mal qu'ils ne croyaient en faire.
Que Dieu leur donne paix ! Il s'agit d'un renard,
Grand argumentateur, célèbre babillard,
Et qui montrait la rhétorique.
Il tenait école publique,
Avait des écoliers qui payaient en poulets.
Un d'eux qu'on destinait à plaider au palais
Devait payer son maître à la première cause
Qu'il gagnerait : ainsi la chose
Avait été réglée et d'une et d'autre part.
Son cours étant fini, mon écolier renard
Intente un procès à son maître,
Disant qu'il ne doit rien. Devant le léopard
Tous les deux s'en vont comparaître.
Monseigneur, disait l'écolier,
Si je gagne, c'est clair, je ne dois rien payer ;
Si je perds, nulle est sa créance :
Car il convient que l'échéance
N'en devait arriver qu'après
Le gain de mon premier procès ;
Or, ce procès perdu, je suis quitte, je pense :
Mon dilemme est certain. Nenni,
Répondait aussitôt le maître :
Si vous perdez, payez, la loi l'ordonne ainsi ;
Si vous gagnez, sans plus remettre,
Payez, car vous avez signé
Promesse de payer au premier plaid gagné :
Vous y voilà. Je crois l'argument sans réponse.
Chacun attend alors que le juge prononce,
Et l'auditoire s'étonnait
Qu'il n'y jetât pas son bonnet.
Le léopard rêveur prit enfin la parole :
Hors de cour, leur dit-il ; défense à l'écolier
De continuer son métier,
Au maître de tenir école.
Un renard plein d'esprit, d'adresse, de prudence,
À la cour d'un lion servait depuis longtemps.
Les succès les plus éclatants
Avaient prouvé son zèle et son intelligence.
Pour peu qu'on l'employât, toute affaire allait bien.
On le louait beaucoup, mais sans lui donner rien ;
Et l'habile renard était dans l'indigence.
Lassé de servir des ingrats,
De réussir toujours sans en être plus gras,
Il s'enfuit de la cour ; dans un bois solitaire
Il s'en va trouver son grand-père,
Vieux renard retiré, qui jadis fut vizir.
Là, contant ses exploits, et puis les injustices,
Les dégoûts qu'il eut à souffrir,
Il demande pourquoi de si nombreux services
N'ont jamais pu rien obtenir.
Le bon homme renard, avec sa voix cassée,
Lui dit : mon cher enfant, la semaine passée,
Un blaireau mon cousin est mort dans ce terrier :
C'est moi qui suis son héritier,
J'ai conservé sa peau : mets-la dessus la tienne,
Et retourne à la cour. Le renard avec peine
Se soumit au conseil ; affublé de la peau
De feu son cousin le blaireau,
Il va se regarder dans l'eau d'une fontaine,
Se trouve l'air d'un sot, tel qu'était le cousin.
Tout honteux, de la cour il reprend le chemin.
Mais, quelques mois après, dans un riche équipage,
Entouré de valets, d'esclaves, de flatteurs,
Comblé de dons et de faveurs,
Il vient de sa fortune au vieillard faire hommage :
Il était grand vizir. Je te l'avais bien dit,
S'écrie alors le vieux grand-père :
Mon ami, chez les grands quiconque voudra plaire
Doit d'abord cacher son esprit.
Un vieux renard cassé, goutteux, apoplectique,
Mais instruit, éloquent, disert,
Et sachant très bien sa logique,
Se mit à prêcher au désert.
Son style était fleuri, sa morale excellente.
Il prouvait en trois points que la simplicité,
Les bonnes moeurs, la probité,
Donnent à peu de frais cette félicité
Qu'un monde imposteur nous présente
Et nous fait payer cher sans la donner jamais.
Notre prédicateur n'avait aucun succès ;
Personne ne venait, hors cinq ou six marmottes,
Ou bien quelques biches dévotes
Qui vivaient **** du bruit, sans entour, sans faveur,
Et ne pouvaient pas mettre en crédit l'orateur.
Il prit le bon parti de changer de matière,
Prêcha contre les ours, les tigres, les lions,
Contre leurs appétits gloutons,
Leur soif, leur rage sanguinaire.
Tout le monde accourut alors à ses sermons :
Cerfs, gazelles, chevreuils, y trouvaient mille charmes ;
L'auditoire sortait toujours baigné de larmes ;
Et le nom du renard devint bientôt fameux.
Un ****, roi de la contrée,
Bon homme au demeurant, et vieillard fort pieux,
De l'entendre fut curieux.
Le renard fut charmé de faire son entrée
A la cour : il arrive, il prêche, et, cette fois,
Se surpassant lui-même, il tonne, il épouvante
Les féroces tyrans des bois,
Peint la faible innocence à leur aspect tremblante,
Implorant chaque jour la justice trop lente
Du maître et du juge des rois.
Les courtisans, surpris de tant de hardiesse,
Se regardaient sans dire rien ;
Car le roi trouvait cela bien.
La nouveauté parfois fait aimer la rudesse.
Au sortir du sermon, le monarque enchanté
Fit venir le renard : vous avez su me plaire,
Lui dit-il, vous m'avez montré la vérité ;
Je vous dois un juste salaire :
Que me demandez-vous pour prix de vos leçons ?
Le renard répondit : sire, quelques dindons.
Un rhinocéros jeune et fort
Disait un jour au dromadaire :
Expliquez-moi, s'il vous plaît, mon cher frère,
D'où peut venir pour nous l'injustice du sort.
L'homme, cet animal puissant par son adresse,
Vous recherche avec soin, vous loge, vous chérit,
De son pain même vous nourrit,
Et croit augmenter sa richesse
En multipliant votre espèce.
Je sais bien que sur votre dos
Vous portez ses enfants, sa femme, ses fardeaux ;
Que vous êtes léger, doux, sobre, infatigable ;
J'en conviens franchement : mais le rhinocéros
Des mêmes vertus est capable.
Je crois même, soit dit sans vous mettre en courroux,
Que tout l'avantage est pour nous :
Notre corne et notre cuirasse
Dans les combats pourraient servir ;
Et cependant l'homme nous chasse,
Nous méprise, nous hait, et nous force à le fuir.
Ami, répond le dromadaire,
De notre sort ne soyez point jaloux ;
C'est peu de servir l'homme, il faut encor lui plaire.
Vous êtes étonné qu'il nous préfère à vous :
Mais de cette faveur voici tout le mystère,
Nous savons plier les genoux.
Certain roi qui régnait sur les rives du Tage,
Et que l'on surnomma le sage,
Non parce qu'il était prudent,
Mais parce qu'il était savant,
Alphonse, fut surtout un habile astronome.
Il connaissait le ciel bien mieux que son royaume,
Et quittait souvent son conseil
Pour la lune ou pour le soleil.
Un soir qu'il retournait à son observatoire,
Entouré de ses courtisans,
Mes amis, disait-il, enfin j'ai lieu de croire
Qu'avec mes nouveaux instruments
Je verrai cette nuit des hommes dans la lune.
Votre majesté les verra,
Répondait-on ; la chose est même trop commune,
Elle doit voir mieux que cela.
Pendant tous ces discours, un pauvre, dans la rue,
S'approche, en demandant humblement, chapeau bas,
Quelques maravédis : le roi ne l'entend pas,
Et, sans le regarder, son chemin continue.
Le pauvre suit le roi, toujours tendant la main,
Toujours renouvelant sa prière importune ;
Mais, les yeux vers le ciel, le roi, pour tout refrain,
Répétait : je verrai des hommes dans la lune.
Enfin le pauvre le saisit
Par son manteau royal, et gravement lui dit :
Ce n'est pas de là haut, c'est des lieux où nous sommes
Que Dieu vous a fait souverain.
Regardez à vos pieds ; là vous verrez des hommes,
Et des hommes manquant de pain.
Un roi de Perse, certain jour,
Chassait avec toute sa cour.
Il eut soif, et dans cette plaine
On ne trouvait point de fontaine.
Près de là seulement était un grand jardin
Rempli de beaux cédrats, d'oranges, de raisin
A Dieu ne plaise que j'en mange !
Dit le roi ; ce jardin courrait trop de danger :
Si je me permettais d'y cueillir une orange,
Mes vizirs aussitôt mangeraient le verger.
Certain monarque un jour déplorait sa misère,
Et se lamentait d'être roi :
Quel pénible métier ! disait-il : sur la terre
Est-il un seul mortel contredit comme moi ?
Je voudrais vivre en paix, on me force à la guerre ;
Je chéris mes sujets, et je mets des impôts ;
J'aime la vérité, l'on me trompe sans cesse ;
Mon peuple est accablé de maux,
Je suis consumé de tristesse :
Partout je cherche des avis,
Je prends tous les moyens, inutile est ma peine ;
Plus j'en fais, moins je réussis.
Notre monarque alors aperçoit dans la plaine
Un troupeau de moutons maigres, de près tondus,
Des brebis sans agneaux, des agneaux sans leurs mères,
Dispersés, bêlants, éperdus,
Et des béliers sans force errant dans les bruyères.
Leur conducteur Guillot allait, venait, courait,
Tantôt à ce mouton qui gagne la forêt,
Tantôt à cet agneau qui demeure derrière,
Puis à sa brebis la plus chère ;
Et, tandis qu'il est d'un côté,
Un loup prend un mouton qu'il emporte bien vite ;
Le berger court, l'agneau qu'il quitte
Par une louve est emporté.
Guillot tout haletant s'arrête,
S'arrache les cheveux, ne sait plus où courir ;
Et, de son poing frappant sa tête,
Il demande au ciel de mourir.
Voilà bien ma fidèle image !
S'écria le monarque ; et les pauvres bergers,
Comme nous autres rois, entourés de dangers,
N'ont pas un plus doux esclavage :
Cela console un peu. Comme il disait ces mots,
Il découvre en un pré le plus beau des troupeaux,
Des moutons gras, nombreux, pouvant marcher à peine,
Tant leur riche toison les gêne,
Des béliers grands et fiers, tous en ordre paissants,
Des brebis fléchissant sous le poids de la laine,
Et de qui la mamelle pleine
Fait accourir de **** les agneaux bondissants.
Leur berger, mollement étendu sous un hêtre,
Faisait des vers pour son Iris,
Les chantait doucement aux échos attendris,
Et puis répétait l'air sur son hautbois champêtre.
Le roi tout étonné disait : Ce beau troupeau
Sera bientôt détruit ; les loups ne craignent guère
Les pasteurs amoureux qui chantent leur bergère ;
On les écarte mal avec un chalumeau.
Ah ! comme je rirais !... Dans l'instant le loup passe,
Comme pour lui faire plaisir ;
Mais à peine il paraît, que, prompt à le saisir,
Un chien s'élance et le terrasse.
Au bruit qu'ils font en combattant,
Deux moutons effrayés s'écartent dans la plaine :
Un autre chien part, les ramène,
Et pour rétablir l'ordre il suffit d'un instant.
Le berger voyait tout, couché dessus l'herbette,
Et ne quittait pas sa musette.
Alors le roi presque en courroux
Lui dit : Comment fais-tu ? Les bois sont pleins de loups,
Tes moutons gras et beaux sont au nombre de mille,
Et, sans en être moins tranquille,
Dans cet heureux état toi seul tu les maintiens !
Sire, dit le berger, la chose est fort facile ;
Tout mon secret consiste à choisir de bons chiens.
L'aimable et tendre Philomèle,
Voyant commencer les beaux jours,
Racontait à l'écho fidèle
Et ses malheurs et ses amours.
Le plus beau paon du voisinage,
Maître et sultan de ce canton,
Elevant la tête et le ton,
Vint interrompre son ramage :
C'est bien à toi, chantre ennuyeux,
Avec un si triste plumage,
Et ce long bec, et ces gros yeux,
De vouloir charmer ce bocage !
A la beauté seule il va bien
D'oser célébrer la tendresse :
De quel droit chantes-tu sans cesse ?
Moi, qui suis beau, je ne dis rien.
Pardon, répondit Philomèle :
Il est vrai, je ne suis pas belle ;
Et si je chante dans ce bois,
Je n'ai de titre que ma voix.
Mais vous, dont la noble arrogance
M'ordonne de parler plus bas,
Vous vous taisez par impuissance,
Et n'avez que vos seuls appas.
Ils doivent éblouir sans doute ;
Est-ce assez pour se faire aimer ?
Allez, puisqu'amour n'y voit goutte,
C'est l'oreille qu'il faut charmer.
Un jeune prince, avec son gouverneur,
Se promenait dans un bocage,
Et s'ennuyait suivant l'usage ;
C'est le profit de la grandeur.
Un rossignol chantait sous le feuillage :
Le prince l'aperçoit, et le trouve charmant ;
Et, comme il était prince, il veut dans le moment
L'attraper et le mettre en cage.
Mais pour le prendre il fait du bruit,
Et l'oiseau fuit.
Pourquoi donc, dit alors son altesse en colère,
Le plus aimable des oiseaux
Se tient-il dans les bois, farouche et solitaire,
Tandis que mon palais est rempli de moineaux ?
C'est, lui dit le mentor, afin de vous instruire
De ce qu'un jour vous devez éprouver :
Les sots savent tous se produire ;
Le mérite se cache, il faut l'aller trouver.
Un homme riche, sot et vain,
Qualités qui par fois marchent de compagnie,
Croyait pour tous les arts avoir un goût divin,
Et pensait que son or lui donnait du génie.
Chaque jour à sa table on voyait réunis
Peintres, sculpteurs, savants, artistes, beaux esprits,
Qui lui prodiguaient les hommages,
Lui montraient des dessins, lui lisaient des ouvrages,
Écoutaient les conseils qu'il daignait leur donner,
Et l'appelaient Mécène en mangeant son dîner.
Se promenant un soir dans son parc solitaire,
Suivi d'un jardinier, homme instruit et de sens,
Il vit un sanglier qui labourait la terre,
Comme ils font quelquefois pour aiguiser leurs dents.
Autour du sanglier, les merles, les fauvettes,
Surtout les rossignols, voltigeant, s'arrêtant,
Répétaient à l'envi leurs douces chansonnettes,
Et le suivaient toujours chantant.
L'animal écoutait l'harmonieux ramage
Avec la gravité d'un docte connaisseur,
Baissait par fois la hure en signe de faveur,
Ou bien, la secouant, refusait son suffrage.
Qu'est-ce ci ? Dit le financier :
Comment ! Les chantres du bocage
Pour leur juge ont choisi cet animal sauvage !
Nenni, répond le jardinier ;
De la terre par lui fraîchement labourée
Sont sortis plusieurs vers, excellente curée
Qui seule attire ces oiseaux :
Ils ne se tiennent à sa suite
Que pour manger ces vermisseaux ;
Et l'imbécile croit que c'est pour son mérite.
Que j'aime les héros dont je conte l'histoire !
Et qu'à m'occuper d'eux je trouve de douceur !
J'ignore s'ils pourront m'acquérir de la gloire ;
Mais je sais qu'ils font mon bonheur.
Avec les animaux je veux passer ma vie ;
Ils sont si bonne compagnie !
Je conviens cependant, et c'est avec douleur,
Que tous n'ont pas le même cœur.
Plusieurs que l'on connaît, sans qu'ici je les nomme,
De nos vices ont bonne part :
Mais je les trouve encor moins dangereux que l'homme ;
Et fripon pour fripon je préfère un renard.
C'est ainsi que pensait un sage,
Un bon fermier de mon pays.
Depuis quatre-vingts ans, de tout le voisinage
On venait écouter et suivre ses avis.
Chaque mot qu'il disait était une sentence.
Son exemple surtout aidait son éloquence ;
Et lorsqu'environné de ses quarante enfants,
Fils, petits-fils, brus, gendres, filles,
Il jugeait les procès ou réglait les familles,
Nul n'eût osé mentir devant ses cheveux blancs.
Je me souviens qu'un jour dans son champêtre asile
Il vint un savant de la ville
Qui dit au bon vieillard : mon père, enseignez-moi
Dans quel auteur, dans quel ouvrage,
Vous apprîtes l'art d'être sage.
Chez quelle nation, à la cour de quel roi,
Avez-vous été, comme Ulysse,
Prendre des leçons de justice ?
Suivez-vous de Zénon la rigoureuse loi ?
Avez-vous embrassé la secte d'Épicure,
Celle de Pythagore ou du divin Platon ?
De tous ces messieurs-là je ne sais pas le nom,
Répondit le vieillard : mon livre est la nature ;
Et mon unique précepteur,
C'est mon cœur.
Je vois les animaux, j'y trouve le modèle
Des vertus que je dois chérir :
La colombe m'apprit à devenir fidèle ;
En voyant la fourmi j'amassai pour jouir ;
Mes bœufs m'enseignent la constance,
Mes brebis la douceur, mes chiens la vigilance ;
Et si j'avais besoin d'avis
Pour aimer mes filles, mes fils,
La poule et ses poussins me serviraient d'exemple.
Ainsi dans l'univers tout ce que je contemple
M'avertit d'un devoir qu'il m'est doux de remplir.
Je fais souvent du bien pour avoir du plaisir,
J'aime et je suis aimé, mon âme est tendre et pure,
Et toujours selon ma mesure
Ma raison sait régler mes vœux :
J'observe et je suis la nature,
C'est mon secret pour être heureux.
Deux jeunes bacheliers logés chez un docteur
Y travaillaient avec ardeur
A se mettre en état de prendre leurs licences.
Là, du matin au soir, en public disputant,
Prouvant, divisant, ergotant
Sur la nature et ses substances,
L'infini, le fini, l'âme, la volonté,
Les sens, le libre arbitre et la nécessité,
Ils en étaient bientôt à ne plus se comprendre :
Même par là souvent l'on dit qu'ils commençaient,
Mais c'est alors qu ils se poussaient
Les plus beaux arguments ; qui venait les entendre
Bouche béante demeurait,
Et leur professeur même en extase admirait.
Une nuit qu'ils dormaient dans le grenier du maître
Sur un grabat commun, voilà mes jeunes gens
Qui, dans un rêve, pensent être
A se disputer sur les bancs.
Je démontre, dit l'un. Je distingue, dit l'autre.
Or, voici mon dilemme. Ergo, voici le nôtre...
A ces mots, nos rêveurs, criants, gesticulants,
Au lieu de s'en tenir aux simples arguments
D'Aristote ou de Scot, soutiennent leur dilemme
De coups de poing bien assenés
Sur le nez.
Tous deux sautent du lit dans une rage extrême,
Se saisissent par les cheveux,
Tombent, et font tomber pêle-mêle avec eux
Tous les meubles qu'ils ont, deux chaises, une table,
Et quatre in-folios écrits sur parchemin.
Le professeur arrive, une chandelle en main,
A ce tintamarre effroyable :
Le diable est donc ici ! Dit-il tout hors de soi :
Comment ! Sans y voir clair et sans savoir pourquoi,
Vous vous battez ainsi ! Quelle mouche vous pique ?
Nous ne nous battons point, disent-ils ; jugez mieux :
C'est que nous repassons tous deux
Nos leçons de métaphysique.
Deux chats qui descendaient du fameux Rodilard,
Et dignes tous les deux de leur noble origine,
Différaient d'embonpoint : l'un était gras à lard,
C'était l'aîné ; sous son hermine
D'un chanoine il avait la mine,
Tant il était dodu, potelé, frais et beau :
Le cadet n'avait que la peau
Collée à sa tranchante échine.
Cependant ce cadet, du matin jusqu'au soir,
De la cave à la gouttière
Trottait, courait, il fallait voir,
Sans en faire meilleure chère.
Enfin, un jour, au désespoir,
Il tint ce discours à son frère :
Explique-moi par quel moyen,
Passant ta vie à ne rien faire,
Moi travaillant toujours, on te nourrit si bien,
Et moi si mal. La chose est claire,
Lui répondit l'aîné : tu cours tout le logis
Pour manger rarement quelque maigre souris...
- N'est-ce pas mon devoir ? - D'accord, cela peut être :
Mais moi je reste auprès du maître ;
Je sais l'amuser par mes tours.
Admis à ses repas sans qu'il me réprimande,
Je prends de bons morceaux, et puis je les demande
En faisant patte de velours,
Tandis que toi, pauvre imbécile,
Tu ne sais rien que le servir,
Va, le secret de réussir,
C'est d'être adroit, non d'être utile.
Un jour deux chauves dans un coin
Virent briller certain morceau d'ivoire :
Chacun d'eux veut l'avoir ; dispute et coups de poing.
Le vainqueur y perdit, comme vous pouvez croire,
Le peu de cheveux gris qui lui restaient encor.
Un peigne était le beau trésor
Qu'il eut pour prix de sa victoire.
Deux frères jardiniers avaient par héritage
Un jardin dont chacun cultivait la moitié ;
Liés d'une étroite amitié,
Ensemble ils faisaient leur ménage.
L'un d'eux, appelé Jean, bel esprit, beau parleur,
Se croyait un très grand docteur ;
Et Monsieur Jean passait sa vie
A lire l'almanach, à regarder le temps
Et la girouette et les vents.
Bientôt, donnant l'essor à son rare génie,
Il voulut découvrir comment d'un pois tout seul
Des milliers de pois peuvent sortir si vite ;
Pourquoi la graine du tilleul,
Qui produit un grand arbre, est pourtant plus petite
Que la fève qui meurt à deux pieds du terrain ;
Enfin par quel secret mystère
Cette fève qu'on sème au hasard sur la terre
Sait se retourner dans son sein,
Place en bas sa racine et pousse en haut sa tige.
Tandis qu'il rêve et qu'il s'afflige
De ne point pénétrer ces importants secrets,
Il n'arrose point son marais ;
Ses épinards et sa laitue
Sèchent sur pied ; le vent du nord lui tue
Ses figuiers qu'il ne couvre pas.
Point de fruits au marché, point d'argent dans la bourse ;
Et le pauvre docteur, avec ses almanachs,
N'a que son frère pour ressource.
Celui-ci, dès le grand matin,
Travaillait en chantant quelque joyeux refrain,
Bêchait, arrosait tout du pêcher à l'oseille.
Sur ce qu'il ignorait sans vouloir discourir,
Il semait bonnement pour pouvoir recueillir.
Aussi dans son terrain tout venait à merveille ;
Il avait des écus, des fruits et du plaisir.
Ce fut lui qui nourrit son frère ;
Et quand Monsieur Jean tout surpris
S'en vint lui demander comment il savait faire :
Mon ami, lui dit-il, voici tout le mystère :
Je travaille, et tu réfléchis ;
Lequel rapporte davantage ?
Tu te tourmentes, je jouis ;
Qui de nous deux est le plus sage ?
Sur les bords africains, aux lieux inhabités
Où le char du soleil roule en brûlant la terre,
Deux énormes lions, de la soif tourmentés,
Arrivèrent au pied d'un rocher solitaire.
Un filet d'eau coulait, faible et dernier effort
De quelque naïade expirante.
Les deux lions courent d'abord
Au bruit de cette eau murmurante.
Ils pouvaient boire ensemble ; et la fraternité,
Le besoin, leur donnaient ce conseil salutaire :
Mais l'orgueil disait le contraire,
Et l'orgueil fut seul écouté.
Chacun veut boire seul : d'un œil plein de colère
L'un l'autre ils vont se mesurant,
Hérissent de leur cou l'ondoyante crinière ;
De leur terrible queue ils se frappent les flancs,
Et s'attaquent avec de tels rugissements,
Qu'à ce bruit dans le fond de leur sombre tanière
Les tigres d'alentour vont se cacher tremblants.
Égaux en vigueur, en courage,
Ce combat fut plus long qu'aucun de ces combats
Qui d'Achille ou d'Hector signalèrent la rage,
Car les dieux ne s'en mêlaient pas.
Après une heure ou deux d'efforts et de morsures,
Nos héros, fatigués, déchirés, haletants,
S'arrêtèrent en même temps.
Couverts de sang et de blessures,
N'en pouvant plus, morts à demi,
Se traînant sur le sable, à la source ils vont boire :
Mais, pendant le combat, la source avait tari ;
Ils expirent auprès.
Vous lisez votre histoire,
Malheureux insensés, dont les divisions,
L'orgueil, les fureurs, la folie,
Consument en douleurs le moment de la vie :
Hommes, vous êtes ces lions ;
Vos jours, c'est l'eau qui s'est tarie.
Guillot, disait un jour Lucas
D'une voix triste et lamentable,
Ne vois-tu pas venir là-bas
Ce gros nuage noir ? C'est la marque effroyable
Du plus grand des malheurs. Pourquoi ? Répond Guillot.
- Pourquoi ? Regarde donc : ou je ne suis qu'un sot,
Ou ce nuage est de la grêle
Qui va tout abîmer, vigne, avoine, froment ;
Toute la récolte nouvelle
Sera détruite en un moment.
Il ne restera rien ; le village en ruine
Dans trois mois aura la famine,
Puis la peste viendra, puis nous périrons tous.
La peste ! Dit Guillot : doucement, calmez-vous,
Je ne vois point cela, compère ;
Et s'il faut vous parler selon mon sentiment,
C'est que je vois tout le contraire :
Car ce nuage assurément
Ne porte point de grêle, il porte de la pluie ;
La terre est sèche dès longtemps,
Il va bien arroser nos champs,
Toute notre récolte en doit être embellie.
Nous aurons le double de foin,
Moitié plus de froment, de raisins abondance ;
Nous serons tous dans l'opulence,
Et rien, hors les tonneaux, ne nous fera besoin.
C'est bien voir que cela ! Dit Lucas en colère.
Mais chacun a ses yeux, lui répondit Guillot.
- Oh ! Puisqu'il est ainsi, je ne dirai plus mot,
Attendons la fin de l'affaire :
Rira bien qui rira le dernier. - Dieu merci,
Ce n'est pas moi qui pleure ici.
Ils s'échauffaient tous deux ; déjà, dans leur furie,
Ils allaient se gourmer, lorsqu'un souffle de vent
Emporta **** de là le nuage effrayant ;
Ils n'eurent ni grêle ni pluie.
Cette pauvre raison dont l'homme est si jaloux
N'est qu'un pâle flambeau qui jette autour de nous
Une triste et faible lumière ;
Par delà c'est la nuit : le mortel téméraire
Qui veut y pénétrer marche sans savoir où.
Mais ne point profiter de ce bienfait suprême,
Éteindre son esprit, et s'aveugler soi-même,
C'est un autre excès non moins fou.
En Perse il fut jadis deux frères,
Adorant le soleil, suivant l'antique loi.
L'un d'eux, chancelant dans sa foi,
N'estimant rien que ses chimères,
Prétendait méditer, connaître, approfondir
De son dieu la sublime essence ;
Et du matin au soir, afin d'y parvenir,
L'œil toujours attaché sur l'astre qu'il encense ;
Il voulait expliquer le secret de ses feux.
Le pauvre philosophe y perdit les deux yeux ;
Et dès lors du soleil il nia l'existence.
L'autre était crédule et bigot ;
Effrayé du sort de son frère,
Il y vit de l'esprit l'abus trop ordinaire,
Et mit tous ses efforts à devenir un sot.
On vient à bout de tout ; le pauvre solitaire
Avait peu de chemin à faire,
Il fut content de lui bientôt.
Mais, de peur d'offenser l'astre qui nous éclaire
En portant jusqu'à lui des regards indiscrets,
Il se fit un trou sous la terre,
Et condamna ses yeux à ne le voir jamais.
Humains, pauvres humains, jouissez des bienfaits
D'un dieu que vainement la raison veut comprendre,
Mais que l'on voit partout, mais qui parle à nos cœurs.
Sans vouloir deviner ce qu'on ne peut apprendre,
Sans rejeter les dons que sa main sait répandre,
Employons notre esprit à devenir meilleurs.
Nos vertus au très-haut sont le plus digne hommage,
Et l'homme juste est le seul sage.
Le compère Thomas et son ami Lubin
Allaient à pied tous deux à la ville prochaine.
Thomas trouve sur son chemin
Une bourse de louis pleine ;
Il l'empoche aussitôt. Lubin, d'un air content,
Lui dit : "Pour nous la bonne aubaine !
- Non, répond Thomas froidement,
Pour nous n'est pas bien dit ; pour moi : c'est différent."
Lubin ne souffle mot ; mais en quittant la plaine,
Ils trouvent des voleurs cachés au bois voisin.
Thomas tremblant, et non sans cause,
Dit : "Nous sommes perdus ! - Non, lui répond Lubin,
Nous n'est pas le vrai mot ; mais toi c'est autre chose."
Cela dit, il s'échappe à travers le taillis.
Immobile de peur, Thomas est bientôt pris ;
Il tire la bourse et la donne.

Qui ne songe qu'à soi quand la fortune est bonne,
Dans le malheur n'a point d'amis.
Deux enfants d'un fermier, gentils, espiègles, beaux,
Mais un peu gâtés par leur père,
Cherchant des nids dans leur enclos,
Trouvèrent de petits perdreaux
Qui voletaient après leur mère.
Vous jugez de la joie, et comment mes bambins
À la troupe qui s'éparpille
Vont partout couper les chemins,
Et n'ont pas assez de leurs mains
Pour prendre la pauvre famille !
La perdrix, traînant l'aile, appelant ses petits,
Tourne en vain, voltige, s'approche ;
Déjà mes jeunes étourdis
Ont toute sa couvée en poche.
Ils veulent partager comme de bons amis ;
Chacun en garde six, il en reste un treizième :
L'aîné le veut, l'autre le veut aussi.
- Tirons au doigt mouillé. - Parbleu non. - Parbleu si.
- Cède, ou bien tu verras. - Mais tu verras toi-même.
De propos en propos, l'aîné, peu patient,
Jette à la tête de son frère
Le perdreau disputé. Le cadet en colère
D'un des siens riposte à l'instant.
L'aîné recommence d'autant ;
Et ce jeu qui leur plaît couvre autour d'eux la terre
De pauvres perdreaux palpitants.
Le fermier, qui passait en revenant des champs,
Voit ce spectacle sanguinaire,
Accourt, et dit à ses enfants :
Comment donc ! Petits rois, vos discordes cruelles
Font que tant d'innocents expirent par vos coups !
De quel droit, s'il vous plaît, dans vos tristes querelles,
Faut-il que l'on meure pour vous ?
Messieurs les beaux esprits dont la prose et les vers
Sont d'un style pompeux et toujours admirable,
Mais que l'on n'entend point, écoutez cette fable,
Et tâchez de devenir clairs.
Un homme qui montrait la lanterne magique
Avait un singe dont les tours
Attiraient chez lui grand concours.
Jacqueau, c'était son nom, sur la corde élastique
Dansait et voltigeait au mieux,
Puis faisait le saut périlleux,
Et puis sur un cordon, sans que rien le soutienne,
Le corps droit, fixe, d'aplomb,
Notre Jacqueau fait tout du long
L'exercice à la prussienne.
Un jour qu'au cabaret son maître était resté
(C'était, je pense, un jour de fête),
Notre singe en liberté
Veut faire un coup de sa tête.
Il s'en va rassembler les divers animaux
Qu'il petit rencontrer dans la ville ;
Chiens, chats, poulets, dindons, pourceaux,
Arrivent bientôt à la file.
Entrez, entrez, messieurs, criait notre Jacqueau,
C'est ici, c'est ici qu'un spectacle nouveau
Vous charmera gratis.
Oui, messieurs, à la porte
On ne prend point d'argent ; je fais tout pour l'honneur.
A ces mots, chaque spectateur
Va se placer, et l'on apporte
La lanterne magique ; on ferme les volets,
Et par un discours fait exprès Jacqueau prépare l'auditoire.
Ce morceau vraiment oratoire
Fit bâiller, mais on applaudit.
Content de son succès, notre singe saisit
Un verre peint qu'il met dans sa lanterne.
Il sait comment on le gouverne,
Et crie, en le poussant : Est-il rien de pareil ?
Messieurs, vous voyez le soleil,
Ses rayons et toute sa gloire.
Voici présentement la lune, et puis l'histoire
D'Adam, d'Ève et des animaux ...
Voyez, messieurs, comme ils sont beaux !
Voyez la naissance du monde ;
Voyez ... Les spectateurs, dans une nuit profonde,
Écarquillaient leurs yeux et ne pouvaient rien voir,
L'appartement, le mur, tout était noir.
Ma foi, disait un chat, de toutes les merveilles
Dont il étourdit nos oreilles,
Le fait est que je ne vois rien.
Ni moi non plus, disait un chien.
Moi, disait un dindon, je vois bien quelque chose
Mais je ne sais pour quelle cause
Je ne distingue pas très bien.
Pendant tous ces discours, le Cicéron moderne
Parlait éloquemment, et ne se lassait point.
Il n'avait oublié qu'un point :
C'était d'éclairer sa lanterne.
Un amateur d'oiseaux avait, en grand secret,
Parmi les œufs d'une serine
Glissé l'œuf d'un chardonneret.
La mère des serins, bien plus tendre que fine,
Ne s'en aperçut point, et couva comme sien
Cet œuf qui dans peu vint à bien.
Le petit étranger, sorti de sa coquille,
Des deux époux trompés reçoit les tendres soins,
Par eux traité ni plus ni moins
Que s'il était de la famille.
Couché dans le duvet, il dort le long du jour
A côté des serins dont il se croit le frère,
Reçoit la becquée à son tour,
Et repose la nuit sous l'aile de la mère.
Chaque oisillon grandit, et, devenant oiseau,
D'un brillant plumage s'habille ;
Le chardonneret seul ne devient point jonquille,
Et ne s'en croit pas moins des serins le plus beau.
Ses frères pensent tout de même :
Douce erreur qui toujours fait voir l'objet qu'on aime
Ressemblant à nous trait pour trait !
Jaloux de son bonheur, un vieux chardonneret
Vient lui dire : Il est temps enfin de vous connaître ;
Ceux pour qui vous avez de si doux sentiments
Ne sont point du tout vos parents.
C'est d'un chardonneret que le sort vous fit naître.
Vous ne fûtes jamais serin : regardez-vous,
Vous avez le corps fauve et la tête écarlate,
Le bec... Oui, dit l'oiseau, j'ai ce qu'il vous plaira ;
Mais je n'ai point une âme ingrate,
Et mon cœur toujours chérira
Ceux qui soignèrent mon enfance.
Si mon plumage au leur ne ressemble pas bien,
J'en suis fâché ; mais leur cœur et le mien
Ont une grande ressemblance.
Vous prétendez prouver que je ne leur suis rien,
Leurs soins me prouvent le contraire :
Rien n'est vrai comme ce qu'on sent.
Pour un oiseau reconnaissant
Un bienfaiteur est plus qu'un père.
Des singes dans un bois jouaient à la main chaude ;
Certaine guenon moricaude,
Assise gravement, tenait sur ses genoux
La tête de celui qui, courbant son échine,
Sur sa main recevait les coups.
On frappait fort, et puis devine !
Il ne devinait point ; c'était alors des ris,
Des sauts, des gambades, des cris.
Attiré par le bruit du fond de sa tanière,
Un jeune léopard, prince assez débonnaire,
Se présente au milieu de nos singes joyeux.
Tout tremble à son aspect. Continuez vos jeux,
Leur dit le léopard, je n'en veux à personne :
Rassurez-vous, j'ai l'âme bonne ;
Et je viens même ici, comme particulier,
À vos plaisirs m'associer.
Jouons, je suis de la partie.
Ah ! Monseigneur, quelle bonté !
Quoi ! Votre altesse veut, quittant sa dignité,
Descendre jusqu'à nous ! - Oui, c'est ma fantaisie.
Mon altesse eut toujours de la philosophie,
Et sait que tous les animaux
Sont égaux.
Jouons donc, mes amis ; jouons, je vous en prie.
Les singes enchantés crurent à ce discours,
Comme l'on y croira toujours.
Toute la troupe joviale
Se remet à jouer : l'un d'entre eux tend la main,
Le léopard frappe, et soudain
On voit couler du sang sous la griffe royale.
Le singe cette fois devina qui frappait ;
Mais il s'en alla sans le dire.
Ses compagnons faisaient semblant de rire,
Et le léopard seul riait.
Bientôt chacun s'excuse et s'échappe à la hâte
En se disant entre leurs dents :
Ne jouons point avec les grands,
Le plus doux a toujours des griffes à la patte.
Dès la pointe du jour, sortant de son hameau,
Colas, jeune pasteur d'un assez beau troupeau,
Le conduisait au pâturage :
Sur sa route il trouve un ruisseau
Que, la nuit précédente, un effroyable orage
Avait rendu torrent ; comment passer cette eau ?
Chiens, brebis et berger, tout s'arrête au rivage.
En faisant un circuit, l'on eût gagné le pont ;
C'était bien le plus sûr, mais c'était le plus long ;
Colas veut abréger. D'abord il considère
Qu'il peut franchir cette rivière :
Et comme ses béliers sont forts, Il conclut que, sans grands efforts,
Le troupeau sautera. Cela dit, il s'élance ;
Son chien saute après lui, béliers d'entrer en danse,
A qui mieux mieux ; courage, allons !
Après les béliers, les moutons ;
Tout est en l'air, tout saute, et Colas les excite
En s'applaudissant du moyen.
Les béliers, les moutons, sautèrent assez bien ;
Mais les brebis vinrent ensuite,
Les agneaux, les vieillards, les faibles, les peureux,
Les mutins, corps toujours nombreux,
Qui refusaient le saut ou sautaient de colère
Et, soit faiblesse, soit dépit,
Se laissaient choir dans la rivière.
Il s'en noya le quart ; un autre quart s'enfuit,
Et sous la dent du loup périt.
Colas, réduit à la misère,
S'aperçut, mais trop ****, que pour un bon pasteur
Le plus court n'est pas le meilleur.
Colin gardait un jour les vaches de son père ;
Colin n'avait pas de bergère,
Et s'ennuyait tout seul. Le garde sort du bois :
Depuis l'aube, dit-il, je cours dans cette plaine
Après un vieux chevreuil que j'ai manqué deux fois
Et qui m'a mis tout hors d'haleine.
Il vient de passer par là-bas,
Lui répondit Colin : mais, si vous êtes las,
Reposez-vous, gardez mes vaches à ma place,
Et j'irai faire votre chasse ;
Je réponds du chevreuil. - Ma foi, je le veux bien.
Tiens, voilà mon fusil, prends avec toi mon chien,
Va le tuer. Colin s'apprête,
S'arme, appelle Sultan. Sultan, quoiqu'à regret,
Court avec lui vers la forêt.
Le chien bat les buissons ; il va, vient, sent, arrête,
Et voilà le chevreuil... Colin impatient
Tire aussitôt, manque la bête,
Et blesse le pauvre Sultan.
A la suite du chien qui crie,
Colin revient à la prairie.
Il trouve le garde ronflant ;
De vaches, point ; elles étaient volées.
Le malheureux Colin, s'arrachant les cheveux,
Parcourt en gémissant les monts et les vallées ;
Il ne voit rien. Le soir, sans vaches, tout honteux,
Colin retourne chez son père,
Et lui conte en tremblant l'affaire.
Celui-ci, saisissant un bâton de cormier,
Corrige son cher fils de ses folles idées,
Puis lui dit : chacun son métier,
Les vaches seront bien gardées.
Un jardinier, dans son jardin,
Avait un vieux arbre stérile ;
C'était un grand poirier qui jadis fut fertile :
Mais il avait vieilli, tel est notre destin.
Le jardinier ingrat veut l'abattre un matin ;
Le voilà qui prend sa cognée.
Au premier coup l'arbre lui dit :
Respecte mon grand âge, et souviens-toi du fruit
Que je t'ai donné chaque année.
La mort va me saisir, je n'ai plus qu'un instant,
N'assassine pas un mourant
Qui fut ton bienfaiteur. Je te coupe avec peine,
Répond le jardinier ; mais j'ai besoin de bois.
Alors, gazouillant à la fois,
De rossignols une centaine
S'écrie : épargne-le, nous n'avons plus que lui :
Lorsque ta femme vient s'asseoir sous son ombrage,
Nous la réjouissons par notre doux ramage ;
Elle est seule souvent, nous charmons son ennui.
Le jardinier les chasse et rit de leur requête ;
Il frappe un second coup. D'abeilles un essaim
Sort aussitôt du tronc, en lui disant : arrête,
Ecoute-nous, homme inhumain :
Si tu nous laisses cet asile,
Chaque jour nous te donnerons
Un miel délicieux dont tu peux à la ville
Porter et vendre les rayons :
Cela te touche-t-il ? J'en pleure de tendresse,
Répond l'avare jardinier :
Eh ! Que ne dois-je pas à ce pauvre poirier
Qui m'a nourri dans sa jeunesse ?
Ma femme quelquefois vient ouïr ces oiseaux ;
C'en est assez pour moi : qu'ils chantent en repos.
Et vous, qui daignerez augmenter mon aisance,
Je veux pour vous de fleurs semer tout ce canton.
Cela dit, il s'en va, sûr de sa récompense,
Et laisse vivre le vieux tronc.

Comptez sur la reconnaissance
Quand l'intérêt vous en répond.
Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte,
Sans songer seulement à demander sa route ;
Aller de chute en chute, et, se traînant ainsi,
Faire un tiers du chemin jusqu'à près de midi ;
Voir sur sa tête alors s'amasser les nuages,
Dans un sable mouvant précipiter ses pas,
Courir, en essuyant orages sur orages,
Vers un but incertain où l'on n'arrive pas ;
Détrempé vers le soir, chercher une retraite,
Arriver haletant, se coucher, s'endormir :
On appelle cela naître, vivre et mourir.
La volonté de Dieu soit faite !
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