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Kentucky    Im reaching for your shadow~drowning in the kiss of dawn

Poems

Paul Verlaine  Jun 2017
Agnus Dei
L'agneau cherche l'amère bruyère,
C'est le sel et non le sucre qu'il préfère,
Son pas fait le bruit d'une averse sur la poussière.

Quand il veut un but, rien ne l'arrête,
Brusque, il fonce avec de grands coups de sa tête,
Puis il bêle vers sa mère accourue inquiète...

Agneau de Dieu, qui sauves les hommes,
Agneau de Dieu, qui nous comptes et nous nommes,
Agneau de Dieu, vois, prends pitié de ce que nous sommes.

Donne-nous la paix et non la guerre,
Ô l'agneau terrible en ta juste colère.
Ô toi, seul Agneau, Dieu le seul fils de Dieu le Père.
Il ne faut plus courir à travers les bruyères,
Enfant, ni sans congé vous hasarder au ****.
Vous êtes très petit, et vous avez besoin
Que l'on vous aide encore à dire vos prières.
Que feriez-vous aux champs, si vous étiez perdu ?
Si vous ne trouviez plus le sentier du village ?
On dirait : « Quoi, si jeune, il est mort ? c'est dommage ! »
Vous crierez... De si **** seriez-vous entendu ?
Vos petits compagnons, à l'heure accoutumée,
Danseraient à la porte et chanteraient tout bas ;
Il faudrait leur répondre, en la tenant fermée :
« Une mère est malade, enfants, ne chantez pas ! »
Et vos cris rediraient : « Ô ma mère ! ô ma mère ! »
L'écho vous répondrait, l'écho vous ferait peur.
L'herbe humide et la nuit vous transiraient le coeur.
Vous n'auriez à manger que quelque plante amère ;
Point de lait, point de lit !... Il faudrait donc mourir ?
J'en frissonne ! et vraiment ce tableau fait frémir.
Embrassons-nous, je vais vous conter une histoire ;
Ma tendresse pour vous éveille ma mémoire.

« Il était un berger, veillant avec amour
Sur des agneaux chéris, qui l'aimaient à leur tour.
Il les désaltérait dans une eau claire et saine,
Les baignait à la source, et blanchissait leur laine ;
Du serpolet, du thym, parfumait leurs repas ;
Des plus faibles encor guidait les premiers pas ;
D'un ruisseau quelquefois permettait l'escalade.
Si l'un d'eux, au retour, traînait un pied malade,
Il était dans ses bras tout doucement porté ;
Et, la nuit, sur son lit, dormait à son côté ;
Réveillés le matin par l'aurore vermeille,
Il leur jouait des airs à captiver l'oreille ;
Plus ****, quand ils broutaient leur souper sous ses yeux,
Aux sons de sa musette il les rendait joyeux.
Enfin il renfermait sa famille chérie
Dedans la bergerie.
Quand l'ombre sur les champs jetait son manteau noir,
Il leur disait : « Bonsoir,
Chers agneaux ! sans danger reposez tous ensemble ;
L'un par l'autre pressés, demeurez chaudement ;
Jusqu'à ce qu'un beau jour se lève et nous rassemble,
Sous la garde des chiens dormez tranquillement. »

Les chiens rôdaient alors, et le pasteur sensible
Les revoyait heureux dans un rêve paisible.
Eh ! ne l'étaient-ils pas ? Tous bénissaient leur sort,
Excepté le plus jeune ; hardi, malin, folâtre,
Des fleurs, du miel, des blés et des bois idolâtre,
Seul il jugeait tout bas que son maître avait tort.

Un jour, riant d'avance, et roulant sa chimère,
Ce petit fou d'agneau s'en vint droit à sa mère,
Sage et vieille brebis, soumise au bon pasteur.
« Mère ! écoutez, dit-il : d'où vient qu'on nous enferme ?
Les chiens ne le sont pas, et j'en prends de l'humeur.
Cette loi m'est trop dure, et j'y veux mettre un terme.
Je vais courir partout, j'y suis très résolu.
Le bois doit être beau pendant le clair de lune :
Oui, mère, dès ce soir je veux tenter fortune :
Tant pis pour le pasteur, c'est lui qui l'a voulu. »

- « Demeurez, mon agneau, dit la mère attendrie ;
Vous n'êtes qu'un enfant, bon pour la bergerie ;
Restez-y près de moi ! Si vous voulez partir,
Hélas ! j'ose pour vous prévoir un repentir. »

- « J'ose vous dire non ; cria le volontaire... »
Un chien les obligea tous les deux à se taire.

Quand le soleil couchant au parc les rappela,
Et que par flots joyeux le troupeau s'écoula,
L'agneau sous une haie établit sa cachette ;
Il avait finement détaché sa clochette.
Dès que le parc fut clos, il courut à l'entour,
Il jouait, gambadait, sautait à perdre haleine.
« Je voyage, dit-il, je suis libre à mon tour !
Je ris, je n'ai pas peur ; la lune est claire et pleine :
Allons au bois, dansons, broutons ! » Mais, par malheur,
Des loups pour leurs enfants cherchaient alors curée :
Un peu de laine, hélas ! sanglante et déchirée,
Fut tout ce que le vent daigna rendre au pasteur.
Jugez comme il fut triste, à l'aube renaissante !
Jugez comme on plaignit la mère gémissante !
« Quoi ! ce soir, cria-t-elle, on nous appellera,
Et ce soir... et jamais l'agneau ne répondra ! »
En l'appelant en vain elle affligea l'Aurore ;
Le soir elle mourut en l'appelant encore.
Mon frère, sais-tu la nouvelle ?
Mouflar, le bon Mouflar, de nos chiens le modèle,
Si redouté des loups, si soumis au berger,
Mouflar vient, dit-on, de manger
Le petit agneau noir, puis la brebis sa mère,
Et puis sur le berger s'est jeté furieux.
- Serait-il vrai ? - Très vrai, mon frère.
- À qui donc se fier, grands dieux !
C'est ainsi que parlaient deux moutons dans la plaine ;
Et la nouvelle était certaine.
Mouflar, sur le fait même pris,
N'attendait plus que le supplice ;
Et le fermier voulait qu'une prompte justice
Effrayât les chiens du pays.
La procédure en un jour est finie.
Mille témoins pour un déposent l'attentat :
Récolés, confrontés, aucun d'eux ne varie ;
Mouflar est convaincu du triple assassinat :
Mouflar recevra donc deux balles dans la tête
Sur le lieu même du délit.
À son supplice qui s'apprête
Toute la ferme se rendit.
Les agneaux de Mouflar demandèrent la grâce ;
Elle fut refusée. On leur fit prendre place :
Les chiens se rangèrent près d'eux,
Tristes, humiliés, mornes, l'oreille basse,
Plaignant, sans l'excuser, leur frère malheureux.
Tout le monde attendait dans un profond silence.
Mouflar paraît bientôt, conduit par deux pasteurs :
Il arrive ; et, levant au ciel ses yeux en pleurs,
Il harangue ainsi l'assistance :
Ô vous, qu'en ce moment je n'ose et je ne puis
Nommer, comme autrefois, mes frères, mes amis,
Témoins de mon heure dernière,
Voyez où peut conduire un coupable désir !
De la vertu quinze ans j'ai suivi la carrière,
Un faux pas m'en a fait sortir.
Apprenez mes forfaits. Au lever de l'aurore,
Seul, auprès du grand bois, je gardais le troupeau ;
Un loup vient, emporte un agneau,
Et tout en fuyant le dévore.
Je cours, j'atteins le loup, qui, laissant son festin,
Vient m'attaquer : je le terrasse,
Et je l'étrangle sur la place.
C'était bien jusques là : mais, pressé par la faim,
De l'agneau dévoré je regarde le reste,
J'hésite, je balance... à la fin, cependant,
J'y porte une coupable dent :
Voilà de mes malheurs l'origine funeste.
La brebis vient dans cet instant,
Elle jette des cris de mère...
La tête m'a tourné, j'ai craint que la brebis
Ne m'accusât d'avoir assassiné son fils ;
Et, pour la forcer à se taire,
Je l'égorge dans ma colère.
Le berger accourait armé de son bâton.
N'espérant plus aucun pardon,
Je me jette sur lui : mais bientôt on m'enchaîne,
Et me voici prêt à subir
De mes crimes la juste peine.
Apprenez tous du moins, en me voyant mourir,
Que la plus légère injustice
Aux forfaits les plus grands peut conduire d'abord ;
Et que, dans le chemin du vice,
On est au fond du précipice,
Dès qu'on met un pied sur le bord.