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I.

Hélas ! que j'en ai vu mourir de jeunes filles !
C'est le destin. Il faut une proie au trépas.
Il faut que l'herbe tombe au tranchant des faucilles ;
Il faut que dans le bal les folâtres quadrilles
Foulent des roses sous leurs pas.

Il faut que l'eau s'épuise à courir les vallées ;
Il faut que l'éclair brille, et brille peu d'instants,
Il faut qu'avril jaloux brûle de ses gelées
Le beau pommier, trop fier de ses fleurs étoilées,
Neige odorante du printemps.

Oui, c'est la vie. Après le jour, la nuit livide.
Après tout, le réveil, infernal ou divin.
Autour du grand banquet siège une foule avide ;
Mais bien des conviés laissent leur place vide.
Et se lèvent avant la fin.

II.

Que j'en ai vu mourir ! - L'une était rose et blanche ;
L'autre semblait ouïr de célestes accords ;
L'autre, faible, appuyait d'un bras son front qui penche,
Et, comme en s'envolant l'oiseau courbe la branche,
Son âme avait brisé son corps.

Une, pâle, égarée, en proie au noir délire,
Disait tout bas un nom dont nul ne se souvient ;
Une s'évanouit, comme un chant sur la lyre ;
Une autre en expirant avait le doux sourire
D'un jeune ange qui s'en revient.

Toutes fragiles fleurs, sitôt mortes que nées !
Alcyions engloutis avec leurs nids flottants !
Colombes, que le ciel au monde avait données !
Qui, de grâce, et d'enfance, et d'amour couronnées,
Comptaient leurs ans par les printemps !

Quoi, mortes ! quoi, déjà, sous la pierre couchées !
Quoi ! tant d'êtres charmants sans regard et sans voix !
Tant de flambeaux éteints ! tant de fleurs arrachées !...
Oh ! laissez-moi fouler les feuilles desséchées,
Et m'égarer au fond des bois !

Deux fantômes ! c'est là, quand je rêve dans l'ombre,
Qu'ils viennent tour à tour m'entendre et me parler.
Un jour douteux me montre et me cache leur nombre.
A travers les rameaux et le feuillage sombre
Je vois leurs yeux étinceler.

Mon âme est une sœur pour ces ombres si belles.
La vie et le tombeau pour nous n'ont plus de loi.
Tantôt j'aide leurs pas, tantôt je prends leurs ailes.
Vision ineffable où je suis mort comme elles,
Elles, vivantes comme moi !

Elles prêtent leur forme à toutes mes pensées.
Je les vois ! je les vois ! Elles me disent : Viens !
Puis autour d'un tombeau dansent entrelacées ;
Puis s'en vont lentement, par degrés éclipsées.
Alors je songe et me souviens...

III.

Une surtout. - Un ange, une jeune espagnole !
Blanches mains, sein gonflé de soupirs innocents,
Un œil noir, où luisaient des regards de créole,
Et ce charme inconnu, cette fraîche auréole
Qui couronne un front de quinze ans !

Non, ce n'est point d'amour qu'elle est morte : pour elle,
L'amour n'avait encor ni plaisirs ni combats ;
Rien ne faisait encor battre son cœur rebelle ;
Quand tous en la voyant s'écriaient : Qu'elle est belle !
Nul ne le lui disait tout bas.

Elle aimait trop le bal, c'est ce qui l'a tuée.
Le bal éblouissant ! le bal délicieux !
Sa cendre encor frémit, doucement remuée,
Quand, dans la nuit sereine, une blanche nuée
Danse autour du croissant des cieux.

Elle aimait trop le bal. - Quand venait une fête,
Elle y pensait trois jours, trois nuits elle en rêvait,
Et femmes, musiciens, danseurs que rien n'arrête,
Venaient, dans son sommeil, troublant sa jeune tête,
Rire et bruire à son chevet.

Puis c'étaient des bijoux, des colliers, des merveilles !
Des ceintures de moire aux ondoyants reflets ;
Des tissus plus légers que des ailes d'abeilles ;
Des festons, des rubans, à remplir des corbeilles ;
Des fleurs, à payer un palais !

La fête commencée, avec ses sœurs rieuses
Elle accourait, froissant l'éventail sous ses doigts,
Puis s'asseyait parmi les écharpes soyeuses,
Et son cœur éclatait en fanfares joyeuses,
Avec l'orchestre aux mille voix.

C'était plaisir de voir danser la jeune fille !
Sa basquine agitait ses paillettes d'azur ;
Ses grands yeux noirs brillaient sous la noire mantille.
Telle une double étoile au front des nuits scintille
Sous les plis d'un nuage obscur.

Tout en elle était danse, et rire, et folle joie.
Enfant ! - Nous l'admirions dans nos tristes loisirs ;
Car ce n'est point au bal que le cœur se déploie,
La centre y vole autour des tuniques de soie,
L'ennui sombre autour des plaisirs.

Mais elle, par la valse ou la ronde emportée,
Volait, et revenait, et ne respirait pas,
Et s'enivrait des sons de la flûte vantée,
Des fleurs, des lustres d'or, de la fête enchantée,
Du bruit des vois, du bruit des pas.

Quel bonheur de bondir, éperdue, en la foule,
De sentir par le bal ses sens multipliés,
Et de ne pas savoir si dans la nue on roule,
Si l'on chasse en fuyant la terre, ou si l'on foule
Un flot tournoyant sous ses pieds !

Mais hélas ! il fallait, quand l'aube était venue,
Partir, attendre au seuil le manteau de satin.
C'est alors que souvent la danseuse ingénue
Sentit en frissonnant sur son épaule nue
Glisser le souffle du matin.

Quels tristes lendemains laisse le bal folâtre !
Adieu parure, et danse, et rires enfantins !
Aux chansons succédait la toux opiniâtre,
Au plaisir rose et frais la fièvre au teint bleuâtre,
Aux yeux brillants les yeux éteints.

IV.

Elle est morte. - A quinze ans, belle, heureuse, adorée !
Morte au sortir d'un bal qui nous mit tous en deuil.
Morte, hélas ! et des bras d'une mère égarée
La mort aux froides mains la prit toute parée,
Pour l'endormir dans le cercueil.

Pour danser d'autres bals elle était encor prête,
Tant la mort fut pressée à prendre un corps si beau !
Et ces roses d'un jour qui couronnaient sa tête,
Qui s'épanouissaient la veille en une fête,
Se fanèrent dans un tombeau.

V.

Sa pauvre mère ! - hélas ! de son sort ignorante,
Avoir mis tant d'amour sur ce frêle roseau,
Et si longtemps veillé son enfance souffrante,
Et passé tant de nuits à l'endormir pleurante
Toute petite en son berceau !

A quoi bon ? - Maintenant la jeune trépassée,
Sous le plomb du cercueil, livide, en proie au ver,
Dort ; et si, dans la tombe où nous l'avons laissée,
Quelque fête des morts la réveille glacée,
Par une belle nuit d'hiver,

Un spectre au rire affreux à sa morne toilette
Préside au lieu de mère, et lui dit : Il est temps !
Et, glaçant d'un baiser sa lèvre violette,
Passe les doigts noueux de sa main de squelette
Sous ses cheveux longs et flottants.

Puis, tremblante, il la mène à la danse fatale,
Au chœur aérien dans l'ombre voltigeant ;
Et sur l'horizon gris la lune est large et pâle,
Et l'arc-en-ciel des nuits teint d'un reflet d'opale
Le nuage aux franges d'argent.

VI.

Vous toutes qu'à ses jeux le bal riant convie,
Pensez à l'espagnole éteinte sans retour,
Jeunes filles ! Joyeuse, et d'une main ravie,
Elle allait moissonnant les roses de la vie,
Beauté, plaisir, jeunesse, amour !

La pauvre enfant, de fête en fête promenée,
De ce bouquet charmant arrangeait les couleurs ;
Mais qu'elle a passé vite, hélas ! l'infortunée !
Ainsi qu'Ophélia par le fleuve entraînée,
Elle est morte en cueillant des fleurs !

Avril 1828.
Paul d'Aubin Aug 2016
Le Poirier de la  "Casalonga"



Il était long comme l'espoir,

Lové sur le mur de granit

Qu’il entourait de ses grands bras.

Il semblait un serpent narquois,

Et n'était certes pas très beau,

Mais, bien le meilleur des poiriers.

Quand venaient les jours de Juillet

Les poires commençaient à tomber,

D’abord, bien vertes de couleur ;

Puis, aux premières journées d'août,

Les tendres et jaunes à croquer



Comme de grandes plaines de blé.

L'on pouvait entendre tomber

Ses poires avec un bruit mat,

Qui pleuvaient drues, même la nuit

Et tapissaient le sol herbeux.

C'était la saison des gâteaux,

Des confitures et des compotes.

Les abeilles venaient butiner

Les poires qui jonchaient le sol

Et voletaient autour des mains

Des gourmets venant soupeser

Les plus fermes et les moins brisées.

Qui tombaient parfois de bien haut.

Cher Poirier, vaillant ouvrier,

Aux branches tant ployées de fruits

Que tu en paraissais voûté,

Tu nous donnais sans rechigner

Tant de poires, au parfum vanille

Bien plus que nous pouvions manger.


Paul Arrighi ( Corse /Corsica)
À Max Jacob.

Vers le palais de Rosemonde au fond du Rêve
Mes rêveuses pensées pieds nus vont en soirée
Le palais don du roi comme un roi nu s'élève
Des chairs fouettées des roses de la roseraie

On voit venir au fond du jardin mes pensées
Qui sourient du concert joué par les grenouilles
Elles ont envie des cyprès grandes quenouilles
Et le soleil miroir des roses s'est brisé

Le stigmate sanglant des mains contre les vitres
Quel archer mal blessé du couchant le troua
La résine qui rend amer le vin de Chypre
Ma bouche aux agapes d'agneau blanc l'éprouva

Sur les genoux pointus du monarque adultère
Sur le mai de son âge et sur son trente et un
Madame Rosemonde roule avec mystère
Ses petits yeux tout ronds pareils aux yeux des Huns

Dame de mes pensées au cul de perle fine
Dont ni perle ni cul n'égale l'orient
Qui donc attendez-vous
De rêveuses pensées en marche à l'Orient
Mes plus belles voisines

Toc toc Entrez dans l'antichambre le jour baisse
La veilleuse dans l'ombre est un bijou d'or cuit
Pendez vos têtes aux patères par les tresses
Le ciel presque nocturne a des lueurs d'aiguilles

On entra dans la salle à manger les narines
Reniflaient une odeur de graisse et de graillon
On eut vingt potages dont trois couleurs d'*****
Et le roi prit deux œufs pochés dans du bouillon

Puis les marmitons apportèrent les viandes
Des rôtis de pensées mortes dans mon cerveau
Mes beaux rêves mort-nés en tranches bien saignantes
Et mes souvenirs faisandés en godiveaux

Or ces pensées mortes depuis des millénaires
Avaient le fade goût des grands mammouths gelés
Les os ou songe-creux venaient des ossuaires
En danse macabre aux plis de mon cervelet

Et tous ces mets criaient des choses nonpareilles
Mais nom de Dieu !
Ventre affamé n'a pas d'oreilles
Et les convives mastiquaient à qui mieux mieux

Ah ! nom de Dieu ! qu'ont donc crié ces entrecôtes
Ces grands pâtés ces os à moelle et mirotons
Langues de feu où sont-elles mes pentecôtes
Pour mes pensées de tous pays de tous les temps.
La muse

Depuis que le soleil, dans l'horizon immense,
A franchi le Cancer sur son axe enflammé,
Le bonheur m'a quittée, et j'attends en silence
L'heure où m'appellera mon ami bien-aimé.
Hélas ! depuis longtemps sa demeure est déserte ;
Des beaux jours d'autrefois rien n'y semble vivant.
Seule, je viens encor, de mon voile couverte,
Poser mon front brûlant sur sa porte entr'ouverte,
Comme une veuve en pleurs au tombeau d'un enfant.

Le poète

Salut à ma fidèle amie !
Salut, ma gloire et mon amour !
La meilleure et la plus chérie
Est celle qu'on trouve au retour.
L'opinion et l'avarice
Viennent un temps de m'emporter.
Salut, ma mère et ma nourrice !
Salut, salut consolatrice !
Ouvre tes bras, je viens chanter.

La muse

Pourquoi, coeur altéré, coeur lassé d'espérance,
T'enfuis-tu si souvent pour revenir si **** ?
Que t'en vas-tu chercher, sinon quelque hasard ?
Et que rapportes-tu, sinon quelque souffrance ?
Que fais-tu **** de moi, quand j'attends jusqu'au jour ?
Tu suis un pâle éclair dans une nuit profonde.
Il ne te restera de tes plaisirs du monde
Qu'un impuissant mépris pour notre honnête amour.
Ton cabinet d'étude est vide quand j'arrive ;
Tandis qu'à ce balcon, inquiète et pensive,
Je regarde en rêvant les murs de ton jardin,
Tu te livres dans l'ombre à ton mauvais destin.
Quelque fière beauté te retient dans sa chaîne,
Et tu laisses mourir cette pauvre verveine
Dont les derniers rameaux, en des temps plus heureux,
Devaient être arrosés des larmes de tes yeux.
Cette triste verdure est mon vivant symbole ;
Ami, de ton oubli nous mourrons toutes deux,
Et son parfum léger, comme l'oiseau qui vole,
Avec mon souvenir s'enfuira dans les cieux.

Le poète

Quand j'ai passé par la prairie,
J'ai vu, ce soir, dans le sentier,
Une fleur tremblante et flétrie,
Une pâle fleur d'églantier.
Un bourgeon vert à côté d'elle
Se balançait sur l'arbrisseau ;
Je vis poindre une fleur nouvelle ;
La plus jeune était la plus belle :
L'homme est ainsi, toujours nouveau.

La muse

Hélas ! toujours un homme, hélas ! toujours des larmes !
Toujours les pieds poudreux et la sueur au front !
Toujours d'affreux combats et de sanglantes armes ;
Le coeur a beau mentir, la blessure est au fond.
Hélas ! par tous pays, toujours la même vie :
Convoiter, regretter, prendre et tendre la main ;
Toujours mêmes acteurs et même comédie,
Et, quoi qu'ait inventé l'humaine hypocrisie,
Rien de vrai là-dessous que le squelette humain.
Hélas ! mon bien-aimé, vous n'êtes plus poète.
Rien ne réveille plus votre lyre muette ;
Vous vous noyez le coeur dans un rêve inconstant ;
Et vous ne savez pas que l'amour de la femme
Change et dissipe en pleurs les trésors de votre âme,
Et que Dieu compte plus les larmes que le sang.

Le poète

Quand j'ai traversé la vallée,
Un oiseau chantait sur son nid.
Ses petits, sa chère couvée,
Venaient de mourir dans la nuit.
Cependant il chantait l'aurore ;
Ô ma Muse, ne pleurez pas !
À qui perd tout, Dieu reste encore,
Dieu là-haut, l'espoir ici-bas.

La muse

Et que trouveras-tu, le jour où la misère
Te ramènera seul au paternel foyer ?
Quand tes tremblantes mains essuieront la poussière
De ce pauvre réduit que tu crois oublier,
De quel front viendras-tu, dans ta propre demeure,
Chercher un peu de calme et d'hospitalité ?
Une voix sera là pour crier à toute heure :
Qu'as-tu fait de ta vie et de ta liberté ?
Crois-tu donc qu'on oublie autant qu'on le souhaite ?
Crois-tu qu'en te cherchant tu te retrouveras ?
De ton coeur ou de toi lequel est Le poète ?
C'est ton coeur, et ton coeur ne te répondra pas.
L'amour l'aura brisé ; les passions funestes
L'auront rendu de pierre au contact des méchants ;
Tu n'en sentiras plus que d'effroyables restes,
Qui remueront encor, comme ceux des serpents.
Ô ciel ! qui t'aidera ? que ferai-je moi-même,
Quand celui qui peut tout défendra que je t'aime,
Et quand mes ailes d'or, frémissant malgré moi,
M'emporteront à lui pour me sauver de toi ?
Pauvre enfant ! nos amours n'étaient pas menacées,
Quand dans les bois d'Auteuil, perdu dans tes pensées,
Sous les verts marronniers et les peupliers blancs,
Je t'agaçais le soir en détours nonchalants.
Ah ! j'étais jeune alors et nymphe, et les dryades
Entr'ouvraient pour me voir l'écorce des bouleaux,
Et les pleurs qui coulaient durant nos promenades
Tombaient, purs comme l'or, dans le cristal des eaux.
Qu'as-tu fait, mon amant, des jours de ta jeunesse ?
Qui m'a cueilli mon fruit sur mon arbre enchanté ?
Hélas ! ta joue en fleur plaisait à la déesse
Qui porte dans ses mains la force et la santé.
De tes yeux insensés les larmes l'ont pâlie ;
Ainsi que ta beauté, tu perdras ta vertu.
Et moi qui t'aimerai comme une unique amie,
Quand les dieux irrités m'ôteront ton génie,
Si je tombe des cieux, que me répondras-tu ?

Le poète

Puisque l'oiseau des bois voltige et chante encore
Sur la branche où ses oeufs sont brisés dans le nid ;
Puisque la fleur des champs entr'ouverte à l'aurore,
Voyant sur la pelouse une autre fleur éclore,
S'incline sans murmure et tombe avec la nuit,

Puisqu'au fond des forêts, sous les toits de verdure,
On entend le bois mort craquer dans le sentier,
Et puisqu'en traversant l'immortelle nature,
L'homme n'a su trouver de science qui dure,
Que de marcher toujours et toujours oublier ;

Puisque, jusqu'aux rochers tout se change en poussière ;
Puisque tout meurt ce soir pour revivre demain ;
Puisque c'est un engrais que le meurtre et la guerre ;
Puisque sur une tombe on voit sortir de terre
Le brin d'herbe sacré qui nous donne le pain ;

Ô Muse ! que m'importe ou la mort ou la vie ?
J'aime, et je veux pâlir ; j'aime et je veux souffrir ;
J'aime, et pour un baiser je donne mon génie ;
J'aime, et je veux sentir sur ma joue amaigrie
Ruisseler une source impossible à tarir.

J'aime, et je veux chanter la joie et la paresse,
Ma folle expérience et mes soucis d'un jour,
Et je veux raconter et répéter sans cesse
Qu'après avoir juré de vivre sans maîtresse,
J'ai fait serment de vivre et de mourir d'amour.

Dépouille devant tous l'orgueil qui te dévore,
Coeur gonflé d'amertume et qui t'es cru fermé.
Aime, et tu renaîtras ; fais-toi fleur pour éclore.
Après avoir souffert, il faut souffrir encore ;
Il faut aimer sans cesse, après avoir aimé.
I.

L'esprit des sages te contemple,
Mystérieuse Humilité,
Porte étroite et basse du temple
Auguste de la vérité !
Vertu que Dieu place à la tête
Des vertus que l'ange au ciel fête ;
Car elle est la perle parfaite
Dans l'abîme du siècle amer ;
Car elle rit sous l'eau profonde,
**** du plongeur et de la sonde.
Préférant aux écrins du monde
Le cœur farouche de la mer.
C'est vers l'humanité fidèle
Que mes oiseaux s'envoleront ;
Vers les fils, vers les filles d'elle,
Pour sourire autour de leur front ;
Vers Jeanne d'Arc et Geneviève
Dont l'étoile au ciel noir se lève,
Dont le paisible troupeau rêve,
Oublieux du loup, qui s'enfuit ;
Douces porteuses de bannière,
Qui refoulaient, à leur manière,
L'impur Suffolk vers sa tanière,
L'aveugle Attila dans sa nuit.

Sur la lyre à la corde amère
Où le chant d'un dieu s'est voilé,
Ils iront saluer Homère
Sous son haillon tout étoile.
Celui pour qui jadis les Iles
Et la Grèce étaient sans asiles,
Habite aujourd'hui dans nos villes
La colonne et le piédestal ;
Une fontaine à leur flanc jase,
Où l'enfant puise avec son vase,
Et la rêverie en extase,
Avec son urne de cristal.
**** des palais sous les beaux arbres
Où les paons, compagnons des dieux,
Traînent dans la blancheur des marbres
Leurs manteaux d'azur, couverts d'yeux ;
Où, des bassins que son chant noie
L'onde s'échevelle et poudroie :
Laissant ce faste et cette joie,
Mes strophes abattront leur vol,
Pour entendre éclater, superbe,
La voix la plus proche du Verbe,
Dans la paix des grands bois pleins d'herbe
Où se cache le rossignol.
Lorsqu'au fond de la forêt brune
Pas une feuille ne bruit,
Et qu'en présence de la lune
Le silence s'épanouit,
Sous l'azur chaste qui s'allume,
Dans l'ombre où l'encens des fleurs fume,
Le rossignol qui se consume
Dans l'extatique oubli du jour,
Verse un immense épithalame
De son petit gosier de flamme,
Où s'embrasent l'accent et l'âme
De la nature et de l'amour !

II.

C'est Dieu qui conduisait à Rome,
Mettant un bourdon dans sa main,
Ce saint qui ne fut qu'un pauvre homme,
Hirondelle de grand chemin,
Qui laissa tout son coin de terre,
Sa cellule de solitaire.
Et la soupe du monastère,
Et son banc qui chauffe au soleil,
Sourd à son siècle, à ses oracles,
Accueilli des seuls tabernacles,
Mais vêtu du don des miracles
Et coiffé du nimbe vermeil.

Le vrai pauvre qui se délabre,
Lustre à lustre, été par été,
C'était ce règne, et non saint Labre,
Qui lui faisait la charité
De ses vertus spirituelles,
De ses bontés habituelles,
Léger guérisseur d'écrouelles,
Front penché sur chaque indigent,
Fière statue enchanteresse
De l'austérité, que Dieu dresse,
Au bout du siècle de l'ivresse,
Au seuil du siècle de l'argent.

Je sais que notre temps dédaigne
Les coquilles de son chapeau,
Et qu'un lâche étonnement règne
Devant les ombres de sa peau ;
L'âme en est-elle atténuée ?
Et qu'importe au ciel sa nuée,
Qu'importe au miroir sa buée,
Si Dieu splendide aime à s'y voir !
La gangue au diamant s'allie ;
Toi, tu peins ta lèvre pâlie,
Luxure, et toi, vertu salie,
C'est là ton fard mystique et noir.

Qu'importe l'orgueil qui s'effare,
Ses pudeurs, ses rebellions !
Vous, qu'une main superbe égare
Dans la crinière des lions,
Comme elle égare aux plis des voiles,
Où la nuit a tendu ses toiles,
Aldébaran et les étoiles,
Frères des astres, vous, les poux
Qu'il laissait paître sur sa tête,
Bon pour vous et dur pour sa bête,
Dites, par la voix du poète,
À quel point ce pauvre était doux !

Ah ! quand le Juste est mort, tout change :
Rome au saint mur pend son haillon,
Et Dieu veut, par des mains d'Archange,
Vêtir son corps d'un grand rayon ;
Le soleil le prend sous son aile,
La lune rit dans sa prunelle,
La grâce comme une eau ruisselle
Sur son buste et ses bras nerveux ;
Et le saint, dans l'apothéose
Du ciel ouvert comme une rose,
Plane, et montre à l'enfer morose
Des étoiles dans ses cheveux !

Beau paysan, ange d'Amette,
Ayant aujourd'hui pour trépieds
La lune au ciel, et la comète,
Et tous les soleils sous vos pieds ;
Couvert d'odeurs délicieuses,
Vous, qui dormiez sous les yeuses,
Vous, que l'Eglise aux mains pieuses
Peint sur l'autel et le guidon,
Priez pour nos âmes, ces gouges,
Et pour que nos cœurs, las des bouges,
Lavent leurs péchés noirs et rouges
Dans les piscines du pardon !

III.

Aimez l'humilité ! C'est elle
Que les mages de l'Orient,
Coiffés d'un turban de dentelle,
Et dont le Noir montre en riant
Un blanc croissant qui l'illumine,
Offrant sur les coussins d'hermine
Et l'or pur et la myrrhe fine,
Venaient, dans l'encens triomphant,
Grâce à l'étoile dans la nue,
Adorer, sur la paille nue,
Au fond d'une étable inconnue,
Dans la personne d'un enfant.
Ses mains, qui sont des fleurs écloses,
Aux doux parfums spirituels,
Portent de délicates roses,
À la place des clous cruels.
Ecarlates comme les baies
Dont le printemps rougit les haies,
Les cinq blessures de ses plaies,
Dont l'ardeur ne peut s'apaiser,
Semblent ouvrir au vent des fièvres,
Sur sa chair pâle aux blancheurs mièvres,
La multitude de leurs lèvres
Pour l'infini de son baiser.
Au pied de la croix découpée
Sur le sombre azur de Sion,
Une figure enveloppée
De silence et de passion,
Immobile et de pleurs vêtue,
Va grandir comme une statue
Que la foi des temps perpétue,
Haute assez pour jeter sur nous,
Nos deuils, nos larmes et nos râles,
Son ombre aux ailes magistrales,
Comme l'ombre des cathédrales
Sur les collines à genoux.
Près de la blanche Madeleine,
Dont l'époux reste parfumé
Des odeurs de son urne pleine,
Près de Jean le disciple aimé,
C'est ainsi qu'entre deux infâmes,
Honni des hommes et des femmes,
Pour le ravissement des âmes,
Voulut éclore et se flétrir
Celui qui, d'un cri charitable,
Appelante pauvre à sa table,
Etait bien le Dieu véritable
Puisque l'homme l'a fait mourir !

Maintenant que Tibère écoute
Rire le flot, chanter le nid !
Olympe, un cri monte à ta voûte,
Et c'est : Lamma Sabacthani !
Les dieux voient s'écrouler leur nombre.
Le vieux monde plonge dans l'ombre,
Usé comme un vêtement sombre
Qui se détache par lambeaux.
Un empire inconnu se fonde,
Et Rome voit éclore un monde
Qui sort de la douleur profonde
Comme une rose du tombeau !
Des bords du Rhône aux bords du Tigre
Que Néron fasse armer ses lois,
Qu'il sente les ongles du tigre
Pousser à chacun de ses doigts ;
Qu'il contemple, dans sa paresse,
Au son des flûtes de la Grèce,
Les chevilles de la négresse
Tourner sur un rythme énervant ;
Déjà, dans sa tête en délire,
S'allume la flamme où l'Empire
De Rome et des Césars expire
Dans la fumée et dans le vent !

IV.

Humilité ! loi naturelle,
Parfum du fort, fleur du petit !
Antée a mis sa force en elle,
C'est sur elle que l'on bâtit.
Seule, elle rit dans les alarmes.
Celui qui ne prend pas ses armes,
Celui qui ne voit pas ses charmes
À la clarté de Jésus-Christ,
Celui là, sur le fleuve avide
Des ans profonds que Dieu dévide,
Aura fui comme un feuillet vide
Où le destin n'a rien écrit !
Triste et soudain fracas d'un trône héréditaire,

Profond enseignement aux puissants de la terre,

Qui vous eût pu prévoir, et dire : Dans trois jours,

Cette tige de rois par les siècles blanchie

Et ce vaste pouvoir et cette monarchie

Auront fui sans espoir et croulé pour toujours ?


Et toi qui n'es plus rien et qui fus roi naguère,

Charles ! n'avais-tu pas ton droit de paix, de guerre.

Ta large part d'impôts, tes châteaux à choisir,

Tes veneurs, tes laquais, tes chiens, tes équipages,

Tes chambellans dorés, tes hérauts et tes pages

Et tes vastes forêts où chasser à loisir ?


T'empêchait-on d'aller au sein des basiliques,

Courbant ton front royal et baisant les reliques.

Garder, comme un soldat, un prêtre à tes côtés.

Et, du ministre saint implorant l'assistance,

Consumer dans le jeûne et dans la pénitence

Tout le restant des jours que le ciel t'a comptés ?


On t'entourait d'honneurs, de respects, et la France,

Qui voyait tout cela d'un air d'indifférence.

T'eût laissé jusqu'au bout, sans haine et sans effroi.

Saluer de la main du haut des galeries,

Sourire à tes valets et dans tes Tuileries

Mourir tranquillement sur ton fauteuil de roi !


Mais des hommes t'ont dit : « Sire, l'heure est venue,

Où votre volonté, trop longtemps méconnue.

Doit être apprise à tous et s'ouvrir un chemin ;

Et si quelque mutin se dresse et se récrie.

Nous avons-là Foucault et sa gendarmerie ;

C'est l'affaire d'un coup de main.


« On en eut bon marché sous l'autre ministère.

Quelques coups de mitraille à propos l'ont fait taire,

Ce peuple ; il faut qu'il sache, au moins, si c'est en vain

Que Charles Xdix est roi de France et de Navarre

Et si d'un peu de sang il lui sied d'être avare

Pour soutenir le droit divin,


« Et si des gens venaient, artisans d'imposture,

Vous parler de promesse et que c'est forfaiture

Que manquer de la sorte à la foi des serments

Jurés, devant l'autel, sur les saints Évangiles,

Et qu'après tout, la terre a des trônes fragiles,

Et l'avenir des châtiments ;


« Sophismes dangereux, maximes immorales !

Propos séditieux de feuilles libérales !

Mais seulement un mot, un signe de la main,

Et vous verrez pâlir tous ces faiseurs d'émeute,

Comme un gibier peureux qui fuit devant la meute,

Dans les forêts de Saint-Germain. »


Et toi, tu les as crus et, risquant la partie,

Sur un seul coup de dé perdu ta dynastie,

Bien puni maintenant, ô roi, pour avoir mis

Tant d'espoir dans ton Dieu, tant de foi dans sa grâce,

Et compté, pour ton trône et les gens de ta race,

Sur l'avenir sans fin qui leur était promis !


Mais comme au premier coup du marteau populaire

Ta vieille royauté, masure séculaire.

Lézardée et disjointe et qui n'en pouvait plus,

A craqué jusqu'au fond, tant l'heure était critique.

Tant sa chute était mûre et de ce dais gothique

La toile était usée et les ais vermoulus !


Et pour baisser si bas des têtes couronnées,

Qu'a-t-il fallu de temps au peuple ? Trois journées

D'ouvriers descendus en hâte des faubourgs,

Qui couraient sans savoir, au fort de la mêlée,

Ce que c'est qu'une marche, et comme elle est réglée

Sur les sons plus pressés ou plus lents des tambours.


Trois jours, et tout fut dit ; et la pâle bannière

Du faîte des palais a roulé dans l'ornière.

Et les trois fleurs de lis, honneur de ta maison,

N'ont d'asile aujourd'hui, tristes et détrônées,

Que dans quelques foyers de vieilles cheminées.

Ou les feuillets jaunis d'un traité de blason.


Eh quoi ! de tes malheurs le rude apprentissage

N'avait-il pu t'instruire et te faire assez sage,

Sans qu'il fallût encor, vieillard en cheveux gris,

Entendre le fracas de ton trône qui tombe.

Et retrouver si **** et si près de la tombe.

Ces leçons de l'exil qui ne t'ont rien appris ?


Tu l'as voulu pourtant ! Aussi bien, à ton âge.

Quand la mort à ce point est dans le voisinage,

A tout prendre, il vaut mieux, de tous ces vains joyaux

Débarrasser un front qu'a touché le Saint-Chrême,

Car pour qui va paraître au tribunal suprême.

Les plis sont bien persans des ornements royaux !


Va, mais ne songe plus, Majesté solitaire,

Qu'à ce royaume saint qui n'est plus de la terre ;

Songe au soin de ton âme, et, déchargé du faix

De cette royauté dont t'a perdu l'envie,

Songe à bien profiter, au moins pour l'autre vie,

De ces derniers loisirs que le peuple t'a faits.
Un arabe à Marseille autrefois m'a conté
Qu'un pacha turc dans sa patrie
Vint porter certain jour un coffret cacheté
Au plus sage dervis qui fût en Arabie.
Ce coffret, lui dit-il, renferme des rubis,
Des diamants d'un très grand prix :
C'est un présent que je veux faire
À l'homme que tu jugeras
Être le plus fou de la terre.
Cherche bien, tu le trouveras.
Muni de son coffret, notre bon solitaire
S'en va courir le monde. Avait-il donc besoin
D'aller **** ?
L'embarras de choisir était sa grande affaire :
Des fous toujours plus fous venaient de toutes parts
Se présenter à ses regards.
Notre pauvre dépositaire
Pour l'offrir à chacun saisissait le coffret :
Mais un pressentiment secret
Lui conseillait de n'en rien faire,
L'assurait qu'il trouverait mieux.
Errant ainsi de lieux en lieux,
Embarrassé de son message,
Enfin, après un long voyage,
Notre homme et le coffret arrivent un matin
Dans la ville de Constantin.
Il trouve tout le peuple en joie :
Que s'est-il donc passé ? Rien, lui dit un iman ;
C'est notre grand vizir que le sultan envoie,
Au moyen d'un lacet de soie,
Porter au prophète un firman.
Le peuple rit toujours de ces sortes d'affaires ;
Et, comme ce sont des misères,
Notre empereur souvent lui donne ce plaisir.
- Souvent ? - Oui. - C'est fort bien ; votre nouveau vizir
Est-il nommé ? - Sans doute : et le voilà qui passe.
Le dervis, à ces mots, court, traverse la place,
Arrive, et reconnaît le pacha son ami.
Bon ! Te voilà ! Dit celui-ci :
Et le coffret ? - Seigneur, j'ai parcouru l'Asie ;
J'ai vu des fous parfaits, mais sans oser choisir :
Aujourd'hui ma course est finie ;
Daignez l'accepter, grand vizir.
J'ai l'âme, pour un lit, de regrets si touchée,
Que nul homme jamais ne fera que j'approche
De la chambre amoureuse, encore moins de la couche
Où je vis ma maîtresse, au mois de Mai couchée.

Un somme languissant la tenait mi-penchée
Dessus le coude droit, fermant sa belle bouche
Et ses yeux, dans lesquels l'archer Amour se couche,
Ayant toujours la flèche à la corde encochée :

Sa tête, en ce beau mois, sans plus, était couverte
D'un riche escofion (1) ouvré de soie verte,
Où les Grâces venaient à l'envie se nicher ;

Puis, en ses beaux cheveux, choisissaient leur demeure.
J'en ai tel souvenir que je voudrais qu'à l'heure
Mon cœur pour n'y penser plus devenu rocher.


1. Escofion est une coiffe de femme.
À Madame Desloges, née Leurs.

Dans l'enclos d'un jardin gardé par l'innocence
J'ai vu naître vos fleurs avant votre naissance,
Beau jardin, si rempli d'oeillets et de lilas
Que de le regarder on n'était jamais las.

En me haussant au mur dans les bras de mon frère
Que de fois j'ai passé mes bras par la barrière
Pour atteindre un rameau de ces calmes séjours
Qui souple s'avançait et s'enfuyait toujours !
Que de fois, suspendus aux frêles palissades,
Nous avons savouré leurs molles embrassades,
Quand nous allions chercher pour le repos du soir
Notre lait à la cense, et longtemps nous asseoir
Sous ces rideaux mouvants qui bordaient la ruelle !
Hélas ! qu'aux plaisirs purs la mémoire est fidèle !
Errant dans les parfums de tous ces arbres verts,
Plongeant nos fronts hardis sous leurs flancs entr'ouverts,
Nous faisions les doux yeux aux roses embaumées
Qui nous le rendaient bien, contentes d'être aimées !
Nos longs chuchotements entendus sans nous voir,
Nos rires étouffés pleins d'audace et d'espoir
Attirèrent un jour le père de famille
Dont l'aspect, tout d'un coup, surmonta la charmille,
Tandis qu'un tronc noueux me barrant le chemin
M'arrêta par la manche et fit saigner ma main.

Votre père eut pitié... C'était bien votre père !
On l'eût pris pour un roi dans la saison prospère...
Et nous ne partions pas à sa voix sans courroux :
Il nous chassait en vain, l'accent était si doux !
En écoutant souffler nos rapides haleines,
En voyant nos yeux clairs comme l'eau des fontaines,
Il nous jeta des fleurs pour hâter notre essor ;
Et nous d'oser crier : « Nous reviendrons encor ! »

Quand on lavait du seuil la pierre large et lisse
Où dans nos jeux flamands l'osselet roule et glisse,
En rond, silencieux, penchés sur leurs genoux,
D'autres enfants jouaient enhardis comme nous ;
Puis, poussant à la fois leurs grands cris de cigales
Ils jetaient pour adieux des clameurs sans égales,
Si bien qu'apparaissant tout rouges de courroux
De vieux fâchés criaient : « Serpents ! vous tairez-vous ! »
Quelle peur ! ... Jamais plus n'irai-je à cette porte
Où je ne sais quel vent par force me remporte ?
Quoi donc ! quoi ! jamais plus ne voudra-t-il de moi
Ce pays qui m'appelle et qui s'enfuit ? ... Pourquoi ?

Alors les blonds essaims de jeunes Albertines,
Qui hantent dans l'été nos fermes citadines,
Venaient tourner leur danse et cadencer leurs pas
Devant le beau jardin qui ne se fermait pas.
C'était la seule porte incessamment ouverte,
Inondant le pavé d'ombre ou de clarté verte,
Selon que du soleil les rayons ruisselants
Passaient ou s'arrêtaient aux feuillages tremblants.
On eût dit qu'invisible une indulgente fée
Dilatait d'un soupir la ruelle étouffée,
Quand les autres jardins enfermés de hauts murs
Gardaient sous les verroux leur ombre et leurs fruits mûrs.
Tant pis pour le passant ! À moins qu'en cette allée,
Élevant vers le ciel sa tête échevelée,
Quelque arbre, de l'enclos habitant curieux,
Ne franchît son rempart d'un front libre et joyeux.

On ne saura jamais les milliers d'hirondelles
Revenant sous nos toits chercher à tire d'ailes
Les coins, les nids, les fleurs et le feu de l'été,
Apportant en échange un goût de liberté.
Entendra qui pourra sans songer aux voyages
Ce qui faisait frémir nos ailes sans plumages,
Ces fanfares dans l'air, ces rendez-vous épars
Qui s'appelaient au **** : « Venez-vous ? Moi, je pars ! »

C'est là que votre vie ayant été semée
Vous alliez apparaître et charmante et charmée,
C'est là que préparée à d'innocents liens
J'accourais... Regardez comme je m'en souviens !

Et les petits voisins amoureux d'ombre fraîche
N'eurent pas sitôt vu, comme au fond d'une crèche,
Un enfant rose et nu plus beau qu'un autre enfant,
Qu'ils se dirent entre eux : « Est-ce un Jésus vivant ? »

C'était vous ! D'aucuns noeuds vos mains n'étaient liées,
Vos petits pieds dormaient sur les branches pliées,
Toute libre dans l'air où coulait le soleil,
Un rameau sous le ciel berçait votre sommeil,
Puis, le soir, on voyait d'une femme étoilée
L'abondante mamelle à vos lèvres collée,
Et partout se lisait dans ce tableau charmant
De vos jours couronnés le doux pressentiment.

De parfums, d'air sonore incessamment baisée,
Comment n'auriez-vous pas été poétisée ?
Que l'on s'étonne donc de votre amour des fleurs !
Vos moindres souvenirs nagent dans leurs couleurs,
Vous en viviez, c'étaient vos rimes et vos proses :
Nul enfant n'a jamais marché sur tant de roses !

Mon Dieu ! S'il n'en doit plus poindre au bord de mes jours,
Que sur ma soeur de Flandre il en pleuve toujours !
À M. B *


Lorsqu'autrefois, au seuil des saintes basiliques,

Des rois, couverts d'un sac, et baisant des reliques.

Les reins ceints d'une corde, et les pieds tout meurtris,

Venaient s'agenouiller repentants et contrits ;

En expiation de quelques grands scandales

Humiliaient leur front dans la poudre des dalles.

Et dans le sanctuaire où Dieu s'était caché

Se frappaient la poitrine en criant : J'ai péché !

Dans le fond de ces cœurs à qui voulait descendre

L'orgueil apparaissait bientôt sous cette cendre,

Et laissait voir à nu ce que de vanité

Recelait en dedans si haute humilité.


Mais quand un homme obscur qui n'eut jamais l'envie

Que de cacher à tous la trace de sa vie,

Qui va suivant sa route en marquant chaque pas,

Par quelque œuvre de bien que l'on ne connaît pas,

Quand par hasard cet homme, après soixante années

D'honneur et de vertus l'une à l'autre enchaînées,

Arrivant près du terme, et las d'avoir marché,

Dans cette voie étroite une fois a bronché.

Alors il faut gémir qu'aux choses de la terre

La main d'un Dieu jaloux ait fait ce caractère

De ne pouvoir toujours, entre tant de combats,

Garder une vertu qui n'est point d'ici-bas,

Et vienne tôt ou **** jeter quelque mélange

Sur cette pureté qu'il réserve pour l'ange.

Comme pour faire voir que toujours d'un côté

Un cœur, si haut qu'il soit, touche à l'humanité.


Mais lors qu'après, cet homme, ayant dans le silence

Pesé cette action au poids de sa balance,

S'en revient devant tous pensif et recueilli,

Dire en plein jour, tout haut : Mes frères, j'ai failli !

Oh ! s'il a fait cela, la victoire est plus belle

Qu'il vient de remporter sur cette âme rebelle.

Cet effort est plus grand et plus beau, que d'avoir

Achevé, sans combat, la route du devoir.

Là, ce n'est pas le cri d'un vain orgueil qui pense

Dans son abaissement trouver sa récompense,

C'est le sublime aveu d'un cœur qui ne veut pas

Se faire un tel fardeau pour l'heure du trépas :

- Donc, relevez la tête, et ne vous touchez guères

De ce qu'ont dit en soi tous ces hommes vulgaires

Qui n'ont jamais senti, n'ayant point combattu,

Ce que donne de prix la lutte à la vertu.

Laissez-les ces gens-là, traîner sans résistance

Dans de froides vertus une pâle existence,

Par les chemins battus laissez-les pas-à-pas

S'avancer vers un but qu'ils ne comprennent pas ;

Et tenez pour certain qu'il est moins méritoire

D'avoir toujours suivi sans lutte et sans victoire

La monotone voix d'un honneur rétréci.

Qu'après être tombé se relever ainsi.
Virginie Jun 2017
La musique venait frapper nos âmes perdues
Et on venaient se prendre dans nos bras.
Nos verres n'étaient pas vide, l'alcool nous a eu,
Pourtant nous ne ressentons qu'une seule chose : la joie.

Dans cette fabuleuse nuit, nos âmes perdues
S'étaient enfin retrouvées,
Et nous avons su
Qu'elles allaient encore se séparer.

C'était magnifique.
I.

Je voyais s'élever, dans le lointain des âges,
Ces monuments, espoir de cent rois glorieux ;
Puis je voyais crouler les fragiles images
De ces fragiles demi-dieux.
Alexandre, un pêcheur des rives du Pirée
Foule ta statue ignorée
Sur le pavé du Parthénon ;
Et les premiers rayons de la naissante aurore
En vain dans le désert interrogent encore
Les muets débris de Memnon.

Qu'ont-ils donc prétendu, dans leur esprit superbe,
Qu'un bronze inanimé dût les rendre immortels ?
Demain le temps peut-être aura caché sous l'herbe
Leurs imaginaires autels.
Le proscrit à son tour peut remplacer l'idole ;
Des piédestaux du Capitole
Sylla détrône Marius.
Aux outrages du sort insensé qui s'oppose !
Le sage, de l'affront dont frémit Théodose,
Sourit avec Démétrius.

D'un héros toutefois l'image auguste et chère
Hérite du respect qui payait ses vertus ;
Trajan domine encore les champs que de Tibère
Couvrent les temples abattus.
Souvent, lorsqu'en l'horreur des discordes civiles,
La terreur planait sur les villes,
Aux cris des peuples révoltés,
Un héros, respirant dans le marbre immobile,
Arrêtait tout à coup par son regard tranquille
Les factieux épouvantés.

II.

Eh quoi ! sont-ils donc ****, ces jours de notre histoire
Où Paris sur son prince osa lever son bras ?
Où l'aspect de Henri, ses vertus, sa mémoire,
N'ont pu désarmer des ingrats ?
Que dis-je ? ils ont détruit sa statut adorée.
Hélas ! cette horde égarée
Mutilait l'airain renversé ;
Et cependant, des morts souillant le saint asile,
Leur sacrilège main demandait à l'argile
L'empreinte de son front glacé !

Voulaient-ils donc jouir d'un portrait plus fidèle
Du héros dont leur haine a payé les bienfaits ?
Voulaient-ils, réprouvant leur fureur criminelle,
Le rendre à nos yeux satisfaits ?
Non ; mais c'était trop peu de briser son image ;
Ils venaient encor, dans leur rage,
Briser son cercueil outragé ;
Tel, troublant le désert d'un rugissement sombre,
Le tigre, en se jouant, cherche à dévorer l'ombre
Du cadavre qu'il a rongé.

Assis près de la Seine, en mes douleurs amères,
Je me disais : « La Seine arrose encore Ivry,
Et les flots sont passés où, du temps de nos père,
Se peignaient les traits de Henri.
Nous ne verrons jamais l'image vénérée
D'un roi qu'à la France éplorée
Enleva sitôt le trépas ;
Sans saluer Henri nous irons aux batailles,
Et l'étranger viendra chercher dans nos murailles
Un héros qu'il n'y verra pas. »

III.

Où courez-vous ? - Quel bruit naît, s'élève et s'avance ?
Qui porte ces drapeaux, signe heureux de nos rois ?
Dieu ! quelle masse au **** semble, en sa marche immense,
Broyer la terre sous son poids ?
Répondez... Ciel ! c'est lui ! je vois sa noble tête...
Le peuple, fier de sa conquête,
Répète en chœur son nom chéri.
Ô ma lyre ! tais-toi dans la publique ivresse ;
Que seraient tes concerts près des chants d'allégresse
De la France aux pieds de Henri ?

Par mille bras traîné, le lourd colosse roule.
Ah ! volons, joignons-nous à ces efforts pieux.
Qu'importe si mon bras est perdu dans la foule !
Henri me voit du haut des cieux.
Tout un peuple a voué ce bronze à ta mémoire,
Ô chevalier, rival en gloire
Des Bayard et des Duguesclin !
De l'amour des français reçois la noble preuve,
Nous devons ta statue au denier de la veuve,
À l'obole de l'orphelin.

N'en doutez pas, l'aspect de cette image auguste
Rendra nos maux moins grands, notre bonheur plus doux ;
Ô français ! louez Dieu, vous voyez un roi juste,
Un français de plus parmi vous.
Désormais, dans ses yeux, en volant à la gloire,
Nous viendrons puiser la victoire ;
Henri recevra notre foi ;
Et quand on parlera de ses vertus si chères,
Nos enfants n'iront pas demander à nos pères
Comment souriait le bon roi !

IV.

Jeunes amis, dansez autour de cette enceinte ;
Mêlez vos pas joyeux, mêlez vos heureux chants ;
Henri, car sa bonté dans ses traits est empreinte,
Bénira vos transports touchants.
Près des vains monuments que des tyrans s'élèvent,
Qu'après de longs siècles achèvent
Les travaux d'un peuple opprimé.
Qu'il est beau, cet airain où d'un roi tutélaire
La France aime à revoir le geste populaire
Et le regard accoutumé !

Que le fier conquérant de la Perse avilie,
Las de léguer ses traits à de frêles métaux,
Menace, dans l'accès de sa vaste folie,
D'imposer sa forme à l'Athos ;
Qu'un Pharaon cruel, superbe en sa démence,
Couvre d'un obélisque immense
Le grand néant de son cercueil ;
Son nom meurt, et bientôt l'ombre des Pyramides
Pour l'étranger, perdu dans ces plaines arides,
Est le seul bienfait de l'orgueil.

Un jour (mais repoussons tout présage funeste !)
Si des ans ou du sort les coups encor vainqueurs
Brisaient de notre amour le monument modeste,
Henri, tu vivrais dans nos cœurs ;
Cependant que du Nil les montagnes altières,
Cachant cent royales poussières,
Du monde inutile fardeau,
Du temps et de la mort attestent le passage,
Et ne sont déjà plus, à l'œil ému du sage,
Que la ruine d'un tombeau.

Février 1819.
I.

Quand la terre engloutit les cités qui la couvrent,
Que le vent sème au **** un poison voyageur,
Quand l'ouragan mugit, quand des monts brûlants s'ouvrent,
C'est le réveil du Dieu vengeur.
Et si, lassant enfin les clémences célestes,
Le monde à ces signes funestes
Ose répondre en les bravant,
Un homme alors, choisi par la main qui foudroie,
Des aveugles fléaux ressaisissant la proie,
Paraît, comme un fléau vivant !

Parfois, élus maudits de la fureur suprême,
Entre les nations des hommes sont passés,
Triomphateurs longtemps armés de l'anathème,
Par l'anathème renversés.
De l'esprit de Nemrod héritiers formidables,
Ils ont sur les peuples coupables
Régné par la flamme et le fer ;
Et dans leur gloire impie, en désastres féconde,
Ces envoyés du ciel sont apparus au monde,
Comme s'ils venaient de l'enfer !

II.

Naguère, de lois affranchis,
Quand la reine des nations
Descendit de la monarchie,
Prostituée aux factions,
On vit, dans ce chaos fétide
Naître de l'hydre régicide
Un despote, empereur d'un camp.
Telle souvent la mer qui gronde
Dévore une plaine féconde
Et ***** un sombre volcan.

D'abord, troublant du Nil les hautes catacombes,
Il vint, chef populaire, y combattre en courant,
Comme pour insulter des tyrans dans leurs tombes,
Sous sa tente de conquérant. -
Il revint pour régner sur ses compagnons d'armes.
En vain l'auguste France en larmes
Se promettait des jours plus beaux ;
Quand des vieux pharaons il foulait la couronne,
Sourd à tant de néant, ce n'était qu'un grand trône
Qu'il rêvait sur leurs grands tombeaux.

Un sang royal teignit sa pourpre usurpatrice ;
Un guerrier fut frappé par ce guerrier sans foi ;
L'anarchie, à Vincennes, admira son complice,
Au Louvre elle adora son roi.
Il fallut presque un Dieu pour consacrer cet homme.
Le Prêtre-Monarque de Rome
Vint bénir son front menaçant ;
Car, sans doute en secret effrayé de lui-même,
Il voulait recevoir son sanglant diadème
Des mains d'où le pardon descend.

III.

Lorsqu'il veut, le Dieu secourable,
Qui livre au méchant les pervers,
Brise le jouet formidable
Dont il tourmentait l'univers.
Celui qu'un instant il seconde
Se dit le seul maître du monde ;
Fier, il s'endort dans son néant ;
Enfin, bravant la loi commune,
Quand il croit tenir sa fortune,
Le fantôme échappe au géant.

IV.

Dans la nuit des forfaits, dans l'éclat des victoires,
Cet homme, ignorant Dieu qui l'avait envoyé,
De cités en cités promenant ses prétoires,
Marchait, sur sa gloire appuyé.
Sa dévorante armée avait, dans son passage,
Asservi les fils de Pélage
Devant les fils de Galgacus ;
Et, quand dans leurs foyers il ramenait ses braves
Aux fêtes qu'il vouait à ces vainqueurs esclaves,
Il invitait les rois vaincus !

Dix empires conquis devinrent ses provinces.
Il ne fut pas content dans son orgueil fatal.
Il ne voulait dormir qu'en une cour de princes,
Sur un trône continental.
Ses aigles, qui volaient sous vingt cieux parsemées,
Au nord, de ses longues armées
Guidèrent l'immense appareil ;
Mais là parut l'écueil de se course hardie,
Les peuples sommeillaient : un sanglant incendie
Fut l'aurore du grand réveil.

Il tomba roi ; - puis, dans sa route,
Il voulut, fantôme ennemi,
Se relever, afin sans doute
De ne plus tomber à demi.
Alors, **** de sa tyrannie,
Pour qu'une effrayante harmonie
Frappât l'orgueil anéanti,
On jeta ce captif suprême
Sur un rocher, débris lui-même
De quelque ancien monde englouti !

Là, se refroidissant comme un torrent de lave,
Gardé par ses vaincus, chassé de l'univers,
Ce reste d'un tyran, en s'éveillant esclave,
N'avait fait que changer de fers.
Des trônes restaurés écoutant la fanfare,
Il brillait de **** comme un phare,
Montrant l'écueil au nautonier.
Il mourut. - Quand ce bruit éclata dans nos villes,
Le monde respira dans les fureurs civiles,
Délivré de son prisonnier.

Ainsi l'orgueil s'égare en sa marche éclatante,
Colosse né d'un souffle et qu'un regard abat.
Il fit du glaive un sceptre, et du trône une tente.
Tout son règne fut un combat.
Du fléau qu'il portait lui-même tributaire,
Il tremblait, prince de la terre ;
Soldat, on vantait sa valeur.
Retombé dans son cœur comme dans un abîme,
Il passa par la gloire, il passa par le crime,
Et n'est arrivé qu'au malheur.

V.

Peuples, qui poursuivez d'hommages
Les victimes et les bourreaux,
Laissez-le fuir seul dans les âges ; -
Ce ne sont point là les héros.
Ces faux dieux, que leur siècle encense,
Dont l'avenir hait la puissance,
Vous trompent dans votre sommeil ;
Tels que ces nocturnes aurores
Où passent de grands météores,
Mais que ne suit pas le soleil.

Mars 1822.
Je rêvais dans un grand cimetière désert ;
De mon âme et des morts j'écoutais le concert,
Parmi les fleurs de l'herbe et les croix de la tombe.
Dieu veut que ce qui naît sorte de ce qui tombe.
Et l'ombre m'emplissait.

Autour de moi, nombreux,
Gais, sans avoir souci de mon front ténébreux,
Dans ce champ, lit fatal de la sieste dernière,
Des moineaux francs faisaient l'école buissonnière.
C'était l'éternité que taquine l'instant.
Ils allaient et venaient, chantant, volant, sautant,
Égratignant la mort de leurs griffes pointues,
Lissant leur bec au nez lugubre des statues,
Becquetant les tombeaux, ces grains mystérieux.
Je pris ces tapageurs ailés au sérieux ;
Je criai : « Paix aux morts ! vous êtes des harpies.
- Nous sommes des moineaux, me dirent ces impies.
- Silence ! allez-vous en ! » repris-je, peu clément.
Ils s'enfuirent ; j'étais le plus fort. Seulement,
Un d'eux resta derrière, et, pour toute musique,
Dressa la queue, et dit : « Quel est ce vieux classique ? »

Comme ils s'en allaient tous, furieux, maugréant,
Criant, et regardant de travers le géant,
Un houx noir qui songeait près d'une tombe, un sage,
M'arrêta brusquement par la manche au passage,
Et me dit : « Ces oiseaux sont dans leur fonction.
Laisse-les. Nous avons besoin de ce rayon.
Dieu les envoie. Ils font vivre le cimetière.
Homme, ils sont la gaîté de la nature entière ;
Ils prennent son murmure au ruisseau, sa clarté
A l'astre, son sourire au matin enchanté ;
Partout où rit un sage, ils lui prennent sa joie,
Et nous l'apportent ; l'ombre en les voyant flamboie ;
Ils emplissent leurs becs des cris des écoliers ;
A travers l'homme et l'herbe, et l'onde, et les halliers,
Ils vont pillant la joie en l'univers immense.
Ils ont cette raison qui te semble démence.
Ils ont pitié de nous qui **** d'eux languissons ;
Et, lorsqu'ils sont bien pleins de jeux et de chansons ;
D'églogues, de baisers, de tous les commérages
Que les nids en avril font sous les verts ombrages,
Ils accourent, joyeux, charmants, légers, bruyants,
Nous jeter tout cela dans nos trous effrayants ;
Et viennent, des palais, des bois, de la chaumière,
Vider dans notre nuit toute cette lumière ! »
Quand mai nous les ramène, ô songeur, nous disons :
« Les voilà ! » tout s'émeut, pierres, tertres, gazons ;
Le moindre arbrisseau parle, et l'herbe est en extase ;
Le saule pleureur chante en achevant sa phrase ;
Ils confessent les ifs, devenus babillards ;
Ils jasent de la vie avec les corbillards ;
Des linceuls trop pompeux ils décrochent l'agrafe ;
Ils se moquent du marbre ; ils savent l'orthographe ;
Et, moi qui suis ici le vieux chardon boudeur,
Devant qui le mensonge étale sa laideur,
Et ne se gène pas, me traitant comme un hôte,
Je trouve juste, ami, qu'en lisant à voix haute
L'épitaphe où le mort est toujours bon et beau,
Ils fassent éclater de rire le tombeau.

Paris, mai 1835.
Dans ce bourg autrefois vivait, dit la chronique,
Une méchante femme ayant nom Véronique ;
Chacun la redoutait, et répétait tout bas
Qu'on avait entendu des murmures étranges
Autour de sa demeure, et que de mauvais anges
Venaient pendant la nuit y prendre leurs ébats.
- C'étaient des bruits sans nom inconnus à l'oreille,
Comme la voix d'un mort qu'en sa tombe réveille
Une évocation ; - de sourds vagissements
Sortant de dessous terre, et des rumeurs lointaines,
Des chants, des cris, des pleurs, des cliquetis de chaînes,
D'épouvantables hurlements.
Tous imberbes alors, sur les vieux bancs de chêne
Plus polis et luisants que des anneaux de chaîne,
Que, jour à jour, la peau des hommes a fourbis,
Nous traînions tristement nos ennuis, accroupis
Et voûtés sous le ciel carré des solitudes,
Où l'enfant boit, dix ans, l'âpre lait des études.
C'était dans ce vieux temps, mémorable et marquant,
Où forcés d'élargir le classique carcan,
Les professeurs, encor rebelles à vos rimes,
Succombaient sous l'effort de nos folles escrimes
Et laissaient l'écolier, triomphant et mutin,
Faire à l'aise hurler Triboulet en latin. -
Qui de nous en ces temps d'adolescences pâles,
N'a connu la torpeur des fatigues claustrales,
- L'oeil perdu dans l'azur morne d'un ciel d'été,
Ou l'éblouissement de la neige, - guetté,
L'oreille avide et droite, - et bu, comme une meute,
L'écho lointain d'un livre, ou le cri d'une émeute ?

C'était surtout l'été, quand les plombs se fondaient,
Que ces grands murs noircis en tristesse abondaient,
Lorsque la canicule ou le fumeux automne
Irradiait les cieux de son feu monotone,
Et faisait sommeiller, dans les sveltes donjons,
Les tiercelets criards, effroi des blancs pigeons ;
Saison de rêverie, où la Muse s'accroche
Pendant un jour entier au battant d'une cloche ;
Où la Mélancolie, à midi, quand tout dort,
Le menton dans la main, au fond du corridor, -
L'oeil plus noir et plus bleu que la Religieuse
Dont chacun sait l'histoire obscène et douloureuse,
- Traîne un pied alourdi de précoces ennuis,
Et son front moite encore des langueurs de ses nuits.
- Et puis venaient les soirs malsains, les nuits fiévreuses,
Qui rendent de leurs corps les filles amoureuses,
Et les font, aux miroirs, - stérile volupté, -
Contempler les fruits mûrs de leur nubilité, -
Les soirs italiens, de molle insouciance,
- Qui des plaisirs menteurs révèlent la science,
- Quand la sombre Vénus, du haut des balcons noirs,
Verse des flots de musc de ses frais encensoirs. -

Ce fut dans ce conflit de molles circonstances,
Mûri par vos sonnets, préparés par vos stances,
Qu'un soir, ayant flairé le livre et son esprit,
J'emportai sur mon coeur l'histoire d'Amaury.
Tout abîme mystique est à deux pas du doute. -
Le breuvage infiltré lentement, goutte à goutte,
En moi qui, dès quinze ans, vers le gouffre entraîné,
Déchiffrais couramment les soupirs de René,
Et que de l'inconnu la soif bizarre alterre,
- A travaillé le fond de la plus mince artère. -
J'en ai tout absorbé, les miasmes, les parfums,
Le doux chuchotement des souvenirs défunts,
Les longs enlacements des phrases symboliques,
- Chapelets murmurants de madrigaux mystiques ;
- Livre voluptueux, si jamais il en fut. -

Et depuis, soit au fond d'un asile touffu,
Soit que, sous les soleils des zones différentes,
L'éternel bercement des houles enivrantes,
Et l'aspect renaissant des horizons sans fin
Ramenassent ce coeur vers le songe divin, -
Soit dans les lourds loisirs d'un jour caniculaire,
Ou dans l'oisiveté frileuse de frimaire, -
Sous les flots du tabac qui masque le plafond,
J'ai partout feuilleté le mystère profond
De ce livre si cher aux âmes engourdies
Que leur destin marqua des mêmes maladies,
Et, devant le miroir, j'ai perfectionné
L'art cruel qu'un démon, en naissant, m'a donné,
- De la douleur pour faire une volupté vraie, -
D'ensanglanter un mal et de gratter sa plaie.

Poète, est-ce une injure ou bien un compliment ?
Car je suis vis à vis de vous comme un amant
En face du fantôme, au geste plein d'amorces,
Dont la main et dont l'oeil ont, pour pomper les forces,
Des charmes inconnus. - Tous les êtres aimés
Sont des vases de fiel qu'on boit, les yeux fermés,
Et le coeur transpercé, que la douleur allèche,
Expire chaque jour en bénissant sa flèche.
Chacun de nous souvent connaît bien ses défauts ;
En convenir, c'est autre chose :
On aime mieux souffrir de véritables maux,
Que d'avouer qu'ils en sont cause.
Je me souviens, à ce sujet,
D'avoir été témoin d'un fait
Fort étonnant et difficile à croire :
Mais je l'ai vu ; voici l'histoire.

Près d'un bois, le soir, à l'écart,
Dans une superbe prairie,
Des lapins s'amusaient, sur l'herbette fleurie,
A jouer au colin-maillard.
Des lapins ! direz-vous, la chose est impossible.
Rien n'est plus vrai pourtant : une feuille flexible
Sur les yeux de l'un d'eux en bandeau s'appliquait,
Et puis sous le cou se nouait :
Un instant en faisait l'affaire.
Celui que ce ruban privait de la lumière
Se plaçait au milieu ; les autres alentour
Sautaient, dansaient, faisaient merveilles,
S'éloignaient, venaient tour à tour
Tirer sa queue ou ses oreilles.
Le pauvre aveugle alors, se retournant soudain,
Sans craindre *** au noir, jette au hasard la patte :
Mais la troupe échappe à la hâte,
Il ne prend que du vent, il se tourmente en vain,
Il y sera jusqu'à demain.
Une taupe assez étourdie,
Qui sous terre entendit ce bruit,
Sort aussitôt de son réduit,
Et se mêle dans la partie.
Vous jugez que, n'y voyant pas,
Elle fut prise au premier pas.
Messieurs, dit un lapin, ce serait conscience,
Et la justice veut qu'à notre pauvre sœur
Nous fassions un peu de faveur ;
Elle est sans yeux et sans défense ;
Ainsi je suis d'avis... - Non, répond avec feu
La taupe, je suis prise, et prise de bon jeu ;
Mettez-moi le bandeau. - Très volontiers, ma chère ;
Le voici : mais je crois qu'il n'est pas nécessaire
Que nous serrions le nœud bien fort.
- Pardonnez-moi, monsieur, reprit-elle en colère,
Serrez bien, car j'y vois... Serrez, j'y vois encore.
Ami, j'ai quitté vos fêtes.
Mon esprit, à demi-voix,
Hors de tout ce que vous faites,
Est appelé par les bois.

J'irai, **** des murs de marbre,
Tant que je pourrai marcher,
Fraterniser avec l'arbre,
La fauvette et le rocher.

Je fuirai **** de la ville
Tant que Dieu clément et doux
Voudra me mettre un peu d'huile
Entre les os des genoux.

Ne va pas croire du reste
Que, bucolique et hautain,
J'exige, pour être agreste,
Le vieux champ grec ou latin ;

Ne crois pas que ma pensée,
Vierge au soupir étouffé,
Ne sachant où prendre Alcée,
Se rabatte sur d'Urfé ;

Ne crois pas que je demande
L'Hémus où Virgile erra.
Dans de la terre normande
Mon églogue poussera.

Pour mon vers, que l'air secoue,
Les pommiers sont suffisants ;
Et mes bergers, je l'avoue,
Ami, sont des paysans.

Mon idylle est ainsi faite ;
Franche, elle n'a pas besoin
D'avoir dans miel l'Hymète
Et l'Arcadie en son foin.

Elle chante, et se contente,
Sur l'herbe où je viens m'asseoir,
De l'haleine haletante
Du boeuf qui rentre le soir.

Elle n'est point misérable
Et ne pense pas déchoir
Parce qu'Alain, sous l'érable,
Ôte à Toinon son mouchoir.

Elle honore Théocrite ;
Mais ne se fâche pas trop
Que la fleur soit Marguerite
Et que l'oiseau soit Pierrot.

J'aime les murs pleins de fentes
D'où sortent les liserons,
Et les mouches triomphantes
Qui soufflent dans leurs clairons.

J'aime l'église et ses tombes,
L'invalide et son bâton ;
J'aime, autant que les colombes
Qui jadis venaient, dit-on,

Conter leurs métempsycoses
À Terpandre dans ******,
Les petites filles roses
Sortant du prêche en sabots.

J'aime autant Sedaine et Jeanne
Qu'Orphée et Pratérynnis.
Le blé pousse, l'oiseau plane,
Et les cieux sont infinis.
IV.

Maintenant, largesse au prétoire !
Trinquez, soldats ! et depuis quand
A-t-on peur de rire et de boire ?
Fête aux casernes ! fête au camp !

L'orgie a rougi leur moustache,
Les rouleaux d'or gonflent leur sac ;
Pour capitaine ils ont Gamache,
Ils ont Cocagne pour bivouac.

La bombance après l'équipée.
On s'attable. Hier on tua.
Ô Napoléon, ton épée
Sert de broche à Gargantua.

Le meurtre est pour eux la victoire
Leur œil, par l'ivresse endormi,
Prend le déshonneur pour la gloire
Et les français pour l'ennemi.

France, ils t'égorgèrent la veille.
Ils tiennent, c'est leur lendemain,
Dans une main une bouteille
Et ta tête dans l'autre main.

Ils dansent en rond, noirs quadrilles,
Comme des gueux dans le ravin ;
Troplong leur amène des filles,
Et Sibour leur verse du vin.

Et leurs banquets sans fin ni trêves
D'orchestres sont environnés... -
Nous faisions pour vous d'autres rêves,
Ô nos soldats infortunés !

Nous rêvions pour vous l'âpre bise,
La neige au pied du noir sapin,
La brèche où la bombe se brise,
Les nuits sans feu, les jours sans pain.

Nous rêvions les marches forcées,
La faim, le froid, les coups hardis,
Les vieilles capotes usées,
Et la victoire un contre dix ;

Nous rêvions, ô soldats esclaves,
Pour vous et pour vos généraux,
La sainte misère des braves,
La grande tombe des héros !

Car l'Europe en ses fers soupire,
Car dans les cœurs un ferment bout,
Car voici l'heure où Dieu va dire :
Chaînes, tombez ! Peuples, debout !

L'histoire ouvre un nouveau registre
Le penseur, amer et serein,
Derrière l'horizon sinistre
Entend rouler des chars d'airain.

Un bruit profond trouble la terre ;
Dans les fourreaux s'émeut l'acier ;
Ce vent qui souffle sort, ô guerre,
Des naseaux de ton noir coursier !

Vers l'heureux but où Dieu nous mène,
Soldats ! rêveurs, nous vous poussions,
Tête de la colonne humaine,
Avant-garde des nations !

Nous rêvions, bandes aguerries,
Pour vous, fraternels conquérants,
La grande guerre des patries,
La chute immense des tyrans !

Nous réservions votre effort juste,
Vos fiers tambours, vos rangs épais,
Soldats, pour cette guerre auguste
D'où sortira l'auguste paix !

Dans nos songes visionnaires,
Nous vous voyions, ô nos guerriers,
Marcher joyeux dans les tonnerres,
Courir sanglants dans les lauriers,

Sous la fumée et la poussière
Disparaître en noirs tourbillons,
Puis tout à coup dans la lumière
Surgir, radieux bataillons,

Et passer, légion sacrée
Que les peuples venaient bénir,
Sous la haute porte azurée
De l'éblouissant avenir !

Jersey, du 7 au 13 janvier 1853.
Je vis d'abord sur moi des fantômes étranges
Traîner de longs habits ;
Je ne sais si c'étaient des femmes ou des anges !
Leurs manteaux m'inondaient avec leurs belles franges
De nacre et de rubis.

Comme on brise une armure au tranchant d'une lame,
Comme un hardi marin
Brise le golfe bleu qui se fend sous sa rame,
Ainsi leurs robes d'or, en grands sillons de flamme,
Brisaient la nuit d'airain !

Ils volaient ! - Mon rideau, vieux spectre en sentinelle,
Les regardait passer.
Dans leurs yeux de velours éclatait leur prunelle ;
J'entendais chuchoter les plumes de leur aile,
Qui venaient me froisser.

Ils volaient ! - Mais la troupe, aux lambris suspendue,
Esprits capricieux,
Bondissait tout à coup, puis, tout à coup perdue,
S'enfuyait dans la nuit, comme une flèche ardue
Qui s'enfuit dans les cieux !

Ils volaient ! - Je voyais leur noire chevelure,
Où l'ébène en ruisseaux
Pleurait, me caresser de sa longue frôlure ;
Pendant que d'un baiser je sentais la brûlure
Jusqu'au fond de mes os.

Dieu tout-puissant ! j'ai vu les sylphides craintives
Qui meurent au soleil !
J'ai vu les beaux pieds nus des nymphes fugitives !
J'ai vu les seins ardents des dryades rétives,
Aux cuisses de vermeil !

Rien, non, rien ne valait ce baiser d'ambroisie,
Plus frais que le matin !
Plus pur que le regard d'un oeil d'Andalousie !
Plus doux que le parler d'une femme d'Asie,
Aux lèvres de satin !

Oh ! qui que vous soyez, sur ma tête abaissées,
Ombres aux corps flottants !
Laissez, oh ! laissez-moi vous tenir enlacées,
Boire dans vos baisers des amours insensées,
Goutte à goutte et longtemps !

Oh ! venez ! nous mettrons dans l'alcôve soyeuse
Une lampe d'argent.
Venez ! la nuit est triste et la lampe joyeuse !
Blonde ou noire, venez ; nonchalante ou rieuse,
Coeur naïf ou changeant !

Venez ! nous verserons des roses dans ma couche ;
Car les parfums sont doux !
Et la sultane, au soir, se parfume la bouche ;
Lorsqu'elle va quitter sa robe et sa babouche
Pour son lit de bambous !

Hélas ! de belles nuits le ciel nous est avare
Autant que de beaux jours !
Entendez-vous gémir la harpe de Ferrare,
Et sous des doigts divins palpiter la guitare ?
Venez, ô mes amours !

Mais rien ne reste plus que l'ombre froide et nue,
Où craquent les cloisons.
J'entends des chants hurler, comme un enfant qu'on tue ;
Et la lune en croissant découpe, dans la rue,
Les angles des maisons.
Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin
De venir dans ma chambre un peu chaque matin ;
Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère ;
Elle entrait, et disait : Bonjour, mon petit père ;
Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait
Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait,
Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe.
Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse,
Mon oeuvre interrompue, et, tout en écrivant,
Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent
Quelque arabesque folle et qu'elle avait tracée,
Et mainte page blanche entre ses mains froissée
Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers.
Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts,
Et c'était un esprit avant d'être une femme.
Son regard reflétait la clarté de son âme.
Elle me consultait sur tout à tous moments.
Oh ! que de soirs d'hiver radieux et charmants
Passés à raisonner langue, histoire et grammaire,
Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère
Tout près, quelques amis causant au coin du feu !
J'appelais cette vie être content de peu !
Et dire qu'elle est morte ! Hélas ! que Dieu m'assiste !
Je n'étais jamais *** quand je la sentais triste ;
J'étais morne au milieu du bal le plus joyeux
Si j'avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux.
Elle était pâle, et pourtant rose,
Petite avec de grands cheveux.
Elle disait souvent : je n'ose,
Et ne disait jamais : je veux.

Le soir, elle prenait ma Bible
Pour y faire épeler sa soeur,
Et, comme une lampe paisible,
Elle éclairait ce jeune coeur.

Sur le saint livre que j'admire
Leurs yeux purs venaient se fixer ;
Livre où l'une apprenait à lire,
Où l'autre apprenait à penser !

Sur l'enfant, qui n'eût pas lu seule,
Elle penchait son front charmant,
Et l'on aurait dit une aïeule,
Tant elle parlait doucement !

Elle lui disait: Sois bien sage !
Sans jamais nommer le démon ;
Leurs mains erraient de page en page
Sur Moïse et sur Salomon,

Sur Cyrus qui vint de la Perse,
Sur Moloch et Léviathan,
Sur l'enfer que Jésus traverse,
Sur l'éden où rampe Satan.

Moi, j'écoutais... - Ô joie immense
De voir la soeur près de la soeur !
Mes yeux s'enivraient en silence
De cette ineffable douceur.

Et, dans la chambre humble et déserte,
Où nous sentions, cachés tous trois,
Entrer par la fenêtre ouverte
Les souffles des nuits et des bois,

Tandis que, dans le texte auguste,
Leurs coeurs, lisant avec ferveur,
Puisaient le beau, le vrai, le juste,
Il me semblait, à moi rêveur,

Entendre chanter des louanges
Autour de nous, comme au saint lieu,
Et voir sous les doigts de ces anges
Tressaillir le livre de Dieu !
Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée.

Quand Josué rêveur, la tête aux cieux dressée,
Suivi des siens, marchait, et, prophète irrité,
Sonnait de la trompette autour de la cité,
Au premier tour qu'il fit, le roi se mit à rire ;
Au second tour, riant toujours, il lui fit dire :
« Crois-tu donc renverser ma ville avec du vent ? »
À la troisième fois l'arche allait en avant,
Puis les trompettes, puis toute l'armée en marche,
Et les petits enfants venaient cracher sur l'arche,
Et, soufflant dans leur trompe, imitaient le clairon ;
Au quatrième tour, bravant les fils d'Aaron,
Entre les vieux créneaux tout brunis par la rouille,
Les femmes s'asseyaient en filant leur quenouille,
Et se moquaient, jetant des pierres aux hébreux ;
À la cinquième fois, sur ces murs ténébreux,
Aveugles et boiteux vinrent, et leurs huées
Raillaient le noir clairon sonnant sous les nuées
À la sixième fois, sur sa tour de granit
Si haute qu'au sommet l'aigle faisait son nid,
Si dure que l'éclair l'eût en vain foudroyée,
Le roi revint, riant à gorge déployée,
Et cria : « Ces hébreux sont bons musiciens ! »
Autour du roi joyeux riaient tous les anciens
Qui le soir sont assis au temple, et délibèrent.

À la septième fois, les murailles tombèrent.

Jersey, le 19 mars 1853.
J'eus toujours de l'amour pour les choses ailées.
Lorsque j'étais enfant, j'allais sous les feuillées,
J'y prenais dans les nids de tout petits oiseaux.
D'abord je leur faisais des cages de roseaux
Où je les élevais parmi des mousses vertes.
Plus **** je leur laissais les fenêtres ouvertes.
Ils ne s'envolaient point ; ou, s'ils fuyaient aux bois,
Quand je les rappelais ils venaient à ma voix.
Une colombe et moi longtemps nous nous aimâmes.
Maintenant je sais l'art d'apprivoiser les âmes.

Le 12 avril 1840.

— The End —