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Once, and but once found in thy company,
All thy supposed escapes are laid on me;
And as a thief at bar is questioned there
By all the men that have been robed that year,
So am I (by this traiterous means surprized)
By thy hydroptic father catechized.
Though he had wont to search with glazed eyes,
As though he came to **** a cockatrice,
Though he hath oft sworn that he would remove
Thy beauty’s beauty, and food of our love,
Hope of his goods, if I with thee were seen,
Yet close and secret, as our souls, we’ve been.
Though thy immortal mother, which doth lie
Still-buried in her bed, yet wiil not die,
Takes this advantage to sleep out daylight,
And watch thy entries and returns all night,
And, when she takes thy hand, and would seem kind,
Doth search what rings and armlets she can find,
And kissing, notes the colour of thy face,
And fearing lest thou’rt swol’n, doth thee embrace;
To try if thou long, doth name strange meats,
And notes thy paleness, blushing, sighs, and sweats;
And politicly will to thee confess
The sins of her own youth’s rank lustiness;
Yet love these sorceries did remove, and move
Thee to gull thine own mother for my love.
Thy little brethren, which like faery sprites
Oft skipped into our chamber, those sweet nights,
And kissed, and ingled on thy father’s knee,
Were bribed next day to tell what they did see:
The grim eight-foot-high iron-bound servingman,
That oft names God in oaths, and only then,
He that to bar the first gate doth as wide
As the great Rhodian Colossus stride,
Which, if in hell no other pains there were,
Makes me fear hell, because he must be there:
Though by thy father he were hired to this,
Could never witness any touch or kiss.
But Oh, too common ill, I brought with me
That which betrayed me to my enemy:
A loud perfume, which at my entrance cried
Even at thy father’s nose, so were we spied;
When, like a tyran King, that in his bed
Smelt gunpowder, the pale wretch shivered.
Had it been some bad smell he would have thought
That his own feet, or breath, that smell had wrought.
But as we in our isle imprisoned,
Where cattle only, and diverse dogs are bred,
The precious Unicorns strange monsters call,
So thought he good, strange, that had none at all.
I taught my silks their whistling to forbear,
Even my oppressed shoes dumb and speechless were,
Only, thou bitter sweet, whom I had laid
Next me, me traiterously hast betrayed,
And unsuspected hast invisibly
At once fled unto him, and stayed with me.
Base excrement of earth, which dost confound
Sense from distinguishing the sick from sound;
By thee the seely amorous ***** his death
By drawing in a leprous harlot’s breath;
By thee the greatest stain to man’s estate
Falls on us, to be called effeminate;
Though you be much loved in the Prince’s hall,
There, things that seem, exceed substantial.
Gods, when ye fumed on altars, were pleased well,
Because you were burnt, not that they liked your smell;
You’re loathsome all, being taken simply alone,
Shall we love ill things joined, and hate each one?
If you were good, your good doth soon decay;
And you are rare, that takes the good away.
All my perfumes I give most willingly
T’ embalm thy father’s corse; What? will he die?
Paul d'Aubin Dec 2016
Ce si long chemin des Mages

Ils se mirent en route juchés sur leurs chameaux,
pour accomplir les prophéties prolongées par leurs subtils calculs.
C'étaient de fameux astrologues et des savants emplis de bonté, de sagesse et de savoir.
Ils n'avaient pu dresser du Cosmos et du chemin à parcourir que des cartes incomplètes mais se mirent d’accord pour suivre cette étoile nouvellement apparue, déjà annoncée dans les écrits anciens.
Cette étoile se manifesta à leurs longues scrutations du cosmos en brillant avec une clarté particulière dans le ciel des comètes.
Deux Mages partirent de Chaldée, le troisième vint des hautes sources du Nil.
Ils se rejoignirent à Jérusalem dans le palais du roi Hérode.
Leur entretien fut marqué par des échanges de présents, de paroles, de miel et d'observations méfiantes  mutuelles.
Cependant, Hérode, s'enquit avec cautèles du motif d'un si long voyage et demanda s'il était en lien avec cette étrange prophétie annonçant la naissance d'un nouveau-né destiné à devenir un jour le probable roi des Juifs.
Puis il demanda qu'ils veuillent bien lui faire connaître l'endroit exact où était tenu ce nouveau futur roi pour l’honorer à son tour.
Les Mages hochèrent la tête avec gravité et évitèrent de se prononcer sur la demande pressante qui leur était faite.
Puis les Mages prirent congé du Tyran Hérode en l'incitant à préférer la pratique de la sagesse plus que de verser dans l' « hubris » que blâmaient tant les philosophes Grecs.
Dès qu'ils eurent repris leur étrange voyage, le roi cruel rongé, par la peur, ordonna à ses espions de suivre les Mages jusqu'à leur probable découverte.
Bien sûr, les Mages furent suivis par de nombreux espions à cheval mais ils dormaient rarement dans des auberges ou des caravansérails.
Pour éloigner leurs suiveurs, les Mages voyageaient souvent de nuit car les suivre devenait alors difficile.
Et, eux seuls, connaissaient l'étoile messagère.
Plusieurs fois, ils perdirent leur chemin s'égarant entre les monts et le fleuve Jourdain.
C'est ainsi qu'ils finirent par égarer les espions.
Avant de s'endormir ils discutaient des sujets inépuisables des science mais surtout de cet enfant à naître promis à tant d'espoirs, du moins l'interprétaient-ils ainsi.
Ils ne savaient pas exactement quel nourrisson, ils allaient trouver, et qui et ou, étaient et résidaient ses parents.
Puis ils pénétrèrent dans un pays d'éleveurs, de rochers et de grottes.
Certains ont dit que c'était le pays de Bethléem de la tribu de David, d'autres ont rapporté que c'était le hameau lui aussi nommé Bethléem mais proche de Nazareth ou Joseph avait son atelier.
Mais le doute est resté tant les témoignages sont souvent bien difficiles à interpréter.
Ce qui est sûr, c'est que l'étoile messagère devint soudain rouge feu et projeta sa clarté tombante sur la terrasse d'une modeste auberge emplie de voyageurs.
Ils se firent connaître de l'hôtelier et demandèrent que leur soit présenté un nouveau-né qui serait abrité ici.
Jésus, fils de Joseph et de Marie, avait été placé dans une mangeoire servant de berceau dans une chambrette bien chèrement louée.
Mais le nourrisson dormait, le plus souvent, et parfois tétait comme tous les bébés de son âge.
Les Mages furent éblouis par tant de simplicité et d'innocence pour celui qui avait été annoncé par tant de prophéties lui annonçant un si grand destin.
Les Mages se présentèrent aux parents, firent connaître la prophétie, leur donnèrent les présents variés; l'or, l'encens et la myrrhe et incitèrent vivement Joseph à se défier du perfide Hérode mais aussi d'un roi criminel de Cœlé-Syrie nommé Cheb Bachar el-Assad et de son complice, le Boyard au visage anguleux et aux yeux froids d'esturgeon, vêtu d'une Chapka et d'un Kaftan et leur commun admirateur et complice Celte, « Fourbix Fillonix » à la triste figure.
Avec l'or qu'ils leurs avaient donné les parents pourraient se rendre aussi discrètement, le plus tôt possible, dans « le pays des pharaons. »
Ils ne pourraient revenir que lorsque la froideur et la rigidité des membres auraient saisi le corps du Tyran qui avait déjà fait périr sa magnifique femme Mariamne, l’Hasmonéenne et deux de ses propres enfants.

Les Mages comprirent alors que le sens profond de leur voyage était de mettre, à l’ abri, pour le futur ; eux, les hommes de savoir, une famille dont le nouveau-né était déjà, en quelque sorte, déjà un « réfugié politique » avant que d'avoir pu marcher et parler.
Car de tout temps le vrai savoir fut souvent l'un des rares secours des Peuples opprimés par ces tyrans ne vivant qu'entre peur et crimes, selon la très ancienne malédiction de ceux qui usent de ce pouvoir immodérément.
Joseph et Marie, avertis par les Mages et de surcroît par un songe fuirent avec discrétion en Egypte dans le pays de Pharaon mettre Jésus à l’abri de la folie sanguinaire de celui qui transmutait sa propre peur en sang. Plus de deux mille ans après,  les questions presque insolubles de la tyrannie et de l’accaparement de l'argent, de la liberté des consciences et religieuses et du pouvoir ne sont toujours pas réglées.

Paul Arrighi
Écoutez. Une femme au profil décharné,
Maigre, blême, portant un enfant étonné,
Est là qui se lamente au milieu de la rue.
La foule, pour l'entendre, autour d'elle se rue.
Elle accuse quelqu'un, une autre femme, ou bien
Son mari. Ses enfants ont faim. Elle n'a rien ;
Pas d'argent ; pas de pain ; à peine un lit de paille.
L'homme est au cabaret pendant qu'elle travaille.
Elle pleure, et s'en va. Quand ce spectre a passé,
Ô penseurs, au milieu de ce groupe amassé,
Qui vient de voir le fond d'un cœur qui se déchire,
Qu'entendez-vous toujours ? Un long éclat de rire.

Cette fille au doux front a cru peut-être, un jour,
Avoir droit au bonheur, à la joie, à l'amour.
Mais elle est seule, elle est sans parents, pauvre fille !
Seule ! - n'importe ! elle a du courage, une aiguille,
Elle travaille, et peut gagner dans son réduit,
En travaillant le jour, en travaillant la nuit,
Un peu de pain, un gîte, une jupe de toile.
Le soir, elle regarde en rêvant quelque étoile,
Et chante au bord du toit tant que dure l'été.
Mais l'hiver vient. Il fait bien froid, en vérité,
Dans ce logis mal clos tout en haut de la rampe ;
Les jours sont courts, il faut allumer une lampe ;
L'huile est chère, le bois est cher, le pain est cher.
Ô jeunesse ! printemps ! aube ! en proie à l'hiver !
La faim passe bientôt sa griffe sous la porte,
Décroche un vieux manteau, saisit la montre, emporte
Les meubles, prend enfin quelque humble bague d'or ;
Tout est vendu ! L'enfant travaille et lutte encor ;
Elle est honnête ; mais elle a, quand elle veille,
La misère, démon, qui lui parle à l'oreille.
L'ouvrage manque, hélas ! cela se voit souvent.
Que devenir ! Un jour, ô jour sombre ! elle vend
La pauvre croix d'honneur de son vieux père, et pleure ;
Elle tousse, elle a froid. Il faut donc qu'elle meure !
A dix-sept ans ! grand Dieu ! mais que faire ?... - Voilà
Ce qui fait qu'un matin la douce fille alla
Droit au gouffre, et qu'enfin, à présent, ce qui monte
À son front, ce n'est plus la pudeur, c'est la honte.
Hélas, et maintenant, deuil et pleurs éternels !
C'est fini. Les enfants, ces innocents cruels,
La suivent dans la rue avec des cris de joie.
Malheureuse ! elle traîne une robe de soie,
Elle chante, elle rit... ah ! pauvre âme aux abois !
Et le peuple sévère, avec sa grande voix,
Souffle qui courbe un homme et qui brise une femme,
Lui dit quand elle vient : « C'est toi ? Va-t-en, infâme ! »

Un homme s'est fait riche en vendant à faux poids ;
La loi le fait juré. L'hiver, dans les temps froids ;
Un pauvre a pris un pain pour nourrir sa famille.
Regardez cette salle où le peuple fourmille ;
Ce riche y vient juger ce pauvre. Écoutez bien.
C'est juste, puisque l'un a tout et l'autre rien.
Ce juge, - ce marchand, - fâché de perdre une heure,
Jette un regard distrait sur cet homme qui pleure,
L'envoie au bagne, et part pour sa maison des champs.
Tous s'en vont en disant : « C'est bien ! » bons et méchants ;
Et rien ne reste là qu'un Christ pensif et pâle,
Levant les bras au ciel dans le fond de la salle.

Un homme de génie apparaît. Il est doux,
Il est fort, il est grand ; il est utile à tous ;
Comme l'aube au-dessus de l'océan qui roule,
Il dore d'un rayon tous les fronts de la foule ;
Il luit ; le jour qu'il jette est un jour éclatant ;
Il apporte une idée au siècle qui l'attend ;
Il fait son œuvre ; il veut des choses nécessaires,
Agrandir les esprits, amoindrir les misères ;
Heureux, dans ses travaux dont les cieux sont témoins,
Si l'on pense un peu plus, si l'on souffre un peu moins !
Il vient. - Certe, on le va couronner ! - On le hue !
Scribes, savants, rhéteurs, les salons, la cohue,
Ceux qui n'ignorent rien, ceux qui doutent de tout,
Ceux qui flattent le roi, ceux qui flattent l'égout,
Tous hurlent à la fois et font un bruit sinistre.
Si c'est un orateur ou si c'est un ministre,
On le siffle. Si c'est un poète, il entend
Ce chœur : « Absurde ! faux ! monstrueux ! révoltant ! »
Lui, cependant, tandis qu'on bave sur sa palme,
Debout, les bras croisés, le front levé, l'œil calme,
Il contemple, serein, l'idéal et le beau ;
Il rêve ; et, par moments, il secoue un flambeau
Qui, sous ses pieds, dans l'ombre, éblouissant la haine,
Éclaire tout à coup le fond de l'âme humaine ;
Ou, ministre, il prodigue et ses nuits et ses jours ;
Orateur, il entasse efforts, travaux, discours ;
Il marche, il lutte ! Hélas ! l'injure ardente et triste,
À chaque pas qu'il fait, se transforme et persiste.
Nul abri. Ce serait un ennemi public,
Un monstre fabuleux, dragon ou basilic,
Qu'il serait moins traqué de toutes les manières,
Moins entouré de gens armés de grosses pierres,
Moins haï ! -- Pour eux tous et pour ceux qui viendront,
Il va semant la gloire, il recueille l'affront.
Le progrès est son but, le bien est sa boussole ;
Pilote, sur l'avant du navire il s'isole ;
Tout marin, pour dompter les vents et les courants,
Met tour à tour le cap sur des points différents,
Et, pour mieux arriver, dévie en apparence ;
Il fait de même ; aussi blâme et cris ; l'ignorance
Sait tout, dénonce tout ; il allait vers le nord,
Il avait tort ; il va vers le sud, il a tort ;
Si le temps devient noir, que de rage et de joie !
Cependant, sous le faix sa tête à la fin ploie,
L'âge vient, il couvait un mal profond et lent,
Il meurt. L'envie alors, ce démon vigilant,
Accourt, le reconnaît, lui ferme la paupière,
Prend soin de la clouer de ses mains dans la bière,
Se penche, écoute, épie en cette sombre nuit
S'il est vraiment bien mort, s'il ne fait pas de bruit,
S'il ne peut plus savoir de quel nom on le nomme,
Et, s'essuyant les yeux, dit : « C'était un grand homme ! »

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs, que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
« Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »
Ô servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain -
D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? Que veut-il ? »
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l'homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,
Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !
Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, saint, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !

Le pesant chariot porte une énorme pierre ;
Le limonier, suant du mors à la croupière,
Tire, et le roulier fouette, et le pavé glissant
Monte, et le cheval triste à le poitrail en sang.
Il tire, traîne, geint, tire encore et s'arrête ;
Le fouet noir tourbillonne au-dessus de sa tête ;
C'est lundi ; l'homme hier buvait aux Porcherons
Un vin plein de fureur, de cris et de jurons ;
Oh ! quelle est donc la loi formidable qui livre
L'être à l'être, et la bête effarée à l'homme ivre !
L'animal éperdu ne peut plus faire un pas ;
Il sent l'ombre sur lui peser ; il ne sait pas,
Sous le bloc qui l'écrase et le fouet qui l'assomme,
Ce que lui veut la pierre et ce que lui veut l'homme.
Et le roulier n'est plus qu'un orage de coups
Tombant sur ce forçat qui traîne des licous,
Qui souffre et ne connaît ni repos ni dimanche.
Si la corde se casse, il frappe avec le pié ;
Et le cheval, tremblant, hagard, estropié,
Baisse son cou lugubre et sa tête égarée ;
On entend, sous les coups de la botte ferrée,
Sonner le ventre nu du pauvre être muet !
Il râle ; tout à l'heure encore il remuait ;
Mais il ne bouge plus, et sa force est finie ;
Et les coups furieux pleuvent ; son agonie
Tente un dernier effort ; son pied fait un écart,
Il tombe, et le voilà brisé sous le brancard ;
Et, dans l'ombre, pendant que son bourreau redouble,
Il regarde quelqu'un de sa prunelle trouble ;
Et l'on voit lentement s'éteindre, humble et terni,
Son œil plein des stupeurs sombres de l'infini,
Où luit vaguement l'âme effrayante des choses.
Hélas !

Cet avocat plaide toutes les causes ;
Il rit des généreux qui désirent savoir
Si blanc n'a pas raison, avant de dire noir ;
Calme, en sa conscience il met ce qu'il rencontre,
Ou le sac d'argent Pour, ou le sac d'argent Contre ;
Le sac pèse pour lui ce que la cause vaut.
Embusqué, plume au poing, dans un journal dévot,
Comme un bandit tuerait, cet écrivain diffame.
La foule hait cet homme et proscrit cette femme ;
Ils sont maudits. Quel est leur crime ? Ils ont aimé.
L'opinion rampante accable l'opprimé,
Et, chatte aux pieds des forts, pour le faible est tigresse.
De l'inventeur mourant le parasite engraisse.
Le monde parle, assure, affirme, jure, ment,
Triche, et rit d'escroquer la dupe Dévouement.
Le puissant resplendit et du destin se joue ;
Derrière lui, tandis qu'il marche et fait la roue,
Sa fiente épanouie engendre son flatteur.
Les nains sont dédaigneux de toute leur hauteur.
Ô hideux coins de rue où le chiffonnier morne
Va, tenant à la main sa lanterne de corne,
Vos tas d'ordures sont moins noirs que les vivants !
Qui, des vents ou des cœurs, est le plus sûr ? Les vents.
Cet homme ne croit rien et fait semblant de croire ;
Il a l'œil clair, le front gracieux, l'âme noire ;
Il se courbe ; il sera votre maître demain.

Tu casses des cailloux, vieillard, sur le chemin ;
Ton feutre humble et troué s'ouvre à l'air qui le mouille ;
Sous la pluie et le temps ton crâne nu se rouille ;
Le chaud est ton tyran, le froid est ton bourreau ;
Ton vieux corps grelottant tremble sous ton sarrau ;
Ta cahute, au niveau du fossé de la route,
Offre son toit de mousse à la chèvre qui broute ;
Tu gagnes dans ton jour juste assez de pain noir
Pour manger le matin et pour jeûner le soir ;
Et, fantôme suspect devant qui l'on recule,
Regardé de travers quand vient le crépuscule,
Pauvre au point d'alarmer les allants et venants,
Frère sombre et pensif des arbres frissonnants,
Tu laisses choir tes ans ainsi qu'eux leur feuillage ;
Autrefois, homme alors dans la force de l'âge,
Quand tu vis que l'Europe implacable venait,
Et menaçait Paris et notre aube qui naît,
Et, mer d'hommes, roulait vers la France effarée,
Et le Russe et le *** sur la terre sacrée
Se ruer, et le nord revomir Attila,
Tu te levas, tu pris ta fourche ; en ces temps-là,
Tu fus, devant les rois qui tenaient la campagne,
Un des grands paysans de la grande Champagne.
C'est bien. Mais, vois, là-bas, le long du vert sillon,
Une calèche arrive, et, comme un tourbillon,
Dans la poudre du soir qu'à ton front tu secoues,
Mêle l'éclair du fouet au tonnerre des roues.
Un homme y dort. Vieillard, chapeau bas ! Ce passant
Fit sa fortune à l'heure où tu versais ton sang ;
Il jouait à la baisse, et montait à mesure
Que notre chute était plus profonde et plus sûre ;
Il fallait un vautour à nos morts ; il le fut ;
Il fit, travailleur âpre et toujours à l'affût,
Suer à nos malheurs des châteaux et des rentes ;
Moscou remplit ses prés de meules odorantes ;
Pour lui, Leipsick payait des chiens et des valets,
Et la Bérésina charriait un palais ;
Pour lui, pour que cet homme ait des fleurs, des charmilles,
Des parcs dans Paris même ouvrant leurs larges grilles,
Des jardins où l'on voit le cygne errer sur l'eau,
Un million joyeux sortit de Waterloo ;
Si bien que du désastre il a fait sa victoire,
Et que, pour la manger, et la tordre, et la boire,
Ce Shaylock, avec le sabre de Blucher,
A coupé sur la France une livre de chair.
Or, de vous deux, c'est toi qu'on hait, lui qu'on vénère ;
Vieillard, tu n'es qu'un gueux, et ce millionnaire,
C'est l'honnête homme. Allons, debout, et chapeau bas !

Les carrefours sont pleins de chocs et de combats.
Les multitudes vont et viennent dans les rues.
Foules ! sillons creusés par ces mornes charrues :
Nuit, douleur, deuil ! champ triste où souvent a germé
Un épi qui fait peur à ceux qui l'ont semé !
Vie et mort ! onde où l'hydre à l'infini s'enlace !
Peuple océan jetant l'écume populace !
Là sont tous les chaos et toutes les grandeurs ;
Là, fauve, avec ses maux, ses horreurs, ses laideurs,
Ses larves, désespoirs, haines, désirs, souffrances,
Qu'on distingue à travers de vagues transparences,
Ses rudes appétits, redoutables aimants,
Ses prostitutions, ses avilissements,
Et la fatalité des mœurs imperdables,
La misère épaissit ses couches formidables.
Les malheureux sont là, dans le malheur reclus.
L'indigence, flux noir, l'ignorance, reflux,
Montent, marée affreuse, et parmi les décombres,
Roulent l'obscur filet des pénalités sombres.
Le besoin fuit le mal qui le tente et le suit,
Et l'homme cherche l'homme à tâtons ; il fait nuit ;
Les petits enfants nus tendent leurs mains funèbres ;
Le crime, antre béant, s'ouvre dans ces ténèbres ;
Le vent secoue et pousse, en ses froids tourbillons,
Les âmes en lambeaux dans les corps en haillons :
Pas de cœur où ne croisse une aveugle chimère.
Qui grince des dents ? L'homme. Et qui pleure ? La mère.
Qui sanglote ? La vierge aux yeux hagards et doux.
Qui dit : « J'ai froid ? » L'aïeule. Et qui dit : « J'ai faim ? » Tous !
Et le fond est horreur, et la surface est joie.
Au-dessus de la faim, le festin qui flamboie,
Et sur le pâle amas des cris et des douleurs,
Les chansons et le rire et les chapeaux de fleurs !
Ceux-là sont les heureux. Ils n'ont qu'une pensée :
A quel néant jeter la journée insensée ?
Chiens, voitures, chevaux ! cendre au reflet vermeil !
Poussière dont les grains semblent d'or au soleil !
Leur vie est aux plaisirs sans fin, sans but, sans trêve,
Et se passe à tâcher d'oublier dans un rêve
L'enfer au-dessous d'eux et le ciel au-dessus.
Quand on voile Lazare, on efface Jésus.
Ils ne regardent pas dans les ombres moroses.
Ils n'admettent que l'air tout parfumé de roses,
La volupté, l'orgueil, l'ivresse et le laquais
Ce spectre galonné du pauvre, à leurs banquets.
Les fleurs couvrent les seins et débordent des vases.
Le bal, tout frissonnant de souffles et d'extases,
Rayonne, étourdissant ce qui s'évanouit ;
Éden étrange fait de lumière et de nuit.
Les lustres aux plafonds laissent pendre leurs flammes,
Et semblent la racine ardente et pleine d'âmes
De quelque arbre céleste épanoui plus haut.
Noir paradis dansant sur l'immense cachot !
Ils savourent, ravis, l'éblouissement sombre
Des beautés, des splendeurs, des quadrilles sans nombre,
Des couples, des amours, des yeux bleus, des yeux noirs.
Les valses, visions, passent dans les miroirs.
Parfois, comme aux forêts la fuite des cavales,
Les galops effrénés courent ; par intervalles,
Le bal reprend haleine ; on s'interrompt, on fuit,
On erre, deux à deux, sous les arbres sans bruit ;
Puis, folle, et rappelant les ombres éloignées,
La musique, jetant les notes à poignées,
Revient, et les regards s'allument, et l'archet,
Bondissant, ressaisit la foule qui marchait.
Ô délire ! et d'encens et de bruit enivrées,
L'heure emporte en riant les rapides soirées,
Et les nuits et les jours, feuilles mortes des cieux.
D'autres, toute la nuit, roulent les dés joyeux,
Ou bien, âpre, et mêlant les cartes qu'ils caressent,
Où des spectres riants ou sanglants apparaissent,
Leur soif de l'or, penchée autour d'un tapis vert,
Jusqu'à ce qu'au volet le jour bâille entr'ouvert,
Poursuit le pharaon, le lansquenet ou l'hombre ;
Et, pendant qu'on gémit et qu'on frémit dans l'ombre,
Pendant que le
HARMODIUS
La nuit vient. Vénus brille.

L'ÉPÉE
Harmodius, c'est l'heure !

LA BORNE DU CHEMIN
Le tyran va passer.

HARMODIUS
J'ai froid, rentrons.

UN TOMBEAU
Demeure.

HARMODIUS
Qu'es-tu ?

LE TOMBEAU
Je suis la tombe. - Exécute, ou péris.

UN NAVIRE A L'HORIZON
Je suis la tombe aussi, j'emporte les proscrits.

L'ÉPÉE
Attendons le tyran.

HARMODIUS
J'ai froid. Quel vent !

LE VENT
Je passe.
Mon bruit est une voix. Je sème dans l'espace
Les cris des exilés, de misère expirants,
Qui sans pain, sans abri, sans amis, sans parents,
Meurent en regardant du côté de la Grèce.

VOIX DANS L'AIR
Némésis ! Némésis ! lève-toi, vengeresse !

L'ÉPÉE
C'est l'heure. Profitons de l'ombre qui descend.

LA TERRE
Je suis pleine de morts.

LA MER
Je suis rouge de sang.
Les fleuves m'ont porté des cadavres sans nombre.

LA TERRE
Les morts saignent pendant qu'on adore son ombre.
À chaque pas qu'il fait sous le clair firmament,
Je les sens s'agiter en moi confusément.

UN FORÇAT
Je suis forçat, voici la chaîne que je porte,
Hélas ! pour n'avoir pas chassé **** de ma porte
Un proscrit qui fuyait, noble et pur citoyen.

L'ÉPÉE
Ne frappe pas au cœur, tu ne trouverais rien.

LA LOI
J'étais la loi, je suis un spectre. Il m'a tuée.

LA JUSTICE
De moi, prêtresse, il fait une prostituée.

LES OISEAUX
Il a retiré l'air des cieux, et nous fuyons.

LA LIBERTÉ
Je m'enfuis avec eux ; - ô terre sans rayons,
Grèce, adieu !

UN VOLEUR
Ce tyran, nous l'aimons. Car ce maître
Que respecte le juge et qu'admire le prêtre,
Qu'on accueille partout de cris encourageants,
Est plus pareil à nous qu'à vous, honnêtes gens.

LE SERMENT
Dieux puissants ! à jamais fermez toutes les bouches !
La confiance est morte au fond des cœurs farouches.
Homme, tu mens ! Soleil, tu mens ! Cieux, vous mentez !
Soufflez, vents de la nuit ! emportez, emportez
L'honneur et la vertu, cette sombre chimère !

LA PATRIE
Mon fils, je suis aux fers ! Mon fils, je suis ta mère !
Je tends les bras vers toi du fond de ma prison.

HARMODIUS
Quoi ! le frapper, la nuit, rentrant dans sa maison !
Quoi ! devant ce ciel noir, devant ces mers sans borne !
Le poignarder, devant ce gouffre obscur et morne,
En présence de l'ombre et de l'immensité !

LA CONSCIENCE
Tu peux tuer cet homme avec tranquillité.

Jersey, le 25 octobre.
Sur un écueil battu par la vague plaintive,
Le nautonier de **** voit blanchir sur la rive
Un tombeau près du bord par les flots déposé ;
Le temps n'a pas encor bruni l'étroite pierre,
Et sous le vert tissu de la ronce et du lierre
On distingue... un sceptre brisé !

Ici gît... point de nom !... demandez à la terre !
Ce nom ? il est inscrit en sanglant caractère
Des bords du Tanaïs au sommet du Cédar,
Sur le bronze et le marbre, et sur le sein des braves,
Et jusque dans le cœur de ces troupeaux d'esclaves
Qu'il foulait tremblants sous son char.

Depuis ces deux grands noms qu'un siècle au siècle annonce,
Jamais nom qu'ici-bas toute langue prononce
Sur l'aile de la foudre aussi **** ne vola.
Jamais d'aucun mortel le pied qu'un souffle efface
N'imprima sur la terre une plus forte trace,
Et ce pied s'est arrêté là !...

Il est là !... sous trois pas un enfant le mesure !
Son ombre ne rend pas même un léger murmure !
Le pied d'un ennemi foule en paix son cercueil !
Sur ce front foudroyant le moucheron bourdonne,
Et son ombre n'entend que le bruit monotone
D'une vague contre un écueil !

Ne crains rien, cependant, ombre encore inquiète,
Que je vienne outrager ta majesté muette.
Non. La lyre aux tombeaux n'a jamais insulté.
La mort fut de tout temps l'asile de la gloire.
Rien ne doit jusqu'ici poursuivre une mémoire.
Rien !... excepté la vérité !

Ta tombe et ton berceau sont couverts d'un nuage,
Mais pareil à l'éclair tu sortis d'un orage !
Tu foudroyas le monde avant d'avoir un nom !
Tel ce Nil dont Memphis boit les vagues fécondes
Avant d'être nommé fait bouilloner ses ondes
Aux solitudes de Memnom.

Les dieux étaient tombés, les trônes étaient vides ;
La victoire te prit sur ses ailes rapides
D'un peuple de Brutus la gloire te fit roi !
Ce siècle, dont l'écume entraînait dans sa course
Les mœurs, les rois, les dieux... refoulé vers sa source,
Recula d'un pas devant toi !

Tu combattis l'erreur sans regarder le nombre ;
Pareil au fier Jacob tu luttas contre une ombre !
Le fantôme croula sous le poids d'un mortel !
Et, de tous ses grands noms profanateur sublime,
Tu jouas avec eux, comme la main du crime
Avec les vases de l'autel.

Ainsi, dans les accès d'un impuissant délire
Quand un siècle vieilli de ses mains se déchire
En jetant dans ses fers un cri de liberté,
Un héros tout à coup de la poudre s'élève,
Le frappe avec son sceptre... il s'éveille, et le rêve
Tombe devant la vérité !

Ah ! si rendant ce sceptre à ses mains légitimes,
Plaçant sur ton pavois de royales victimes,
Tes mains des saints bandeaux avaient lavé l'affront !
Soldat vengeur des rois, plus grand que ces rois même,
De quel divin parfum, de quel pur diadème
L'histoire aurait sacré ton front !

Gloire ! honneur! liberté ! ces mots que l'homme adore,
Retentissaient pour toi comme l'airain sonore
Dont un stupide écho répète au **** le son :
De cette langue en vain ton oreille frappée
Ne comprit ici-bas que le cri de l'épée,
Et le mâle accord du clairon !

Superbe, et dédaignant ce que la terre admire,
Tu ne demandais rien au monde, que l'empire !
Tu marchais !... tout obstacle était ton ennemi !
Ta volonté volait comme ce trait rapide
Qui va frapper le but où le regard le guide,
Même à travers un cœur ami !

Jamais, pour éclaircir ta royale tristesse,
La coupe des festins ne te versa l'ivresse ;
Tes yeux d'une autre pourpre aimaient à s'enivrer !
Comme un soldat debout qui veille sous les armes,
Tu vis de la beauté le sourire ou les larmes,
Sans sourire et sans soupirer !

Tu n'aimais que le bruit du fer, le cri d'alarmes !
L'éclat resplendissant de l'aube sur tes armes !
Et ta main ne flattait que ton léger coursier,
Quand les flots ondoyants de sa pâle crinière
Sillonnaient comme un vent la sanglante poussière,
Et que ses pieds brisaient l'acier !

Tu grandis sans plaisir, tu tombas sans murmure !
Rien d'humain ne battait sous ton épaisse armure :
Sans haine et sans amour, tu vivais pour penser :
Comme l'aigle régnant dans un ciel solitaire,
Tu n'avais qu'un regard pour mesurer la terre,
Et des serres pour l'embrasser !

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S'élancer d'un seul bon au char de la victoire,
Foudroyer l'univers des splendeurs de sa gloire,
Fouler d'un même pied des tribuns et des rois ;
Forger un joug trempé dans l'amour et la haine,
Et faire frissonner sous le frein qui l'enchaîne
Un peuple échappé de ses lois !

Etre d'un siècle entier la pensée et la vie,
Emousser le poignard, décourager l'envie ;
Ebranler, raffermir l'univers incertain,
Aux sinistres clarté de ta foudre qui gronde
Vingt fois contre les dieux jouer le sort du monde,
Quel rêve ! et ce fut ton destin !...

Tu tombas cependant de ce sublime faîte !
Sur ce rocher désert jeté par la tempête,
Tu vis tes ennemis déchirer ton manteau !
Et le sort, ce seul dieu qu'adora ton audace,
Pour dernière faveur t'accorda cet espace
Entre le trône et le tombeau !

Oh ! qui m'aurait donné d'y sonder ta pensée,
Lorsque le souvenir de te grandeur passée
Venait, comme un remords, t'assaillir **** du bruit !
Et que, les bras croisés sur ta large poitrine,
Sur ton front chauve et nu, que la pensée incline,
L'horreur passait comme la nuit !

Tel qu'un pasteur debout sur la rive profonde
Voit son ombre de **** se prolonger sur l'onde
Et du fleuve orageux suivre en flottant le cours ;
Tel du sommet désert de ta grandeur suprême,
Dans l'ombre du passé te recherchant toi-même,
Tu rappelais tes anciens jours !

Ils passaient devant toi comme des flots sublimes
Dont l'oeil voit sur les mers étinceler les cimes,
Ton oreille écoutait leur bruit harmonieux !
Et, d'un reflet de gloire éclairant ton visage,
Chaque flot t'apportait une brillante image
Que tu suivais longtemps des yeux !

Là, sur un pont tremblant tu défiais la foudre !
Là, du désert sacré tu réveillais la poudre !
Ton coursier frissonnait dans les flots du Jourdain !
Là, tes pas abaissaient une cime escarpée !
Là, tu changeais en sceptre une invincible épée !
Ici... Mais quel effroi soudain ?

Pourquoi détournes-tu ta paupière éperdue ?
D'où vient cette pâleur sur ton front répandue ?
Qu'as-tu vu tout à coup dans l'horreur du passé ?
Est-ce d'une cité la ruine fumante ?
Ou du sang des humains quelque plaine écumante ?
Mais la gloire a tout effacé.

La gloire efface tout !... tout excepté le crime !
Mais son doigt me montrait le corps d'une victime ;
Un jeune homme! un héros, d'un sang pur inondé !
Le flot qui l'apportait, passait, passait, sans cesse ;
Et toujours en passant la vague vengeresse
Lui jetait le nom de Condé !...

Comme pour effacer une tache livide,
On voyait sur son front passer sa main rapide ;
Mais la trace du sang sous son doigt renaissait !
Et, comme un sceau frappé par une main suprême,
La goutte ineffaçable, ainsi qu'un diadème,
Le couronnait de son forfait !

C'est pour cela, tyran! que ta gloire ternie
Fera par ton forfait douter de ton génie !
Qu'une trace de sang suivra partout ton char !
Et que ton nom, jouet d'un éternel orage,
Sera par l'avenir ballotté d'âge en âge
Entre Marius et César !

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Tu mourus cependant de la mort du vulgaire,
Ainsi qu'un moissonneur va chercher son salaire,
Et dort sur sa faucille avant d'être payé !
Tu ceignis en mourant ton glaive sur ta cuisse,
Et tu fus demander récompense ou justice
Au dieu qui t'avait envoyé !

On dit qu'aux derniers jours de sa longue agonie,
Devant l'éternité seul avec son génie,
Son regard vers le ciel parut se soulever !
Le signe rédempteur toucha son front farouche !...
Et même on entendit commencer sur sa bouche
Un nom !... qu'il n'osait achever !

Achève... C'est le dieu qui règne et qui couronne !
C'est le dieu qui punit ! c'est le dieu qui pardonne !
Pour les héros et nous il a des poids divers !
Parle-lui sans effroi ! lui seul peut te comprendre !
L'esclave et le tyran ont tous un compte à rendre,
L'un du sceptre, l'autre des fers !

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Son cercueil est fermé ! Dieu l'a jugé ! Silence !
Son crime et ses exploits pèsent dans la balance :
Que des faibles mortels la main n'y touche plus !
Qui peut sonder, Seigneur, ta clémence infinie ?
Et vous, fléaux de Dieu ! qui sait si le génie
N'est pas une de vos vertus ?...
À Maxime Du Camp.

I

Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
L'univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers :

Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
D'autres, l'horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d'une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

Pour n'être pas changés en bêtes, ils s'enivrent
D'espace et de lumière et de cieux embrasés ;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir, coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu'un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom !

II

Nous imitons, horreur ! la toupie et la boule
Dans leur valse et leurs bonds ; même dans nos sommeils
La Curiosité nous tourmente et nous roule,
Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.

Singulière fortune où le but se déplace,
Et, n'étant nulle part, peut être n'importe où !
Où l'homme, dont jamais l'espérance n'est lasse,
Pour trouver le repos court toujours comme un fou !

Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ;
Une voix retentit sur le pont : " Ouvre l'oeil ! "
Une voix de la hune, ardente et folle, crie .
" Amour... gloire... bonheur ! " Enfer ! c'est un écueil !

Chaque îlot signalé par l'homme de vigie
Est un Eldorado promis par le Destin ;
L'Imagination qui dresse son orgie
Ne trouve qu'un récif aux clartés du matin.

Ô le Pauvre amoureux des pays chimériques !
Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,
Ce matelot ivrogne, inventeur d'Amériques
Dont le mirage rend le gouffre plus amer ?

Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue,
Rêve, le nez en l'air, de brillants paradis ;
Son oeil ensorcelé découvre une Capoue
Partout où la chandelle illumine un taudis.

III

Etonnants voyageurs ! quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d'astres et d'éthers.

Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile !
Faites, pour égayer l'ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons.

Dites, qu'avez-vous vu ?

IV

" Nous avons vu des astres
Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;
Et, malgré bien des chocs et d'imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.

La gloire du soleil sur la mer violette,
La gloire des cités dans le soleil couchant,
Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète
De plonger dans un ciel au reflet alléchant.

Les plus riches cités, les plus grands paysages,
Jamais ne contenaient l'attrait mystérieux
De ceux que le hasard fait avec les nuages.
Et toujours le désir nous rendait soucieux !

- La jouissance ajoute au désir de la force.  
Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d'engrais,
Cependant que grossit et durcit ton écorce,
Tes branches veulent voir le soleil de plus près !

Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace
Que le cyprès ? - Pourtant nous avons, avec soin,
Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,
Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de **** !

Nous avons salué des idoles à trompe ;
Des trônes constellés de joyaux lumineux ;
Des palais ouvragés dont la féerique pompe
Serait pour vos banquiers un rêve ruineux ;

" Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ;
Des femmes dont les dents et les ongles sont teints,
Et des jongleurs savants que le serpent caresse. "

V

Et puis, et puis encore ?

VI

" Ô cerveaux enfantins !
Pour ne pas oublier la chose capitale,
Nous avons vu partout, et sans l'avoir cherché,
Du haut jusques en bas de l'échelle fatale,
Le spectacle ennuyeux de l'immortel péché

La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
Sans rire s'adorant et s'aimant sans dégoût ;
L'homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'égout ;

Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ;
La fête qu'assaisonne et parfume le sang ;
Le poison du pouvoir énervant le despote,
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ;

Plusieurs religions semblables à la nôtre,
Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté,
Comme en un lit de plume un délicat se vautre,
Dans les clous et le crin cherchant la volupté ;

L'Humanité bavarde, ivre de son génie,
Et, folle maintenant comme elle était jadis,
Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie :
" Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis ! "

Et les moins sots, hardis amants de la Démence,
Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
Et se réfugiant dans l'***** immense !
- Tel est du globe entier l'éternel bulletin. "

VII

Amer savoir, celui qu'on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image
Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui !

Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;
Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit
Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste,
Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,

Comme le Juif errant et comme les apôtres,
A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d'autres
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.

Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,
Nous pourrons espérer et crier : En avant !
De même qu'autrefois nous partions pour la Chine,
Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,

Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
Avec le coeur joyeux d'un jeune passager.
Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,
Qui chantent : " Par ici ! vous qui voulez manger

Le Lotus parfumé ! c'est ici qu'on vendange
Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim ;
Venez vous enivrer de la douceur étrange
De cette après-midi qui n'a jamais de fin ? "

A l'accent familier nous devinons le spectre ;
Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.
" Pour rafraîchir ton coeur nage vers ton Electre ! "
Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.

VIII

Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons !

Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !
Ô temps miraculeux ! ô gaîtés homériques !
Ô rires de l'Europe et des deux Amériques !
Croûtes qui larmoyez ! bons dieux mal accrochés
Qui saignez dans vos coins ! madones qui louchez !
Phénomènes vivants ! ô choses inouïes !
Candeurs ! énormités au jour épanouies !
Le goudron déclaré fétide par le suif,
Judas flairant Shylock et criant : c'est un juif !
L'arsenic indigné dénonçant la morphine,
La hotte injuriant la borne, Messaline
Reprochant à Goton son regard effronté,
Et Dupin accusant Sauzet de lâcheté !

Oui, le vide-gousset flétrit le tire-laine,
Falstaff montre du doigt le ventre de Silène,
Lacenaire, pudique et de rougeur atteint,
Dit en baissant les yeux : J'ai vu passer Castaing !

Je contemple nos temps. J'en ai le droit, je pense.
Souffrir étant mon lot, rire est ma récompense.
Je ne sais pas comment cette pauvre Clio
Fera pour se tirer de cet imbroglio.
Ma rêverie au fond de ce règne pénètre,
Quand, ne pouvant dormir, la nuit, à ma fenêtre,
Je songe, et que là-bas, dans l'ombre, à travers l'eau,
Je vois briller le phare auprès de Saint-Malo.

Donc ce moment existe ! il est ! Stupeur risible !
On le voit ; c'est réel, et ce n'est pas possible.
L'empire est là, refait par quelques sacripants.
Bonaparte le Grand dormait. Quel guet-apens !
Il dormait dans sa tombe, absous par la patrie.
Tout à coup des brigands firent une tuerie
Qui dura tout un jour et du soir au matin ;
Napoléon le Nain en sortit. Le destin,
De l'expiation implacable ministre,
Dans tout ce sang versé trempa son doigt sinistre
Pour barbouiller, affront à la gloire en lambeau,
Cette caricature au mur de ce tombeau.

Ce monde-là prospère. Il prospère, vous dis-je !
Embonpoint de la honte ! époque callipyge !
Il trône, ce cokney d'Eglinton et d'Epsom,
Qui, la main sur son cœur, dit : Je mens, ergo sum.
Les jours, les mois, les ans passent ; ce flegmatique,
Ce somnambule obscur, brusquement frénétique,
Que Schœlcher a nommé le président Obus,
Règne, continuant ses crimes en abus.
Ô spectacle ! en plein jour, il marche et se promène,
Cet être horrible, insulte à la figure humaine !
Il s'étale effroyable, ayant tout un troupeau
De Suins et de Fortouls qui vivent sur sa peau,
Montrant ses nudités, cynique, infâme, indigne,
Sans mettre à son Baroche une feuille de vigne !
Il rit de voir à terre et montre à Machiavel
Sa parole d'honneur qu'il a tuée en duel.
Il sème l'or ; - venez ! - et sa largesse éclate.
Magnan ouvre sa griffe et Troplong tend sa patte.
Tout va. Les sous-coquins aident le drôle en chef.
Tout est beau, tout est bon, et tout est juste ; bref,
L'église le soutient, l'opéra le constate.
Il vola ! Te Deum. Il égorgea ! cantate.

Lois, mœurs, maître, valets, tout est à l'avenant.
C'est un bivouac de gueux, splendide et rayonnant.
Le mépris bat des mains, admire, et dit : courage !
C'est hideux. L'entouré ressemble à l'entourage.
Quelle collection ! quel choix ! quel Œil-de-boeuf !
L'un vient de Loyola, l'autre vient de Babeuf !
Jamais vénitiens, romains et bergamasques
N'ont sous plus de sifflets vu passer plus de masques.
La société va sans but, sans jour, sans droit,
Et l'envers de l'habit est devenu l'endroit.
L'immondice au sommet de l'état se déploie.
Les chiffonniers, la nuit, courbés, flairant leur proie,
Allongent leurs crochets du côté du sénat.
Voyez-moi ce coquin, normand, corse, auvergnat :
C'était fait pour vieillir bélître et mourir cuistre ;
C'est premier président, c'est préfet, c'est ministre.
Ce truand catholique au temps jadis vivait
Maigre, chez Flicoteaux plutôt que chez Chevet ;
Il habitait au fond d'un bouge à tabatière
Un lit fait et défait, hélas, par sa portière,
Et griffonnait dès l'aube, amer, affreux, souillé,
Exhalant dans son trou l'odeur d'un chien mouillé.
Il conseille l'état pour ving-cinq mille livres
Par an. Ce petit homme, étant teneur de livres
Dans la blonde Marseille, au pays du mistral,
Fit des faux. Le voici procureur général.
Celui-là, qui courait la foire avec un singe,
Est député ; cet autre, ayant fort peu de linge,
Sur la pointe du pied entrait dans les logis
Où bâillait quelque armoire aux tiroirs élargis,
Et du bourgeois absent empruntait la tunique
Nul mortel n'a jamais, de façon plus cynique,
Assouvi le désir des chemises d'autrui ;
Il était grinche hier, il est juge aujourd'hui.
Ceux-ci, quand il leur plaît, chapelains de la clique,
Au saint-père accroupi font pondre une encyclique ;
Ce sont des gazetiers fort puissants en haut lieu,
Car ils sont les amis particuliers de Dieu
Sachez que ces béats, quand ils parlent du temple
Comme de leur maison, n'ont pas tort ; par exemple,
J'ai toujours applaudi quand ils ont affecté
Avec les saints du ciel des airs d'intimité ;
Veuillot, certe, aurait pu vivre avec Saint-Antoine.
Cet autre est général comme on serait chanoine,
Parce qu'il est très gras et qu'il a trois mentons.
Cet autre fut escroc. Cet autre eut vingt bâtons
Cassés sur lui. Cet autre, admirable canaille,
Quand la bise, en janvier, nous pince et nous tenaille,
D'une savate oblique écrasant les talons,
Pour se garer du froid mettait deux pantalons
Dont les trous par bonheur n'étaient pas l'un sur l'autre.
Aujourd'hui, sénateur, dans l'empire il se vautre.
Je regrette le temps que c'était dans l'égout.
Ce ventre a nom d'Hautpoul, ce nez a nom d'Argout.
Ce prêtre, c'est la honte à l'état de prodige.
Passons vite. L'histoire abrège, elle rédige
Royer d'un coup de fouet, Mongis d'un coup de pied,
Et fuit. Royer se frotte et Mongis se rassied ;
Tout est dit. Que leur fait l'affront ? l'opprobre engraissé.
Quant au maître qui hait les curieux, la presse,
La tribune, et ne veut pour son règne éclatant
Ni regards, ni témoins, il doit être content
Il a plus de succès encor qu'il n'en exige ;
César, devant sa cour, son pouvoir, son quadrige,
Ses lois, ses serviteurs brodés et galonnés,
Veut qu'on ferme les veux : on se bouche le nez.

Prenez ce Beauharnais et prenez une loupe ;
Penchez-vous, regardez l'homme et scrutez la troupe.
Vous n'y trouverez pas l'ombre d'un bon instinct.
C'est vil et c'est féroce. En eux l'homme est éteint
Et ce qui plonge l'âme en des stupeurs profondes,
C'est la perfection de ces gredins immondes.

À ce ramas se joint un tas d'affreux poussahs,
Un tas de Triboulets et de Sancho Panças.
Sous vingt gouvernements ils ont palpé des sommes.
Aucune indignité ne manque à ces bonshommes ;
Rufins poussifs, Verrès goutteux, Séjans fourbus,
Selles à tout tyran, sénateurs omnibus.
On est l'ancien soudard, on est l'ancien bourgmestre ;
On tua Louis seize, on vote avec de Maistre ;
Ils ont eu leur fauteuil dans tous les Luxembourgs ;
Ayant vu les Maurys, ils sont faits aux Sibours ;
Ils sont gais, et, contant leurs antiques bamboches,
Branlent leurs vieux gazons sur leurs vieilles caboches.
Ayant été, du temps qu'ils avaient un cheveu,
Lâches sous l'oncle, ils sont abjects sous le neveu.
Gros mandarins chinois adorant le tartare,
Ils apportent leur cœur, leur vertu, leur catarrhe,
Et prosternent, cagneux, devant sa majesté
Leur bassesse avachie en imbécillité.

Cette bande s'embrasse et se livre à des joies.
Bon ménage touchant des vautours et des oies !

Noirs empereurs romains couchés dans les tombeaux,
Qui faisiez aux sénats discuter les turbots,
Toi, dernière Lagide, ô reine au cou de cygne,
Prêtre Alexandre six qui rêves dans ta vigne,
Despotes d'Allemagne éclos dans le Rœmer,
Nemrod qui hais le ciel, Xercès qui bats la mer,
Caïphe qui tressas la couronne d'épine,
Claude après Messaline épousant Agrippine,
Caïus qu'on fit césar, Commode qu'on fit dieu,
Iturbide, Rosas, Mazarin, Richelieu,
Moines qui chassez Dante et brisez Galilée,
Saint-office, conseil des dix, chambre étoilée,
Parlements tout noircis de décrets et d'olims,
Vous sultans, les Mourads, les Achmets, les Sélims,
Rois qu'on montre aux enfants dans tous les syllabaires,
Papes, ducs, empereurs, princes, tas de Tibères !
Bourreaux toujours sanglants, toujours divinisés,
Tyrans ! enseignez-moi, si vous le connaissez,
Enseignez-moi le lieu, le point, la borne où cesse
La lâcheté publique et l'humaine bassesse !

Et l'archet frémissant fait bondir tout cela !
Bal à l'hôtel de ville, au Luxembourg gala.
Allons, juges, dansez la danse de l'épée !
Gambade, ô Dombidau, pour l'onomatopée !
Polkez, Fould et Maupas, avec votre écriteau,
Toi, Persil-Guillotine, au profil de couteau !

Ours que Boustrapa montre et qu'il tient par la sangle,
Valsez, Billault, Parieu, Drouyn, Lebœuf, Delangle !
Danse, Dupin ! dansez, l'horrible et le bouffon !
Hyènes, loups, chacals, non prévus par Buffon,
Leroy, Forey, tueurs au fer rongé de rouilles,
Dansez ! dansez, Berger, d'Hautpoul, Murat, citrouilles !

Et l'on râle en exil, à Cayenne, à Blidah !
Et sur le Duguesclin, et sur le Canada,
Des enfants de dix ans, brigands qu'on extermine,
Agonisent, brûlés de fièvre et de vermine !
Et les mères, pleurant sous l'homme triomphant,
Ne savent même pas où se meurt leur enfant !
Et Samson reparaît, et sort de ses retraites !
Et, le soir, on entend, sur d'horribles charrettes
Qui traversent la ville et qu'on suit à pas lents,
Quelque chose sauter dans des paniers sanglants !
Oh ! laissez ! laissez-moi m'enfuir sur le rivage !
Laissez-moi respirer l'odeur du flot sauvage !
Jersey rit, terre libre, au sein des sombres mers ;
Les genêts sont en fleur, l'agneau paît les prés verts ;
L'écume jette aux rocs ses blanches mousselines ;
Par moments apparaît, au sommet des collines,
Livrant ses crins épars au vent âpre et joyeux,
Un cheval effaré qui hennit dans les cieux !

Jersey, le 24 mai 1853.
Chantres associés et paisibles rivaux,

Qui mettez en commun la gloire et les travaux,

Et qu'on voit partager sans trouble et sans orage

D'un laurier fraternel le pacifique ombrage ;

Lorsque de toutes parts le public empressé,

Chez l'heureux éditeur chaque jour entassé.

De vos vers en naissant devenus populaires

Se dispute à l'envi les dix-mille exemplaires,

Pardonnez, si je viens à vos nobles accents

Obscur admirateur, offrir ma part d'encens.


Sur les abus criants d'un odieux système,

Lorsque le peuple entier a lancé l'anathème,

Et contre ces vizirs honnis et détestés,

S'est levé comme un homme et les a rejetés ;

Du haro général organes satiriques,

Vos vers ont démasqué ces honteux empiriques ;

Votre muse, esquissant leurs grotesques portraits,

D'un ridicule amer assaisonnant ses traits

Contre chaque méfait, vedette en permanence.

Improvisait un chant, comme eux une ordonnance,

Combattait pour nos droits, et lavant nos affronts,

D'un iambe vainqueur stigmatisait leurs fronts.

Mais lorsqu'ils ont enfin, relégués dans leurs terres,

Amovibles tyrans, pleuré leurs ministères.

Votre muse, à leur fuite adressant ses adieux.

Dans une courte épitre a rendu grâce aux dieux.

Dédaignant d'accabler, tranquille et satisfaite.

Ces ignobles vaincus meurtris de leur défaite.


Lors il fallut trouver dans ce vaste univers

Un plus noble sujet qui méritât vos vers :

Et vous avez montré dans les champs d'Idumée

L'Orient en présence avec la grande Armée,

Le Nil soumis au joug et du vainqueur d'Eylau

Le portrait colossal dominant le tableau.

Et quel autre sujet pouvait, -plus poétique.

Présenter à vos yeux son prisme fantastique ?

Quel autre champ pouvait, de plus brillantes fleurs

Offrir à vos pinceaux les riantes couleurs ?

Une invisible main, sous le ciel de l'Asie,

A, comme les parfums, semé la poésie :

Ces peuples, qui, pliés au joug de leurs sultans,

Résistent, obstinés à la marche du temps ;

Ces costumes, ces mœurs, ce stupide courage

Qui semble appartenir aux hommes d'un autre âge,

Ces palais, ces tombeaux, cet antique Memnon

Qui de leurs fondateurs ont oublié le nom ;

Ce Nil, qui sur des monts égarés dans la nue,

Va cacher le secret de sa source inconnue ;

Tout inspire, tout charme ; et des siècles passés

Ranimant à nos yeux les récits effacés.

Donne à l'éclat récent de nos jours de victoire

La couleur des vieux temps et l'aspect de l'histoire.


Votre muse a saisi de ces tableaux épars

Les contrastes brillants offerts de toutes parts :

Elle peint, dans le choc de ces tribus errantes

Le cliquetis nouveau des armes différentes,

Les bonnets tout poudreux de nos républicains

Heurtant dans le combat les turbans africains.

Et, sous un ciel brûlant, la lutte poétique

De la France moderne et de l'Asie antique.

Temps fertile en héros ! glorieux souvenir !

Quand de Napoléon tout rempli d'avenir,

Sur le sol de l'Arabe encor muet de crainte,

La botte éperonnée a marqué son empreinte,

Et gravé sur les bords du Nil silencieux

L'ineffaçable sceau de l'envoyé des cieux !

Beaux jours ! où Bonaparte était jeune, où la France

D'un avenir meilleur embrassait l'espérance.

Souriait aux travaux de ses nobles enfants,

Et saluait de **** leurs drapeaux triomphants ;

Et ne prévoyait pas que ce chef militaire

Vers les degrés prochains d'un trône héréditaire

Marchait, tyran futur, à travers tant d'exploits ;

Et mettant son épée à la place des lois,

Fils de la liberté, préparait à sa mère

Le coup inespéré que recelait Brumaire !


Mais enfin ce fut l'heure : et les temps accomplis

Marquèrent leur limite à ses desseins remplis.

Abattu sous les coups d'une main vengeresse,

Il paya chèrement ces courts instants d'ivresse.

Comme j'aime ces vers où l'on voit à leur tour,

Les rois unis livrer sa pâture au vautour ;

Des pâles cabinets l'étroite politique

Le jeter palpitant au sein de l'Atlantique,

Et pour mieux lui fermer un périlleux chemin,

Du poids d'indignes fers déshonorer sa main.

Sa main ! dont ils ont su les étreintes fatales,

Qui data ses décrets de leurs vingt capitales.

Qui, des honneurs du camp, pour ses soldats titrés.

Après avoir enfin épuisé les degrés.

Et relevant pour eux les antiques pairies,

Sur les flancs de leurs chars semé les armoiries,

Pour mieux récompenser ces glorieux élus,

A de la royauté fait un grade de plus.


Et vous, qui poursuivant une noble pensée,

Aux travaux de nos preux fîtes une Odyssée,

Qui montrant à nos yeux sous un soleil lointain

Ces préludes brillants de l'homme du destin,

Avez placé vos chants sous l'ombre tutélaire

D'une gloire historique et déjà séculaire,

Mêlés dans les récits des âges à venir,

Vos vers auront leur part de ce grand souvenir :

Comme, sous Périclès, ce sculpteur de l'Attique

Dont la main enfanta le Jupiter antique,

Dans les siècles futurs associa son nom

A l'immortalité des Dieux du Parthénon.
N'aimez plus tant, Phylis, à vous voir adorée :
Le plus ardent amour n'a pas grande durée ;
Les nœuds les plus serrés sont le plus tôt rompus ;
A force d'aimer trop, souvent on n'aime plus,
Et ces liens si forts ont des lois si sévères
Que toutes leurs douceurs en deviennent amères.

Je sais qu'il vous est doux d'asservir tous nos soins :
Mais qui se donne entier n'en exige pas moins ;
Sans réserve il se rend, sans réserve il se livre,
Hors de votre présence il doute s'il peut vivre :
Mais il veut la pareille, et son attachement
Prend compte de chaque heure et de chaque moment.
C'est un esclave fier qui veut régler son maître,
Un censeur complaisant qui cherche à trop connaître,
Un tyran déguisé qui s'attache à vos pas,
Un dangereux Argus qui voit ce qui n'est pas ;
Sans cesse il importune, et sans cesse il assiège,
Importun par devoir, fâcheux par privilège,
Ardent à vous servir jusqu'à vous en lasser,
Mais au reste un peu tendre et facile à blesser.
Le plus léger chagrin d'une humeur inégale,
Le moindre égarement d'un mauvais intervalle,
Un sourire par mégarde à ses yeux dérobé,
Un coup d'œil par hasard sur un autre tombé,
Le plus faible dehors de cette complaisance
Que se permet pour tous la même indifférence ;
Tout cela fait pour lui de grands crimes d'état ;
Et plus l'amour est fort, plus il est délicat.
Vous avez vu, Phylis, comme il brise sa chaîne
Sitôt qu'auprès de vous quelque chose le gêne ;
Et comme vos bontés ne sont qu'un faible appui
Contre un murmure sourd qui s'épand jusqu'à lui.
Que ce soit vérité, que ce soit calomnie,
Pour vous voir en coupable il suffit qu'on le dit ;
Et lorsqu'une imposture a quelque fondement
Sur un peu d'imprudence, ou sur trop d'enjouement,
Tout ce qu'il sait de vous et de votre innocence
N'ose le révolter contre cette apparence,
Et souffre qu'elle expose à cent fausses clartés
Votre humeur sociable et vos civilités.
Sa raison au dedans vous fait en vain justice,
Sa raison au dehors respecte son caprice ;
La peur de sembler dupe aux yeux de quelques fous
Etouffe cette voix qui parle trop pour vous.
La part qu'il prend sur lui de votre renommée
Forme un sombre dépit de vous avoir aimée ;
Et, comme il n'est plus temps d'en faire un désaveu,
Il fait gloire partout d'éteindre un si beau feu :
Du moins s'il ne l'éteint, il l'empêche de luire,
Et brave le pouvoir qu'il ne saurait détruire.

Voilà ce que produit le don de trop charmer.
Pour garder vos amants faites-vous moins aimer ;
Un amour médiocre est souvent plus traitable :
Mais pourriez-vous, Phylis, vous rendre moins aimable ?
Pensez-y, je vous prie, et n'oubliez jamais,
Quand on vous aimera, que l'amour est doux ; mais...
Que devant les coquins l'honnête homme soupire ;
Que l'histoire soit laide et plate ; que l'empire
Boîte avec Talleyrand ou louche avec Parieu ;
Qu'un tour d'escroc bien fait ait nom grâce de Dieu ;
Que le pape en massue ait changé sa houlette ;
Qu'on voie au Champ de Mars piaffer sous l'épaulette
Le Meurtre général, le Vol aide de camp ;
Que hors de l'Elysée un prince débusquant,
Qu'un flibustier quittant l'île de la Tortue,
Assassine, extermine, égorge, pille et tue ;
Que les bonzes chrétiens, cognant sur leur tam-tam
Hurlent devant Soufflard : Attollite portam !
Que pour claqueurs le crime ait cent journaux infâmes,
Ceux qu'à la maison d'or, sur les genoux des femmes,
Griffonnent les Romieux, le verre en main, et ceux
Que saint-Ignace inspire à des gredins crasseux ;
Qu'en ces vils tribunaux, où le regard se heurte
De Moreau de la Seine à Moreau de la Meurthe,
La justice ait reçu d'horribles horions ;
Que, sur un lit de camp, par des centurions
La loi soit violée et râle à l'agonie ;
Que cet être choisi, créé par Dieu génie,
L'homme, adore à genoux le loup fait empereur ;
Qu'en un éclat de rire abrégé par l'horreur,
Tout ce que nous voyons aujourd'hui se résume ;
Qu'Hautpoul vende son sabre et Cucheval sa plume ;
Que tous les grands bandits, en petit copiés,
Revivent ; qu'on emplisse un sénat de plats-pieds
Dont la servilité négresse et mamelouque
Eût révolté Mahmoud et lasserait Soulouque ;
Que l'or soit le seul culte, et qu'en ce temps vénal,
Coffre-fort étant Dieu, Gousset soit cardinal ;
Que la vieille Thémis ne soit plus qu'une gouine
Baisant Mandrin dans l'antre où Mongis baragouine ;
Que Montalembert bave accoudé sur l'autel ;
Que Veuillot sur Sibour crève sa poche au fiel ;
Qu'on voie aux bals de cour s'étaler des guenipes
Qui le long des trottoirs traînaient hier leurs nippes,
Beautés de lansquenet avec un profil grec ;
Que Haynau dans Brescia soit pire que Lautrec ;
Que partout, des Sept-Tours aux colonnes d'Hercule,
Napoléon, le poing sur la hanche, recule,
Car l'aigle est vieux, Essling grisonne, Marengo
À la goutte, Austerlitz est pris d'un lombago ;
Que le czar russe ait peur tout autant que le nôtre ;
Que l'ours noir et l'ours blanc tremblent l'un devant l'autre ;
Qu'avec son grand panache et sur son grand cheval
Rayonne Saint-Arnaud, ci-devant Florival,
Fort dans la pantomime et les combats à l'hache ;
Que Sodome se montre et que Paris se cache ;
Qu'Escobar et Houdin vendent le même onguent ;
Que grâce à tous ces gueux qu'on touche avec le gant,
Tout dorés au dehors, au dedans noirs de lèpres,
Courant les bals, courant les jeux, allant à vêpres,
Grâce à ces bateleurs mêlés aux scélérats,
La Saint-Barthélemy s'achève en mardi gras ;
Ô nature profonde et calme, que t'importe !
Nature, Isis voilée assise à notre porte,
Impénétrable aïeule aux regards attendris,
Vieille comme Cybèle et fraîche comme Iris,
Ce qu'on fait ici-bas s'en va devant ta face ;
À ton rayonnement toute laideur s'efface ;
Tu ne t'informes pas quel drôle ou quel tyran
Est fait premier chanoine à Saint-Jean-de-Latran ;
Décembre, les soldats ivres, les lois faussées,
Les cadavres mêlés aux bouteilles cassées,
Ne te font rien ; tu suis ton flux et ton reflux.
Quand l'homme des faubourgs s'endort et ne sait plus
Bourrer dans un fusil des balles de calibre ;
Quand le peuple français n'est plus le peuple libre ;
Quand mon esprit, fidèle au but qu'il se fixa,
Sur cette léthargie applique un vers moxa,
Toi, tu rêves ; souvent du fond des geôles sombres,
Sort, comme d'un enfer, le murmure des ombres
Que Baroche et Rouher gardent sous les barreaux,
Car ce tas de laquais est un tas de bourreaux ;
Etant les cœurs de boue, ils sont les cœurs de roche ;
Ma strophe alors se dresse, et, pour cingler Baroche,
Se taille un fouet sanglant dans Rouher écorché ;
Toi, tu ne t'émeus point ; flot sans cesse épanché,
La vie indifférente emplit toujours tes urnes ;
Tu laisses s'élever des attentats nocturnes,
Des crimes, des fureurs, de Rome mise en croix,
De Paris mis aux fers, des guets-apens des rois,
Des pièges, des serments, des toiles d'araignées,
L'orageuse clameur des âmes indignées ;
Dans ce calme où toujours tu te réfugias,
Tu laisses le fumier croupir chez Augias,
Et renaître un passé dont nous nous affranchîmes,
Et le sang rajeunir les abus cacochymes,
La France en deuil jeter son suprême soupir,
Les prostitutions chanter, et se tapir
Les lâches dans leurs trous, la taupe en ses cachettes,
Et gronder les lions, et rugir les poètes !
Ce n'est pas ton affaire à toi de t'irriter.
Tu verrais, sans frémir et sans te révolter,
Sur tes fleurs, sous tes pins, tes ifs et tes érables,
Errer le plus coquin de tous ces misérables.
Quand Troplong, le matin, ouvre un œil chassieux,
Vénus, splendeur sereine éblouissant les cieux,
Vénus, qui devrait fuir courroucée et hagarde,
N'a pas l'air de savoir que Troplong la regarde !
Tu laisserais cueillir une rose à Dupin !
Tandis que, de velours recouvrant le sapin,
L'escarpe couronné que l'Europe surveille,
Trône et guette, et qu'il a, lui parlant à l'oreille,
D'un côté Loyola, de l'autre Trestaillon,
Ton doigt au blé dans l'ombre entrouvre le sillon.
Pendant que l'horreur sort des sénats, des conclaves,
Que les États-Unis ont des marchés d'esclaves
Comme en eut Rome avant que Jésus-Christ passât,
Que l'américain libre à l'africain forçat
Met un bât, et qu'on vend des hommes pour des piastres,
Toi, tu gonfles la mer, tu fais lever les astres,
Tu courbes l'arc-en-ciel, tu remplis les buissons
D'essaims, l'air de parfums et les nids de chansons,
Tu fais dans le bois vert la toilette des roses,
Et tu fais concourir, **** des hommes moroses,
Pour des prix inconnus par les anges cueillis,
La candeur de la vierge et la blancheur du lys.
Et quand, tordant ses mains devant les turpitudes,
Le penseur douloureux fuit dans tes solitudes,
Tu lui dis : Viens ! c'est moi ! moi que rien ne corrompt !
Je t'aime ! et tu répands dans l'ombre, sur son front
Où de l'artère ardente il sent battre les ondes,
L'âcre fraîcheur de l'herbe et des feuilles profondes !
Par moments, à te voir, parmi les trahisons,
Mener paisiblement tes mois et tes saisons,
À te voir impassible et froide, quoi qu'on fasse,
Pour qui ne creuse point plus bas que la surface,
Tu sembles bien glacée, et l'on s'étonne un peu.
Quand les proscrits, martyrs du peuple, élus de Dieu,
Stoïques, dans la mort se couchent sans se plaindre,
Tu n'as l'air de songer qu'à dorer et qu'à peindre
L'aile du scarabée errant sur leurs tombeaux.
Les rois font les gibets, toi, tu fais les corbeaux.
Tu mets le même ciel sur le juste et l'injuste.
Occupée à la mouche, à la pierre, à l'arbuste,
Aux mouvements confus du vil monde animal,
Tu parais ignorer le bien comme le mal ;
Tu laisses l'homme en proie à sa misère aiguë.
Que t'importe Socrate ! et tu fais la ciguë.
Tu créas le besoin, l'instinct et l'appétit ;
Le fort mange le faible et le grand le petit,
L'ours déjeune du rat, l'autour de la colombe,
Qu'importe ! allez, naissez, fourmillez pour la tombe,
Multitudes ! vivez, tuez, faites l'amour,
Croissez ! le pré verdit, la nuit succède au jour,
L'âne brait, le cheval hennit, le taureau beugle.
Ô figure terrible, on te croirait aveugle !
Le bon et le mauvais se mêlent sous tes pas.
Dans cet immense oubli, tu ne vois même pas
Ces deux géants lointains penchés sur ton abîme,
Satan, père du mal, Caïn, père du crime !

Erreur ! erreur ! erreur ! ô géante aux cent yeux,
Tu fais un grand labeur, saint et mystérieux !
Oh ! qu'un autre que moi te blasphème, ô nature
Tandis que notre chaîne étreint notre ceinture,
Et que l'obscurité s'étend de toutes parts,
Les principes cachés, les éléments épars,
Le fleuve, le volcan à la bouche écarlate,
Le gaz qui se condense et l'air qui se dilate,
Les fluides, l'éther, le germe sourd et lent,
Sont autant d'ouvriers dans l'ombre travaillant ;
Ouvriers sans sommeil, sans fatigue, sans nombre.
Tu viens dans cette nuit, libératrice sombre !
Tout travaille, l'aimant, le bitume, le fer,
Le charbon ; pour changer en éden notre enfer,
Les forces à ta voix sortent du fond des gouffres.

Tu murmures tout bas : - Race d'Adam qui souffres,
Hommes, forçats pensants au vieux monde attachés,
Chacune de mes lois vous délivre. Cherchez ! -
Et chaque jour surgit une clarté nouvelle,
Et le penseur épie et le hasard révèle ;
Toujours le vent sema, le calcul récolta.
Ici Fulton, ici Galvani, là Volta,
Sur tes secrets profonds que chaque instant nous livre,
Rêvent ; l'homme ébloui déchiffre enfin ton livre.

D'heure en heure on découvre un peu plus d'horizon
Comme un coup de bélier au mur d'une prison,
Du genre humain qui fouille et qui creuse et qui sonde,
Chaque tâtonnement fait tressaillir le monde.
L'***** des nations s'accomplit. Passions,
Intérêts, mœurs et lois, les révolutions
Par qui le cœur humain germe et change de formes,
Paris, Londres, New-York, les continents énormes,
Ont pour lien un fil qui tremble au fond des mers.
Une force inconnue, empruntée aux éclairs,
Mêle au courant des flots le courant des idées.
La science, gonflant ses ondes débordées,
Submerge trône et sceptre, idole et potentat.
Tout va, pense, se meut, s'accroît. L'aérostat
Passe, et du haut des cieux ensemence les hommes.
Chanaan apparaît ; le voilà, nous y sommes !
L'amour succède aux pleurs et l'eau vive à la mort,
Et la bouche qui chante à la bouche qui mord.
La science, pareille aux antiques pontifes,
Attelle aux chars tonnants d'effrayants hippogriffes
Le feu souffle aux naseaux de la bête d'airain.
Le globe esclave cède à l'esprit souverain.
Partout où la terreur régnait, où marchait l'homme,
Triste et plus accablé que la bête de somme,
Traînant ses fers sanglants que l'erreur a forgés,
Partout où les carcans sortaient des préjugés,
Partout où les césars, posant le pied sur l'âme,
Etouffaient la clarté, la pensée et la flamme,
Partout où le mal sombre, étendant son réseau,
Faisait ramper le ver, tu fais naître l'oiseau !
Par degrés, lentement, on voit sous ton haleine
La liberté sortir de l'herbe de la plaine,
Des pierres du chemin, des branches des forêts,
Rayonner, convertir la science en décrets,
Du vieil univers mort briser la carapace,
Emplir le feu qui luit, l'eau qui bout, l'air qui passe,
Gronder dans le tonnerre, errer dans les torrents,
Vivre ! et tu rends le monde impossible aux tyrans !
La matière, aujourd'hui vivante, jadis morte,
Hier écrasait l'homme et maintenant l'emporte.

Le bien germe à toute heure et la joie en tout lieu.
Oh ! sois fière en ton cœur, toi qui, sous l'œil de Dieu,
Nous prodigues les dons que ton mystère épanche,
Toi qui regardes, comme une mère se penche
Pour voir naître l'enfant que son ventre a porté,
De ton flanc éternel sortir l'humanité !

Vie ! idée ! avenir bouillonnant dans les têtes !
Le progrès, reliant entre elles ses conquêtes,
Gagne un point après l'autre, et court contagieux.
De cet obscur amas de faits prodigieux
Qu'aucun regard n'embrasse et qu'aucun mot ne nomme,
Tu nais plus frissonnant que l'aigle, esprit de l'homme,
Refaisant mœurs, cités, codes, religion.
Le passé n'est que l'oeuf d'où tu sors, Légion !

Ô nature ! c'est là ta genèse sublime.
Oh ! l'éblouissement nous prend sur cette cime !
Le monde, réclamant l'essor que Dieu lui doit,
Vibre, et dès à présent, grave, attentif, le doigt
Sur la bouche, incliné sur les choses futures,
Sur la création et sur les créatures,
Une vague lueur dans son œil éclatant,
Le voyant, le savant, le philosophe entend
Dans l'avenir, déjà vivant sous ses prunelles,
La palpitation de ces millions d'ailes !

Jersey, le 23 mai 1853.
Inexplicable cœur, énigme de toi-même,
Tyran de ma raison, de la vertu que j'aime,
Ennemi du repos, amant de la douleur,
Que tu me fais de mal, inexplicable cœur !

Si l'horizon plus clair me permet de sourire,
De mon sort désarmé tu trompes le dessein ;
Dans ma sécurité tu ne vois qu'un délire ;
D'une vague frayeur tu soulèves mon sein.
Si de tes noirs soupçons l'amertume m'oppresse,
Si je veux par la fuite apaiser ton effroi,
Tu demandes du temps, quelques jours, rien ne presse ;
J'hésite, tu gémis, je cède malgré moi.
Que je crains, ô mon cœur, ce tyrannique empire !
Que d'ennuis, que de pleurs il m'a déjà coûté !
Rappelle-toi ce temps de liberté,
Ce bien perdu dont ma fierté soupire.
Tu me trahis toujours, et tu me fais pitié.
Crois-moi, rends à l'amour un sentiment trop tendre ;
Pour ton repos, si tu voulais m'entendre,
Tu n'en aurais encor que trop de la moitié !
Non, dis-tu, non, jamais ! trop faible esclave, écoute,
Écoute ! Et ma raison te pardonne et t'absout :
Rends-lui du moins les pleurs ! Tu vas céder sans doute ?
Hélas ! non ! toujours non ! Ô mon cœur ! prends donc tout.
Plaisir, bourreau des cœurs, vendeur juré des âmes,
Ah ! trop longtemps tu pris le masque de l'amour
Au vestiaire impur des romans et des drames !

Voyageant sous son nom et suivi par ta cour
De Lovelaces fous et de Phèdres navrées,
Plaisir, tyran cruel, voici venir ton tour !

Ah ! trop longtemps tu fis, dans tes mornes Caprées,
Des corps humains liés à tes rouges poteaux
De blancs Saint-Sébastiens pleins de flèches dorées ;

Et depuis trop longtemps, roulé dans tes manteaux,
Tu te glisses le soir dans les tavernes saoules,
Où tu mets les hoquets et les coups de couteaux.

Renard caché qui mord le ventre obscur des foules,
N'es-tu pas las d'errer épié dans tes nuits
Par le crime dans l'ombre horrible où tu te coules ?

Père des sommeils lourds et des mornes ennuis,
N'es-tu pas las de boire au fond des yeux la vie,
Comme un soleil brutal boit l'ombre dans un puits ?

- Tout ce qui vient de Dieu, tout ce qui fait envie :
La grâce des fronts purs, la force des lutteurs,
L'intelligence, lampe à Dieu même ravie,

Jusqu'à la voix qui vibre au gosier des chanteurs,
Jusqu'au trésor de pleurs qui tremble au cœur des femmes,
Tu fais passer sur tout tes souffles destructeurs.

Tu donnes jusqu'au goût des souffrances infâmes,
Et les petits enfants, qui baissent leurs cils noirs,
Pâlissent au passage effrayant de tes flammes.

Tu glanes des savants aux plis de tes peignoirs,
Et tu domptes le cœur des rudes capitaines,
Rien qu'avec le parfum que jettent tes mouchoirs.

Tu traites les vertus d'atroces puritaines,
Mais leur cœur réfléchit, comme un lac de cristal,
La force et la douceur des étoiles hautaines.

Cependant, dur geôlier dont le poignard brutal
Ne se laisse fléchir par les cris de personne,
Tu peuples la prison autant que l'hôpital.

Tu te dis bon vivant, tu t'assieds sur la tonne,
Ton verre dans la main, tu chantes, et pourtant
Aux hideurs que tu fais la science s'étonne.

Tu couves tous les fruits d'un air inquiétant ;
Ton appétit funèbre engloutirait le monde,
Pourvoyeur de la mort, qui n'est jamais content.

Que t'importe ! Tu ris sous ta perruque blonde,
Ou bien tu vas prêcher la modération,
Rhéteur païen, leurré par ta propre faconde.

Fils lugubre de l'homme, et sa punition,
Ennemi de l'amour, tu rêves la conquête
De sa gloire, et maudis sa noble passion...

Mais l'amour triomphant met le pied sur ta tête !
Homme dont la tristesse est écrite d'un bout
Du monde à l'autre, et même aux murs de la campagne,
Forçat de l'hôpital et malade du bagne ;

Dormeur maussade, à qui chaque aube dit : « Debout ! »
Voyageur douloureux qu'attend la Mort, auberge
Où l'on vend le lit dur et les pleurs blancs du cierge,

Tu gémis, étonné de te sentir si las ;
Puis un jour tu te dis : « L'âme est un vain bagage,
Et mon cœur est bien lourd pour un pareil voyage ! »

Et, sans songer que Dieu te donne ses lilas,
Tu veux jeter ton cœur, tu veux jeter ton âme,
Pour alléger ta marche et mieux porter la Femme ;

Par ta route et ses ponts fiers de leur parapet,
Compagnon de l'orgueil, fils des froides études,
Tu vas vers le malheur et vers les solitudes.

Tout plein des arguments dont l'esprit se repaît,
Tu fais, pour savourer ta gloire monotone,
Taire ta conscience à l'heure où le ciel tonne.

Si pourtant à ce prix tu manges à ta faim,
Si tu dors calme, au creux de l'oreiller facile,
Ecoute ta science et reste-lui docile ;

Si ta libre raison, la plus forte à la fin,
Respire au coup mortel porté par elle au doute,
Pareil au Juif errant, homme, poursuis ta route.

Sois content sans ton âme, et joyeux sans ton cœur,
Sois ton corps tyran ni que et sois ta bête fauve,
Fais tes traits durs et froids, fais ton iront vaste et chauve !

Mais si ton fruit superbe engraisse un ver vainqueur,
Si tu bâilles, les soirs larmoyants, sous ta lampe,
Tâche de réfléchir, pose un doigt sur ta tempe.

Si tu n'as toujours pas trouvé sur ton chemin,
Qu'assourdit la rumeur des sabres et des chaînes
Repos pour tes amours et cesse pour tes haines ;

Si ton bâton usé tâtonne dans ta main,
Pauvre aveugle tremblant qui portes une sourde,
La Femme, chaque jour plus énorme et plus lourde ;

Si Tentant ancien sommeille encore en toi,
Gardant le souvenir de la faute première,
Dis : « J'ai le dos tourné peut-être à la Lumière » ;

Dis : « J'étais un esclave et croyais être un Roi ! »
Pour t'en aller gaiement, frère des hirondelles,
Reprends ton cœur, reprends ton âme, ces deux ailes ;

Et grâce à ce fardeau redevenu léger,
Emporte alors l'enfant, mère, sœur ou compagne,
Comme l'ange en ses bras emporte la montagne ;

Enivre-toi du long plaisir de voyager ;
Que ta faim soit paisible et que ta soif soit pure,
Bois à tout cœur ouvert, mange à toute âme mûre !
Sonnet.

Sous ce marbre repose un monarque sans vice,
Dont la seule bonté déplut aux bons François,
Et qui pour tout péché ne fit qu'un mauvais choix
Dont il fut trop longtemps innocemment complice.

L'ambition, l'orgueil, l'audace, l'avarice,
Saisis de son pouvoir, nous donnèrent des lois ;
Et bien qu'il fût en soi le plus juste des rois,
Son règne fut pourtant celui de l'injustice.

Vainqueur de toutes parts, esclave dans sa cour,
Son tyran et le nôtre à peine perd le jour,
Que jusque dans la tombe il le force à le suivre.

Jamais de tels malheurs furent-ils entendus ?
Après trente-trois ans sur le trône perdus,
Commençant à régner, il a cessé de vivre.
Je voudrais être, sur la terre,
L'unique héritier des grands rois
Dont la force et l'éclat font taire
Tous les revendiqueurs des droits,

De ces rois d'Asie et d'Afrique,
Monarques des derniers pays
Où les maîtres sont, sans réplique,
Sans réserve, encore obéis.

Je verrais, à mon tour idole,
Les trois quarts du monde vivant
Se prosterner sous ma parole
Comme un champ de blés sous le vent.

Les tribus des races voisines
Feraient affluer par milliers
Les venaisons dans mes cuisines,
Les vins rares dans mes celliers,

Des chevaux plein mes écuries,
Des meutes traînant leurs valets,
Des marbres, des tapisseries,
Des vases d'or, plein mes palais !

Sous mes mains j'aurais des captives
Belles de pleurs, et sous mes pieds
Les têtes fières ou craintives
De leurs pères humiliés.

Je posséderais sans conquête
Mon vaste empire, et sans rival !
Dans la sécurité complète
D'un pouvoir salué légal.

Alors, alors, ô joie intense !
Convoquant mon peuple et ma cour,
Devant la servile assistance
Moi-même, en plein règne, au grand jour,

Avec un cynisme suprême,
Je briserais sur mon genou
Le sceptre avec le diadème,
Comme un enfant casse un joujou ;

De mes épaules accablées
Arrachant le royal manteau,
Aux multitudes assemblées
Je jetterais l'affreux fardeau ;

Pour les déshérités prodigue
Je laisserais tous mes trésors,
Comme un torrent qui rompt sa digue,
Se précipiter au dehors ;

Cessant d'appuyer ma sandale
Sur la nuque des prisonniers ;
Je rendrais la terre natale
Aux plus fameux comme aux derniers ;

J'abandonnerais à mes troupes
Tout l'or glorieux des rançons ;
Puis je laisserais dans mes coupes
Boire mes propres échansons ;

Sur mes parcs, mes greniers, mes caves,
Par-dessus fossé, grille et mur,
Je lâcherais tous mes esclaves
Comme des ramiers dans l'azur !

Tout mon harem, filles et veuves,
S'en retournerait au foyer,
Pour enfanter des races neuves
Que nul tyran ne pût broyer,

Qui ne fussent plus la curée
D'un vainqueur, suppôt de la mort,
Mais serves d'une loi jurée
Dans un libre et paisible accord,

Fondant la cité juste et bonne
Où chaque homme en levant la main
Sent qu'il atteste en sa personne
La dignité du genre humain !

Et moi qui fuis même la gêne
Des pactes librement conclus,
Moi qui ne suis roseau ni chêne,
Ni souple, ni viril non plus,

Je m'en irais finir ma vie
Au milieu des mers, sous l'azur,
Dans une île, une île assoupie
Dont le sol serait vierge et sûr,

Île qui n'aurait pas encore
Senti l'ancre des noirs vaisseaux,
Dont n'approcheraient que l'aurore,
Le nuage et le pli des eaux.

Dans cette oasis embaumée,
**** des froides lois en vigueur,
Viens, dirais-je à la bien-aimée,
Appuyer ton cœur sur mon cœur ;

Des lianes feront guirlandes
Entre les palmiers sur nos fronts,
Et tu verras des fleurs si grandes
Qu'ensemble nous y dormirons.
Donc, vieux passé plaintif, toujours tu reviendras
Nous criant : - Pourquoi donc est-on si **** ? Ingrats !
Qu'êtes-vous devenus ? Dites, avec l'abîme
Quel pacte avez-vous fait ? Quel attentat ? Quel crime ? -
Nous questionnant, sombre et de rage écumant,
Furieux.
Nous avons marché, tout bonnement.
Qui marche t'assassine, ô bon vieux passé blême.
Mais que veux-tu ? Je suis de mon siècle, et je l'aime !
Je te l'ai déjà dit. Non, ce n'est plus du tout
L'époque où la nature était de mauvais goût,
Où Bouhours, vieux jésuite, et le Batteux, vieux cancre,
Lunette au nez et plume au poing, barbouillaient d'encre
Le cygne au bec doré, le bois vert, le ciel bleu ;
Où l'homme corrigeait le manuscrit de Dieu.
Non, ce n'est plus le temps où Lenôtre à Versailles
Raturait le buisson, la ronce, la broussaille ;
Siècle où l'on ne voyait dans les champs éperdus
Que des hommes poudrés sous des arbres tondus.
Tout est en liberté maintenant. Sur sa nuque
L'arbre a plus de cheveux, l'homme a moins de perruque.
La vieille idée est morte avec le vieux cerveau.
La révolution est un monde nouveau.
Notre oreille en changeant a changé la musique.
Lorsque Fernand Cortez arriva du Mexique,
Il revint la main pleine, et, du jeune univers,
Il rapporta de l'or ; nous rapportons des vers.
Nous rapportons des chants mystérieux. Nous sommes
D'autres yeux, d'autres fronts, d'autres cœurs, d'autres hommes.

Braves pédants, calmez votre bon vieux courroux.
Nous arrachons de l'âme humaine les verrous.
Tous frères, et mêlés dans les monts, dans les plaines,
Nous laissons librement s'en aller nos haleines
À travers les grands bois et les bleus firmaments.
Nous avons démoli les vieux compartiments.

Non, nous ne sommes plus ni paysan, ni noble,
Ni lourdaud dans son pré, ni rustre en son vignoble,
Ni baron dans sa tour, ni reître à ses canons ;
Nous brisons cette écorce, et nous redevenons
L'homme ; l'homme enfin hors des temps crépusculaires ;
L'homme égal à lui-même en tous ses exemplaires ;
Ni tyran, ni forçat, ni maître, ni valet ;
L'humanité se montre enfin telle qu'elle est,
Chaque matin plus libre et chaque soir plus sage ;
Et le vieux masque usé laisse voir le visage.

Avec Ézéchiel nous mêlons Spinosa.
La nature nous prend, la nature nous a ;
Dans son antre profond, douce, elle nous attire ;
Elle en chasse pour nous son antique satyre,
Et nous y montre un sphinx nouveau qui dit : pensez.
Pour nous les petits cris au fond des nids poussés,
Sont augustes ; pour nous toutes les monarchies
Que vous saluez, vous, de vos têtes blanchies,
Tous les fauteuils royaux aux dossiers empourprés,
Sont peu de chose auprès d'un liseron des prés.
Régner ! Cela vaut-il rêver sous un vieux aulne ?
Nous regardons passer Charles-Quint sur son trône,
Jules deux sous son dais, César dans les clairons,
Et nous avons pitié lorsque nous comparons
À l'aurore des cieux cette fausse dorure.
Lorsque nous contemplons, par une déchirure
Des nuages, l'oiseau volant dans sa fierté,
Nous sentons frissonner notre aile, ô liberté !
En fait d'or, à la cour nous préférons la gerbe.
La nature est pour nous l'unique et sacré verbe,
Et notre art poétique ignore Despréaux.
Nos rois très excellents, très puissants et très hauts,
C'est le roc dans les flots, c'est dans les bois le chêne.
Mai, qui brise l'hiver, c'est-à-dire la chaîne,
Nous plaît. Le vrai nous tient. Je suis parfois tenté
De dire au mont Blanc : - Sire ! Et : - Votre majesté
À la vierge qui passe et porte, agreste et belle,
Sa cruche sur son front et Dieu dans sa prunelle.
Pour nous, songeurs, bandits, romantiques, démons,
Bonnets rouges, les flots grondants, l'aigle, les monts,
La bise, quand le soir ouvre son noir portique,
La tempête effarant l'onde apocalyptique,
Dépassent en musique, en mystère, en effroi,
Les quatre violons de la chambre du roi.
Chaque siècle, il s'y faut résigner, suit sa route.
Les hommes d'autrefois ont été grands sans doute ;
Nous ne nous tournons plus vers les mêmes clartés.
Jadis, frisure au front, ayant à ses côtés
Un tas d'abbés sans bure et de femmes sans guimpes,
Parmi des princes dieux, sous des plafonds olympes,
Prêt dans son justaucorps à poser pour Audran,
La dentelle au cou, grave, et l'œil sur un cadran,
Dans le salon de Mars ou dans la galerie
D'apollon, submergé dans la grand'seigneurie,
Dans le flot des Rohan, des Sourdis, des Elbeuf,
Et des fiers habits d'or roulant vers l'Œil-de-Boeuf,
Le poète, fût-il Corneille, ou toi, Molière,
- Tandis qu'en la chapelle ou bien dans la volière,
Les chanteurs accordaient le théorbe et le luth,
Et que Lulli tremblant s'écriait : gare à l'ut ! -
Attendait qu'au milieu de la claire fanfare
Et des fronts inclinés apparût, comme un phare,
Le page, aux tonnelets de brocart d'argent fin,
Qui portait le bougeoir de monsieur le dauphin.
Aujourd'hui, pour Versaille et pour salon d'Hercule,
Ayant l'ombre et l'airain du rouge crépuscule,
Fauve, et peu coudoyé de Guiche ou de Brissac,
La face au vent, les poings dans un paletot sac,
Seul, dans l'immensité que l'ouragan secoue,
Il écoute le bruit que fait la sombre proue
De la terre, et pensif, sur le blême horizon,
À l'heure où, dans l'orchestre inquiet du buisson,
De l'arbre et de la source, un frémissement passe,
Où le chêne chuchote et prend sa contrebasse,
L'eau sa flûte et le vent son stradivarius,
Il regarde monter l'effrayant Sirius.

Pour la muse en paniers, par Dorat réchauffée,
C'est un orang-outang ; pour les bois, c'est Orphée.
La nature lui dit : mon fils. Ce malotru,
Ô grand siècle ! Écrit mieux qu'Ablancourt et Patru.
Est-il féroce ? Non. Ce troglodyte affable
À l'ormeau du chemin fait réciter sa fable ;
Il dit au doux chevreau : bien bêlé, mon enfant !
Quand la fleur, le matin, de perles se coiffant,
Se mire aux flots, coquette et mijaurée exquise,
Il passe et dit : Bonjour, madame la marquise.
Et puis il souffre, il pleure, il est homme ; le sort
En rayons douloureux de son front triste sort.
Car, ici-bas, si fort qu'on soit, si peu qu'on vaille,
Tous, qui que nous soyons, le destin nous travaille
Pour orner dans l'azur la tiare de Dieu.
Le même bras nous fait passer au même feu ;
Et, sur l'humanité, qu'il use de sa lime,
Essayant tous les cœurs à sa meule sublime,
Scrutant tous les défauts de l'homme transparent,
Sombre ouvrier du ciel, noir orfèvre, tirant
Du sage une étincelle et du juste une flamme,
Se penche le malheur, lapidaire de l'âme.

Oui, tel est le poète aujourd'hui. Grands, petits,
Tous dans Pan effaré nous sommes engloutis.
Et ces secrets surpris, ces splendeurs contemplées,
Ces pages de la nuit et du jour épelées,
Ce qu'affirme Newton, ce qu'aperçoit Mesmer,
La grande liberté des souffles sur la mer,
La forêt qui craint Dieu dans l'ombre et qui le nomme,
Les eaux, les fleurs, les champs, font naître en nous un homme
Mystérieux, semblable aux profondeurs qu'il voit.
La nature aux songeurs montre les cieux du doigt.
Le cèdre au torse énorme, athlète des tempêtes,
Sur le fauve Liban conseillait les prophètes,
Et ce fut son exemple austère qui poussa
Nahum contre Ninive, Amos contre Gaza.
Les sphères en roulant nous jettent la justice.
Oui, l'âme monte au bien comme l'astre au solstice ;
Et le monde équilibre a fait l'homme devoir.
Quand l'âme voit mal Dieu, l'aube le fait mieux voir.
La nuit, quand Aquilon sonne de la trompette,
Ce qu'il dit, notre cœur frémissant le répète.
Nous vivons libres, fiers, tressaillants, prosternés,
Éblouis du grand Dieu formidable ; et, tournés
Vers tous les idéals et vers tous les possibles,
Nous cueillons dans l'azur les roses invisibles.
L'ombre est notre palais. Nous sommes commensaux
De l'abeille, du jonc nourri par les ruisseaux,
Du papillon qui boit dans la fleur arrosée.
Nos âmes aux oiseaux disputent la rosée.
Laissant le passé mort dans les siècles défunts,
Nous vivons de rayons, de soupirs, de parfums,
Et nous nous abreuvons de l'immense ambroisie
Qu'Homère appelle amour et Platon poésie.
Sous les branchages noirs du destin, nous errons,
Purs et graves, avec les souffles sur nos fronts.

Notre adoration, notre autel, notre Louvre,
C'est la vertu qui saigne ou le matin qui s'ouvre ;
Les grands levers auxquels nous ne manquons jamais,
C'est Vénus des monts noirs blanchissant les sommets ;
C'est le lys fleurissant, chaste, charmant, sévère ;
C'est Jésus se dressant, pâle, sur le calvaire.

Le 22 novembre 1854.
Des sabres sont partout posés sur les provinces.
L'autel ment. On entend ceux qu'on nomme les princes
Jurer, d'un front tranquille et sans baisser les yeux,
De faux serpents qui font, tant ils navrent les âmes,
Tant ils sont monstrueux, effroyables, infâmes,
Remuer le tonnerre endormi dans les cieux.

Les soldats ont fouetté des femmes dans les rues.
Où sont la liberté, la vertu ? disparues !
Dans l'exil ! dans l'horreur des pontons étouffants !
Ô nations ! où sont vos âmes les plus belles ?
Le boulet, c'est trop peu contre de tels rebelles
Haynau dans les canons met des têtes d'enfants.

Peuple russe, tremblant et morne, tu chemines,
Serf à Saint-Pétersbourg, ou forçat dans les mines.
Le pôle est pour ton maître un cachot vaste et noir ;
Russie et Sibérie, ô czar ! tyran ! vampire !
Ce sont les deux moitiés de ton funèbre empire ;
L'une est l'oppression, l'autre est le Désespoir.

Les supplices d'Ancône emplissent les murailles.
Le pape Mastaï fusille ses ouailles ;
Il pose là l'hostie et commande le feu.
Simoncelli périt le premier ; tous les autres
Le suivent sans pâlir, tribuns, soldats, apôtres ;
Ils meurent, et s'en vont parler du prêtre à Dieu.

Saint-Père, sur tes mains laisse tomber tes manches !
Saint-Père, on voit du sang à tes sandales blanches !
Borgia te sourit, le pape empoisonneur.
Combien sont morts ? combien mourront ? qui sait le nombre ?
Ce qui mène aujourd'hui votre troupeau dans l'ombre,
Ce n'est pas le berger, c'est le boucher, Seigneur !

Italie ! Allemagne ! ô Sicile ! ô Hongrie !
Europe, aïeule en pleurs, de misère amaigrie,
Vos meilleurs fils sont morts ; l'honneur sombre est absent.
Au midi l'échafaud, au nord un ossuaire.
La lune chaque nuit se lève en un suaire,
Le soleil chaque soir se couche dans du sang.

Sur les français vaincus un saint-office pèse.
Un brigand les égorge, et dit : je les apaise.
Paris lave à genoux le sang qui l'inonda ;
La France garrottée assiste à l'hécatombe.
Par les pleurs, par les cris, réveillés dans la tombe,
- Bien ! dit Laubardemont ; - Va ! dit Torquemada.

Batthyani, Sandor, Poërio, victimes !
Pour le peuple et le droit en vain nous combattîmes.
Baudin tombe, agitant son écharpe en lambeau.
Pleurez dans les forêts, pleurez sur les montagnes !
Où Dieu mit des édens les rois mettent des bagnes
Venise est une chiourme et Naple est un tombeau.

Le gibet sur Arad ! le gibet sur Palerme !
La corde à ces héros qui levaient d'un bras ferme
Leur drapeau libre et fier devant les rois tremblants !
Tandis qu'on va sacrer l'empereur Schinderhannes,
Martyrs, la pluie à flots ruisselle sur vos crânes,
Et le bec des corbeaux fouillé vos yeux sanglants.

Avenir ! avenir ! voici que tout s'écroule !
Les pâles rois ont fui, la mer vient, le flot roule,
Peuples ! le clairon sonne aux quatre coins du ciel ;
Quelle fuite effrayante et sombre ! les armées
S'en vont dans la tempête en cendres enflammées,
L'épouvante se lève. - Allons, dit l'Eternel !

Jersey, le 5 novembre 1852.
I.

Quand la terre engloutit les cités qui la couvrent,
Que le vent sème au **** un poison voyageur,
Quand l'ouragan mugit, quand des monts brûlants s'ouvrent,
C'est le réveil du Dieu vengeur.
Et si, lassant enfin les clémences célestes,
Le monde à ces signes funestes
Ose répondre en les bravant,
Un homme alors, choisi par la main qui foudroie,
Des aveugles fléaux ressaisissant la proie,
Paraît, comme un fléau vivant !

Parfois, élus maudits de la fureur suprême,
Entre les nations des hommes sont passés,
Triomphateurs longtemps armés de l'anathème,
Par l'anathème renversés.
De l'esprit de Nemrod héritiers formidables,
Ils ont sur les peuples coupables
Régné par la flamme et le fer ;
Et dans leur gloire impie, en désastres féconde,
Ces envoyés du ciel sont apparus au monde,
Comme s'ils venaient de l'enfer !

II.

Naguère, de lois affranchis,
Quand la reine des nations
Descendit de la monarchie,
Prostituée aux factions,
On vit, dans ce chaos fétide
Naître de l'hydre régicide
Un despote, empereur d'un camp.
Telle souvent la mer qui gronde
Dévore une plaine féconde
Et ***** un sombre volcan.

D'abord, troublant du Nil les hautes catacombes,
Il vint, chef populaire, y combattre en courant,
Comme pour insulter des tyrans dans leurs tombes,
Sous sa tente de conquérant. -
Il revint pour régner sur ses compagnons d'armes.
En vain l'auguste France en larmes
Se promettait des jours plus beaux ;
Quand des vieux pharaons il foulait la couronne,
Sourd à tant de néant, ce n'était qu'un grand trône
Qu'il rêvait sur leurs grands tombeaux.

Un sang royal teignit sa pourpre usurpatrice ;
Un guerrier fut frappé par ce guerrier sans foi ;
L'anarchie, à Vincennes, admira son complice,
Au Louvre elle adora son roi.
Il fallut presque un Dieu pour consacrer cet homme.
Le Prêtre-Monarque de Rome
Vint bénir son front menaçant ;
Car, sans doute en secret effrayé de lui-même,
Il voulait recevoir son sanglant diadème
Des mains d'où le pardon descend.

III.

Lorsqu'il veut, le Dieu secourable,
Qui livre au méchant les pervers,
Brise le jouet formidable
Dont il tourmentait l'univers.
Celui qu'un instant il seconde
Se dit le seul maître du monde ;
Fier, il s'endort dans son néant ;
Enfin, bravant la loi commune,
Quand il croit tenir sa fortune,
Le fantôme échappe au géant.

IV.

Dans la nuit des forfaits, dans l'éclat des victoires,
Cet homme, ignorant Dieu qui l'avait envoyé,
De cités en cités promenant ses prétoires,
Marchait, sur sa gloire appuyé.
Sa dévorante armée avait, dans son passage,
Asservi les fils de Pélage
Devant les fils de Galgacus ;
Et, quand dans leurs foyers il ramenait ses braves
Aux fêtes qu'il vouait à ces vainqueurs esclaves,
Il invitait les rois vaincus !

Dix empires conquis devinrent ses provinces.
Il ne fut pas content dans son orgueil fatal.
Il ne voulait dormir qu'en une cour de princes,
Sur un trône continental.
Ses aigles, qui volaient sous vingt cieux parsemées,
Au nord, de ses longues armées
Guidèrent l'immense appareil ;
Mais là parut l'écueil de se course hardie,
Les peuples sommeillaient : un sanglant incendie
Fut l'aurore du grand réveil.

Il tomba roi ; - puis, dans sa route,
Il voulut, fantôme ennemi,
Se relever, afin sans doute
De ne plus tomber à demi.
Alors, **** de sa tyrannie,
Pour qu'une effrayante harmonie
Frappât l'orgueil anéanti,
On jeta ce captif suprême
Sur un rocher, débris lui-même
De quelque ancien monde englouti !

Là, se refroidissant comme un torrent de lave,
Gardé par ses vaincus, chassé de l'univers,
Ce reste d'un tyran, en s'éveillant esclave,
N'avait fait que changer de fers.
Des trônes restaurés écoutant la fanfare,
Il brillait de **** comme un phare,
Montrant l'écueil au nautonier.
Il mourut. - Quand ce bruit éclata dans nos villes,
Le monde respira dans les fureurs civiles,
Délivré de son prisonnier.

Ainsi l'orgueil s'égare en sa marche éclatante,
Colosse né d'un souffle et qu'un regard abat.
Il fit du glaive un sceptre, et du trône une tente.
Tout son règne fut un combat.
Du fléau qu'il portait lui-même tributaire,
Il tremblait, prince de la terre ;
Soldat, on vantait sa valeur.
Retombé dans son cœur comme dans un abîme,
Il passa par la gloire, il passa par le crime,
Et n'est arrivé qu'au malheur.

V.

Peuples, qui poursuivez d'hommages
Les victimes et les bourreaux,
Laissez-le fuir seul dans les âges ; -
Ce ne sont point là les héros.
Ces faux dieux, que leur siècle encense,
Dont l'avenir hait la puissance,
Vous trompent dans votre sommeil ;
Tels que ces nocturnes aurores
Où passent de grands météores,
Mais que ne suit pas le soleil.

Mars 1822.
Plus mille fois que nul or terrien,
J'aime ce front où mon tyran se joue
Et le vermeil de cette belle joue,
Qui fait honteux le pourpre Tyrien.

Toutes beautés à mes yeux ne sont rien,
Au prix du sein qui lentement secoue
Son gorgerin, sous qui doucement noue
Un petit flot que Vénus dirait sien.

Ne plus, ne moins, que Jupiter est aise,
Quand de son chant une Muse l'apaise,
Ainsi je suis de ses chansons épris,

Lorsqu'à son luth ses doigts elle embesogne,
Et qu'elle dit le branle de Bourgogne,
Qu'elle disait, le jour que je fus pris.
Quand tout se fait petit, femmes, vous restez grandes.
En vain, aux murs sanglants accrochant des guirlandes,
Ils ont ouvert le bal et la danse ; ô nos soeurs,
Devant ces scélérats transformés en valseurs
Vous haussez, - châtiment ! - vos charmantes épaules.
Votre divin sourire extermine ces drôles.
En vain leur frac brodé scintille ; en vain, brigands,
Pour vous plaire ils ont mis à leurs griffes des gants,
Et de leur vil tricorne ils ont doré les ganses ;
Vous bafouez ces gants, ces fracs, ces élégances,
Cet empire tout neuf et déjà vermoulu.
Dieu vous a tout donné, femmes ; il a voulu
Que les seuls alcyons tinssent tête à l'orage,
Et qu'étant la beauté, vous fussiez le courage.

Les femmes ici-bas et là-haut les aïeux,
Voilà ce qui nous reste !

Abjection ! nos yeux
Plongent dans une nuit toujours plus épaissie.
Oui, le peuple français, oui, le peuple messie,
Oui, ce grand forgeron du droit universel
Dont, depuis soixante ans, l'enclume sous le ciel
Luit et sonne, dont l'âtre incessamment pétille,
Qui fit voler au vent les tours de la Bastille,
Qui broya, se dressant tout à coup souverain,
Mille ans de royauté sous son talon d'airain,
Ce peuple dont le souffle, ainsi que des fumées,
Faisait tourbillonner les rois et les armées,
Qui, lorsqu'il se fâchait, brisait sous son bâton
Le géant Robespierre et le titan Danton,
Oui, ce peuple invincible, oui, ce peuple superbe
Tremble aujourd'hui, pâlit, frissonne comme l'herbe,
Claque des dents, se cache et n'ose dire un mot
Devant Magnan, ce reître, et Troplong, ce grimaud !
Oui, nous voyons cela ! Nous tenant dans leurs serres,
Mangeant les millions en face des misères,
Les Fortoul, les Rouher, êtres stupéfiants,
S'étalent ; on se tait. Nos maîtres ruffians
À Cayenne, en un bagne, abîme d'agonie,
Accouplent l'héroïsme avec l'ignominie ;
On se tait. Les pontons râlent ; que dit-on ? rien.
Des enfants sont forçats en Afrique ; c'est bien.
Si vous pleurez, tenez votre larme secrète.
Le bourreau, noir faucheur, debout dans sa charrette,
Revient de la moisson avec son panier plein
Pas un souffle. Il est là, ce Tibère-Ezzelin
Qui se croit scorpion et n'est que scolopendre,
Fusillant, et jaloux de Haynau qui peut pendre ;
Eclaboussé de sang, le prêtre l'applaudit ;
Il est là, ce César chauve-souris qui dit
Aux rois : voyez mon sceptre ; aux gueux : voyez mon crime
Ce vainqueur qui, béni, lavé, sacré, sublime,
De deux pourpres vêtu, dans l'histoire s'assied
Le globe dans sa main, un boulet à son pied ;
Il nous crache au visage, il règne ! nul ne bouge.

Et c'est à votre front qu'on voit monter le rouge,
C'est vous qui vous levez et qui vous indignez,
Femmes ; le sein gonflé, les yeux de pleurs baignés,
Vous huez le tyran, vous consolez les tombes,
Et le vautour frémit sous le bec des colombes !

Et moi, proscrit pensif, je vous dis : Gloire à vous !
Oh ! oui, vous êtes bien le sexe fier et doux,
Ardent au dévouement, ardent à la souffrance,
Toujours prêt à la lutte, à Béthulie, en France,
Dont l'âme à la hauteur des héros s'élargit,
D'où se lève Judith, d'où Charlotte surgit !
Vous mêlez la bravoure à la mélancolie.
Vous êtes Porcia, vous êtes Cornélie,
Vous êtes Arria qui saigne et qui sourit ;
Oui, vous avez toujours en vous ce même esprit
Qui relève et soutient les nations tombées,
Qui suscite la Juive et les sept Machabées,
Qui dans toi, Jeanne d'Arc, fait revivre Amadis,
Et qui, sur le chemin des tyrans interdits,
Pour les épouvanter dans leur gloire éphémère,
Met tantôt une vierge et tantôt une mère !

Si bien que, par moments, lorsqu'en nos visions
Nous voyons, secouant un glaive de rayons,
Dans les cieux apparaître une figure ailée,
Saint-Michel sous ses pieds foulant l'hydre écaillée,
Nous disons : c'est la Gloire et c'est la Liberté !
Et nous croyons, devant sa grâce et sa beauté,
Quand nous cherchons le nom dont il faut qu'on le nomme,
Que l'archange est plutôt une femme qu'un homme !

Jersey, le 30 mai 1853.
La vanité nous rend aussi dupes que sots.
Je me souviens, à ce propos,
Qu'au temps jadis, après une sanglante guerre
Où, malgré les plus beaux exploits,
Maint lion fut couché par terre,
L'éléphant régna dans les bois.
Le vainqueur, politique habile,
Voulant prévenir désormais
Jusqu'au moindre sujet de discorde civile,
De ses vastes états exila pour jamais
La race des lions, son ancienne ennemie.
L'édit fut proclamé. Les lions affaiblis,
Se soumettant au sort qui les avait trahis,
Abandonnent tous leur patrie.
Ils ne se plaignent pas, ils gardent dans leur cœur
Et leur courage et leur douleur.
Un bon vieux petit chien, de la charmante espèce
De ceux qui vont portant jusqu'au milieu du dos
Une toison tombant à flots,
Exhalait ainsi sa tristesse :
Il faut donc vous quitter, ô pénates chéris !
Un barbare, à l'âge où je suis,
M'oblige à renoncer aux lieux qui m'ont vu naître.
Sans appui, sans secours, dans un pays nouveau
Je vais, les yeux en pleurs, demander un tombeau,
Qu'on me refusera peut-être.
Ô tyran, tu le veux ! Allons ! Il faut partir.
Un barbet l'entendit : touché de sa misère,
Quel motif, lui dit-il, peut t'obliger à fuir ?
- Ce qui m'y force, ô ciel ! Et cet édit sévère
Qui nous chasse à jamais de cet heureux canton... ?
- Nous ? - Non pas vous, mais moi. - Comment ! Toi,
Mon cher frère ?
Qu'as-tu donc de commun... ? - Plaisante question !
Eh ! Ne suis-je pas un lion ?
Que faites-vous, Seigneur ? à quoi sert votre ouvrage ?
À quoi bon l'eau du fleuve et l'éclair de l'orage ?
Les prés ? les ruisseaux purs qui lavent le gazon ?
Et, sur les coteaux verts dont s'emplit l'horizon,
Les immenses troupeaux aux fécondes haleines
Que l'aboiement des chiens chasse à travers les plaines ?
Pourquoi, dans ce doux mois où l'air semble attiédi,
Quand un calice s'ouvre aux souffles de midi,
Y plonger, ô Seigneur, l'abeille butinante,
Et changer toute fleur en cloche bourdonnante ?
Pourquoi le brouillard d'or qui monte des hameaux ?
Pourquoi l'ombre et la paix qui tombent des rameaux ?
Pourquoi le lac d'azur semé de molles îles ?
Pourquoi les bois profonds, les grottes, les asiles ?
À quoi bon, chaque soir, quand luit l'été vermeil,
Comme un charbon ardent déposant le soleil
Au milieu des vapeurs par les vents remuées,
Allumer au couchant un brasier de nuées ?
Pourquoi rougir la vigne et jeter aux vieux murs
Le rayon qui revient gonfler les raisins mûrs ?
À quoi bon incliner sur ses axes mobiles
Ce globe monstrueux avec toutes ses villes,
Et ses monts et ses mers qui flottent alentour,
À quoi bon, ô Seigneur, l'incliner tour à tour,
Pour que l'ombre l'éteigne ou que le jour le dore,
Tantôt vers la nuit sombre et tantôt vers l'aurore ?
À quoi vous sert le flot, le nuage, le bruit
Qu'en secret dans la fleur fait le germe du fruit ?
À quoi bon féconder les éthers et les ondes,
Faire à tous les soleils des ceintures de mondes,
Peupler d'astres errants l'arche énorme des cieux,
Seigneur ! et sur nos fronts, d'où rayonnent nos yeux,
Entasser en tous sens des millions de lieues
Et du vague infini poser les plaines bleues ?
Pourquoi sur les hauteurs et dans les profondeurs
Cet amas effrayant d'ombres et de splendeurs ?
À quoi bon parfumer, chauffer, nourrir et luire,
Tout aimer, et, Dieu bon ! incessamment traduire,
Pour l'oeil intérieur comme pour l'oeil charnel,
L'éternelle pensée en spectacle éternel ?
Si c'est pour qu'en ce siècle où la loi tombe en cendre
L'homme passe sans voir, sans croire, sans comprendre,
Sans rien chercher dans l'ombre, et sans lever les yeux
Vers les conseils divins qui flottent dans les cieux,
Sous la forme sacrée ou sous l'éclatant voile
Tantôt d'une nuée et tantôt d'une étoile !
Si c'est pour que ce temps fasse, en son morne ennui,
De l'opprimé d'hier l'oppresseur d'aujourd'hui ;
Pour que l'on s'entre-déchire à propos de cent rêves ;
Pour que le peuple, foule où dorment tant de sèves,
Aussi bien que les rois, - grave et haute leçon ! -
Ait la brutalité pour dernière raison,
Et réponde, troupeau qu'on tue ou qui lapide,
À l'aveugle boulet par le pavé stupide !
Si c'est pour que l'émeute ébranle la cité !
Pour que tout soit tyran, même la liberté !
Si c'est pour que l'honneur des anciens gentilshommes,
Aux projets des partis s'attelle tristement ;
Si c'est pour qu'à sa haine on ajoute un serment
Comme à son vieux poignard on remet une lame ;
Si c'est pour que le prince, homme né d'une femme,
Né pour briller bien vite et pour vivre bien peu,
S'imagine être roi comme vous êtes Dieu !
Si c'est pour que la joie aux justes soit ravie ;
Pour que l'iniquité règne, pour que l'envie,
Emplissant tant de fronts de brasiers dévorants,
Fasse petits des coeurs que l'amour ferait grands !
Si c'est pour que le prêtre, infirme et triste apôtre,
Marche avec ses deux yeux, ouvrant l'un fermant l'autre,
Insulte à la nature au nom du verbe écrit,
Et ne comprenne pas qu'ici tout est l'esprit,
Que Dieu met comme en nous son souffle dans l'argile,
Et que l'arbre et la fleur commentent l'Évangile !
Si c'est pour que personne enfin, grand ou petit,
Pas même le vieillard que l'âge appesantit,
Personne, du tombeau sondant les avenues,
N'ait l'austère souci des choses inconnues,
Et que, pareil au boeuf par l'instinct assoupi,
Chacun trace un sillon sans songer à l'épi !
Car l'humanité, morne et manquant de prophètes,
Perd l'admiration des oeuvres que vous faites ;
L'homme ne sent plus luire en son coeur triomphant
Ni l'aube, ni le lys, ni l'ange, ni l'enfant,
Ni l'âme, ce rayon fait de lumière pure,
Ni la création, cette immense figure !

De là vient que souvent je rêve et que je dis :
- Est-ce que nous serions condamnés et maudits ?
Est-ce que ces vivants, chétivement prospères,
Seraient déshérités du souffle de leurs pères ?
Ô Dieu ! considérez les hommes de ce temps,
Aveugles, **** de vous sous tant d'ombre flottants.
Éteignez vos soleils, ou rallumez leur flamme !
Reprenez votre monde, ou donnez-leur une âme !

Juin 1839.
Amour qui ruisselais de flammes et de lait,

Qu'est devenu ce temps, et comme est-ce qu'elle est,

La constance sacrée au chrême des promesses ?

Elle ressemble une putain dont les prouesses

Empliraient cent bidets de futurs foetus froids ;

Et le temps a crû mais pire, tels les effrois

D'un polype grossi d'heure en heure et qui pète.

Lâches, nous ! de nous être ainsi lâchés !

« Arrête !

Dit quelqu'un de dedans le sein. C'est bien la loi.

On peut mourir pour telle ou tel, on vit pour soi,

Même quand on voudrait vivre pour tel ou telle !

Et puis l'heure sévère, ombre de la mortelle,

S'en vient déjà couvrir les trois quarts du cadran.

Il faut, dès ce jourd'hui, renier le tyran

Plaisir, et se complaire aux prudents hyménées,

Quittant le souvenir des heures entraînées

Et des gens. Et voilà la norme et le flambeau.

Ce sera bien. »

L'Amour :

« Ce ne serait pas beau. »
I.

Mon âme est faite ainsi que jamais ni l'idée,
Ni l'homme, quels qu'ils soient, ne l'ont intimidée ;
Toujours mon cœur, qui n'a ni bible ni Coran,
Dédaigna le sophiste et brava le tyran ;
Je suis sans épouvante étant sans convoitise ;
La peur ne m'éteint pas et l'honneur seul m'attise ;
J'ai l'ankylose altière et lourde du rocher ;
Il est fort malaisé de me faire marcher
Par désir en avant ou par crainte en arrière ;
Je résiste à la force et cède à la prière,
Mais les biens d'ici-bas font sur moi peu d'effet ;
Et je déclare, amis, que je suis satisfait,
Que mon ambition suprême est assouvie,
Que je me reconnais payé dans cette vie,
Et que les dieux cléments ont comblé tous mes veux.
Tant que sur cette terre, où vraiment je ne veux
Ni socle olympien, ni colonne trajane,
On ne m'ôtera pas le sourire de Jeanne.
J'ai mal dormi. C'est votre faute.
J'ai rêvé que, sur des sommets,
Nous nous promenions côte à côte,
Et vous chantiez, et tu m'aimais.

Mes dix-neuf ans étaient la fête
Qu'en frissonnant je vous offrais ;
Vous étiez belle et j'étais bête
Au fond des bois sombres et frais.

Je m'abandonnais aux ivresse ;
Au-dessus de mon front vivant
Je voyais fuir les molles tresses
De l'aube, du rêve et du vent.

J'étais ébloui, beau, superbe ;
Je voyais des jardins de feu,
Des nids dans l'air, des fleurs dans l'herbe,
Et dans un immense éclair, Dieu.

Mon sang murmurait dans mes tempes
Une chanson que j'entendais ;
Les planètes étaient mes lampes ;
J'étais archange sous un dais.

Car la jeunesse est admirable,
La joie emplit nos seins hardis ;
Et la femme est le divin diable
Qui taquine ce paradis.

Elle tient un fruit qu'elle achève
Et qu'elle mord, ange et tyran ;
Ce qu'on nomme la pomme d'Ève,
Tristes cieux ! c'est le coeur d'Adam.

J'ai toute la nuit eu la fièvre.
Je vous adorais en dormant ;
Le mot amour sur votre lèvre
Faisait un vague flamboiement.

Pareille à la vague où l'oeil plonge,
Votre gorge m'apparaissait
Dans une nudité de songe,
Avec une étoile au corset.

Je voyais vos jupes de soie,
Votre beauté, votre blancheur ;
J'ai jusqu'à l'aube été la proie
De ce rêve mauvais coucheur.

Vous aviez cet air qui m'enchante ;
Vous me quittiez, vous me preniez ;
Vous changiez d'amours, plus méchante
Que les tigres calomniés.

Nos âmes se sont dénouées,
Et moi, de souffrir j'étais las ;
Je me mourais dans des nuées
Où je t'entendais rire, hélas !

Je me réveille, et ma ressource
C'est de ne plus penser à vous,
Madame, et de fermer la source
Des songes sinistres et doux.

Maintenant, calmé, je regarde,
Pour oublier d'être jaloux,
Un tableau qui dans ma mansarde
Suspend Venise à quatre clous.

C'est un cadre ancien qu'illumine,
Sous de grands arbres, jadis verts,
Un soleil d'assez bonne mine
Quoique un peu mangé par les vers.

Le paysage est plein d'amantes,
Et du vieux sourire effacé
De toutes les femmes charmantes
Et cruelles du temps passé.

Sans les éteindre, les années
Ont couvert de molles pâleurs
Les robes vaguement traînées
Dans de la lumière et des fleurs.

Un bateau passe. Il porte un groupe
Où chante un prélat violet ;
L'ombre des branches se découpe
Sur le plafond du tendelet.

À terre, un pâtre, aimé des muses,
Qui n'a que la peau sur les os,
Regarde des choses confuses
Dans le profond ciel, plein d'oiseaux.
Ô sainte horreur du mal ! Devoir funèbre ! Ô haine !
Quand Virgile suspend la chèvre au blanc troëne ;
Quand Lucrèce revêt de feuilles l'homme nu ;
Quand Ennius compare au satyre cornu
Le bouc passant sa tête à travers la broussaille
Qui fait qu'Europe au bain se détourne et tressaille ;
Quand Moschus chante Enna ; quand Horace gaîment
Suit Canidie, et fait, sur le chaudron fumant
Où l'horreur de la lune et des tombeaux s'infiltre,
Éternuer Priape à l'âcre odeur du philtre ;
Quand Plaute bat Davus ou raille Amphitryon,
Le ciel bleu dans un coin brille et jette un rayon
Sur la baigneuse émue ou la chèvre qui grimpe,
Et l'on entend au fond rire l'immense Olympe.
Mais tout azur s'éclipse où passent les vengeurs.
Les soupiraux d'en bas teignent de leurs rougeurs
Le mur sinistre auquel s'adosse Jérémie.
Les punisseurs sont noirs. Leur pâle et grave amie,
La Mort, leur met la main sur l'épaule, et leur dit :
- Esprit, ne laisse pas échapper ton bandit.
Car ce sont eux qui, seuls, justiciers des abîmes,
Terrassent à jamais les monstres et les crimes ;
Car ils sont les géants des châtiments de Dieu ;
Car, sur des écriteaux d'acier en mots de feu,
Du tonnerre escortés, ces hommes formidables
Transcrivent de là-haut les arrêts insondables ;
Car ils mettent Achab et Tibère au poteau ;
Car l'un porte l'éclair, l'autre tient le marteau ;
Ils marchent, affichant des sentences que l'homme
Lit effaré, sur Tyr, sur Ninive, sur Rome,
Et, sombres, à travers les siècles effrayés,
Vont, et ces foudroyants traînent leurs foudroyés.
Isaïe, accoudé sur Babylone athée,
Songe ; Eschyle, vengeur et fils de Prométhée,
Cloue au drame d'airain le tyran Jupiter ;
Shakespeare mène en laisse Henri huit ; et Luther
Fouette les Borgia mêlés aux Louis onze ;
Tacite dans la nuit pose son pied de bronze
Sur les douze dragons qu'on appelle Césars ;
Daniel va, suivi des blêmes Balthazars ;
Machiavel pensif garde la bête prince ;
Milton veille au guichet du cachot, gouffre où grince
Le pandaemonium de tous les Satans rois ;
Juvénal tire et traîne à travers les effrois
La stryge au double front que son vers a tuée,
Qui gronde impératrice et rit prostituée ;
Et Dante tient le bout de la chaîne de fer
Que Judas rêveur mord dans l'ombre de l'enfer.

Le 17 février 1854.
IV.

Ô noirs événements, vous fuyez dans la nuit !
L'empereur mort tomba sur l'empire détruit.
Napoléon alla s'endormir sous le saule.
Et les peuples alors, de l'un à l'autre pôle,
Oubliant le tyran, s'éprirent du héros.
Les poètes, marquant au front les rois bourreaux,
Consolèrent, pensifs, cette gloire abattue.
À la colonne veuve on rendit sa statue.
Quand on levait les yeux, on le voyait debout
Au-dessus de Paris, serein, dominant tout,
Seul, le jour dans l'azur et la nuit dans les astres.
Panthéons, on grava son nom sur vos pilastres !
On ne regarda plus qu'un seul côté des temps,
On ne se souvint plus que des jours éclatants
Cet homme étrange avait comme enivré l'histoire
La justice à l'œil froid disparut sous sa gloire ;
On ne vit plus qu'Eylau, Ulm, Arcole, Austerlitz ;
Comme dans les tombeaux des romains abolis,
On se mit à fouiller dans ces grandes années
Et vous applaudissiez, nations inclinées,
Chaque fois qu'on tirait de ce sol souverain
Ou le consul de marbre ou l'empereur d'airain !

Jersey, du 25 au 30 novembre 1852.
France ! à l'heure où tu te prosternes,
Le pied d'un tyran sur ton front,
La voix sortira des cavernes
Les enchaînés tressailleront.

Le banni, debout sur la grève,
Contemplant l'étoile et le flot,
Comme ceux qu'on entend en rêve,
Parlera dans l'ombre tout haut ;

Et ses paroles qui menacent,
Ses paroles dont l'éclair luit,
Seront comme des mains qui passent
Tenant des glaives dans la nuit.

Elles feront frémir les marbres
Et les monts que brunit le soir,
Et les chevelures des arbres
Frissonneront sous le ciel noir ;

Elles seront l'airain qui sonne,
Le cri qui chasse les corbeaux,
Le souffle inconnu dont frissonne
Le brin d'herbe sur les tombeaux ;

Elles crieront : Honte aux infâmes,
Aux oppresseurs, aux meurtriers !
Elles appelleront les âmes
Comme on appelle des guerriers !

Sur les races qui se transforment,
Sombre orage, elles planeront ;
Et si ceux qui vivent s'endorment,
Ceux qui sont morts s'éveilleront.

Jersey, août 1853.
Irena Aug 2018
Are we going to build
a new world
upon these cracked fondations
A new religion
in these destroyed temples
I am waiting for you
by this altar
covered in the scent
of a thousand faded candles
Like a sacrifice,
with noone to be sacrificed to
Like a believer
with noone to pray to

Now all fades
The moon from which
we stole silver in the quiet nights
now moves to another sky
and takes all the stars
with her
With dawn the sun shall go
We are condemned to darkness
and exile

Tell me
Have we sinned
All we did was love
And if love can be a tyran
isn't then life as same as death
A kiss same as a whip
and how can we build now
A new world upon these scatered grounds
A new religion in these destroyed temples
On a peur, tant elle est belle !
Fût-on don Juan ou Caton.
On la redoute rebelle ;
Tendre, que deviendrait-on ?

Elle est joyeuse et céleste !
Elle vient de ce Brésil
Si doré qu'il fait du reste
De l'univers un exil.

À quatorze ans épousée,
Et veuve au bout de dix mois.
Elle a toute la rosée
De l'aurore au fond des bois.

Elle est vierge ; à peine née.
Son mari fut un vieillard ;
Dieu brisa cet hyménée
De Trop tôt avec Trop ****.

Apprenez qu'elle se nomme
Doña Rosita Rosa ;
Dieu, la destinant à l'homme,
Aux anges la refusa.

Elle est ignorante et libre,
Et sa candeur la défend.
Elle a tout, accent qui vibre,
Chanson triste et rire enfant,

Tout, le caquet, le silence,
Ces petits pieds familiers
Créés pour l'invraisemblance
Des romans et des souliers,

Et cet air des jeunes Èves
Qu'on nommait jadis fripon,
Et le tourbillon des rêves
Dans les plis de son jupon.

Cet être qui nous attire,
Agnès cousine d'Hébé,
Enivrerait un satyre,
Et griserait un abbé.

Devant tant de beautés pures,
Devant tant de frais rayons,
La chair fait des conjectures
Et l'âme des visions.

Au temps présent l'eau saline,
La blanche écume des mers
S'appelle la mousseline ;
On voit Vénus à travers.

Le réel fait notre extase ;
Et nous serions plus épris
De voir Ninon sous la gaze
Que sous la vague Cypris.

Nous préférons la dentelle
Au flot diaphane et frais ;
Vénus n'est qu'une immortelle ;
Une femme, c'est plus près.

Celle-ci, vers nous conduite
Comme un ange retrouvé,
Semble à tous les coeurs la suite
De leur songe inachevé.

L'âme admire, enchantée
Par tout ce qu'a de charmant
La rêverie ajoutée
Au vague éblouissement.

Quel danger ! on la devine.
Un nimbe à ce front vermeil !
Belle, on la rêve divine,
Fleur, on la rêve soleil.

Elle est lumière, elle est onde,
On la contemple. On la croit
Reine et fée, et mer profonde
Pour les perles qu'on y voit.

Gare, Arthur ! gare, Clitandre !
Malheur à qui se mettait
À regarder d'un air tendre
Ce mystérieux attrait !

L'amour, où glissent les âmes,
Est un précipice ; on a
Le vertige au bord des femmes
Comme au penchant de l'Etna.

On rit d'abord. Quel doux rire !
Un jour, dans ce jeu charmant,
On s'aperçoit qu'on respire
Un peu moins facilement.

Ces feux-là troublent la tête.
L'imprudent qui s'y chauffait
S'éveille à moitié poète
Et stupide tout à fait.

Plus de joie. On est la chose
Des tourments et des amours.
Quoique le tyran soit rose,
L'esclavage est noir toujours.

On est jaloux ; travail rude !
On n'est plus libre et vivant,
Et l'on a l'inquiétude
D'une feuille dans le vent.

On la suit, pauvre jeune homme !
Sous prétexte qu'il faut bien
Qu'un astre ait un astronome
Et qu'une femme ait un chien.

On se pose en loup fidèle ;
On est bête, on s'en aigrit,
Tandis qu'un autre, auprès d'elle,
Aimant moins, a plus d'esprit.

Même aux bals et dans les fêtes,
On souffre, fût-on vainqueur ;
Et voilà comment sont faites
Les aventures du coeur.

Cette adolescente est sombre
À cause de ses quinze ans
Et de tout ce qu'on voit d'ombre
Dans ses beaux yeux innocents.

On donnerait un empire
Pour tous ces chastes appas ;
Elle est terrible ; et le pire,
C'est qu'elle n'y pense pas.
Qu'est-ce que Dieu fait donc de ce flot d'anathèmes
Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins ?
Comme un tyran gorgé de viande et de vins,
Il s'endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes.

Les sanglots des martyrs et des suppliciés
Sont une symphonie enivrante sans doute,
Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte,
Les cieux ne s'en sont point encore rassasiés !

Ah ! Jésus, souviens-toi du jardin des Olives !
Dans ta simplicité tu priais à genoux
Celui qui dans son ciel riait au bruit des clous
Que d'ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives,

Lorsque tu vis cracher sur ta divinité
La crapule du corps de garde et des cuisines,
Et lorsque tu sentis s'enfoncer les épines
Dans ton crâne où vivait l'immense Humanité ;

Quand de ton corps brisé la pesanteur horrible
Allongeait tes deux bras distendus, que ton sang
Et ta sueur coulaient de ton front pâlissant,
Quand tu fus devant tous posé comme une cible,

Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beaux
Où tu vins pour remplir l'éternelle promesse,
Où tu foulais, monté sur une douce ânesse,
Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux,

Où, le coeur tout gonflé d'espoir et de vaillance,
Tu fouettais tous ces vils marchands à tour de bras,
Où tu fus maître enfin ? Le remords n'a-t-il pas
Pénétré dans ton flanc plus avant que la lance ?

- Certes, je sortirai, quant à moi, satisfait
D'un monde où l'action n'est pas la soeur du rêve ;
Puissé-je user du glaive et périr par le glaive !
Saint Pierre a renié Jésus... il a bien fait.
Un jour je vis le sang couler de toutes parts ;
Un immense massacre était dans l'ombre épars ;
Et l'on tuait. Pourquoi ? Pour tuer. Ô misère !
Voyant cela, je crus qu'il était nécessaire
Que quelqu'un élevât la voix, et je parlai.
Je dis que Montrevel et Bâville et Harlay
N'étaient point de ce siècle, et qu'en des jours de trouble
Par la noirceur de tous l'obscurité redouble ;
J'affirmai qu'il est bon d'examiner un peu
Avant de dire En joue et de commander Feu !
Car épargner les fous, même les téméraires,
A ceux qu'on a vaincus montrer qu'on est leurs frères,
Est juste et sage ; il faut s'entendre, il faut s'unir ;
Je rappelai qu'un Dieu nous voit, que l'avenir,
Sombre lorsqu'on se hait, s'éclaire quand on s'aime,
Et que le malheur croit pour celui qui le sème ;
Je déclarai qu'on peut tout calmer par degrés ;
Que des assassinats ne sont point réparés
Par un crime nouveau que sur l'autre on enfonce ;
Qu'on ne fait pas au meurtre une bonne réponse
En mitraillant des tas de femmes et d'enfants ;
Que changer en bourreaux des soldats triomphants,
C'est leur faire une gloire où la honte surnage ;
Et, pensif, je me mis en travers du carnage.
Triste, n'approuvant pas la grandeur du linceul,
Estimant que la peine est au coupable seul,
Pensant qu'il ne faut point, hélas ! jeter le crime
De quelques-uns sur tous, et punir par l'abîme
Paris, un peuple, un monde, su hasard châtié,
Je dis : Faites justice, oui, mais ayez pitié !
Alors je fus l'objet de la haine publique.
L'église m'a lancé l'anathème biblique,
Les rois l'expulsion, les passants des cailloux ;
Quiconque a de la boue en a jeté ; les loups,
Les chiens, ont aboyé derrière moi ; la foule
M'a hué presque autant qu'un tyran qui s'écroule ;
On m'a montré le poing dans la rue ; et j'ai dû
Voir plus d'un vieil ami m'éviter éperdu.
Les tueurs souriants et les viveurs féroces,
Ceux qui d'un tombereau font suivre leurs carrosses,
Les danseurs d'autrefois, égorgeurs d'à présent,
Ceux qui boivent du vin de Champagne et du sang,
Ceux qui sont élégants tout en étant farouches,
Les Haynau, les Tavanne, ayant d'étranges mouches,
Noires, que le charnier connaît, sur leur bâton,
Les improvisateurs des feux de peloton,
Le juge Lynch, le roi Bomba, Mingrat le prêtre,
M'ont crié : Meurtrier ! et Judas m'a dit : Traître !

— The End —