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Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé

Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche

Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août

J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa.
I.

Canaris ! Canaris ! pleure ! cent vingt vaisseaux !
Pleure ! Une flotte entière ! - Où donc, démon des eaux,
Où donc était ta main hardie ?
Se peut-il que sans toi l'ottoman succombât ?
Pleure ! comme Crillon exilé d'un combat,
Tu manquais à cet incendie !

Jusqu'ici, quand parfois la vague de tes mers
Soudain s'ensanglantait, comme un lac des enfers,
D'une lueur large et profonde,
Si quelque lourd navire éclatait à nos yeux
Couronné tout à coup d'une aigrette de feux,
Comme un volcan s'ouvrant dans l'onde ;

Si la lame roulait turbans, sabres courbés,
Voiles, tentes, croissants des mâts rompus tombés,
Vestiges de flotte et d'armée,
Pelisses de vizirs, sayons de matelots,
Rebuts stigmatisés de la flamme et des flots,
Blancs d'écume et noirs de fumée ;

Si partait de ces mers d'Egine ou d'Iolchos
Un bruit d'explosion, tonnant dans mille échos
Et roulant au **** dans l'espace,
L'Europe se tournait vers le rougo Orient ;
Et, sur la poupe assis, le nocher souriant
Disait : - C'est Canaris qui passe !

Jusqu'ici quand brûlaient au sein des flots fumants
Les capitans-pachas avec leurs armements,
Leur flotte dans l'ombre engourdie,
On te reconnaissait à ce terrible jeu ;
Ton brûlot expliquant tous ces vaisseaux en feu ;
Ta torche éclairait l'incendie !

Mais pleure aujourd'hui, pleure, on s'est battu sans toi !
Pourquoi, sans Canaris, sur ces flottes, pourquoi
Porter la guerre et ses tempêtes ?
Du Dieu qui garde Hellé n'est-il plus le bras droit ?
On aurait dû l'attendre ! Et n'est-il pas de droit
Convive de toutes ces fêtes ?

II.

Console-toi ! la Grèce est libre.
Entre les bourreaux, les mourants,
L'Europe a remis l'équilibre ;
Console-toi ! plus de tyrans !
La France combat : le sort change.
Souffre que sa main qui vous venge
Du moins te dérobe en échange
Une feuille de ton laurier.
Grèces de Byron et d'Homère,
Toi, notre sœur, toi, notre mère,
Chantez ! si votre voix amère
Ne s'est pas éteinte à crier.

Pauvre Grèce, qu'elle était belle,
Pour être couchée au tombeau !
Chaque vizir de la rebelle
S'arrachait un sacré lambeau.
Où la fable mit ses ménades,
Où l'amour eut ses sérénades,
Grondaient les sombres canonnades
Sapant les temps du vrai Dieu ;
Le ciel de cette terre aimée
N'avait, sous sa voûte embaumée,
De nuages que la fumée
De toutes ses villes en feu.

Voilà six ans qu'ils l'ont choisie !
Six ans qu'on voyait accourir
L'Afrique au secours de l'Asie
Contre un peuple instruit à mourir.
Ibrahim, que rien ne modère,
Vole de l'Isthme au Belvédère,
Comme un faucon qui n'a plus d'aire,
Comme un loup qui règne au bercail ;
Il court où le butin le tente,
Et lorsqu'il retourne à sa tente,
Chaque fois sa main dégouttante
Jette des têtes au sérail !

III.

Enfin ! - C'est Navarin, la ville aux maisons peintes,
La ville aux dômes d'or, la blanche Navarin,
Sur la colline assise entre les térébinthes,
Qui prête son beau golfe aux ardentes étreintes
De deux flottes heurtant leurs carènes d'airain.

Les voilà toutes deux ! - La mer en est chargée,
Prête à noyer leurs feux, prête à boire leur sang.
Chacune par son dieu semble au combat rangée ;
L'une s'étend en croix sur les flots allongée,
L'autre ouvre ses bras lourds et se courbe en croissant.

Ici, l'Europe : enfin ! l'Europe qu'on déchaîne,
Avec ses grands vaisseaux voguant comme des tours.
Là, l'Egypte des Turcs, cette Asie africaine,
Ces vivaces forbans, mal tués par Duquesne,
Qui mit en vain le pied sur ces nids de vautours.

IV.

Ecoutez ! - Le canon gronde.
Il est temps qu'on lui réponde.
Le patient est le fort.
Eclatent donc les bordées !
Sur ces nefs intimidées,
Frégates, jetez la mort !
Et qu'au souffle de vos bouches
Fondent ces vaisseaux farouches,
Broyés aux rochers du port !

La bataille enfin s'allume.
Tout à la fois tonne et fume.
La mort vole où nous frappons.
Là, tout brûle pêle-mêle.
Ici, court le brûlot frêle
Qui jette aux mâts ses crampons
Et, comme un chacal dévore
L'éléphant qui lutte encore,
Ronge un navire à trois ponts.

- L'abordage ! l'abordage ! -
On se suspend au cordage,
On s'élance des haubans.
La poupe heurte la proue.
La mêlée a dans sa roue
Rameurs courbés sur leurs bancs
Fantassins cherchant la terre,
L'épée et le cimeterre,
Les casques et les turbans.

La vergue aux vergues s'attache ;
La torche insulte à la hache ;
Tout s'attaque en même temps.
Sur l'abîme la mort nage.
Epouvantable carnage !
Champs de bataille flottants
Qui, battus de cent volées,
S'écroulent sous les mêlées,
Avec tous les combattants.

V.

Lutte horrible ! Ah ! quand l'homme, à l'étroit sur la terre,
Jusque sur l'Océan précipite la guerre,
Le sol tremble sous lui, tandis qu'il se débat.
La mer, la grande mer joue avec ses batailles.
Vainqueurs, vaincus, à tous elle ouvre ses entrailles.
Le naufrage éteint le combat.

Ô spectacle ! Tandis que l'Afrique grondante
Bat nos puissants vaisseaux de sa flotte imprudente,
Qu'elle épuise à leurs flancs sa rage et ses efforts,
Chacun d'eux, géant fier, sur ces hordes bruyantes,
Ouvrant à temps égaux ses gueules foudroyantes,
***** tranquillement la mort de tous ses bords.

Tout s'embrase : voyez ! l'eau de centre est semée,
Le vent aux mâts en flamme arrache la fumée,
Le feu sur les tillacs s'abat en ponts mouvants.
Déjà brûlent les nefs ; déjà, sourde et profonde,
La flamme en leurs flancs noirs ouvre un passage à l'onde ;
Déjà, sur les ailes des vents,

L'incendie, attaquant la frégate amirale,
Déroule autour des mâts sont ardente spirale,
Prend les marins hurlants dans ses brûlants réseaux,
Couronne de ses jets la poupe inabordable,
Triomphe, et jette au **** un reflet formidable
Qui tremble, élargissant ses cercles sur les eaux.

VI.

Où sont, enfants du Caire,
Ces flottes qui naguère
Emportaient à la guerre
Leurs mille matelots ?
Ces voiles, où sont-elles,
Qu'armaient les infidèles,
Et qui prêtaient leurs ailes
A l'ongle des brûlots ?

Où sont tes mille antennes,
Et tes hunes hautaines,
Et tes fiers capitaines,
Armada du sultan ?
Ta ruine commence,
Toi qui, dans ta démence,
Battais les mers, immense
Comme Léviathan !

Le capitan qui tremble
Voit éclater ensemble
Ces chébecs que rassemble
Alger ou Tetuan.
Le feu vengeur embrasse
Son vaisseau dont la masse
Soulève, quand il passe,
Le fond de l'Océan.

Sur les mers irritées,
Dérivent, démâtées,
Nefs par les nefs heurtées,
Yachts aux mille couleurs,
Galères capitanes,
Caïques et tartanes
Qui portaient aux sultanes
Des têtes et des fleurs.

Adieu, sloops intrépides,
Adieu, jonques rapides,
Qui sur les eaux limpides
Berçaient les icoglans !
Adieu la goëlette
Dont la vague reflète
Le flamboyant squelette,
Noir dans les feux sanglants !

Adieu la barcarolle
Dont l'humble banderole
Autour des vaisseaux vole,
Et qui, peureuse, fuit,
Quand du souffle des brises
Les frégates surprises,
Gonflant leurs voiles grises,
Déferlent à grand bruit !

Adieu la caravelle
Qu'une voile nouvelle
Aux yeux de **** révèle ;
Adieu le dogre ailé,
Le brick dont les amures
Rendent de sourds murmures,
Comme un amas d'armures
Par le vent ébranlé !

Adieu la brigantine,
Dont la voile latine
Du flot qui se mutine
Fend les vallons amers !
Adieu la balancelle
Qui sur l'onde chancelle,
Et, comme une étincelle,
Luit sur l'azur des mers !

Adieu lougres difformes,
Galéaces énormes,
Vaisseaux de toutes formes,
Vaisseaux de tous climats,
L'yole aux triples flammes,
Les mahonnes, les prames,
La felouque à six rames,
La polacre à deux mâts !

Chaloupe canonnières !
Et lanches marinières
Où flottaient les bannières
Du pacha souverain !
Bombardes que la houle,
Sur son front qui s'écroule,
Soulève, emporte et roule
Avec un bruit d'airain !

Adieu, ces nefs bizarres,
Caraques et gabarres,
Qui de leurs cris barbares
Troublaient Chypre et Délos !
Que sont donc devenues
Ces flottes trop connues ?
La mer les jette aux nues,
Le ciel les rend aux flots !

VII.

Silence ! Tout est fait. Tout retombe à l'abîme.
L'écume des hauts mâts a recouvert la cime.
Des vaisseaux du sultan les flots se sont joués.
Quelques-uns, bricks rompus, prames désemparées,
Comme l'algue des eaux qu'apportent les marées,
Sur la grève noircie expirent échoués.

Ah ! c'est une victoire ! - Oui, l'Afrique défaite,
Le vrai Dieu sous ses pieds foulant le faux prophète,
Les tyrans, les bourreaux criant grâce à leur tour,
Ceux qui meurent enfin sauvés par ceux qui règnent,
Hellé lavant ses flancs qui saignent,
Et six ans vengés dans un jour !

Depuis assez longtemps les peuples disaient : « Grèce !
Grèce ! Grèce ! tu meurs. Pauvre peuple en détresse,
A l'horizon en feu chaque jour tu décroîs.
En vain, pour te sauver, patrie illustre et chère,
Nous réveillons le prêtre endormi dans sa chaire,
En vain nous mendions une armée à nos rois.

« Mais les rois restent sourds, les chaires sont muettes.
Ton nom n'échauffe ici que des cœurs de poètes.
A la gloire, à la vie on demande tes droits.
A la croix grecque, Hellé, ta valeur se confie.
C'est un peuple qu'on crucifie !
Qu'importe, hélas ! sur quelle croix !

« Tes dieux s'en vont aussi. Parthénon, Propylées,
Murs de Grèce, ossements des villes mutilées,
Vous devenez une arme aux mains des mécréants.
Pour battre ses vaisseaux du haut des Dardanelles,
Chacun de vos débris, ruines solennelles,
Donne un boulet de marbre à leurs canons géants ! »

Qu'on change cette plainte en joyeuse fanfare !
Une rumeur surgit de l'Isthme jusqu'au Phare.
Regardez ce ciel noir plus beau qu'un ciel serein.
Le vieux colosse turc sur l'Orient retombe,
La Grèce est libre, et dans la tombe
Byron applaudit Navarin.

Salut donc, Albion, vieille reine des ondes !
Salut, aigle des czars qui planes sur deux mondes !
Gloire à nos fleurs de lys, dont l'éclat est si beau !
L'Angleterre aujourd'hui reconnaît sa rivale.
Navarin la lui rend. Notre gloire navale
A cet embrasement rallume son flambeau.

Je te retrouve, Autriche ! - Oui, la voilà, c'est elle !
Non pas ici, mais là, - dans la flotte infidèle.
Parmi les rangs chrétiens en vain on te cherchera.
Nous surprenons, honteuse et la tête penchée,
Ton aigle au double front cachée
Sous les crinières d'un pacha !

C'est bien ta place, Autriche ! - On te voyait naguère
Briller près d'Ibrahim, ce Tamerlan vulgaire ;
Tu dépouillais les morts qu'il foulait en passant ;
Tu l'admirais, mêlée aux eunuques serviles
Promenant au hasard sa torche dans les villes,
Horrible et n'éteignant le feu qu'avec du sang.

Tu préférais ces feux aux clartés de l'aurore.
Aujourd'hui qu'à leur tour la flamme enfin dévore
Ses noirs vaisseaux, vomis des ports égyptiens,
Rouvre les yeux, regarde, Autriche abâtardie !
Que dis-tu de cet incendie ?
Est-il aussi beau que les siens ?

Le 23 novembre 1827.
Craig Verlin Jan 2013
driving down the street
weaving through cars
and people and cars and people
the **** AC is broken
and the heat is oppressive
melting through reality
down to white lines
on asphalt
and all roads lead toward madness
windows down
the whole world
drags
and *****
in the summertime
some *******
speaks salvation through
tin can speakers
unexpected absolution
nineteen ninety-nine
for a limited time
and the heat makes it Christ
through the static
and the birds don’t sing
it's so **** hot
or maybe they just
want Christ too
the red nissan ahead
billowing with bumper stickers
and *******
brakes too fast
all these ******* people
all these ******* roads
and all roads lead toward madness
the whole world is in on it
sweating and spitting
suckling away at our high octane
addiction
3.69 a gallon
can you feel the buzz
Christ has left the airwaves
and now its life insurance
a happy guarantee
once your gone at least you’ll be
worth something
but probably nothing
on these roads toward madness
the trees bend under the weight
of the sun
stars explode
and no one notices
except the dead
staring forever upwards
and i’m almost there
almost there
men in black ties
woman with car seated children
screaming their own obscenities to the universe
kids blasting music to erase
their own depraved silence
the list of offenses
goes on and on
everyone on the road
got to be somewhere
got to do something
or else nowhere
nothing
with the sun bearing down
closer closer closer
burning our throats
tick ticking towards
that sold out salvation
act now or you’ll miss
1-800-holy-ghost
tick tick tick
the line is busy
the cars arent moving
the heat has gutted my soul
tick tick tick
the dead see it and maybe
the birds see it
but no one else sees it
tick tick tick
as we strugggle inches
down the street
so hot
so incredibly hot
stars explode
all roads lead toward madness
and its hot
Christ is gone again
all roads lead
Christ is gone
toward madness
gone.


tuez-les tous, dieu reconnaitra les siens
Pour boire dessus l'herbe tendre
Je veux sous un laurier m'étendre,
Et veux qu'Amour, d'un petit brin
Ou de lin ou de chènevière
Trousse au flanc sa robe légère,
Et, mi-nue, me verse du vin.

L'incertaine vie de l'homme
De jour en jour se roule comme
Aux rives se roulent les flots :
Puis après notre heure dernière
Rien de nous ne reste en la bière
Qu'une vieille carcasse d'os.

Je ne veux, selon la coutume,
Que d'encens ma tombe on parfume,
Ni qu'on y verse des odeurs ;
Mais tandis que je suis en vie,
J'ai de me parfumer envie,
Et de me couronner de fleurs,

De moi-même je me veux faire
L'héritier pour me satisfaire ;
Je ne veux vivre pour autrui.
Fol le Pélican qui se blesse
Pour les siens, et fol qui se laisse
Pour les siens travailler d'ennui.
Un paon faisait la roue, et les autres oiseaux
Admiraient son brillant plumage.
Deux oisons nasillards du fond d'un marécage
Ne remarquaient que ses défauts.
Regarde, disait l'un, comme sa jambe est faite,
Comme ses pieds sont plats, hideux.
Et son cri, disait l'autre, est si mélodieux,
Qu'il fait fuir jusqu'à la chouette.
Chacun riait alors du mot qu'il avait dit.
Tout-à-coup un plongeon sortit :
Messieurs, leur cria-t-il, vous voyez d'une lieue
Ce qui manque à ce paon : c'est bien voir, j'en conviens ;
Mais votre chant, vos pieds, sont plus laids que les siens,
Et vous n'aurez jamais sa queue.
Tu bois, c'est hideux ! presque autant que moi.

Je bois, c'est honteux, presque plus que toi,

Ce n'est plus ce qu'on appelle une vie...

Ah ! la femme, fol, fol est qui s'y fie !


Les hommes, bravo ! c'est fier et soumis,

On peut s'y fier, voilà des amis !

Nous buvons, mais, vous mesdames, l'ivresse

Vous va moins qu'à nous, - te change en tigresse.


Moi tout au plus en un simple cochon ;

Quelque idéal sot dans mon cabochon,

Quelque bêtise en sus, quelque sottise

En outre, - mais toi, la fainéantise,


La méchanceté, l'obstination,

Un peu le vice et beaucoup l'option,

Pour être plus folle, sur ma parole !

Que ma folie à moi déjà si folle.


Ces réflexions me coûtent beaucoup,

Mais ce soir je suis d'une humeur de loup.

Excuse, si mon discours va si rogue,

Mais ce soir je suis d'une humeur de dogue.


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Bah ! buvons pas trop (s'il nous est possible),

Ma bouche est un trou, la tienne est un crible.

Dieu saura bien reconnaître les siens.

Morale : surtout baisons-nous - et viens !
Fable VII, Livre I.


Qui découvre une vérité,
A dit un grave personnage,
La gardera pour soi, s'il est quelque peu sage
Et chérit sa tranquillité.
Socrate, Galilée, et gens de cette étoffe,
Ont méconnu ce dogme, et s'en sont mal trouvés.
Quels maux n'ont-ils pas éprouvés !
D'abord c'est Anitus qui crie au philosophe ;
Mélitus applaudit ; et mon sage, en prison,
Reconnaît, mais trop ****, le tort d'avoir raison :
Socrate y but la mort : mais quoi ! son infortune,
Qui n'a fait qu'assurer son immortalité,
Pourrait-elle étonner mon intrépidité ?
Ce qu'il osa cent fois, je ne l'oserais une !  
Non, non, je veux combattre un préjugé reçu.
Dût l'Anitus du jour, aboyant au scandale,
Calomnier mes mœurs pour venger la morale,
Je rectifie un fait qu'on n'a jamais bien su ;
Des générations erreur héréditaire,
Erreur qu'avec Fréron partage aussi Voltaire ;
Polichinelle, amis, n'était pas né bossu.
L'histoire universelle affirme le contraire ;
Je le sais fort bien ; mais-qu'y faire ?
Ne pas lui céder sur ce point,
Ni sur cet autre encor : monsieur Polichinelle
Grasseyait bien un peu, mais ne bredouillait point,
Quoi qu'en ait dit aussi l'histoire universelle.
Du reste, en fait d'esprit, se croyant tout donné,
Pour avoir un peu de mémoire,
Monsieur Polichinelle, au théâtre adonné,
Fondait sur ce bel art sa fortune et sa gloire :
Il voulait l'une et l'autre. Assez mal à propos,
Un soir donc il débute en costume tragique,
Ignorant, l'idiot, qu'un habit héroïque
Veut une taille de héros.
Aussi la pourpre et l'or dont mon vilain rayonne,
Font-ils voir aux plus étourdis
Ce qui, sous ses simples habits,
N'avait encor frappé personne ;
Son dos un peu trop arrondi,
Son ventre un peu trop rebondi,
Sa figure un peu trop vermeille.
De plus, si ce n'est trop de la plus douce voix
Pour dire ces beaux vers qui charment à la fois  
L'esprit, et le cœur et l'oreille,
Imaginez-vous mon grivois
Psalmodiant Racine et grasseyant Corneille.
On n'y tint pas : il fut hué,
Siffle, bafoué, conspué.
Un autre en serait mort, ou de honte ou de rage.
Lui, plus sensé, n'en mourut pas ;
Et crut même de ce faux pas
Pouvoir tirer quelqu'avantage.
Mes défauts sont connus : pourquoi m'en affliger ?
Mieux vaudrait les mettre à la mode.
Je ne saurais les corriger,
Affichons-les ; c'est si commode !
Il est plusieurs célébrités,
Hommes de goût, gens à scrupules,
La vôtre est dans vos qualités,
La nôtre est dans nos ridicules.
Il dit, et sur son dos, qui n'était que voûté,
il ajuste une bosse énorme ;
Puis un ventre de même forme
À son gros ventre est ajouté.
**** d'imiter ce Démosthènes,
Qui, bredouilleur ambitieux,
Devant les flots séditieux,
Image du peuple d'Athènes,
S'exerçait à briser les chaînes
De son organe vicieux,
Confiait aux vents la harangue
Où des Grecs il vengeait les droits,
Et, pour mieux triompher des rois,
S'efforçait à dompter sa langue,
Polichinelle croit qu'on peut encore charmer
Sans être plus intelligible
Que tel que je pourrais nommer,
Et met son art à se former  
Un parlage un peu plus risible.
Puis, vêtu d'un habit de maint échantillon,
Il barbouille de vermillon
Sa face déjà rubiconde ;
Prend des manchettes, des sabots ;
Dit des sentences, des gros mots ;
Bref, n'omet rien pour plaire aux sots
Et plaît à presque tout le monde.
Quels succès, par les siens, ne sont pas effacés ?
Les Roussels passeront, les Janots sont passés !
Lui seul, toujours de mode, à Paris comme à Rome,
Peut se prodiguer sans s'user ;
Lui seul, toujours sûr d'amuser,
Pour les petits enfants est toujours un grand homme.
Ajoutons à ce que j'ai dit,
Que tel qui tout bas s'applaudit
De la faveur universelle,
Ne doit sa vogue et son crédit
Qu'au secret de Polichinelle.
Que je prenne un moment de repos ? Impossible.
Koran, Zend-Avesta, livres sibyllins, Bible,
Talmud, Toldos Jeschut, Védas, lois de Manou,
Brahmes sanglants, santons fléchissant le genou,
Les contes, les romans, les terreurs, les croyances,
Les superstitions fouillant les consciences,
Puis-je ne pas sentir ces creusements profonds ?
J'en ai ma part. Veaux d'or, sphinx, chimères, griffons,
Les princes des démons et les princes des prêtres,
Synodes, sanhédrins, vils muphtis, scribes traîtres,
Ceux qui des empereurs bénissaient les soldats,
Ceux que payait Tibère et qui payaient Judas,
Ceux qui tendraient encore à Socrate le verre,
Ceux qui redonneraient à Jésus le calvaire,
Tous ces sadducéens, tous ces pharisiens,
Ces anges, que Satan reconnaît pour les siens,
Tout cela, c'est partout. C'est la puissance obscure.

Plaie énorme que fait une abjecte piqûre !

Ce contre-sens : Dieu vrai, les dogmes faux ; cuisson
Du mensonge qui s'est glissé dans la raison !
Démangeaison saignante, incurable, éternelle,
Que sent l'homme en son âme et l'oiseau sous son aile !

Oh ! L'infâme travail ! Ici Mahomet ; là
Cette tête, Wesley, sur ce corps, Loyola ;
Cisneros et Calvin, dont on sent les brûlures.
Ô faux révélateurs ! Ô jongleurs ! Vos allures
Sont louches, et vos pas sont tortueux ; l'effroi,
Et non l'amour, tel est le fond de votre loi ;
Vous faites grimacer l'éternelle figure ;
Vous naissez du sépulcre, et l'on sent que l'augure
Et le devin son pleins de l'ombre du tombeau,
Et que tous ces rêveurs, compagnons du corbeau,
Tous ces fakirs d'Ombos, de Stamboul et de Rome,
N'ont pu faire tomber tant de fables sur l'homme
Qu'en secouant les plis sinistres des linceuls.
Dieu n'étant aperçu que par les astres seuls,
Les penseurs, sachant bien qu'il est là sous ses voiles,
Ont toujours conseillé d'en croire les étoiles ;
Dieu, c'est un lieu fermé dont l'aurore a la clé,
Et la religion, c'est le ciel contemplé.

Mais vous ne voulez pas, prêtres, de cette église.
Vous voulez que la terre en votre livre lise
Tous vos songes, moloch, Vénus, Ève, Astarté,
Au lieu de lire au front des cieux la vérité.
De là la foi changée en crédulité ; l'âme
Éclipsant la raison dans une sombre flamme ;
De là tant d'êtres noirs serpentant dans la nuit.

L'imposture, par qui le vrai temple est détruit,
Est un colosse fait d'un amas de pygmées ;
Les sauterelles sont d'effrayantes armées ;
Ô mages grecs, romains, payens, indous, hébreux,
Le genre humain, couvert de rongeurs ténébreux,
Sent s'élargir sur lui vos hordes invisibles ;
Vous lui faites rêver tous les enfers possibles ;
Le peuple infortuné voit dans son cauchemar
Surgir Torquemada quand disparaît Omar.
Nul répit. Vous aimez les ténèbres utiles,
Et vous y rôdez, vils et vainqueurs, ô reptiles !
Sur toute cette terre, en tous lieux, dans les bois,
Dans le lit nuptial, dans l'alcôve des rois,
Dans les champs, sous l'autel sacré, dans la cellule,
Ce qui se traîne, couve, éclôt, va, vient, pullule,
C'est vous. Vous voulez tout, vous savez tout ; damner,
Bénir, prendre, jurer, tromper, servir, régner,
Briller même ; ramper n'empêche pas de luire.
Chuchotement hideux ! Je vous entends bruire.
Vous mangez votre proie énorme avec bonheur,
Et vous vous appelez entre vous monseigneur.
L'acarus au ciron doit donner de l'altesse.
Quelles que soient votre ombre et votre petitesse,
Je devine, malgré vos soins pour vous cacher,
Que vous êtes sur nous, et je vous sens marcher
Comme on sent remuer les mineurs dans la mine,
Et je ne puis dormir, tant je hais la vermine !
Vous êtes ce qui hait, ce qui mord, ce qui ment.
Vous êtes l'implacable et noir fourmillement.
Vous êtes ce prodige affreux, l'insaisissable.
Qu'on suppose vivants tous les vils grains de sable,
Ce sera vous. Rien, tout. Zéro, des millions.
L'horreur. Moins que des vers et plus que des lions.
L'insecte formidable. Ô monstrueux contraste !
Pas de nains plus chétifs, pas de pouvoir plus vaste.
L'univers est à vous, puisque vous l'emplissez.
Vous possédez les jours futurs, les jours passés,
Le temps, l'éternité, le sommeil, l'insomnie.
Vous êtes l'innombrable, et, dans l'ombre infinie,
Fétides, sur nos peaux mêlant vos petits pas,
Vous vous multipliez ; et je ne comprends pas
Dans quel but Dieu livra les empires, le monde,
Les âmes, les enfants dressant leur tête blonde,
Les temples, les foyers, les vierges, les époux,
L'homme, à l'épouvantable immensité des poux.

Le 26 juillet 1874.
L'amour de la Patrie est le premier amour
Et le dernier amour après l'amour de Dieu.
C'est un feu qui s'allume alors que luit le jour
Où notre regard luit comme un céleste feu ;

C'est le jour baptismal aux paupières divines
De l'enfant, la rumeur de l'aurore aux oreilles
Frais écloses, c'est l'air emplissant les poitrines
En fleur, l'air printanier rempli d'odeurs vermeilles.

L'enfant grandit, il sent la terre sous ses pas
Qui le porte, le berce, et, bonne, le nourrit,
Et douce, désaltère encore ses repas
D'une liqueur, délice et gloire de l'esprit.

Puis l'enfant se fait homme ou devient jeune fille
Et cependant que croît sa chair pleine de grâce,
Son âme se répand par-delà la famille
Et cherche une âme soeur, une chair qu'il enlace ;

Et quand il a trouvé cette âme et cette chair,
Il naît d'autres enfants encore, fleurs de fleurs
Qui germeront aussi le jardin jeune et cher
Des générations d'ici, non pas d'ailleurs.

L'homme et la femme ayant l'un et l'autre leur tâche
S'en vont un peu chacun de son coté. La femme,
Gardienne du foyer tout le jour sans relâche,
La nuit garde l'honneur comme une chaste femme ;

L'homme vaque aux durs soins du dehors ; les travaux,
La parole à porter - sûr ce qu'il vaut -
Sévère et probe et douce, et rude aux discours faux,
Et la nuit le ramène entre les bras qu'il faut.

Tout deux, si pacifique est leur course terrestre,
Mourront bénis de fils et vieux dans la patrie ;
Mais que le noir démon, la guerre, essore l'oestre,
Que l'air natal s'empourpre aux fleurs de tuerie,

Que l'étranger mette son pied sur le vieux sol
Nourricier, - imitant les peuples de tous bords.
Saragosse, Moscou, le Russe, l'Espagnol,
La France de quatre-vingt-treize, l'homme alors,

Magnifié soudain, à son oeuvre se hausse,
Et tragique, et classique, et très fort, et très calme,
Lutte pour sa maison ou combat pour sa fosse,
Meurt en pensant aux siens ou leur conquiert la palme

S'il survit il reprend le train de tous les jours,
Élève ses enfants dans la crainte de Dieu
Des ancêtres, et va refleurir ses amours
Aux flancs de l'épousée éprise du fier jeu.

L'âge mûr est celui des sévères pensées,
Des espoirs soucieux, des amitiés jalouses,
C'est l'heure aussi des justes haines amassées,
Et quand sur la place publique, habits et blouses,

Les citoyens discords dans d'honnêtes combats
(Et combien douloureux à leur fraternité !)
S'arrachent les devoirs et les droits, et non pas
Pour le lucre, mais pour une stricte équité,

Il prend parti, pleurant de tuer, mais terrible
Et tuant sans merci comme en d'autres batailles,
Le sang autour de lui giclant comme d'un crible,
Une atroce fureur, pourtant sainte, aux entrailles.

Tué, son nom, célèbre ou non, reste honoré.
Proscrit ou non, il meurt heureux, dans tous les cas
D'avoir voué sa vie et tout au lieu sacré
Qui le fit homme et tout, de joyeux petit gas.
J'ai naguère habité le meilleur des châteaux

Dans le plus fin pays d'eau vive et de coteaux :

Quatre tours s'élevaient sur le front d'autant d'ailes,

Et j'ai longtemps, longtemps habité l'une d'elles.

Le mur, étant de brique extérieurement,

Luisait rouge au soleil de ce site dormant,

Mais un lait de chaux, clair comme une aube qui pleure,

Tendait légèrement la voûte intérieure.

Ô diane des yeux qui vont parler au cœur,

Ô réveil pour les sens éperdus de langueur,

Gloire des fronts d'aïeuls, orgueil jeune des branches,

Innocence et fierté des choses, couleurs blanches !

Parmi des escaliers en vrille, tout aciers

Et cuivres, luxes brefs encore émaciés,

Cette blancheur bleuâtre et si douce, à m'en croire,

Que relevait un peu la longue plinthe noire,

S'emplissait tout le jour de silence et d'air pur

Pour que la nuit y vînt rêver de pâle azur.

Une chambre bien close, une table, une chaise,

Un lit strict où l'on pût dormir juste à son aise,

Du jour suffisamment et de l'espace assez,

Tel fut mon lot durant les longs mois là passés,

Et je n'ai jamais plaint ni les mois ni l'espace,

Ni le reste, et du point de vue où je me place,

Maintenant que voici le monde de retour,

Ah vraiment, j'ai regret aux deux ans dans la tour !

Car c'était bien la paix réelle et respectable,

Ce lit dur, cette chaise unique et cette table,

La paix où l'on aspire alors qu'on est bien soi,

Cette chambre aux murs blancs, ce rayon sobre et coi,

Qui glissait lentement en teintes apaisées,

Au lieu de ce grand jour diffus de vos croisées.

Car à quoi bon le vain appareil et l'ennui

Du plaisir, à la fin, quand le malheur a lui,

(Et le malheur est bien un trésor qu'on déterre)

Et pourquoi cet effroi de rester solitaire

Qui pique le troupeau des hommes d'à présent,

Comme si leur commerce était bien suffisant ?

Questions ! Donc j'étais heureux avec ma vie,

Reconnaissant de biens que nul, certes, n'envie.

(Ô fraîcheur de sentir qu'on n'a pas de jaloux !

Ô bonté d'être cru plus malheureux que tous !)

Je partageais les jours de cette solitude

Entre ces deux bienfaits, la prière et l'étude,

Que délassait un peu de travail manuel.

Ainsi les Saints ! J'avais aussi ma part de ciel,

Surtout quand, revenant au jour, si proche encore,

Où j'étais ce mauvais sans plus qui s'édulcore

En la luxure lâche aux farces sans pardon,

Je pouvais supputer tout le prix de ce don :

N'être plus là, parmi les choses de la foule,

S'y dépensant, plutôt dupe, pierre qui roule,

Mais de fait un complice à tous ces noirs péchés,

N'être plus là, compter au rang des cœurs cachés,

Des cœurs discrets que Dieu fait siens dans le silence,

Sentir qu'on grandit bon et sage, et qu'on s'élance

Du plus bas au plus haut en essors bien réglés,

Humble, prudent, béni, la croissance des blés !

D'ailleurs nuls soins gênants, nulle démarche à faire.

Deux fois le jour ou trois, un serviteur sévère

Apportait mes repas et repartait muet.

Nul bruit. Rien dans la tour jamais ne remuait

Qu'une horloge au cœur clair qui battait à coups larges.

C'était la liberté (la seule !) sans ses charges,

C'était la dignité dans la sécurité !

Ô lieu presque aussitôt regretté que quitté,

Château, château magique où mon âme s'est faite,

Frais séjour où se vint apaiser la tempête

De ma raison allant à vau-l'eau dans mon sang,

Château, château qui luis tout rouge et dors tout blanc,

Comme un bon fruit de qui le goût est sur mes lèvres

Et désaltère encor l'arrière-soif des fièvres,

Ô sois béni, château d'où me voilà sorti

Prêt à la vie, armé de douceur et nanti

De la Foi, pain et sel et manteau pour la route

Si déserte, si rude et si longue, sans doute,

Par laquelle il faut tendre aux innocents sommets.

Et soit aimé l'Auteur de la Grâce, à jamais !
Booz s'était couché de fatigue accablé ;
Il avait tout le jour travaillé dans son aire ;
Puis avait fait son lit à sa place ordinaire ;
Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé.

Ce vieillard possédait des champs de blés et d'orge ;
Il était, quoique riche, à la justice enclin ;
Il n'avait pas de fange en l'eau de son moulin ;
Il n'avait pas d'enfer dans le feu de sa forge.

Sa barbe était d'argent comme un ruisseau d'avril.
Sa gerbe n'était point avare ni haineuse ;
Quand il voyait passer quelque pauvre glaneuse :
- Laissez tomber exprès des épis, disait-il.

Cet homme marchait pur **** des sentiers obliques,
Vêtu de probité candide et de lin blanc ;
Et, toujours du côté des pauvres ruisselant,
Ses sacs de grains semblaient des fontaines publiques.

Booz était bon maître et fidèle parent ;
Il était généreux, quoiqu'il fût économe ;
Les femmes regardaient Booz plus qu'un jeune homme,
Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand.

Le vieillard, qui revient vers la source première,
Entre aux jours éternels et sort des jours changeants ;
Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,
Mais dans l'oeil du vieillard on voit de la lumière.

Donc, Booz dans la nuit dormait parmi les siens ;
Près des meules, qu'on eût prises pour des décombres,
Les moissonneurs couchés faisaient des groupes sombres ;
Et ceci se passait dans des temps très anciens.

Les tribus d'Israël avaient pour chef un juge ;
La terre, où l'homme errait sous la tente, inquiet
Des empreintes de pieds de géants qu'il voyait,
Etait mouillée encore et molle du déluge.

Comme dormait Jacob, comme dormait Judith,
Booz, les yeux fermés, gisait sous la feuillée ;
Or, la porte du ciel s'étant entre-baillée
Au-dessus de sa tête, un songe en descendit.

Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne
Qui, sorti de son ventre, allait jusqu'au ciel bleu ;
Une race y montait comme une longue chaîne ;
Un roi chantait en bas, en haut mourait un dieu.

Et Booz murmurait avec la voix de l'âme :
" Comment se pourrait-il que de moi ceci vînt ?
Le chiffre de mes ans a passé quatre-vingt,
Et je n'ai pas de fils, et je n'ai plus de femme.

" Voilà longtemps que celle avec qui j'ai dormi,
O Seigneur ! a quitté ma couche pour la vôtre ;
Et nous sommes encor tout mêlés l'un à l'autre,
Elle à demi vivante et moi mort à demi.

" Une race naîtrait de moi ! Comment le croire ?
Comment se pourrait-il que j'eusse des enfants ?
Quand on est jeune, on a des matins triomphants ;
Le jour sort de la nuit comme d'une victoire ;

Mais vieux, on tremble ainsi qu'à l'hiver le bouleau ;
Je suis veuf, je suis seul, et sur moi le soir tombe,
Et je courbe, ô mon Dieu ! mon âme vers la tombe,
Comme un boeuf ayant soif penche son front vers l'eau. "

Ainsi parlait Booz dans le rêve et l'extase,
Tournant vers Dieu ses yeux par le sommeil noyés ;
Le cèdre ne sent pas une rose à sa base,
Et lui ne sentait pas une femme à ses pieds.

Pendant qu'il sommeillait, Ruth, une moabite,
S'était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,
Espérant on ne sait quel rayon inconnu,
Quand viendrait du réveil la lumière subite.

Booz ne savait point qu'une femme était là,
Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d'elle.
Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle ;
Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala.

L'ombre était nuptiale, auguste et solennelle ;
Les anges y volaient sans doute obscurément,
Car on voyait passer dans la nuit, par moment,
Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.

La respiration de Booz qui dormait
Se mêlait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse.
On était dans le mois où la nature est douce,
Les collines ayant des lys sur leur sommet.

Ruth songeait et Booz dormait ; l'herbe était noire ;
Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;
Une immense bonté tombait du firmament ;
C'était l'heure tranquille où les lions vont boire.

Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l'ombre
Brillait à l'occident, et Ruth se demandait,

Immobile, ouvrant l'oeil à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l'éternel été,
Avait, en s'en allant, négligemment jeté
Cette faucille d'or dans le champ des étoiles.
À François Coppée


Don Juan qui fut grand Seigneur en ce monde

Est aux enfers ainsi qu'un pauvre immonde

Pauvre, sans la barbe faite, et pouilleux,

Et si n'étaient la lueur de ses yeux

Et la beauté de sa maigre figure,

En le voyant ainsi quiconque jure

Qu'il est un gueux et non ce héros fier

Aux dames comme au poète si cher

Et dont l'auteur de ces humbles chroniques

Vous va parler sur des faits authentiques.


Il a son front dans ses mains et paraît

Penser beaucoup à quelque grand secret.


Il marche à pas douloureux sur la neige :

Car c'est son châtiment que rien n'allège

D'habiter seul et vêtu de léger

**** de tout lieu où fleurit l'oranger

Et de mener ses tristes promenades

Sous un ciel veuf de toutes sérénades

Et qu'une lune morte éclaire assez

Pour expier tous ses soleils passés.

Il songe. Dieu peut gagner, car le Diable

S'est vu réduire à l'état pitoyable

De tourmenteur et de geôlier gagé

Pour être las trop tôt, et trop âgé.

Du Révolté de jadis il ne reste

Plus qu'un bourreau qu'on paie et qu'on moleste

Si bien qu'enfin la cause de l'Enfer

S'en va tombant comme un fleuve à la mer,

Au sein de l'alliance primitive.

Il ne faut pas que cette honte arrive.


Mais lui, don Juan, n'est pas mort, et se sent

Le coeur vif comme un coeur d'adolescent

Et dans sa tête une jeune pensée

Couve et nourrit une force amassée ;

S'il est damné c'est qu'il le voulut bien,

Il avait tout pour être un bon chrétien,

La foi, l'ardeur au ciel, et le baptême,

Et ce désir de volupté lui-même,

Mais s'étant découvert meilleur que Dieu,

Il résolut de se mettre en son lieu.

À cet effet, pour asservir les âmes

Il rendit siens d'abord les cœurs des femmes.

Toutes pour lui laissèrent là Jésus,

Et son orgueil jaloux monta dessus

Comme un vainqueur foule un champ de bataille.

Seule la mort pouvait être à sa taille.

Il l'insulta, la défit. C'est alors

Qu'il vint à Dieu, lui parla face à face

Sans qu'un instant hésitât son audace.

Le défiant, Lui, son Fils et ses saints !

L'affreux combat ! Très calme et les reins ceints

D'impiété cynique et de blasphème,

Ayant volé son verbe à Jésus même,

Il voyagea, funeste pèlerin,

Prêchant en chaire et chantant au lutrin,

Et le torrent amer de sa doctrine,

Parallèle à la parole divine,

Troublait la paix des simples et noyait

Toute croyance et, grossi, s'enfuyait.


Il enseignait : « Juste, prends patience.

Ton heure est proche. Et mets ta confiance

En ton bon coeur. Sois vigilant pourtant,

Et ton salut en sera sûr d'autant.

Femmes, aimez vos maris et les vôtres

Sans cependant abandonner les autres...

L'amour est un dans tous et tous dans un,

Afin qu'alors que tombe le soir brun

L'ange des nuits n'abrite sous ses ailes

Que cœurs mi-clos dans la paix fraternelle. »


Au mendiant errant dans la forêt

Il ne donnait un sol que s'il jurait.

Il ajoutait : « De ce que l'on invoque

Le nom de Dieu, celui-ci s'en choque,

Bien au contraire, et tout est pour le mieux.

Tiens, prends, et bois à ma santé, bon vieux. »

Puis il disait : « Celui-là prévarique

Qui de sa chair faisant une bourrique

La subordonne au soin de son salut

Et lui désigne un trop servile but.

La chair est sainte ! Il faut qu'on la vénère.

C'est notre fille, enfants, et notre mère,

Et c'est la fleur du jardin d'ici-bas !

Malheur à ceux qui ne l'adorent pas !

Car, non contents de renier leur être,

Ils s'en vont reniant le divin maître,

Jésus fait chair qui mourut sur la croix,

Jésus fait chair qui de sa douce voix

Ouvrait le coeur de la Samaritaine,

Jésus fait chair qu'aima la Madeleine ! »


À ce blasphème effroyable, voilà

Que le ciel de ténèbres se voila.

Et que la mer entrechoqua les îles.

On vit errer des formes dans les villes

Les mains des morts sortirent des cercueils,

Ce ne fut plus que terreurs et que deuils

Et Dieu voulant venger l'injure affreuse

Prit sa foudre en sa droite furieuse

Et maudissant don Juan, lui jeta bas

Son corps mortel, mais son âme, non pas !

Non pas son âme, on l'allait voir ! Et pâle

De male joie et d'audace infernale,

Le grand damné, royal sous ses haillons,

Promène autour son œil plein de rayons,

Et crie : « À moi l'Enfer ! ô vous qui fûtes

Par moi guidés en vos sublimes chutes,

Disciples de don Juan, reconnaissez

Ici la voix qui vous a redressés.-

Satan est mort, Dieu mourra dans la fête,

Aux armes pour la suprême conquête !


Apprêtez-vous, vieillards et nouveau-nés,

C'est le grand jour pour le tour des damnés. »

Il dit. L'écho frémit et va répandre

L'appel altier, et don Juan croit entendre

Un grand frémissement de tous côtés.

Ses ordres sont à coup sûr écoutés :

Le bruit s'accroît des clameurs de victoire,

Disant son nom et racontant sa gloire.

« À nous deux, Dieu stupide, maintenant ! »

Et don Juan a foulé d'un pied tonnant


Le sol qui tremble et la neige glacée

Qui semble fondre au feu de sa pensée...

Mais le voilà qui devient glace aussi

Et dans son coeur horriblement transi

Le sang s'arrête, et son geste se fige.

Il est statue, il est glace. Ô prodige

Vengeur du Commandeur assassiné !

Tout bruit s'éteint et l'Enfer réfréné

Rentre à jamais dans ses mornes cellules.

« Ô les rodomontades ridicules »,


Dit du dehors Quelqu'un qui ricanait,

« Contes prévus ! farces que l'on connaît !

Morgue espagnole et fougue italienne !

Don Juan, faut-il afin qu'il t'en souvienne,

Que ce vieux Diable, encore que radoteur,

Ainsi te prenne en délit de candeur ?

Il est écrit de ne tenter... personne

L'Enfer ni ne se prend ni ne se donne.

Mais avant tout, ami, retiens ce point :

On est le Diable, on ne le devient point. »
Deux enfants d'un fermier, gentils, espiègles, beaux,
Mais un peu gâtés par leur père,
Cherchant des nids dans leur enclos,
Trouvèrent de petits perdreaux
Qui voletaient après leur mère.
Vous jugez de la joie, et comment mes bambins
À la troupe qui s'éparpille
Vont partout couper les chemins,
Et n'ont pas assez de leurs mains
Pour prendre la pauvre famille !
La perdrix, traînant l'aile, appelant ses petits,
Tourne en vain, voltige, s'approche ;
Déjà mes jeunes étourdis
Ont toute sa couvée en poche.
Ils veulent partager comme de bons amis ;
Chacun en garde six, il en reste un treizième :
L'aîné le veut, l'autre le veut aussi.
- Tirons au doigt mouillé. - Parbleu non. - Parbleu si.
- Cède, ou bien tu verras. - Mais tu verras toi-même.
De propos en propos, l'aîné, peu patient,
Jette à la tête de son frère
Le perdreau disputé. Le cadet en colère
D'un des siens riposte à l'instant.
L'aîné recommence d'autant ;
Et ce jeu qui leur plaît couvre autour d'eux la terre
De pauvres perdreaux palpitants.
Le fermier, qui passait en revenant des champs,
Voit ce spectacle sanguinaire,
Accourt, et dit à ses enfants :
Comment donc ! Petits rois, vos discordes cruelles
Font que tant d'innocents expirent par vos coups !
De quel droit, s'il vous plaît, dans vos tristes querelles,
Faut-il que l'on meure pour vous ?
Dieu sait bien que la femme est maîtresse de l'homme,
Mais l'époux généreux, chez l'épouse économe,
S'ils sont deux bons chrétiens en un cœur bien fondus,
Libre, vit dans la paix, **** des jougs défendus.
Simple, comme un enfant qui partage une orange,
Il fait toujours deux parts de tout fruit mûr qu'il mange.
Il choisit les meilleurs qui sont les fruits permis :
C'est un sage content du monde où Dieu l'a mis.
Pauvre, il a les trésors profonds de l'Évangile,
Riche, il tient ses greniers grands ouverts sur la ville.
Quand le soir vient, l'étoile à sa lampe sourit.
Couple qui s'épousa sous les yeux de l'Esprit,
Rébecca dont le cœur battit à grands coups d'aile,
En voyant Isaac sortir au-devant d'elle,
Isaac dont le cœur en fête remarqua
L'anneau d'or fin qui luit au nez de Rébecca,
Étaient moins saintement amoureux l'un de l'autre,
Que ces époux, courbés au souffle de l'apôtre,
Quand leur âme aspira, près du cierge éclairé,
Le parfum frais qui sort du vieux texte sacré.
Comme il est bon et droit, que Jésus est son maître,
S'il parle, elle a des yeux ravis de se soumettre ;
Qu'elle parle, il écoute, heureux de se plier
Aux désirs purs d'un cœur que Jésus sut lier.
Tous deux savent le prix des torts que l'on pardonne.
Au milieu des enfants que le Seigneur leur donne,
Ils laissent se mêler aux fils d'or éclatants
Les fils sombres qui sont au dévidoir du temps.
L'époux travaille ; il est ouvrier ou poète ;
Il explique aux siens Dieu dont le ciel est la fête.
Un enfant vous écoute avec tant d'appétit !
C'est innocent, c'est bon, c'est grave, c'est petit !
Elle, quand elle file, un bras hors de la manche,
Elle a l'air de filer son âme en laine blanche,
Et son cœur doux s'écoule aux ondes de son lait,
Flot parfumé, pareil au flot pur qui coulait
Du sein sacré sur qui Dieu, tout petit, ne bouge
Que sa lèvre d'enfant, humble fleurette rouge.
Dans la neige du linge et les tulles au vent,
Voilà la mère, avec son sourire vivant
Dont la chambre s'échauffe et dont l'ombre s'éclaire.
Femme aux seins mûrs, miracle, ô reine populaire !
Majesté des grands cils abaissés sur l'enfant !
Il s'abandonne, il dort. Un baiser le défend.
Le père le contemple, un rire sur la bouche.
Il est tel que, devant une rose farouche,
Un bon peintre amoureux de la gloire des fleurs.
Tous vivent dans le calme et les claires couleurs.
Ô chaleur maternelle ! ô prière qui vole !
Ô bouches ébauchant la première parole !
Chère tribu, petit peuple qui grandissez,
Mère qui d'une main délicate emplissez
De feuilles et de fruits les faïences fleuries,
Père au sourire plein de chaudes causeries,
Servante qui tournez au bruit clair des sabots :
Si vous êtes sereins, même avec des tombeaux,
Si vous gardez entier l'amour de la famille,
Dont la laine encor moins que l'honneur vous habille,
Si vous restez amis, quoi ! n'est-ce pas un peu
Parce qu'à tous vos soins vous savez mêler Dieu,
Qu'il vous tient sous son aile et qu'il vous a plu d'être
Unis par Jésus-Christ et bénis par son prêtre !
Vous mîtes votre bras adroit,
Un soir d'été, sur mon bras... gauche.
J'aimerai toujours cet endroit,
Un café de la Rive-Gauche ;

Au bord de la Seine, à Paris :
Un homme y chante la Romance
Comme au temps... des lansquenets gris ;
Vous aviez emmené Clémence.

Vous portiez un chapeau très frais
Sous des nœuds vaguement orange,
Une robe à fleurs... sans apprêts,
Sans rien d'affecté ni d'étrange ;

Vous aviez un noir mantelet,
Une pèlerine, il me semble,
Vous étiez belle, et... s'il vous plaît,
Comment nous trouvions-nous ensemble ?

J'avais l'air, moi, d'un étranger ;
Je venais de la Palestine
À votre suite me ranger,
Pèlerin de ta Pèlerine.

Je m'en revenais de Sion,
Pour baiser sa frange en dentelle,
Et mettre ma dévotion
Entière à vos pieds d'Immortelle.

Nous causions, je voyais ta voix
Dorer ta lèvre avec sa crasse,
Tes coudes sur la table en bois,
Et ta taille pleine de grâce ;

J'admirais ta petite main
Semblable à quelque serre vague,
Et tes jolis doigts de gamin,
Si chics ! qu'ils se passent de bague ;

J'aimais vos yeux, où sans effroi
Battent les ailes de votre Âme,
Qui font se baisser ceux du roi
Mieux que les siens ceux d'une femme ;

Vos yeux splendidement ouverts
Dans leur majesté coutumière...
Étaient-ils bleus ? Étaient-ils verts ?
Ils m'aveuglaient de ta lumière.

Je cherchais votre soulier fin,
Mais vous rameniez votre robe
Sur ce miracle féminin,
Ton pied, ce Dieu, qui se dérobe !

Tu parlais d'un ton triomphant,
Prenant aux feintes mignardises
De tes lèvres d'amour Enfant
Les cœurs, comme des friandises,

La rue où rit ce cabaret,
Sur laquelle a pu flotter l'Arche,
Sachant que l'Ange y descendrait,
Porte le nom d'un patriarche.

Charmant cabaret de l'Amour !
Je veux un jour y peindre à fresque
Le Verre auquel je fis ma cour.
Juin, quatre-vingt-cinq, minuit... presque.
De ses fuseaux légèrement blessée,
D'où vient qu'Isaure a regardé vers toi ?
J'allais courir à ses cris empressée,
J'allais courir... Mais tu cours mieux que moi.

Pourquoi tes yeux, pleins d'une pitié tendre,
Sont-ils restés si longtemps sur les siens ?
D'où vient qu'Isaure a paru les entendre ?
Qu'ils me font mal sur d'autres que les miens !

Que je fus triste en la voyant sourire !
Que je tremblai quand tu soutins ses pas !
Tu la plaignais... Que n'ai-je osé te dire :
« C'est moi qui souffre, et tu ne le vois pas ! »

Tu pris sa main, tu cherchas sa blessure,
Pour la guérir, tu la couvris de fleurs ;
C'étaient mes fleurs ! Elle est mieux, j'en suis sûre.
Pourquoi faut-il qu'il m'en coûte des pleurs ?
Quand en songeant ma folâtre j'acolle,
Laissant mes flancs sur les siens s'allonger,
Et que, d'un branle habilement léger,
En sa moitié ma moitié je recolle !

Amour, adonc si follement m'affole,
Qu'un tel abus je ne voudroi changer,
Non au butin d'un rivage étranger,
Non au sablon qui jaunoie en Pactole.

Mon dieu, quel heur, et quel consentement,
M'a fait sentir ce faux recollement,
Changeant ma vie en cent métamorphoses !

Combien de fois, doucement irrité,
Suis-je ore mort, ore ressuscité,
Entre cent lis et cent merveilles roses !
Thomas Jan 2022
Cette ville écrasée sous les signaux hallucinés
De commerces blindés et de business débridé
Jonchée des ordures mentales et des pourritures verbales,
à grignoté cet espace comme un rat patriarcal

Hantés par les chimères implantées au scalpel
Qui s’éclipsent dans un râle à chaque fois qu’on se réveille
Sur des trottoirs miteux qu'on arpente avec peine
Avec la boue sous nos pieds, et la crasse dans nos veines

On a plié sous le poids de ce que la ville nous a privé.
Dans les formes sa nuit odorante et gluante
Influencés par les gangs d'une valeur anarchisante
Et plongés en abimes au fond de cette nuit sanguine

On voudrait tout rejouer, vacillant, comme le phare
Qui contemple, hagard, la ruée des cafards
Et dans un dernier effort pour nous hypnotiser,
La ville nous livre en pâture aux chiens carbonisés

Le tintement des coupes dans la brume artificielle
Neutralise les rampants de cette tour de Babel
Et les sons du stylos sur papier parano
Sont remplacés par les cris des couteaux tranchant la peau

Et la chair et les os
Et du sang et des larmes
Du vacarme infernal
Des détonations cérébrales
Des entrailles putréfiées
Jailli un souffle empoisonné
Et nous restons médusé
Par l'absence d'humanité

Les rues scintillantes
Éclairées par la tété
La lueur violente  
Des bouches noircies et enfumées
Les grouillants salissants
Anonymes agonisants
Des cris que personne n’entend,
Des invisibles que personne ne défend

Figé comme crétin qui de colère crispe les poings
Étranger parmi les siens humilié comme un larbin
On reste allongés dans la poussière face contre terre
Mais on reste assuré que notre rage est salutaire

Déjà ça tremble sous les pieds des biens pensants
Déjà ça grogne aux oreilles des bienveillants
Alors on reste là à observer impunément
Des remparts occultants qui se fissurent singulièrement

Et du fond des cimetières revient une herbe un peu plus verte
Et du fond des ghettos un asticot rejoint la secte
De ceux qui croulent sous la promesse d'une existence
Qui maintiendra leur cerveau dans un état de complaisance

Mais on sait qu’un jour, notre printemps reviendra
Et on sait qu’un jour la chaleur nous stimulera
Et la lumière brillera pour tous les anges et les salauds
Et elle consumera tous les faisans et collabo

Et ils sentiront toute la menace des renégats
Et ils comprendront que c'en est fini ici-bas
Et ils trembleront devant la détermination
De ceux qui n'ont rien a perdre armés de pierres et de bâtons

Enfin on pourra se tirer
Briser les chaines a nos poignets
Et on pourra se libérer
De la douleur et de la fièvre
Finis les temps répréhensifs
Emplis de ténèbres et de peines
On cherchera la saveur
Et le parfum des jours meilleurs

Mais y'a personne aux commandes
Et dans une crise d'indifférence
On supprimera de nos états
Le ciment de paranoïa
Et on pourra s'envoler
Vers une idée de liberté
Et on pourra se reposer
Car on n'est pas fait pour vivre de cauchemars et de haine
Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée.

Quand Josué rêveur, la tête aux cieux dressée,
Suivi des siens, marchait, et, prophète irrité,
Sonnait de la trompette autour de la cité,
Au premier tour qu'il fit, le roi se mit à rire ;
Au second tour, riant toujours, il lui fit dire :
« Crois-tu donc renverser ma ville avec du vent ? »
À la troisième fois l'arche allait en avant,
Puis les trompettes, puis toute l'armée en marche,
Et les petits enfants venaient cracher sur l'arche,
Et, soufflant dans leur trompe, imitaient le clairon ;
Au quatrième tour, bravant les fils d'Aaron,
Entre les vieux créneaux tout brunis par la rouille,
Les femmes s'asseyaient en filant leur quenouille,
Et se moquaient, jetant des pierres aux hébreux ;
À la cinquième fois, sur ces murs ténébreux,
Aveugles et boiteux vinrent, et leurs huées
Raillaient le noir clairon sonnant sous les nuées
À la sixième fois, sur sa tour de granit
Si haute qu'au sommet l'aigle faisait son nid,
Si dure que l'éclair l'eût en vain foudroyée,
Le roi revint, riant à gorge déployée,
Et cria : « Ces hébreux sont bons musiciens ! »
Autour du roi joyeux riaient tous les anciens
Qui le soir sont assis au temple, et délibèrent.

À la septième fois, les murailles tombèrent.

Jersey, le 19 mars 1853.
Le poète est un fou perdu dans l'aventure,

Qui rêve sans repos de combats anciens,

De fabuleux exploits sans nombre qu'il fait siens,

Puis chante pour soi-même et la race future.


Plus ****, indifférent aux soucis qu'il endure,

Pauvreté, gloire lente, ennuis élyséens,

Il se prend en les lacs d'amours patriciens,

Et son prénom est comme une arrhe de torture.


Mais son nom, c'est bonheur ! Ah ! qu'il souffre et jouit,

Extasié le jour, halluciné la nuit

Ou réciproquement, jusqu'à ce qu'il en meure !


Armide, Éléonore, ô songe, ô vérité !

Et voici qu'il est fou pour en mourir sur l'heure

Et pour ressusciter dans l'immortalité !

— The End —