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Ô champs paternels hérissés de charmilles
Où glissent le soir des flots de jeunes filles !

Ô frais pâturage où de limpides eaux
Font bondir la chèvre et chanter les roseaux !

Ô terre natale ! à votre nom que j'aime,
Mon âme s'en va toute hors d'elle-même ;

Mon âme se prend à chanter sans effort ;
À pleurer aussi, tant mon amour est fort !

J'ai vécu d'aimer, j'ai donc vécu de larmes ;
Et voilà pourquoi mes pleurs eurent leurs charmes ;

Voilà, mon pays, n'en ayant pu mourir,
Pourquoi j'aime encore au risque de souffrir ;

Voilà, mon berceau, ma colline enchantée
Dont j'ai tant foulé la robe veloutée,

Pourquoi je m'envole à vos bleus horizons,
Rasant les flots d'or des pliantes moissons.

La vache mugit sur votre pente douce,
Tant elle a d'herbage et d'odorante mousse,

Et comme au repos appelant le passant,
Le suit d'un regard humide et caressant.

Jamais les bergers pour leurs brebis errantes
N'ont trouvé tant d'eau qu'à vos sources courantes.

J'y rampai débile en mes plus jeunes mois,
Et je devins rose au souffle de vos bois.

Les bruns laboureurs m'asseyaient dans la plaine
Où les blés nouveaux nourrissaient mon haleine.

Albertine aussi, sœur des blancs papillons,
Poursuivait les fleurs dans les mêmes sillons ;

Car la liberté toute riante et mûre
Est là, comme aux cieux, sans glaive, sans armure,

Sans peur, sans audace et sans austérité,
Disant : « Aimez-moi, je suis la liberté !

« Je suis le pardon qui dissout la colère,
Et je donne à l'homme une voix juste et claire.

« Je suis le grand souffle exhalé sur la croix
Où j'ai dit : « Mon père ! on m'immole, et je crois ! »

« Le bourreau m'étreint : je l'aime ! et l'aime encore,
Car il est mon frère, ô père que j'adore !

« Mon frère aveuglé qui s'est jeté sur moi,
Et que mon amour ramènera vers toi ! »

Ô patrie absente ! ô fécondes campagnes,
Où vinrent s'asseoir les ferventes Espagnes !

Antiques noyers, vrais maîtres de ces lieux,
Qui versez tant d'ombre où dorment nos aïeux !

Échos tout vibrants de la voix de mon père
Qui chantaient pour tous : « Espère ! espère ! espère ! »

Ce chant apporté par des soldats pieux
Ardents à planter tant de croix sous nos cieux,

Tant de hauts clochers remplis d'airain sonore
Dont les carillons les rappellent encore :

Je vous enverrai ma vive et blonde enfant
Qui rit quand elle a ses longs cheveux au vent.

Parmi les enfants nés à votre mamelle,
Vous n'en avez pas qui soit si charmant qu'elle !

Un vieillard a dit en regardant ses yeux :
« Il faut que sa mère ait vu ce rêve aux cieux ! »

En la soulevant par ses blanches aisselles
J'ai cru bien souvent que j'y sentais des ailes !

Ce fruit de mon âme, à cultiver si doux,
S'il faut le céder, ce ne sera qu'à vous !

Du lait qui vous vient d'une source divine
Gonflez le cœur pur de cette frêle ondine.

Le lait jaillissant d'un sol vierge et fleuri
Lui paiera le mien qui fut triste et tari.

Pour voiler son front qu'une flamme environne
Ouvrez vos bluets en signe de couronne :

Des pieds si petits n'écrasent pas les fleurs,
Et son innocence a toutes leurs couleurs.

Un soir, près de l'eau, des femmes l'ont bénie,
Et mon cœur profond soupira d'harmonie.

Dans ce cœur penché vers son jeune avenir
Votre nom tinta, prophète souvenir,

Et j'ai répondu de ma voix toute pleine
Au souffle embaumé de votre errante haleine.

Vers vos nids chanteurs laissez-la donc aller :
L'enfant sait déjà qu'ils naissent pour voler.

Déjà son esprit, prenant goût au silence,
Monte où sans appui l'alouette s'élance,

Et s'isole et nage au fond du lac d'azur
Et puis redescend le gosier plein d'air pur.

Que de l'oiseau gris l'hymne haute et pieuse
Rende à tout jamais son âme harmonieuse ;

Que vos ruisseaux clairs, dont les bruits m'ont parlé,
Humectent sa voix d'un long rythme perlé !

Avant de gagner sa couche de fougère,
Laissez-la courir, curieuse et légère,

Au bois où la lune épanche ses lueurs
Dans l'arbre qui tremble inondé de ses pleurs,

Afin qu'en dormant sous vos images vertes
Ses grâces d'enfant en soient toutes couvertes.

Des rideaux mouvants la chaste profondeur
Maintiendra l'air pur alentour de son cœur,

Et, s'il n'est plus là, pour jouer avec elle,
De jeune Albertine à sa trace fidèle,

Vis-à-vis les fleurs qu'un rien fait tressaillir
Elle ira danser, sans jamais les cueillir,

Croyant que les fleurs ont aussi leurs familles
Et savent pleurer comme les jeunes filles.

Sans piquer son front, vos abeilles là-bas
L'instruiront, rêveuse, à mesurer ses pas ;

Car l'insecte armé d'une sourde cymbale
Donne à la pensée une césure égale.

Ainsi s'en ira, calme et libre et content,
Ce filet d'eau vive au bonheur qui l'attend ;

Et d'un chêne creux la Madone oubliée
La regardera dans l'herbe agenouillée.

Quand je la berçais, doux poids de mes genoux,
Mon chant, mes baisers, tout lui parlait de vous ;

Ô champs paternels, hérissés de charmilles
Où glissent le soir des flots de jeunes filles.

Que ma fille monte à vos flancs ronds et verts,
Et soyez béni, doux point de l'Univers !
Thomas Jan 2022
Cette ville écrasée sous les signaux hallucinés
De commerces blindés et de business débridé
Jonchée des ordures mentales et des pourritures verbales,
à grignoté cet espace comme un rat patriarcal

Hantés par les chimères implantées au scalpel
Qui s’éclipsent dans un râle à chaque fois qu’on se réveille
Sur des trottoirs miteux qu'on arpente avec peine
Avec la boue sous nos pieds, et la crasse dans nos veines

On a plié sous le poids de ce que la ville nous a privé.
Dans les formes sa nuit odorante et gluante
Influencés par les gangs d'une valeur anarchisante
Et plongés en abimes au fond de cette nuit sanguine

On voudrait tout rejouer, vacillant, comme le phare
Qui contemple, hagard, la ruée des cafards
Et dans un dernier effort pour nous hypnotiser,
La ville nous livre en pâture aux chiens carbonisés

Le tintement des coupes dans la brume artificielle
Neutralise les rampants de cette tour de Babel
Et les sons du stylos sur papier parano
Sont remplacés par les cris des couteaux tranchant la peau

Et la chair et les os
Et du sang et des larmes
Du vacarme infernal
Des détonations cérébrales
Des entrailles putréfiées
Jailli un souffle empoisonné
Et nous restons médusé
Par l'absence d'humanité

Les rues scintillantes
Éclairées par la tété
La lueur violente  
Des bouches noircies et enfumées
Les grouillants salissants
Anonymes agonisants
Des cris que personne n’entend,
Des invisibles que personne ne défend

Figé comme crétin qui de colère crispe les poings
Étranger parmi les siens humilié comme un larbin
On reste allongés dans la poussière face contre terre
Mais on reste assuré que notre rage est salutaire

Déjà ça tremble sous les pieds des biens pensants
Déjà ça grogne aux oreilles des bienveillants
Alors on reste là à observer impunément
Des remparts occultants qui se fissurent singulièrement

Et du fond des cimetières revient une herbe un peu plus verte
Et du fond des ghettos un asticot rejoint la secte
De ceux qui croulent sous la promesse d'une existence
Qui maintiendra leur cerveau dans un état de complaisance

Mais on sait qu’un jour, notre printemps reviendra
Et on sait qu’un jour la chaleur nous stimulera
Et la lumière brillera pour tous les anges et les salauds
Et elle consumera tous les faisans et collabo

Et ils sentiront toute la menace des renégats
Et ils comprendront que c'en est fini ici-bas
Et ils trembleront devant la détermination
De ceux qui n'ont rien a perdre armés de pierres et de bâtons

Enfin on pourra se tirer
Briser les chaines a nos poignets
Et on pourra se libérer
De la douleur et de la fièvre
Finis les temps répréhensifs
Emplis de ténèbres et de peines
On cherchera la saveur
Et le parfum des jours meilleurs

Mais y'a personne aux commandes
Et dans une crise d'indifférence
On supprimera de nos états
Le ciment de paranoïa
Et on pourra s'envoler
Vers une idée de liberté
Et on pourra se reposer
Car on n'est pas fait pour vivre de cauchemars et de haine

— The End —