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Les champs n'étaient point noirs, les cieux n'étaient pas mornes.
Non, le jour rayonnait dans un azur sans bornes
Sur la terre étendu,
L'air était plein d'encens et les prés de verdures
Quand il revit ces lieux où par tant de blessures
Son cœur s'est répandu !

L'automne souriait ; les coteaux vers la plaine
Penchaient leurs bois charmants qui jaunissaient à peine ;
Le ciel était doré ;
Et les oiseaux, tournés vers celui que tout nomme,
Disant peut-être à Dieu quelque chose de l'homme,
Chantaient leur chant sacré !

Il voulut tout revoir, l'étang près de la source,
La masure où l'aumône avait vidé leur bourse,
Le vieux frêne plié,
Les retraites d'amour au fond des bois perdues,
L'arbre où dans les baisers leurs âmes confondues
Avaient tout oublié !

Il chercha le jardin, la maison isolée,
La grille d'où l'œil plonge en une oblique allée,
Les vergers en talus.
Pâle, il marchait. - Au bruit de son pas grave et sombre,
Il voyait à chaque arbre, hélas ! se dresser l'ombre
Des jours qui ne sont plus !

Il entendait frémir dans la forêt qu'il aime
Ce doux vent qui, faisant tout vibrer en nous-même,
Y réveille l'amour,
Et, remuant le chêne ou balançant la rose,
Semble l'âme de tout qui va sur chaque chose
Se poser tour à tour !

Les feuilles qui gisaient dans le bois solitaire,
S'efforçant sous ses pas de s'élever de terre,
Couraient dans le jardin ;
Ainsi, parfois, quand l'âme est triste, nos pensées
S'envolent un moment sur leurs ailes blessées,
Puis retombent soudain.

Il contempla longtemps les formes magnifiques
Que la nature prend dans les champs pacifiques ;
Il rêva jusqu'au soir ;
Tout le jour il erra le long de la ravine,
Admirant tour à tour le ciel, face divine,
Le lac, divin miroir !

Hélas ! se rappelant ses douces aventures,
Regardant, sans entrer, par-dessus les clôtures,
Ainsi qu'un paria,
Il erra tout le jour. Vers l'heure où la nuit tombe,
Il se sentit le cœur triste comme une tombe,
Alors il s'écria :

« Ô douleur ! j'ai voulu, moi dont l'âme est troublée,
Savoir si l'urne encor conservait la liqueur,
Et voir ce qu'avait fait cette heureuse vallée
De tout ce que j'avais laissé là de mon cœur !

« Que peu de temps suffit pour changer toutes choses !
Nature au front serein, comme vous oubliez !
Et comme vous brisez dans vos métamorphoses
Les fils mystérieux où nos cœurs sont liés !

« Nos chambres de feuillage en halliers sont changées !
L'arbre où fut notre chiffre est mort ou renversé ;
Nos roses dans l'enclos ont été ravagées
Par les petits enfants qui sautent le fossé !

« Un mur clôt la fontaine où, par l'heure échauffée,
Folâtre, elle buvait en descendant des bois ;
Elle prenait de l'eau dans sa main, douce fée,
Et laissait retomber des perles de ses doigts !

« On a pavé la route âpre et mal aplanie,
Où, dans le sable pur se dessinant si bien,
Et de sa petitesse étalant l'ironie,
Son pied charmant semblait rire à côté du mien !

« La borne du chemin, qui vit des jours sans nombre,
Où jadis pour m'attendre elle aimait à s'asseoir,
S'est usée en heurtant, lorsque la route est sombre,
Les grands chars gémissants qui reviennent le soir.

« La forêt ici manque et là s'est agrandie.
De tout ce qui fut nous presque rien n'est vivant ;
Et, comme un tas de cendre éteinte et refroidie,
L'amas des souvenirs se disperse à tout vent !

« N'existons-nous donc plus ? Avons-nous eu notre heure ?
Rien ne la rendra-t-il à nos cris superflus ?
L'air joue avec la branche au moment où je pleure ;
Ma maison me regarde et ne me connaît plus.

« D'autres vont maintenant passer où nous passâmes.
Nous y sommes venus, d'autres vont y venir ;
Et le songe qu'avaient ébauché nos deux âmes,
Ils le continueront sans pouvoir le finir !

« Car personne ici-bas ne termine et n'achève ;
Les pires des humains sont comme les meilleurs ;
Nous nous réveillons tous au même endroit du rêve.
Tout commence en ce monde et tout finit ailleurs.

« Oui, d'autres à leur tour viendront, couples sans tache,
Puiser dans cet asile heureux, calme, enchanté,
Tout ce que la nature à l'amour qui se cache
Mêle de rêverie et de solennité !

« D'autres auront nos champs, nos sentiers, nos retraites ;
Ton bois, ma bien-aimée, est à des inconnus.
D'autres femmes viendront, baigneuses indiscrètes,
Troubler le flot sacré qu'ont touché tes pieds nus !

« Quoi donc ! c'est vainement qu'ici nous nous aimâmes !
Rien ne nous restera de ces coteaux fleuris
Où nous fondions notre être en y mêlant nos flammes !
L'impassible nature a déjà tout repris.

« Oh ! dites-moi, ravins, frais ruisseaux, treilles mûres,
Rameaux chargés de nids, grottes, forêts, buissons,
Est-ce que vous ferez pour d'autres vos murmures ?
Est-ce que vous direz à d'autres vos chansons ?

« Nous vous comprenions tant ! doux, attentifs, austères,
Tous nos échos s'ouvraient si bien à votre voix !
Et nous prêtions si bien, sans troubler vos mystères,
L'oreille aux mots profonds que vous dites parfois !

« Répondez, vallon pur, répondez, solitude,
Ô nature abritée en ce désert si beau,
Lorsque nous dormirons tous deux dans l'attitude
Que donne aux morts pensifs la forme du tombeau ;

« Est-ce que vous serez à ce point insensible
De nous savoir couchés, morts avec nos amours,
Et de continuer votre fête paisible,
Et de toujours sourire et de chanter toujours ?

« Est-ce que, nous sentant errer dans vos retraites,  
Fantômes reconnus par vos monts et vos bois,
Vous ne nous direz pas de ces choses secrètes
Qu'on dit en revoyant des amis d'autrefois ?

« Est-ce que vous pourriez, sans tristesse et sans plainte,
Voir nos ombres flotter où marchèrent nos pas,
Et la voir m'entraîner, dans une morne étreinte,
Vers quelque source en pleurs qui sanglote tout bas ?

« Et s'il est quelque part, dans l'ombre où rien ne veille,
Deux amants sous vos fleurs abritant leurs transports,
Ne leur irez-vous pas murmurer à l'oreille :
- Vous qui vivez, donnez une pensée aux morts !

« Dieu nous prête un moment les prés et les fontaines,
Les grands bois frissonnants, les rocs profonds et sourds
Et les cieux azurés et les lacs et les plaines,
Pour y mettre nos cœurs, nos rêves, nos amours !

« Puis il nous les retire. Il souffle notre flamme ;
Il plonge dans la nuit l'antre où nous rayonnons ;
Et dit à la vallée, où s'imprima notre âme,
D'effacer notre trace et d'oublier nos noms.

« Eh bien ! oubliez-nous, maison, jardin, ombrages !
Herbe, use notre seuil ! ronce, cache nos pas !
Chantez, oiseaux ! ruisseaux, coulez ! croissez, feuillages !
Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas.

« Car vous êtes pour nous l'ombre de l'amour même !
Vous êtes l'oasis qu'on rencontre en chemin !
Vous êtes, ô vallon, la retraite suprême
Où nous avons pleuré nous tenant par la main !

« Toutes les passions s'éloignent avec l'âge,
L'une emportant son masque et l'autre son couteau,
Comme un essaim chantant d'histrions en voyage
Dont le groupe décroît derrière le coteau.

« Mais toi, rien ne t'efface, amour ! toi qui nous charmes,
Toi qui, torche ou flambeau, luis dans notre brouillard !
Tu nous tiens par la joie, et surtout par les larmes ;
Jeune homme on te maudit, on t'adore vieillard.

« Dans ces jours où la tête au poids des ans s'incline,
Où l'homme, sans projets, sans but, sans visions,
Sent qu'il n'est déjà plus qu'une tombe en ruine
Où gisent ses vertus et ses illusions ;

« Quand notre âme en rêvant descend dans nos entrailles,
Comptant dans notre cœur, qu'enfin la glace atteint,
Comme on compte les morts sur un champ de batailles,
Chaque douleur tombée et chaque songe éteint,

« Comme quelqu'un qui cherche en tenant une lampe,
**** des objets réels, **** du monde rieur,
Elle arrive à pas lents par une obscure rampe
Jusqu'au fond désolé du gouffre intérieur ;

« Et là, dans cette nuit qu'aucun rayon n'étoile,
L'âme, en un repli sombre où tout semble finir,
Sent quelque chose encor palpiter sous un voile...
C'est toi qui dors dans l'ombre, ô sacré souvenir ! »

Le 21 octobre 1837.
Tom McCone Mar 2013
les étoiles s'allongent dans les champs des chambres noires,
les mers, perdues dans le papier-nuit des temps,
un poisson glisse en aval
et,
le sommeil des pelouses,
vu d'en bas hier soir,
dure encore.

la lune, un orateur dans les bois; elle dire:
"j'oublie le ciel d'azur,
je deviens le nageur à heure du dîner
jusqu'à l'éclipse d'aube,
je crie sous le vide,
sous l'eau d'octobre, se termine,
et
la marée, sur ces mers,
s'affaiblit
en bruit de rêve."

et moi, dévisageant la solution des points claires,
miniscules et faible lueurs,
je m'anime,
encore endormi, toujours,
toujours endormi,
tant que les arbres respirént,
tendres et lents.
the stars lay down in the fields of darkened rooms,
the seas, lost amidst the paper mist of time,
a fish slips its way downstream
and
the lawns,
seen from below, last night,
still doze.

the moon, a speaker amongst the woods; she says:
"I forgot the skies of blue,
I've become the swimmer at dinnertime
through the eclipse of dawn,
I scream beneath the void,
under the waters of october, coming to an end,
and
the tide, upon those seas,
fades,
into the sound of dreams"

and, me, staring into the solution of light points,
miniscule and glimmering,
I become alive,
still sleeping, always,
always sleeping,
whilst the trees breathe,
soft and slow.
トリシャ Feb 2014
it was autumn last year when we first met,
just one step away from each other
(so close yet so far)
cherry leaves crunching under my feet
blue skies and russet cobblestone
the smell of cinnamon hanging in the air
branches snapping in two like brittle bones
and my unlit cigarette dropping to the ground in surprise
as he fell
falling down down down to the ground
gravity gripping him like a soul-******* monster
and his fragile limbs stretching out
rustling paper flying out of his bag
in a spiral dance to a song i could not hear.
frail eighteen-year-old knees scraping against the pavement
lurid irises latching onto mine
as he fell
and my hands shoot out as if to catch him
like palms aching to touch delicate butterfly wings
and even then
i now realize
he was asking me to save him;
to stop him from falling.
but he was already one step away
(so close yet so far)




it was winter last year when friendship was forged.
pink blossoms giving way for achromatic snowflakes;
shaky familiarity giving way for a solid bond
amongst wordless run-ins and shy hello's
and sitting across each other over cups of hot chocolate
(so close yet so far)
we learned about each other
reaching out past thickly built walls
about pets and family and friends
(china dolls and nickels and handmaids);
and maybe we learned a little about falling in love too.
but he bristled at the mention of dreams
and i learned
that in his world of half-shattered glass and dead seas
dreams were distant stars
not meant to be picked out of the pitch black sky
and he insists they were not meant to be;
i wondered
if he meant to tell me that neither were we.
i told him i didn't understand,
asking myself if looking into his eyes
have always been this painful
but he shakes his head and steps away
(so close yet so far)




it was spring this year when i admitted
i wanted him closer;
that i was tired
of having to reach him through broken chords
of him being a chapter i had to read over and over
of having to chase after a firefly slowly losing its light
tired of him always being a step away
(so close yet so far)
i told him
i wanted to keep his dulcet smiles deep inside myself
caramel bites sweet against my tongue
to tread my hands through his hair
like floss that would melt if i don't hold on tight enough
to have him sing to me;
velvet tones echoing in the silence
jars of honey reserved just for me.
i wanted to run my fingers across his spine
like the ivory keys he spins melodies out of;
to tug him closer and closer and closer
until distance is no more
and there's nothing but lips against lips
skin against skin.
but things don't work that way, he says
my fingers flat against his waist
(we can't work out, he adds;
as if i hadn't heard)
it was a whispered lie against fabric
his body shaking
like a man deprived of a drug he so desperately needs
his eyes irresolute;
uncertainty crippling irises that used to shine
as bright as the northern lights
but he takes a step back anyway
(so close yet so far)




it was early summer this year when i lost him;
he had a girl hanging from his arm
and debonair friends waiting at his every word
(they might as well be valet de chambres)
and not once did he spare me a look
not even when he was only a step away
(so close yet so far)
that month flew by in yet another blur
empty beer bottles in my hands
flimsy cigarettes back between my fingers
broken promises embracing me like an old friend;
as if the forced laughter
did not distort the syrupy voice
that used to drawl in my ear;
as if the empty kisses and i love you's
echoing in my head
did not feel
like repeated slaps against my cheek
like repeated punches into my gut;
and as if his vacant words
did not paint his eyes colours
that i never wanted to see.
eyes that never looked at me;
as if i was a discarded toy.
as if i was the soul-******* monster
i had (tried) to save him from.
someone not worth being around
someone not worth being near
which justifies, i think,
why he always remained a step away
(so close yet so far)




it was late summer this year when i realized
that this is how it has always been;
that to wish and to hope
was to wait for a shooting star
in a world grazed by neither beauty nor light.
that even prior to our meeting,
he had always been a step away
(so close yet so far)
i was born in november, he in october
i was born on the 6th, he on the 7th
i was born in 1990, he in 1991.
even before we were born,
we were already a step apart
like binary stars only destined to orbit but never touch
like parallel lines never meant to ever intersect
never meant to do anything but run close to each other
as close as it can get
but never meeting
forever a step away
(so close yet so far)




it was autumn this year when he lost himself;
gone were the iridescent irises i fell in love with
gone were the caramel smiles i wanted to keep;
gone was the boy i once knew.
like a tree kissing its cherry leaves goodbye
a butterfly bidding farewell to its brittle wings
the ghost of a boy i lost to shattered dreams
in a shell of fragile ribs and untuned keys
even then, he never strayed closer
not to me
not any less than one step away
(so close yet so far)
and i wondered if this was cruel punishment
for something i had done
handcuffs locking around my limbs
as i await the executioner's axe;
because there is no pain
quite like watching the boy i love(d)
crumble into himself
broken and vulnerable
knowing i myself was helpless
merely a felon awaiting my capital punishment
with him always one step away
(so close yet so far)




it was winter this year when the world lost him;
the boy i'd loved
with the fragile limbs and glitter orbs
having destroyed himself
giving in to the promise of a world
better than his tattered own.
reduced to nothing but a lifeless sack of ivory bones
like the branches and cherry leaves
from when we first met;
now contained in a velvet coffin,
still a step away
(so close yet so far)
i ran my fingers against the coffin glass
like he did with piano keys he loved
as much as the stars;
the coffin made with chiffon velvet
like the voice
that used to flow like milk and honey
in the silence of the night;
and his funeral clothes
black like the starless skies
in the desolate cage he'd locked himself in;
a stark contrast to the pastels
that used to paint his irises colours
that render the rainbow dull if compared.
only it's all in my head now
because he is gone
and even now, he is still a step away
(so close yet so far)
just leaving this here. messy and pretentious and hardly a poem, really.
Paul d'Aubin May 2016
Le manifestant

Il avait manifesté, tant et plus.
Dans l'après 68, casqué,
parmi tant de jeunes copines et copains.
Il courait vite alors et cela valait mieux.
Car la police n'était pas tendre.
Mais c'était comme un rituel
de courses, de lacrymos
et de chevelures dénouées.
L'époque semblait alors grand ouverte,
à la jeunesse, aux guitares et aux robes à fleurs.
Tandis que les posters du «Che» régnaient sur les murs des chambres d'adolescents.
Lorsque Franco, le cacochyme, l’infâme,
voulut, avant de mourir, accroître sa moisson de victimes.
Cela chauffa fort devant le consulat
Espagnol, à Toulouse.
Il fallait maîtriser la peur des détonations,
et se tenir bien droit dans la chaîne,
lorsque les hommes casqués qui
avaient aussi peur que nous,
reçurent l'ordre de charger.
Sales moments pour les services d'ordre,
Entre chocs de casques contre casques,
Tels des chevaliers des temps jadis,
avec leurs heaumes.
Puis les années passèrent, les copains s'égayèrent.
La venue de l'âge adulte déboulait dans nos vies,
avec sa part de réalisations et d'oublis des serments.
Certains tournèrent complètement casaque,
et commencèrent à se prendre au sérieux,
en jouant aux patrons branches ou aux conseilleurs officieux.
D'autres furent laissés pour compte.
et s'en prirent aux plus faibles qu'eux,
votèrent pour le borgne et sa fille
qui leur promettaient de rendre de
rebâtir la France en rendant la vie
plus dure a de pauvres hères basanés.
qu'ils suspectaient si sottement
de réduire leur part de droits sociaux.
C'était des temps bien médiocres à
l'haleine fétide.
Dans les cafés, les propos volaient bas,
Comme des projectiles
et les plus hargneux régnaient par leurs outrances,
comme le loup cervier sur la meute apeurée.
Et puis, fut élu, François Hollande, non par son charisme mais surtout par défaut.
Il avait l'air bonhomme paraissait bienveillant.
Et puis Sarko nous avait épuisés
et exaspères,
par son ego de montgolfière, son agitation incessante,
et sa manie de dresser les uns contre les autres,
et de courir sus aux boucs émissaires.
Nous n'attendions pas un Zorro, mais nous eûmes droit au sergent Garcia,
Et funeste erreur, ce Président apaisé, trop tranquille,
fit appel à Manuel Valls, ce querelleur, cet hidalgo ombrageux.
Alors s'instaura le temps des reniements et des provocations répétées,
ou il fallait battre sa coulpe et ne plus prononcer le mot «socialisme».
C’était l’éternelle fable du nouveau et des vieux !
Mais ce nouveau avait un air et un goût de ranci et de Finances aussi.
Comme comme une cerise bien amère sur le gâteau et ces goûts d'alcool frelaté,
surgit la «loi Travail» comme un pied de nez
fait à celles et ceux qui en manquaient
Et dont le cout baissait incessamment
Nous fumes beaucoup à nous réveiller hagards,
et à reprendre le chemin des manifs,
Ou nous virent des «robocops» super équipés,
nous serrer de trop près; ambiance détestable,
pendant que nos mandants, élus pour faire tout autre chose.
S'efforçaient de nous enfumer et de créer maintes diversions.
C'était moins marrant qu'en notre jeunesse.
Mais il fallait ne pas lâcher, pour transmettre l'Esprit et la Flamme.
Nous avions quand même, la gorge serrée,
de voir d'ancien amis raconter des salades,
et se battre désormais pour la préservation de leurs postes,
Et de quelques prébendes.
Mais comment était-ce arrive ?
Comment avaient-ils pu oublier ce qu'ils avaient été !
Et venir défendre ce qu'ils avaient combattu ?
L'histoire est bien cyclique et l'être fragile comme un roseau.
Ça ne fait rien, j'étais redevenu manifestant, opposant.
Je gardais comme l'oiseau bleu ma conscience pour moi.
Et je pourrais dire un Jour à mon enfant,
«Le plus beau diamant est ta vérité intérieure et ta conscience
Maintien ton Esprit pur avant que de prétendre changer le Monde.»

Paul Daubin
Exténué de nuit
Rompu par le sommeil
Comment ouvrir les yeux
Réveil-matin.
Le corps fuit dans les draps mystérieux du rêve
Toute la fatigue du monde
Le regret du roman de l'ombre
Le songe
où je mordais Pastèque interrompue
Mille raisons de faire le sourd
La pendule annonce le jour d'une voix blanche
Deuil d'enfant paresser encore
Lycéen j'avais le dimanche
comme un ballon dans les deux mains
Le jour du cirque et des amis
Les amis
Des pommes des pêches
sous leurs casquettes genre anglais
Mollets nus et nos lavalières
Au printemps
On voit des lavoirs sur la Seine
des baleines couleur de nuée
L'hiver
On souffle en l'air Buée
À qui en fera le plus
Pivoine de Mars Camarades
Vos cache-nez volent au vent
par élégance
L'âge ingrat sortes de mascarades
Drôles de voix hors des faux-cols
On rit trop fort pour être gais
Je me sens gauche rouge Craintes
Mes manches courtes
Toutes les femmes sont trop peintes
et portent des jupons trop propres
CHAMBRES GARNIES

Quand y va-t-on

HOTEL MEUBLÉ
Boutonné jusqu'au menton
J'essaierai à la mi-carême
Aux vacances de Pâques
on balance encore
Les jours semblent longs et si pâles
Il vaut mieux attendre l'été
les grandes chaleurs
la paille des granges
le pré libre et large
au bout de l'année scolaire
la campagne en marge du temps
les costumes de toile clairs
On me donnerait dix-sept ans
Avec mon canotier
mon auréole
Elle tombe et roule
sur le plancher des stations balnéaires
Le sable qu'on boit dans la brise
Eau-de-vie à paillettes d'or
La saison me grise.
Mais surtout
Ce qui va droit au cœur
Ce qui parle.
La mer
La perfidie amère des marées
Les cheveux longs du flot
Les algues s'enroulent au bras du nageur
Parfois la vague
Musique du sol et de l'eau
me soulève comme une plume
En haut
L'écume danse le soleil
Alors
l'émoi me prend par la taille
Descente à pic
Jusqu'à l'orteil
un frisson court Oiseau des îles
Le désir me perd par les membres
Tout retourne à son élément
Mensonge
Ici le dormeur fait gémir le sommier
Les cartes brouillées
Les cartes d'images

Dans le Hall de la galerie des Machines les mains
fardées pour l'amour les mannequins passent d'un air
prétentieux comme pendant un steeple-chase Les
pianos de l'Æolian Company assurent le succès de la
fête Les mendiants apportent tout leur or pour assister
au spectacle On a dépensé sans compter et personne
ne songe plus au lendemain Personne excepté l'ibis
lumineux suspendu par erreur au plafond en guise de
lustre

La lumière tombe d'aplomb sur les paupières
Dans la chambre nue à dessein
DEBOUT
L'ombre recule et le dessin du papier
sur les murs
se met à grimacer des visages bourgeois
La vie
le repas froid commence
Le plus dur  les pieds sur les planches
et la glace renvoie une figure longue

Un miracle d'éponge et de bleu de lessive
La cuvette et le jour
Ellipse
qu'on ferme d'une main malhabile
Les objets de toilette
Je ne sais plus leur noms
trop tendres à mes lèvres
Le *** à eau si lourd
La houppe charmante
Le prestige inouï de l'alcool de menthe
Le souffle odorant de l'amour
Le miroir ce matin me résume le monde
Pièce ébauchée
Le regard monte
et suit le geste des bras qui s'achève en linge
en pitié
Mon portrait me fixe et dit Songe
sans en mourir au gagne-pain
au travail tout le long du jour
L'habitude
Le pli pris
L'habit gris
Servitude
Une fois par hasard
regarde le soleil en face
Fais crouler les murs les devoirs
Que sais-tu si j'envie être libre et sans place
simple reflet peint sur le verre
Donc écris
À l'étude
Faux Latude
Et souris

que les châles
les yeux morts
les fards pâles
et les corps
n'appartiennent
qu'aux riches
Le tapis déchiré par endroits
Le plafond trop voisin
Que la vie est étroite
Tout de même j'en ai assez
Sortira-t-on  Je suis à bout
Casser cet univers sur le genou ployé
Bois sec dont on ferait des flammes singulières
Ah taper sur la table à midi
que le vin se renverse
qu'il submerge
les hommes à la mâchoire carrée
marteaux pilons
Alors se lèveront les poneys
les jeunes gens
en bande par la main par les villes
en promenade
pour chanter
à bride abattue à gorge déployée
comme un drapeau
la beauté la seule vertu
qui tende encore ses mains pures.
I.

Bien ! pillards, intrigants, fourbes, crétins, puissances !
Attablez-vous en hâte autour des jouissances !
Accourez ! place à tous !
Maîtres, buvez, mangez, car la vie est rapide.
Tout ce peuple conquis, tout ce peuple stupide,
Tout ce peuple est à vous !

Vendez l'état ! coupez les bois ! coupez les bourses !
Videz les réservoirs et tarissez les sources !
Les temps sont arrivés.
Prenez le dernier sou ! prenez, gais et faciles,
Aux travailleurs des champs, aux travailleurs des villes !
Prenez, riez, vivez !

Bombance ! allez ! c'est bien ! vivez ! faites ripaille !
La famille du pauvre expire sur la paille,
Sans porte ni volet.
Le père en frémissant va mendier dans l'ombre ;
La mère n'ayant plus de pain, dénûment sombre,
L'enfant n'a plus de lait.

II.

Millions ! millions ! châteaux ! liste civile !
Un jour je descendis dans les caves de Lille
Je vis ce morne enfer.
Des fantômes sont là sous terre dans des chambres,
Blêmes, courbés, ployés ; le rachis tord leurs membres
Dans son poignet de fer.

Sous ces voûtes on souffre, et l'air semble un toxique
L'aveugle en tâtonnant donne à boire au phtisique
L'eau coule à longs ruisseaux ;
Presque enfant à vingt ans, déjà vieillard à trente,
Le vivant chaque jour sent la mort pénétrante
S'infiltrer dans ses os.

Jamais de feu ; la pluie inonde la lucarne ;
L'œil en ces souterrains où le malheur s'acharne
Sur vous, ô travailleurs,
Près du rouet qui tourne et du fil qu'on dévide,
Voit des larves errer dans la lueur livide
Du soupirail en pleurs.

Misère ! l'homme songe en regardant la femme.
Le père, autour de lui sentant l'angoisse infâme
Etreindre la vertu,
Voit sa fille rentrer sinistre sous la porte,
Et n'ose, l'œil fixé sur le pain qu'elle apporte,
Lui dire : D'où viens-tu ?

Là dort le désespoir sur son haillon sordide ;
Là, l'avril de la vie, ailleurs tiède et splendide,
Ressemble au sombre hiver ;
La vierge, rose au jour, dans l'ombre est violette ;
Là, rampent dans l'horreur la maigreur du squelette,
La nudité du ver ;

Là frissonnent, plus bas que les égouts des rues,
Familles de la vie et du jour disparues,
Des groupes grelottants ;
Là, quand j'entrai, farouche, aux méduses pareille,
Une petite fille à figure vieille
Me dit : J'ai dix-huit ans !

Là, n'ayant pas de lit, la mère malheureuse
Met ses petits enfants dans un trou qu'elle creuse,
Tremblants comme l'oiseau ;
Hélas ! ces innocents aux regards de colombe
Trouvent en arrivant sur la terre une tombe
En place d'un berceau !

Caves de Lille ! on meurt sous vos plafonds de pierre !
J'ai vu, vu de ces yeux pleurant sous ma paupière,
Râler l'aïeul flétri,
La fille aux yeux hagards de ses cheveux vêtue,
Et l'enfant spectre au sein de la mère statue !
Ô Dante Alighieri !

C'est de ces douleurs-là que sortent vos richesses,
Princes ! ces dénûments nourrissent vos largesses,
Ô vainqueurs ! conquérants !
Votre budget ruisselle et suinte à larges gouttes
Des murs de ces caveaux, des pierres de ces voûtes,
Du cœur de ces mourants.

Sous ce rouage affreux qu'on nomme tyrannie,
Sous cette vis que meut le fisc, hideux génie,
De l'aube jusqu'au soir,
Sans trêve, nuit et jour, dans le siècle où nous sommes
Ainsi que des raisins on écrase des hommes,
Et l'or sort du pressoir.

C'est de cette détresse et de ces agonies,
De cette ombre, où jamais, dans les âmes ternies,
Espoir, tu ne vibras,
C'est de ces bouges noirs pleins d'angoisses amères,
C'est de ce sombre amas de pères et de mères
Qui se tordent les bras,

Oui, c'est de ce monceau d'indigences terribles
Que les lourds millions, étincelants, horribles,
Semant l'or en chemin,
Rampant vers les palais et les apothéoses,
Sortent, monstres joyeux et couronnés de roses,
Et teints de sang humain !

III.

Ô paradis ! splendeurs ! versez à boire aux maîtres !
L'orchestre rit, la fête empourpre les fenêtres,
La table éclate et luit ;
L'ombre est là sous leurs pieds ! les portes sont fermées
La prostitution des vierges affamées
Pleure dans cette nuit !

Vous tous qui partagez ces hideuses délices,
Soldats payés, tribuns vendus, juges complices,
Évêques effrontés,
La misère frémit sous ce Louvre où vous êtes !
C'est de fièvre et de faim et de mort que sont faites
Toutes vos voluptés !

À Saint-Cloud, effeuillant jasmins et marguerites,
Quand s'ébat sous les fleurs l'essaim des favorites,
Bras nus et gorge au vent,
Dans le festin qu'égaie un lustre à mille branches,
Chacune, en souriant, dans ses belles dents blanches
Mange un enfant vivant !

Mais qu'importe ! riez ! Se plaindra-t-on sans cesse ?
Serait-on empereur, prélat, prince et princesse,
Pour ne pas s'amuser ?
Ce peuple en larmes, triste, et que la faim déchire,
Doit être satisfait puisqu'il vous entend rire
Et qu'il vous voit danser !

Qu'importe ! Allons, emplis ton coffre, emplis ta poche.
Chantez, le verre en main, Troplong, Sibour, Baroche !
Ce tableau nous manquait.
Regorgez, quand la faim tient le peuple en sa serre,
Et faites, au -dessus de l'immense misère,
Un immense banquet !

IV.

Ils marchent sur toi, peuple ! Ô barricade sombre,
Si haute hier, dressant dans les assauts sans nombre
Ton front de sang lavé,
Sous la roue emportée, étincelante et folle,
De leur coupé joyeux qui rayonne et qui vole,
Tu redeviens pavé !

À César ton argent, peuple ; à toi la famine.
N'es-tu pas le chien vil qu'on bat et qui chemine
Derrière son seigneur ?
À lui la pourpre ; à toi la hotte et les guenilles.
Peuple, à lui la beauté de ces femmes, tes filles,
À toi leur déshonneur !

V.

Ah ! quelqu'un parlera. La muse, c'est l'histoire.
Quelqu'un élèvera la voix dans la nuit noire.
Riez, bourreaux bouffons !
Quelqu'un te vengera, pauvre France abattue,
Ma mère ! et l'on verra la parole qui tue
Sortir des cieux profonds !

Ces gueux, pires brigands que ceux des vieilles races,
Rongeant le pauvre peuple avec leurs dents voraces,
Sans pitié, sans merci,
Vils, n'ayant pas de cœur, mais ayant deux visages,
Disent : - Bah ! le poète ! il est dans les nuages ! -
Soit. Le tonnerre aussi.

Le 19 janvier 1853.
La mort est multiforme, elle change de masque
Et d'habit plus souvent qu'une actrice fantasque ;
Elle sait se farder,
Et ce n'est pas toujours cette maigre carcasse,
Qui vous montre les dents et vous fait la grimace
Horrible à regarder.

Ses sujets ne sont pas tous dans le cimetière,
Ils ne dorment pas tous sur des chevets de pierre
À l'ombre des arceaux ;
Tous ne sont pas vêtus de la pâle livrée,
Et la porte sur tous n'est pas encor murée
Dans la nuit des caveaux.

Il est des trépassés de diverse nature :
Aux uns la puanteur avec la pourriture,
Le palpable néant,
L'horreur et le dégoût, l'ombre profonde et noire
Et le cercueil avide entr'ouvrant sa mâchoire
Comme un monstre béant ;

Aux autres, que l'on voit sans qu'on s'en épouvante
Passer et repasser dans la cité vivante
Sous leur linceul de chair,
L'invisible néant, la mort intérieure
Que personne ne sait, que personne ne pleure,
Même votre plus cher.

Car, lorsque l'on s'en va dans les villes funèbres
Visiter les tombeaux inconnus ou célèbres,
De marbre ou de gazon ;
Qu'on ait ou qu'on n'ait pas quelque paupière amie
Sous l'ombrage des ifs à jamais endormie,
Qu'on soit en pleurs ou non,

On dit : ceux-là sont morts. La mousse étend son voile
Sur leurs noms effacés ; le ver file sa toile
Dans le trou de leurs yeux ;
Leurs cheveux ont percé les planches de la bière ;
À côté de leurs os, leur chair tombe en poussière
Sur les os des aïeux.

Leurs héritiers, le soir, n'ont plus peur qu'ils reviennent ;
C'est à peine à présent si leurs chiens s'en souviennent,
Enfumés et poudreux,
Leurs portraits adorés traînent dans les boutiques ;
Leurs jaloux d'autrefois font leurs panégyriques ;
Tout est fini pour eux.

L'ange de la douleur, sur leur tombe en prière,
Est seul à les pleurer dans ses larmes de pierre,
Comme le ver leur corps,
L'oubli ronge leur nom avec sa lime sourde ;
Ils ont pour drap de lit six pieds de terre lourde.
Ils sont morts, et bien morts !

Et peut-être une larme, à votre âme échappée,
Sur leur cendre, de pluie et de neige trempée,
Filtre insensiblement,
Qui les va réjouir dans leur triste demeure ;
Et leur coeur desséché, comprenant qu'on les pleure,
Retrouve un battement.

Mais personne ne dit, voyant un mort de l'âme :
Paix et repos sur toi ! L'on refuse à la lame
Ce qu'on donne au fourreau ;
L'on pleure le cadavre et l'on panse la plaie,
L'âme se brise et meurt sans que nul s'en effraie
Et lui dresse un tombeau.

Et cependant il est d'horribles agonies
Qu'on ne saura jamais ; des douleurs infinies
Que l'on n'aperçoit pas.
Il est plus d'une croix au calvaire de l'âme
Sans l'auréole d'or, et sans la blanche femme
Échevelée au bas.

Toute âme est un sépulcre où gisent mille choses ;
Des cadavres hideux dans des figures roses
Dorment ensevelis.
On retrouve toujours les larmes sous le rire,
Les morts sous les vivants, et l'homme est à vrai dire
Une nécropolis.

Les tombeaux déterrés des vieilles cités mortes,
Les chambres et les puits de la Thèbe aux cent portes
Ne sont pas si peuplés ;
On n'y rencontre pas de plus affreux squelettes.
Un plus vaste fouillis d'ossements et de têtes
Aux ruines mêlés.

L'on en voit qui n'ont pas d'épitaphe à leurs tombes,
Et de leurs trépassés font comme aux catacombes
Un grand entassement ;
Dont le coeur est un champ uni, sans croix ni pierres,
Et que l'aveugle mort de diverses poussières
Remplit confusément.

D'autres, moins oublieux, ont des caves funèbres
Où sont rangés leurs morts, comme celles des guèbres
Ou des égyptiens ;
Tout autour de leur coeur sont debout les momies,
Et l'on y reconnaît les figures blémies
De leurs amours anciens.

Dans un pur souvenir chastement embaumée
Ils gardent au fond d'eux l'âme qu'ils ont aimée ;
Triste et charmant trésor !
La mort habite en eux au milieu de la vie ;
Ils s'en vont poursuivant la chère ombre ravie
Qui leur sourit encor.

Où ne trouve-t-on pas, en fouillant, un squelette ?
Quel foyer réunit la famille complète
En cercle chaque soir ?
Et quel seuil, si riant et si beau qu'il puisse être,
Pour ne pas revenir n'a vu sortir le maître
Avec un manteau noir ?

Cette petite fleur, qui, toute réjouie,
Fait baiser au soleil sa bouche épanouie,
Est fille de la mort.
En plongeant sous le sol, peut-être sa racine
Dans quelque cendre chère a pris l'odeur divine
Qui vous charme si fort.

Ô fiancés d'hier, encore amants, l'alcôve
Où nichent vos amours, à quelque vieillard chauve
A servi comme à vous ;
Avant vos doux soupirs elle a redit son râle,
Et son souvenir mêle une odeur sépulcrale
À vos parfums d'époux !

Où donc poser le pied qu'on ne foule une tombe ?
Ah ! Lorsque l'on prendrait son aile à la colombe,
Ses pieds au daim léger ;
Qu'on irait demander au poisson sa nageoire,
On trouvera partout l'hôtesse blanche et noire
Prête à vous héberger.

Cessez donc, cessez donc, ô vous, les jeunes mères
Berçant vos fils aux bras des riantes chimères,
De leur rêver un sort ;
Filez-leur un suaire avec le lin des langes.
Vos fils, fussent-ils purs et beaux comme les anges,
Sont condamnés à mort !
Puits de l'Inde ! tombeaux ! monuments constellés !
Vous dont l'intérieur n'offre aux regards troublés
Qu'un amas tournoyant de marches et de rampes,
Froids cachots, corridors où rayonnent des lampes,
Poutres où l'araignée a tendu ses longs fils,
Blocs ébauchant partout de sinistres profils,
Toits de granit, troués comme une frêle toile,
Par où l'oeil voit briller quelque profonde étoile,
Et des chaos de murs, de chambres, de paliers,
Où s'écroule au hasard un gouffre d'escaliers !
Cryptes qui remplissez d'horreur religieuse
Votre voûte sans fin, morne et prodigieuse !
Cavernes où l'esprit n'ose aller trop avant !
Devant vos profondeurs j'ai pâli bien souvent
Comme sur un abîme ou sur une fournaise,
Effrayantes Babels que rêvait Piranèse !

Entrez si vous l'osez !

Sur le pavé dormant
Les ombres des arceaux se croisent tristement ;
La dalle par endroits, pliant sous les décombres,
S'entr'ouvre pour laisser passer des degrés sombres
Qui fouillent, vis de pierre, un souterrain sans fond ;
D'autres montent là-haut et crèvent le plafond.
Où vont-ils ? Dieu le sait. Du creux d'une arche vide
Une eau qui tombe envoie une lueur livide.
Une voûte au front vert s'égoutte dans un puits,
Dans l'ombre un lourd monceau de roches sans appuis
S'arrête retenu par des ronces grimpantes ;
Une corde qui pend d'un amas de charpentes
S'offre, mystérieuse, à la main du passant.
Dans un caveau, penché sur un livre, et lisant,
Un vieillard surhumain, sous le roc qui surplombe,
Semble vivre oublié par la mort dans sa tombe.
Des sphinx, des boeufs d'airain, sur l'étrave accroupis,
Ont fait des chapiteaux aux piliers décrépits ;
L'aspic à l'oeil de braise, agitant ses paupières,
Passe sa tête plate aux crevasses des pierres.
Tout chancelle et fléchit sous les toits entr'ouverts.
Le mur suinte, et l'on voit fourmiller à travers
De grands feuillages roux, sortant d'entre les marbres,
Des monstres qu'on prendrait pour des racines d'arbres.
Partout, sur les parois du morne monument,
Quelque chose d'affreux rampe confusément ;
Et celui qui parcourt ce dédale difforme,
Comme s'il était pris par un polype énorme,
Sur son front effaré, sous son pied hasardeux,
Sent vivre et remuer l'édifice hideux !

Aux heures où l'esprit, dont l'oeil partout se pose,
Cherche à voir dans la nuit le fond de toute chose,
Dans ces lieux effrayants mon regard se perdit.
Bien souvent je les ai contemplés, et j'ai dit :

- Ô rêves de granit ! grottes visionnaires !
Cryptes ! palais ! tombeaux, pleins de vagues tonnerres !
Vous êtes moins brumeux, moins noirs, moins ignorés,
Vous êtes moins profonds et moins désespérés
Que le destin, cet antre habité par nos craintes,
Où l'âme entend, perdue, en d'affreux labyrinthes,
Au fond, à travers l'ombre, avec mille bruits sourds,
Dans un gouffre inconnu tomber le flot des jours ! -

Avril 1839.
Lune ! Blanche figure assise à l'horizon,
Que viens-tu regarder au fond de ma maison ? ...
Dans nos chambres, vois-tu ! La fiévreuse insomnie
Sur beaucoup d'oreillers se penche en ennemie ;
Elle entre, et bien des yeux qui paraissent fermés
Sont par des pleurs sans bruit ouverts et consumés.

Oh ! Si tu n'étais, toi, qu'un beau front de madone,
Saintement inondé de l'amour qui pardonne !
Oh ! Si Dieu le voulait que tes tendres clartés
Soient des pardons promis aux pauvres visités !
N'as-tu pas pour cortège un flot de jeunes âmes
Mêlant à tes lueurs leurs vacillantes flammes ?

Dis donc à ces enfants envolés **** de nous
De venir embrasser leurs mères à genoux,
Lune ! Il en est plus d'un qui doit me reconnaître
S'il me regarde ainsi penchée à ma fenêtre,
Qui m'apparut à moi, beau, sans ailes encor,
Et qui m'a brisé l'âme en reprenant l'essor.

Nous avons mis leurs noms sous des touffes de roses.
De tes pâles fraîcheurs, ô toi qui les arroses,
Qui plus forte que nous visites leur sommeil,
Lune, merci ! Je t'aime autant que le soleil !
Merci ! Toi qui descends des divines montagnes
Pour éclairer nos morts épars dans les campagnes.

Dans leur étroit jardin tu viens les regarder,
Et contre l'oubli froid tu sembles les garder.
Je me souviens aussi, devant ton front qui brille,
Douce lampe des morts qui luis sur ma famille !
Au bout de tes rayons promenés sur nos fleurs,
Comme un encens amer prends un peu de mes pleurs :

Nul soleil n'a séché ce sanglot de mon âme,
Et tu peux le mêlant à ton humide flamme,
L'épancher sur le coeur de mon père endormi,
Lui, qui fut mon premier et mon plus tendre ami !
Quel charme de penser, en te voyant si pure
Et cheminant sans bruit à travers la nature,
Que chaque doux sépulcre où je ne peux errer,
En m'éclairant aussi tu vas les éclairer !

À ma bouche confuse enlève une parole
Pour la sanctifier dans ta chaste auréole ;
Et de ta haute église, alors, fais-la tomber
****, par delà les mers, où j'ai vu se courber
Ma tige maternelle enlacée à ma vie,
Puis, mourir sur le sable où je l'avais suivie.

Son sommeil tourmenté par les flots et le vent
Ne tressaille jamais au pas de son enfant.
Jamais je n'ai plié mes genoux sur ma mère ;
Ce doux poids balancé dans une vague amère,
Lune ! Il m'est refusé de l'embrasser encor :
Porte-lui donc mon âme avec ton baiser d'or !
Le soleil verse aux toits des chambres mal fermées
Ses urnes enflammées ;
En attendant le kief, toutes sont là, pâmées,
Sur les divans brodés de chimères armées ;

Annès, Nazlès, Assims, Bourbaras, Zalimées,
En lin blanc, la prunelle et la joue allumées
Par le fard, parfumées,
Tirant des narghilés de légères fumées,

Ou buvant, ranimées,
Les ongles teints, les doigts illustrés de camées,
Dans les dés d'argent fin des liqueurs renommées.

Sur les coussins vêtus d'étoffes imprimées,
Dans des poses d'almées,
Voluptueusement fument les bien-aimées.
Sonnet.

Grands bois, vous m'effrayez comme des cathédrales ;
Vous hurlez comme l'orgue ; et dans nos coeurs maudits,
Chambres d'éternel deuil où vibrent de vieux râles,
Répondent les échos de vos De profundis.

Je te hais, Océan ! tes bonds et tes tumultes,
Mon esprit les retrouve en lui ; ce rire amer
De l'homme vaincu, plein de sanglots et d'insultes,
Je l'entends dans le rire énorme de la mer.

Comme tu me plairais, ô nuit ! sans ces étoiles
Dont la lumière parle un langage connu !
Car je cherche le vide, et le noir et le nu !

Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toiles
Où vivent, jaillissant de mon oeil par milliers,
Des êtres disparus aux regards familiers.

— The End —