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Ex-voto dans le goût espagnol.

Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,
Un autel souterrain au fond de ma détresse,
Et creuser dans le coin le plus noir de mon coeur,
**** du désir mondain et du regard moqueur,
Une niche, d'azur et d'or tout émaillée,
Où tu te dresseras, Statue émerveillée.
Avec mes Vers polis, treillis d'un pur métal
Savamment constellé de rimes de cristal,
Je ferai pour ta tête une énorme Couronne ;
Et dans ma jalousie, ô mortelle Madone,
Je saurai te tailler un Manteau, de façon
Barbare, roide et lourd, et doublé de soupçon,
Qui, comme une guérite, enfermera tes charmes ;
Non de Perles brodé, mais de toutes mes Larmes !
Ta Robe, ce sera mon Désir, frémissant,
Onduleux, mon Désir qui monte et qui descend,
Aux pointes se balance, aux vallons se repose,
Et revêt d'un baiser tout ton corps blanc et rose.
Je te ferai de mon Respect de beaux Souliers
De satin, par tes pieds divins humiliés,
Qui, les emprisonnant dans une molle étreinte,
Comme un moule fidèle en garderont l'empreinte.
Si je ne puis, malgré tout mon art diligent,
Pour Marchepied tailler une Lune d'argent,
Je mettrai le Serpent qui me mord les entrailles
Sous tes talons, afin que tu foules et railles,
Reine victorieuse et féconde en rachats,
Ce monstre tout gonflé de haine et de crachats.
Tu verras mes Pensers, rangés comme les Cierges
Devant l'autel fleuri de la Reine des Vierges,
Étoilant de reflets le plafond peint en bleu,
Te regarder toujours avec des yeux de feu ;
Et comme tout en moi te chérit et t'admire,
Tout se fera Benjoin, Encens, Oliban, Myrrhe,
Et sans cesse vers toi, sommet blanc et neigeux,
En Vapeurs montera mon Esprit orageux.

Enfin, pour compléter ton rôle de Marie,
Et pour mêler l'amour avec la barbarie,
Volupté noire ! des sept Péchés capitaux,
Bourreau plein de remords, je ferai sept Couteaux
Bien affilés, et, comme un jongleur insensible,
Prenant le plus profond de ton amour pour cible,
Je les planterai tous dans ton Coeur pantelant,
Dans ton Coeur sanglotant, dans ton Coeur ruisselant !
Ils vont sans trêve ; ils vont sous le ciel bas et sombre,
Les Fugitifs, chassés des anciens paradis ;
Et toute la tribu, depuis des jours sans nombre,
Dans leur sillon fatal traîne ses pieds roidis.

Ils vont, les derniers-nés des races primitives,
Les derniers dont les yeux, sur les divins sommets,
Dans les herbes en fleur ont vu fuir les Eaux vives
Et grandir un Soleil, oublié désormais.

Tout est mort et flétri sur les plateaux sublimes
Où l'aurore du monde a lui pour leurs aïeux ;
Et voici que les fils, à l'étroit sur les cimes,
Vers l'Occident nocturne ont cherché d'autres cieux.

Ils ont fui. Le vent souffle et pousse dans l'espace
La neige inépuisable en tourbillons gonflés ;
Un hiver éternel suspend, en blocs de glace,
De rigides torrents aux flancs des monts gelés.

Des amas de rochers, blancs d'une lourde écume,
Témoins rugueux d'un monde informe et surhumain.
Visqueux, lavés de pluie et noyés dans la brume,
De leurs blocs convulsés ferment l'âpre chemin.

Des forêts d'arbres morts, tordus par les tempêtes,
S'étendent ; et le cri des voraces oiseaux,
Près de grands lacs boueux, répond au cri des bêtes
Qui râlent en glissant sur l'épaisseur des eaux.

Mais l'immense tribu, par les sentiers plus rudes,
Par les ravins fangeux où s'engouffre le vent,
Comme un troupeau perdu, s'enfonce aux solitudes,
Sans hâte, sans relâche et toujours plus avant.

En tête, interrogeant l'ombre de leurs yeux ternes,
Marchent les durs chasseurs, les géants et les forts,
Plus monstrueux que l'ours qu'au seuil de leurs cavernes
Ils étouffaient naguère en luttant corps à corps.

Leurs longs cheveux, pareils aux lianes farouches,
En lanières tombaient de leurs crânes étroits,
Tandis qu'en se figeant l'haleine de leurs bouchés
Hérissait de glaçons leurs barbes aux poils droits.

Les uns, ceints de roseaux tressés ou d'herbes sèches,
Aux rafales de grêle offraient leurs larges flancs ;
D'autres, autour du col attachant des peaux fraîches,
D'un manteau ******* couvraient leurs reins sanglants.

Et les femmes marchaient, lentes, mornes, livides,
Haletant et pliant sous les doubles fardeaux
Des blêmes nourrissons pendus à leurs seins vides
Et des petits enfants attachés sur leur dos.

En arrière, portés sur des branches unies,
De grands vieillards muets songeaient aux jours lointains
Et, soulevant parfois leurs paupières ternies,
Vers l'horizon perdu tournaient des yeux éteints.

Ils allaient. Mais soudain, quand la nuit dans, l'espace
Roulait, avec la peur, l'obscurité sans fin,
La tribu tout entière, épuisée et trop lasse,
Multipliait le cri terrible de sa faim.

Les chasseurs ont hier suivi des pistes fausses ;
Le renne prisonnier a rompu ses liens ;
L'ours défiant n'a pas trébuché dans les fosses ;
Le cerf n'est pas tombé sous les crocs blancs des chiens.

Le sol ne livre plus ni germes ni racines,
Le poisson se dérobe aux marais submergés ;
Rien, ni les acres fruits ni le flux des résines,
Ni la moelle épaisse au creux des os rongés.

Et voici qu'appuyés sur des haches de pierre,
Les mâles, dans l'horreur d'un songe inassouvi,
Ont compté tous les morts dont la chair nourricière
Fut le festin des loups, sur le chemin suivi.

Voici la proie humaine, offerte à leur délire,
Vieillards, femmes, enfants, les faibles, autour d'eux
Vautrés dans leur sommeil stupide, sans voir luire
Les yeux des carnassiers en un cercle hideux.

Les haches ont volé. Devant les corps inertes,
Dans la pourpre qui bout et coule en noirs ruisseaux,
Les meurtriers, fouillant les poitrines ouvertes,
Mangent les cœurs tout vifs, arrachés par morceaux.

Et tous, repus, souillés d'un sang qui fume encore,
Parmi les os blanchis épars sur le sol nu,
Aux blafardes lueurs de la nouvelle aurore,
Marchent, silencieux, vers le but inconnu.

Telle, de siècle en siècle incessamment errante,
Sur la neige durcie et le désert glacé
Ne laissant même pas sa trace indifférente,
La tribu, sans espoir et sans rêve, a passé.

Tels, les Fils de l'Exil, suivant le bord des fleuves
Dont les vallons emplis traçaient le large cours,
Sauvages conquérants des solitudes neuves,
Ont avancé, souffert et pullulé toujours ;

Jusqu'à l'heure où, du sein des vapeurs méphitiques,
Dont le rideau flottant se déchira soudain,
Une terre, pareille aux demeures antiques,
A leurs yeux éblouis fleurit comme un jardin.

Devant eux s'étalait calme, immense et superbe,
Comme un tapis changeant au pied des monts jeté,
Un pays, vierge encore, où, mugissant dans l'herbe,
Des vaches au poil blanc paissaient en liberté.

Et sous les palmiers verts, parmi les fleurs nouvelles,
Les étalons puissants, les cerfs aux pieds légers
Et les troupeaux épars des fuyantes gazelles
Écoutaient sans effroi les pas des étrangers.

C'était là. Le Destin, dans l'aube qui se lève,
Au terme de l'Exil ressuscitait pour eux,
Comme un réveil tardif après un sombre rêve,
Le vivant souvenir des siècles bienheureux.

La Vie a rejailli de la source féconde,
Et toute soif s'abreuve à son flot fortuné,
Et le désert se peuple et toute chair abonde,
Et l'homme pacifique est comme un nouveau-né.

Il revoit le Soleil, l'immortelle Lumière,
Et le ciel où, témoins des clémentes saisons,
Des astres reconnus, à l'heure coutumière,
Montent, comme autrefois, sur les vieux horizons.

Et plus ****, par delà le sable monotone,
Il voit irradier, comme un profond miroir,
L'étincelante mer dont l'infini frissonne
Quand le Soleil descend dans la rougeur du soir.

Et le Ciel sans limite et la Nature immense,
Les eaux, les bois, les monts, tout s'anime à ses yeux.
Moins aveugle et moins sourd, un univers commence
Où son cœur inquiet sent palpiter des Dieux.

Ils naissent du chaos où s'ébauchaient leurs formes,
Multiples et sans noms, l'un par l'autre engendrés ;
Et le reflet sanglant de leurs ombres énormes
D'une terreur barbare emplit les temps sacrés.

Ils parlent dans l'orage ; ils pleurent dans l'averse.
Leur bras libérateur darde et brandit l'éclair,
Comme un glaive strident qui poursuit et transperce
Les monstres nuageux accumulés dans l'air.

Sur l'abîme éternel des eaux primordiales
Nagent des Dieux prudents, tels que de grands poissons ;
D'infaillibles Esprits peuplent les nuits astrales ;
Des serpents inspirés sifflent dans les buissons.

Puis, lorsque surgissant comme un roi, dans l'aurore,
Le Soleil triomphal brille au firmament bleu,
L'homme, les bras tendus, chante, contemple, adore
La Majesté suprême et le plus ancien Dieu ;

Celui qui féconda la Vie universelle,
L'ancêtre vénéré du jour propice et pur,
Le guerrier lumineux dont le disque étincelle
Comme un bouclier d'or suspendu dans l'azur ;

Et celui qui parfois, formidable et néfaste,
Immobile au ciel fauve et morne de l'Été,
Flétrit, dévore, embrase, et du désert plus vaste
Fait, jusqu'aux profondeurs, flamber l'immensité.

Mais quand l'homme, éveillant l'éternelle Nature,
Ses formes, ses couleurs, ses clartés et ses voix,
Fut seul devant les Dieux, fils de son âme obscure,
Il tressaillit d'angoisse et supplia ses Rois.

Alors, ô Souverains ! les taureaux et les chèvres
D'un sang expiatoire ont inondé le sol ;
Et l'hymne évocateur, en s'échappant des lèvres,
Comme un aiglon divin tenta son premier vol.

Idoles de granit, simulacres de pierre,
Bétyles, Pieux sacrés, Astres du ciel serein,
Vers vous, avec l'offrande, a monté la prière,
Et la graisse a fumé sur les autels d'airain.

Les siècles ont passé ; les races successives
Ont bâti des palais, des tours et des cités
Et des temples jaloux, dont les parois massives
Aux profanes regards cachaient les Dieux sculptés.

Triomphants tour à tour ou livrés aux insultes,
Voluptueux, cruels, terribles ou savants,
Tels, vous avez versé pour jamais, ô vieux cultes !
L'ivresse du Mystère aux âmes des vivants.

Tels vous traînez encore, au fond de l'ombre ingrate,
Vos cortèges sacrés, lamentables et vains,
Du vieux Nil à la mer et du Gange à l'Euphrate,
Ô spectres innommés des ancêtres divins !

Et dans le vague abîme où gît le monde antique,
Luit, comme un astre mort, au ciel religieux,
La sombre majesté de l'Orient mystique,
Berceau des nations et sépulcre des Dieux.
O horrible ! o horrible ! most horrible !
Shakespeare, Hamlet.

On a cru devoir réimprimer cette ode telle qu'elle a été composée et publiée
en juin 1826, à l'époque du désastre de Missolonghi. Il est important de se rappeler,
en la lisant, que tous les journaux d'Europe annoncèrent alors la mort de Canaris,
tué dans son brûlot par une bombe turque, devant la ville qu'il venait secourir.
Depuis, cette nouvelle fatale a été heureusement démentie.


I.

Le dôme obscur des nuits, semé d'astres sans nombre,
Se mirait dans la mer resplendissante et sombre ;
La riante Stamboul, le front d'étoiles voilé,
Semblait, couchée au bord du golfe qui l'inonde,
Entre les feux du ciel et les reflets de l'onde,
Dormir dans un globe étoilé.

On eût dit la cité dont les esprits nocturnes
Bâtissent dans les airs les palais taciturnes,
À voir ses grands harems, séjours des longs ennuis,
Ses dômes bleus, pareils au ciel qui les colore,
Et leurs mille croissants, que semblaient faire éclore
Les rayons du croissant des nuits.

L'œil distinguait les tours par leurs angles marquées,
Les maisons aux toits plats, les flèches des mosquées,
Les moresques balcons en trèfles découpés,
Les vitraux, se cachant sous des grilles discrètes,
Et les palais dorés, et comme des aigrettes
Les palmiers sur leur front groupés.

Là, de blancs minarets dont l'aiguille s'élance
Tels que des mâts d'ivoire armés d'un fer de lance ;
Là, des kiosques peints ; là, des fanaux changeants ;
Et sur le vieux sérail, que ses hauts murs décèlent,
Cent coupoles d'étain, qui dans l'ombre étincellent
Comme des casques de géants !

II.

Le sérail...! Cette nuit il tressaillait de joie.
Au son des gais tambours, sur des tapis de soie,
Les sultanes dansaient sous son lambris sacré ;
Et, tel qu'un roi couvert de ses joyaux de fête,
Superbe, il se montrait aux enfants du prophète,
De six mille têtes paré !

Livides, l'œil éteint, de noirs cheveux chargés,
Ces têtes couronnaient, sur les créneaux rangées,
Les terrasses de rose et de jasmins en fleur :
Triste comme un ami, comme lui consolante,
La lune, astre des morts, sur leur pâleur sanglante
Répandait sa douce pâleur.

Dominant le sérail, de la porte fatale
Trois d'entre elles marquaient l'ogive orientale ;
Ces têtes, que battait l'aile du noir corbeau,
Semblaient avoir reçu l'atteinte meurtrière,
L'une dans les combats, l'autre dans la prière,
La dernière dans le tombeau.

On dit qu'alors, tandis qu'immobiles comme elles,
Veillaient stupidement les mornes sentinelles,
Les trois têtes soudain parlèrent ; et leurs voix
Ressemblaient à ces chants qu'on entend dans les rêves,
Aux bruits confus du flot qui s'endort sur les grèves,
Du vent qui s'endort dans les bois !

III.

La première voix.

« Où suis-je...? mon brûlot ! à la voile ! à la rame !
Frères, Missolonghi fumante nous réclame,
Les Turcs ont investi ses remparts généreux.
Renvoyons leurs vaisseaux à leurs villes lointaines,
Et que ma torche, ô capitaines !
Soit un phare pour vous, soit un foudre pour eux !

« Partons ! Adieu Corinthe et son haut promontoire,
Mers dont chaque rocher porte un nom de victoire,
Écueils de l'Archipel sur tous les flots semés,
Belles îles, des cieux et du printemps chéries,
Qui le jour paraissez des corbeilles fleuries,
La nuit, des vases parfumés !

« Adieu, fière patrie, Hydra, Sparte nouvelle !
Ta jeune liberté par des chants se révèle ;
Des mâts voilent tes murs, ville de matelots !
Adieu ! j'aime ton île où notre espoir se fonde,
Tes gazons caressés par l'onde,
Tes rocs battus d'éclairs et rongés par les flots !

« Frères, si je reviens, Missolonghi sauvée,
Qu'une église nouvelle au Christ soit élevée.
Si je meurs, si je tombe en la nuit sans réveil,
Si je verse le sang qui me reste à répandre,
Dans une terre libre allez porter ma cendre,
Et creusez ma tombe au soleil !

« Missolonghi ! - Les Turcs ! - Chassons, ô camarades,
Leurs canons de ses forts, leurs flottes de ses rades.
Brûlons le capitan sous son triple canon.
Allons ! que des brûlots l'ongle ardent se prépare.
Sur sa nef, si je m'en empare,
C'est en lettres de feu que j'écrirai mon nom.

« Victoire ! amis...! - Ô ciel ! de mon esquif agile
Une bombe en tombant brise le pont fragile...
Il éclate, il tournoie, il s'ouvre aux flots amers !
Ma bouche crie en vain, par les vagues couverte !
Adieu ! je vais trouver mon linceul d'algue verte,
Mon lit de sable au fond des mers.

« Mais non ! Je me réveille enfin...! Mais quel mystère ?
Quel rêve affreux...! mon bras manque à mon cimeterre.
Quel est donc près de moi ce sombre épouvantail ?
Qu'entends-je au ****...? des chœurs... sont-ce des voix de femmes ?
Des chants murmurés par des âmes ?
Ces concerts...! suis-je au ciel ? - Du sang... c'est le sérail ! »

IV.

La deuxième voix.

« Oui, Canaris, tu vois le sérail et ma tête
Arrachée au cercueil pour orner cette fête.
Les Turcs m'ont poursuivi sous mon tombeau glacé.
Vois ! ces os desséchés sont leur dépouille opime :
Voilà de Botzaris ce qu'au sultan sublime
Le ver du sépulcre a laissé !

« Écoute : Je dormais dans le fond de ma tombe,
Quand un cri m'éveilla : Missolonghi succombe !
Je me lève à demi dans la nuit du trépas ;
J'entends des canons sourds les tonnantes volées,
Les clameurs aux clameurs mêlées,
Les chocs fréquents du fer, le bruit pressé des pas.

« J'entends, dans le combat qui remplissait la ville,
Des voix crier : « Défends d'une horde servile,
Ombre de Botzaris, tes Grecs infortunés ! »
Et moi, pour m'échapper, luttant dans les ténèbres,
J'achevais de briser sur les marbres funèbres
Tous mes ossements décharnés.

« Soudain, comme un volcan, le sol s'embrase et gronde... -
Tout se tait ; - et mon œil ouvert pour l'autre monde
Voit ce que nul vivant n'eût pu voir de ses yeux.
De la terre, des flots, du sein profond des flammes,
S'échappaient des tourbillons d'âmes
Qui tombaient dans l'abîme ou s'envolaient aux cieux !

« Les Musulmans vainqueurs dans ma tombe fouillèrent ;
Ils mêlèrent ma tête aux vôtres qu'ils souillèrent.
Dans le sac du Tartare on les jeta sans choix.
Mon corps décapité tressaillit d'allégresse ;
Il me semblait, ami, pour la Croix et la Grèce
Mourir une seconde fois.

« Sur la terre aujourd'hui notre destin s'achève.
Stamboul, pour contempler cette moisson du glaive,
Vile esclave, s'émeut du Fanar aux Sept-Tours ;
Et nos têtes, qu'on livre aux publiques risées,
Sur l'impur sérail exposées,
Repaissent le sultan, convive des vautours !

« Voilà tous nos héros ! Costas le palicare ;
Christo, du mont Olympe ; Hellas, des mers d'Icare ;
Kitzos, qu'aimait Byron, le poète immortel ;
Et cet enfant des monts, notre ami, notre émule,
Mayer, qui rapportait aux fils de Thrasybule
La flèche de Guillaume Tell !

« Mais ces morts inconnus, qui dans nos rangs stoïques
Confondent leurs fronts vils à des fronts héroïques,
Ce sont des fils maudits d'Eblis et de Satan,
Des Turcs, obscur troupeau, foule au sabre asservie,
Esclaves dont on prend la vie,
Quand il manque une tête au compte du sultan !

« Semblable au Minotaure inventé par nos pères,
Un homme est seul vivant dans ces hideux repaires,
Qui montrent nos lambeaux aux peuples à genoux ;
Car les autres témoins de ces fêtes fétides,
Ses eunuques impurs, ses muets homicides,
Ami, sont aussi morts que nous.

« Quels sont ces cris...? - C'est l'heure où ses plaisirs infâmes
Ont réclamé nos sœurs, nos filles et nos femmes.
Ces fleurs vont se flétrir à son souffle inhumain.
Le tigre impérial, rugissant dans sa joie,
Tour à tour compte chaque proie,
Nos vierges cette nuit, et nos têtes demain ! »

V.

La troisième voix.

« Ô mes frères ! Joseph, évêque, vous salue.
Missolonghi n'est plus ! À sa mort résolue,
Elle a fui la famine et son venin rongeur.
Enveloppant les Turcs dans son malheur suprême,
Formidable victime, elle a mis elle-même
La flamme à son bûcher vengeur.

« Voyant depuis vingt jours notre ville affamée,
J'ai crié : « Venez tous ; il est temps, peuple, armée !
Dans le saint sacrifice il faut nous dire adieu.
Recevez de mes mains, à la table céleste,
Le seul aliment qui nous reste,
Le pain qui nourrit l'âme et la transforme en dieu ! »

« Quelle communion ! Des mourants immobiles,
Cherchant l'hostie offerte à leurs lèvres débiles,
Des soldats défaillants, mais encor redoutés,
Des femmes, des vieillards, des vierges désolées,
Et sur le sein flétri des mères mutilées
Des enfants de sang allaités !

« La nuit vint, on partit ; mais les Turcs dans les ombres
Assiégèrent bientôt nos morts et nos décombres.
Mon église s'ouvrit à leurs pas inquiets.
Sur un débris d'autel, leur dernière conquête,
Un sabre fit rouler ma tête...
J'ignore quelle main me frappa : je priais.

« Frères, plaignez Mahmoud ! Né dans sa loi barbare,
Des hommes et de Dieu son pouvoir le sépare.
Son aveugle regard ne s'ouvre pas au ciel.
Sa couronne fatale, et toujours chancelante,
Porte à chaque fleuron une tête sanglante ;
Et peut-être il n'est pas cruel !

« Le malheureux, en proie, aux terreurs implacables,
Perd pour l'éternité ses jours irrévocables.
Rien ne marque pour lui les matins et les soirs.
Toujours l'ennui ! Semblable aux idoles qu'ils dorent,
Ses esclaves de **** l'adorent,
Et le fouet d'un spahi règle leurs encensoirs.

« Mais pour vous tout est joie, honneur, fête, victoire.
Sur la terre vaincus, vous vaincrez dans l'histoire.
Frères, Dieu vous bénit sur le sérail fumant.
Vos gloires par la mort ne sont pas étouffées :
Vos têtes sans tombeaux deviennent vos trophées ;
Vos débris sont un monument !

« Que l'apostat surtout vous envie ! Anathème
Au chrétien qui souilla l'eau sainte du baptême !
Sur le livre de vie en vain il fut compté :
Nul ange ne l'attend dans les cieux où nous sommes ;
Et son nom, exécré des hommes,
Sera, comme un poison, des bouches rejeté !

« Et toi, chrétienne Europe, entends nos voix plaintives.
Jadis, pour nous sauver, saint Louis vers nos rives
Eût de ses chevaliers guidé l'arrière-ban.
Choisis enfin, avant que ton Dieu ne se lève,
De Jésus et d'Omar, de la croix et du glaive,
De l'auréole et du turban. »

VI.

Oui, Botzaris, Joseph, Canaris, ombres saintes,
Elle entendra vos voix, par le trépas éteintes ;
Elle verra le signe empreint sur votre front ;
Et soupirant ensemble un chant expiatoire,
À vos débris sanglants portant leur double gloire,
Sur la harpe et le luth les deux Grèces diront :

« Hélas ! vous êtes saints et vous êtes sublimes,
Confesseurs, demi-dieux, fraternelles victimes !
Votre bras aux combats s'est longtemps signalé ;
Morts, vous êtes tous trois souillés par des mains viles.
Voici votre Calvaire après vos Thermopyles ;
Pour tous les dévouements votre sang a coulé !

« Ah ! si l'Europe en deuil, qu'un sang si pur menace,
Ne suit jusqu'au sérail le chemin qu'il lui trace,
Le Seigneur la réserve à d'amers repentirs.
Marin, prêtre, soldat, nos autels vous demandent ;
Car l'Olympe et le Ciel à la fois vous attendent,
Pléiade de héros ! Trinité de martyrs ! »

Juin 1826.
(À un poète exilé)

Généreux favoris des filles de mémoire,
Deux sentiers différents devant vous vont s'ouvrir :
L'un conduit au bonheur, l'autre mène à la gloire ;
Mortels, il faut choisir.

Ton sort, ô Manoel, suivit la loi commune ;
La muse t'enivra de précoces faveurs ;
Tes jours furent tissus de gloire et d'infortune,
Et tu verses des pleurs !

Rougis plutôt, rougis d'envier au vulgaire
Le stérile repos dont son coeur est jaloux
Les dieux ont fait pour lui tous les biens de la terre,
Mais la lyre est à nous.

Les siècles sont à toi, le monde est ta patrie.
Quand nous ne sommes plus, notre ombre a des autels
Où le juste avenir prépare à ton génie
Des honneurs immortels.

Ainsi l'aigle superbe au séjour du tonnerre
S'élance ; et, soutenant son vol audacieux,
Semble dire aux mortels : je suis né sur la terre,
Mais je vis dans les cieux.

Oui, la gloire t'attend ; mais arrête, et contemple
A quel prix on pénètre en ses parvis sacrés ;
Vois : l'infortune, assise à la porte du temple,
En garde les degrés.

Ici, c'est ce vieillard que l'ingrate Ionie
A vu de mers en mers promener ses malheurs :
Aveugle, il mendiait au prix de son génie
Un pain mouillé de pleurs.

Là, le Tasse, brûlé d'une flamme fatale,
Expiant dans les fers sa gloire et son amour,
Quand il va recueillir la palme triomphale,
Descend au noir séjour.

Partout des malheureux, des proscrits, des victimes,
Luttant contre le sort ou contre les bourreaux ;
On dirait que le ciel aux coeurs plus magnanimes
Mesure plus de maux.

Impose donc silence aux plaintes de ta lyre,
Des coeurs nés sans vertu l'infortune est l'écueil ;
Mais toi, roi détrôné, que ton malheur t'inspire
Un généreux orgueil !

Que t'importe après tout que cet ordre barbare
T'enchaîne **** des bords qui furent ton berceau ?
Que t'importe en quels lieux le destin te prépare
Un glorieux tombeau ?

Ni l'exil, ni les fers de ces tyrans du Tage
N'enchaîneront ta gloire aux bords où tu mourras :
Lisbonne la réclame, et voilà l'héritage
Que tu lui laisseras !

Ceux qui l'ont méconnu pleureront le grand homme ;
Athène à des proscrits ouvre son Panthéon ;
Coriolan expire, et les enfants de Rome
Revendiquent son nom.

Aux rivages des morts avant que de descendre,
Ovide lève au ciel ses suppliantes mains :
Aux Sarmates grossiers il a légué sa cendre,
Et sa gloire aux Romains.
Partout pleurs, sanglots, cris funèbres.
Pourquoi dors-tu dans les ténèbres ?
Je ne veux pas que tu sois mort.
Pourquoi dors-tu dans les ténèbres ?
Ce n'est pas l'instant où l'on dort.
La pâle Liberté gît sanglante à ta porte.
Tu le sais, toi mort, elle est morte.
Voici le chacal sur ton seuil,
Voici les rats et les belettes,
Pourquoi t'es-tu laissé lier de bandelettes ?
Ils te mordent dans ton cercueil !
De tous les peuples on prépare
Le convoi... -
Lazare ! Lazare ! Lazare !
Lève-toi !

Paris sanglant, au clair de lune,
Rêve sur la fosse commune ;
Gloire au général Trestaillon !
Plus de presse, plus de tribune.
Quatre-vingt-neuf porte un bâillon.
La Révolution, terrible à qui la touche,
Est couchée à terre ! un Cartouche
Peut ce qu'aucun titan ne put.
Escobar rit d'un rire oblique.
On voit traîner sur toi, géante République,
Tous les sabres de Lilliput.
Le juge, marchand en simarre,
Vend la loi... -
Lazare ! Lazare ! Lazare !
Lève-toi !

Sur Milan, sur Vienne punie,
Sur Rome étranglée et bénie,
Sur Pesth, torturé sans répit,
La vieille louve Tyrannie,
Fauve et joyeuse, s'accroupit.
Elle rit ; son repaire est orné d'amulettes
Elle marche sur des squelettes
De la Vistule au Tanaro ;
Elle a ses petits qu'elle couve.
Qui la nourrit ? qui porte à manger à la louve ?
C'est l'évêque, c'est le bourreau.
Qui s'allaite à son flanc barbare ?
C'est le roi... -
Lazare ! Lazare ! Lazare !
Lève-toi !

Jésus, parlant à ses apôtres,
Dit : Aimez-vous les uns les autres.
Et voilà bientôt deux mille ans
Qu'il appelle nous et les nôtres
Et qu'il ouvre ses bras sanglants.
Rome commande et règne au nom du doux prophète.
De trois cercles sacrés est faite
La tiare du Vatican ;
Le premier est une couronne,
Le second est le nœud des gibets de Vérone,
Et le troisième est un carcan.
Mastaï met cette tiare
Sans effroi... -
Lazare ! Lazare ! Lazare !
Lève-toi !

Ils bâtissent des prisons neuves.
Ô dormeur sombre, entends les fleuves
Murmurer, teints de sang vermeil ;
Entends pleurer les pauvres veuves,
Ô noir dormeur au dur sommeil !
Martyrs, adieu ! le vent souffle, les pontons flottent ;
Les mères au front gris sanglotent ;
Leurs fils sont en proie aux vainqueurs ;
Elles gémissent sur la route ;
Les pleurs qui de leurs yeux s'échappent goutte à goutte
Filtrent en haine dans nos coeurs.
Les juifs triomphent, groupe avare
Et sans foi... -
Lazare ! Lazare ! Lazare !
Lève-toi !

Mais il semble qu'on se réveille !
Est-ce toi que j'ai dans l'oreille,
Bourdonnement du sombre essaim ?
Dans la ruche frémit l'abeille ;
J'entends sourdre un vague tocsin.
Les Césars, oubliant qu'il est des gémonies,
S'endorment dans les symphonies
Du lac Baltique au mont Etna ;
Les peuples sont dans la nuit noire
Dormez, rois ; le clairon dit aux tyrans : victoire !
Et l'orgue leur chante : hosanna !
Qui répond à cette fanfare ?
Le beffroi... -
Lazare ! Lazare ! Lazare !
Lève-toi !

Jersey, mai 1853.
Parmi les marbres qu'on renomme
Sous le ciel d'Athène ou de Rome,
Je prends le plus pur, le plus blanc,
Je le taille et puis je l'étale
Dans ta pose d'Horizontale
Soulevée... un peu... sur le flanc...

Voici la tête qui se dresse,
Qu'une ample chevelure presse,
Le cou blanc, dont le pur contour
Rappelle à l'œil qui le contemple
Une colonne, au front d'un temple,
Le plus beau temple de l'Amour !

Voici la gorge féminine,
Le bout des seins sur la poitrine
Délicatement accusé,
Les épaules, le dos, le ventre
Où le nombril se renfle et rentre
Comme un tourbillon apaisé.

Voici le bras plein qui s'allonge ;
Voici, comme on les voit en songe,
Les deux petites mains d'Éros,
Le bassin immense, les hanches,
Et les adorablement blanches
Et fermes fesses de Paros.

Voici le mont au fond des cuisses
Les plus fortes pour que tu puisses
Porter les neuf mois de l'enfant ;
Et voici tes jambes parfaites...
Et, pour les sonnets des poètes,
Voici votre pied triomphant.

Pas plus grande que Cléopâtre
Pour qui deux peuples vont se battre,
Voici la Femme dont le corps
Fait sur les gestes et les signes
Courir la musique des lignes
En de magnifiques accords.

Je m'élance comme un barbare,
J'abats la tête, le pied rare,
Les mains... et puis... au bout d'un an...
Lorsque sa gloire est colossale,
Je la dispose en une salle,
La plus riche du Vatican.
Qu'a-t-on fait du bocage où rêva mon enfance ?
Oh ! je le vois toujours ! j'y voudrais être encor !
Au milieu des parfums j'y dormais sans défense,
Et le soleil sur lui versait des rayons d'or.
Peut-être qu'à cette heure il colore les roses,
Et que son doux reflet tremble dans le ruisseau.
Viens couler à mes pieds, clair ruisseau qui l'arroses ;
Sous tes flots transparents, montre-moi le berceau ;
Viens, j'attends ta fraîcheur, j'appelle ton murmure ;
J'écoute, réponds-moi !
Sur tes bords, où les fleurs se fanent sans culture,
Les fleurs ont besoin d'eau, mon cœur sèche sans toi.
Viens, viens me rappeler, dans ta course limpide,
Mes jeux, mes premiers jeux, si chers, si décevants,
Des compagnes d'Hélène un souvenir rapide,
Et leurs rires lointains, faibles jouets des vents.
Si tu veux caresser mon oreille attentive,
N'as-tu pas quelquefois, en poursuivant ton cours,
Lorsqu'elles vont s'asseoir et causer sur ta rive,
N'as-tu pas entendu mon nom dans leurs discours ?

Sur les roses peut-être une abeille s'élance :
Je voudrais être abeille et mourir dans les fleurs,
Ou le petit oiseau dont le nid s'y balance :
Il chante, elle est heureuse, et j'ai connu les pleurs.
Je ne pleurais jamais sous sa voûte embaumée ;
Une jeune Espérance y dansait sur mes pas :
Elle venait du ciel, dont l'enfance est aimée ;
Je dansais avec elle ; oh ! je ne pleurais pas !
Elle m'avait donné son prisme, don fragile !
J'ai regardé la vie à travers ses couleurs.
Que la vie était belle ! et, dans son vol agile,
Que ma jeune Espérance y répandait de fleurs !
Qu'il était beau l'ombrage où j'entendais les muses
Me révéler tout bas leurs promesses confuses ;
Où j'osais leur répondre, et de ma faible voix,
Bégayer le serment de suivre un jour leurs lois !
D'un souvenir si doux l'erreur évanouie
Laisse au fond de mon âme un long étonnement.
C'est une belle aurore à peine épanouie
Qui meurt dans un nuage ; et je dis tristement :
Qu'a-t-on fait du bocage où rêva mon enfance ?
Oh ! j'en parle toujours ! j'y voudrais être encor !
Au milieu des parfums j'y dormais sans défense,
Et le soleil sur lui versait des rayons d'or.

Mais au fond du tableau, cherchant des yeux sa proie,
J'ai vu... je vois encor s'avancer le Malheur.
Il errait comme une ombre, il attristait ma joie
Sous les traits d'un vieux oiseleur ;
Et le vieux oiseleur, patiemment avide,
Aux pièges, avant l'aube, attendait les oiseaux ;
Et le soir il comptait, avec un ris perfide,
Ses petits prisonniers tremblants sous les réseaux.
Est-il toujours bien cruel, bien barbare,
Bien sourd à la prière ? et, dans sa main avare,
Plutôt que de l'ouvrir,
Presse-t-il sa victime à la faire mourir ?
Ah ! Du moins, comme alors, puisse une jeune fille
Courir, en frappant l'air d'une tendre clameur,
Renvoyer dans les cieux la chantante famille,
Et tromper le méchant qui faisait le dormeur !
Dieu ! quand on le trompait, quelle était sa colère !
Il fallait fuir : des pleurs ne lui suffisaient pas ;
Ou, d'une pitié feinte exigeant le salaire,
Il pardonnait tout haut, il maudissait tout bas.
Au pied d'un vieux rempart, une antique chaumière
Lui servait de réduit ;
Il allait s'y cacher tout seul et sans lumière,
Comme l'oiseau de nuit.
Un soir, en traversant l'église abandonnée,
Sa voix nomma la Mort. Que sa voix me fit peur !
Je m'envolai tremblante au seuil où j'étais née,
Et j'entendis l'écho rire avec le trompeur.
« Dis, qu'est-ce que la Mort ? » demandai-je à ma mère.
« - C'est un vieux oiseleur qui menace toujours.
Tout tombe dans ses rets, ma fille, et les beaux jours
S'éteignent sous ses doigts comme un souffle éphémère. »

Je demeurai pensive et triste sur son sein.
Depuis, j'allai m'asseoir aux tombes délaissées :
Leur tranquille silence éveillait mes pensées ;
Y cueillir une fleur me semblait un larcin.
L'aquilon m'effrayait de ses soupirs funèbres.
La voix, toujours la voix, m'annonçait le Malheur ;
Et quand je l'entendais passer dans les ténèbres,
Je disais : « C'est la Mort, ou le vieux oiseleur. »

Mais tout change : l'autan fait place aux vents propices,
La nuit fait place au jour ;
La verdure, au printemps, couvre les précipices,
Et l'hirondelle heureuse y chante son retour :
Je revis le berceau, le soleil et les roses ;
Ruisseau, tu m'appelais, je m'élançai vers toi :
Je t'appelle à mon tour, clair ruisseau qui l'arroses ;
J'écoute, réponds-moi !
Qu'a-t-on fait du bocage où rêva mon enfance ?
Oh ! je le vois toujours ! j'y voudrais être encor !
Au milieu des parfums j'y dormais sans défense,
Et le soleil sur lui versait des rayons d'or !
**(Vers faits en pleine mer.)


Pourquoi me rendre à ma douleur ?
Pourquoi rétablis-tu, barbare,
Entre mon sort et le bonheur
L'immensité qui les sépare ?

En précipitant mon réveil,
Sais-tu bien ce que tu m'enlèves ?
Je retrouverai mon sommeil,
Mais retrouverai-je mes rêves ?

Je revoyais mon doux pays,
Ces beaux lieux que la Seine arrose !
J'embrassais mes heureux amis,
Et j'étais à côté de Rose !

Objets de mes vœux assidus,
Vous qui m'aimez, toi que j'adore,
Vous que j'avais déjà perdus,
Fallait-il donc vous perdre encore !

Écrit en 1797.
Aimer la Vérité,
C'est aimer dans son cœur une Naïade blanche.
Le peintre la demande aux rires des couleurs.



Sans la beauté de Dieu, le cœur de l'homme est sombre.



Quelquefois le génie est le mot d'un enfant.



Souvent sous un méchant se cache un malheureux.
Soyez doux ; pardonnez. Vos pardons, Dieu les compte.



Seigneur ! Amour terrible et Bonté redoutable !
Que l'Esprit de Bonté nous rassemble à sa table,
Et qu'il partage à tous le vin et le froment !



Riches, rappelez-vous les paroles divines ;
Couronnés d'or, songez aux couronnes d'épines.



Je n'ai pas tenu sous mes doigts
Une lyre orgueilleuse et rare,
Mais un pauvre instrument barbare
Taillé dans l'arbre de la croix.

*

Savoir aimer suffit, savoir aimer délivre ;
Âmes simples et cœurs souffrants, vivons ce livre.
La vanité nous rend aussi dupes que sots.
Je me souviens, à ce propos,
Qu'au temps jadis, après une sanglante guerre
Où, malgré les plus beaux exploits,
Maint lion fut couché par terre,
L'éléphant régna dans les bois.
Le vainqueur, politique habile,
Voulant prévenir désormais
Jusqu'au moindre sujet de discorde civile,
De ses vastes états exila pour jamais
La race des lions, son ancienne ennemie.
L'édit fut proclamé. Les lions affaiblis,
Se soumettant au sort qui les avait trahis,
Abandonnent tous leur patrie.
Ils ne se plaignent pas, ils gardent dans leur cœur
Et leur courage et leur douleur.
Un bon vieux petit chien, de la charmante espèce
De ceux qui vont portant jusqu'au milieu du dos
Une toison tombant à flots,
Exhalait ainsi sa tristesse :
Il faut donc vous quitter, ô pénates chéris !
Un barbare, à l'âge où je suis,
M'oblige à renoncer aux lieux qui m'ont vu naître.
Sans appui, sans secours, dans un pays nouveau
Je vais, les yeux en pleurs, demander un tombeau,
Qu'on me refusera peut-être.
Ô tyran, tu le veux ! Allons ! Il faut partir.
Un barbet l'entendit : touché de sa misère,
Quel motif, lui dit-il, peut t'obliger à fuir ?
- Ce qui m'y force, ô ciel ! Et cet édit sévère
Qui nous chasse à jamais de cet heureux canton... ?
- Nous ? - Non pas vous, mais moi. - Comment ! Toi,
Mon cher frère ?
Qu'as-tu donc de commun... ? - Plaisante question !
Eh ! Ne suis-je pas un lion ?
Fable XI, Livre II.


Un jour, tout en philosophant,
Tout en promenant ses pensées,
Une bête des plus sensées...
Un homme ?... non, un éléphant,
D'un mulot sous ses pieds rencontra la retraite.
La voûte ici n'était pas faite
Pour porter un tel poids : comme on l'a deviné,
Maître et maison, d'un pas, tout fut exterminé.
Et puis après que l'on prétende
Que pour notre bien seul les grands penseurs sont nés.
Bref, la petite bête échappait, si la grande
Eût pu voir une fois jusqu'au bout de son nez.
« Barbare, s'écriait, en sa douleur amère,
Du malheureux défunt l'inconsolable mère,
Que le ciel punisse ton forfait !
Hélas ! quel mal t'avait-il fait,
Mon pauvre enfant ? - Aucun, sans doute ;
Mais faut-il vous en prendre à moi ?
Dit le rêve-creux, et pourquoi
S'est-il rencontré sur ma route ? »

Monseigneur passe ; amis, rangeons-nous de côté.
Sous ses pas, croyez-moi, bien fou qui se hasarde :
S'il ne vous fait du mal par volonté,
II vous en fera par mégarde.
Des yeux tout autour de la tête

Ainsi qu'il est dit dans Murger.

Point très bonne. Un esprit d'enfer

Avec des rires d'alouette.


Sculpteur, musicien, poète

Sont ses hôtes. Dieux, quel hiver

Nous passâmes ! Ce fut amer

Et doux. Un sabbat ! Une fête !


Ses cheveux, noir tas sauvage où

Scintille un barbare bijou,

La font reine et la font fantoche.


Ayant vu cet ange pervers,

« Oùsqu'est mon sonnet ? » dit Arvers,

Et Chilpéric dit : « Sapristoche ! »
Sonnet.

Ô Rhin, sais-tu pourquoi les amants insensés,
Abandonnant leur âme aux tendres rêveries,
Par tes bois verdoyants, par tes larges prairies
S'en vont par leur folie incessamment poussés ?

Sais-tu pourquoi jamais les tristes railleries,
Les exemples d'hier, ni ceux des temps passés,
De tes monts adorés, de tes rives chéries,
Ne les ont fait descendre et ne les ont chassés ?

C'est que, dans tous les temps, ceux que l'homme sépare
Et que Dieu réunit iront chercher les bois,
Et des vastes torrents écouteront les voix.

L'homme libre viendra, **** d'un monde barbare,
Sur les rocs et les monts, comme au pied d'un autel,
Protester contre l'homme en regardant le ciel.
Hélas ! Que je dois à vos soins !
Vous m'apprenez qu'il est perfide,
Qu'il trompa mon amour timide :
C'est vous qui le jurez du moins...
Hélas ! Que je dois à vos soins !

Pressez votre main sur mon cœur
Et jouissez de votre ouvrage.
Le malheur me rend le courage ;
Mais pour juger de sa rigueur,
Pressez votre main sur mon cœur !

Adieu donc ma félicité !
Adieu sa présence et ma vie !
Oh ! Que vous m'avez bien servie
En me disant la vérité !
Adieu donc ma félicité !

Vous avez voulu me guérir,
Cruelle ! ... Ah ! Pardon ! Je m'égare.
Non, non, vous n'êtes point barbare ;
Je le crois, dussé-je mourir...
Vous avez voulu me guérir !
Sa tête fine dans sa main toute petite,

Elle écoute le chant des cascades lointaines,

Et, dans la plainte langoureuse des fontaines,

Perçoit comme un écho béni du nom de Tite.


Elle a fermé ses yeux divins de clématite

Pour bien leur peindre, au coeur des batailles hautaines

Son doux héros, le mieux aimant des capitaines,

Et, Juive, elle se sent au pouvoir d'Aphrodite.


Alors un grand souci la prend d'être amoureuse,

Car dans Rome une loi bannit, barbare, affreuse,

Du trône impérial toute femme étrangère.


Et sous le noir chagrin dont sanglote son âme,

Entre les bras de sa servante la plus chère,

La reine, hélas ! défaille et tendrement se pâme.
Belle Déesse, amoureuse Chyprine,
Mère du Jeu, des Grâces et d'Amour,
Qui fais sortir tout ce qui vit au jour,
Comme du Tout le germe et la racine ;

Idalienne, Amathonte, Erycine,
Défends des Turcs Chypre ton beau séjour ;
Baise ton Mars, et tes bras à l'entour
De son col plie, et serre sa poitrine.

Ne permets point qu'un barbare Seigneur
Perde ton Île et souille ton honneur ;
De ton berceau, chasse autre-part la guerre.

Tu le feras : car, d'un trait de tes yeux,
Tu peux fléchir les hommes et les Dieux,
Le Ciel, la Mer, les Enfers et la Terre.
Krzis-Lorent Feb 28
Suinte de mes rideaux gris
las de ne pas voir quelconque fantôme rabougri
image de mon passé rétabli
dans toute sa vérité ensevelie
sous des montagnes de non-dit
faignant d’ignorer par réflexe indéfini
ou par volonté endormie
un jour, sortant d’une longue apnée inaboutie
je regarde en face la réalité ensevelie
pris dans le tourment empuanti
dégoût envers les hommes à conscience dure
EUX nageant dans leur bonheur fictif, barbare
je fuis et m’accroche aux illusions souvent jubilatoires
par des esprits souvent expiatoires
de fautes confiscatoires.

— The End —