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Ô pucelle plus tendre
Qu'un beau bouton vermeil
Que le rosier engendre
Au lever du soleil,
D'une part verdissant
De l'autre rougissant !

Plus fort que le lierre
Qui se gripe à l'entour
Du chesne aimé, qu'il serre
Enlassé de maint tour,
Courbant ses bras épars
Sus luy de toutes parts,

Serrez mon col, maistresse,
De vos deux bras pliez ;  
D'un neud qui tienne et presse
Doucement me liez ;
Un baiser mutuel
Nous soit perpetuel.

Ny le temps, ny l'envie
D'autre amour desirer,
Ne pourra point ma vie
De vos lévres tirer ;
Ainsi serrez demourrons,
Et baisant nous mourrons.

En mesme an et mesne heure,
Et en même saison,
Irons voir la demeure
De la palle maison,
Et les champs ordonnez
Aux amants fortunez.

Amour par les fleurettes
Du printemps éternel
Voirra nos amourettes
Sous le bois maternel ;
Là nous sçaurons combien
Les amants ont de bien.

Le long des belles plaines
Et parmy les prez vers
Les rives sonnent pleines
De maints accords divers ;
L'un joue, et l'autre au son
Danse d'une chanson.

Là le beau ciel décueuvre
Tousjours un front benin,
Sur les fleurs la couleuvre
Ne ***** son venin,
Et tousjours les oyseaux
Chantent sur les rameaux ;

Tousjours les vens y sonnent
Je ne sçay quoy de doux,
Et les lauriers y donnent
Tousjours ombrages moux ;
Tousjours les belles fleurs
Y gardent leurs couleurs.

Parmy le grand espace
De ce verger heureux,
Nous aurons tous deux place
Entre les amoureux,
Et comme eux sans soucy
Nous aimerons aussi.

Nulle amie ancienne
Ne se dépitera,
Quand de la place sienne
Pour nous deux s'ostera,
Non celles dont les yeux
Prirent le cœur des dieux.
Ma petite colombelle,
Ma mignonne toute belle,
Mon petit œil, baisez-moi ;
D'une bouche toute pleine
De musc, chassez-moi la peine
De mon amoureux émoi.

Quand je vous dirai, Mignonne,
Approchez-vous, qu'on me donne
Neuf baisers tout à la fois,
Donnez-m'en seulement trois,

Tels que Diane guerrière
Les donne à Phébus son frère,
Et l'Aurore à son vieillard :
Puis reculez votre bouche,
Et bien **** toute farouche
Fuyez d'un pied frétillard.

Comme un taureau par le pré
Court après son amourée,
Ainsi tout chaud de courroux
Je courrai fou après vous ;

Et prise d'une main forte
Vous tiendrai, de telle sorte
Qu'un Aigle un Cygne tremblant.
Lors faisant de la modeste,
De me redonner le reste
Des baisers, ferez semblant.

Mais en vain serez pendante
Toute à mon col, attendante
(Tenant un peu l'œil baissé)
Pardon de m'avoir laissé.

Car en lieu de six adonques (1)
J'en demanderai plus qu'oncques (2)
Tout le ciel d'étoiles n'eut ;
Plus que d'arène poussée
Aux bords, quand l'eau courroucée
Contre les rives s'émeut.


1. Adonques : Alors, maintenant.
2. Oncques : Jamais.
Le jour pousse la nuit,
Et la nuit sombre
Pousse le jour qui luit
D'une obscure ombre.

L'Autonne suit l'Esté,
Et l'aspre rage
Des vents n'a point esté
Apres l'orage.

Mais la fièvre d'amours
Qui me tourmente,
Demeure en moy tousjours,
Et ne s'alente.

Ce n'estoit pas moy, Dieu,
Qu'il falloit poindre,
Ta fleche en autre lieu
Se devoit joindre.

Poursuy les paresseux
Et les amuse,
Mais non pas moy, ne ceux
Qu'aime la Muse.

Helas, delivre moy
De ceste dure,
Qui plus rit, quand d'esmoy
Voit que j'endure.

Redonne la clarté
A mes tenebres,
Remets en liberté
Mes jours funebres.

Amour sois le support
De ma pensée,
Et guide à meilleur port
Ma nef cassée.

Tant plus je suis criant
Plus me reboute,
Plus je la suis priant
Et moins m'escoute.

Ne ma palle couleur
D'amour blesmie
N'a esmeu à douleur
Mon ennemie.

Ne sonner à son huis
De ma guiterre,
Ny pour elle les nuis
Dormir à terre.

Plus cruel n'est l'effort
De l'eau mutine
Qu'elle, lors que plus fort
Le vent s'obstine.

Ell' s'arme en sa beauté,
Et si ne pense
Voir de sa cruauté
La récompense.

Monstre toy le veinqueur,
Et d'elle enflame
Pour exemple le coeur
De telle flame,

Qui la soeur alluma
Trop indiscrete,
Et d'ardeur consuma
La Royne en Crete.
Adieu, belle Cassandre, et vous, belle Marie,
Pour qui je fus trois ans en servage à Bourgueil,
L'une vit, l'autre est morte, et ores, de son œil
Le Ciel se réjouit, dont la terre est marrie.

Sur mon premier Avril, d'une amoureuse envie
J'adorais vos beautés, mais votre fier orgueil
Ne s'amollit jamais pour larmes ni pour deuil,
Tant d'une gauche main la Parque ourdit ma vie.

Maintenant en Automne, encore malheureux,
Je vis comme au Printemps, de nature amoureux,
Afin que tout mon âge aille au gré de la peine.

Et or que je deusse être affranchi du harnois,
Mon Colonel m'envoie, à grand coups de carquois,
Rassiéger Ilion pour conquérir Hélène.
Afin que ton renom s'étende par la plaine,
Autant qu'il monte au ciel engravé dans un Pin,
Invoquant tous les Dieux, et répandant du vin,
Je consacre à ton nom cette belle Fontaine.

Pasteurs, que vos troupeaux frisez de blanche laine
Ne paissent (1) à ces bords ; y fleurisse le Thym,
Et tant de belles fleurs qui s'ouvrent au matin,
Et soit dite à jamais la Fontaine d'Hélène.

Le passant, en été, s'y puisse reposer.
Et assis dessus l'herbe à l'ombre composer
Mille chansons d'Hélène, et de moi lui souvienne !

Quiconque en boira, qu'amoureux il devienne ;
Et puisse, en la humant, une flamme puiser
Aussi chaude qu'au cœur je sens chaude la mienne !


1. Paissent : Paître.
Ah longues nuicts d'hyver de ma vie bourrelles,
Donnez moy patience, et me laissez dormir,
Vostre nom seulement, et suer et fremir
Me fait par tout le corps, tant vous m'estes cruelles.


Le sommeil tant soit peu n'esvente de ses ailes
Mes yeux tousjours ouvers, et ne puis affermir
Paupiere sur paupiere, et ne fais que gemir,
Souffrant comme Ixion des peines eternelles.


Vieille umbre de la terre, ainçois l'umbre d'enfer,
Tu m'as ouvert les yeux d'une chaisne de fer,
Me consumant au lict, navré de mille pointes :


Pour chasser mes douleurs ameine moy la mort,
Ha mort, le port commun, des hommes le confort,
Viens enterrer mes maux je t'en prie à mains jointes.
Couché sous tes ombrages verts,
Gastine, je te chante
Autant que les Grecs, par leurs vers
La forêt d'Érymanthe :

Car, malin, celer je ne puis
À la race future
De combien obligé je suis
À ta belle verdure,

Toi qui, sous l'abri de tes bois,
Ravi d'esprit m'amuses ;
Toi qui fais qu'à toutes les fois
Me répondent les Muses ;

Toi par qui de l'importun soin
Tout franc je me délivre,
Lorsqu'en toi je me perds bien ****,
Parlant avec un livre.

Tes bocages soient toujours pleins
D'amoureuses brigades
De Satyres et de Sylvains,
La crainte des Naïades !

En toi habite désormais
Des Muses le collège,
Et ton bois ne sente jamais
La flamme sacrilège !
Lors que ta mere estoit preste à gesir de toi,
Si Jupiter, des Dieus et des hommes le roi,
Lui eust juré ces mots : l'enfant dont tu es pleine,
Sera tant qu'il vivra sans douleur et sans peine,
Et tousjours lui viendront les biens sans y songer,
Tu dirois à bon droit Jupiter mensonger.
Mais puis que tu es né, ainsi que tous nous sommes,
A la condition des miserables hommes,
Pour avoir en partage ennuis, soucis, travaus,
Douleurs, tristesses, soins, tormans, peines et maus,
Il faut baisser le dôs, et porter la fortune
Qui vient sans nul égard à tous hommes commune :
Ce que facilement patient tu feras,
Quand quelque fois le jour, en ton coeur penseras
Que tu n'es que pur homme, et qu'on ne voit au monde
Chose qui plus que l'homme en miseres abonde,
Qui plus soudain s'éleve, et qui plus soudain soit
Tombé quand il est haut : et certes à bon droit,
Car il n'a point de force, et si tousjours demande
D'atenter, plus que lui, quelque entreprise grande.
Ce que tu quiers du Roi, Maigni, n'est pas grand cas,
Et de l'avoir bien tost encores tu n'as pas
Du tout perdu l'espoir, pource pren bon courage,
Tu n'as garde de fondre au meillieu de l'orage,
Puis que tu as, en lieu du bel astre besson
Des Spartains, la faveur de ton grand d'Avanson,
Qui ja pousse ta nef sur la rive deserte,
Pour y payer tes veus à Glauque et Melicerte.
En mon cœur n'est point escrite
La rose ny autre fleur,
C'est toy, blanche Marguerite,
Par qui j'ay cette couleur.
N'es-tu celle dont les yeux
Ont surpris
Par un regard gracieux
Mes esprits ?
Puis que ta sœur de haut pris,
Ta sœur, pucelle d'élite,
N'est cause de ma douleur,
C'est donc par toy, Marguerite,
Que j'ay pris ceste couleur.
Ma couleur palle nasquit,
Quand mon cœur
Pour maistresse te requit ;
Mais rigueur
D'une amoureuse langueur
Soudain paya mon mérite,
Me donnant ceste pâleur
Pour t'aimer trop, Marguerite,
Et ta vermeille couleur.
Quel charme pourroit casser
Mon ennuy
Et ma couleur effacer
Avec luy ?
De l'amour que tant je suy
La jouissance subite
Seule osteroit le malheur
Que me donna Marguerite,
Par qui j'ay cette couleur.
À mon retour (eh ! je m'en désespère),
Tu m'as reçu d'un baiser tout glacé,
Froid, sans saveur, baiser d'un trépassé,
Tel que Diane en donnait à son frère,

Tel qu'un fille en donne à sa grand-mère,
La fiancée en donne au fiancé,
Ni savoureux, ni moiteux (1), ni pressé :
Eh quoi, ma lèvre est-elle si amère ?

Ah ! tu devrais imiter les pigeons,
Qui bec en bec de baisers doux et longs
Se font l'amour sur le haut d'une souche

Je te supplie, maîtresse, désormais
Ou baise-moi la saveur en la bouche,
Ou bien du tout ne me baise jamais.


1. Moiteux : Humide.
2. Souche : Branche.
Ode XXVIII.

Si j'avois un riche tresor,
Ou des vaisseaux engravez d'or,
Tableaux ou medailles de cuivre,
Ou ces joyaux qui font passer
Tant de mers pour les amasser,
Où le jour se laisse revivre,

Je t'en ferois un beau present.
Mais quoy ! cela ne t'est plaisant,
Aux richesses tu ne t'amuses
Qui ne font que nous estonner ;
C'est pourquoy je te veux donner
Le bien que m'ont donné les Muses.

Je sçay que tu contes assez
De biens l'un sur l'autre amassez,
Qui perissent comme fumée,
Ou comme un songe qui s'enfuit
Du cerveau si tost que la nuit
Au second somme est consumée.

L'un au matin s'enfle en son bien,
Qui au soleil couchant n'a rien,
Par défaveur, ou par disgrace,
Ou par un changement commun,
Ou par l'envie de quelqu'un
Qui ravit ce que l'autre amasse.

Mais les beaux vers ne changent pas,
Qui durent contre le trespas,
Et en devançant les années,
Hautains de gloire et de bonheur,
Des hommes emportent l'honneur
Dessur leurs courses empennées.

Dy-moy, Verdun, qui penses-tu
Qui ait deterré la vertu
D'Hector, d'Achille et d'Alexandre,
Envoyé Bacchus dans les Cieux,
Et Hercule au nombre des dieux,
Et de Junon l'a fait le gendre,

Sinon le vers bien accomply,
Qui tirant leurs noms de l'oubly,
Plongez au plus profond de l'onde
De Styx, les a remis au jour,
Les relogeant au grand sejour
Par deux fois de nostre grand monde ?

Mort est l'honneur de tant de rois
Espagnols, germains et françois,
D'un tombeau pressant leur mémoire ;
Car les rois et les empereurs
Ne different aux laboureurs
Si quelcun ne chante leur gloire.

Quant à moy, je ne veux souffrir
Que ton beau nom se vienne offrir
A la Mort, sans que je le vange,
Pour n'estre jamais finissant,
Mais d'âge en âge verdissant,
Surmonter la Mort et le change.

Je veux, malgré les ans obscurs,
Que tu sois des peuples futurs
Cognu sur tous ceux de nostre âge,
Pour avoir conçeu volontiers
Des neuf Pucelles les mestiers,
Qui t'ont enflamé le courage,

Non pas au gain ny au vil prix,
Mais pour estre des mieux appris
Entre les hommes qui s'assemblent
Sur Parnasse au double sourci ;
C'est pourquoy tu aimes aussi
Les bons esprits qui te ressemblent.

Or pour le plaisir, quant à moy,
Verdun, que j'ay reçeu de toy,
Tu n'auras rien de ton poète
Sinon ces vers que je t'ay faits,
Et avec ces vers les souhaits
Que pour bonheur je te souhaite.

Dieu vueille benir ta maison
De beaux enfans naiz à foison
De ta femme belle et pudique ;
La concorde habite en ton lit,
Et bien **** de toy soit le bruit
De toute noise domestique.

Sois gaillard, dispost et joyeux,
Ny convoiteux ny soucieux
Des choses qui nous rongent l'âme ;
Fuy toutes sortes de douleurs,
Et ne pren soucy des malheurs
Qui sont predits par Nostradame.

Ne romps ton tranquille repos
Pour papaux, ny pour huguenots,
Ny amy d'eux, ny adversaire,
Croyant que Dieu père très doux
(Qui n'est partial comme nous)
Sçait ce qui nous est nécessaire.

N'ayes soucy du lendemain,
Mais, serrant le temps en la main,
Vy joyeusement la journée
Et l'heure en laquelle seras :
Et que sçais-tu si tu verras
L'autre lumiere retournée ?

Couche-toy à l'ombre d'un bois,
Ou près d'un rivage où la vois
D'une fontaine jazeresse
Tressaute, et tandis que tes ans
Sont encore et verds et plaisans,
Par le jeu trompe la vieillesse.

Tout incontinent nous mourrons,
Et bien **** bannis nous irons
Dedans une nacelle obscure
Où plus de rien ne nous souvient,
Et d'où jamais on ne revient :
Car ainsi l'a voulu Nature.
Amour, Amour, donne-moi paix ou trêve,
Ou bien retire, et d'un garrot plus fort
Tranche ma vie et m'avance la mort :
Douce est la mort qui vient subite et brève.

Soit que le jour ou se couche ou se lève,
Je sens toujours un penser qui me mord,
Et malheureux en si heureux effort,
Me fait la guerre et mes peine rengrèvent (1).

Que dois-je faire ? Amour me fait errer
Si hautement, que je n'ose espérer
De mon salut que la désespérance.

Puis qu'Amour donc ne me veut secourir,
Pour me défende il me plaît de mourir,
Et par la mort trouver ma délivrance.


1. Rengrève signifie s'aggrave.
Or que l'hiver roidit la glace épaisse,
Réchauffons-nous, ma gentille maîtresse,
Non accroupis près le foyer cendreux,
Mais aux plaisirs des combats amoureux.

Asseyons-nous sur cette molle couche.
Sus ! baisez-moi, tendez-moi votre bouche,
Pressez mon col de vos bras dépliés,
Et maintenant votre mère oubliez.

Que de la dent votre tétin je morde,
Que vos cheveux fil à fil je détorde.
Il ne faut point, en si folâtres jeux,
Comme au dimanche arranger ses cheveux.

Approchez donc, tournez-moi votre joue.
Vous rougissez ? il faut que je me joue.
Vous souriez : avez-vous point ouï
Quelque doux mot qui vous ait réjoui ?

Je vous disais que la main j'allais mettre
Sur votre sein : le voulez-vous permettre ?
Ne fuyez pas sans parler : je vois bien
À vos regards que vous le voulez bien.

Je vous connais en voyant votre mine.
Je jure Amour que vous êtes si fine,
Que pour mourir, de bouche ne diriez
Qu'on vous baisât, bien que le désiriez ;
Car toute fille, encore qu'elle ait envie
Du jeu d'aimer, désire être ravie.
Témoin en est Hélène, qui suivit
D'un franc vouloir Pâris, qui la ravit.

Je veux user d'une douce main forte.
Ah ! vous tombez, vous faites déjà la morte.
Ah ! quel plaisir dans le coeur je reçois !
Sans vous baiser, vous moqueriez de moi
En votre lit, quand vous seriez seulette.
Or sus ! c'est fait, ma gentille brunette.
Recommençons afin que nos beaux ans
Soient réchauffés de combats si plaisants.
Amour, je ne me plains de l'orgueil endurci,
Ni de la cruauté de ma jeune Lucrèce,
Ni comme, sans recours, languir elle me laisse :
Je me plains de sa main et de son godmicy.

C'est un gros instrument par le bout étréci,
Dont chaste elle corrompt toute nuit sa jeunesse :
Voilà contre l'Amour sa prudente finesse,
Voilà comme elle trompe un amoureux souci.

Aussi, pour récompense, une haleine puante,
Une glaire épaissie entre ses draps gluante,
Un oeil hâve et battu, un teint pâle et défait,

Montrent qu'un faux plaisir toute nuit la possède.
Il vaut mieux être Phryne et Laïs tout à fait,
Que se feindre Portie avec un tel remède.
Amour me tue, et si je ne veux dire
Le plaisant mal que ce m'est de mourir :
Tant j'ai grand peur, qu'on veuille secourir
Le mal, par qui doucement je soupire.

Il est bien vrai, que ma langueur désire
Qu'avec le temps je me puisse guérir :
Mais je ne veux ma dame requérir
Pour ma santé : tant me plaît mon martyre.

Tais-toi langueur je sens venir le jour,
Que ma maîtresse, après si long séjour,
Voyant le soin qui ronge ma pensée,

Toute une nuit, folâtrement m'ayant
Entre ses bras, prodigue, ira payant
Les intérêts de ma peine avancée.
Amour, tu es trop fort, trop foible est ma Raison
Pour soustenir le camp d'un si rude adversaire.
Va, badine Raison, tu te laisses desfaire :
Dez le premier assaut on te meine en prison.


Je veux, pour secourir mon chef demy-grison,
Non la Philosophie ou les Loix : au contraire
Je veux ce deux fois nay, ce Thebain, ce Bon-pere,
Lequel me servira d'une contrepoison.


Il ne faut qu'un mortel un immortel assaille.
Mais si je prens un jour cest Indien pour moy,
Amour, tant sois tu fort, tu perdras la bataille,


Ayant ensemble un homme et un Dieu contre toy.
La Raison contre Amour ne peut chose qui vaille :
Il faut contre un grand Prince opposer un grand Roy.
Amour tu sembles au phalange qui point
Lui de sa queue, et toi de ta quadrelle :
De tous deux est la pointure mortelle,
Qui rampe au coeur, et si n'aparoist point.

Sans souffrir mal tu me conduis au point
De la mort dure, et si ne voy par quelle
Playe je meurs, ny par quelle cruelle
Poison autour de mon âme se joint.

Ceux qui se font saigner le pié dans l'eau,
Meurent sans mal, pour un crime nouveau
Fait à leur roy, par traitreuse cautelle :

Je meurs comme eux, voire et si je n'ay fait
Encontre amour, ni trayson, ni forfait,
Si trop aymer un crime ne s'appelle.
Ange divin, qui mes plaies embaume,
Le truchement et le héraut des dieux,
De quelle porte es-tu coulé des cieux,
Pour soulager les peines de mon âme ?

Toi, quand la nuit par le penser m'enflamme,
Ayant pitié de mon mal soucieux,
Ore en mes bras, ore devant mes yeux,
Tu fais nager l'idole de ma Dame.

Demeure, Songe, arrête encore un peu !
Trompeur, attends que je me sois repu
De ce beau sein dont l'appétit me ronge,

Et de ces flancs qui me font trépasser :
Sinon d'effet, souffre au moins que par songe
Toute une nuit je les puisse embrasser.
Sois medecin, Phoebus, de la Maistresse
Qui tient mon Prince en servage si doux :
Vole à son lict, et luy taste le poux :
Il faut qu'un Dieu guarisse une Deesse.


Mets en effect ton mestier, et ne cesse
De la panser, et luy donner secours,
Ou autrement le regne des amours
Sera perdu, si le mal ne la laisse.


Ne souffre point, qu'une blesme langueur
Ne son beau teint efface la vigueur,
Ny de ses yeux où l'Amour se repose.


Exauce moy, ô Phoebus : si tu veux,
D'un mesme coup tu en guariras deux :
Elle et mon Duc n'est qu'une mesme chose.
Ma guiterre, je te chante,
Par qui seule je deçoy,
Je deçoy, je romps, j'enchante
Les amours que je reçoy.

Nulle chose, tant soit douce,
Ne te sçauroit esgaler,
Toi qui mes ennuis repousse
Si tost qu'ils t'oyent parler.

Au son de ton harmonie
Je refreschy ma chaleur ;
Ardante en flamme infinie,
Naissant d'infini malheur.

Plus chèrement je te garde
Que je ne garde mes yeux,
Et ton fust que je regarde
Peint dessus en mille lieux,

Où le nom de ma déesse
En maint amoureux lien,
En mains laz d'amour se laisse,
Joindre en chiffre avec le mien ;

Où le beau Phebus, qui baigne
Dans le Loir son poil doré,
Du luth aux Muses enseigne
Dont elles m'ont honoré,

Son laurier preste l'oreille,
Si qu'au premier vent qui vient,
De reciter s'apareille
Ce que par cœur il retient.

Icy les forests compagnes
Orphée attire, et les vents,
Et les voisines campagnes,
Ombrage de bois suivants.

Là est Ide la branchue,
Où l'oiseau de Jupiter
Dedans sa griffe crochue
Vient Ganymede empieter,

Ganymede délectable,
Chasserot délicieux,
Qui ores sert à la table
D'un bel échanson aux Dieux.

Ses chiens après l'aigle aboient,
Et ses gouverneurs aussi,
En vain étonnez, le voient
Par l'air emporter ainsi.

Tu es des dames pensives
L'instrument approprié,
Et des jeunesses lascives
Pour les amours dédié.

Les amours, c'est ton office,
Non pas les assaus cruels,
Mais le joyeux exercice
De souspirs continuels.

Encore qu'au temps d'Horace
Les armes de tous costez
Sonnassent par la menace
Des Cantabres indomtez,

Et que le Romain empire
Foullé des Parthes fust tant,
Si n'a-il point à sa lyre
Bellonne accordé pourtant,

Mais bien Venus la riante,
Ou son fils plein de rigueur,
Ou bien Lalagé fuyante
Davant avecques son cœur.

Quand sur toy je chanteroye
D'Hector les combas divers,
Et ce qui fut fait à Troye
Par les Grecs en dix hyvers,

Cela ne peut satisfaire
A l'amour qui tant me mord :
Que peut Hector pour moy faire ?
Que peut Ajax, qui est mort ?

Mieux vaut donc de ma maistresse
Chanter les beautez, afin
Qu'à la douleur qui me presse
Daigne mettre heureuse fin ;

Ces yeux autour desquels semble
Qu'amour vole, ou que dedans
II se cache, ou qu'il assemble
Cent traits pour les regardants.

Chantons donc sa chevelure,
De laquelle Amour vainqueur
Noua mille rets à l'heure
Qu'il m'encordela le cœur,

Et son sein, rose naïve,
Qui va et vient tout ainsi
Que font deux flots à leur rive
Poussez d'un vent adoucy.
Naguiere chanter je voulois
Comme Francus au bord Gaulois
Avecq' sa troupe vint descendre,
Mais mon luc pinçé de mon doi,
Ne vouloit en dépit de moi
Que chanter Amour, et Cassandre.

Je pensoi pource que toujours
J'avoi dit sur lui mes amours,
Que ses cordes par long usage
Chantoient d'amour, et qu'il faloit
En mettre d'autres, s'on vouloit
Luy aprendre un autre langage.

Et pour ce faire, il n'y eut fust,
Archet, ne corde, qui ne fust
Echangée en d'autres nouvelles :
Mais apres qu'il fut remonté,
Plus haut que davant a chanté
Comme il souloit, les damoyselles.

Or adieu doncq' pauvre Francus,
Ta gloire, sous tes murs veinqus,
Se cachera toujours pressée,
Si, à ton neveu, nostre Roi,
Tu ne dis qu'en l'honneur de toi,
Il face ma Lyre crossée.
La lune est coutumière
De naître tous les mois :
Mais quand notre lumière
Est éteinte une fois,
Sans nos yeux réveiller,
Faut longtemps sommeiller.

Tandis que vivons ores,
Un baiser donnez-moi,
Donnez-m'en mille encore,
Amour n'a point de loi :
A sa divinité
Convient l'infinité.

En vous baisant, Maîtresse,
Vous m'avez entamé
La langue chanteresse
De votre nom aimé.
Quoi ! est-ce là le prix
Du travail qu'elle a pris ?

Elle, par qui vous êtes
Déesse entre les Dieux,
Qui vos beautés parfaites
Célébrait jusqu'aux Cieux,
Ne faisant l'air, sinon
Bruire de votre nom ?

De votre belle face,
Le beau logis d'Amour,
Où Vénus et la Grâce
Ont choisi leur séjour,
Et de votre œil qui fait
Le soleil moins parfait ;

De votre sein d'ivoire
Par deux ondes secous (1)
Elle chantait la gloire,
Ne chantant rien que vous :
Maintenant en saignant,
De vous se va plaignant.

Las ! de petite chose
Je me plains sans raison,
Non de la plaie enclose
Au cœur sans guérison,
Que l'Archerocux
M'y tira de vos yeux.


1. Secous : Secoué.
Ma Dame ne donne pas
Des baisers, mais des appas
Qui seuls nourrissent mon âme,
Les biens dont les Dieux sont sous,
Du Nectar, du sucre doux,
De la cannelle et du bâme (1),

Du thym, du lis, de la rose,
Entre les lèvres écloses
Fleurante en toutes saisons,
Et du miel tel qu'en Hymette (2)
La desrobe-fleur avette
Remplit ses douces maisons.

O dieux, que j'ai de plaisir
Quand je sens mon col saisir
De ses bras en mainte sorte !
Sur moi se laissant courber,
D'yeux clos je la vois tomber
Sur mon sein à demi-morte.

Puis mettant la bouche sienne
Tout à plat dessus la mienne,
Me mord et je la remords :
Je lui darde, elle me darde
Sa languette frétillarde,
Puis en ses bras je m'endors.

D'un baiser mignard et long
Me resuce l'âme adonc (3),
Puis en soufflant la repousse,
La resuce encore un coup,
La ressoude (4) tout à coup
Avec son haleine douce.

Tout ainsi les colombelles
Trémoussant un peu des ailes
Avidement se vont baisant,
Après que l'oiseuse glace
A quitté la froide place
Au Printemps doux et plaisant.

Hélas! mais tempère un peu
Les biens dont je suis repu,
Tempère un peu ma liesse (5) :
Tu me ferais immortel.
Hé ! je ne veux être tel
Si tu n'es aussi Déesse.


1. Bâme : Baume parfumé très agréable.
2. Hymette : Le mont Hymette est un massif grec connu pour son miel.
3. Adonc : En ce moment, alors.
4. Ressoude : Se réunir, être soudé ensemble.
5. Liesse : Joie.
Plus dur que fer j'ay fini mon ouvrage,
Que l'an, dispos à demener les pas,
Que l'eau, le vent ou le brulant orage,
L'injuriant, ne ru'ront point à bas.
Quand ce viendra que le dernier trespas
M'assoupira d'un somme dur, à l'heure
Sous le tombeau tout Ronsard n'ira pas,
Restant de luy la part qui est meilleure.

Tousjours, tousjours, sans que jamais je meure,
Je voleray tout vif par l'univers,
Eternisant les champs où je demeure,
De mes lauriers fatalement couvers,
Pour avoir joint les deux harpeurs divers
Au doux babil de ma lyre d'yvoire,
Que j'ay rendus Vandomois par mes vers.

Sus donque, Muse, emporte au ciel la gloire
Que j'ay gaignée, annonçant la victoire
Dont à bon droit je me voy jouissant,
Et de ton fils consacre la memoire ;
Serrant son front d'un laurier verdissant.
Amelette Ronsardelette,
Mignonnelette doucelette,
Treschere hostesse de mon corps,
Tu descens là bas foiblelette,
Pasle, maigrelette, seulette,
Dans le froid Royaume des mors :
Toutesfois simple, sans relors
De meurtre, poison, ou rancune,
Méprisant faveurs et tresors
Tant enviez par la commune.

Passant, j'ay dit, suy ta fortune
Ne trouble mon repos, je dors.
Si autrefois sous l'ombre de Gastine
Avons joué quelque chanson latine,
De Cassandre enamouré,
Sus, maintenant, luth doré,
Sus ; l'honneur mien, dont la voix délectable,
Sait réjouir les princes à la table,
Change de forme, et me sois
Maintenant un luth françois.

Je t'assure que tes cordes
Par moi ne seront polues
De chansons salement ordes
D'un tas d'amours dissolues ;
Je ne chanterai les princes,
Ni le soin de leurs provinces,
Ni moins la nef que prépare
Le marchant, las ! trop avare
Pour aller après ramer
Jusqu'aux plus lointaines terres,
Pêchant ne sais quelles pierres
Au bord de l'Indique mer.

Tandis qu'en l'air je soufflerai ma vie,
Sonner Phébus j'aurai toujours envie,
Et ses compagnes aussi,
Pour leur rendre un grand merci
De m'avoir fait poète de nature,
Idolâtrant la musique et peinture,
Prestre saint de leurs chansons,
Qui accordent à tes sons.

L'enfant que la douce Muse
Naissant d'œil bénin a vu,
Et de sa science infuse
Son jeune esprit a pourvu,
Toujours en sa fantaisie
Ardera de poésie
Sans prétende un autre bien ;
Encor qu'il combattit bien,
Jamais les Muses peureuses
Ne voudront le prémïer
De laurier, fut-il premier
Aux guerres victorieuses.

La poésie est un feu consumant
Par grand ardeur l'esprit de son amant,
Esprit que jamais ne laisse
En repos, tant elle presse.
Voila pourquoi le ministre des Dieux
Vit sans grands biens, d'autant qu'il aime mieux
Abonder d'inventions
Que de grandes possessions.

Mais Dieu juste, qui dispense
Tout en tous, les fait chanter
Le futur en récompense
Pour le monde épouvanter.
Ce sont les seuls interprètes
Des hauts Dieux que les poètes ;
Car aux prières qu'ils font
L'or aux Dieux criant ne sont,
Ni la richesse, qui passe ;
Mais un luth toujours parlant
L'art des Muses excellent,
Pour dessus leur rendre grâce.

Que dirons-nous de la musique sainte ?
Si quelque amante en a l'oreille atteinte,
Lente en larmes goutte à goutte
Fondra sa chère âme toute,
Tant la douceur d'une harmonie éveille
D'un cœur ardent l'amitié qui sommeille,
Au vif lui représentant
L'aimé parce qu'elle entend.

La Nature, de tout mère,
Prévoyant que notre vie
Sans plaisir serait amère,
De la musique eut envie,
Et, ses accords inventant,
Alla ses fils contentant
Par le son, qui **** nous jette
L'ennui de l'âme sujette,
Pour l'ennui même donter ;
Ce que l'émeraude fine
Ni l'or tiré de sa mine
N'ont la puissance d'ôter.

Sus, Muses, sus, célébrez-moi le nom
Du grand Appelle, immortel de renom,
Et de Zeus qui peignait
Si au vif qu'il contraignait
L'esprit ravi du pensif regardant
A s'oublier soi-même, cependant
Que l'œil humait à longs traits
La douceur de ses portraits.

C'est un céleste présent
Transmis çà-bas où nous sommes,
Qui règne encore à présent,
Pour lever en haut les hommes ;
Car, ainsi que Dieu a fait
De rien le monde parfait,
II veut qu'en petite espace
Le peintre ingénieux fasse
(Alors qu'il est agité),
Sans avoir nulle matière,
Instrument de deïté.

On dit que cil qui ranima les terres,
Vuides de gens, par le jet de ses pierres
(Origine de la rude
Et grossière multitude),
Avait aussi des diamants semé
Dont tel ouvrier fut vivement formé,
Son esprit faisant connaître
L'origine de son être.

Dieux ! de quelle oblation
Acquitter vers vous me puis-je,
Pour rémunération
Du bien reçu qui m'oblige ?
Certes, je suis glorieux
D'être ainsi ami des dieux,
Qui seuls m'ont fait recevoir
Le meilleur de leur savoir
Pour mes passions guérir,
Et d'eux, mon luth, tu attends
Vivre çà-bas en tout temps,
Non de moi, qui dois mourir.

Ô de Phébus la gloire et le trophée,
De qui jadis le Thracien Orphée
Faisait arrêter les vents
Et courir les bois suivants !
Je te salue, ô luth harmonieux,
Raclant de moi tout le soin ennuyeux,
Et de mes amours tranchantes
Les peines, lorsque tu chantes !
Fais rafraîchir mon vin, de sorte
Qu'il passe en froideur un glaçon ;
Fais venir Jeanne, qu'elle apporte
Son Luth pour dire une chanson ;
Nous ballerons tous trois au son ;
Et dis à Barbe qu'elle vienne,
Les cheveux tors à la façon
D'une folâtre Italienne.

Ne vois-tu que le jour se passe ?
Je ne vis point au lendemain :
Page, reverse dans ma tasse,
Que ce grand verre soit tout plein :
Maudit soit qui languit en vain !
Ces vieux Médecins je n'approuve ;
Mon cerveau n'est jamais bien sain
Si beaucoup de vin ne l'abreuve.
Au mois d'avril, quand l'an se renouvelle,
L'aube ne sort si fraîche de la mer :
Ni hors des flots la déesse (1) d'aimer
Ne vint à Cypre en sa conque si belle,

Comme je vis la beauté que j'appelle
Mon astre saint, au matin s'éveiller,
Rire le ciel, la terre s'émailler,
Et les Amours voler à l'entour d'elle.

Amour, Jeunesse, et les Grâces qui sont
Filles du ciel lui pendaient sur le front :
Mais ce qui plus redoubla mon service (2),

C'est qu'elle avait un visage sans art.
La femme laide est belle d'artifice,
La femme belle est belle sans du fard.


1. Vénus, née de l'écume de la mer.
2. M'assujettit davantage à son service.
Ma petite Nymphe Macée,
Plus blanche qu'ivoire taillé,
Plus blanche que neige amassée.
Plus blanche que le lait caillé,
Ton beau teint ressemble les lis
Avecque les roses cueillis.

Découvre-moi ton beau chef-d'œuvre,
Tes cheveux où le Ciel, donneur
Des grâces, richement découvre
Tous ses biens pour leur faire honneur ;
Découvre ton beau front aussi,
Heureux objet de mon souci.

Comme une Diane tu marches,
Ton front est beau, tes yeux sont beaux,
Qui flambent sous deux noires arches,
Comme deux célestes flambeaux,
D'où le brandon fut allumé,
Qui tout le cœur m'a consumé.

Ce fut ton œil, douce mignonne,
Que d'un fol regard écarté
Les miens encore emprisonne,
Peu soucieux de liberté,
Tous deux au retour du Printemps,
Et sur l'Avril de nos beaux ans.

Te voyant jeune, simple et belle,
Tu me suces l'âme et le sang ;
Montre-moi ta rose nouvelle,
Je dis ton sein d'ivoire blanc,
Et tes deux rondelets tétons,
Que s'enflent comme deux boutons.

Las ! puisque ta beauté première
Ne me daigne faire merci,
Et me privant de ta lumière,
Prend son plaisir de mon souci,
Au moins regarde sur mon front
Les maux que tes beaux yeux me font.
(En lui envoyant le livre d'Amours diverses.)

Là du prochain Hiver je prévois la tempête,
Là cinquante et six ans ont neigé sur ma tête,
II est temps de laisser les vers et les amours,
Et de prendre congé du plus beau de mes jours.
J'ai vécu ( Villeroy ) si bien, que nulle envie
En partant je ne porte aux plaisirs de la vie ;
Je les ai tous goûté, et me les suis permis
Autant que la raison me les rendait amis,
Sur l'échafaud mondain jouant mon personnage
D'un habit convenable au temps et à mon âge.

J'ai vu lever le jour, j'ai vu coucher le soir,
J'ai vu grêler, tonner, éclairer et pleuvoir,
J'ai vu peuples et Rois, et depuis vingt années
J'ai vu presque la France au bout de ses journées ;
J'ai vu guerres, débats, tantôt trêves et paix,
Tantôt accords promis, redéfais et refais,
Puis défais et refais. J'ai vu que sous la Lune
Tout n'était que hasard, et pendait de Fortune.
Pour néant la Prudence est guide des humains ;
L'invincible Destin lui enchaîne les mains,
La tenant prisonnière, et tout ce qu'on propose
Sagement, la Fortune autrement en dispose.

Je m'en vais saoul du monde, ainsi qu'un convié
S'en va saoul du banquet de quelque marié,
Ou du festin d'un Roi, sans renfrogner sa face,
Si un autre après lui se saisit de sa place.
J'ai couru mon flambeau sans me donner émoi
Le baillant à quelqu'un s'il recourt après moi ;
II ne faut s'en fâcher ; c'est la Loi de Nature,
Où s'engage en naissant chacune créature...

Or comme un endetté, de qui proche est le terme
De payer à son maître ou l'usure ou la ferme,
Et n'ayant ni argent ni biens pour secourir
Sa misère au besoin, désire de mourir ;
Ainsi, ton obligé, ne pouvant satisfaire
Aux biens que je te dois, le jour ne me peut plaire ;
Presque à regret je vis et à regret je vois
Les rayons du Soleil s'étendre dessus moi.
Pour ce, je porte en l'âme une amère tristesse,
De quoi mon pied s'avance aux faubourgs de vieillesse,
Et vois (quelque moyen que je puisse essayer)
Qu'il faut que je déloge avant que te payer ;
S'il ne te plaît d'ouvrir le ressort de mon coffre,
Et prendre ce papier que pour acquit je t'offre,
Et ma plume qui peut, écrivant vérité,
Témoigner ta louange à la postérité.

Reçois donc mon présent, s'il te plaît, et le garde
En ta belle maison de Confiant, qui regarde
Paris, séjour des Rois, dont le front spacieux
Ne voit rien de pareil sous la voûte des Cieux ;
Attendant qu'Apollon m'échauffe le courage
De chanter tes jardins, ton clos et ton bocage,
Ton bel air, ta rivière et les champs d'alentour
Qui sont toute l'année échauffés d'un beau jour,
Ta foret d'Orangers, dont la perruque verte
De cheveux éternels en tout temps est couverte,
Et toujours son fruit d'or de ses feuilles défend,
Comme une mère fait de ses bras son enfant.

Prend ce Livre pour gage, et lui fais, je te prie,
Ouvrir en ma faveur ta belle Librairie,
Où logent sans parler tant d'hôtes étrangers :
Car il sent aussi bon que sont tes Orangers.
Du malheur de recevoir
Un étranger, sans avoir
De lui quelque connaissance,
Tu as fait expérience,
Ménélas, ayant reçu
Pâris dont tu fus déçu :
Et moi je la viens de faire
Qui ore ai voulu retraire (1)
Sottement un étranger
Dans ma chambre, et le loger.

Il était minuit, et l'Ourse
De son char tournait la course
Entre les mains du Bouvier,
Quand le somme vint lier
D'une chaîne sommelière
Mes yeux clos sous la paupière.

Là je dormais en mon lit,
Lorsque j'entr'ouïs le bruit
D'un qui frappait à ma porte,
Et heurtait de telle sorte
Que mon dormir s'en alla :
Je demandai : Qu'est-ce là
Qui fait à mon huis (2) sa plainte ?
Je suis enfant, n'aye crainte,
Ce me dit-il, et adonc (3)
Je lui desserre le gond,  
De ma porte verrouillée.

J'ai la chemise mouillée
Qui me trempe jusqu'aux os,
Ce disait ; dessus le dos
Toute nuit j'ai eu la pluie :
Et pour ce je te supplie
De me conduire à ton feu
Pour m'aller sécher un peu.

Lors je pris sa main humide,
Et plein de pitié le guide
En ma chambre et le fis seoir
Au feu qui restait du soir :
Puis, allumant des chandelles,
Je vis qu'il portait des ailes,
Dans la main un arc turquois,
Et sous l'aisselle un carquois.
Adonc en mon cœur je pense
Qu'il avait quelque puissance.
Et qu'il fallait m'apprêter
Pour le faire banqueter.

Cependant il me regarde
D'un œil, de l'autre il prend garde
Si son arc était séché ;
Puis, me voyant empêché
A lui faire bonne chère,
Me tire une flèche amère
Droit en l'œil : le coup de là
Plus bas au cœur dévala :
Et m'y fit telle ouverture,
Qu'herbe, drogue ni murmure (4)
N'y serviraient plus de rien.

Voilà, Robertet, le bien,
(Mon Robertet qui embrasse  
Les neuf Muses et les Grâces)
Le bien qui m'est advenu
Pour loger un inconnu.


1. Retraire signifie abriter.
2. Huis est une porte.
3. Adonc veut dire alors.
4. Murmure ainsi indique prière.
Avant le temps tes temples fleuriront,
De peu de jours ta fin sera bornée,
Avant le soir se clorra ta journée ,
Trahis d'espoir tes pensers periront :

Sans me flechir tes escrits fletriront,
En ton desastre ira ma destinée,
Ta mort sera pour m'aimer terminée,
De tes souspirs noz neveux se riront.

Tu seras fait d'un vulgaire la fable :
Tu bastiras sus l'incertain du sable,
Et vainement tu peindras dans les cieux :

Ainsi disoit la Nymphe qui m'afolle,
Lors que le ciel tesmoin de sa parolle,
D'un dextre éclair fut presage à mes yeux.
Bien qu'à grand tort il te plaît d'allumer
Dedans mon cœur, siège à ta seigneurie,
Non d'une amour, ainçois (1) d'une Furie
Le feu cruel, pour mes os consumer,

L'âpre tourment ne m'est point si amer
Qu'il ne me plaise, et si n'ai pas envie
De me douloir (2), car je n'aime ma vie
Sinon d'autant qu'il te plaît de l'aimer.

Mais si le Ciel m'a fait naître, Madame,
Pour être tien, ne gêne plus mon âme,
Mais prends en gré ma ferme loyauté.

Vaut-il pas mieux en tirer du service,
Que par l'horreur d'un cruel sacrifice
L'occire aux pieds de ta fière beauté ?


1. Ançois veut dire : avant que.
2. Douloir : Souffrir.
Bien que les champs, les fleuves et les lieux,
Les monts, les bois, que j'ai laissés derrière,
Me tiennent **** de ma douce guerrière,
Astre fatal d'où s'écoule mon mieux,

Quelque Démon par le congé des Cieux,
Qui présidait à mon ardeur première,
Conduit toujours d'une aile coutumière
Sa belle image au séjour de mes yeux.

Toutes les nuits, impatient de hâte,
Entre mes bras je rembrasse et retâte
Son vain portrait en cent formes trompeur.

Mais quand il voit que content je sommeille.
Moquant mes bras il s'enfuit, et m'éveille,
Seul en mon lit, plein de honte et de peur.
Bonjour mon coeur, bonjour ma douce vie.
Bonjour mon oeil, bonjour ma chère amie,
Hé ! bonjour ma toute belle,
Ma mignardise, bonjour,
Mes délices, mon amour,
Mon doux printemps, ma douce fleur nouvelle,
Mon doux plaisir, ma douce colombelle,
Mon passereau, ma gente tourterelle,
Bonjour, ma douce rebelle.

Hé ! faudra-t-il que quelqu'un me reproche
Que j'aie vers toi le coeur plus dur que roche
De t'avoir laissée, maîtresse,
Pour aller suivre le Roi,
Mendiant je ne sais quoi
Que le vulgaire appelle une largesse ?
Plutôt périsse honneur, court, et richesse,
Que pour les biens jamais je te relaisse,
Ma douce et belle déesse.
Ce beau corail, ce marbre qui soupire
Et cet ébène ornement du sourcil,
Et cet albâtre en voûte raccourci,
Et ces saphirs, ce jaspe et ce porphyre,

Ces diamants, ces rubis qu'un Zéphyre
Tient animés d'un soupir adouci,
Et ces oeillets, et ces roses aussi,
Et ce fin or, où l'or même se mire,

Me sont au coeur en si profond émoi,
Qu'un autre objet ne se présente à moi,
Sinon, le beau de leur beau que j'adore,

Et le plaisir qui ne se peut passer
De les songer, penser et repenser,
Songer, penser et repenser encore.
Ce Chasteau-neuf, ce nouvel edifice
Tout enrichy de marbre et de porphire,
Qu'Amour bastit chasteau de son empire,
Où tout le Ciel a mis son artifice,


Est un rempart, un fort contre le vice,
Où la Vertu maistresse se retire,
Que l'œil regarde, et que l'esprit admire,
Forçant les cœurs à luy faire service.


C'est un Chasteau feé de telle sorte,
Que nul ne peut approcher de la porte,
Si des grands Rois il n'a tiré sa race,


Victorieux, vaillant et amoureux.
Nul Chevalier, tant soit aventureux,
Sans estre tel, ne peut gagner la place.
Ce jour de Mai qui a la tête peinte,
D'une gaillarde et gentille verdeur,
Ne doit passer sans que ma vive ardeur
Par votre grâce un peu ne soit éteinte.


De votre part, si vous êtes atteinte
Autant que moi d'amoureuse langueur,
D'un feu pareil soulageons notre coeur,
Qui aime bien ne doit point avoir crainte.

Le Temps s'enfuit, cependant ce beau jour,
Nous doit apprendre à demener l'Amour,
Et le pigeon qui sa femelle baise.

Baisez-moi donc et faisons tout ainsi
Que les oiseaux sans nous donner souci :
Après la mort on ne voit rien qui plaise.
Celle, de qui l'Amour vainquit la fantaisie,
Que Jupiter conçut sous un Cygne emprunté ;
Cette sœur des Jumeaux, qui fit par sa beauté
Opposer toute Europe aux forces de l'Asie,

Disait à son mirouer (1), quand elle eut saisie
Sa face de vieillesse et de hideuseté (2) :
« Que mes premiers Maris insensés ont été
De s'armer pour jouir d'une chair si moisie !

« Dieux, vous êtes jaloux et pleins de cruauté !
Des Dames sans retour s'envole la beauté :
Aux serpents tous les ans vous ôtez la vieillesse. »

Ainsi disait Hélène, en remirant son teint.
Cet exemple est pour vous : cueillez votre jeunesse :
Quand on perd son Avril, en Octobre on s'en plaint.


1. Mirouer : Miroir.
2. Hideuseté : Laideur, répugnance.
Celui qui boit, comme a chanté Nicandre,
De l'Aconite, il a l'esprit troublé,
Tout ce qu'il voit lui semble être doublé,
Et sur ses yeux la nuit se vient épandre.

Celui qui boit de l'amour de Cassandre,
Qui par ses yeux au coeur est écoulé,
Il perd raison, il devient affolé,
Cent fois le jour la Parque le vient prendre.

Mais la chaut vive, ou la rouille, ou le vin
Ou l'or fondu peuvent bien mettre fin
Au mal cruel que l'Aconite donne :

La mort sans plus a pouvoir de guérir
Le coeur de ceux que Cassandre empoisonne,
Mais bien heureux qui peut ainsi mourir.
Ces liens d'or, cette bouche vermeille,
Pleine de lis, de roses et d'oeillets,
Et ces coraux chastement vermeillets,
Et cette joue à l'Aurore pareille ;

Ces mains, ce col, ce front, et cette oreille,
Et de ce sein les boutons verdelets,
Et de ces yeux les astres jumelés,
Qui font trembler les âmes de merveille,

Firent nicher Amour dedans mon sein,
Qui gros de germe avait le ventre plein
D'œufs non formés qu'en notre sang il couve.

Comment vivrai-je autrement qu'en langueur,
Quand une engeance immortelle je trouve
D'Amours éclos et couvés en mon cœur ?
Le printemps n'a point tant de fleurs,
L'automne tant de raisins meurs,
L'été tant de chaleurs halées,
L'hiver tant de froides gelées,
Ni la mer a tant de poissons,
Ni la Beauce tant de moissons,
Ni la Bretagne tant d'arènes,
Ni l'Auvergne tant de fontaines,
Ni la nuit tant de clairs flambeaux,
Ni les forêts tant de rameaux,
Que je porte au coeur, ma maîtresse,
Pour vous de peine et de tristesse.
Chanson XV.

Quand ce beau printemps je vois,
J'aperçois
Rajeunir la terre et l'onde,
Et me semble que le jour
Et l'amour,
Comme enfants, naissent au monde.

Le jour, qui plus beau se fait,
Nous refait
Plus belle et verte la terre :
Et Amour, armé de traits
Et d'attraits,
En nos cœurs nous fait la guerre,

II répand de toutes parts
Feu et dards,
Et dompte sous sa puissance
Hommes, bêtes et oiseaux,
Et les eaux
Lui rendent obéissance.

Vénus, avec son enfant
Triomphant
Au haut de son Coche assise,
Laisse ses cygnes voler
Parmi l'air
Pour aller voir son Anchise.

Quelque part que ses beaux yeux
Par les Cieux
Tournent leurs lumières belles,
L'air qui se montre serein
Est tout plein
D'amoureuses étincelles.

Puis en descendant à bas,
Sous ses pas
Naissent mille fleurs écloses :
Les beaux lys et les oeillets
Vermeillets
Rougissent entre les roses.

Je sens en ce mois si beau
Le flambeau
D'Amour qui m'échauffe l'âme,
Y voyant de tous côtés
Les beautés
Qu'il emprunte de ma Dame.

Quand je vois tant de couleurs
Et de fleurs
Qui émaillent un rivage,
Je pense voir le beau teint
Qui est peint
Si vermeil en son visage.

Quand je vis les grands rameaux
Des ormeaux
Qui sont lacez de lierre,
Je pense être pris et las
De ses bras,
Et que mon col elle serre.

Quand j'entends la douce voix
Par les bois
Du *** Rossignol qui chante,
D'elle je pense jouir
Et ouïr
Sa douce voix qui m'enchante.

Quand je vois en quelque endroit
Un pin droit,
Ou quelque arbre qui s'élève.
Je me laisse décevoir,
Pensant voir
Sa telle taille et sa grève (1).

Quand je vois dans un jardin
Au matin
S'éclore une fleur nouvelle,
Je compare le bouton
Au téton
De son beau sein qui pommelle.

Quand le soleil tout riant
D'Orient
Nous montre sa blonde tresse,
II me semble que je vois
Devant moi
Lever ma belle maîtresse.

Quand je sens parmi les prés
Diaprez (2)
Les fleurs dont la terre est pleine,
Lors je fais croire à mes sens
Que je sens
La douceur de son haleine.

Bref, je fais comparaison
Par raison
Du Printemps et de ma mie :
II donne aux fleurs la vigueur,
Et mon cœur
D'elle prend vigueur et vie.

Je voudrais, au bruit de l'eau
D'un ruisseau.
Déplier ses tresses blondes,
Frisant en autant de nœuds
Ses cheveux,
Que je verrais friser d'ondes.

Je voudrais, pour la tenir,
Devenir
Dieu de ces forets désertes,
La baisant autant de fois
Qu'en un bois
Il y a de feuilles vertes.

Ah, maîtresse mon souci,
Vient ici,
Vient contempler la verdure
Les fleurs, de mon amitié
Ont pitié,
Et seule tu n'en as cure (3).

Au moins lève un peu tes yeux
Gracieux,
Et vois ces deux colombelles,
Qui font naturellement,
Doucement,
L'amour, du bec et des ailes :

Et nous, sous ombre d'honneur,
Le bonheur
Trahissons par une crainte :
Les oiseaux sont plus heureux
Amoureux
Qui font l'amour sans contrainte.

Toutefois ne perdons pas
Nos ébats
Pour ces lois tant rigoureuses :
Mais si tu m'en crois, vivons,
Et suivons
Les colombes amoureuses.

Pour effacer mon émoi,
Baise-moi,
Rebaise-moi, ma Déesse ;
Ne laissons passer en vain
Si soudain
Les ans de notre jeunesse.


1. Grève : Jambe.
2. Diaprer : Varier.
3. Cure : Souci.
Chanson IV.

Plus étroit que la vigne à l'Ormeau se marie,
De bras souplement forts,
Du lien de tes mains, maîtresse, je te prie,
Enlace-moi le corps.

Et feignant de dormir, d'une mignarde face
Sur mon front penche-toi ;
Inspire, en me baisant, ton haleine et ta grâce
Et ton cœur dedans moi.

Puis appuyant ton sein sur le mien qui se pâme,
Pour mon mal apaiser,
Serre plus fort mon col, et me redonne l'âme
Par l'esprit d'un baiser.

Si tu me fais ce bien, par tes yeux je te jure,
Serment qui m'est si cher,
Que de tes bras aimez jamais autre aventure
Ne pourra m'arracher.

Mais souffrant doucement le joug de ton Empire,
Tant soit-il rigoureux,
Dans les champs Élysez un même navire
Nous passera tous deux.

Là, morts de trop aimer, sous les branches Myrtilles
Nous verrons tous les jours
Les anciens Héros auprès des Héroïnes
Ne parler que d'amours.

Tantôt nous danserons par les fleurs des rivages
Sous maints accords divers,
Tantôt lassés du bal irons sous les ombrages
Des Lauriers toujours verts ;

Où le mollet Zéphyr en haletant secoue
De soupirs printaniers
Ores les Orangers, ores mignard se joue
Entre les Citronniers.

Là du plaisant Avril la saison immortelle
Sans échange le suit :
La terre, sans labeur, de sa grasse mamelle,
Toute chose y produit.

D'en bas la troupe sainte autrefois amoureuse,
Nous honorant sur tous,
Viendra nous saluer, s'estimant bienheureuse
De s'accointer (1) de nous.

Puis nous faisant asseoir dessus l'herbe fleurie,
De toutes au milieu,
Nulle, en se retirant, ne sera point marrie
De nous quitter son lieu ;

Non celle (2) qu'un Taureau sous une peau menteuse
Emporta par la mer ;
Non celle (3) qu'Apollon vu, vierge dépiteuse,
En Laurier se former ;

Ni celles qui s'en vont toutes tristes ensemble,
Artemise et Didon ;
Ni cette belle Grecque, à qui ta beauté semble
Comme tu fais de nom.


1. S'accointer : S'approcher, se lier.
2. Europe.
3. Daphné.
Ciel, air et vents, plains et monts découverts,
Tertres vineux et forêts verdoyantes,
Rivages torts et sources ondoyantes,
Taillis rasés et vous bocages verts,

Antres moussus à demi-front ouverts,
Prés, boutons, fleurs et herbes roussoyantes,
Vallons bossus et plages blondoyantes,
Et vous rochers, les hôtes de mes vers,

Puis qu'au partir, rongé de soin et d'ire,
A ce bel oeil Adieu je n'ai su dire,
Qui près et **** me détient en émoi,

Je vous supplie, Ciel, air, vents, monts et plaines,
Taillis, forêts, rivages et fontaines,
Antres, prés, fleurs, dites-le-lui pour moi.
Comme on voit sur la branche au mois de may la rose,
En sa belle jeunesse, en sa premiere fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l'Aube de ses pleurs au poinct du jour l'arrose ;


La grace dans sa feuille, et l'amour se repose,
Embasmant les jardins et les arbres d'odeur ;
Mais batue ou de pluye, ou d'excessive ardeur,
Languissante elle meurt, fueille à fueille déclose.


Ainsi en ta premiere et jeune nouveauté,
Quand la Terre et le Ciel honoraient ta beauté,
La Parque t'a tuee, et cendre tu reposes.


Pour obseques reçoy mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de laict, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.
Comme un chevreuil, quand le printemps destruit
L'oyseux crystal de la morne gelée,
Pour mieulx brouster l'herbette emmielée
Hors de son boys avec l'Aube s'en fuit,

Et seul, et seur, loing de chiens et de bruit,
Or sur un mont, or dans une vallée,
Or pres d'une onde à l'escart recelée,
Libre follastre où son pied le conduit ;

De retz ne d'arc sa liberté n'a crainte,
Sinon alors que sa vie est attainte,
D'un trait meurtrier empourpré de son sang :

Ainsi j'alloy sans espoyr de dommage,
Le jour qu'un oeil sur l'avril de mon age
Tira d'un coup mille traitz dans mon flanc.
L'inimitié que je te porte,
Passe celle, tant elle est forte,
Des aigneaux et des loups,
Vieille sorcîere deshontée,
Que les bourreaux ont fouëttée
Te honnissant de coups.

Tirant apres toy une presse
D'hommes et de femmes espesse,
Tu monstrois nud le flanc,
Et monstrois nud parmy la rue
L'estomac, et l'espaule nue
Rougissante de sang.

Mais la peine fut bien petite,
Si Ion balance ton merite :
Le Ciel ne devoit pas
Pardonner à si lasche *****,
Ains il devoit de sa tempeste
L'acravanter à bas.

La Terre mere encor pleurante
Des Geans la mort violante
Bruslez du feu des cieux,
(Te laschant de son ventre à peine)
T'engendra, vieille, pour la haine
Qu'elle portait aux Dieux.

Tu sçais que vaut mixtionnée
La drogue qui nous est donnée
Des pays chaleureux,
Et en quel mois, en quelles heures
Les fleurs des femmes sont meilleures
Au breuvage amoureux.

Nulle herbe, soit elle aux montagnes,
Ou soit venimeuse aux campagnes,
Tes yeux sorciers ne fuit,
Que tu as mille fois coupée
D'une serpe d'airain courbée,
Beant contre la nuit.

Le soir, quand la Lune fouëtte
Ses chevaux par la nuict muette,
Pleine de rage, alors
Voilant ta furieuse *****
De la peau d'une estrange beste
Tu t'eslances dehors.

Au seul soufler de son haleine
Les chiens effroyez par la plaine
Aguisent leurs abois :
Les fleuves contremont reculent,
Les loups effroyablement hurlent
Apres toy par les bois.

Adonc par les lieux solitaires,
Et par l'horreur des cimetaires
Où tu hantes le plus,
Au son des vers que tu murmures
Les corps des morts tu des-emmures
De leurs tombeaux reclus.

Vestant de l'un l'image vaine
Tu viens effroyer d'une peine
(Rebarbotant un sort)
Quelque veufve qui se tourmente,
Ou quelque mere qui lamente
Son seul heritier mort.

Tu fais que la Lune enchantée
Marche par l'air toute argentée,
Luy dardant d'icy bas
Telle couleur aux jouës palles,
Que le son de mille cymbales
Ne divertirait pas.

Tu es la frayeur du village :
Chacun craignant ton sorcelage
Te ferme sa maison,
Tremblant de peur que tu ne taches
Ses boeufs, ses moutons et ses vaches
Du just de ta poison.

J'ay veu souvent ton oeil senestre,
Trois fois regardant de **** paistre
La guide du troupeau,
L'ensorceler de telle sorte,
Que tost apres je la vy morte
Et les vers sur la peau.

Comme toy, Medée exécrable
Fut bien quelquefois profitable :
Ses venins ont servy,
Reverdissant d'Eson l'escorce :
Au contraire, tu m'as par force
Mon beau printemps ravy.

Dieux ! si là-haut pitié demeure,
Pour récompense qu'elle meure,
Et ses os diffamez
Privez d'honneur de sépulture,
Soient des oiseaux goulus pasture,
Et des chiens affamez.
Cusin, monstre à double aile, au mufle Elephantin,
Canal à tirer sang, qui voletant en presse
Sifles d'un son aigu, ne picque ma Maistresse,
Et la laisse dormir du soir jusqu'au matin.


Si ton corps d'un atome, et ton nez de mastin
Cherche tant à picquer la peau d'une Deesse,
En lieu d'elle, Cusin, la mienne je te laisse :
Succe la, que mon sang te soit comme un butin.


Cusin, je m'en desdy : hume moy de la belle
Le sang, et m'en apporte une goutte nouvelle
Pour gouster quel il est. Ha, que le sort fatal


Ne permet à mon corps de prendre ton essence !
Repicquant ses beaux yeux, elle auroit cognoissance
Qu'un rien qu'on ne voit pas, fait souvent un grand mal.
Dans le serein de sa jumelle flamme
Je vis Amour, qui son arc débandait,
Et sur mon cœur le brandon épandait,
Qui des plus froids les moelles enflamme.

Puis çà puis là près les yeux de ma dame
Entre cent fleurs un rets d'or me tendait,
Qui tout crépu blondement descendait
A flots ondés pour enlacer mon âme.

Qu'eussé-je fait ? l'Archer était si doux,
Si doux son feu, si doux l'or de ses nœuds,
Qu'en leurs filets encore je m'oublie :

Mais cet oubli ne me tourmente point,
Tant doucement le doux Archer me point,
Le feu me brûle, et l'or crêpe me lie.
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