Laisse-moi sommeiller, Amour ! Ne te suffit-il que de jour Les yeux trop cruels de ma dame Me tourmentent le corps et l'âme, Sans la nuit me vouloir ainsi Tourmenter d'un nouveau souci, Alors que je devrais refaire Dans le lit la peine ordinaire Que tout le jour je souffre au cœur !
Hélas ! Amour plein de rigueur, Cruel enfant, que veux-tu dire ? Toujours le vautour ne martyre Le pauvre cœur Promethean Sur le sommet Caucasean, Mais de nuit recroître le laisse, À fin qu'au matin s'en repaisse.
Mais tu me ronges jour et nuit, Et ton soin, qui toujours me suit, Ne veut que mon cœur se refasse ; Mais toujours, toujours le tirasse, Ainsi qu'un acharné limier Tirasse le cœur d'un sanglier.
Chacun dit que je suis malade, Me voyant la couleur si fade Et le teint si morne et si blanc ; Et dit-on vrai, car je n'ai sang En veine, ni force en artère ; Aussi la nuit je ne digère Et mon souper me reste cru Dans l'estomac d'amours recru.
Mais, Amour, j'aurai la vengeance De ta cruelle outrecuidance Quittant ma vie, et, si je meurs, Je serai franc de tes douleurs : Car rien ne peut ta tyrannie Sur un corps qui n'a plus de vie.