Si tous les astres, ô nature,
Trompant la main qui les conduit,
S'entre-choquaient par aventure
Pour se dissoudre dans la nuit ;
Ou comme une flotte qui sombre,
Si ces foyers, grands et petits,
Lentement dévorés par l'ombre,
Y disparaissaient engloutis,
Tu pourrais repeupler l'abîme,
Et rallumer un firmament
Plus somptueux et plus sublime,
Avec la terre seulement !
Car il te suffirait, pour rendre
À l'infini tous ses flambeaux,
D'y secouer l'humaine cendre
Qui sommeille au fond des tombeaux,
La cendre des cœurs innombrables,
Enfouis, mais brûlants toujours,
Où demeurent inaltérables
Dans la mort d'immortels amours.
Sous la terre, dont les entrailles
Absorbent les cœurs trépassés,
En six mille ans de funérailles
Quels trésors de flamme amassés !
Combien dans l'ombre sépulcrale
Dorment d'invisibles rayons !
Quelle semence sidérale
Dans la poudre des passions !
Ah ! Que sous la voûte infinie
Périssent les anciens soleils,
Avec les éclairs du génie
Tu feras des midis pareils ;
Tu feras des nuits populeuses,
Des nuits pleines de diamants,
En leur donnant pour nébuleuses
Tous les rêves des cœurs aimants ;
Les étoiles plus solitaires,
Éparses dans le sombre azur,
Tu les feras des cœurs austères
Où veille un feu profond et sûr ;
Et tu feras la blanche voie
Qui nous semble un ruisseau lacté,
De la pure et sereine joie
Des cœurs morts avant leur été ;
Tu feras jaillir tout entière
L'antique étoile de Vénus
D'un atome de la poussière
Des cœurs qu'elle embrasa le plus ;
Et les fermes cœurs, pour l'attaque
Et la résistance doués,
Reformeront le zodiaque
Où les titans furent cloués !
Pour moi-même enfin, grain de sable
Dans la multitude des morts,
Si ce que j'ai d'impérissable
Doit scintiller au ciel d'alors,
Qu'un astre généreux renaisse
De mes cendres à leur réveil !
Rallume au feu de ma jeunesse
Le plus clair, le plus chaud soleil !
Rendant sa flamme primitive
À Sirius, des nuits vainqueur,
Fais-en la pourpre encor plus vive
Avec tout le sang de mon cœur !