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Seigneur, vous m'avez laissé vivre

Pour m'éprouver jusqu'à la fin.

Vous châtiez cette chair ivre,

Par la douleur et par la faim !

Et Vous permîtes que le diable

Tentât mon âme misérable

Comme l'âme forte de Job,

Puis Vous m'avez envoyé l'ange

Qui gagea le combat étrange

Avec le grand aïeul Jacob


Mon enfance, elle fut joyeuse :

Or je naquis choyé, béni

Et je crûs, chair insoucieuse,

Jusqu'au temps du trouble infini

Qui nous prend comme une tempête,

Nous poussant comme par la tête

Vers l'abîme et prêts à tomber ;

Quant à moi, puisqu'il faut le dire.

Mes sens affreux et leur délire

Allaient me faire succomber,


Quand Vous parûtes, Dieu de grâce

Qui savez tout bien arranger,

Qui Vous mettez bien à la place,

L'auteur et l'ôteur du danger,

Vous me punîtes par moi-même

D'un supplice cru le suprême

(Oui, ma pauvre âme le croyait)

Mais qui n'était au fond rien qu'une

Perche tendue, ô qu'opportune !

A mon salut qui se noyait.


Comprises les dures délices,

J'ai marché dans le droit sentier,

Y cueillant sous des cieux propices

Pleine paix et bonheur entier,

Paix de remplir enfin ma tâche,

Bonheur de n'être plus un lâche

Épris des seules voluptés

De l'orgueil et de la luxure,

Et cette fleur, l'extase pure

Des bons projets exécutés,


C'est alors que la mort commence

Son œuvre inexpiable ? Non,

Mais qui me saisit de démence

Bien qu'encor criant Votre nom.

L'Ami me meurt, aussi la Mère,

Une rancune plus qu'amère

Me piétine en ce dur moment

Et me cantonne en la misère,

Dans la littérale misère,

Du froid, et du délaissement !


Tout s'en mêle : la maladie

Vient en aide à l'autre fléau.

Le guignon, comme un incendie

Dans un pays où manque l'eau,

Ravage et dévaste ma vie,

Traînant à sa suite l'envie,

L'ordre, l'obsèque trahison,

La sale pitié dérisoire,

Jusqu'à cette rumeur de gloire

Comme une insulte à la raison !


Ces mystères, je les pénètre ;

Tous les mystères, je les connais,

Oui, certes, Vous êtes le maître

Dont les rigueurs sont les bienfaits.

Mais, ô Vous, donnez-moi la force,

Donnez, comme à l'arbre l'écorce.

Comme l'instinct à l'animal,

Donnez à ce cœur votre ouvrage,

Seigneur, la force et le courage

Pour le bien et contre le mal.


Mais, hélas ! je ratiocine

Sur mes fautes et mes douleurs,

Espèce de mauvais Racine

Analysant jusqu'à mes pleurs.

Dans ma raison mal assagie,

Je fais de la psychologie

Au lieu d'être un cœur pénitent

Tout simple et tout aimable en somme.

Sans plus l'astuce du vieil homme

Et sans plus l'orgueil protestant...


Je crois en l'Église romaine,

Catholique, apostolique et

La seule humaine qui nous mène

Au but que Jésus indiquait,

La seule divine qui porte

Notre croix jusques à la porte

Des libres cieux enfin ouverts.

Qui la porte par vos bras même,

O grand Crucifié suprême

Donnant pour nous vos maux soufferts.


Je crois en la toute-présense,

A la messe de Jésus-Christ,

Je crois à la toute-puissance

Du Sang que pour nous il offrit

Et qu'il offre au seul Juge encore

Par ce mystère que j'adore

Qui fait qu'un homme vain, menteur,

Pourvu qu'il porte le vrai signe

Qui le consacre entre tous digne,

Puisse créer le Créateur.


Je confesse la Vierge unique,

Reine de la neuve Sion,

Portant aux plis de sa tunique

La grâce et l'intercession.

Elle protège l'innocence,

Accueille la résipiscence,

Et debout quand tous à genoux,

Impêtre le pardon du Père

Pour le pécheur qui désespère...

Mère du fils, priez pour nous !
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