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Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, devisant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle.

Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre, et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain ;
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
Adieu, belle Cassandre, et vous, belle Marie,
Pour qui je fus trois ans en servage à Bourgueil,
L'une vit, l'autre est morte, et ores, de son œil
Le Ciel se réjouit, dont la terre est marrie.

Sur mon premier Avril, d'une amoureuse envie
J'adorais vos beautés, mais votre fier orgueil
Ne s'amollit jamais pour larmes ni pour deuil,
Tant d'une gauche main la Parque ourdit ma vie.

Maintenant en Automne, encore malheureux,
Je vis comme au Printemps, de nature amoureux,
Afin que tout mon âge aille au gré de la peine.

Et or que je deusse être affranchi du harnois,
Mon Colonel m'envoie, à grand coups de carquois,
Rassiéger Ilion pour conquérir Hélène.
Bonjour mon coeur, bonjour ma douce vie.
Bonjour mon oeil, bonjour ma chère amie,
Hé ! bonjour ma toute belle,
Ma mignardise, bonjour,
Mes délices, mon amour,
Mon doux printemps, ma douce fleur nouvelle,
Mon doux plaisir, ma douce colombelle,
Mon passereau, ma gente tourterelle,
Bonjour, ma douce rebelle.

Hé ! faudra-t-il que quelqu'un me reproche
Que j'aie vers toi le coeur plus dur que roche
De t'avoir laissée, maîtresse,
Pour aller suivre le Roi,
Mendiant je ne sais quoi
Que le vulgaire appelle une largesse ?
Plutôt périsse honneur, court, et richesse,
Que pour les biens jamais je te relaisse,
Ma douce et belle déesse.
Je vous envoye un bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanies,
Qui ne les eust à ce vespre cuillies,
Cheutes à terre elles fussent demain.


Cela vous soit un exemple certain
Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de tems cherront toutes flétries,
Et comme fleurs, periront tout soudain.


Le tems s'en va, le tems s'en va, ma Dame,
Las ! le tems non, mais nous nous en allons,
Et tost serons estendus sous la lame :


Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle :
Pour-ce aimés moy, ce-pendant qu'estes belle.
Peins-moi, Janet, peins-moi, je te supplie
Dans ce tableau les beautés de m'amie
De la façon que je te les dirai.
Comme importun je ne te supplierai
D'un art menteur quelque faveur lui faire :
Il suffit bien si tu la sais portraire
Ainsi qu'elle est, sans vouloir déguiser
Son naturel pour la favoriser,
Car la faveur n'est bonne que pour celles
Qui se font peindre, et qui ne sont pas belles.

Fais-lui premier les cheveux ondelés,
Noués, retors, recrêpés, annelés,
Qui de couleur le cèdre représentent ;
Ou les démêle, et que libres ils sentent
Dans le tableau, si par art tu le peux,
La même odeur de ses propres cheveux,
Car ses cheveux comme fleurettes sentent,
Quand les Zéphyrs au printemps les éventent.

Que son beau front ne soit entrefendu
De nul sillon en profond étendu,
Mais qu'il soit tel qu'est la pleine marine,
Quand tant soit peu le vent ne la mutine,
Et que gisante en son lit elle dort,
Calmant ses flots sillés d'un somme mort.
Tout au milieu par la grève descende
Un beau rubis, de qui l'éclat s'épande
Par le tableau, ainsi qu'on voit de nuit
Briller les rais de la Lune qui luit
Dessus la neige au fond d'un val coulée,
De trace d'homme encore non foulée.

Après fais-lui son beau sourcil voûtis
D'ébène noir, et que son pli tortis
Semble un croissant qui montre par la nue
Au premier mois sa voûture cornue.
Ou si jamais tu as vu l'arc d'Amour,
Prends le portrait dessus le demi-tour
De sa courbure à demi-cercle dose,
Car l'arc d'Amour et lui n'est qu'une chose.
Mais las ! mon Dieu, mon Dieu je ne sais pas
Par quel moyen, ni comment, tu peindras
(Voire eusses-tu l'artifice d'Apelle)
De ses beaux yeux la grâce naturelle,
Qui font vergogne aux étoiles des Cieux.
Que l'un soit doux, l'autre soit furieux,
Que l'un de Mars, l'autre de Vénus tienne ;
Que du bénin toute espérance vienne,

Et du cruel vienne tout désespoir ;
L'un soit piteux et larmoyant à voir,
Comme celui d'Ariane laissée
Aux bords de Die, alors que l'insensée,
Près de la mer, de pleurs se consommait,
Et son Thésée en vain elle nommait ;
L'autre soit ***, comme il est bien croyable
Que l'eut jadis Pénélope louable
Quand elle vit son mari retourné,
Ayant vingt ans **** d'elle séjourné.
Après fais-lui sa rondelette oreille,
Petite, unie, entre blanche et vermeille,
Qui sous le voile apparaisse à l'égal
Que fait un lis enclos dans un cristal,
Ou tout ainsi qu'apparaît une rose
Tout fraîchement dedans un verre enclose.

Mais pour néant tu aurais fait si beau
Tout l'ornement de ton riche tableau,
Si tu n'avais de la linéature
De son beau nez bien portrait la peinture.
Peins-le-moi donc grêle, long, aquilin,
Poli, traitis, où l'envieux malin,
Quand il voudrait, n'y saurait que reprendre,
Tant proprement tu le feras descendre
Parmi la face, ainsi comme descend
Dans une plaine un petit mont qui pend.
Après au vif peins-moi sa belle joue
Pareille au teint de la rose qui noue
Dessus du lait, ou au teint blanchissant
Du lis qui baise un oeillet rougissant.
Dans le milieu portrais une fossette,
Fossette, non, mais d'Amour la cachette,
D'où ce garçon de sa petite main
Lâche cent traits, et jamais un en vain,
Que par les yeux droit au coeur il ne touche.

Hélas ! Janet, pour bien peindre sa bouche,
A peine Homère en ses vers te dirait
Quel vermillon égaler la pourrait,
Car pour la peindre ainsi qu'elle mérite,
Peindre il faudrait celle d'une Charite.
Peins-la-moi donc, qu'elle semble parler,
Ores sourire, ores embaumer l'air
De ne sais quelle ambrosienne haleine.
Mais par sur tout fais qu'elle semble pleine
De la douceur de persuasion.
Tout à l'entour attache un million
De ris, d'attraits, de jeux, de courtoisies,
Et que deux rangs de perlettes choisies
D'un ordre égal en la place des dents
Bien poliment soient arrangés dedans.
Peins tout autour une lèvre bessonne,
Qui d'elle-même, en s'élevant, semonne,
D'être baisée, ayant le teint pareil
Ou de la rose, ou du corail vermeil,
Elle flambante au Printemps sur l'épine,
Lui rougissant au fond de la marine.

Peins son menton au milieu fosselu,
Et que le bout en rondeur pommelu
Soit tout ainsi que l'on voit apparaître
Le bout d'un coin qui jà commence à croître.

Plus blanc que lait caillé dessus le jonc
Peins-lui le col, mais peins-le un petit long,
Grêle et charnu, et sa gorge douillette
Comme le col soit un petit longuette.

Après fais-lui, par un juste compas,
Et de Junon les coudes et les bras,
Et les beaux doigts de Minerve, et encore
La main pareille à celle de l'Aurore.

Je ne sais plus, mon Janet, où j'en suis,
Je suis confus et muet : je ne puis,
Comme j'ai fait, te déclarer le reste
De ses beautés, qui ne m'est manifeste.
Las ! car jamais tant de faveurs je n'eus
Que d'avoir vu ses beaux tétins à nu.
Mais si l'on peut juger par conjecture,
Persuadé de raisons, je m'assure
Que la beauté qui ne s'apparaît, doit
Du tout répondre à celle que l'on voit.
Doncque peins-la, et qu'elle me soit faite

Parfaite autant comme l'autre est parfaite.
Ainsi qu'en bosse élève-moi son sein,
Net, blanc, poli, large, profond et plein,
Dedans lequel mille rameuses veines
De rouge sang tressaillent toutes pleines.
Puis, quand au vif tu auras découvert
Dessous la peau les muscles et les nerfs,
Enfle au-dessus deux pommes nouvelettes,
Comme l'on voit deux pommes verdelettes
D'un oranger, qui encore du tout
Ne font qu'à l'heure à se rougir au bout.

Tout au plus haut des épaules marbrines,
Peins le séjour des Charites divines,
Et que l'Amour sans cesse voletant
Toujours les couve, et les aille éventant,
Pensant voler avec le Jeu son frère
De branche en branche ès vergers de Cythère.

Un peu plus bas, en miroir arrondi,
Tout poupellé, grasselet, rebondi,
Comme celui de Vénus, peins son ventre ;
Peins son nombril ainsi qu'un petit centre,
Le fond duquel paraisse plus vermeil
Qu'un bel oeillet entrouvert au Soleil.

Qu'attends-tu plus ? portrais-moi l'autre chose
Qui est si belle, et que dire je n'ose,
Et dont l'espoir impatient me point ;
Mais je te prie, ne me l'ombrage point,
Si ce n'était d'un voile fait de soie,
Clair et subtil, à fin qu'on l'entrevoie.

Ses cuisses soient comme faites au tour
A pleine chair, rondes tout à l'entour,
Ainsi qu'un Terme arrondi d'artifice
Qui soutient ferme un royal édifice.

Comme deux monts enlève ses genoux,
Douillets, charnus, ronds, délicats et mous,
Dessous lesquels fais-lui la grève pleine,
Telle que l'ont les vierges de Lacène,
Allant lutter au rivage connu
Du fleuve Eurote, ayant le corps tout nu,
Ou bien chassant à meutes découplées
Quelque grand cerf ès forêts Amyclées.
Puis, pour la fin, portrais-lui de Thétis
Les pieds étroits, et les talons petits.

Ha, je la vois ! elle est presque portraite,
Encore un trait, encore un, elle est faite !
Lève tes mains, ha mon Dieu ! je la vois !
Bien peu s'en faut qu'elle ne parle à moi.
Marie, que je sers en trop cruel destin,
Quand d'un baiser d'amour votre bouche me baise,
Je suis tout éperdu, tant le coeur me bat d'aise.
Entre vos doux baisers puissé-je prendre fin !


Il sort de votre bouche un doux flair, qui le thym,
Le jasmin et l'oeillet, la framboise et la fraise
Surpasse de douceur, tant une douce braise
Vient de la bouche au coeur par un nouveau chemin.


Il sort de votre sein une odoreuse haleine
(Je meurs en y pensant) de parfum toute pleine,
Digne d'aller au ciel embaumer Jupiter.


Mais quand toute mon âme en plaisir se consomme
Mourant dessus vos yeux, lors pour me dépiter
Vous fuyez de mon col, pour baiser un jeune homme.
Si d'un mort qui pourri repose

Nature engendre quelque chose,

Et si la generation

Se fait de la corruption,

Une vigne prendra naissance

De l'estomac et de la pance

Du bon Rabelais, qui boivoit

Tousjours ce pendant qu'il vivoit

La fosse de sa grande gueule

Eust plus beu de vin toute seule

(L'epuisant du nez en deus cous)

Qu'un porc ne hume de lait dous,

Qu'Iris de fleuves, ne qu'encore

De vagues le rivage more.

Jamais le Soleil ne l'a veu

s Tant fût-il matin, qu'il n'eut beu,

Et jamais au soir la nuit noire

Tant fut ****, ne l'a veu sans boire.

Car, alteré, sans nul sejour

Le gallant boivoit nuit et jour.

Mais quand l'ardante Canicule

Ramenoit la saison qui brule,

Demi-nus se troussoit les bras,

Et se couchoit tout plat à bas

Sur la jonchée, entre les taces :

Et parmi des escuelles grasses

Sans nulle honte se touillant,

Alloit dans le vin barbouillant

Comme une grenouille en sa fange

Puis ivre chantoit la louange

De son ami le bon Bacus,

Comme sous lui furent vaincus

Les Thebains, et comme sa mere

Trop chaudement receut son pere,

Qui en lieu de faire cela

Las ! toute vive la brula.

Il chantoit la grande massue,

Et la jument de Gargantüe,

Son fils Panurge, et les païs

Des Papimanes ébaïs :

Et chantoit les Iles Hieres

Et frere Jan des autonnieres,

Et d'Episteme les combas :

Mais la mort qui ne boivoit pas

Tira le beuveur de ce monde,

Et ores le fait boire en l'onde

Qui fuit trouble dans le giron

Du large fleuve d'Acheron.

Or toi quiconques sois qui passes

Sur sa fosse repen des taces,

Repen du bril, et des flacons,

Des cervelas et des jambons,

Car si encor dessous la lame

Quelque sentiment a son ame,

Il les aime mieux que les Lis,

Tant soient ils fraichement cueillis.
Je vois tes yeux dessous telle planète
Qu'autre plaisir ne me peut contenter,
Sinon le jour, sinon la nuit chanter :
Allège-moi, ma plaisante brunette.

O liberté, combien je te regrette !
Combien le jour que je vois t'absenter,
Pour me laisser sans espoir tourmenter
En l'espérance, où si mal on me traite !

L'an est passé, le vingt-et-unième jour
Du mois d'avril, que je vins au séjour
De la prison où les Amours me pleurent ;

Et si ne vois (tant les liens sont forts)
Un seul moyen pour me tirer dehors,
Si par la mort toutes mes morts ne meurent.
Naguiere chanter je voulois
Comme Francus au bord Gaulois
Avecq' sa troupe vint descendre,
Mais mon luc pinçé de mon doi,
Ne vouloit en dépit de moi
Que chanter Amour, et Cassandre.

Je pensoi pource que toujours
J'avoi dit sur lui mes amours,
Que ses cordes par long usage
Chantoient d'amour, et qu'il faloit
En mettre d'autres, s'on vouloit
Luy aprendre un autre langage.

Et pour ce faire, il n'y eut fust,
Archet, ne corde, qui ne fust
Echangée en d'autres nouvelles :
Mais apres qu'il fut remonté,
Plus haut que davant a chanté
Comme il souloit, les damoyselles.

Or adieu doncq' pauvre Francus,
Ta gloire, sous tes murs veinqus,
Se cachera toujours pressée,
Si, à ton neveu, nostre Roi,
Tu ne dis qu'en l'honneur de toi,
Il face ma Lyre crossée.
La lune est coutumière
De naître tous les mois :
Mais quand notre lumière
Est éteinte une fois,
Sans nos yeux réveiller,
Faut longtemps sommeiller.

Tandis que vivons ores,
Un baiser donnez-moi,
Donnez-m'en mille encore,
Amour n'a point de loi :
A sa divinité
Convient l'infinité.

En vous baisant, Maîtresse,
Vous m'avez entamé
La langue chanteresse
De votre nom aimé.
Quoi ! est-ce là le prix
Du travail qu'elle a pris ?

Elle, par qui vous êtes
Déesse entre les Dieux,
Qui vos beautés parfaites
Célébrait jusqu'aux Cieux,
Ne faisant l'air, sinon
Bruire de votre nom ?

De votre belle face,
Le beau logis d'Amour,
Où Vénus et la Grâce
Ont choisi leur séjour,
Et de votre œil qui fait
Le soleil moins parfait ;

De votre sein d'ivoire
Par deux ondes secous (1)
Elle chantait la gloire,
Ne chantant rien que vous :
Maintenant en saignant,
De vous se va plaignant.

Las ! de petite chose
Je me plains sans raison,
Non de la plaie enclose
Au cœur sans guérison,
Que l'Archerocux
M'y tira de vos yeux.


1. Secous : Secoué.
Comme on voit sur la branche au mois de may la rose,
En sa belle jeunesse, en sa premiere fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l'Aube de ses pleurs au poinct du jour l'arrose ;


La grace dans sa feuille, et l'amour se repose,
Embasmant les jardins et les arbres d'odeur ;
Mais batue ou de pluye, ou d'excessive ardeur,
Languissante elle meurt, fueille à fueille déclose.


Ainsi en ta premiere et jeune nouveauté,
Quand la Terre et le Ciel honoraient ta beauté,
La Parque t'a tuee, et cendre tu reposes.


Pour obseques reçoy mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de laict, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.
Il faut laisser maisons et vergers et jardins,
Vaisselles et vaisseaux que l'artisan burine,
Et chanter son obseque en la façon du Cygne,
Qui chante son trespas sur les bors Maeandrins.


C'est fait j'ay devidé le cours de mes destins,
J'ay vescu, j'ay rendu mon nom assez insigne,
Ma plume vole au ciel pour estre quelque signe
**** des appas mondains qui trompent les plus fins.


Heureux qui ne fut onc, plus heureux qui retourne
En rien comme il estoit, plus heureux qui sejourne
D'homme fait nouvel ange aupres de Jesuchrist,


Laissant pourrir ça bas sa despouille de boüe
Dont le sort, la fortune, et le destin se joüe,
Franc des liens du corps pour n'estre qu'un esprit.
Avant le temps tes temples fleuriront,
De peu de jours ta fin sera bornée,
Avant le soir se clorra ta journée ,
Trahis d'espoir tes pensers periront :

Sans me flechir tes escrits fletriront,
En ton desastre ira ma destinée,
Ta mort sera pour m'aimer terminée,
De tes souspirs noz neveux se riront.

Tu seras fait d'un vulgaire la fable :
Tu bastiras sus l'incertain du sable,
Et vainement tu peindras dans les cieux :

Ainsi disoit la Nymphe qui m'afolle,
Lors que le ciel tesmoin de sa parolle,
D'un dextre éclair fut presage à mes yeux.
Comme on voit sur la branche, au mois de Mai, la rose
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le Ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l'Aube, de ses pleurs, au point du jour, l'arrose :

La Grâce dans sa feuille, et l'Amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d'odeur :
Mais battue ou de pluie ou d'excessive ardeur,
Languissante, elle meurt feuille à feuille déclose.

Ainsi, en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le Ciel honoraient ta beauté,
La Parque t'a tué, et cendre tu reposes.

Pour obsèques reçoit mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.
Au mois d'avril, quand l'an se renouvelle,
L'aube ne sort si fraîche de la mer :
Ni hors des flots la déesse (1) d'aimer
Ne vint à Cypre en sa conque si belle,

Comme je vis la beauté que j'appelle
Mon astre saint, au matin s'éveiller,
Rire le ciel, la terre s'émailler,
Et les Amours voler à l'entour d'elle.

Amour, Jeunesse, et les Grâces qui sont
Filles du ciel lui pendaient sur le front :
Mais ce qui plus redoubla mon service (2),

C'est qu'elle avait un visage sans art.
La femme laide est belle d'artifice,
La femme belle est belle sans du fard.


1. Vénus, née de l'écume de la mer.
2. M'assujettit davantage à son service.
Ode XXVI.

En vous donnant ce pourtraict mien
Dame, je ne vous donne rien
Car tout le bien qui estoit nostre
Amour dès le jour le fit vostre
Que vous me fistes prisonnier,
Mais tout ainsi qu'un jardinier
Envoye des presens au maistre
De son jardin loüé, pour estre
Toujours la grace desservant
De l'heritier, qu'il va servant
Ainsi tous mes presens j'adresse
A vous Cassandre ma maistresse,
Corne à mon tout, et maintenant
Mon portrait je vous vois donnant :
Car la chose est bien raisonnable
Que la peinture ressemblable,
Au cors qui languist en souci
Pour vostre amour, soit vostre aussi.
Mais voyez come elle me semble
Pensive, triste et pasle ensemble,
Portraite de mesme couleur
Qu'amour a portrait son seigneur.
Que pleust à Dieu que la Nature
M'eust fait au coeur une ouverture,
Afin que vous eussiez pouvoir
De me cognoistre et de me voir !
Car ce n'est rien de voir, Maistresse,
La face qui est tromperesse,
Et le front bien souvent moqueur,
C'est le tout que de voir le coeur.
Vous voyriés du mien la constance,
La foi, l'amour, l'obeissance,
Et les voyant, peut estre aussi
Qu'auriés de lui quelque merci,
Et des angoisses qu'il endure :
Voire quand vous seriés plus dure
Que les rochers Caucaseans
Ou les cruels flos Aegeans
Qui sourds n'entendent les prieres
Des pauvres barques marinieres.
Ma guiterre, je te chante,
Par qui seule je deçoy,
Je deçoy, je romps, j'enchante
Les amours que je reçoy.

Nulle chose, tant soit douce,
Ne te sçauroit esgaler,
Toi qui mes ennuis repousse
Si tost qu'ils t'oyent parler.

Au son de ton harmonie
Je refreschy ma chaleur ;
Ardante en flamme infinie,
Naissant d'infini malheur.

Plus chèrement je te garde
Que je ne garde mes yeux,
Et ton fust que je regarde
Peint dessus en mille lieux,

Où le nom de ma déesse
En maint amoureux lien,
En mains laz d'amour se laisse,
Joindre en chiffre avec le mien ;

Où le beau Phebus, qui baigne
Dans le Loir son poil doré,
Du luth aux Muses enseigne
Dont elles m'ont honoré,

Son laurier preste l'oreille,
Si qu'au premier vent qui vient,
De reciter s'apareille
Ce que par cœur il retient.

Icy les forests compagnes
Orphée attire, et les vents,
Et les voisines campagnes,
Ombrage de bois suivants.

Là est Ide la branchue,
Où l'oiseau de Jupiter
Dedans sa griffe crochue
Vient Ganymede empieter,

Ganymede délectable,
Chasserot délicieux,
Qui ores sert à la table
D'un bel échanson aux Dieux.

Ses chiens après l'aigle aboient,
Et ses gouverneurs aussi,
En vain étonnez, le voient
Par l'air emporter ainsi.

Tu es des dames pensives
L'instrument approprié,
Et des jeunesses lascives
Pour les amours dédié.

Les amours, c'est ton office,
Non pas les assaus cruels,
Mais le joyeux exercice
De souspirs continuels.

Encore qu'au temps d'Horace
Les armes de tous costez
Sonnassent par la menace
Des Cantabres indomtez,

Et que le Romain empire
Foullé des Parthes fust tant,
Si n'a-il point à sa lyre
Bellonne accordé pourtant,

Mais bien Venus la riante,
Ou son fils plein de rigueur,
Ou bien Lalagé fuyante
Davant avecques son cœur.

Quand sur toy je chanteroye
D'Hector les combas divers,
Et ce qui fut fait à Troye
Par les Grecs en dix hyvers,

Cela ne peut satisfaire
A l'amour qui tant me mord :
Que peut Hector pour moy faire ?
Que peut Ajax, qui est mort ?

Mieux vaut donc de ma maistresse
Chanter les beautez, afin
Qu'à la douleur qui me presse
Daigne mettre heureuse fin ;

Ces yeux autour desquels semble
Qu'amour vole, ou que dedans
II se cache, ou qu'il assemble
Cent traits pour les regardants.

Chantons donc sa chevelure,
De laquelle Amour vainqueur
Noua mille rets à l'heure
Qu'il m'encordela le cœur,

Et son sein, rose naïve,
Qui va et vient tout ainsi
Que font deux flots à leur rive
Poussez d'un vent adoucy.
Pour retenir un amant en servage,
II faut aimer et non dissimuler,
De même flamme amoureuse brûler,
Et que le cœur soit pareil au langage :

Toujours un rire, toujours un bon visage,
Toujours s'écrire et s'entre-consoler :
Ou qui ne peut écrire ni parler,
A tout le moins s'entrevoir par message.

II faut avoir de l'ami le portrait,
Cent fois le jour en rebaiser le trait :
Que d'un plaisir deux âmes soient guidées,

Deux corps en un rejoints en leur moitié.
Voilà les points qui gardent l'amitié,
Et non pas vous qui n'aimez qu'en idées.
Ma petite Nymphe Macée,
Plus blanche qu'ivoire taillé,
Plus blanche que neige amassée.
Plus blanche que le lait caillé,
Ton beau teint ressemble les lis
Avecque les roses cueillis.

Découvre-moi ton beau chef-d'œuvre,
Tes cheveux où le Ciel, donneur
Des grâces, richement découvre
Tous ses biens pour leur faire honneur ;
Découvre ton beau front aussi,
Heureux objet de mon souci.

Comme une Diane tu marches,
Ton front est beau, tes yeux sont beaux,
Qui flambent sous deux noires arches,
Comme deux célestes flambeaux,
D'où le brandon fut allumé,
Qui tout le cœur m'a consumé.

Ce fut ton œil, douce mignonne,
Que d'un fol regard écarté
Les miens encore emprisonne,
Peu soucieux de liberté,
Tous deux au retour du Printemps,
Et sur l'Avril de nos beaux ans.

Te voyant jeune, simple et belle,
Tu me suces l'âme et le sang ;
Montre-moi ta rose nouvelle,
Je dis ton sein d'ivoire blanc,
Et tes deux rondelets tétons,
Que s'enflent comme deux boutons.

Las ! puisque ta beauté première
Ne me daigne faire merci,
Et me privant de ta lumière,
Prend son plaisir de mon souci,
Au moins regarde sur mon front
Les maux que tes beaux yeux me font.
Jamais Hector aux guerres n'était lâche
Lorsqu'il allait combattre les Grégeois :
Toujours sa femme attachait son harnois,
Et sur l'armet (1) lui plantait son panache.

Il ne craignait la Péléenne (2) hache
Du grand Achille, ayant deux ou trois fois
Baisé sa femme, et tenant en ses doigts
Une faveur de sa belle Andromache.

Heureux cent fois, toi chevalier errant,
Que ma déesse allait hier parant,
Et qu'en armant baisait, comme je pense.

De sa vertu procède ton honneur :
Que plût à Dieu, pour avoir ce bonheur
Avoir changé mes plumes à ta lance.


1. L'armet est un casque.
2. La hache d'Achille, fils de Pélée.
Si mille oeillets, si mille liz j'embrasse,
Entortillant mes bras tout à l'entour,
Plus fort qu'un cep, qui d'un amoureux tour
La branche aimée, en mille plis enlasse :

Si le soucy ne jaunist plus ma face,
Si le plaisir fait en moy son le jour,
Si j'aime mieux les Ombres que le jour,
Songe divin, ce bien vient de ta grace.

Suyvant ton vol je volerois aux cieux :
Mais son portrait qui me trompe les yeux,
Fraude tousjours ma joye entre-rompue.

Puis tu me fuis au milieu de mon bien,
Comme un éclair qui se finist en rien,
Ou comme au vent s'évanouyt la nuë.
J'ay varié ma vie en devidant la trame
Que Clothon me filoit entre malade et sain,
Maintenant la santé se logeoit en mon sein,
Tantost la maladie extreme fleau de l'ame.


La goutte ja vieillard me bourrela les veines,
Les muscles et les nerfs, execrable douleur,
Montrant en cent façons par cent diverses peines
Que l'homme n'est sinon le subject de malheur.


L'un meurt en son printemps, l'autre attend la vieillesse,
Le trespas est tout un, les accidens divers :
Le vray tresor de l'homme est la verte jeunesse,
Le reste de nos ans ne sont que des hivers.


Pour long temps conserver telle richesse entiere
Ne force ta nature, ains ensuy la raison,
Fuy l'amour et le vin, des vices la matiere,
Grand loyer t'en demeure en la vieille saison.


La jeunesse des Dieux aux hommes n'est donnee
Pour gouspiller sa fleur, ainsi qu'on void fanir
La rose par le chauld, ainsi mal gouvernee
La jeunesse s'enfuit sans jamais revenir.
Ode XXIX.

Sans avoir lien qui m'estraigne,
Sans cordons, ceinture ny nouds,
Et sans jartiere à mes genous
Je vien dessus ceste montaigne,

Afin qu'autant soit relasché
Mon cœur d'amoureuses tortures,
Comme de nœuds et de ceintures
Mon corps est franc et détaché.

Demons, seigneurs de ceste terre,
Volez en troupe à mon secours,
Combattez pour moi les Amours :
Contre eux je ne veux plus de guerre.

Vents qui soufflez par ceste plaine,
Et vous, Seine, qui promenez
Vos flots par ces champs, emmenez
En l'Océan noyer ma peine.

Va-t'en habiter tes Cytheres,
Ton Paphos, Prince idalien :
Icy pour rompre ton lien
Je n ay besoin de tes mysteres.

Anterot, preste-moy la main,
Enfonce tes fleches diverses ;
II faut que pour moy tu renverses
Cet ennemy du genre humain.

Je te pry, grand Dieu, ne m'oublie !
Sus, page, verse à mon costé
Le sac que tu as apporté,
Pour me guarir de ma folie !

Brusle du soufre et de l'encens.
Comme en l'air je voy consommée
Leur vapeur, se puisse en fumée
Consommer le mal que je sens !

Verse-moy l'eau de ceste esguiere ;
Et comme à bas tu la respans,
Qu'ainsi coule en ceste riviere
L'amour, duquel je me répans.

Ne tourne plus ce devideau :
Comme soudain son cours s'arreste,
Ainsi la fureur de ma *****
Ne tourne plus en mon cerveau.

Laisse dans ce geniévre prendre
Un feu s'enfumant peu à peu :
Amour ! je ne veux plus de feu,
Je ne veux plus que de la cendre.

Vien viste, enlasse-moy le flanc,
Non de thym ny de marjolaine,
Mais bien d'armoise et de vervaine,
Pour mieux me rafraischir le sang.

Verse du sel en ceste place :
Comme il est infertile, ainsi
L'engeance du cruel soucy
Ne couve en mon cœur plus de race.

Romps devant moy tous ses presens,
Cheveux, gands, chifres, escriture,
Romps ses lettres et sa peinture,
Et jette les morceaux aux vens.

Vien donc, ouvre-moy ceste cage,
Et laisse vivre en libertez
Ces pauvres oiseaux arrestez,
Ainsi que j'estois en servage.

Passereaux, volez à plaisir ;
De ma cage je vous delivre,
Comme desormais je veux vivre
Au gré de mon premier desir.

Vole, ma douce tourterelle,
Le vray symbole de l'amour ;
Je ne veux plus ni nuit ni jour
Entendre ta plainte fidelle.

Pigeon, comme tout à l'entour
Ton corps emplumé je desplume,
Puissé-je, en ce feu que j allume,
Déplumer les ailes d'Amour ;

Je veux à la façon antique
Bastir un temple de cyprès,
Où d'Amour je rompray les traits
Dessus l'autel anterotique.

Vivant il ne faut plus mourir,
Il faut du cœur s'oster la playe :
Dix lustres veulent que j'essaye
Le remede de me guarir.

Adieu, Amour, adieu tes flames,
Adieu ta douceur, ta rigueur,
Et bref, adieu toutes les dames
Qui m'ont jadis bruslé le cœur.

Adieu le mont Valerien,
Montagne par Venus nommée,
Quand Francus conduit son armée
Dessus le bord Parisien.
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.

Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
J'ai l'âme, pour un lit, de regrets si touchée,
Que nul homme jamais ne fera que j'approche
De la chambre amoureuse, encore moins de la couche
Où je vis ma maîtresse, au mois de Mai couchée.

Un somme languissant la tenait mi-penchée
Dessus le coude droit, fermant sa belle bouche
Et ses yeux, dans lesquels l'archer Amour se couche,
Ayant toujours la flèche à la corde encochée :

Sa tête, en ce beau mois, sans plus, était couverte
D'un riche escofion (1) ouvré de soie verte,
Où les Grâces venaient à l'envie se nicher ;

Puis, en ses beaux cheveux, choisissaient leur demeure.
J'en ai tel souvenir que je voudrais qu'à l'heure
Mon cœur pour n'y penser plus devenu rocher.


1. Escofion est une coiffe de femme.
Comme un chevreuil, quand le printemps destruit
L'oyseux crystal de la morne gelée,
Pour mieulx brouster l'herbette emmielée
Hors de son boys avec l'Aube s'en fuit,

Et seul, et seur, loing de chiens et de bruit,
Or sur un mont, or dans une vallée,
Or pres d'une onde à l'escart recelée,
Libre follastre où son pied le conduit ;

De retz ne d'arc sa liberté n'a crainte,
Sinon alors que sa vie est attainte,
D'un trait meurtrier empourpré de son sang :

Ainsi j'alloy sans espoyr de dommage,
Le jour qu'un oeil sur l'avril de mon age
Tira d'un coup mille traitz dans mon flanc.
Quand je te voy seule assise à par-toy,
Toute amusée avecques ta pensée,
Un peu la ***** encontre bas baissée,
Te retirant du vulgaire et de moy :

Je veux souvent pour rompre ton esmoy,
Te saluer, mais ma voix offensée,
De trop de peur se retient amassée
Dedans la bouche, et me laisse tout coy.

Souffrir ne puis les rayons de ta veuë :
Craintive au corps, mon ame tremble esmeuë :
Langue ne voix ne font leur action :

Seuls mes souspirs, seul mon triste visage
Parlent pour moy, et telle passion
De mon amour donne assez tesmoignage.
Si mon grand Roy n'eust veincu meinte armee,
Son nom n'iroit, comme il fait, dans les cieux:
Les ennemis l'ont fait victorieux,
Et des veincuz il prend sa renommee.


Si de plusieurs je te voy bien-aimee,
C'est mon trophee, et n'en suis envieux :
D'un tel honneur je deviens glorieux,
Ayant choisy chose tant estimee.


Ma jalousie est ma gloire de voir
Mesmes Amour soumis à ton pouvoir.
Mais s'il advient que de luy je me vange,


Vous honorant d'un service constant,
Jamais mon Roy par trois fois combatant
N'eut tant d'honneur, que j'auray de louange.
Te regardant assise auprès de ta cousine,
Belle comme une Aurore, et toi comme un Soleil,
Je pensai voir deux fleurs d'un même teint pareil,
Croissantes en beauté, l'une à l'autre voisine.


La chaste, sainte, belle et unique Angevine,
Vite comme un éclair sur moi jeta son oeil.
Toi, comme paresseuse et pleine de sommeil,
D'un seul petit regard tu ne m'estimas digne.


Tu t'entretenais seule au visage abaissé,
Pensive toute à toi, n'aimant rien que toi-même,
Dédaignant un chacun d'un sourcil ramassé.


Comme une qui ne veut qu'on la cherche ou qu'on l'aime.
J'eus peur de ton silence et m'en ahai tout blërne,
Craignant que mon salut n'eût ton oeil offensé.
Dans le serein de sa jumelle flamme
Je vis Amour, qui son arc débandait,
Et sur mon cœur le brandon épandait,
Qui des plus froids les moelles enflamme.

Puis çà puis là près les yeux de ma dame
Entre cent fleurs un rets d'or me tendait,
Qui tout crépu blondement descendait
A flots ondés pour enlacer mon âme.

Qu'eussé-je fait ? l'Archer était si doux,
Si doux son feu, si doux l'or de ses nœuds,
Qu'en leurs filets encore je m'oublie :

Mais cet oubli ne me tourmente point,
Tant doucement le doux Archer me point,
Le feu me brûle, et l'or crêpe me lie.
Douce Maîtresse, touche,
Pour soulager mon mal,
Ma bouche de ta bouche
Plus rouge que coral ;
Que mon col soit pressé
De ton bras enlacé.

Puis, face dessus face,
Regarde-moi les yeux,
Afin que ton trait passe
En mon coeur soucieux,
Coeur qui ne vit sinon
D'Amour et de ton nom.

Je l'ai vu fier et brave,
Avant que ta beauté
Pour être son esclave
Du sein me l'eût ôté ;
Mais son mal lui plaît bien,
Pourvu qu'il meure tien.

Belle, par qui je donne
A mes yeux, tant d'émoi,
Baise-moi, ma mignonne,
Cent fois rebaise-moi :
Et quoi ? faut-il en vain
Languir dessus ton sein ?

Maîtresse, je n'ai garde
De vouloir t'éveiller.
Heureux quand je regarde
Tes beaux yeux sommeiller,
Heureux quand je les vois
Endormis dessus moi.

Veux-tu que je les baise
Afin de les ouvrir ?
Ha ! tu fais la mauvaise
Pour me faire mourir !
Je meurs entre tes bras,
Et s'il ne t'en chaut pas !

Ha ! ma chère ennemie,
Si tu veux m'apaiser,
Redonne-moi la vie
Par l'esprit d'un baiser.
Ha ! j'en sens la douceur
Couler jusques au coeur.

J'aime la douce rage
D'amour continuel
Quand d'un même courage
Le soin est mutuel.
Heureux sera le jour
Que je mourrai d'amour !
Ores l'effroi et ores l'espérance
De tous côtés se campent en mon cœur :
Ni l'un ni l'autre au combat n'est vainqueur,
Pareils en force et en persévérance.

Ores douteux, ores pleins d'assurance,
Entre l'espoir et le froid de la peur,
Heureusement de moi-même trompeur,
Au cœur captif je promets délivrance.

Verrai-je point avant mourir le temps,
Que je tondrai la fleur de son printemps,
Sous qui ma vie à l'ombrage demeure ?

Verrai-je point qu'en ses bras enlacé,
Recru d'amour, tout pantois et lassé,
D'un beau trépas entre ses bras je meure ?
Ce beau corail, ce marbre qui soupire
Et cet ébène ornement du sourcil,
Et cet albâtre en voûte raccourci,
Et ces saphirs, ce jaspe et ce porphyre,

Ces diamants, ces rubis qu'un Zéphyre
Tient animés d'un soupir adouci,
Et ces oeillets, et ces roses aussi,
Et ce fin or, où l'or même se mire,

Me sont au coeur en si profond émoi,
Qu'un autre objet ne se présente à moi,
Sinon, le beau de leur beau que j'adore,

Et le plaisir qui ne se peut passer
De les songer, penser et repenser,
Songer, penser et repenser encore.
Pourtant si ta maîtresse est un petit putain,
Tu ne dois pour cela te courroucer contre elle.
Voudrais-tu bien haïr ton ami plus fidèle
Pour être un peu jureur, ou trop haut à la main ?


Il ne faut prendre ainsi tous péchés à dédain,
Quand la faute en péchant n'est pas continuelle ;
Puis il faut endurer d'une maîtresse belle
Qui confesse sa faute, et s'en repent soudain.


Tu me diras qu'honnête et gentille est t'amie,
Et je te répondrai qu'honnête fut Cynthie,
L'amie de Properce en vers ingénieux,


Et si ne laissa pas de faire amour diverse.
Endure donc, Ami, car tu ne vaux pas mieux
Que Catulle valut, que Tibulle et Properce.
Ode XXVIII.

Si j'avois un riche tresor,
Ou des vaisseaux engravez d'or,
Tableaux ou medailles de cuivre,
Ou ces joyaux qui font passer
Tant de mers pour les amasser,
Où le jour se laisse revivre,

Je t'en ferois un beau present.
Mais quoy ! cela ne t'est plaisant,
Aux richesses tu ne t'amuses
Qui ne font que nous estonner ;
C'est pourquoy je te veux donner
Le bien que m'ont donné les Muses.

Je sçay que tu contes assez
De biens l'un sur l'autre amassez,
Qui perissent comme fumée,
Ou comme un songe qui s'enfuit
Du cerveau si tost que la nuit
Au second somme est consumée.

L'un au matin s'enfle en son bien,
Qui au soleil couchant n'a rien,
Par défaveur, ou par disgrace,
Ou par un changement commun,
Ou par l'envie de quelqu'un
Qui ravit ce que l'autre amasse.

Mais les beaux vers ne changent pas,
Qui durent contre le trespas,
Et en devançant les années,
Hautains de gloire et de bonheur,
Des hommes emportent l'honneur
Dessur leurs courses empennées.

Dy-moy, Verdun, qui penses-tu
Qui ait deterré la vertu
D'Hector, d'Achille et d'Alexandre,
Envoyé Bacchus dans les Cieux,
Et Hercule au nombre des dieux,
Et de Junon l'a fait le gendre,

Sinon le vers bien accomply,
Qui tirant leurs noms de l'oubly,
Plongez au plus profond de l'onde
De Styx, les a remis au jour,
Les relogeant au grand sejour
Par deux fois de nostre grand monde ?

Mort est l'honneur de tant de rois
Espagnols, germains et françois,
D'un tombeau pressant leur mémoire ;
Car les rois et les empereurs
Ne different aux laboureurs
Si quelcun ne chante leur gloire.

Quant à moy, je ne veux souffrir
Que ton beau nom se vienne offrir
A la Mort, sans que je le vange,
Pour n'estre jamais finissant,
Mais d'âge en âge verdissant,
Surmonter la Mort et le change.

Je veux, malgré les ans obscurs,
Que tu sois des peuples futurs
Cognu sur tous ceux de nostre âge,
Pour avoir conçeu volontiers
Des neuf Pucelles les mestiers,
Qui t'ont enflamé le courage,

Non pas au gain ny au vil prix,
Mais pour estre des mieux appris
Entre les hommes qui s'assemblent
Sur Parnasse au double sourci ;
C'est pourquoy tu aimes aussi
Les bons esprits qui te ressemblent.

Or pour le plaisir, quant à moy,
Verdun, que j'ay reçeu de toy,
Tu n'auras rien de ton poète
Sinon ces vers que je t'ay faits,
Et avec ces vers les souhaits
Que pour bonheur je te souhaite.

Dieu vueille benir ta maison
De beaux enfans naiz à foison
De ta femme belle et pudique ;
La concorde habite en ton lit,
Et bien **** de toy soit le bruit
De toute noise domestique.

Sois gaillard, dispost et joyeux,
Ny convoiteux ny soucieux
Des choses qui nous rongent l'âme ;
Fuy toutes sortes de douleurs,
Et ne pren soucy des malheurs
Qui sont predits par Nostradame.

Ne romps ton tranquille repos
Pour papaux, ny pour huguenots,
Ny amy d'eux, ny adversaire,
Croyant que Dieu père très doux
(Qui n'est partial comme nous)
Sçait ce qui nous est nécessaire.

N'ayes soucy du lendemain,
Mais, serrant le temps en la main,
Vy joyeusement la journée
Et l'heure en laquelle seras :
Et que sçais-tu si tu verras
L'autre lumiere retournée ?

Couche-toy à l'ombre d'un bois,
Ou près d'un rivage où la vois
D'une fontaine jazeresse
Tressaute, et tandis que tes ans
Sont encore et verds et plaisans,
Par le jeu trompe la vieillesse.

Tout incontinent nous mourrons,
Et bien **** bannis nous irons
Dedans une nacelle obscure
Où plus de rien ne nous souvient,
Et d'où jamais on ne revient :
Car ainsi l'a voulu Nature.
Le soir qu'Amour vous fit en la salle descendre
Pour danser d'artifice un beau ballet d'amour,
Vos yeux, bien qu'il fût nuit, ramenèrent le jour,
Tant ils surent d'éclairs par la place répandre.


Le ballet fut divin, qui se soulait reprendre,
Se rompre, se refaire, et tour dessus retour
Se mêler, s'écarter, se tourner à l'entour,
Contre-imitant le cours du fleuve de Méandre.


Ores il était rond, ores long, or étroit,
Or en pointe, en triangle en la façon qu'on voit
L'escadron de la grue évitant la froidure.


Je faux, tu ne dansais, mais ton pied voletait
Sur le haut de la terre ; aussi ton corps s'était
Transformé pour ce soir en divine nature.
Marie, qui voudrait votre beau nom tourner,
Il trouverait Aimer : aimez-moi donc, Marie,
Faites cela vers moi dont votre nom vous prie,
Votre amour ne se peut en meilleur lieu donner.


S'il vous plaît pour jamais un plaisir demener,
Aimez-moi, nous prendrons les plaisirs de la vie,
Pendus l'un l'autre au col, et jamais nulle envie
D'aimer en autre lieu ne nous pourra mener.


Si faut-il bien aimer au monde quelque chose :
Celui qui n'aime point, celui-là se propose
Une vie d'un Scythe, et ses jours veut passer


Sans goûter la douceur des douceurs la meilleure.
Eh, qu'est-il rien de doux sans Vénus ? las ! à l'heure
Que je n'aimerai point, puissé-je trépasser !
Quand je suis vingt ou trente mois
Sans retourner en Vendômois,
Plein de pensées vagabondes,
Plein d'un remords et d'un souci,
Aux rochers je me plains ainsi,
Aux bois, aux antres et aux ondes.

Rochers, bien que soyez âgés
De trois mil ans, vous ne changez
Jamais ni d'état ni de forme ;
Mais toujours ma jeunesse fuit,
Et la vieillesse qui me suit,
De jeune en vieillard me transforme.

Bois, bien que perdiez tous les ans
En l'hiver vos cheveux plaisants,
L'an d'après qui se renouvelle,
Renouvelle aussi votre chef ;
Mais le mien ne peut derechef
R'avoir sa perruque nouvelle.

Antres, je me suis vu chez vous
Avoir jadis verts les genoux,
Le corps habile, et la main bonne ;
Mais ores j'ai le corps plus dur,
Et les genoux, que n'est le mur
Qui froidement vous environne.

Ondes, sans fin vous promenez
Et vous menez et ramenez
Vos flots d'un cours qui ne séjourne ;
Et moi sans faire long séjour
Je m'en vais, de nuit et de jour,
Au lieu d'où plus on ne retourne.

Si est-ce que je ne voudrois
Avoir été rocher ou bois
Pour avoir la peau plus épaisse,
Et vaincre le temps emplumé ;
Car ainsi dur je n'eusse aimé
Toy qui m'as fait vieillir, Maistresse.
Quenouille, de Pallas la compagne et l'amie,
Cher présent que je porte à ma chère Marie,
Afin de soulager l'ennui qu'elle a de moi,
Disant quelque chanson en filant dessur toi,
Faisant pirouetter, à son huys amusée,
Tout le jour son rouet et sa grosse fusée.

Quenouille, je te mène où je suis arrêté,
Je voudrais racheter par toi ma liberté.
Tu ne viendras és mains d'une mignonne oisive,
Qui ne fait qu'attifer sa perruque lascive.
Et qui perd tout son temps à mirer et farder
Sa face, à celle fin qu'en l'aille regarder ;
Mais bien entre les mains d'une dispote fille,
Qui dévide, qui coud, qui ménage et qui file
Avecque ses deux sœurs pour tromper ses ennuis,
L'hiver devant le feu, l'été devant son huis.

Aussi je ne voudrais que toi, Quenouille, faite
En notre Vendomois (eu le peuple regrette
Le jour qui passe en vain) allasses en Anjou
Pour demeurer oisive et te rouiller au clou.
Je te puis assurer que sa main délicate
Filera doucement quelque drap d'escarlate,
Qui si fin et si doux en sa laine sera,
Que pour un jour de fête un roi le vêtira.

Suis-moi donc, tu seras la plus que bienvenue,
Quenouille, des deux bouts et greslette et menue
Un peu grosse au milieu où la filasse tient,
Etreinte d'un ruban qui de Montoire vient,
Aime-laine, aime-fil, aime-estaim maisonière,
Longue, palladienne, enflée, chansonnière ;
Suis-moi, laisse Cousture, et allons à Bourgueil,
Où, Quenouille, on te doit recevoir d'un bon œil :
Car le petit présent qu'un loyal ami donne,
Passe des puissants rois le sceptre et la couronne.
Quand l'été, dans ton lit, tu te couches malade,
Couverte d'un linceul, de roses tout semé,
Amour, d'arc et de trousse et de flèches armé,
Caché sous ton chevet, se tient en embuscade.

Personne ne te voit, qui d'une couleur fade
Ne retourne au logis ou malade ou spasmé ;
Qu'il ne sente d'Amour tout son cœur entamé,
Ou ne soit ébloui des rais de ton œillade.

C'est un plaisir de voir tes cheveux arrangés
Sous un scofion (1) peint d'une soie diverse ;
Voir deçà, voir delà tes membres allongés,

Et ta main qui le lit nonchalante traverse,
Et ta voix qui me charme, et ma raison renverse
Si fort que tous mes sens en deviennent changés.


1. Escofion, scofion : Coiffe de femme.
L'inimitié que je te porte,
Passe celle, tant elle est forte,
Des aigneaux et des loups,
Vieille sorcîere deshontée,
Que les bourreaux ont fouëttée
Te honnissant de coups.

Tirant apres toy une presse
D'hommes et de femmes espesse,
Tu monstrois nud le flanc,
Et monstrois nud parmy la rue
L'estomac, et l'espaule nue
Rougissante de sang.

Mais la peine fut bien petite,
Si Ion balance ton merite :
Le Ciel ne devoit pas
Pardonner à si lasche *****,
Ains il devoit de sa tempeste
L'acravanter à bas.

La Terre mere encor pleurante
Des Geans la mort violante
Bruslez du feu des cieux,
(Te laschant de son ventre à peine)
T'engendra, vieille, pour la haine
Qu'elle portait aux Dieux.

Tu sçais que vaut mixtionnée
La drogue qui nous est donnée
Des pays chaleureux,
Et en quel mois, en quelles heures
Les fleurs des femmes sont meilleures
Au breuvage amoureux.

Nulle herbe, soit elle aux montagnes,
Ou soit venimeuse aux campagnes,
Tes yeux sorciers ne fuit,
Que tu as mille fois coupée
D'une serpe d'airain courbée,
Beant contre la nuit.

Le soir, quand la Lune fouëtte
Ses chevaux par la nuict muette,
Pleine de rage, alors
Voilant ta furieuse *****
De la peau d'une estrange beste
Tu t'eslances dehors.

Au seul soufler de son haleine
Les chiens effroyez par la plaine
Aguisent leurs abois :
Les fleuves contremont reculent,
Les loups effroyablement hurlent
Apres toy par les bois.

Adonc par les lieux solitaires,
Et par l'horreur des cimetaires
Où tu hantes le plus,
Au son des vers que tu murmures
Les corps des morts tu des-emmures
De leurs tombeaux reclus.

Vestant de l'un l'image vaine
Tu viens effroyer d'une peine
(Rebarbotant un sort)
Quelque veufve qui se tourmente,
Ou quelque mere qui lamente
Son seul heritier mort.

Tu fais que la Lune enchantée
Marche par l'air toute argentée,
Luy dardant d'icy bas
Telle couleur aux jouës palles,
Que le son de mille cymbales
Ne divertirait pas.

Tu es la frayeur du village :
Chacun craignant ton sorcelage
Te ferme sa maison,
Tremblant de peur que tu ne taches
Ses boeufs, ses moutons et ses vaches
Du just de ta poison.

J'ay veu souvent ton oeil senestre,
Trois fois regardant de **** paistre
La guide du troupeau,
L'ensorceler de telle sorte,
Que tost apres je la vy morte
Et les vers sur la peau.

Comme toy, Medée exécrable
Fut bien quelquefois profitable :
Ses venins ont servy,
Reverdissant d'Eson l'escorce :
Au contraire, tu m'as par force
Mon beau printemps ravy.

Dieux ! si là-haut pitié demeure,
Pour récompense qu'elle meure,
Et ses os diffamez
Privez d'honneur de sépulture,
Soient des oiseaux goulus pasture,
Et des chiens affamez.
Qu'il me soit arraché des tétins de sa mère
Ce jeune enfant Amour, et qu'il me soit rendu ;
II ne fait que de naître et m'a déjà perdu ;
Vienne quelque marchand, je le mets à l'enchère.

D'un si mauvais garçon la vente n'est pas chère,
J'en ferai bon marché. Ah ! j'ai trop attendu.
Mais voyez comme il pleure, il m'a bien entendu ;
Apaise-toi, mignon, j'ai passé ma colère,

Je ne te vendrai point : au contraire, je veux
Pour Page t'envoyer à ma maîtresse Hélène,
Qui toute te ressemble et d'yeux et de cheveux,

Aussi fine que toi, de malice aussi pleine,
Comme enfants vous croistrez, et vous jouerez tous deux ;
Quand tu seras plus grand, tu me payeras ma peine.


1. Croistrez : Grandirez.
Chanson XV.

Quand ce beau printemps je vois,
J'aperçois
Rajeunir la terre et l'onde,
Et me semble que le jour
Et l'amour,
Comme enfants, naissent au monde.

Le jour, qui plus beau se fait,
Nous refait
Plus belle et verte la terre :
Et Amour, armé de traits
Et d'attraits,
En nos cœurs nous fait la guerre,

II répand de toutes parts
Feu et dards,
Et dompte sous sa puissance
Hommes, bêtes et oiseaux,
Et les eaux
Lui rendent obéissance.

Vénus, avec son enfant
Triomphant
Au haut de son Coche assise,
Laisse ses cygnes voler
Parmi l'air
Pour aller voir son Anchise.

Quelque part que ses beaux yeux
Par les Cieux
Tournent leurs lumières belles,
L'air qui se montre serein
Est tout plein
D'amoureuses étincelles.

Puis en descendant à bas,
Sous ses pas
Naissent mille fleurs écloses :
Les beaux lys et les oeillets
Vermeillets
Rougissent entre les roses.

Je sens en ce mois si beau
Le flambeau
D'Amour qui m'échauffe l'âme,
Y voyant de tous côtés
Les beautés
Qu'il emprunte de ma Dame.

Quand je vois tant de couleurs
Et de fleurs
Qui émaillent un rivage,
Je pense voir le beau teint
Qui est peint
Si vermeil en son visage.

Quand je vis les grands rameaux
Des ormeaux
Qui sont lacez de lierre,
Je pense être pris et las
De ses bras,
Et que mon col elle serre.

Quand j'entends la douce voix
Par les bois
Du *** Rossignol qui chante,
D'elle je pense jouir
Et ouïr
Sa douce voix qui m'enchante.

Quand je vois en quelque endroit
Un pin droit,
Ou quelque arbre qui s'élève.
Je me laisse décevoir,
Pensant voir
Sa telle taille et sa grève (1).

Quand je vois dans un jardin
Au matin
S'éclore une fleur nouvelle,
Je compare le bouton
Au téton
De son beau sein qui pommelle.

Quand le soleil tout riant
D'Orient
Nous montre sa blonde tresse,
II me semble que je vois
Devant moi
Lever ma belle maîtresse.

Quand je sens parmi les prés
Diaprez (2)
Les fleurs dont la terre est pleine,
Lors je fais croire à mes sens
Que je sens
La douceur de son haleine.

Bref, je fais comparaison
Par raison
Du Printemps et de ma mie :
II donne aux fleurs la vigueur,
Et mon cœur
D'elle prend vigueur et vie.

Je voudrais, au bruit de l'eau
D'un ruisseau.
Déplier ses tresses blondes,
Frisant en autant de nœuds
Ses cheveux,
Que je verrais friser d'ondes.

Je voudrais, pour la tenir,
Devenir
Dieu de ces forets désertes,
La baisant autant de fois
Qu'en un bois
Il y a de feuilles vertes.

Ah, maîtresse mon souci,
Vient ici,
Vient contempler la verdure
Les fleurs, de mon amitié
Ont pitié,
Et seule tu n'en as cure (3).

Au moins lève un peu tes yeux
Gracieux,
Et vois ces deux colombelles,
Qui font naturellement,
Doucement,
L'amour, du bec et des ailes :

Et nous, sous ombre d'honneur,
Le bonheur
Trahissons par une crainte :
Les oiseaux sont plus heureux
Amoureux
Qui font l'amour sans contrainte.

Toutefois ne perdons pas
Nos ébats
Pour ces lois tant rigoureuses :
Mais si tu m'en crois, vivons,
Et suivons
Les colombes amoureuses.

Pour effacer mon émoi,
Baise-moi,
Rebaise-moi, ma Déesse ;
Ne laissons passer en vain
Si soudain
Les ans de notre jeunesse.


1. Grève : Jambe.
2. Diaprer : Varier.
3. Cure : Souci.
Chanson.

Voulant, ô ma douce moitié,
T'assurer que mon amitié
Ne se verra jamais finie,
Je fis, pour t'en assurer mieux
Un serment juré par mes yeux
Et par mon cœur et par ma vie.

Tu jures ce qui n'est à toi ;
Ton cœur et tes yeux sont à moi
D'une promesse irrévocable,
Ce médis-tu. Hélas ! au moins
Reçoit mes larmes pour témoins
Que ma parole est véritable !

Alors, Belle, tu me baisas,
Et doucement désattisas
Mon feu, d'un gracieux visage :
Puis tu fis signe de ton œil,
Que tu recevais bien mon deuil
Et mes larmes pour témoignage.
Le jour pousse la nuit,
Et la nuit sombre
Pousse le jour qui luit
D'une obscure ombre.

L'Autonne suit l'Esté,
Et l'aspre rage
Des vents n'a point esté
Apres l'orage.

Mais la fièvre d'amours
Qui me tourmente,
Demeure en moy tousjours,
Et ne s'alente.

Ce n'estoit pas moy, Dieu,
Qu'il falloit poindre,
Ta fleche en autre lieu
Se devoit joindre.

Poursuy les paresseux
Et les amuse,
Mais non pas moy, ne ceux
Qu'aime la Muse.

Helas, delivre moy
De ceste dure,
Qui plus rit, quand d'esmoy
Voit que j'endure.

Redonne la clarté
A mes tenebres,
Remets en liberté
Mes jours funebres.

Amour sois le support
De ma pensée,
Et guide à meilleur port
Ma nef cassée.

Tant plus je suis criant
Plus me reboute,
Plus je la suis priant
Et moins m'escoute.

Ne ma palle couleur
D'amour blesmie
N'a esmeu à douleur
Mon ennemie.

Ne sonner à son huis
De ma guiterre,
Ny pour elle les nuis
Dormir à terre.

Plus cruel n'est l'effort
De l'eau mutine
Qu'elle, lors que plus fort
Le vent s'obstine.

Ell' s'arme en sa beauté,
Et si ne pense
Voir de sa cruauté
La récompense.

Monstre toy le veinqueur,
Et d'elle enflame
Pour exemple le coeur
De telle flame,

Qui la soeur alluma
Trop indiscrete,
Et d'ardeur consuma
La Royne en Crete.
Je plante en ta faveur cet arbre de Cybelle,
Ce Pin, où tes honneurs se liront tous les jours ;
J'ai gravé sur le tronc nos noms et nos amours,
Qui croîtront à l'envie de l'écorce nouvelle.

Faunes, qui habitez ma terre paternelle,
Qui menez sur le Loir vos danses et vos tours,
Favorisez la plante et lui donnez secours,
Que l'Été ne la brûle et l'Hiver ne la gèle.

Pasteur, qui conduira en ce lieu ton troupeau,
Flageolant une Éclogue (1) en ton tuyau d'aveine,
Attache tous les ans à cet arbre un tableau,

Qui témoigne aux passants mes amours et ma peine :
Puis l'arrosant de lait et du sang d'un agneau,
Dit : « Ce Pin est sacré, c'est la plante d'Hélène. »


1. Éclogue : Élégie.
Ni de son chef le trésor crépelu,
Ni de son ris l'une et l'autre fossette,
Ni l'embonpoint de sa gorge grassette,
Ni son menton rondement fosselu,

Ni son bel oeil que les miens ont voulu
Choisir pour prince à mon âme sujette,
Ni son beau sein dont l'Archerot me jette
Le plus aigu de son trait émoulu,

Ni son beau corps, le logis des Charites,
Ni ses beautés en mille coeurs écrites,
N'ont esclavé ma libre affection.

Seul son esprit, où tout le ciel abonde,
Et les torrents de sa douce faconde,
Me font mourir pour sa perfection.
Nuit, des amours ministre et sergente fidèle
Des arrêts de Venus, et des saintes lois d'elle,
Qui secrète accompagne
L'impatient ami de l'heure accoutumée,
Ô l'aimée des Dieux, mais plus encore aimée
Des étoiles compagnes,

Nature de tes dons adore l'excellence,
Tu caches les plaisirs dessous muet silence
Que l'amour jouissante
Donne, quand ton obscur étroitement assemble
Les amants embrassés, et qu'ils tombent ensemble
Sous l'ardeur languissante.

Lorsque l'amie main court par la cuisse, et ores
Par les tétins, auxquels ne se compare encore
Nul ivoire qu'on voie,
Et la langue en errant sur la joue, et la face,
Plus d'odeurs, et de fleurs, là naissantes, amasse
Que I'Orient n'envoie.

C'est toi qui les soucis, et les gênes mordantes,
Et tout le soin enclos en nos âmes ardentes
Par ton présent arraches.
C'est toi qui rends la vie aux vergers qui languissent,
Aux jardins la rosée, et aux cieux qui noircissent
Les idoles attaches.

Mais, si te plaît déesse une fin à ma peine,
Et donte sous mes bras celle qui est tant pleine  
De menaces cruelles.  
Afin que de ses yeux (yeux qui captifs me tiennent)  
Les trop ardents flambeaux plus brûler ne me viennent  
Le fond de mes mouelles.
Je voudrais être Ixion et Tantale,
Dessus la roue et dans les eaux là-bas,
Et nu à nu presser entre mes bras
Cette beauté qui les anges égale.

S'ainsi était, toute peine fatale
Me serait douce et ne me chaudrait pas,
Non, d'un vautour fussé-je le repas,
Non, qui le roc remonte et redévale.

Lui tâtonner seulement le tétin.
Echangerait l'obscur de mon destin
Au sort meilleur des princes de l'Asie :

Un demi-dieu me ferait son baiser,
Et flanc à flanc entre ses bras m'aiser,
Un de ces Dieux qui mangent l'Ambrosie.
Marie, vous avez la joue aussi vermeille
Qu'une rose de mai, vous avez les cheveux
De couleur de châtaigne, entrefrisés de noeuds,
Gentement tortillés tout autour de l'oreille.


Quand vous étiez petite, une mignarde abeille
Dans vos lèvres forma son doux miel savoureux,
Amour laissa ses traits dans vos yeux rigoureux,
Pithon vous fit la voix à nulle autre pareille.


Vous avez les tétins comme deux monts de lait,
Qui pommellent ainsi qu'au printemps nouvelet
Pommellent deux boutons que leur châsse environne.


De Junon sont vos bras, des Grâces votre sein,
Vous avez de l'Aurore et le front, et la main,
Mais vous avez le coeur d'une fière lionne.
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