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Discoboli of African poetry has now sparked above aphasia
The aphasic silence today breaks eardrums with cacophony
Of the world audience in the by standing duty of workshop tubes,
Executing poetic experiment on the origin of **** poeticus
To link the archaic baboonish proteins to the black chimpanzee
Cradling African man, the sire of all and their poetry.

That when the Chimpanzee blood we poured
Into the African veins of vena cava and aorta,
Feeding the heart with viscosity of nutrition,
And the Chimpanzee blood fell into deadly
Tomperousness like Shakespearean impetuosity
Once seen in Romeo and Juliet, giving timely Birth
To untimely half the yellow Sun
That juxtaposed planet of poetry
Behind the star of tribe as a priority
Condemning to stark oblivion all the fated,
in full uniform of tribal dimunitions, or mimesis.

Ever predated on when tribes form nations.
A time to try the chimpanzee blood in the veins
Of white humanity, battling cynosure
Historically evinced in Antony and his father,
Or Tybalt and Mercurial of mercutio,
Or Macbeth and counterparts
Or Hamlet the Danish and the inheritors of his mother,
As the white blood cells of the white blood,
Militantly attack the white corpuscles
Of the misfortunate chimpanzee,
Converting the later into
A chewer of misfortune.
A O'Dea Apr 2013
I see the commercials
for osteoarthritis.
And mentally curse this age of awareness
Where we, the audience
are forced to see our frail mortality . . .

One in three! ONE IN THREE!
Mocks the voice on T.V.
And suddenly my chest fills
with invisible cancers
cholesterol, and tumors
While diabetes races through my veines.

I stagger from the room.
Joints now rusted with a touch of arthritis.
My breath wheezes from the asthma
I never had until this moment.
My arteries harden like boa constrictors.
And I fall to the floor - breaking a hip as I go down.
My memory fades under Alzheimer's wrath.
While glaucoma darkens my vision.
And ravaging Obesity, consumes my soul.
I'm not really sure what I was thinking when I wrote this . . .
solenn fresnay Jul 2012
Je n’y arriverai pas alors autant tout faire

…/…

Je t’emmerde ?

…/…

Je veux combattre des chattes puantes et dégoulinantes en me défonçant la
cervelle sous la rame d’un métro
Les poubelles ce soir débordaient de litres de sperme dégorgés pendant le week-end
Vous aviez dans le passé un bien joli cul
Mais je ne suce pas monsieur
Je rêve simplement

…/…

Je n’ai plus qu’à me faire kidnapper
Il ne me reste plus rien d’autre

…/…

Ceci est mon testament

…/…

Tu m’aimes ?
Parce que moi je n’aime que moi

…/…

Je ne suis que veines nécrosées, désabusées, vaine écrivaine immortelle, ivre de mots ensanglantés, qui mange des glaces dans la nuit noire en se faisant vomir de folie

…/…

Elle s’est réveillée un matin
Elle avait rêvé toute la nuit, elle se sentait plutôt bien
Elle ouvrit les yeux et se rendit compte que tout autour d’elle
lui était devenu étranger
Tout son monde, le meilleur comme le pire, avait disparu
Elle n’était plus que vide dans un corps qui ne bougeait plus.
Jake Espinoza Jul 2010
J'ai toujours menti pour dire la vérité.
Je joue aux jeux pour que les autres puissent gagner.
Tout est si important
     que ça m'est égal.
Si je pense assez
     j'oublierai tout.
Je suis le Roi des Ombres
     important seulement pour les êtres qui existent en silence et poussière.
Je me change en pierre si je me tiens tranquille
     à me trouver dans un jardin d'une telle beauté
     avec les couleurs qui ont une sonorité jamais vue.
Je sens les émotions à travers le temps
     celles qu'aucun humain ne peut sentir.
Je tombe à travers la sécurité confortable et rouge-noire
     dans la clarté des vastes profondeurs du bleu foncé.
Mon corps s'est fait parfait pendant que je succombe
     et mon esprit se réveille.
La musique du violon se condense en amour sous mes yeux
     l'accord profond et sonore déchire le poison de mon esprit.
Je ressens les montées bleues claires de la vie dans mes veines quand je suis seul.
Je m'assieds avec les montagnes jusqu'à ce que nous nous unissions.
Mes yeux ne pourront jamais devenir impurs
     mon âme est sans tache.
Il y a la curiosité silencieuse dans la Vie
     l'amour dans ses yeux est si manifeste
     son sourire si tendre
     si silencieuse.
Ici sera où je pose la tête
     c'est la réalité que je choisis.
See "The Sound of Sleep" for the English translation.
Lynn Al-Abiad Nov 2016
Sur le bout de mes orteilles, je sautille au-dessus des écumes de l'océan
Ça sent le jasmin et les amandes
Le soleil effleure mes veines et l'eau salée éclabousse ma peau


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On the tip of my toes, I hop above the foams in the ocean
It smells like jasmine and almonds
The sun skims my veins and the salty water splashes my skin



- LynnAA
23/10/2016
Peins-moi, Janet, peins-moi, je te supplie
Dans ce tableau les beautés de m'amie
De la façon que je te les dirai.
Comme importun je ne te supplierai
D'un art menteur quelque faveur lui faire :
Il suffit bien si tu la sais portraire
Ainsi qu'elle est, sans vouloir déguiser
Son naturel pour la favoriser,
Car la faveur n'est bonne que pour celles
Qui se font peindre, et qui ne sont pas belles.

Fais-lui premier les cheveux ondelés,
Noués, retors, recrêpés, annelés,
Qui de couleur le cèdre représentent ;
Ou les démêle, et que libres ils sentent
Dans le tableau, si par art tu le peux,
La même odeur de ses propres cheveux,
Car ses cheveux comme fleurettes sentent,
Quand les Zéphyrs au printemps les éventent.

Que son beau front ne soit entrefendu
De nul sillon en profond étendu,
Mais qu'il soit tel qu'est la pleine marine,
Quand tant soit peu le vent ne la mutine,
Et que gisante en son lit elle dort,
Calmant ses flots sillés d'un somme mort.
Tout au milieu par la grève descende
Un beau rubis, de qui l'éclat s'épande
Par le tableau, ainsi qu'on voit de nuit
Briller les rais de la Lune qui luit
Dessus la neige au fond d'un val coulée,
De trace d'homme encore non foulée.

Après fais-lui son beau sourcil voûtis
D'ébène noir, et que son pli tortis
Semble un croissant qui montre par la nue
Au premier mois sa voûture cornue.
Ou si jamais tu as vu l'arc d'Amour,
Prends le portrait dessus le demi-tour
De sa courbure à demi-cercle dose,
Car l'arc d'Amour et lui n'est qu'une chose.
Mais las ! mon Dieu, mon Dieu je ne sais pas
Par quel moyen, ni comment, tu peindras
(Voire eusses-tu l'artifice d'Apelle)
De ses beaux yeux la grâce naturelle,
Qui font vergogne aux étoiles des Cieux.
Que l'un soit doux, l'autre soit furieux,
Que l'un de Mars, l'autre de Vénus tienne ;
Que du bénin toute espérance vienne,

Et du cruel vienne tout désespoir ;
L'un soit piteux et larmoyant à voir,
Comme celui d'Ariane laissée
Aux bords de Die, alors que l'insensée,
Près de la mer, de pleurs se consommait,
Et son Thésée en vain elle nommait ;
L'autre soit ***, comme il est bien croyable
Que l'eut jadis Pénélope louable
Quand elle vit son mari retourné,
Ayant vingt ans **** d'elle séjourné.
Après fais-lui sa rondelette oreille,
Petite, unie, entre blanche et vermeille,
Qui sous le voile apparaisse à l'égal
Que fait un lis enclos dans un cristal,
Ou tout ainsi qu'apparaît une rose
Tout fraîchement dedans un verre enclose.

Mais pour néant tu aurais fait si beau
Tout l'ornement de ton riche tableau,
Si tu n'avais de la linéature
De son beau nez bien portrait la peinture.
Peins-le-moi donc grêle, long, aquilin,
Poli, traitis, où l'envieux malin,
Quand il voudrait, n'y saurait que reprendre,
Tant proprement tu le feras descendre
Parmi la face, ainsi comme descend
Dans une plaine un petit mont qui pend.
Après au vif peins-moi sa belle joue
Pareille au teint de la rose qui noue
Dessus du lait, ou au teint blanchissant
Du lis qui baise un oeillet rougissant.
Dans le milieu portrais une fossette,
Fossette, non, mais d'Amour la cachette,
D'où ce garçon de sa petite main
Lâche cent traits, et jamais un en vain,
Que par les yeux droit au coeur il ne touche.

Hélas ! Janet, pour bien peindre sa bouche,
A peine Homère en ses vers te dirait
Quel vermillon égaler la pourrait,
Car pour la peindre ainsi qu'elle mérite,
Peindre il faudrait celle d'une Charite.
Peins-la-moi donc, qu'elle semble parler,
Ores sourire, ores embaumer l'air
De ne sais quelle ambrosienne haleine.
Mais par sur tout fais qu'elle semble pleine
De la douceur de persuasion.
Tout à l'entour attache un million
De ris, d'attraits, de jeux, de courtoisies,
Et que deux rangs de perlettes choisies
D'un ordre égal en la place des dents
Bien poliment soient arrangés dedans.
Peins tout autour une lèvre bessonne,
Qui d'elle-même, en s'élevant, semonne,
D'être baisée, ayant le teint pareil
Ou de la rose, ou du corail vermeil,
Elle flambante au Printemps sur l'épine,
Lui rougissant au fond de la marine.

Peins son menton au milieu fosselu,
Et que le bout en rondeur pommelu
Soit tout ainsi que l'on voit apparaître
Le bout d'un coin qui jà commence à croître.

Plus blanc que lait caillé dessus le jonc
Peins-lui le col, mais peins-le un petit long,
Grêle et charnu, et sa gorge douillette
Comme le col soit un petit longuette.

Après fais-lui, par un juste compas,
Et de Junon les coudes et les bras,
Et les beaux doigts de Minerve, et encore
La main pareille à celle de l'Aurore.

Je ne sais plus, mon Janet, où j'en suis,
Je suis confus et muet : je ne puis,
Comme j'ai fait, te déclarer le reste
De ses beautés, qui ne m'est manifeste.
Las ! car jamais tant de faveurs je n'eus
Que d'avoir vu ses beaux tétins à nu.
Mais si l'on peut juger par conjecture,
Persuadé de raisons, je m'assure
Que la beauté qui ne s'apparaît, doit
Du tout répondre à celle que l'on voit.
Doncque peins-la, et qu'elle me soit faite

Parfaite autant comme l'autre est parfaite.
Ainsi qu'en bosse élève-moi son sein,
Net, blanc, poli, large, profond et plein,
Dedans lequel mille rameuses veines
De rouge sang tressaillent toutes pleines.
Puis, quand au vif tu auras découvert
Dessous la peau les muscles et les nerfs,
Enfle au-dessus deux pommes nouvelettes,
Comme l'on voit deux pommes verdelettes
D'un oranger, qui encore du tout
Ne font qu'à l'heure à se rougir au bout.

Tout au plus haut des épaules marbrines,
Peins le séjour des Charites divines,
Et que l'Amour sans cesse voletant
Toujours les couve, et les aille éventant,
Pensant voler avec le Jeu son frère
De branche en branche ès vergers de Cythère.

Un peu plus bas, en miroir arrondi,
Tout poupellé, grasselet, rebondi,
Comme celui de Vénus, peins son ventre ;
Peins son nombril ainsi qu'un petit centre,
Le fond duquel paraisse plus vermeil
Qu'un bel oeillet entrouvert au Soleil.

Qu'attends-tu plus ? portrais-moi l'autre chose
Qui est si belle, et que dire je n'ose,
Et dont l'espoir impatient me point ;
Mais je te prie, ne me l'ombrage point,
Si ce n'était d'un voile fait de soie,
Clair et subtil, à fin qu'on l'entrevoie.

Ses cuisses soient comme faites au tour
A pleine chair, rondes tout à l'entour,
Ainsi qu'un Terme arrondi d'artifice
Qui soutient ferme un royal édifice.

Comme deux monts enlève ses genoux,
Douillets, charnus, ronds, délicats et mous,
Dessous lesquels fais-lui la grève pleine,
Telle que l'ont les vierges de Lacène,
Allant lutter au rivage connu
Du fleuve Eurote, ayant le corps tout nu,
Ou bien chassant à meutes découplées
Quelque grand cerf ès forêts Amyclées.
Puis, pour la fin, portrais-lui de Thétis
Les pieds étroits, et les talons petits.

Ha, je la vois ! elle est presque portraite,
Encore un trait, encore un, elle est faite !
Lève tes mains, ha mon Dieu ! je la vois !
Bien peu s'en faut qu'elle ne parle à moi.
Le prêtre portera l'étole blanche et noire
Lorsque les saints flambeaux pour vous s'allumeront.
Et de leurs longs cheveux voilant leurs fronts d'ivoire
Les jeunes filles pleureront.
A. Guiraud.

I.

Pourquoi m'apportez-vous ma lyre,
Spectres légers ? - que voulez-vous ?
Fantastiques beautés, ce lugubre sourire
M'annonce-t-il votre courroux ?
Sur vos écharpes éclatantes
Pourquoi flotte à longs plis ce crêpe menaçant ?
Pourquoi sur des festons ces chaînes insultantes,
Et ces roses, teintes de sang ?

Retirez-vous : rentrez dans les sombres abîmes...
Ah ! que me montrez-vous ?... quels sont ces trois tombeaux ?
Quel est ce char affreux, surchargé de victimes ?
Quels sont ces meurtriers, couverts d'impurs lambeaux ?
J'entends des chants de mort, j'entends des cris de fête.
Cachez-moi le char qui s'arrête !...
Un fer lentement tombe à mes regards troublés ; -
J'ai vu couler du sang... Est-il bien vrai, parlez,
Qu'il ait rejailli sur ma tête ?

Venez-vous dans mon âme éveiller le remord ?
Ce sang... je n'en suis point coupable !
Fuyez, vierges ; fuyez, famille déplorable :
Lorsque vous n'étiez plus, je n'étais pas encor.
Qu'exigez-vous de moi ? J'ai pleuré vos misères ;
Dois-je donc expier les crimes de mes pères ?
Pourquoi troublez-vous mon repos ?
Pourquoi m'apportez-vous ma lyre frémissante ?
Et des remords à vos bourreaux ?

II.

Sous les murs entourés de cohortes sanglantes,
Siège le sombre tribunal.
L'accusateur se lève, et ses lèvres tremblante
S'agitent d'un rire infernal.
C'est Tainville : on le voit, au nom de la patrie,
Convier aux forfaits cette horde flétrie
D'assassins, juges à leur tour ;
Le besoin du sang le tourmente ;
Et sa voix homicide à la hache fumante
Désigne les têtes du jour.

Il parle : ses licteurs vers l'enceinte fatale
Traînent les malheureux que sa fureur signale ;
Les portes devant eux s'ouvrent avec fracas ;
Et trois vierges, de grâce et de pudeur parées,
De leurs compagnes entourées,
Paraissent parmi les soldats.
Le peuple, qui se tait, frémit de son silence ;
Il plaint son esclavage en plaignant leurs malheurs,
Et repose sur l'innocence
Ses regards las du crime et troublés par ses pleurs.

Eh quoi ! quand ces beautés, lâchement accusées,
Vers ces juges de mort s'avançaient dans les fers,
Ces murs n'ont pas, croulant sous leurs voûtes brisées,
Rendu les monstres aux enfers !
Que faisaient nos guerriers ?... Leur vaillance trompée
Prêtait au vil couteau le secours de l'épée ;
Ils sauvaient ces bourreaux qui souillaient leurs combats.
Hélas ! un même jour, jour d'opprobre et de gloire,
Voyait Moreau monter au char de la victoire.
Et son père au char du trépas !

Quand nos chefs, entourés des armes étrangères,
Couvrant nos cyprès de lauriers,
Vers Paris lentement reportaient leurs bannières,
Frédéric sur Verdun dirigeait ses guerriers.
Verdun, premier rempart de la France opprimée,
D'un roi libérateur crut saluer l'armée.
En vain tonnaient d'horribles lois ;
Verdun se revêtit de sa robe de fête,
Et, libre de ses fers, vint offrir sa conquête
Au monarque vengeur des rois.

Alors, vierges, vos mains (ce fut là votre crime !)
Des festons de la joie ornèrent les vainqueurs.
Ah ! pareilles à la victime,
La hache à vos regards se cachait sous des fleurs.
Ce n'est pas tout ; hélas ! sans chercher la vengeance,
Quand nos bannis, bravant la mort et l'indigence,
Combattaient nos tyrans encor mal affermis,
Vos nobles cœurs ont plaint de si nobles misères ;
Votre or a secouru ceux qui furent nos frères
Et n'étaient pas nos ennemis.

Quoi ! ce trait glorieux, qui trahit leur belle âme,
Sera donc l'arrêt de leur mort !
Mais non, l'accusateur, que leur aspect enflamme,
Tressaille d'un honteux transport.
Il veut, vierges, au prix d'un affreux sacrifice,
En taisant vos bienfaits, vous ravir au supplice ;
Il croit vos chastes cœurs par la crainte abattus.
Du mépris qui le couvre acceptez le partage,
Souillez-vous d'un forfait, l'infâme aréopage
Vous absoudra de vos vertus.

Répondez-moi, vierges timides ;
Qui, d'un si noble orgueil arma ces yeux si doux ?
Dites, qui fit rouler dans vos regards humides
Les pleurs généreux du courroux ?
Je le vois à votre courage :
Quand l'oppresseur qui vous outrage
N'eût pas offert la honte en offrant son bienfait,
Coupables de pitié pour des français fidèles,
Vous n'auriez pas voulu, devant des lois cruelles,
Nier un si noble forfait !

C'en est donc fait ; déjà sous la lugubre enceinte
A retenti l'arrêt dicté par la fureur.
Dans un muet murmure, étouffé par la crainte,
Le peuple, qui l'écoute, exhale son horreur.
Regagnez des cachots les sinistres demeures,
O vierges ! encor quelques heures...
Ah ! priez sans effroi, votre âme est sans remord.
Coupez ces longues chevelures,
Où la main d'une mère enlaçait des fleurs pures,
Sans voir qu'elle y mêlait les pavots de la mort !

Bientôt ces fleurs encor pareront votre tête ;
Les anges vous rendront ces symboles touchants ;
Votre hymne de trépas sera l'hymne de fête
Que les vierges du ciel rediront dans leurs chants.
Vous verrez près de vous, dans ces chœurs d'innocence,
Charlotte, autre Judith, qui vous vengea d'avance ;
Cazotte ; Elisabeth, si malheureuse en vain ;
Et Sombreuil, qui trahit par ses pâleurs soudaines
Le sang glacé des morts circulant dans ses veines ;
Martyres, dont l'encens plaît au Martyr divin !

III.

Ici, devant mes yeux erraient des lueurs sombres ;
Des visions troublaient mes sens épouvantés ;
Les spectres sur mon front balançaient dans les ombres
De longs linceuls ensanglantés.
Les trois tombeaux, le char, les échafauds funèbres,
M'apparurent dans les ténèbres ;
Tout rentra dans la nuit des siècles révolus ;
Les vierges avaient fui vers la naissante aurore ;
Je me retrouvai seul, et je pleurais encor
Quand ma lyre ne chantait plus !

Octobre 1818.
Frères, je me confesse, et vais vous confier

Mon sort, pour vous instruire et vous édifier.


Un jour, je me sentis le désir de connaître

Ce qu'enfermait en soi le secret de mon être,

Ignorant jusque-là, je brûlai de savoir ;

J'examinai mon âme et j'eus peur à la voir.

Alors, et quand je l'eus à souhait regardée,

Que je la connus bien, il me vint à l'idée

De m'enquérir un peu pourquoi j'étais ainsi,

Et d'où je pouvais m'être à ce point endurci :

Car je ne pouvais pas me faire à la pensée

Qu'elle se fût si vite et si bas affaissée,

Car j'étais tout confus, car, en y bien cherchant,

Il me semblait à moi n'être pas né méchant.

En effet, je pouvais être bon. Mais j'espère

Que Dieu pardonne et fait miséricorde au père

Qui veut trop pour son fils, et lui fait désirer

Un sort où la raison lui défend d'aspirer !

Mon malheur vient de là, d'avoir pu méconnaître

L'humble condition où Dieu m'avait fait naître.

D'avoir tâché trop ****, et d'avoir prétendu

A m'élever plus haut que je ne l'aurais dû !

Hélas ! j'allai partout, chétif et misérable.

Traîner péniblement ma blessure incurable ;

Comme un pauvre à genoux au bord d'un grand chemin,

J'ai montré mon ulcère, et j'ai tendu la main ;

Malheureux matelot perdu dans un naufrage.

J'ai crié ; mais ma voix s'est mêlée à l'orage ;

Mais je n'ai rencontré personne qui voulût

Me plaindre, et me jeter la planche de salut.

Et moi, je n'allai point, libre et sans énergie.

Exhaler ma douleur en piteuse élégie.

Comme un enfant mutin pleure de ne pouvoir

Atteindre un beau fruit mûr qu'il vient d'apercevoir.

Je gardai mon chagrin pour moi, j'eus le courage

De renfermer ma haine et d'étouffer ma rage,

Personne n'entrevit ce que je ressentais.

Et l'on me crut joyeux parce que je chantais.

Tel s'est passé pour moi cet âge d'innocence

Où des songes riants bercent l'adolescence.

Sans jouir de la vie, et sans avoir jamais

Vu contenter un seul des vœux que je formais :

Jamais l'Illusion, jamais le doux Prestige,

Lutin capricieux qui rit et qui voltige,

Ne vint auprès de moi, dans son vol caressant,

Secouer sur mon front ses ailes en passant,

Et jamais voix de femme, harmonieuse et tendre,

N'a trouvé de doux mots qu'elle me fit entendre.

Une fois, une fois pourtant, sans le savoir,

J'ai cru naître à la vie, au bonheur, j'ai cru voir

Comme un éclair d'amour, une vague pensée

Qui vint luire à mon âme et qui l'a traversée,

A ce rêve si doux je crus quelques instants ;

- Mais elle est sitôt morte et voilà si longtemps !


Je me livrai dès lors à l'ardeur délirante

D'un cerveau maladif et d'une âme souffrante ;

J'entrepris de savoir tout ce que recelait

En soi le cœur humain de difforme et de laid ;

Je me donnai sans honte à ces femmes perdues

Qu'a séduites un lâche, ou qu'un père a vendues.

J'excitai dans leurs bras mes désirs épuisés,

Et je leur prodiguai mon or et mes baisers :

Près d'elles, je voulus contenter mon envie

De voir au plus profond des secrets de la vie.

J'allai, je descendis aussi **** que je pus

Dans les sombres détours de ces cœurs corrompus,

Trop heureux, quand un mot, un signe involontaire

D'un vice, neuf pour moi, trahissait le mystère,

Et qu'aux derniers replis à la fin parvenu,

Mon œil, comme leurs corps, voyait leur âme à nu.


Or, vous ne savez pas, combien à cette vie,

A poursuivre sans fin cette fatale envie

De tout voir, tout connaître, et de tout épuiser,

L'âme est prompte à s'aigrir et facile à s'user.

Malheur à qui, brûlant d'une ardeur insensée

De lire à découvert dans l'homme et sa pensée.

S'y plonge, et ne craint pas d'y fouiller trop souvent,

D'en approcher trop près, et d'y voir trop avant !

C'est ce qui m'acheva : c'est cette inquiétude

A chercher un cœur d'homme où mettre mon étude,

C'est ce mal d'avoir pu, trop jeune, apercevoir

Ce que j'aurais mieux fait de ne jamais savoir.

Désabusé de tout, je me suis vu ravie

La douce illusion qui fait aimer la vie,

Le riant avenir dont mon cœur s'est flétri,

Et ne pouvant plus croire à l'amour, j'en ai ri :

Et j'en suis venu là, que si, par occurrence,

- Je suis si jeune encore, et j'ai tant d'espérance !

- Une vierge aux doux yeux, et telle que souvent

J'en voyais autrefois m'apparaître en rêvant,

Simple, et croyant encore à la magie antique

De ces traditions du foyer domestique.

M'aimait, me le disait, et venait à son tour

Me demander sa part de mon âme en retour ;

Vierge, il faudrait me fuir, et faire des neuvaines

Pour arracher bientôt ce poison de tes veines,

Il faudrait me haïr, car moi, je ne pourrais

Te rendre cet amour que tu me donnerais,

Car je me suis damné, moi, car il faut te dire

Que je passe mes jours et mes nuits à maudire,

Que, sous cet air joyeux, je suis triste et nourris

Pour tout le genre humain le plus profond mépris :

Mais il faudrait me plaindre encore davantage

De m'être fait si vieux et si dur à cet âge,

D'avoir pu me glacer le cœur, et le fermer

A n'y laisser l'espoir ni la place d'aimer.
Pourquoi, du doux éclat des croyances du cœur
Vouloir éteindre en moi la dernière lueur ?
Pourquoi, lorsque la brise à l'aurore m'arrive,
Me dire de rester pleurante sur la rive ?
Pourquoi, lorsque des fleurs je veux chercher le miel,
Portez-vous à ma bouche et l'absinthe et le fiel ?

Pourquoi, si je souris au murmure de l'onde,
Dites-vous que plus **** c'est un torrent qui gronde ?
Pourquoi de nos saisons n'admettre que l'hiver,
Ou lorsque l'or reluit ne parler que du fer ?
Pourquoi, brisant la coupe où j'essaye de boire,
Enlever à mon cœur le doux bonheur de croire ;
Lui crier que, pour tous, tout s'altère ici-bas,
Que l'amour, par l'oubli ; se donne un prompt trépas ;
Qu'une idole adorée ou se brise ou se change,
Que tout commence au ciel et finit dans la fange !..

Vous que je nomme amis, vous qui serrez ma main,
Votre bouche me dit : « Rien n'arrive à demain. »
Vous parlez en riant et j'écoute avec larmes !
Vous brisez de mes jours les poétiques charmes.
À côté de la Foi, s'envolera l'Espoir...
Ces deux anges partis, le ciel sera bien noir !
Laissez-moi le soleil ; que son disque de flamme
Descende en longs rayons et réchauffe mon âme !
Vous qui doutez de tout, je lutte contre vous,
L'armure de mon cœur résiste sous vos coups.
De vos glaives cruels brisant la froide lame,
Radieuse d'espoir, vous échappe mon âme !
**** des climats glacés l'instinct la guidera,
Et sans jeter ses fleurs, son vol se poursuivra.

Vous qui doutez de tout, niant votre blasphème,
Malgré vous, en ce jour, je crois même en vous-même !
Il est, à votre insu, dans le fond de vos cœurs,
Des parfums ignorés, des calices de fleurs
Qui, dans vos jours bruyants, n'ont pu fleurir encore,
Et qu'un soleil plus doux ferait peut-être éclore.

Oui, je crois au printemps, au matin, au réveil ;
À l'étoile, la nuit ; et le jour, au soleil.

Je crois que la chaleur vient souvent sans orage,
Qu'un arbre peut tomber avec son vert feuillage,
Que les fleurs de la terre ont encore du miel,
Qu'il est, à l'horizon, un peu d'azur au ciel !

Je crois aux nobles cœurs, je crois aux nobles âmes,
Chez qui l'amour du bien n'éteint jamais ses flammes ;
Je crois aux dévouements qui poursuivent leurs cours,
Vieillissant en disant ce mot béni : « Toujours. »

Je crois à l'Amitié, sœur aimante et fidèle,
Sur les flots en courroux suivant notre nacelle,
Debout à nos côtés quand frappe le destin...
Sommeillant à nos pieds quand le ciel est serein !

Puis je crois à l'Amour, merveilleuse harmonie
Dont le céleste chant suit le cours de la vie,
Amour que rien n'atteint, sainte et divine foi
Qui fait croire en un autre et surtout croire à soi !
D'un noble dévouement source vive et féconde,
Qui trouve trop étroits et la vie et le monde.

Je crois au Souvenir, au long regret du cœur,
Regret que l'on bénit comme un dernier bonheur,
Crépuscule d'amour, triste après la lumière...
Mais plus brillant encore que le jour de la terre !

Je crois à la Vertu, mais voilée ici-bas ;
C'est un ange cachant la trace de ses pas.
Sous ses voiles épais, Dieu seul sait qu'elle est belle,
Et vous la blasphémez, en passant auprès d'elle !

La terre sous nos pieds cache ses mines d'or :
Comme elle, croyez-moi, le cœur a son trésor,
Mais il faut le creuser ; souvent, à sa surface,
De ses veines d'or pur rien ne trahit la trace.

Oh ! croyez comme moi, que sur l'immense mer
Il est des bords lointains dont le feuillage est vert ;
Cherchez-les, et ramez vers ces heureux rivages...
Tendez la voile au vent, saisissez les cordages ;
Debout au gouvernail, portez au **** vos yeux,
Prenez pour votre guide une étoile des cieux !
Ne courbez pas vos fronts pour sonder les abîmes,
Mais levez les regards pour découvrir les cimes.
Marchez, marchez toujours, et quand viendra la mort,
En regardant les cieux, amis, croyez encore !
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d'amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !

Et tout croît, et tout monte !

- Ô Vénus, ô Déesse !
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux
Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ;
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante ;
Où les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante,
La terre berçant l'homme, et tout l'Océan bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu !
Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cités ;
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
- Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux.

Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes.
Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l'Homme est Roi,
L'Homme est Dieu ! Mais l'Amour, voilà la grande Foi !
Oh ! si l'homme puisait encore à ta mamelle,
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ;
S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose où vint neiger l'écume,
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs !

II

Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère,
Aphrodite marine ! - Oh ! la route est amère
Depuis que l'autre Dieu nous attelle à sa croix ;
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois !
- Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste.
Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son cors Olympien aux servitudes sales !
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles
Il veut vivre, insultant la première beauté !
- Et l'Idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'Homme pût éclairer sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre à la beauté du jour,
La Femme ne sait plus même être courtisane !
- C'est une bonne farce ! et le monde ricane
Au nom doux et sacré de la grande Vénus !

III

Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !
- Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles,
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L'Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout ; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
- Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser !

- Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser.

Ô ! L'Homme a relevé sa tête libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté première
Fait palpiter le dieu dans l'autel de la chair !
Heureux du bien présent, pâle du mal souffert,
L'Homme veut tout sonder, - et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S'élance de son front ! Elle saura Pourquoi !...
Qu'elle bondisse libre, et l'Homme aura la Foi !
- Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable ?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable ?
Si l'on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ?
Et tous ces mondes-là, que l'éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une éternelle voix ?
- Et l'Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?...

Nous ne pouvons savoir ! - Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !
Nous voulons regarder : - le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile...
- Et l'horizon s'enfuit d'une fuite éternelle !...

Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature !
Il chante... et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !...
- C'est la Rédemption ! c'est l'amour ! c'est l'amour !...

IV

Ô splendeur de la chair ! ô splendeur idéale !
Ô renouveau d'amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros,
Kallipyge la blanche et le petit Éros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !
- Ô grande Ariadné, qui jettes tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thésée,
Ô douce vierge enfant qu'une nuit a brisée,
Tais-toi ! Sur son char d'or brodé de noirs raisins,
Lysios, promené dans les champs Phrygiens  
Par les tigres lascifs et les panthères rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
- Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant
Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague.
Il tourne lentement vers elle son oeil vague ;
Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur,
Au front de Zeus ; ses yeux sont fermés ; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son écume d'or fleurit sa chevelure.
- Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur
Embrassant la Léda des blancheurs de son aile ;
- Et tandis que Cypris passe, étrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Étale fièrement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brodé de mousse noire,
- Héraclès, le Dompteur, qui, comme d'une gloire,
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, à l'horizon !

Par la lune d'été vaguement éclairée,
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairière sombre où la mousse s'étoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux...
- La blanche Séléné laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pâle rayon...
- La Source pleure au **** dans une longue extase...
C'est la Nymphe qui rêve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé.
- Une brise d'amour dans la nuit a passé,
Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
- Les Dieux écoutent l'Homme et le Monde infini !

Le 29 avril 1870.
Puisque c'est ton métier, misérable poète,
Même en ces temps d'orage, où la bouche est muette,
Tandis que le bras parle, et que la fiction
Disparaît comme un songe au bruit de l'action ;
Puisque c'est ton métier de faire de ton âme
Une prostituée, et que, joie ou douleur,
Tout demande sans cesse à sortir de ton coeur ;
Que du moins l'histrion, couvert d'un masque infâme,
N'aille pas, dégradant ta pensée avec lui,
Sur d'ignobles tréteaux la mettre au pilori ;
Que nul plan, nul détour, nul voile ne l'ombrage.
Abandonne aux vieillards sans force et sans courage
Ce travail d'araignée, et tous ces fils honteux
Dont s'entoure en tremblant l'orgueil qui craint les yeux.
Point d'autel, de trépied, point d'arrière aux profanes !
Que ta muse, brisant le luth des courtisanes,
Fasse vibrer sans peur l'air de la liberté ;
Qu'elle marche pieds nus, comme la vérité.

O Machiavel ! tes pas retentissent encore
Dans les sentiers déserts de San Casciano.
Là, sous des cieux ardents dont l'air sèche et dévore,
Tu cultivais en vain un sol maigre et sans eau.
Ta main, lasse le soir d'avoir creusé la terre,
Frappait ton pâle front dans le calme des nuits.
Là, tu fus sans espoir, sans proches, sans amis ;
La vile oisiveté, fille de la misère,
A ton ombre en tous lieux se traînait lentement,
Et buvait dans ton coeur les flots purs de ton sang :
"Qui suis-je ? écrivais-tu; qu'on me donne une pierre,
"Une roche à rouler ; c'est la paix des tombeaux
"Que je fuis, et je tends des bras las du repos."

C'est ainsi, Machiavel, qu'avec toi je m'écrie :
O médiocre, celui qui pour tout bien
T'apporte à ce tripot dégoûtant de la vie,
Est bien poltron au jeu, s'il ne dit : Tout ou rien.
Je suis jeune; j'arrive. A moitié de ma route,
Déjà las de marcher, je me suis retourné.
La science de l'homme est le mépris sans doute ;
C'est un droit de vieillard qui ne m'est pas donné.
Mais qu'en dois-je penser ? Il n'existe qu'un être
Que je puisse en entier et constamment connaître
Sur qui mon jugement puisse au moins faire foi,
Un seul !... Je le méprise. - Et cet être, c'est moi.

Qu'ai-je fait ? qu'ai-je appris ? Le temps est si rapide !
L'enfant marche joyeux, sans songer au chemin ;
Il le croit infini, n'en voyant pas la fin.
Tout à coup il rencontre une source limpide,
Il s'arrête, il se penche, il y voit un vieillard.
Que me dirai-je alors ? Quand j'aurai fait mes peines,
Quand on m'entendra dire : Hélas ! il est trop **** ;
Quand ce sang, qui bouillonne aujourd'hui dans mes veines
Et s'irrite en criant contre un lâche repos,
S'arrêtera, glacé jusqu'au fond de mes os...
O vieillesse ! à quoi donc sert ton expérience ?
Que te sert, spectre vain, de te courber d'avance
Vers le commun tombeau des hommes, si la mort
Se tait en y rentrant, lorsque la vie en sort ?
N'existait-il donc pas à cette loterie
Un joueur par le sort assez bien abattu
Pour que, me rencontrant sur le seuil de la vie,
Il me dît en sortant : N'entrez pas, j'ai perdu !

Grèce, ô mère des arts, terre d'idolâtrie,
De mes voeux insensés éternelle patrie,
J'étais né pour ces temps où les fleurs de ton front
Couronnaient dans les mers l'azur de l'Hellespont.
Je suis un citoyen de tes siècles antiques ;
Mon âme avec l'abeille erre sous tes portiques.
La langue de ton peuple, ô Grèce, peut mourir ;
Nous pouvons oublier le nom de tes montagnes ;
Mais qu'en fouillant le sein de tes blondes campagnes
Nos regards tout à coup viennent à découvrir
Quelque dieu de tes bois, quelque Vénus perdue...
La langue que parlait le coeur de Phidias
Sera toujours vivante et toujours entendue ;
Les marbres l'ont apprise, et ne l'oublieront pas.
Et toi, vieille Italie, où sont ces jours tranquilles
Où sous le toit des cours Rome avait abrité
Les arts, ces dieux amis, fils de l'oisiveté ?
Quand tes peintres alors s'en allaient par les villes,
Elevant des palais, des tombeaux, des autels,
Triomphants, honorés, dieux parmi les mortels ;
Quand tout, à leur parole, enfantait des merveilles,
Quand Rome combattait Venise et les Lombards,
Alors c'étaient des temps bienheureux pour les arts !
Là, c'était Michel-Ange, affaibli par les veilles,
Pâle au milieu des morts, un scalpel à la main,
Cherchant la vie au fond de ce néant humain,
Levant de temps en temps sa tête appesantie,
Pour jeter un regard de colère et d'envie
Sur les palais de Rome, où, du pied de l'autel,
A ses rivaux de **** souriait Raphaël.
Là, c'était le Corrège, homme pauvre et modeste,
Travaillant pour son coeur, laissant à Dieu le reste ;
Le Giorgione, superbe, au jeune Titien
Montrant du sein des mers son beau ciel vénitien ;
Bartholomé, pensif, le front dans la poussière,
Brisant son jeune coeur sur un autel de pierre,
Interrogé tout bas sur l'art par Raphaël,
Et bornant sa réponse à lui montrer le ciel...
Temps heureux, temps aimés ! Mes mains alors peut-être,
Mes lâches mains, pour vous auraient pu s'occuper ;
Mais aujourd'hui pour qui ? dans quel but ? sous quel maître ?
L'artiste est un marchand, et l'art est un métier.
Un pâle simulacre, une vile copie,
Naissent sous le soleil ardent de l'Italie...
Nos oeuvres ont un an, nos gloires ont un jour ;
Tout est mort en Europe, - oui, tout, - jusqu'à l'amour.

Ah ! qui que vous soyez, vous qu'un fatal génie
Pousse à ce malheureux métier de poésie
Rejetez **** de vous, chassez-moi hardiment
Toute sincérité; gardez que l'on ne voie
Tomber de votre coeur quelques gouttes de sang ;
Sinon, vous apprendrez que la plus courte joie
Coûte cher, que le sage est ami du repos,
Que les indifférents sont d'excellents bourreaux.

Heureux, trois fois heureux, l'homme dont la pensée
Peut s'écrire au tranchant du sabre ou de l'épée !
Ah ! qu'il doit mépriser ces rêveurs insensés
Qui, lorsqu'ils ont pétri d'une fange sans vie
Un vil fantôme, un songe, une froide effigie,
S'arrêtent pleins d'orgueil, et disent : C'est assez !
Qu'est la pensée, hélas ! quand l'action commence ?
L'une recule où l'autre intrépide s'avance.
Au redoutable aspect de la réalité,
Celle-ci prend le fer, et s'apprête à combattre ;
Celle-là, frêle idole, et qu'un rien peut abattre,
Se détourne, en voilant son front inanimé.

Meurs, Weber ! meurs courbé sur ta harpe muette ;
Mozart t'attend. - Et toi, misérable poète,
Qui que tu sois, enfant, homme, si ton coeur bat,
Agis ! jette ta lyre; au combat, au combat !
Ombre des temps passés, tu n'es pas de cet âge.
Entend-on le nocher chanter pendant l'orage ?
A l'action ! au mal ! Le bien reste ignoré.
Allons ! cherche un égal à des maux sans remède.
Malheur à qui nous fit ce sens dénaturé !
Le mal cherche le mal, et qui souffre nous aide.
L'homme peut haïr l'homme, et fuir; mais malgré lui,
Sa douleur tend la main à la douleur d'autrui.
C'est tout. Pour la pitié, ce mot dont on nous leurre,
Et pour tous ces discours prostitués sans fin,
Que l'homme au coeur joyeux jette à celui qui pleure,
Comme le riche jette au mendiant son pain,
Qui pourrait en vouloir ? et comment le vulgaire,
Quand c'est vous qui souffrez, pourrait-il le sentir,
Lui que Dieu n'a pas fait capable de souffrir ?

Allez sur une place, étalez sur la terre
Un corps plus mutilé que celui d'un martyr,
Informe, dégoûtant, traîné sur une claie,
Et soulevant déjà l'âme prête à partir ;
La foule vous suivra. Quand la douleur est vraie,
Elle l'aime. Vos maux, dont on vous saura gré,
Feront horreur à tous, à quelques-uns pitié.
Mais changez de façon : découvrez-leur une âme
Par le chagrin brisée, une douleur sans fard,
Et dans un jeune coeur des regrets de vieillard ;
Dites-leur que sans mère, et sans soeur, et sans femme,
Sans savoir où verser, avant que de mourir,
Les pleurs que votre sein peut encor contenir,
Jusqu'au soleil couchant vous n'irez point peut-être...
Qui trouvera le temps d'écouter vos malheurs ?
On croit au sang qui coule, et l'on doute des pleurs.
Votre ami passera, mais sans vous reconnaître.

Tu te gonfles, mon coeur?... Des pleurs, le croirais-tu,
Tandis que j'écrivais ont baigné mon visage.
Le fer me manque-t-il, ou ma main sans courage
A-t-elle lâchement glissé sur mon sein nu ?
Non, rien de tout cela. Mais si **** que la haine
De cette destinée aveugle et sans pudeur
Ira, j'y veux aller. - J'aurai du moins le coeur
De la mener si bas que la honte l'en prenne.
À M. Léon Bailby.


Oiseau tranquille au vol inverse oiseau
Qui nidifie en l'air
À la limite où notre sol brille déjà
Baisse ta deuxième paupière la terre t'éblouit
Quand tu lèves la tête

Et moi aussi de près je suis sombre et terne
Une brume qui vient d'obscurcir les lanternes
Une main qui tout à coup se pose devant les yeux
Une voûte entre vous et toutes les lumières
Et je m'éloignerai m'illuminant au milieu d'ombres
Et d'alignements d'yeux des astres bien-aimés

Oiseau tranquille au vol inverse oiseau
Qui nidifie en l'air
À la limite où brille déjà ma mémoire
Baisse ta deuxième paupière
Ni à cause du soleil ni à cause de la terre
Mais pour ce feu oblong dont l'intensité ira s'augmentant
Au point qu'il deviendra un jour l'unique lumière
Un jour
Un jour je m'attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes
Pour que je sache enfin celui-là que je suis
Moi qui connais les autres
Je les connais par les cinq sens et quelques autres
Il me suffit de voir leurs pieds pour pouvoir refaire ces gens à milliers
De voir leurs pieds paniques un seul de leurs cheveux
Ou leur langue quand il me plaît de faire le médecin
Ou leurs enfants quand il me plaît de faire le prophète
Les vaisseaux des armateurs la plume de mes confrères
La monnaie des aveugles les mains des muets
Ou bien encore à cause du vocabulaire et non de l'écriture
Une lettre écrite par ceux qui ont plus de vingt ans
Il me suffit de sentir l'odeur de leurs églises
L'odeur des fleuves dans leurs villes
Le parfum des fleurs dans les jardins publics
Ô Corneille Agrippa l'odeur d'un petit chien m'eût suffi
Pour décrire exactement tes concitoyens de Cologne
Leurs rois-mages et la ribambelle ursuline
Qui t'inspirait l'erreur touchant toutes les femmes
Il me suffit de goûter la saveur du laurier qu'on cultive pour que j'aime ou que je bafoue
Et de toucher les vêtements
Pour ne pas douter si l'on est frileux ou non
Ô gens que je connais
Il me suffit d'entendre le bruit de leurs pas
Pour pouvoir indiquer à jamais la direction qu'ils ont prise
Il me suffit de tous ceux-là pour me croire le droit
De ressusciter les autres
Un jour je m'attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes
Et d'un lyrique pas s'avançaient ceux que j'aime
Parmi lesquels je n'étais pas
Les géants couverts d'algues passaient dans leurs villes
Sous-marines où les tours seules étaient des îles
Et cette mer avec les clartés de ses profondeurs
Coulait sang de mes veines et fait battre mon cœur
Puis sur terre il venait mille peuplades blanches
Dont chaque homme tenait une rose à la main
Et le langage qu'ils inventaient en chemin
Je l'appris de leur bouche et je le parle encore
Le cortège passait et j'y cherchais mon corps
Tous ceux qui survenaient et n'étaient pas moi-même
Amenaient un à un les morceaux de moi-même
On me bâtit peu à peu comme on élève une tour
Les peuples s'entassaient et je parus moi-même
Qu'ont formé tous les corps et les choses humaines

Temps passés Trépassés Les dieux qui me formâtes
Je ne vis que passant ainsi que vous passâtes
Et détournant mes yeux de ce vide avenir
En moi-même je vois tout le passé grandir

Rien n'est mort que ce qui n'existe pas encore
Près du passé luisant demain est incolore
Il est informe aussi près de ce qui parfait
Présente tout ensemble et l'effort et l'effet.
Voyez le ciel, la terre et toute la nature ;
C'est le livre de Dieu, c'est sa grande écriture ;
L'homme le lit sans cesse et ne l'achève point.
Splendeur de la virgule, immensité du point !
Comètes et soleils, lettres du feu sans nombre !
Pages que la nuit pure éclaire avec son ombre !
Le jour est moins charmant que les yeux de la nuit.
C'est un astre en rumeur que tout astre qui luit.
Musique d'or des cieux faite avec leur silence ;
Et tout astre immobile est l'astre qui s'élance.
Ah ! que Dieu, qui vous fit, magnifiques rayons,
Cils lointains qui battez lorsque nous sommeillons,
Longtemps, jusqu'à nos yeux buvant votre énergie,
Prolonge votre flamme et sa frêle magie !
La terre est notre mère au sein puissant et beau ;
Comme on ouvre son cœur, elle ouvre le tombeau,
Faisant ce que lui dit le Père qui regarde.
Dieu nous rend à la Mère, et la Mère nous garde ;
Mais comme le sillon garde le grain de blé,
Pour le crible, sur l'aire où tout sera criblé :
Récolte dont le Fils a préparé les granges,
Et dont les moissonneurs vermeils seront les anges.
La nature nous aime, elle cause avec nous ;
Les sages l'écoutaient, les mains sur leurs genoux,
Parler avec la voix des eaux, le bruit des arbres.
Son cœur candide éclate au sein sacré des marbres ;
Elle est la jeune aïeule ; elle est l'antique enfant !
Elle sait, elle dit tout ce que Dieu défend
À l'homme, enfant qui rit comme un taureau qui beugle ;
Et le regard de Dieu s'ouvre dans cette aveugle.
Quiconque a le malheur de violer sa loi
A par enchantement soi-même contre soi.
N'opposant que le calme à notre turbulence,
Elle rend, au besoin, rigueur pour violence,
Terrible à l'insensé, docile à l'homme humain :
Qui soufflette le mur se fait mal à la main.
La nature nous aime et donne ses merveilles.
Ouvrons notre âme, ouvrons nos yeux et nos oreilles :
Voyez la terre avec chaque printemps léger,
Ses verts juillets en flamme ainsi que l'oranger,
Ses automnes voilés de mousselines grises,
Ses neiges de Noël tombant sur les églises,
Et la paix de sa joie et le chant de ses pleurs.
Dans la saveur des fruits et la grâce des fleurs,
La vie aussi nous aime, elle a ses heures douces,
Des baisers dans la brise et des lits dans les mousses.
Jardin connu trop ****, sentier vite effacé
Où s'égarait Virgile, où Jésus a passé.
Tout nous aime et sourit, jusqu'aux veines des pierres ;
La forme de nos cœurs tremble aux feuilles des lierres ;
L'arbre, où le couteau grave un chiffre amer et blanc.
Fait des lèvres d'amour de sa blessure au flanc ;
L'aile de l'hirondelle annonce le nuage ;
Et le chemin nous aime : avec nous il voyage ;
La trace de nos pas sur le sable, elle aussi
Nous suit ; elle nous aime, et l'air dit : « me voici ! »
Rendons-leur cet amour, soyons plus doux aux choses
Coupons moins le pain blanc et cueillons moins les roses
Nous parlons du caillou comme s'il était sourd,
Mais il vit ; quand il chante, une étincelle court...
Ne touchons rien, pas même à la plus vile argile,
Sans l'amour que l'on a pour le cristal fragile.
La nature très sage est dure au maladroit,
Elle dit : le devoir est la borne du droit ;
Elle sait le secret des choses que vous faites ;
Elle bat notre orgueil en nous montrant les bêtes,
Humiliant les bons qui savent leur bonté,
Comme aussi les méchants qui voient leur cruauté.
Grâce à la bonté, l'homme à sa place se range,
Moins terre que la bête, il est moins ciel que l'ange
Dont l'aile se devine à l'aile de l'air bleu.
Partout où l'homme écrit « Nature », lisez « Dieu ».
La muse

Poète, prends ton luth et me donne un baiser ;
La fleur de l'églantier sent ses bourgeons éclore,
Le printemps naît ce soir ; les vents vont s'embraser ;
Et la bergeronnette, en attendant l'aurore,
Aux premiers buissons verts commence à se poser.
Poète, prends ton luth, et me donne un baiser.

Le poète

Comme il fait noir dans la vallée !
J'ai cru qu'une forme voilée
Flottait là-bas sur la forêt.
Elle sortait de la prairie ;
Son pied rasait l'herbe fleurie ;
C'est une étrange rêverie ;
Elle s'efface et disparaît.

La muse

Poète, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse,
Balance le zéphyr dans son voile odorant.
La rose, vierge encor, se referme jalouse
Sur le frelon nacré qu'elle enivre en mourant.
Écoute ! tout se tait ; songe à ta bien-aimée.
Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée
Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux.
Ce soir, tout va fleurir : l'immortelle nature
Se remplit de parfums, d'amour et de murmure,
Comme le lit joyeux de deux jeunes époux.

Le poète

Pourquoi mon coeur bat-il si vite ?
Qu'ai-je donc en moi qui s'agite
Dont je me sens épouvanté ?
Ne frappe-t-on pas à ma porte ?
Pourquoi ma lampe à demi morte
M'éblouit-elle de clarté ?
Dieu puissant ! tout mon corps frissonne.
Qui vient ? qui m'appelle ? - Personne.
Je suis seul ; c'est l'heure qui sonne ;
Ô solitude ! ô pauvreté !

La muse

Poète, prends ton luth ; le vin de la jeunesse
Fermente cette nuit dans les veines de Dieu.
Mon sein est inquiet ; la volupté l'oppresse,
Et les vents altérés m'ont mis la lèvre en feu.
Ô paresseux enfant ! regarde, je suis belle.
Notre premier baiser, ne t'en souviens-tu pas,
Quand je te vis si pâle au toucher de mon aile,
Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras ?
Ah ! je t'ai consolé d'une amère souffrance !
Hélas ! bien jeune encor, tu te mourais d'amour.
Console-moi ce soir, je me meurs d'espérance ;
J'ai besoin de prier pour vivre jusqu'au jour.

Le poète

Est-ce toi dont la voix m'appelle,
Ô ma pauvre Muse ! est-ce toi ?
Ô ma fleur ! ô mon immortelle !
Seul être pudique et fidèle
Où vive encor l'amour de moi !
Oui, te voilà, c'est toi, ma blonde,
C'est toi, ma maîtresse et ma soeur !
Et je sens, dans la nuit profonde,
De ta robe d'or qui m'inonde
Les rayons glisser dans mon coeur.

La muse

Poète, prends ton luth ; c'est moi, ton immortelle,
Qui t'ai vu cette nuit triste et silencieux,
Et qui, comme un oiseau que sa couvée appelle,
Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux.
Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire
Te ronge, quelque chose a gémi dans ton coeur ;
Quelque amour t'est venu, comme on en voit sur terre,
Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur.
Viens, chantons devant Dieu ; chantons dans tes pensées,
Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées ;
Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu,
Éveillons au hasard les échos de ta vie,
Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie,
Et que ce soit un rêve, et le premier venu.
Inventons quelque part des lieux où l'on oublie ;
Partons, nous sommes seuls, l'univers est à nous.
Voici la verte Écosse et la brune Italie,
Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux,
Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes,
Et Messa la divine, agréable aux colombes,
Et le front chevelu du Pélion changeant ;
Et le bleu Titarèse, et le golfe d'argent
Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire,
La blanche Oloossone à la blanche Camyre.
Dis-moi, quel songe d'or nos chants vont-ils bercer ?
D'où vont venir les pleurs que nous allons verser ?
Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière,
Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet,
Secouait des lilas dans sa robe légère,
Et te contait tout bas les amours qu'il rêvait ?
Chanterons-nous l'espoir, la tristesse ou la joie ?
Tremperons-nous de sang les bataillons d'acier ?
Suspendrons-nous l'amant sur l'échelle de soie ?
Jetterons-nous au vent l'écume du coursier ?
Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre
De la maison céleste, allume nuit et jour
L'huile sainte de vie et d'éternel amour ?
Crierons-nous à Tarquin : " Il est temps, voici l'ombre ! "
Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers ?
Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers ?
Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie ?
Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés ?
La biche le regarde ; elle pleure et supplie ;
Sa bruyère l'attend ; ses faons sont nouveau-nés ;
Il se baisse, il l'égorge, il jette à la curée
Sur les chiens en sueur son coeur encor vivant.
Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée,
S'en allant à la messe, un page la suivant,
Et d'un regard distrait, à côté de sa mère,
Sur sa lèvre entr'ouverte oubliant sa prière ?
Elle écoute en tremblant, dans l'écho du pilier,
Résonner l'éperon d'un hardi cavalier.
Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France
De monter tout armés aux créneaux de leurs tours,
Et de ressusciter la naïve romance
Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours ?
Vêtirons-nous de blanc une molle élégie ?
L'homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie,
Et ce qu'il a fauché du troupeau des humains
Avant que l'envoyé de la nuit éternelle
Vînt sur son tertre vert l'abattre d'un coup d'aile,
Et sur son coeur de fer lui croiser les deux mains ?
Clouerons-nous au poteau d'une satire altière
Le nom sept fois vendu d'un pâle pamphlétaire,
Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli,
S'en vient, tout grelottant d'envie et d'impuissance,
Sur le front du génie insulter l'espérance,
Et mordre le laurier que son souffle a sali ?
Prends ton luth ! prends ton luth ! je ne peux plus me taire ;
Mon aile me soulève au souffle du printemps.
Le vent va m'emporter ; je vais quitter la terre.
Une larme de toi ! Dieu m'écoute ; il est temps.

Le poète

S'il ne te faut, ma soeur chérie,
Qu'un baiser d'une lèvre amie
Et qu'une larme de mes yeux,
Je te les donnerai sans peine ;
De nos amours qu'il te souvienne,
Si tu remontes dans les cieux.
Je ne chante ni l'espérance,
Ni la gloire, ni le bonheur,
Hélas ! pas même la souffrance.
La bouche garde le silence
Pour écouter parler le coeur.

La muse

Crois-tu donc que je sois comme le vent d'automne,
Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau,
Et pour qui la douleur n'est qu'une goutte d'eau ?
Ô poète ! un baiser, c'est moi qui te le donne.
L'herbe que je voulais arracher de ce lieu,
C'est ton oisiveté ; ta douleur est à Dieu.
Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,
Laisse-la s'élargir, cette sainte blessure
Que les noirs séraphins t'ont faite au fond du coeur :
Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au **** s'abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;
En vain il a des mers fouillé la profondeur ;
L'Océan était vide et la plage déserte ;
Pour toute nourriture il apporte son coeur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur,
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ;
Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et, se frappant le coeur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort, se recommande à Dieu.
Poète, c'est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps ;
Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées,
De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater le coeur.
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant,
Mais il y pend toujours quelque goutte de sang.

Le poète

Ô Muse ! spectre insatiable,
Ne m'en demande pas si long.
L'homme n'écrit rien sur le sable
À l'heure où passe l'aquilon.
J'ai vu le temps où ma jeunesse
Sur mes lèvres était sans cesse
Prête à chanter comme un oiseau ;
Mais j'ai souffert un dur martyre,
Et le moins que j'en pourrais dire,
Si je l'essayais sur ma lyre,
La briserait comme un roseau.
Ô lâches, la voilà ! Dégorgez dans les gares !
Le soleil essuya de ses poumons ardents
Les boulevards qu'un soir comblèrent les Barbares.
Voilà la Cité sainte, assise à l'occident !

Allez ! on préviendra les reflux d'incendie,
Voilà les quais, voilà les boulevards, voilà
Les maisons sur l'azur léger qui s'irradie
Et qu'un soir la rougeur des bombes étoila !

Cachez les palais morts dans des niches de planches !
L'ancien jour effaré rafraîchit vos regards.
Voici le troupeau roux des tordeuses de hanches :
Soyez fous, vous serez drôles, étant hagards !

Tas de chiennes en rut mangeant des cataplasmes,
Le cri des maisons d'or vous réclame. Volez !
Mangez ! Voici la nuit de joie aux profonds spasmes
Qui descend dans la rue. Ô buveurs désolés,

Buvez ! Quand la lumière arrive intense et folle,
Fouillant à vos côtés les luxes ruisselants,
Vous n'allez pas baver, sans geste, sans parole,
Dans vos verres, les yeux perdus aux lointains blancs ?

Avalez, pour la Reine aux fesses cascadantes !
Ecoutez l'action des stupides hoquets
Déchirants ! Ecoutez sauter aux nuits ardentes
Les idiots râleux, vieillards, pantins, laquais !

Ô coeurs de saleté, bouches épouvantables,
Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs !
Un vin pour ces torpeurs ignobles, sur ces tables...
Vos ventres sont fondus de hontes, ô Vainqueurs !

Ouvrez votre narine aux superbes nausées !
Trempez de poisons forts les cordes de vos cous !
Sur vos nuques d'enfants baissant ses mains croisées
Le Poète vous dit : " Ô lâches, soyez fous !

Parce que vous fouillez le ventre de la Femme,
Vous craignez d'elle encore une convulsion
Qui crie, asphyxiant votre nichée infâme
Sur sa poitrine, en une horrible pression.

Syphilitiques, fous, rois, pantins, ventriloques,
Qu'est-ce que ça peut faire à la putain Paris,
Vos âmes et vos corps, vos poisons et vos loques ?
Elle se secouera de vous, hargneux pourris !

Et quand vous serez bas, geignant sur vos entrailles,
Les flancs morts, réclamant votre argent, éperdus,
La rouge courtisane aux seins gros de batailles
**** de votre stupeur tordra ses poings ardus !

Quand tes pieds ont dansé si fort dans les colères,
Paris ! quand tu reçus tant de coups de couteau,
Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires
Un peu de la bonté du fauve renouveau,

Ô cité douloureuse, ô cité quasi morte,
La tête et les deux seins jetés vers l'Avenir
Ouvrant sur ta pâleur ses milliards de portes,
Cité que le Passé sombre pourrait bénir :

Corps remagnétisé pour les énormes peines,
Tu rebois donc la vie effroyable ! tu sens
Sourdre le flux des vers livides en tes veines,
Et sur ton clair amour rôder les doigts glaçants !

Et ce n'est pas mauvais. Les vers, les vers livides
Ne gêneront pas plus ton souffle de Progrès
Que les Stryx n'éteignaient l'oeil des Cariatides
Où des pleurs d'or astral tombaient des bleus degrés."

Quoique ce soit affreux de te revoir couverte,
Ainsi ; quoiqu'on n'ait fait jamais d'une cité
Ulcère plus puant à la Nature verte,
Le Poète te dit : " Splendide est ta Beauté !"

L'orage t'a sacrée suprême poésie ;
L'immense remuement des forces te secourt ;
Ton oeuvre bout, la mort gronde, Cité choisie !
Amasse les strideurs au coeur du clairon sourd.

Le Poète prendra le sanglot des Infâmes,
La haine des Forçats, la clameur des Maudits ;
Et ses rayons d'amour flagelleront les Femmes.
Ses strophes bondiront : Voilà ! voilà ! bandits !

- Société, tout est rétabli : - les ******
Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars :
Et les gaz en délire, aux murailles rougies,
Flambent sinistrement vers les azurs blafards !
Élégie VII.

Cher ange, vous êtes belle
A faire rêver d'amour,
Pour une seule étincelle
De votre vive prunelle,
Le poète tout un jour.

Air naïf de jeune fille,
Front uni, veines d'azur,
Douce haleine-de vanille,
Bouche rosée où scintille
Sur l'ivoire un rire pur ;

Pied svelte et cambré, main blanche,
Soyeuses boucles de jais,
Col de cygne qui se penche,
Flexible comme la branche
Qu'au soir caresse un vent frais ;

Vous avez, sur ma parole,
Tout ce qu'il faut pour charmer ;
Mais votre âme est si frivole,
Mais votre tête est si folle
Que l'on n'ose vous aimer.
Injecte des mots dans mes veines
Emplis mon coeur de passion
Je suis ton jardin d'Eden
Un esprit d'illusion

Observe les étoiles dans mon regard
Et la promesse des mots sérieux
Ne te moque pas de mon ******
Je n'ai pas le temps de me perdre dans tes yeux

Donne moi le temps de souffrir
Pour comprendre la valeur d'un sourire
Je ne suis pas une guerrière
Bien qu'en contestent mes blessures dernières

Invente-moi un poème
Sous la lumière de la lune
Je t'en prie reste toi-même
Ton ombre est une importune

Elle n'a jamais sur parler le language de ton âme
Ou de ton corps en flamme
Elle ne connaît pas la lumière qui émane de toi
Ni la sureté que tu me procure en me prenant dans tes bras

Je n'ai pas besoin de ta protection
Si seulement tu me proposais l'option
Des mensonges sur tes lèvres lorsque tu ne comprends pas
Que la seule chose dont j'ai besoin chaque nuit, c'est toi

Tu m'accuses de prendre trop de place
Dans ton cœur protégé d'une cuirasse
Je ne sais pas comment briser le bouclier autour de ta peur
Et chaque jour un peu plus je me meurs

De toi
Du son de ta voix
De ta présence tout près de moi
Je me rétracte doucement
Vers l'ombre que j'ai rejetée
Ton cœur n'a rien de flamboyant
J'ai compris que tu l'avais brûlé
love french amour coeur heart brule cassé
Je veille, unique sentinelle
De ce grand palais dévasté,
Dans la solitude éternelle,
En face de l'immensité.

A l'horizon que rien ne borne,
Stérile, muet, infini,
Le désert sous le soleil morne,
Déroule son linceul jauni.

Au-dessus de la terre nue,
Le ciel, autre désert d'azur,
Où jamais ne flotte une nue,
S'étale implacablement pur.

Le Nil, dont l'eau morte s'étame
D'une pellicule de plomb,
Luit, ridé par l'hippopotame,
Sous un jour mat tombant d'aplomb ;

Et les crocodiles rapaces,
Sur le sable en feu des îlots,
Demi-cuits dans leurs carapaces,
Se pâment avec des sanglots.

Immobile sur son pied grêle,
L'ibis, le bec dans son jabot,
Déchiffre au bout de quelque stèle
Le cartouche sacré de Thot.

L'hyène rit, le chacal miaule,
Et, traçant des cercles dans l'air,
L'épervier affamé piaule,
Noire virgule du ciel clair.

Mais ces bruits de la solitude
Sont couverts par le bâillement
Des sphinx, lassés de l'attitude
Qu'ils gardent immuablement.

Produit des blancs reflets du sable
Et du soleil toujours brillant,
Nul ennui ne t'est comparable,
Spleen lumineux de l'Orient !

C'est toi qui faisais crier : Grâce !
A la satiété des rois
Tombant vaincus sur leur terrasse,
Et tu m'écrases de ton poids.

Ici jamais le vent n'essuie
Une larme à l'oeil sec des cieux.
Et le temps fatigué s'appuie
Sur les palais silencieux.

Pas un accident ne dérange
La face de l'éternité ;
L'Égypte, en ce monde où tout change,
Trône sur l'immobilité.

Pour compagnons et pour amies,
Quand l'ennui me prend par accès,
J'ai les fellahs et les momies
Contemporaines de Rhamsès ;

Je regarde un pilier qui penche,
Un vieux colosse sans profil
Et les canges à voile blanche
Montant ou descendant le Nil.

Que je voudrais comme mon frère,
Dans ce grand Paris transporté,
Auprès de lui, pour me distraire,
Sur une place être planté !

Là-bas, il voit à ses sculptures
S'arrêter un peuple vivant,
Hiératiques écritures,
Que l'idée épelle en rêvant.

Les fontaines juxtaposées
Sur la poudre de son granit
Jettent leurs brumes irisées ;
Il est vermeil, il rajeunit !

Des veines roses de Syène
Comme moi cependant il sort,
Mais je reste à ma place ancienne,
Il est vivant et je suis mort !
J'ay varié ma vie en devidant la trame
Que Clothon me filoit entre malade et sain,
Maintenant la santé se logeoit en mon sein,
Tantost la maladie extreme fleau de l'ame.


La goutte ja vieillard me bourrela les veines,
Les muscles et les nerfs, execrable douleur,
Montrant en cent façons par cent diverses peines
Que l'homme n'est sinon le subject de malheur.


L'un meurt en son printemps, l'autre attend la vieillesse,
Le trespas est tout un, les accidens divers :
Le vray tresor de l'homme est la verte jeunesse,
Le reste de nos ans ne sont que des hivers.


Pour long temps conserver telle richesse entiere
Ne force ta nature, ains ensuy la raison,
Fuy l'amour et le vin, des vices la matiere,
Grand loyer t'en demeure en la vieille saison.


La jeunesse des Dieux aux hommes n'est donnee
Pour gouspiller sa fleur, ainsi qu'on void fanir
La rose par le chauld, ainsi mal gouvernee
La jeunesse s'enfuit sans jamais revenir.
Depuis qu'Adam, ce cruel homme,
A perdu son fameux jardin,
Où sa femme, autour d'une pomme,
Gambadait sans vertugadin,
Je ne crois pas que sur la terre
Il soit un lieu d'arbres planté
Plus célébré, plus visité,
Mieux fait, plus joli, mieux hanté,
Mieux exercé dans l'art de plaire,
Plus examiné, plus vanté,
Plus décrit, plus lu, plus chanté,
Que l'ennuyeux parc de Versailles.
Ô dieux ! ô bergers ! ô rocailles !
Vieux Satyres, Termes grognons,
Vieux petits ifs en rangs d'oignons,
Ô bassins, quinconces, charmilles !
Boulingrins pleins de majesté,
Où les dimanches, tout l'été,
Bâillent tant d'honnêtes familles !
Fantômes d'empereurs romains,
Pâles nymphes inanimées
Qui tendez aux passants les mains,
Par des jets d'eau tout enrhumées !
Tourniquets d'aimables buissons,
Bosquets tondus où les fauvettes
Cherchent en pleurant leurs chansons,
Où les dieux font tant de façons
Pour vivre à sec dans leurs cuvettes !
Ô marronniers ! n'ayez pas peur ;
Que votre feuillage immobile,
Me sachant versificateur,
N'en demeure pas moins tranquille.
Non, j'en jure par Apollon
Et par tout le sacré vallon,
Par vous, Naïades ébréchées,
Sur trois cailloux si mal couchées,
Par vous, vieux maîtres de ballets,
Faunes dansant sur la verdure,
Par toi-même, auguste palais,
Qu'on n'habite plus qu'en peinture,
Par Neptune, sa fourche au poing,
Non, je ne vous décrirai point.
Je sais trop ce qui vous chagrine ;
De Phoebus je vois les effets :
Ce sont les vers qu'on vous a faits
Qui vous donnent si triste mine.
Tant de sonnets, de madrigaux,
Tant de ballades, de rondeaux,
Où l'on célébrait vos merveilles,
Vous ont assourdi les oreilles,
Et l'on voit bien que vous dormez
Pour avoir été trop rimés.

En ces lieux où l'ennui repose,
Par respect aussi j'ai dormi.
Ce n'était, je crois, qu'à demi :
Je rêvais à quelque autre chose.
Mais vous souvient-il, mon ami,
De ces marches de marbre rose,
En allant à la pièce d'eau
Du côté de l'Orangerie,
À gauche, en sortant du château ?
C'était par là, je le parie,
Que venait le roi sans pareil,
Le soir, au coucher du soleil,
Voir dans la forêt, en silence,
Le jour s'enfuir et se cacher
(Si toutefois en sa présence
Le soleil osait se coucher).
Que ces trois marches sont jolies !
Combien ce marbre est noble et doux !
Maudit soit du ciel, disions-nous,
Le pied qui les aurait salies !
N'est-il pas vrai ? Souvenez-vous.
- Avec quel charme est nuancée
Cette dalle à moitié cassée !
Voyez-vous ces veines d'azur,
Légères, fines et polies,
Courant, sous les roses pâlies,
Dans la blancheur d'un marbre pur ?
Tel, dans le sein robuste et dur
De la Diane chasseresse,
Devait courir un sang divin ;
Telle, et plus froide, est une main
Qui me menait naguère en laisse.
N'allez pas, du reste, oublier
Que ces marches dont j'ai mémoire
Ne sont pas dans cet escalier
Toujours désert et plein de gloire,
Où ce roi, qui n'attendait pas,
Attendit un jour, pas à pas,
Condé, lassé par la victoire.
Elles sont près d'un vase blanc,
Proprement fait et fort galant.
Est-il moderne ? est-il antique ?
D'autres que moi savent cela ;
Mais j'aime assez à le voir là,
Étant sûr qu'il n'est point gothique.
C'est un bon vase, un bon voisin ;
Je le crois volontiers cousin
De mes marches couleur de rose ;
Il les abrite avec fierté.
Ô mon Dieu ! dans si peu de chose
Que de grâce et que de beauté !

Dites-nous, marches gracieuses,
Les rois, les princes, les prélats,
Et les marquis à grands fracas,
Et les belles ambitieuses,
Dont vous avez compté les pas ;
Celles-là surtout, j'imagine,
En vous touchant ne pesaient pas.
Lorsque le velours ou l'hermine
Frôlaient vos contours délicats,
Laquelle était la plus légère ?
Est-ce la reine Montespan ?
Est-ce Hortense avec un roman,
Maintenon avec son bréviaire,
Ou Fontange avec son ruban ?
Beau marbre, as-tu vu la Vallière ?
De Parabère ou de Sabran
Laquelle savait mieux te plaire ?
Entre Sabran et Parabère
Le Régent même, après souper,
Chavirait jusqu'à s'y tromper.
As-tu vu le puissant Voltaire,
Ce grand frondeur des préjugés,
Avocat des gens mal jugés,
Du Christ ce terrible adversaire,
Bedeau du temple de Cythère,
Présentant à la Pompadour
Sa vieille eau bénite de cour ?
As-tu vu, comme à l'ermitage,
La rondelette Dubarry
Courir, en buvant du laitage,
Pieds nus, sur le gazon fleuri ?
Marches qui savez notre histoire,
Aux jours pompeux de votre gloire,
Quel heureux monde en ces bosquets !
Que de grands seigneurs, de laquais,
Que de duchesses, de caillettes,
De talons rouges, de paillettes,
Que de soupirs et de caquets,
Que de plumets et de calottes,
De falbalas et de culottes,
Que de poudre sous ces berceaux,
Que de gens, sans compter les sots !
Règne auguste de la perruque,
Le bourgeois qui te méconnaît
Mérite sur sa plate nuque
D'avoir un éternel bonnet.
Et toi, siècle à l'humeur badine,
Siècle tout couvert d'amidon,
Ceux qui méprisent ta farine
Sont en horreur à Cupidon !...
Est-ce ton avis, marbre rose ?
Malgré moi, pourtant, je suppose
Que le hasard qui t'a mis là
Ne t'avait pas fait pour cela.
Aux pays où le soleil brille,
Près d'un temple grec ou latin,
Les beaux pieds d'une jeune fille,
Sentant la bruyère et le thym,
En te frappant de leurs sandales,
Auraient mieux réjoui tes dalles
Qu'une pantoufle de satin.
Est-ce d'ailleurs pour cet usage
Que la nature avait formé
Ton bloc jadis vierge et sauvage
Que le génie eût animé ?
Lorsque la pioche et la truelle
T'ont scellé dans ce parc boueux,
En t'y plantant malgré les dieux,
Mansard insultait Praxitèle.
Oui, si tes flancs devaient s'ouvrir,
Il fallait en faire sortir
Quelque divinité nouvelle.
Quand sur toi leur scie a grincé,
Les tailleurs de pierre ont blessé
Quelque Vénus dormant encore,
Et la pourpre qui te colore
Te vient du sang qu'elle a versé.

Est-il donc vrai que toute chose
Puisse être ainsi foulée aux pieds,
Le rocher où l'aigle se pose,
Comme la feuille de la rose
Qui tombe et meurt dans nos sentiers ?
Est-ce que la commune mère,
Une fois son oeuvre accompli,
Au hasard livre la matière,
Comme la pensée à l'oubli ?
Est-ce que la tourmente amère
Jette la perle au lapidaire
Pour qu'il l'écrase sans façon ?
Est-ce que l'absurde vulgaire
Peut tout déshonorer sur terre
Au gré d'un cuistre ou d'un maçon ?
Just Me May 2016
She hates me, because Im broken.

The picture she sees is distorted, and spot on point.

The fear in my eyes is only weakness and the rage in my veines is so hot she can feel it.

She knows me all to well and she hates me.

My bursts of drama makes her sick, and in her eyes I almost don't exist.

All my flaws and and even my good deeds, she thinks, wishing I wasn't me.

She sees my shadow in the halls, and my figure in my room.

Her heart's so warm, it could easily break.

Like my heart... Its her best trait and weakness.

She looks at me from the corner of her eye and feels disgust.

She hates me.

Im like the mirror in the lake, when its disturbed there's no view.

She sees my medication, and how it only sometimes works.

Now the fear she feels is for her alone.

My beauty, my shell, my insides like liquid....

She hates me.

She makes me strong and breaks me down, without trying.

She makes me sad and proud.

She fills my heart.

Through her my blood flows far to freely, and she denies me.

She is beautiful inside and out, but I may have broken her by being broken.

I live in fear, but pray all my strength has been passed to her.

She hates me and its ok.

I hate me.
The only regret is she's to much like me.
Aux branches claires des tilleuls
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent parmi les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s'enchevêtrer les vignes.
Le ciel est joli comme un ange.
L'azur et l'onde communient.
Je sors. Si un rayon me blesse
Je succomberai sur la mousse.

Qu'on patiente et qu'on s'ennuie
C'est trop simple. Fi de mes peines.
Je veux que l'été dramatique
Me lie à son char de fortunes
Que par toi beaucoup, ô Nature,
- Ah moins seul et moins nul ! - je meure.
Au lieu que les Bergers, c'est drôle,
Meurent à peu près par le monde.

Je veux bien que les saisons m'usent.
A toi, Nature, je me rends ;
Et ma faim et toute ma soif.
Et, s'il te plaît, nourris, abreuve.
Rien de rien ne m'illusionne ;
C'est rire aux parents, qu'au soleil,
Mais moi je ne veux rire à rien ;
Et libre soit cette infortune.
Mon coeur est en feu
Je suis à vif
L'élan me prends
Me dépose ailleurs
Je ne suis qu'un arbre sans écorce
La sève s'écoule de mes veines
Et je te regarde t'en aller
Mon père, fils de lièvre de métal et de coq de bois,
Est né sous l 'obédience du porc d'eau,.
Ma mère, fille de lièvre d'eau et et de chien de métal,
Sous celle de la chèvre de métal.
Je naquis sous le dragon d'eau un jeudi,
Chaotique et sauvage, à quatorze heures vingt-cinq
A la longitude soixante et un virgule sept ouest,
Quatre mille et six cent quarante neuf ans après le roi Jaune
Puer aeternus, dragon noir, tout feu tout flamme
Dominante intuition et adjuvant pensée !
Compatibilité optimale : serpent et rat !
Le sang qui court dans mes veines
C'est la Rivière Noire, le fleuve Amour
Je suis frère cosmique du Dragon Jaune,
Du Dragon Perle et du Grand dragon.
Et Dragon d'Eau je conçus avec un cheval de bois
Une chèvre de terre.
Vint ensuite un serpent d'eau
Qui engendra un lièvre de feu
suivi d'un serpent de terre.
Puis ce fut le tour d'un buffle de métal
Dont j'héritai d'un buffle de feu
Suivi d'un lièvre de terre.
Ma chère et tendre est un serpent d'eau.
Et si je remonte plus **** encore
Si je me replonge dans ma généalogie zoologique et élémentaire
Mes arrière-grands-pères paternels étaient chien d'eau et serpent de feu
Mes arrière-grands-pères maternels étaient lièvre de terre et cheval de métal
Mes arrière-grands-mères paternelles étaient rat de bois et cheval de terre
Mes arrière-grands-mères maternelles étaient lièvre de terre et cheval d'eau.

Je vous épargne les arrière-arrière
Et les trois fois arrière
De cette généalogie astrologique
Mais ne trouvez-vous pas étrange
Que je sois le seul dragon d'eau de cette lignée
Et que par exemple aucun tigre d'eau ni de papier ni de rhum n'y figure ?
Que j'aime à voir, dans la vallée
Désolée,
Se lever comme un mausolée
Les quatre ailes d'un noir moutier !
Que j'aime à voir, près de l'austère
Monastère,
Au seuil du baron feudataire,
La croix blanche et le bénitier !

Vous, des antiques Pyrénées
Les aînées,
Vieilles églises décharnées,
Maigres et tristes monuments,
Vous que le temps n'a pu dissoudre,
Ni la foudre,
De quelques grands monts mis en poudre
N'êtes-vous pas les ossements ?

J'aime vos tours à tête grise,
Où se brise
L'éclair qui passe avec la brise,
J'aime vos profonds escaliers
Qui, tournoyant dans les entrailles
Des murailles,
À l'hymne éclatant des ouailles
Font répondre tous les piliers !

Oh ! lorsque l'ouragan qui gagne
La campagne,
Prend par les cheveux la montagne,
Que le temps d'automne jaunit,
Que j'aime, dans le bois qui crie
Et se plie,
Les vieux clochers de l'abbaye,
Comme deux arbres de granit !

Que j'aime à voir, dans les vesprées
Empourprées,
Jaillir en veines diaprées
Les rosaces d'or des couvents !
Oh ! que j'aime, aux voûtes gothiques
Des portiques,
Les vieux saints de pierre athlétiques
Priant tout bas pour les vivants !
Enfant aux airs d'impératrice,
Colombe aux regards de faucon,
Tu me hais, mais c'est mon caprice,
De me planter sous ton balcon.

Là, je veux, le pied sur la borne,
Pinçant les nerfs, tapant le bois,
Faire luire à ton carreau morne
Ta lampe et ton front à la fois.

Je défends à toute guitare
De bourdonner aux alentours.
Ta rue est à moi : - je la barre
Pour y chanter seul mes amours,

Et je coupe les deux oreilles
Au premier racleur de jambon
Qui devant la chambre où tu veilles
Braille un couplet mauvais ou bon.

Dans sa gaine mon couteau bouge ;
Allons, qui veut de l'incarnat ?
A son jabot qui veut du rouge
Pour faire un bouton de grenat ?

Le sang dans les veines s'ennuie,
Car il est fait pour se montrer ;
Le temps est noir, gare la pluie !
Poltrons, hâtez-vous de rentrer.

Sortez, vaillants ! sortez, bravaches !
L'avant-bras couvert du manteau,
Que sur vos faces de gavaches
J'écrive des croix au couteau !

Qu'ils s'avancent ! seuls ou par bande,
De pied ferme je les attends.
A ta gloire il faut que je fende
Les naseaux de ces capitans.

Au ruisseau qui gêne ta marche
Et pourrait salir tes pieds blancs,
Corps du Christ ! je veux faire une arche
Avec les côtes des galants.

Pour te prouver combien je t'aime,
Dis, je tuerai qui tu voudras :
J'attaquerai Satan lui-même,
Si pour linceul j'ai tes deux draps.

Porte sourde ! - Fenêtre aveugle !
Tu dois pourtant ouïr ma voix ;
Comme un taureau blessé je beugle,
Des chiens excitant les abois !

Au moins plante un clou dans ta porte :
Un clou pour accrocher mon coeur.
A quoi sert que je le remporte
Fou de rage, mort de langueur ?
Jésu Jackna Feb 2020
Un amant ailé

Soleil éthéré d’été
Laissez-moi être ton Icare
Même si je tombe sur la mer
Blessez mes faibles ailes
Brûlez mes yeux du cristal
Pour avoir du plaisir de vous regarder
Seulement une fois dans l’aube

Tomber amoureux, ce n’est pas un canular
Mais comment peux-je dire si vous me trompez ou pas ?
Serez-vous capable de me susurrer des illusions ?
Serais-je capable d’être le guignol de tes mains ?




Larmes d’or
Dessous kilos du sel
Personne n’écoute le son des souffrances invisibles
Néanmoins, comment pourrais-je demeurer dans vos oreilles ?  
Quand l’air, c’est l’eau
Et quand mes veines ont des poissons,
Toujours cannibales,
En nageant dans le liquide sanglant.

Serra ici le vide n’est plus un chose à craindre ?
Serra l’amour qui donne l’heure obscure ?
Alors, on paralysera et tombera sur un dimensionnelle lagune ?
Sans savoir où ou qui je serais
Malgré une existence n’est pas une réalité
Sans vous, les flammes, dans mon cœur avare
Donne-moy tes presens en ces jours que la brume
Fait les plus courts de l'an, ou, de ton rameau teint
Dans le ruisseau d'oubly, dessus mon front espreint,
Endors mes pauvres yeux, mes gouttes et mon rhume.

Misericorde, ô Dieu ! ô Dieu, ne me consume
A faute de dormir ! plustost sois-je contreint
De me voir par la peste ou par la fiévre esteint,
Qui mon sang desseiché dans mes veines allume.

Heureux, cent fois heureux, animaux qui dormez
Demy an en vos trous, sous la terre enfermez,
Sans manger du pavot qui tous les sens assomme.

J'en ay mangé, j'ay beu de son just oublieux,
En salade, cuit, cru et toutesfois le somme
Ne vient par sa froideur s'asseoir dessus mes yeux.
À M. Louis Boulanger.

Away ! - Away ! -
(En avant ! En avant !)
BYRON, Mazeppa.


I.

Ainsi, quand Mazeppa, qui rugit et qui pleure,
A vu ses bras, ses pieds, ses flancs qu'un sabre effleure,
Tous ses membres liés
Sur un fougueux cheval, nourri d'herbes marines,
Qui fume, et fait jaillir le feu de ses narines
Et le feu de ses pieds ;

Quand il s'est dans ses nœuds roulé comme un reptile,
Qu'il a bien réjoui de sa rage inutile
Ses bourreaux tout joyeux,
Et qu'il retombe enfin sur la croupe farouche,
La sueur sur le front, l'écume dans la bouche,
Et du sang dans les yeux,

Un cri part ; et soudain voilà que par la plaine
Et l'homme et le cheval, emportés, hors d'haleine,
Sur les sables mouvants,
Seuls, emplissant de bruit un tourbillon de poudre
Pareil au nuage noir où serpente la foudre,
Volent avec les vents !

Ils vont. Dans les vallons comme un orage ils passent,
Comme ces ouragans qui dans les monts s'entassent,
Comme un globe de feu ;
Puis déjà ne sont plus qu'un point noir dans la brume,
Puis s'effacent dans l'air comme un flocon d'écume
Au vaste océan bleu.

Ils vont. L'espace est grand. Dans le désert immense,
Dans l'horizon sans fin qui toujours recommence,
Ils se plongent tous deux.
Leur course comme un vol les emporte, et grands chênes,
Villes et tours, monts noirs liés en longues chaînes,
Tout chancelle autour d'eux.

Et si l'infortuné, dont la tête se brise,
Se débat, le cheval, qui devance la brise,
D'un bond plus effrayé,
S'enfonce au désert vaste, aride, infranchissable,
Qui devant eux s'étend, avec ses plis de sable,
Comme un manteau rayé.

Tout vacille et se peint de couleurs inconnues :
Il voit courir les bois, courir les larges nues,
Le vieux donjon détruit,
Les monts dont un rayon baigne les intervalles ;
Il voit ; et des troupeaux de fumantes cavales
Le suivent à grand bruit !

Et le ciel, où déjà les pas du soir s'allongent,
Avec ses océans de nuages où plongent
Des nuages encor,
Et son soleil qui fend leurs vagues de sa proue,
Sur son front ébloui tourne comme une roue
De marbre aux veines d'or !

Son oeil s'égare et luit, sa chevelure traîne,
Sa tête pend ; son sang rougit la jaune arène,
Les buissons épineux ;
Sur ses membres gonflés la corde se replie,
Et comme un long serpent resserre et multiplie
Sa morsure et ses nœuds.

Le cheval, qui ne sent ni le mors ni la selle,
Toujours fuit, et toujours son sang coule et ruisselle,
Sa chair tombe en lambeaux ;
Hélas ! voici déjà qu'aux cavales ardentes
Qui le suivaient, dressant leurs crinières pendantes,
Succèdent les corbeaux !

Les corbeaux, le grand-duc à l'oeil rond, qui s'effraie,
L'aigle effaré des champs de bataille, et l'orfraie,
Monstre au jour inconnu,
Les obliques hiboux, et le grand vautour fauve
Qui fouille au flanc des morts où son col rouge et chauve
Plonge comme un bras nu !

Tous viennent élargir la funèbre volée ;
Tous quittent pour le suivre et l'yeuse isolée,
Et les nids du manoir.
Lui, sanglant, éperdu, sourd à leurs cris de joie,
Demande en les voyant qui donc là-haut déploie
Ce grand éventail noir.

La nuit descend lugubre, et sans robe étoilée.
L'essaim s'acharne, et suit, tel qu'une meute ailée,
Le voyageur fumant.
Entre le ciel et lui, comme un tourbillon sombre
Il les voit, puis les perd, et les entend dans l'ombre
Voler confusément.

Enfin, après trois jours d'une course insensée,
Après avoir franchi fleuves à l'eau glacée,
Steppes, forêts, déserts,
Le cheval tombe aux cris de mille oiseaux de proie,
Et son ongle de fer sur la pierre qu'il broie
Éteint ses quatre éclairs.

Voilà l'infortuné, gisant, nu, misérable,
Tout tacheté de sang, plus rouge que l'érable
Dans la saison des fleurs.
Le nuage d'oiseaux sur lui tourne et s'arrête ;
Maint bec ardent aspire à ronger dans sa tête
Ses yeux brûlés de pleurs.

Eh bien ! ce condamné qui hurle et qui se traîne,
Ce cadavre vivant, les tribus de l'Ukraine
Le feront prince un jour.
Un jour, semant les champs de morts sans sépultures,
Il dédommagera par de larges pâtures
L'orfraie et le vautour.

Sa sauvage grandeur naîtra de son supplice.
Un jour, des vieux hetmans il ceindra la pelisse,
Grand à l'oeil ébloui ;
Et quand il passera, ces peuples de la tente,
Prosternés, enverront la fanfare éclatante
Bondir autour de lui !

II.

Ainsi, lorsqu'un mortel, sur qui son dieu s'étale,
S'est vu lier vivant sur ta croupe fatale,
Génie, ardent coursier,
En vain il lutte, hélas ! tu bondis, tu l'emportes
Hors du monde réel dont tu brises les portes
Avec tes pieds d'acier !

Tu franchis avec lui déserts, cimes chenues
Des vieux monts, et les mers, et, par delà les nues,
De sombres régions ;
Et mille impurs esprits que ta course réveille
Autour du voyageur, insolente merveille,
Pressent leurs légions !

Il traverse d'un vol, sur tes ailes de flamme,
Tous les champs du possible, et les mondes de l'âme ;
Boit au fleuve éternel ;
Dans la nuit orageuse ou la nuit étoilée,
Sa chevelure, aux crins des comètes mêlée,
Flamboie au front du ciel.

Les six lunes d'Herschel, l'anneau du vieux Saturne,
Le pôle, arrondissant une aurore nocturne
Sur son front boréal,
Il voit tout ; et pour lui ton vol, que rien ne lasse,
De ce monde sans borne à chaque instant déplace
L'horizon idéal.

Qui peut savoir, hormis les démons et les anges,
Ce qu'il souffre à te suivre, et quels éclairs étranges
À ses yeux reluiront,
Comme il sera brûlé d'ardentes étincelles,
Hélas ! et dans la nuit combien de froides ailes
Viendront battre son front ?

Il crie épouvanté, tu poursuis implacable.
Pâle, épuisé, béant, sous ton vol qui l'accable
Il ploie avec effroi ;
Chaque pas que tu fais semble creuser sa tombe.
Enfin le terme arrive... il court, il vole, il tombe,
Et se relève roi !

Mai 1828.
Aimez vos mains afin qu'un jour vos mains soient belles,
Il n'est pas de parfum trop précieux pour elles,
Soignez-les. Taillez bien les ongles douloureux,
Il n'est pas d'instruments trop délicats pour eux.

C'est Dieu qui fit les mains fécondes en merveilles ;
Elles ont pris leur neige au lys des Séraphins,
Au jardin de la chair ce sont deux fleurs pareilles,
Et le sang de la rose est sous leurs ongles fins.

Il circule un printemps mystique dans les veines
Où court la violette, où le bluet sourit ;
Aux lignes de la paume ont dormi les verveines ;
Les mains disent aux yeux les secrets de l'esprit.

Les peintres les plus grands furent amoureux d'elles,
Et les peintres des mains sont les peintres modèles.

Comme deux cygnes blancs l'un vers l'autre nageant,
Deux voiles sur la mer fondant leurs pâleurs mates,
Livrez vos mains à l'eau dans les bassins d'argent,
Préparez-leur le linge avec les aromates.

Les mains sont l'homme, ainsi que les ailes l'oiseau ;
Les mains chez les méchants sont des terres arides ;
Celles de l'humble vieille, où tourne un blond fuseau,
Font lire une sagesse écrite dans leurs rides.

Les mains des laboureurs, les mains des matelots
Montrent le hâle d'or des Cieux sous leur peau brune.
L'aile des goélands garde l'odeur des flots,
Et les mains de la Vierge un baiser de la lune.

Les plus belles parfois font le plus noir métier,
Les plus saintes étaient les mains d'un charpentier.

Les mains sont vos enfants et sont deux sœurs jumelles,
Les dix doigts sont leurs fils également bénis ;
Veillez bien sur leurs jeux, sur leurs moindres querelles,
Sur toute leur conduite aux détails infinis.

Les doigts font les filets et d'eux sortent les villes ;
Les doigts ont révélé la lyre aux temps anciens ;
Ils travaillent, pliés aux tâches les plus viles,
Ce sont des ouvriers et des musiciens.

Lâchés dans la forêt des orgues le dimanche,
Les doigts sont des oiseaux, et c'est au bout des doigts
Que, rappelant le vol des geais de branche en branche,
Rit l'essaim familier des Signes de la Croix.

Le pouce dur, avec sa taille courte et grasse,
A la force ; il a l'air d'Hercule triomphant ;
Le plus faible de tous, le plus doux a la grâce,
Et c'est le petit doigt qui sut rester enfant.

Servez vos mains, ce sont vos servantes fidèles ;
Donnez à leur repos un lit tout en dentelles.
Ce sont vos mains qui font la caresse ici-bas ;
Croyez qu'elles sont sœurs des lys et sœurs des ailes :
Ne les méprisez pas, ne les négligez pas,
Et laissez-les fleurir comme des asphodèles.

Portez à Dieu le doux trésor de vos parfums,
Le soir, à la prière éclose sur les lèvres,
Ô mains, et joignez-vous pour les pauvres défunts,
Pour que Dieu dans les mains rafraîchisse nos fièvres,

Pour que le mois des fruits vous charge de ses dons :
Mains, ouvrez-vous toujours sur un nid de pardons.

Et vous dites, - ô vous, qui, détestant les armes,
Mirez votre tristesse au fleuve de nos larmes,
Vieillard dont les cheveux vont tout blancs vers le jour,
Jeune homme aux yeux divins où se lève l'amour,
Douce femme mêlant ta rêverie aux anges,

Le cœur gonflé parfois au fond des soirs étranges,
Sans songer qu'en vos mains fleurit la volonté -
Tous, vous dites : « Où donc est-il, en vérité,
Le remède, ô Seigneur, car nos maux sont extrêmes ? »

- Mais il est dans vos mains, mais il est vos mains mêmes.
Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s'éprennent.

Je me suis dit : laisse,
Et qu'on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t'arrête,
Auguste retraite.

J'ai tant fait patience
Qu'à jamais j'oublie ;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.

Ainsi la prairie
A l'oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D'encens et d'ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.

Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n'a que l'image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l'on prie
La Vierge Marie ?

Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s'éprennent !
D'hommes tu nous fais dieux.
RÉGNIER.


Oh ! que ne suis-je un de ces hommes
Qui, géants d'un siècle effacé,
Jusque dans le siècle où nous sommes
Règnent du fond de leur passé !
Que ne suis-je, prince ou poète,
De ces mortels à haute tête,
D'un monde à la fois base et faîte,
Que leur temps ne peut contenir ;
Qui, dans le calme ou dans l'orage,
Qu'on les adore ou les outrage,
Devançant le pas de leur âge,
Marchent un pied dans l'avenir !

Que ne suis-je une de ces flammes,
Un de ces pôles glorieux,
Vers qui penchent toutes les âmes,
Sur qui se fixent tous les yeux !
De ces hommes dont les statues,
Du flot des temps toujours battues,
D'un tel signe sont revêtues
Que, si le hasard les abat,
S'il les détrône de leur sphère,
Du bronze auguste on ne peut faire
Que des cloches pour la prière
Ou des canons pour le combat !

Que n'ai-je un de ces fronts sublimes,
David ! Mon corps, fait pour souffrir,
Du moins sous tes mains magnanimes
Renaîtrait pour ne plus mourir !
Du haut du temple ou du théâtre,
Colosse de bronze ou d'albâtre,
Salué d'un peuple idolâtre,
Je surgirais sur la cité,
Comme un géant en sentinelle,
Couvrant la ville de mon aile,
Dans quelque attitude éternelle
De génie et de majesté !

Car c'est toi, lorsqu'un héros tombe,
Qui le relèves souverain !
Toi qui le scelles sur sa tombe
Qu'il foule avec des pieds d'airain !
Rival de Rome et de Ferrare,
Tu pétris pour le mortel rare
Ou le marbre froid de Carrare,
Ou le métal qui fume et bout.
Le grand homme au tombeau s'apaise
Quand ta main, à qui rien ne pèse,
Hors du bloc ou de la fournaise
Le jette vivant et debout !

Sans toi peut-être sa mémoire
Pâlirait d'un oubli fatal ;
Mais c'est toi qui sculptes sa gloire
Visible sur un piédestal.
Ce fanal, perdu pour le monde,
Feu rampant dans la nuit profonde,
S'éteindrait, sans montrer sur l'onde
Ni les écueils ni le chemin.
C'est ton souffle qui le ranime ;
C'est toi qui, sur le sombre abîme,
Dresses le colosse sublime
Qui prend le phare dans sa main.

Lorsqu'à tes yeux une pensée
Sous les traits d'un grand homme a lui,
Tu la fais marbre, elle est fixée,
Et les peuples disent : C'est lui !
Mais avant d'être pour la foule,
Longtemps dans ta tête elle roule
Comme une flamboyante houle
Au fond du volcan souterrain ;
**** du grand jour qui la réclame
Tu las fais bouillir dans ton âme :
Ainsi de ses langues de flamme
Le feu saisit l'urne d'airain.

Va ! que nos villes soient remplies
De tes colosses radieux !
Qu'à jamais tu te multiplies
Dans un peuple de demi-dieux !
Fais de nos cités des Corinthes !
Oh ! ta pensée a des étreintes
Dont l'airain garde les empreintes,
Dont le granit s'enorgueillit !
Honneur au sol que ton pied foule !
Un métal dans tes veines coule ;
Ta tête ardente est un grand moule
D'où l'idée en bronze jaillit !

Bonaparte eût voulu renaître
De marbre et géant sous ta main ;
Cromwell, son aïeul et son maître,
T'eût livré son front surhumain ;
Ton bras eût sculpté pour l'Espagne
Charles-Quint ; pour nous, Charlemagne,
Un pied sur l'hydre d'Allemagne,
L'autre sur Rome aux sept coteaux ;
Au sépulcre prêt à descendre,
César t'eût confié sa cendre,
Et c'est toi qu'eût pris Alexandre
Pour lui tailler le mont Athos !

Juillet 1829.
Donne moy tes presens en ces jours que la Brume
Fait les plus courts de l'an, ou de ton rameau teint
Dans le ruisseau d'Oubly dessus mon front espreint,
Endor mes pauvres yeux, mes gouttes et mon rhume.


Misericorde ô Dieu, ô Dieu ne me consume
A faulte de dormir, plustost sois-je contreint
De me voir par la peste ou par la fievre esteint,
Qui mon sang deseché dans mes veines allume.


Heureux, cent fois heureux animaux qui dormez
Demy an en voz trous, soubs la terre enfermez,
Sans manger du pavot qui tous les sens assomme :


J'en ay mangé, j'ay beu de son just oublieux
En salade cuit, cru, et toutesfois le somme
Ne vient par sa froideur s'asseoir dessus mes yeux.
Kate Winchester Sep 2014
I'm  breathing the fresh air of the cool night.
I can feel my black eyes glowing in the dark.
My heart is beating my beat and my blood is rushing through my veines.

In those moments I can feel the darkness inside of me.
In those moments I am the darkness
Ainsi, quand l'aigle du tonnerre
Enlevait Ganymède aux cieux,
L'enfant, s'attachant à la terre,
Luttait contre l'oiseau des dieux ;
Mais entre ses serres rapides
L'aigle pressant ses flancs timides,
L'arrachait aux champs paternels ;
Et, sourd à la voix qui l'implore,
Il le jetait, tremblant encore,
Jusques aux pieds des immortels.

Ainsi quand tu fonds sur mon âme,
Enthousiasme, aigle vainqueur,
Au bruit de tes ailes de flamme
Je frémis d'une sainte horreur ;
Je me débats sous ta puissance,
Je fuis, je crains que ta présence
N'anéantisse un coeur mortel,
Comme un feu que la foudre allume,
Qui ne s'éteint plus, et consume
Le bûcher, le temple et l'autel.

Mais à l'essor de la pensée
L'instinct des sens s'oppose en vain ;
Sous le dieu, mon âme oppressée
Bondit, s'élance, et bat mon sein.
La foudre en mes veines circule
Etonné du feu qui me brûle.
Je l'irrite en le combattant,
Et la lave de mon génie
Déborde en torrents d'harmonie,
Et me consume en s'échappant.

Muse, contemple ta victime !
Ce n'est plus ce front inspiré,
Ce n'est plus ce regard sublime
Qui lançait un rayon sacré :
Sous ta dévorante influence,
A peine un reste d'existence
A ma jeunesse est échappé.
Mon front, que la pâleur efface,
Ne conserve plus que la trace
De la foudre qui m'a frappé.

Heureux le poète insensible !
Son luth n'est point baigné de pleurs,
Son enthousiasme paisible
N'a point ces tragiques fureurs.
De sa veine féconde et pure
Coulent, avec nombre et mesure,
Des ruisseaux de lait et de miel ;
Et ce pusillanime Icare,
Trahi par l'aile de Pindare,
Ne retombe jamais du ciel.

Mais nous, pour embraser les âmes,
Il faut brûler, il faut ravir
Au ciel jaloux ses triples flammes.
Pour tout peindre, il faut tout sentir.
Foyers brûlants de la lumière,
Nos coeurs de la nature entière
Doivent concentrer les rayons ;
Et l'on accuse notre vie !
Mais ce flambeau qu'on nous envie
S'allume au feu des passions.

Non, jamais un sein pacifique
N'enfanta ces divins élans,
Ni ce désordre sympathique
Qui soumet le monde à nos chants.
Non, non, quand l'Apollon d'Homère
Pour lancer ses traits sur la terre,
Descendait des sommets d'Eryx,
Volant aux rives infernales,
Il trempait ses armes fatales
Dans les eaux bouillantes du Styx.

Descendez de l'auguste cime
Qu'indignent de lâches transports !
Ce n'est que d'un luth magnanime
Que partent les divins accords.
Le coeur des enfants de la lyre
Ressemble au marbre qui soupire
Sur le sépulcre de Memnon ;
Pour lui donner la voix et l'âme,
Il faut que de sa chaste flamme
L'oeil du jour lui lance un rayon.

Et tu veux qu'éveillant encore
Des feux sous la cendre couverts
Mon reste d'âme s'évapore
En accents perdus dans les airs !
La gloire est le rêve d'une ombre ;
Elle a trop retranché le nombre
Des jours qu'elle devait charmer.
Tu veux que je lui sacrifie
Ce dernier souffle de ma vie !
Je veux le garder pour aimer !
Gorba Feb 2020
Cette sensation de plénitude,
Cette sensation qui je l’espère deviendra une habitude,
Tout en restant inconnue à la routine,
Qui pourrait en écorcher la saveur exquise,
Je l’ai déjà ressentie sous la brise et l’humeur florentine,
Plusieurs fois, n’est pas inéluctablement synonyme de partie remise,
Une sensation divine, cette fois s’est emparée de moi,
Une expression divine émanant d’une déesse en qui désormais je crois,
La paume de nos mains, hier, nous a révélé ses secrets,
Ce n’était rien par rapport à tes incommensurables attraits,
Je m’allongerai plus **** en imaginant la prochaine fois,
Rêve ou réalité, peu importe au final,
L’ivresse et l’allégresse, souvent s’accompagnent de ce suc royal,
Qui, ruisselant dans nos veines fait glisser les parois
De nos inhibitions qui nous enferment et nous mettent à l’étroit.
Cette sensation de plénitude que j’ai ressentie avec toi,
J’ai besoin de la revivre pour conforter cette pensée,
Cette expression si futile « jamais deux sans trois »,
Pour une fois, suscite en moi un désir que je ne saurais réprimer.
Voici en quelques mots ce que j’ai ressenti,
Ces quelques lignes pour exprimer mon avis.
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d'amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !

Et tout croît, et tout monte !

- Ô Vénus, ô Déesse !
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux
Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ;
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante ;
Où les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante,
La terre berçant l'homme, et tout l'Océan bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu !
Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cités ;
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
- Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux.

Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes.
Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l'Homme est Roi,
L'Homme est Dieu ! Mais l'Amour, voilà la grande Foi !
Oh ! si l'homme puisait encore à ta mamelle,
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ;
S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose où vint neiger l'écume,
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs !

II

Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère,
Aphrodite marine ! - Oh ! la route est amère
Depuis que l'autre Dieu nous attelle à sa croix ;
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois !
- Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste.
Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son cors Olympien aux servitudes sales !
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles
Il veut vivre, insultant la première beauté !
- Et l'Idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'Homme pût éclairer sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre à la beauté du jour,
La Femme ne sait plus même être courtisane !
- C'est une bonne farce ! et le monde ricane
Au nom doux et sacré de la grande Vénus !

III

Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !
- Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles,
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L'Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout ; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
- Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser !

- Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser.

Ô ! L'Homme a relevé sa tête libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté première
Fait palpiter le dieu dans l'autel de la chair !
Heureux du bien présent, pâle du mal souffert,
L'Homme veut tout sonder, - et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S'élance de son front ! Elle saura Pourquoi !...
Qu'elle bondisse libre, et l'Homme aura la Foi !
- Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable ?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable ?
Si l'on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ?
Et tous ces mondes-là, que l'éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une éternelle voix ?
- Et l'Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?...

Nous ne pouvons savoir ! - Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !
Nous voulons regarder : - le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile...
- Et l'horizon s'enfuit d'une fuite éternelle !...

Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature !
Il chante... et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !...
- C'est la Rédemption ! c'est l'amour ! c'est l'amour !...

IV

Ô splendeur de la chair ! ô splendeur idéale !
Ô renouveau d'amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros,
Kallipyge la blanche et le petit Éros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !
- Ô grande Ariadné, qui jettes tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thésée,
Ô douce vierge enfant qu'une nuit a brisée,
Tais-toi ! Sur son char d'or brodé de noirs raisins,
Lysios, promené dans les champs Phrygiens  
Par les tigres lascifs et les panthères rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
- Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant
Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague.
Il tourne lentement vers elle son oeil vague ;
Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur,
Au front de Zeus ; ses yeux sont fermés ; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son écume d'or fleurit sa chevelure.
- Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur
Embrassant la Léda des blancheurs de son aile ;
- Et tandis que Cypris passe, étrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Étale fièrement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brodé de mousse noire,
- Héraclès, le Dompteur, qui, comme d'une gloire,
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, à l'horizon !

Par la lune d'été vaguement éclairée,
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairière sombre où la mousse s'étoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux...
- La blanche Séléné laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pâle rayon...
- La Source pleure au **** dans une longue extase...
C'est la Nymphe qui rêve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé.
- Une brise d'amour dans la nuit a passé,
Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
- Les Dieux écoutent l'Homme et le Monde infini !

Le 29 avril 1870.
Sois de bronze et de marbre et surtout sois de chair

Certes, prise l'orgueil nécessaire plus cher,

Pour ton combat avec les contingences vaines ;

Que les poils de ta barbe ou le sang de tes veines ;

Mais vis, vis pour souffrir, souffre pour expier,

Expie et va-t'en vivre et puis reviens prier,

Prier pour le courage et la persévérance

De vivre dans ce siècle, hélas ! et cette France,

Siècle et France ignorants et tristement railleurs.

(Mais le règne est plus haut et la patrie ailleurs

Et la solution est autre du problème.)

Sois de chair et même aime cette chair, la même

Que celle de Jésus sur terre et dans les cieux,

Et dans le Très Saint-Sacrement si précieux

Qu'il n'est de comparable à sa valeur que celle

De ta chair vénérable en sa moindre parcelle

Et dans le moindre grain de l'Hostie à l'autel ;

Car ce mystère, l'Incarnation, est tel,

Par l'exégèse autour comme par sa nature ;

Qu'il fait égale au Créateur la créature,

Cependant que, par un miracle encor plus grand,

L'Eucharistie, elle, les confond et les rend

Identiques. Or cette chair expiatoire.

Fais-t'en une arme douloureuse de victoire

Sur l'orgueil que Satan peut d'elle t'inspirer

Pour l'orgueil qu'à jamais tu peux considérer

Comme le prix suprême et le but enviable.

Tout le reste n'est rien que malice du diable !

Alors, oui, sois de bronze impassible, revêts

L'armure inaccessible à braver le Mauvais,

Pudeur, Calme, Respect, Silence et Vigilance.

Puis sois de marbre, et pur, sous le heaume qui lance

Par ses trous le regard de tes yeux assurés,

Marche à pas révérents sur les parvis sacrés.
La face de la bête est terrible ; on y sent
L'Ignoré, l'éternel problème éblouissant
Et ténébreux, que l'homme appelle la Nature ;
On a devant soi l'ombre informe, l'aventure
Et le joug, l'esclavage et la rébellion,
Quand on voit le visage effrayant du lion ;
Le monstre orageux, rauque, effréné, n'est pas libre,
Ô stupeur ! et quel est cet étrange équilibre
Composé de splendeur et d'horreur, l'univers,
Où règne un Jéhovah dont Satan est l'envers ;
Où les astres, essaim lumineux et livide,
Semblent pris dans un bagne, et fuyant dans le vide,
Et jetés au hasard comme on jette les dés,
Et toujours à la chaîne et toujours évadés ?
Quelle est cette merveille effroyable et divine
Où, dans l'éden qu'on voit, c'est l'enfer qu'on devine,
Où s'éclipse, ô terreur, espoirs évanouis,
L'infini des soleils sous l'infini des nuits,
Où, dans la brute, Dieu disparaît et s'efface ?
Quand ils ont devant eux le monstre face à face,
Les mages, les songeurs vertigineux des bois,
Les prophètes blêmis à qui parlent des voix,
Sentent on ne sait quoi d'énorme dans la bête ;
Pour eux l'amer rictus de cette obscure tête,
C'est l'abîme, inquiet d'être trop regardé,
C'est l'éternel secret qui veut être gardé
Et qui ne laisse pas entrer dans ses mystères
La curiosité des pâles solitaires ;
Et ces hommes, à qui l'ombre fait des aveux,
Sentent qu'ici le sphinx s'irrite, et leurs cheveux
Se dressent, et leur sang dans leurs veines se fige
Devant le froncement de sourcil du prodige.
À Louis-Xavier de Ricard.


I


La Vie est triomphante et l'Idéal est mort,

Et voilà que, criant sa joie au vent qui passe,

Le cheval enivré du vainqueur broie et mord

Nos frères, qui du moins tombèrent avec grâce.


Et nous que la déroute a fait survivre, hélas !

Les pieds meurtris, les yeux troubles, la tête lourde,

Saignants, veules, fangeux, déshonorés et las,

Nous allons, étouffant mal une plainte sourde,


Nous allons, au hasard du soir et du chemin,

Comme les meurtriers et comme les infâmes,

Veufs, orphelins, sans toit, ni fils, ni lendemain,

Aux lueurs des forêts familières en flammes !


Ah ! puisque notre sort est bien complet, qu'enfin

L'espoir est aboli, la défaite certaine,

Et que l'effort le plus énorme serait vain,

Et puisque c'en est fait, même de notre haine,


Nous n'avons plus, à l'heure où tombera la nuit,

Abjurant tout risible espoir de funérailles,

Qu'à nous laisser mourir obscurément, sans bruit,

Comme il sied aux vaincus des suprêmes batailles.


II


Une faible lueur palpite à l'horizon

Et le vent glacial qui s'élève redresse

Le feuillage des bois et les fleurs du gazon ;

C'est l'aube ! tout renaît sous sa froide caresse.


De fauve l'Orient devient rose, et l'argent

Des astres va bleuir dans l'azur qui se dore ;

Le coq chante, veilleur exact et diligent ;

L'alouette a volé, stridente : c'est l'aurore !


Éclatant, le soleil surgit : c'est le matin !

Amis, c'est le matin splendide dont la joie

Heurte ainsi notre lourd sommeil, et le festin

Horrible des oiseaux et des bêtes de proie.


Ô prodige ! en nos coeurs le frisson radieux

Met à travers l'éclat subit de nos cuirasses,

Avec un violent désir de mourir mieux,

La colère et l'orgueil anciens des bonnes races.


Allons, debout ! allons, allons ! debout, debout !

Assez comme cela de hontes et de trêves !

Au combat, au combat ! car notre sang qui bout

A besoin de fumer sur la pointe des glaives !


III


Les vaincus se sont dit dans la nuit de leurs geôles :

Ils nous ont enchaînés, mais nous vivons encor.

Tandis que les carcans font ployer nos épaules,

Dans nos veines le sang circule, bon trésor.


Dans nos têtes nos yeux rapides avec ordre

Veillent, fins espions, et derrière nos fronts

Notre cervelle pense, et s'il faut tordre ou mordre,

Nos mâchoires seront dures et nos bras prompts.


Légers, ils n'ont pas vu d'abord la faute immense

Qu'ils faisaient, et ces fous qui s'en repentiront

Nous ont jeté le lâche affront de la clémence.

Bon ! la clémence nous vengera de l'affront.


Ils nous ont enchaînés ! mais les chaînes sont faites

Pour tomber sous la lime obscure et pour frapper

Les gardes qu'on désarme, et les vainqueurs en fêtes

Laissent aux évadés le temps de s'échapper.


Et de nouveau bataille ! Et victoire peut-être,

Mais bataille terrible et triomphe inclément,

Et comme cette fois le Droit sera le maître,

Cette fois-là sera la dernière, vraiment !


IV


Car les morts, en dépit des vieux rêves mystiques,

Sont bien morts, quand le fer a bien fait son devoir

Et les temps ne sont plus des fantômes épiques

Chevauchant des chevaux spectres sous le ciel noir.


La jument de Roland et Roland sont des mythes

Dont le sens nous échappe et réclame un effort

Qui perdrait notre temps, et si vous vous promîtes

D'être épargnés par nous vous vous trompâtes fort.


Vous mourrez de nos mains, sachez-le, si la chance

Est pour nous. Vous mourrez, suppliants, de nos mains.

La justice le veut d'abord, puis la vengeance,

Puis le besoin pressant d'opportuns lendemains.


Et la terre, depuis longtemps aride et maigre,

Pendant longtemps boira joyeuse votre sang

Dont la lourde vapeur savoureusement aigre

Montera vers la nue et rougira son flanc,


Et les chiens et les loups et les oiseaux de proie

Feront vos membres nets et fouilleront vos troncs,

Et nous rirons, sans rien qui trouble notre joie,

Car les morts sont bien morts et nous vous l'apprendrons.
Les courses furent intrépides

(Comme aujourd'hui le repos pèse !)

Par les steamers et les rapides.

(Que me veut cet at home obèse ?)


Nous allions, - vous en souvient-il,

Voyageur où ça disparu ? -

Filant légers dans l'air subtil,

Deux spectres joyeux, on eût cru !


Car les passions satisfaites

Insolemment outre mesure

Mettaient dans nos têtes des fêtes

Et dans nos sens, que tout rassure,


Tout, la jeunesse, l'amitié,

Et nos cœurs, ah ! que dégagés

Des femmes prises en pitié

Et du dernier des préjugés,


Laissant la crainte de l'orgie

Et le scrupule au bon ermite,

Puisque quand la borne est franchie

Ponsard ne veut plus de limite.


Entre autres blâmables excès

Je crois que nous bûmes de tout,

Depuis les plus grands vins français

Jusqu'à ce faro, jusqu'au stout,


En passant par les eaux-de-vie

Qu'on cite comme redoutables,

L'âme au septième ciel ravie,

Le corps, plus humble, sous les tables.


Des paysages, des cités

Posaient pour nos yeux jamais las ;

Nos belles curiosités

Eussent mangé tous les atlas.


Fleuves et monts, bronzes et marbres,

Les couchants d'or, l'aube magique,

L'Angleterre, mère des arbres,

Fille des beffrois, la Belgique,


La mer, terrible et douce au point, -

Brochaient sur le roman très cher

Que ne discontinuait point

Notre âme, - et quid de notre chair ?... -


Le roman de vivre à deux hommes

Mieux que non pas d'époux modèles,

Chacun au tas versant des sommes

De sentiments forts et fidèles.


L'envie aux yeux de basilic

Censurait ce mode d'écot :

Nous dînions du blâme public

Et soupions du même fricot.


La misère aussi faisait rage

Par des fois dans le phalanstère :

On ripostait par le courage,

La joie et les pommes de terre.


Scandaleux sans savoir pourquoi,

(Peut-être que c'était trop beau)

Mais notre couple restait coi

Comme deux bons porte-drapeau,


Coi dans l'orgueil d'être plus libres

Que les plus libres de ce monde,

Sourd aux gros mots de tous calibres,

Inaccessible au rire immonde.


Nous avions laissé sans émoi

Tous impédiments dans Paris,

Lui quelques sots bernés, et moi

Certaine princesse Souris,


Une sotte qui tourna pire...

Puis soudain tomba notre gloire,

Tels, nous, des maréchaux d'empire

Déchus en brigands de la Loire,


Mais déchus volontairement !

C'était une permission,

Pour parler militairement,

Que notre séparation,


Permission sous nos semelles,

Et depuis combien de campagnes !

Pardonnâtes-vous aux femelles ?

Moi j'ai peu revu ces compagnes,


Assez toutefois pour souffrir.

Ah, quel cœur faible que mon cœur !

Mais mieux vaut souffrir que mourir

Et surtout mourir de langueur.


On vous dit mort, vous. Que le Diable

Emporte avec qui la colporte

La nouvelle irrémédiable

Qui vient ainsi battre ma porte !


Je n'y veux rien croire. Mort, vous,

Toi, dieu parmi les demi-dieux !

Ceux qui le disent sont des fous.

Mort, mon grand péché radieux,


Tout ce passé brûlant encore

Dans mes veines et ma cervelle

Et qui rayonne et qui fulgore

Sur ma ferveur toujours nouvelle !


Mort tout ce triomphe inouï

Retentissant sans frein ni fin

Sur l'air jamais évanoui

Que bat mon cœur qui fut divin !


Quoi, le miraculeux poème

Et la toute-philosophie,

Et ma patrie et ma bohème

Morts ? Allons donc ! tu vis ma vie !

— The End —