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Paul d'Aubin Mar 2017
« Des Hommes prophétiques en face de leurs époques face à la souffrance causée par les périodes de réaction et de reflux »

(Relation d’une conférence donnée le 13 janvier 1940 à Toulouse par Silvio Trentin sur le principal Poète romantique Italien Giacomo Leopardi)

Prélude à une commémoration

C'est à la bibliothèque interuniversitaire de l’Université de Toulouse-Capitole alors que je me plongeais avec ferveur dans la lecture des ouvrages sur les « fuorusciti » (appellation donnée aux exilés politiques Italiens) que je découvris un opuscule de 118 pages, issue d'une conférence prononcée à Toulouse, le 13 janvier 1940 devant le « Cercle des intellectuels Républicains espagnols » par Silvio Trentin. Cette conférence fut prononcée avec la gorge nouée, devant un public d'intellectuels espagnols et catalans, la plupart exilés depuis 1939, et quelques-uns de leurs amis toulousains non mobilisés.
L'intense gravité du moment ne les empêchait pas de partager une ferveur commune ce haut moment de culture la culture Européenne intitulée par Silvio Trentin : « D’un poète qui nous permettra de retrouver l'Italie Giacomo Leopardi »
L'émotion fut grande pour moi car cet ouvrage me parut comme le frêle esquif rescapé d'un temps de défaites, de souffrances, rendu perceptible par le crépitement des balles de mitrailleuses, des explosions d’obus s'abattant sur des soldats républicains écrasés par la supériorité des armes et condamnés à la défaite par le mol et lâche abandon des diplomaties. Silvio Trentin avait gravé dans sa mémoire des images récentes qui n'avaient rien à envier aux tableaux grimaçants de nouveaux Goya. Il avait tant vu d'images d'avions larguant leurs bombes sur les populations terrifiées et embraser les charniers de Guernica. Il venait de voir passer les longues files de civils, toujours harassés, souvent blessés, emportant leurs rares biens ainsi que les soldats vaincus mais fiers de «la Retirada ». Il venait de visiter ces soldats dont parmi eux bon nombre de ses amis de combat, parqués sommairement dans des camps d'infortune.
Ces Catalans et Espagnols, qui s'étaient battus jusqu'au bout des privations et des souffrances endurées, étaient comme écrasés par le sentiment d'avoir été laissés presque seuls à lutter contre les fascismes, unis et comme pétrifiés par un destin d'injustice et d'amertume.
Mais ces premiers déchainements impunis d'injustices et de violences avaient comme ouverts la porte aux «trois furies» de la mythologie grecque et une semaine exactement après la conclusion du pacte de non-agression germano-soviétique, signé le 23 août 1939, par Molotov et Ribbentrop, les troupes allemandes se jetaient, dès le 1er septembre, sur la Pologne qu'elles écrasaient sous le nombre des stukas et des chars, en raison ce que le Général de Gaulle nomma ultérieurement « une force mécanique supérieure».
Une armée héroïque, mais bien moins puissante, était défaite. Et il ne nous en reste en guise de témoignage dérisoire que les images du cinéaste Andrei Wajda, nous montrant de jeunes cavaliers munis de lances se rendant au combat, à cheval, à la fin de cet été 1939, images d'une fallacieuse et vénéneuse beauté. Staline rendu avide par ce festin de peuples attaqua la Finlande, un mois après, le 30 septembre 1940, après s'être partagé, avec l'Allemagne hitlérienne, une partie de la Pologne. Depuis lors la « drôle de guerre » semblait en suspension, attendant pétrifiée dans rien faire les actes suivants de la tragédie européenne.

- Qu'est ce qui pouvait amener Silvio Trentin en ces jours de tragédie, à sacrifier à l'exercice d'une conférence donnée sur un poète italien né en 1798, plus d'un siècle avant ce nouvel embrasement de l'Europe qui mourut, si jeune, à trente-neuf ans ?
- Comment se fait-il que le juriste antifasciste exilé et le libraire militant devenu toulousain d'adoption, plus habitué à porter son éloquence reconnue dans les meetings organisés à Toulouse en soutien au Front à s'exprimer devant un cercle prestigieux de lettrés, comme pour magnifier la poésie même parmi ses sœurs et frères d'armes et de malheurs partagés ?
I °) L’opposition de tempéraments de Silvio Trentin et Giacomo Leopardi
L'intérêt porté par Silvio Trentin aux textes de Percy Shelley et au geste héroïco-romantique du poète Lauro de Bosis qui dépeignit dans son dernier texte le choix de sa mort héroïque pourrait nous laisser penser que le choix, en 1940, de Giacomo Leopardi comme sujet de médiation, s'inscrivait aussi dans une filiation romantique. Certes il y a bien entre ces deux personnalités si différentes que sont Giacomo Leopardi et Silvio Trentin une même imprégnation romantique. Le critique littéraire hors pair que fut Sainte-Beuve ne s'y est pourtant pas trompé. Dans l'un des premiers portraits faits en France de Leopardi, en 1844, dans la ***** des deux Mondes, Sainte-Beuve considère comme Leopardi comme un « Ancien » : (...) Brutus comme le dernier des anciens, mais c'est bien lui qui l'est. Il est triste comme un Ancien venu trop **** (...) Leopardi était né pour être positivement un Ancien, un homme de la Grèce héroïque ou de la Rome libre. »
Giacomo Leopardi vit au moment du plein essor du romantisme qui apparaît comme une réaction contre le formalisme de la pâle copie de l'Antique, de la sécheresse de la seule raison et de l'occultation de la sensibilité frémissante de la nature et des êtres. Mais s'il partage pleinement les obsessions des écrivains et poètes contemporains romantiques pour les héros solitaires, les lieux déserts, les femmes inaccessibles et la mort, Leopardi, rejette l'idée du salut par la religion et tout ce qui lui apparaît comme lié à l'esprit de réaction en se plaignant amèrement du caractère étroitement provincial et borné de ce qu'il nomme « l’aborrito e inabitabile Recanati ». En fait, la synthèse de Giacomo Leopardi est bien différente des conceptions d'un moyen âge idéalisé des romantiques. Elle s'efforce de dépasser le simple rationalisme à l'optimisme naïf, mais ne renie jamais l'aspiration aux « Lumières » qui correspond pour lui à sa passion tumultueuse pour les sciences. Il s'efforce, toutefois, comme par deux ponts dressés au travers de l'abime qui séparent les cultures et les passions de siècles si différents, de relier les idéaux des Antiques que sont le courage civique et la vertu avec les feux de la connaissance que viennent d'attiser les encyclopédistes. A cet effort de confluence des vertus des langues antiques et des sciences nouvelles se mêle une recherche constante de la lucidité qui le tient toujours comme oscillant sur les chemins escarpés de désillusions et aussi du rejet des espoirs fallacieux dans de nouvelles espérances d'un salut terrestre.
De même Silvio Trentin, de par sa haute formation juridique et son engagement constant dans les tragédies et péripéties quotidienne du militantisme, est **** du secours de la religion et de toute forme d'idéalisation du passé. Silvio Trentin reste pleinement un homme de progrès et d'idéal socialiste fortement teinté d'esprit libertaire pris à revers par la barbarie d'un siècle qui s'ouvre par la première guerre mondiale et la lutte inexpiable engagée entre la réaction des fascismes contre l'esprit des Lumières.
Mais, au-delà d'un parcours de vie très éloigné et d'un pessimisme historique premier et presque fondateur chez Leopardi qui l'oppose à l'obstination civique et démocratique de Silvio Trentin qui va jusqu'à prôner une utopie sociétale fondée sur l'autonomie, deux sentiments forts et des aspirations communes les font se rejoindre.

II °) Le même partage des désillusions et de la douleur :
Ce qui relie les existences si différentes de Giacomo Leopardi et de Silvio Trentin c'est une même expérience existentielle de la désillusion et de la douleur. Elle plonge ses racines chez Giacomo Leopardi dans une vie tronquée et comme recroquevillée par la maladie et un sentiment d'enfermement. Chez Silvio Trentin, c'est l'expérience historique même de la première moitié du vingtième siècle dont il est un des acteurs engagés qui provoque, non pas la désillusion, mais le constat lucide d'un terrible reflux historique qui culmine jusqu'à la chute de Mussolini et d'Hilter. A partir de retour dans sa patrie, le 4 septembre 1943, Silvio Trentin débute une période de cinq jours de vie intense et fiévreuse emplie de liberté et de bonheur, avant de devoir replonger dans la clandestinité, en raison de la prise de contrôle du Nord et du centre de l'Italie par l'armée allemande et ses alliés fascistes. Bien entendu il n'y a rien de comparable en horreur entre le sentiment d'un reflux des illusions causé par l'échec historique de la Révolution française et de son héritier infidèle l'Empire et le climat de réaction qui suit le congrès de Vienne et la violence implacable qui se déchaine en Europe en réaction à la tragédie de la première mondiale et à la Révolution bolchevique.


III °) Le partage de la souffrance par deux Esprits dissemblables :
Silvio Trentin retrace bien le climat commun des deux périodes : « Son œuvre se situe bien (...) dans cette Europe de la deuxième décade du XIXe siècle qui voit s'éteindre les dernières flammèches de la Grand Révolution et s'écrouler, dans un fracas de ruines, la folle aventure tentée par Bonaparte et se dresser impitoyablement sur son corps, à l'aide des baïonnettes et des potences, les solides piliers que la Sainte Alliance vient d'établir à Vienne. »
C'est donc durant deux périodes de reflux qu'ont vécu Giacomo Leopardi et Silvio Trentin avec pour effet d'entrainer la diffusion d'un grand pessimisme historique surtout parmi celles et ceux dont le tempérament et le métier est de penser et de décrire leur époque. Silvio Trentin a vu démocratie être progressivement étouffée, de 1922 à 1924, puis à partir de 1926, être brutalement écrasée en Italie. En 1933, il assisté à l'accession au gouvernement d'****** et à l'installation rapide d'un pouvoir impitoyable ouvrant des camps de concentration pour ses opposants et mettant en œuvre un antisémitisme d'Etat qui va basculer dans l'horreur. Il a personnellement observé, puis secouru, les républicains espagnols et catalans si peu aidés qu'ils ont fini par ployer sous les armes des dictatures fascistes, lesquelles ne ménagèrent jamais leurs appuis, argent, et armes et à leur allié Franco et à la « vieille Espagne ». Il a dû assurer personnellement la pénible tâche d'honorer ses amis tués, comme l'avocat républicain, Mario Angeloni, le socialiste Fernando de Rosa, son camarade de « Giustizia e Libertà », Libero Battistelli. Il a assisté à l'assassinat en France même de l'économiste Carlo Rosselli qui était son ami et qu'il estimait entre tous.

IV °) Sur le caractère de refuge ultime de la Poésie :
Silvio Trentin laisse percer la sensibilité et l'esprit d'un être sensible face aux inévitables limites des arts et techniques mises au service de l'émancipation humaine. A chaque époque pèsent sur les êtres humains les plus généreux les limites inévitables de toute création bridée par les préjugés, les égoïsmes et les peurs. Alors la poésie vient offrir à celles et ceux qui en souffrent le plus, une consolation et leur offre un univers largement ouvert à la magie créatrice des mots ou il n'est d'autres bornes que celles de la liberté et la créativité. C'est ce qui nous permet de comprendre qu'au temps où l'Espagne brulait et ou l'Europe se préparait à vivre l'une des époques les plus sombres de l'humanité, la fragile cohorte des poètes, tels Rafael Alberti, Juan Ramon Jiménez, Federico Garcia Lorca et Antonio Machado s'engagea comme les ruisseaux vont à la mer, aux côtés des peuples et des classes opprimées. Parmi les plus nobles et les plus valeureux des politiques, ceux qui ne se satisfont pas des effets de tribune ou des honneurs précaires, la poésie leur devient parfois indispensable ainsi que formule Silvio Trentin :
« [...] si la poésie est utile aux peuples libres, [...] elle est, en quelque sorte, indispensable — ainsi que l'oxygène aux êtres que menace l'asphyxie — aux peuples pour qui la liberté est encore un bien à conquérir] « [...] La poésie s'adresse aussi "à ceux parmi les hommes [...] qui ont fait l'expérience cruelle de la déception et de la douleur».
Le 16 03 2017 écrit par Paul Arrighi
Écoutez. Une femme au profil décharné,
Maigre, blême, portant un enfant étonné,
Est là qui se lamente au milieu de la rue.
La foule, pour l'entendre, autour d'elle se rue.
Elle accuse quelqu'un, une autre femme, ou bien
Son mari. Ses enfants ont faim. Elle n'a rien ;
Pas d'argent ; pas de pain ; à peine un lit de paille.
L'homme est au cabaret pendant qu'elle travaille.
Elle pleure, et s'en va. Quand ce spectre a passé,
Ô penseurs, au milieu de ce groupe amassé,
Qui vient de voir le fond d'un cœur qui se déchire,
Qu'entendez-vous toujours ? Un long éclat de rire.

Cette fille au doux front a cru peut-être, un jour,
Avoir droit au bonheur, à la joie, à l'amour.
Mais elle est seule, elle est sans parents, pauvre fille !
Seule ! - n'importe ! elle a du courage, une aiguille,
Elle travaille, et peut gagner dans son réduit,
En travaillant le jour, en travaillant la nuit,
Un peu de pain, un gîte, une jupe de toile.
Le soir, elle regarde en rêvant quelque étoile,
Et chante au bord du toit tant que dure l'été.
Mais l'hiver vient. Il fait bien froid, en vérité,
Dans ce logis mal clos tout en haut de la rampe ;
Les jours sont courts, il faut allumer une lampe ;
L'huile est chère, le bois est cher, le pain est cher.
Ô jeunesse ! printemps ! aube ! en proie à l'hiver !
La faim passe bientôt sa griffe sous la porte,
Décroche un vieux manteau, saisit la montre, emporte
Les meubles, prend enfin quelque humble bague d'or ;
Tout est vendu ! L'enfant travaille et lutte encor ;
Elle est honnête ; mais elle a, quand elle veille,
La misère, démon, qui lui parle à l'oreille.
L'ouvrage manque, hélas ! cela se voit souvent.
Que devenir ! Un jour, ô jour sombre ! elle vend
La pauvre croix d'honneur de son vieux père, et pleure ;
Elle tousse, elle a froid. Il faut donc qu'elle meure !
A dix-sept ans ! grand Dieu ! mais que faire ?... - Voilà
Ce qui fait qu'un matin la douce fille alla
Droit au gouffre, et qu'enfin, à présent, ce qui monte
À son front, ce n'est plus la pudeur, c'est la honte.
Hélas, et maintenant, deuil et pleurs éternels !
C'est fini. Les enfants, ces innocents cruels,
La suivent dans la rue avec des cris de joie.
Malheureuse ! elle traîne une robe de soie,
Elle chante, elle rit... ah ! pauvre âme aux abois !
Et le peuple sévère, avec sa grande voix,
Souffle qui courbe un homme et qui brise une femme,
Lui dit quand elle vient : « C'est toi ? Va-t-en, infâme ! »

Un homme s'est fait riche en vendant à faux poids ;
La loi le fait juré. L'hiver, dans les temps froids ;
Un pauvre a pris un pain pour nourrir sa famille.
Regardez cette salle où le peuple fourmille ;
Ce riche y vient juger ce pauvre. Écoutez bien.
C'est juste, puisque l'un a tout et l'autre rien.
Ce juge, - ce marchand, - fâché de perdre une heure,
Jette un regard distrait sur cet homme qui pleure,
L'envoie au bagne, et part pour sa maison des champs.
Tous s'en vont en disant : « C'est bien ! » bons et méchants ;
Et rien ne reste là qu'un Christ pensif et pâle,
Levant les bras au ciel dans le fond de la salle.

Un homme de génie apparaît. Il est doux,
Il est fort, il est grand ; il est utile à tous ;
Comme l'aube au-dessus de l'océan qui roule,
Il dore d'un rayon tous les fronts de la foule ;
Il luit ; le jour qu'il jette est un jour éclatant ;
Il apporte une idée au siècle qui l'attend ;
Il fait son œuvre ; il veut des choses nécessaires,
Agrandir les esprits, amoindrir les misères ;
Heureux, dans ses travaux dont les cieux sont témoins,
Si l'on pense un peu plus, si l'on souffre un peu moins !
Il vient. - Certe, on le va couronner ! - On le hue !
Scribes, savants, rhéteurs, les salons, la cohue,
Ceux qui n'ignorent rien, ceux qui doutent de tout,
Ceux qui flattent le roi, ceux qui flattent l'égout,
Tous hurlent à la fois et font un bruit sinistre.
Si c'est un orateur ou si c'est un ministre,
On le siffle. Si c'est un poète, il entend
Ce chœur : « Absurde ! faux ! monstrueux ! révoltant ! »
Lui, cependant, tandis qu'on bave sur sa palme,
Debout, les bras croisés, le front levé, l'œil calme,
Il contemple, serein, l'idéal et le beau ;
Il rêve ; et, par moments, il secoue un flambeau
Qui, sous ses pieds, dans l'ombre, éblouissant la haine,
Éclaire tout à coup le fond de l'âme humaine ;
Ou, ministre, il prodigue et ses nuits et ses jours ;
Orateur, il entasse efforts, travaux, discours ;
Il marche, il lutte ! Hélas ! l'injure ardente et triste,
À chaque pas qu'il fait, se transforme et persiste.
Nul abri. Ce serait un ennemi public,
Un monstre fabuleux, dragon ou basilic,
Qu'il serait moins traqué de toutes les manières,
Moins entouré de gens armés de grosses pierres,
Moins haï ! -- Pour eux tous et pour ceux qui viendront,
Il va semant la gloire, il recueille l'affront.
Le progrès est son but, le bien est sa boussole ;
Pilote, sur l'avant du navire il s'isole ;
Tout marin, pour dompter les vents et les courants,
Met tour à tour le cap sur des points différents,
Et, pour mieux arriver, dévie en apparence ;
Il fait de même ; aussi blâme et cris ; l'ignorance
Sait tout, dénonce tout ; il allait vers le nord,
Il avait tort ; il va vers le sud, il a tort ;
Si le temps devient noir, que de rage et de joie !
Cependant, sous le faix sa tête à la fin ploie,
L'âge vient, il couvait un mal profond et lent,
Il meurt. L'envie alors, ce démon vigilant,
Accourt, le reconnaît, lui ferme la paupière,
Prend soin de la clouer de ses mains dans la bière,
Se penche, écoute, épie en cette sombre nuit
S'il est vraiment bien mort, s'il ne fait pas de bruit,
S'il ne peut plus savoir de quel nom on le nomme,
Et, s'essuyant les yeux, dit : « C'était un grand homme ! »

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs, que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
« Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »
Ô servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain -
D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? Que veut-il ? »
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l'homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,
Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !
Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, saint, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !

Le pesant chariot porte une énorme pierre ;
Le limonier, suant du mors à la croupière,
Tire, et le roulier fouette, et le pavé glissant
Monte, et le cheval triste à le poitrail en sang.
Il tire, traîne, geint, tire encore et s'arrête ;
Le fouet noir tourbillonne au-dessus de sa tête ;
C'est lundi ; l'homme hier buvait aux Porcherons
Un vin plein de fureur, de cris et de jurons ;
Oh ! quelle est donc la loi formidable qui livre
L'être à l'être, et la bête effarée à l'homme ivre !
L'animal éperdu ne peut plus faire un pas ;
Il sent l'ombre sur lui peser ; il ne sait pas,
Sous le bloc qui l'écrase et le fouet qui l'assomme,
Ce que lui veut la pierre et ce que lui veut l'homme.
Et le roulier n'est plus qu'un orage de coups
Tombant sur ce forçat qui traîne des licous,
Qui souffre et ne connaît ni repos ni dimanche.
Si la corde se casse, il frappe avec le pié ;
Et le cheval, tremblant, hagard, estropié,
Baisse son cou lugubre et sa tête égarée ;
On entend, sous les coups de la botte ferrée,
Sonner le ventre nu du pauvre être muet !
Il râle ; tout à l'heure encore il remuait ;
Mais il ne bouge plus, et sa force est finie ;
Et les coups furieux pleuvent ; son agonie
Tente un dernier effort ; son pied fait un écart,
Il tombe, et le voilà brisé sous le brancard ;
Et, dans l'ombre, pendant que son bourreau redouble,
Il regarde quelqu'un de sa prunelle trouble ;
Et l'on voit lentement s'éteindre, humble et terni,
Son œil plein des stupeurs sombres de l'infini,
Où luit vaguement l'âme effrayante des choses.
Hélas !

Cet avocat plaide toutes les causes ;
Il rit des généreux qui désirent savoir
Si blanc n'a pas raison, avant de dire noir ;
Calme, en sa conscience il met ce qu'il rencontre,
Ou le sac d'argent Pour, ou le sac d'argent Contre ;
Le sac pèse pour lui ce que la cause vaut.
Embusqué, plume au poing, dans un journal dévot,
Comme un bandit tuerait, cet écrivain diffame.
La foule hait cet homme et proscrit cette femme ;
Ils sont maudits. Quel est leur crime ? Ils ont aimé.
L'opinion rampante accable l'opprimé,
Et, chatte aux pieds des forts, pour le faible est tigresse.
De l'inventeur mourant le parasite engraisse.
Le monde parle, assure, affirme, jure, ment,
Triche, et rit d'escroquer la dupe Dévouement.
Le puissant resplendit et du destin se joue ;
Derrière lui, tandis qu'il marche et fait la roue,
Sa fiente épanouie engendre son flatteur.
Les nains sont dédaigneux de toute leur hauteur.
Ô hideux coins de rue où le chiffonnier morne
Va, tenant à la main sa lanterne de corne,
Vos tas d'ordures sont moins noirs que les vivants !
Qui, des vents ou des cœurs, est le plus sûr ? Les vents.
Cet homme ne croit rien et fait semblant de croire ;
Il a l'œil clair, le front gracieux, l'âme noire ;
Il se courbe ; il sera votre maître demain.

Tu casses des cailloux, vieillard, sur le chemin ;
Ton feutre humble et troué s'ouvre à l'air qui le mouille ;
Sous la pluie et le temps ton crâne nu se rouille ;
Le chaud est ton tyran, le froid est ton bourreau ;
Ton vieux corps grelottant tremble sous ton sarrau ;
Ta cahute, au niveau du fossé de la route,
Offre son toit de mousse à la chèvre qui broute ;
Tu gagnes dans ton jour juste assez de pain noir
Pour manger le matin et pour jeûner le soir ;
Et, fantôme suspect devant qui l'on recule,
Regardé de travers quand vient le crépuscule,
Pauvre au point d'alarmer les allants et venants,
Frère sombre et pensif des arbres frissonnants,
Tu laisses choir tes ans ainsi qu'eux leur feuillage ;
Autrefois, homme alors dans la force de l'âge,
Quand tu vis que l'Europe implacable venait,
Et menaçait Paris et notre aube qui naît,
Et, mer d'hommes, roulait vers la France effarée,
Et le Russe et le *** sur la terre sacrée
Se ruer, et le nord revomir Attila,
Tu te levas, tu pris ta fourche ; en ces temps-là,
Tu fus, devant les rois qui tenaient la campagne,
Un des grands paysans de la grande Champagne.
C'est bien. Mais, vois, là-bas, le long du vert sillon,
Une calèche arrive, et, comme un tourbillon,
Dans la poudre du soir qu'à ton front tu secoues,
Mêle l'éclair du fouet au tonnerre des roues.
Un homme y dort. Vieillard, chapeau bas ! Ce passant
Fit sa fortune à l'heure où tu versais ton sang ;
Il jouait à la baisse, et montait à mesure
Que notre chute était plus profonde et plus sûre ;
Il fallait un vautour à nos morts ; il le fut ;
Il fit, travailleur âpre et toujours à l'affût,
Suer à nos malheurs des châteaux et des rentes ;
Moscou remplit ses prés de meules odorantes ;
Pour lui, Leipsick payait des chiens et des valets,
Et la Bérésina charriait un palais ;
Pour lui, pour que cet homme ait des fleurs, des charmilles,
Des parcs dans Paris même ouvrant leurs larges grilles,
Des jardins où l'on voit le cygne errer sur l'eau,
Un million joyeux sortit de Waterloo ;
Si bien que du désastre il a fait sa victoire,
Et que, pour la manger, et la tordre, et la boire,
Ce Shaylock, avec le sabre de Blucher,
A coupé sur la France une livre de chair.
Or, de vous deux, c'est toi qu'on hait, lui qu'on vénère ;
Vieillard, tu n'es qu'un gueux, et ce millionnaire,
C'est l'honnête homme. Allons, debout, et chapeau bas !

Les carrefours sont pleins de chocs et de combats.
Les multitudes vont et viennent dans les rues.
Foules ! sillons creusés par ces mornes charrues :
Nuit, douleur, deuil ! champ triste où souvent a germé
Un épi qui fait peur à ceux qui l'ont semé !
Vie et mort ! onde où l'hydre à l'infini s'enlace !
Peuple océan jetant l'écume populace !
Là sont tous les chaos et toutes les grandeurs ;
Là, fauve, avec ses maux, ses horreurs, ses laideurs,
Ses larves, désespoirs, haines, désirs, souffrances,
Qu'on distingue à travers de vagues transparences,
Ses rudes appétits, redoutables aimants,
Ses prostitutions, ses avilissements,
Et la fatalité des mœurs imperdables,
La misère épaissit ses couches formidables.
Les malheureux sont là, dans le malheur reclus.
L'indigence, flux noir, l'ignorance, reflux,
Montent, marée affreuse, et parmi les décombres,
Roulent l'obscur filet des pénalités sombres.
Le besoin fuit le mal qui le tente et le suit,
Et l'homme cherche l'homme à tâtons ; il fait nuit ;
Les petits enfants nus tendent leurs mains funèbres ;
Le crime, antre béant, s'ouvre dans ces ténèbres ;
Le vent secoue et pousse, en ses froids tourbillons,
Les âmes en lambeaux dans les corps en haillons :
Pas de cœur où ne croisse une aveugle chimère.
Qui grince des dents ? L'homme. Et qui pleure ? La mère.
Qui sanglote ? La vierge aux yeux hagards et doux.
Qui dit : « J'ai froid ? » L'aïeule. Et qui dit : « J'ai faim ? » Tous !
Et le fond est horreur, et la surface est joie.
Au-dessus de la faim, le festin qui flamboie,
Et sur le pâle amas des cris et des douleurs,
Les chansons et le rire et les chapeaux de fleurs !
Ceux-là sont les heureux. Ils n'ont qu'une pensée :
A quel néant jeter la journée insensée ?
Chiens, voitures, chevaux ! cendre au reflet vermeil !
Poussière dont les grains semblent d'or au soleil !
Leur vie est aux plaisirs sans fin, sans but, sans trêve,
Et se passe à tâcher d'oublier dans un rêve
L'enfer au-dessous d'eux et le ciel au-dessus.
Quand on voile Lazare, on efface Jésus.
Ils ne regardent pas dans les ombres moroses.
Ils n'admettent que l'air tout parfumé de roses,
La volupté, l'orgueil, l'ivresse et le laquais
Ce spectre galonné du pauvre, à leurs banquets.
Les fleurs couvrent les seins et débordent des vases.
Le bal, tout frissonnant de souffles et d'extases,
Rayonne, étourdissant ce qui s'évanouit ;
Éden étrange fait de lumière et de nuit.
Les lustres aux plafonds laissent pendre leurs flammes,
Et semblent la racine ardente et pleine d'âmes
De quelque arbre céleste épanoui plus haut.
Noir paradis dansant sur l'immense cachot !
Ils savourent, ravis, l'éblouissement sombre
Des beautés, des splendeurs, des quadrilles sans nombre,
Des couples, des amours, des yeux bleus, des yeux noirs.
Les valses, visions, passent dans les miroirs.
Parfois, comme aux forêts la fuite des cavales,
Les galops effrénés courent ; par intervalles,
Le bal reprend haleine ; on s'interrompt, on fuit,
On erre, deux à deux, sous les arbres sans bruit ;
Puis, folle, et rappelant les ombres éloignées,
La musique, jetant les notes à poignées,
Revient, et les regards s'allument, et l'archet,
Bondissant, ressaisit la foule qui marchait.
Ô délire ! et d'encens et de bruit enivrées,
L'heure emporte en riant les rapides soirées,
Et les nuits et les jours, feuilles mortes des cieux.
D'autres, toute la nuit, roulent les dés joyeux,
Ou bien, âpre, et mêlant les cartes qu'ils caressent,
Où des spectres riants ou sanglants apparaissent,
Leur soif de l'or, penchée autour d'un tapis vert,
Jusqu'à ce qu'au volet le jour bâille entr'ouvert,
Poursuit le pharaon, le lansquenet ou l'hombre ;
Et, pendant qu'on gémit et qu'on frémit dans l'ombre,
Pendant que le
I


Mon Dieu m'a dit : Mon fils, il faut m'aimer. Tu vois

Mon flanc percé, mon cœur qui rayonne et qui saigne,

Et mes pieds offensés que Madeleine baigne

De larmes, et mes bras douloureux sous le poids


De tes péchés, et mes mains ! Et tu vois la croix,

Tu vois les clous, le fiel, l'éponge et tout t'enseigne

À n'aimer, en ce monde où la chair règne.

Que ma Chair et mon Sang, ma parole et ma voix.


Ne t'ai-je pas aimé jusqu'à la mort moi-même,

Mon frère en mon Père, ô mon fils en l'Esprit,

Et n'ai-je pas souffert, comme c'était écrit ?


N'ai-je pas sangloté ton angoisse suprême

Et n'ai-je pas sué la sueur de tes nuits,

Lamentable ami qui me cherches où je suis ? »


II


J'ai répondu : Seigneur, vous avez dit mon âme.

C'est vrai que je vous cherche et ne vous trouve pas.

Mais vous aimer ! Voyez comme je suis en bas,

Vous dont l'amour toujours monte comme la flamme.


Vous, la source de paix que toute soif réclame,

Hélas ! Voyez un peu mes tristes combats !

Oserai-je adorer la trace de vos pas,

Sur ces genoux saignants d'un rampement infâme ?


Et pourtant je vous cherche en longs tâtonnements,

Je voudrais que votre ombre au moins vêtît ma houle,

Mais vous n'avez pas d'ombre, ô vous dont l'amour monte,


Ô vous, fontaine calme, amère aux seuls amants

De leur damnation, ô vous toute lumière

Sauf aux yeux dont un lourd baiser tient la paupière !


III


- Il faut m'aimer ! Je suis l'universel Baiser,

Je suis cette paupière et je suis cette lèvre

Dont tu parles, ô cher malade, et cette fièvre

Qui t'agite, c'est moi toujours ! il faut oser


M'aimer ! Oui, mon amour monte sans biaiser

Jusqu'où ne grimpe pas ton pauvre amour de chèvre,

Et t'emportera, comme un aigle vole un lièvre,

Vers des serpolets qu'un ciel cher vient arroser.


Ô ma nuit claire ! Ô tes yeux dans mon clair de lune !

Ô ce lit de lumière et d'eau parmi la brune !

Toute celle innocence et tout ce reposoir !


Aime-moi ! Ces deux mots sont mes verbes suprêmes,

Car étant ton Dieu tout-puissant, Je peux vouloir,

Mais je ne veux d'abord que pouvoir que tu m'aimes.


IV


- Seigneur, c'est trop ? Vraiment je n'ose. Aimer qui ? Vous ?

Oh ! non ! Je tremble et n'ose. Oh ! vous aimer je n'ose,

Je ne veux pas ! Je suis indigne. Vous, la Rose

Immense des purs vents de l'Amour, ô Vous, tous


Les cœurs des saints, ô vous qui fûtes le Jaloux

D'Israël, Vous, la chaste abeille qui se pose

Sur la seule fleur d'une innocence mi-close.

Quoi, moi, moi, pouvoir Vous aimer. Êtes-vous fous


Père, Fils, Esprit ? Moi, ce pécheur-ci, ce lâche,

Ce superbe, qui fait le mal comme sa tâche

Et n'a dans tous ses sens, odorat, toucher, goût.


Vue, ouïe, et dans tout son être - hélas ! dans tout

Son espoir et dans tout son remords que l'extase

D'une caresse où le seul vieil Adam s'embrase ?


V


- Il faut m'aimer. Je suis ces Fous que tu nommais,

Je suis l'Adam nouveau qui mange le vieil homme,

Ta Rome, ton Paris, ta Sparte et ta Sodome,

Comme un pauvre rué parmi d'horribles mets.


Mon amour est le feu qui dévore à jamais

Toute chair insensée, et l'évaporé comme

Un parfum, - et c'est le déluge qui consomme

En son Ilot tout mauvais germe que je semais.


Afin qu'un jour la Croix où je meurs fût dressée

Et que par un miracle effrayant de bonté

Je t'eusse un jour à moi, frémissant et dompté.


Aime. Sors de ta nuit. Aime. C'est ma pensée

De toute éternité, pauvre âme délaissée,

Que tu dusses m'aimer, moi seul qui suis resté !


VI


- Seigneur, j'ai peur. Mon âme en moi tressaille toute.

Je vois, je sens qu'il faut vous aimer. Mais comment

Moi, ceci, me ferais-je, ô mon Dieu, votre amant,

Ô Justice que la vertu des bons redoute ?


Oui, comment ? Car voici que s'ébranle la voûte

Où mon cœur creusait son ensevelissement

Et que je sens fluer à moi le firmament,

Et je vous dis : de vous à moi quelle est la route ?


Tendez-moi votre main, que je puisse lever

Cette chair accroupie et cet esprit malade.

Mais recevoir jamais la céleste accolade.


Est-ce possible ? Un jour, pouvoir la retrouver

Dans votre sein, sur votre cœur qui fut le nôtre,

La place où reposa la tête de l'apôtre ?


VII


- Certes, si tu le veux mériter, mon fils, oui,

Et voici. Laisse aller l'ignorance indécise

De ton cœur vers les bras ouverts de mon Église,

Comme la guêpe vole au lis épanoui.


Approche-toi de mon oreille. Épanches-y

L'humiliation d'une brave franchise.

Dis-moi tout sans un mot d'orgueil ou de reprise

Et m'offre le bouquet d'un repentir choisi.


Puis franchement et simplement viens à ma table.

Et je t'y bénirai d'un repas délectable

Auquel l'ange n'aura lui-même qu'assisté,


Et tu boiras le Vin de la vigne immuable,

Dont la force, dont la douceur, dont la bonté

Feront germer ton sang à l'immortalité.


- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Puis, va ! Garde une foi modeste en ce mystère

D'amour par quoi je suis ta chair et ta raison,

Et surtout reviens très souvent dans ma maison,

Pour y participer au Vin qui désaltère.


Au Pain sans qui la vie est une trahison,

Pour y prier mon Père et supplier ma Mère

Qu'il te soit accordé, dans l'exil de la terre,

D'être l'agneau sans cris qui donne sa toison.


D'être l'enfant vêtu de lin et d'innocence,

D'oublier ton pauvre amour-propre et ton essence,

Enfin, de devenir un peu semblable à moi


Qui fus, durant les jours d'Hérode et de Pilate

Et de Judas et de Pierre, pareil à toi

Pour souffrir et mourir d'une mort scélérate !


- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Et pour récompenser ton zèle en ces devoirs

Si doux qu'ils sont encore d'ineffables délices,

Je te ferai goûter sur terre mes prémices,

La paix du cœur, l'amour d'être pauvre, et mes soirs -


Mystiques, quand l'esprit s'ouvre aux calmes espoirs

Et croit boire, suivant ma promesse, au Calice

Éternel, et qu'au ciel pieux la lune glisse,

Et que sonnent les angélus roses et noirs,


En attendant l'assomption dans ma lumière,

L'éveil sans fin dans ma charité coutumière,

La musique de mes louanges à jamais,


Et l'extase perpétuelle et la science.

Et d'être en moi parmi l'aimable irradiance

De tes souffrances, enfin miennes, que j'aimais !


VIII


- Ah ! Seigneur, qu'ai-je ? Hélas ! me voici tout en larmes

D'une joie extraordinaire : votre voix

Me fait comme du bien et du mal à la fois,

Et le mal et le bien, tout a les mêmes charmes.


Je ris, je pleure, et c'est comme un appel aux armes

D'un clairon pour des champs de bataille où je vois

Des anges bleus et blancs portés sur des pavois,

Et ce clairon m'enlève en de fières alarmes.


J'ai l'extase et j'ai la terreur d'être choisi.

Je suis indigne, mais je sais votre clémence.

Ah ! quel effort, mais quelle ardeur ! Et me voici


Plein d'une humble prière, encore qu'un trouble immense

Brouille l'espoir que votre voix me révéla,

Et j'aspire en tremblant.


IX


- Pauvre âme, c'est cela !
Paul d'Aubin Dec 2016
L'Espoir, quand même et malgré tout !

( Une poésie, bien pour notre temps )

L'Espoir, c'est le sourire entrevu
Qui interrompt les plombs de l'injustice.
C'est Malraux s'efforçant de lever des avions
Dans une Espagne en feu, abandonnée, trahie
L’espoir, ce sont ces humbles que l'on ne voit jamais,
À qui l'on sourit et propose un projet commun,
L’Espoir ce sont l'abbé Pierre et Coluche, délaissant leur confort,
Pour dire que la faim et l'absence de toit sont indignes de sociétés qui se prétendent démocratiques,
L'Espoir c'est la patience de reprendre l'explication si une première leçon n'a pas portée ses fruits,
L'Espoir c'est rejeter toute forme d'exclusion fondée sur la race, le sexe, l'âge ou la manière de croire ou de ne pas croire,
L'Espoir c'est l'évêque d'Hugo, laissant repartir le forçat Jean Valjean,
L'espoir c'est abandonner toute forme de vengeance et penser que l’être peut toujours s'améliorer, m^me s'il n'y mets pas toujours du sien,
L'espoir c'est refuser de hurler avec la meute sur l'homme seul que les médias exhibent au carcan avant de le conduire au gibet sous les clameurs de haine des foules.
L'espoir c'est penser que l'obscur employé et le simple ouvrier peuvent trouver et proposer ses solutions plus simples et plus efficaces que celles abstraitement élaborées par le chef ou par le patron.
L'Espoir c'est refuser de voir piétiner la planète et de laisser sans rien dire prendre des risques insensés au motif que certains puissants savent mieux que nous tous et ont le savoir.
L'espoir c'est se sentir rouge de honte en voyant des SDF allongés sur des cartons et entourés de l'affection de leurs seuls chiens.
L'espoir c'est découvrir des nouvelles et des sons nouveaux et ressentir que ce jaillissement de sons est une plénitude de l’Esprit et des sens,
L'Espoir, c'est parier sur la création des êtres et l'action personnelle et collective pour faire reculer la part de contraintes de la rareté et la résignation à ce persistant malheur.
L'espoir c'est refuser la facilité de désigner un bouc émissaire pour masquer son propre égoïsme ou fuir ses responsabilités et l'impératif de justice.
L'espoir, c'est regarder le ciel qui luit et la feuille d'automne qui tournoie comme l'aurore d'un premier jour,
C'est penser aux souffrances visibles et invisibles des malades et savoir relativiser ses propres succès comme ses prétendus échecs,
L'espoir, c'est s'abstenir de croire que l’on se dire citoyen en se contentant de paresseusement voter en déléguant toute sa vigilance et son action propre tous les cinq ans,
L'espoir c'est se demander si l'on a toujours bien exploré toutes les solutions et toutes les voies pour sortir d'un conflit et ne pas faire perdre sa dignité à son adversaire,
L'espoir c'est refuser de s'endormir dans l'indifférence des autres et de se sentir acteur et transformateur dans l'aventure de la vie,
L'espoir c'est savoir rendre l'espoir et la Dignité à celles et ceux qui sont tombés et désespèrent.

Paul Arrighi
Lorsque le grand Byron allait quitter Ravenne,
Et chercher sur les mers quelque plage lointaine
Où finir en héros son immortel ennui,
Comme il était assis aux pieds de sa maîtresse,
Pâle, et déjà tourné du côté de la Grèce,
Celle qu'il appelait alors sa Guiccioli
Ouvrit un soir un livre où l'on parlait de lui.

Avez-vous de ce temps conservé la mémoire,
Lamartine, et ces vers au prince des proscrits,
Vous souvient-il encor qui les avait écrits ?
Vous étiez jeune alors, vous, notre chère gloire.
Vous veniez d'essayer pour la première fois
Ce beau luth éploré qui vibre sous vos doigts.
La Muse que le ciel vous avait fiancée
Sur votre front rêveur cherchait votre pensée,
Vierge craintive encore, amante des lauriers.
Vous ne connaissiez pas, noble fils de la France,
Vous ne connaissiez pas, sinon par sa souffrance,
Ce sublime orgueilleux à qui vous écriviez.
De quel droit osiez-vous l'aborder et le plaindre ?
Quel aigle, Ganymède, à ce Dieu vous portait ?
Pressentiez-vous qu'un jour vous le pourriez atteindre,
Celui qui de si haut alors vous écoutait ?
Non, vous aviez vingt ans, et le coeur vous battait
Vous aviez lu Lara, Manfred et le Corsaire,
Et vous aviez écrit sans essuyer vos pleurs ;
Le souffle de Byron vous soulevait de terre,
Et vous alliez à lui, porté par ses douleurs.
Vous appeliez de **** cette âme désolée ;
Pour grand qu'il vous parût, vous le sentiez ami
Et, comme le torrent dans la verte vallée,
L'écho de son génie en vous avait gémi.
Et lui, lui dont l'Europe, encore toute armée,
Écoutait en tremblant les sauvages concerts ;
Lui qui depuis dix ans fuyait sa renommée,
Et de sa solitude emplissait l'univers ;
Lui, le grand inspiré de la Mélancolie,
Qui, las d'être envié, se changeait en martyr ;
Lui, le dernier amant de la pauvre Italie,
Pour son dernier exil s'apprêtant à partir ;
Lui qui, rassasié de la grandeur humaine,
Comme un cygne à son chant sentant sa mort prochaine,
Sur terre autour de lui cherchait pour qui mourir...
Il écouta ces vers que lisait sa maîtresse,
Ce doux salut lointain d'un jeune homme inconnu.
Je ne sais si du style il comprit la richesse ;
Il laissa dans ses yeux sourire sa tristesse :
Ce qui venait du coeur lui fut le bienvenu.

Poète, maintenant que ta muse fidèle,
Par ton pudique amour sûre d'être immortelle,
De la verveine en fleur t'a couronné le front,
À ton tour, reçois-moi comme le grand Byron.
De t'égaler jamais je n'ai pas l'espérance ;
Ce que tu tiens du ciel, nul ne me l'a promis,
Mais de ton sort au mien plus grande est la distance,
Meilleur en sera Dieu qui peut nous rendre amis.
Je ne t'adresse pas d'inutiles louanges,
Et je ne songe point que tu me répondras ;
Pour être proposés, ces illustres échanges
Veulent être signés d'un nom que je n'ai pas.
J'ai cru pendant longtemps que j'étais las du monde ;
J'ai dit que je niais, croyant avoir douté,
Et j'ai pris, devant moi, pour une nuit profonde
Mon ombre qui passait pleine de vanité.
Poète, je t'écris pour te dire que j'aime,
Qu'un rayon du soleil est tombé jusqu'à moi,
Et qu'en un jour de deuil et de douleur suprême
Les pleurs que je versais m'ont fait penser à toi.

Qui de nous, Lamartine, et de notre jeunesse,
Ne sait par coeur ce chant, des amants adoré,
Qu'un soir, au bord d'un lac, tu nous as soupiré ?
Qui n'a lu mille fois, qui ne relit sans cesse
Ces vers mystérieux où parle ta maîtresse,
Et qui n'a sangloté sur ces divins sanglots,
Profonds comme le ciel et purs comme les flots ?
Hélas ! ces longs regrets des amours mensongères,
Ces ruines du temps qu'on trouve à chaque pas,
Ces sillons infinis de lueurs éphémères,
Qui peut se dire un homme et ne les connaît pas ?
Quiconque aima jamais porte une cicatrice ;
Chacun l'a dans le sein, toujours prête à s'ouvrir ;
Chacun la garde en soi, cher et secret supplice,
Et mieux il est frappé, moins il en veut guérir.
Te le dirai-je, à toi, chantre de la souffrance,
Que ton glorieux mal, je l'ai souffert aussi ?
Qu'un instant, comme toi, devant ce ciel immense,
J'ai serré dans mes bras la vie et l'espérance,
Et qu'ainsi que le tien, mon rêve s'est enfui ?
Te dirai-je qu'un soir, dans la brise embaumée,
Endormi, comme toi, dans la paix du bonheur,
Aux célestes accents d'une voix bien-aimée,
J'ai cru sentir le temps s'arrêter dans mon coeur ?
Te dirai-je qu'un soir, resté seul sur la terre,
Dévoré, comme toi, d'un affreux souvenir,
Je me suis étonné de ma propre misère,
Et de ce qu'un enfant peut souffrir sans mourir ?
Ah ! ce que j'ai senti dans cet instant terrible,
Oserai-je m'en plaindre et te le raconter ?
Comment exprimerai-je une peine indicible ?
Après toi, devant toi, puis-je encor le tenter ?
Oui, de ce jour fatal, plein d'horreur et de charmes,
Je veux fidèlement te faire le récit ;
Ce ne sont pas des chants, ce ne sont pas des larmes,
Et je ne te dirai que ce que Dieu m'a dit.

Lorsque le laboureur, regagnant sa chaumière,
Trouve le soir son champ rasé par le tonnerre,
Il croit d'abord qu'un rêve a fasciné ses yeux,
Et, doutant de lui-même, interroge les cieux.
Partout la nuit est sombre, et la terre enflammée.
Il cherche autour de lui la place accoutumée
Où sa femme l'attend sur le seuil entr'ouvert ;
Il voit un peu de cendre au milieu d'un désert.
Ses enfants demi-nus sortent de la bruyère,
Et viennent lui conter comme leur pauvre mère
Est morte sous le chaume avec des cris affreux ;
Mais maintenant au **** tout est silencieux.
Le misérable écoute et comprend sa ruine.
Il serre, désolé, ses fils sur sa poitrine ;
Il ne lui reste plus, s'il ne tend pas la main,
Que la faim pour ce soir et la mort pour demain.
Pas un sanglot ne sort de sa gorge oppressée ;
Muet et chancelant, sans force et sans pensée,
Il s'assoit à l'écart, les yeux sur l'horizon,
Et regardant s'enfuir sa moisson consumée,
Dans les noirs tourbillons de l'épaisse fumée
L'ivresse du malheur emporte sa raison.

Tel, lorsque abandonné d'une infidèle amante,
Pour la première fois j'ai connu la douleur,
Transpercé tout à coup d'une flèche sanglante,
Seul je me suis assis dans la nuit de mon coeur.
Ce n'était pas au bord d'un lac au flot limpide,
Ni sur l'herbe fleurie au penchant des coteaux ;
Mes yeux noyés de pleurs ne voyaient que le vide,
Mes sanglots étouffés n'éveillaient point d'échos.
C'était dans une rue obscure et tortueuse
De cet immense égout qu'on appelle Paris :
Autour de moi criait cette foule railleuse
Qui des infortunés n'entend jamais les cris.
Sur le pavé noirci les blafardes lanternes
Versaient un jour douteux plus triste que la nuit,
Et, suivant au hasard ces feux vagues et ternes,
L'homme passait dans l'ombre, allant où va le bruit.
Partout retentissait comme une joie étrange ;
C'était en février, au temps du carnaval.
Les masques avinés, se croisant dans la fange,
S'accostaient d'une injure ou d'un refrain banal.
Dans un carrosse ouvert une troupe entassée
Paraissait par moments sous le ciel pluvieux,
Puis se perdait au **** dans la ville insensée,
Hurlant un hymne impur sous la résine en feux.
Cependant des vieillards, des enfants et des femmes
Se barbouillaient de lie au fond des cabarets,
Tandis que de la nuit les prêtresses infâmes
Promenaient çà et là leurs spectres inquiets.
On eût dit un portrait de la débauche antique,
Un de ces soirs fameux, chers au peuple romain,
Où des temples secrets la Vénus impudique
Sortait échevelée, une torche à la main.
Dieu juste ! pleurer seul par une nuit pareille !
Ô mon unique amour ! que vous avais-je fait ?
Vous m'aviez pu quitter, vous qui juriez la veille
Que vous étiez ma vie et que Dieu le savait ?
Ah ! toi, le savais-tu, froide et cruelle amie,
Qu'à travers cette honte et cette obscurité
J'étais là, regardant de ta lampe chérie,
Comme une étoile au ciel, la tremblante clarté ?
Non, tu n'en savais rien, je n'ai pas vu ton ombre,
Ta main n'est pas venue entr'ouvrir ton rideau.
Tu n'as pas regardé si le ciel était sombre ;
Tu ne m'as pas cherché dans cet affreux tombeau !

Lamartine, c'est là, dans cette rue obscure,
Assis sur une borne, au fond d'un carrefour,
Les deux mains sur mon coeur, et serrant ma blessure,
Et sentant y saigner un invincible amour ;
C'est là, dans cette nuit d'horreur et de détresse,
Au milieu des transports d'un peuple furieux
Qui semblait en passant crier à ma jeunesse,
« Toi qui pleures ce soir, n'as-tu pas ri comme eux ? »
C'est là, devant ce mur, où j'ai frappé ma tête,
Où j'ai posé deux fois le fer sur mon sein nu ;
C'est là, le croiras-tu ? chaste et noble poète,
Que de tes chants divins je me suis souvenu.
Ô toi qui sais aimer, réponds, amant d'Elvire,
Comprends-tu que l'on parte et qu'on se dise adieu ?
Comprends-tu que ce mot la main puisse l'écrire,
Et le coeur le signer, et les lèvres le dire,
Les lèvres, qu'un baiser vient d'unir devant Dieu ?
Comprends-tu qu'un lien qui, dans l'âme immortelle,
Chaque jour plus profond, se forme à notre insu ;
Qui déracine en nous la volonté rebelle,
Et nous attache au coeur son merveilleux tissu ;
Un lien tout-puissant dont les noeuds et la trame
Sont plus durs que la roche et que les diamants ;
Qui ne craint ni le temps, ni le fer, ni la flamme,
Ni la mort elle-même, et qui fait des amants
Jusque dans le tombeau s'aimer les ossements ;
Comprends-tu que dix ans ce lien nous enlace,
Qu'il ne fasse dix ans qu'un seul être de deux,
Puis tout à coup se brise, et, perdu dans l'espace,
Nous laisse épouvantés d'avoir cru vivre heureux ?
Ô poète ! il est dur que la nature humaine,
Qui marche à pas comptés vers une fin certaine,
Doive encor s'y traîner en portant une croix,
Et qu'il faille ici-bas mourir plus d'une fois.
Car de quel autre nom peut s'appeler sur terre
Cette nécessité de changer de misère,
Qui nous fait, jour et nuit, tout prendre et tout quitter.
Si bien que notre temps se passe à convoiter ?
Ne sont-ce pas des morts, et des morts effroyables,
Que tant de changements d'êtres si variables,
Qui se disent toujours fatigués d'espérer,
Et qui sont toujours prêts à se transfigurer ?
Quel tombeau que le coeur, et quelle solitude !
Comment la passion devient-elle habitude,
Et comment se fait-il que, sans y trébucher,
Sur ses propres débris l'homme puisse marcher ?
Il y marche pourtant ; c'est Dieu qui l'y convie.
Il va semant partout et prodiguant sa vie :
Désir, crainte, colère, inquiétude, ennui,
Tout passe et disparaît, tout est fantôme en lui.
Son misérable coeur est fait de telle sorte
Qu'il fuit incessamment qu'une ruine en sorte ;
Que la mort soit son terme, il ne l'ignore pas,
Et, marchant à la mort, il meurt à chaque pas.
Il meurt dans ses amis, dans son fils, dans son père,
Il meurt dans ce qu'il pleure et dans ce qu'il espère ;
Et, sans parler des corps qu'il faut ensevelir,
Qu'est-ce donc qu'oublier, si ce n'est pas mourir ?
Ah ! c'est plus que mourir, c'est survivre à soi-même.
L'âme remonte au ciel quand on perd ce qu'on aime.
Il ne reste de nous qu'un cadavre vivant ;
Le désespoir l'habite, et le néant l'attend.

Eh bien ! bon ou mauvais, inflexible ou fragile,
Humble ou fier, triste ou ***, mais toujours gémissant,
Cet homme, tel qu'il est, cet être fait d'argile,
Tu l'as vu, Lamartine, et son sang est ton sang.
Son bonheur est le tien, sa douleur est la tienne ;
Et des maux qu'ici-bas il lui faut endurer
Pas un qui ne te touche et qui ne t'appartienne ;
Puisque tu sais chanter, ami, tu sais pleurer.
Dis-moi, qu'en penses-tu dans tes jours de tristesse ?
Que t'a dit le malheur, quand tu l'as consulté ?
Trompé par tes amis, trahi par ta maîtresse,
Du ciel et de toi-même as-tu jamais douté ?

Non, Alphonse, jamais. La triste expérience
Nous apporte la cendre, et n'éteint pas le feu.
Tu respectes le mal fait par la Providence,
Tu le laisses passer, et tu crois à ton Dieu.
Quel qu'il soit, c'est le mien ; il n'est pas deux croyances
Je ne sais pas son nom, j'ai regardé les cieux ;
Je sais qu'ils sont à Lui, je sais qu'ils sont immenses,
Et que l'immensité ne peut pas être à deux.
J'ai connu, jeune encore, de sévères souffrances,
J'ai vu verdir les bois, et j'ai tenté d'aimer.
Je sais ce que la terre engloutit d'espérances,
Et, pour y recueillir, ce qu'il y faut semer.
Mais ce que j'ai senti, ce que je veux t'écrire,
C'est ce que m'ont appris les anges de douleur ;
Je le sais mieux encore et puis mieux te le dire,
Car leur glaive, en entrant, l'a gravé dans mon coeur :

Créature d'un jour qui t'agites une heure,
De quoi viens-tu te plaindre et qui te fait gémir ?
Ton âme t'inquiète, et tu crois qu'elle pleure :
Ton âme est immortelle, et tes pleurs vont tarir.

Tu te sens le coeur pris d'un caprice de femme,
Et tu dis qu'il se brise à force de souffrir.
Tu demandes à Dieu de soulager ton âme :
Ton âme est immortelle, et ton coeur va guérir.

Le regret d'un instant te trouble et te dévore ;
Tu dis que le passé te voile l'avenir.
Ne te plains pas d'hier ; laisse venir l'aurore :
Ton âme est immortelle, et le temps va s'enfuir

Ton corps est abattu du mal de ta pensée ;
Tu sens ton front peser et tes genoux fléchir.
Tombe, agenouille-toi, créature insensée :
Ton âme est immortelle, et la mort va venir.

Tes os dans le cercueil vont tomber en poussière
Ta mémoire, ton nom, ta gloire vont périr,
Mais non pas ton amour, si ton amour t'est chère :
Ton âme est immortelle, et va s'en souvenir.
Paul d'Aubin Dec 2016
Ce Matin-là !

(Il est encore Minuit dans notre nouveau siècle)

Ce Matin-là, six heures,
Le ciel est couleur plomb fondu
Et **** de nos lits chauds de France,
Là-bas, dans ce croissant qui fut autrefois fertile,
La loi de l'humiliation maximale
Et de l’épuisement de nos réflexes
Vitaux de dignité et d'honneur
Vient encore d'abaisser le niveau d’où l'être devra
encore plus plier l'échine et user de la reptation
pour faire admettre et tolérer
Ses petites et grandes lâchetés.
Et ces nouveaux « grands cimetières sous la lune »
Ou sont enfouis leur monceaux de victimes
données en sacrifice à ce nouveau Dieux Moloch
de l'indifférence et de la mort, des guerres de religion.
des ingérences internationales, des haines et rivalités régionales.
Nous n'avons plus, pour fonder ce grand vide,
Que certains flamboiements du passe,
Qui ont perdu leur valeur d'exemple et leur force propulsive.
Et ce nouveau Tsar, aussi prodige en Oukases et en menaces
qu'il l'est de myriades de « Guernica renouvelés ».
Il est aujourd'hui, de nouveau, « Minuit dans notre nouveau siècle »
Sans que l'on sache discerner quels sont les acteurs réels et les responsables majeurs
De ce désastre humain,
Dans son entre lac de rivalité et de tumultes
Pressant la gorge d'une nation agonisante dépecée aux quatre horizons de ses points cardinaux.
Les simplificateurs de nos raisons de mourir et leurs distributeurs d'indulgences plénières
et de permis de tuer,
Ont du mal à convaincre leurs habituels condottiere de l'idéal.
Et jamais l'odeur de mort ne fut moins masquée que dans ce combat de désespérés et de furieux,
Nos présentes guerres ont bien du mal à se la jouer chevaleresques et « justes causes »
Ce qui n'empêche pas les enfants de souffrir et de mourir,
dans cette « Terre de Cham » de tous les cauchemars et de toutes les souffrances,
pas si **** des hauteurs béantes où la citadelle d'Alamut reste fidèle à son sombre et meurtrier prestige.
Tu n'as vu jusqu'ici naître aucun message de vie, neuf, pour les êtres,
Et ton chaudron de haine et de vengeances engendre sa part nouvelle de serpents et de dragons,
Qui viennent répandre l'épouvante dans les endroits et les lieux de notre douce France
et mêmes dans ce Molenbeeck Belge.
Méfions-nous de la haute nuit ou se déroulent ces sabbat de tueurs.
Car il est de ces nuits noires qui glacent le sang et exportent de sombres guerriers.
Il est aussi de nouveaux « vieux de la Montagne » qui nous envoient leurs nouveaux « haschischins » et leurs messagers porteurs de meurtres cruels.
Là où il faudrait des paroles d'amour et des impositions de mains.
La guerre ne sait nourrir que la guerre !
Et toute diplomatie n' est que trop souvent l'antichambre de l'art de tuer et de terroriser
en brouillant les cartes.
Il est comme aujourd'hui des périodes,
Ou dans le creux des lits et du val de France surgissent des tueurs blêmes,
Et des menaces à prendre au sérieux.
Mais hélas, l'on ne peut impunément demander à vivre en Paix
si près des brasiers rallumés et des guerres de cent années rouvertes.

Paul Arrighi

(Ce texte crépusculaire a été écrit à Toulouse le 22 décembre 2016, date ultime de la « chute » d ' Alep)
(Ce texte crépusculaire a été écrit à Toulouse le 22 décembre 2016, date ultime de la « chute » d ' Alep)
T.L. Dalid Feb 2010
Son visage se reflète dans mes yeux tristes,
que pleurent toutes les nuits pour son amour.
Il sait bien que je vis ma vie pour lui,
et sans lui je ne sais pas comme respirer.
Je veux écouter les mots d’amour,
les mots qu’il ne parle plus.
Les mots qu'existent seulement dans mes rêves.
C’est l’heure de continuer ma vie, je sais,
mais il a trahi mon cœur.
Je dois accepter ça et aller.
Le seul moyen de mettre fin à cet amour pour lui,
c'est de finir ma vie.
Ce soir, dans le noir, avec mes souffrances et mes peines,
à Paris, la ville de l'amour et des lumières,
Je dis.
Je te dis,
à tous je dis,
Adieu.

copyright © 2009 by T.L. Dalid
I.

On ne songe à la Mort que dans son voisinage :
Au sépulcre éloquent d'un être qui m'est cher,
J'ai, pour m'en pénétrer, fait un pèlerinage,
Et je pèse aujourd'hui ma tristesse d'hier.

Je veux, à mon retour de cette sombre place
Où semblait m'envahir la funèbre torpeur,
Je veux me recueillir et contempler en face
La mort, la grande mort, sans défi, mais sans peur.

Assiste ma pensée, austère poésie
Qui sacres de beauté ce qu'on a bien senti ;
Ta sévère caresse aux pleurs vrais s'associe,
Et tu sais que mon cœur ne t'a jamais menti.

Si ton charme n'est point un misérable leurre,
Ton art un jeu servile, un vain culte sans foi,
Ne m'abandonne pas précisément à l'heure
Où, pour ne pas sombrer, j'ai tant besoin de toi.

Devant l'atroce énigme où la raison succombe,
Si la mienne fléchit tu la relèveras ;
Fais-moi donc explorer l'infini d'outre-tombe
Sur ta grande poitrine entre tes puissants bras ;

Fais taire l'envieux qui t'appelle frivole,
Toi qui dans l'inconnu fais crier des échos
Et prêtes par l'accent, plus sûr que la parole,
Un sens révélateur au seul frisson des mots.

Ne crains pas qu'au tombeau la morte s'en offense,
Ô poésie, ô toi, mon naturel secours,
Ma seconde berceuse au sortir de l'enfance,
Qui seras la dernière au dernier de mes jours.

II.

Hélas ! J'ai trop songé sous les blêmes ténèbres
Où les astres ne sont que des bûchers lointains,
Pour croire qu'échappé de ses voiles funèbres
L'homme s'envole et monte à de plus beaux matins ;

J'ai trop vu sans raison pâtir les créatures
Pour croire qu'il existe au delà d'ici-bas
Quelque plaisir sans pleurs, quelque amour sans tortures,
Quelque être ayant pris forme et qui ne souffre pas.

Toute forme est sur terre un vase de souffrances,
Qui, s'usant à s'emplir, se brise au moindre heurt ;
Apparence mobile entre mille apparences
Toute vie est sur terre un flot qui roule et meurt.

N'es-tu plus qu'une chose au vague aspect de femme,
N'es-tu plus rien ? Je cherche à croire sans effroi
Que, ta vie et ta chair ayant rompu leur trame,
Aujourd'hui, morte aimée, il n'est plus rien de toi.

Je ne puis, je subis des preuves que j'ignore.
S'il ne restait plus rien pour m'entendre en ce lieu,
Même après mainte année y reviendrais-je encore,
Répéter au néant un inutile adieu ?

Serais-je épouvanté de te laisser sous terre ?
Et navré de partir, sans pouvoir t'assister
Dans la nuit formidable où tu gis solitaire,
Penserais-je à fleurir l'ombre où tu dois rester ?

III.

Pourtant je ne sais rien, rien, pas même ton âge :
Mes jours font suite au jour de ton dernier soupir,
Les tiens n'ont-ils pas fait quelque immense passage
Du temps qui court au temps qui n'a plus à courir ?

Ont-ils joint leur durée à l'ancienne durée ?
Pour toi s'enchaînent-ils aux ans chez nous vécus ?
Ou dois-tu quelque part, immuable et sacrée,
Dans l'absolu survivre à ta chair qui n'est plus ?

Certes, dans ma pensée, aux autres invisible,
Ton image demeure impossible à ternir,
Où t'évoque mon cœur tu luis incorruptible,
Mais serais-tu sans moi, hors de mon souvenir ?

Servant de sanctuaire à l'ombre de ta vie,
Je la préserve encor de périr en entier.
Mais que suis-je ? Et demain quand je t'aurai suivie,
Quel ami me promet de ne pas t'oublier ?

Depuis longtemps ta forme est en proie à la terre,
Et jusque dans les cœurs elle meurt par lambeaux,
J'en voudrais découvrir le vrai dépositaire,
Plus sûr que tous les cœurs et que tous les tombeaux.

IV.

Les mains, dans l'agonie, écartent quelque chose.
Est-ce aux mots d'ici-bas l'impatient adieu
Du mourant qui pressent sa lente apothéose ?
Ou l'horreur d'un calice imposé par un dieu ?

Est-ce l'élan qu'imprime au corps l'âme envolée ?
Ou contre le néant un héroïque effort ?
Ou le jeu machinal de l'aiguille affolée,
Quand le balancier tombe, oublié du ressort ?

Naguère ce problème où mon doute s'enfonce,
Ne semblait pas m'atteindre assez pour m'offenser ;
J'interrogeais de ****, sans craindre la réponse,
Maintenant je tiens plus à savoir qu'à penser.

Ah ! Doctrines sans nombre où l'été de mon âge
Au vent froid du discours s'est flétri sans mûrir,
De mes veilles sans fruit réparez le dommage,
Prouvez-moi que la morte ailleurs doit refleurir,

Ou bien qu'anéantie, à l'abri de l'épreuve,
Elle n'a plus jamais de calvaire à gravir,
Ou que, la même encor sous une forme neuve,
Vers la plus haute étoile elle se sent ravir !

Faites-moi croire enfin dans le néant ou l'être,
Pour elle et tous les morts que d'autres ont aimés,
Ayez pitié de moi, car j'ai faim de connaître,
Mais vous n'enseignez rien, verbes inanimés !

Ni vous, dogmes cruels, insensés que vous êtes,
Qui du juif magnanime avez couvert la voix ;
Ni toi, qui n'es qu'un bruit pour les cerveaux honnêtes,
Vaine philosophie où tout sombre à la fois ;

Toi non plus, qui sur Dieu résignée à te taire
Changes la vision pour le tâtonnement,
Science, qui partout te heurtant au mystère
Et n'osant l'affronter, l'ajournes seulement.

Des mots ! Des mots ! Pour l'un la vie est un prodige,
Pour l'autre un phénomène. Eh ! Que m'importe à moi !
Nécessaire ou créé je réclame, vous dis-je,
Et vous les ignorez, ma cause et mon pourquoi.

V.

Puisque je n'ai pas pu, disciple de tant d'autres,
Apprendre ton vrai sort, ô morte que j'aimais,
Arrière les savants, les docteurs, les apôtres.
Je n'interroge plus, je subis désormais.

Quand la nature en nous mit ce qu'on nomme l'âme,
Elle a contre elle-même armé son propre enfant ;
L'esprit qu'elle a fait juste au nom du droit la blâme,
Le cœur qu'elle a fait haut la méprise en rêvant.

Avec elle longtemps, de toute ma pensée
Et de tout mon cœur, j'ai lutté corps à corps,
Mais sur son œuvre inique, et pour l'homme insensée,
Mon front et ma poitrine ont brisé leurs efforts.

Sa loi qui par le meurtre a fait le choix des races,
Abominable excuse au carnage que font
Des peuples malheureux les nations voraces,
De tout aveugle espoir m'a vidé l'âme à fond ;

Je succombe épuisé, comme en pleine bataille
Un soldat, par la veille et la marche affaibli,
Sans vaincre, ni mourir d'une héroïque entaille,
Laisse en lui les clairons s'éteindre dans l'oubli ;

Pourtant sa cause est belle, et si doux est d'y croire
Qu'il cherche en sommeillant la vigueur qui l'a fui ;
Mais trop las pour frapper, il lègue la victoire
Aux fermes compagnons qu'il sent passer sur lui.

Ah ! Qui que vous soyez, vous qui m'avez fait naître,
Qu'on vous nomme hasard, force, matière ou dieux,
Accomplissez en moi, qui n'en suis pas le maître,
Les destins sans refuge, aussi vains qu'odieux.

Faites, faites de moi tout ce que bon vous semble,
Ouvriers inconnus de l'infini malheur,
Je viens de vous maudire, et voyez si je tremble,
Prenez ou me laissez mon souffle et ma chaleur !

Et si je dois fournir aux avides racines
De quoi changer mon être en mille êtres divers,
Dans l'éternel retour des fins aux origines,
Je m'abandonne en proie aux lois de l'univers.
Paul d'Aubin Jan 2017
La semaine mémorable

Nous étions à Létia en Corse
Aux sources de mon enfance
Pas riche mais si riante.
Et le temps était beau
Avec ces teints de ce pastel
Méditerranéen, entre turquoise
Et bleu outre-mer.
Notre grande fille Célia
Était venue avec une amie, Souen.
Mais si leur jeunesse
Enjolivait tous et tout,
Elles restaient aussi fugaces
Que le libecciu tournoyant
Sur les montagnes dans l'île,
faisant penser aux truites,
Des torrents si frais,
Mais leur appétit de vivre
Se révélait communicatif
Et jetait comme une empreinte
De bonheur vif et contagieux.
Pour ne rien gâcher
A ce pur bonheur
Nous regardions jouer et mordiller
notre jeune chienne cocker,
Blackine, d’à peine une année,
Au pelage anthracite, si doux
Se muant en vraie chienne de village.
Il ne lui manquait qu'un
Bon maître chasseur pour
L'initier aux la chasse dans le maquis
Et dans les vertes fougères.
L'été avait comme étendu,
Ses longues ailes d'aigle royal, nous apportant
Joie de vivre et cette délicieuse
Sensation de plénitude.
Nous écoutions et regardions
Tout, sauf, les infos saturées
des malheurs des êtres et du Monde,
auxquelles nous avions une furieuse envie
De dire «ciao», «ciao»,
A tous ces malheurs répétitifs,
Qui nous semblaient inconvenants
Outranciers et superflus.
Dont seuls profitaient certains esprits de pois chiches
Nés ou devenus des porteurs de malheur
D’eux-mêmes et des autres.
Et ces horribles corbeaux de malheur qui
Qui font métier d'épouvante pour être élus.
Au lieu de remédier aux vraies causes,
Des déséquilibres et souffrances du Monde.
Les meubles anciens de châtaignier
Semblaient rajouter à la temporalité
De ce retour irrésistible du bonheur
Que nous avions connu
il y a si longtemps.
Comme une trêve bienfaisante.
Où ces trêves vécues par les soldats
que les soldats du front
ne voudraient jamais qu'elles
finissent, contrairement à ceux
Qui prospèrent de la guerre.
Nous étions au mitan de l'été
Et à l'automne de notre vie
Saison mordorée, sinon
La plus belle, du moins
La plus propice à goûter
La quintessence des bienfaits
De la nature et de notre vie si brève.
Ce fut aussi une explosion de parfums
De soleils et de «croque vivre»
La jeunesse avait fait retour
Dans nos vies, trop assagies
Par les ans et la force des choses.
Ce fut une semaine de sensations rares.
De celles qui vous rappellent
que nous sommes encore vivants,
En dépit des années écoulées.
Et de toutes les illusions
Abandonnées bien trop facilement.

Paul Arrighi
Paul d'Aubin Nov 2015
Madame la camarde,

Ne soyez pas si empressée,
de venir faire vos emplettes
parmi celles et ceux que nous aimons.
La vie est suffisamment courte,
pour que vous ne veniez
en cueillir le fruit avant l’heure.
Madame la camarde,
Personne ne vous a invité,
à trouver place aux noces de la vie.
Vous n’êtes pas parmi nous bienvenue
et diantre,  avons assez soucis,  
pour butiner à nos tâches qui sont parfois nos souffrances
sans vous demander ni hâte ni secours.
Madame la camarde,
Vous êtes vilaine et bien empressée
de cheminer en curieux attelage,
parfois vous avez recours à vos sœurs, dames Vieillesse et Maladie
et parfois même à la Guerre
qui vient ôter nos vies, plus tôt
à ceux qui croient ainsi régler de mauvaises querelles.

Paul Arrighi à  Toulouse.
Les mouettes volent et jouent ;
Et les blancs coursiers de la mer,
Cabrés sur les vagues, secouent
Leurs crins échevelés dans l'air.

Le jour tombe ; une fine pluie
Eteint les fournaises du soir,
Et le steam-boat crachant la suie
Rabat son long panache noir.

Plus pâle que le ciel livide
Je vais au pays du charbon,
Du brouillard et du suicide ;
- Pour se tuer le temps est bon.

Mon désir avide se noie
Dans le gouffre amer qui blanchit ;
Le vaisseau danse, l'eau tournoie,
Le vent de plus en plus fraîchit.

Oh ! je me sens l'âme navrée ;
L'Océan gonfle, en soupirant,
Sa poitrine désespérée,
Comme un ami qui me comprend.

Allons, peines d'amour perdues,
Espoirs lassés, illusions
Du socle idéal descendues,
Un saut dans les moites sillons !

A la mer, souffrances passées,
Qui revenez toujours, pressant
Vos blessures cicatrisées
Pour leur faire pleurer du sang !

A la mer, spectre de mes rêves,
Regrets aux mortelles pâleurs
Dans un coeur rouge ayant sept glaives,
Comme la mère des douleurs.

Chaque fantôme plonge et lutte
Quelques instants avec le flot
Qui sur lui ferme sa volute
Et l'engloutit dans un sanglot.

Lest de l'âme, pesant bagage,
Trésors misérables et chers,
Sombrez, et dans votre naufrage
Je vais vous suivre au fond des mers.

Bleuâtre, enflé, méconnaissable,
Bercé par le flot qui bruit,
Sur l'humide oreiller du sable
Je dormirai bien cette nuit !

... Mais une femme dans sa mante
Sur le pont assise à l'écart,
Une femme jeune et charmante
Lève vers moi son regard,

Dans ce regard, à ma détresse
La Sympathie à bras ouverts
Parle et sourit, soeur ou maîtresse,
Salut, yeux bleus ! bonsoir, flots verts !

Les mouettes voient et jouent ;
Et les blancs coursiers de la mer,
Cabrés sur les vagues, secouent
Leurs crins échevelés dans l'air.
Plaisir, bourreau des cœurs, vendeur juré des âmes,
Ah ! trop longtemps tu pris le masque de l'amour
Au vestiaire impur des romans et des drames !

Voyageant sous son nom et suivi par ta cour
De Lovelaces fous et de Phèdres navrées,
Plaisir, tyran cruel, voici venir ton tour !

Ah ! trop longtemps tu fis, dans tes mornes Caprées,
Des corps humains liés à tes rouges poteaux
De blancs Saint-Sébastiens pleins de flèches dorées ;

Et depuis trop longtemps, roulé dans tes manteaux,
Tu te glisses le soir dans les tavernes saoules,
Où tu mets les hoquets et les coups de couteaux.

Renard caché qui mord le ventre obscur des foules,
N'es-tu pas las d'errer épié dans tes nuits
Par le crime dans l'ombre horrible où tu te coules ?

Père des sommeils lourds et des mornes ennuis,
N'es-tu pas las de boire au fond des yeux la vie,
Comme un soleil brutal boit l'ombre dans un puits ?

- Tout ce qui vient de Dieu, tout ce qui fait envie :
La grâce des fronts purs, la force des lutteurs,
L'intelligence, lampe à Dieu même ravie,

Jusqu'à la voix qui vibre au gosier des chanteurs,
Jusqu'au trésor de pleurs qui tremble au cœur des femmes,
Tu fais passer sur tout tes souffles destructeurs.

Tu donnes jusqu'au goût des souffrances infâmes,
Et les petits enfants, qui baissent leurs cils noirs,
Pâlissent au passage effrayant de tes flammes.

Tu glanes des savants aux plis de tes peignoirs,
Et tu domptes le cœur des rudes capitaines,
Rien qu'avec le parfum que jettent tes mouchoirs.

Tu traites les vertus d'atroces puritaines,
Mais leur cœur réfléchit, comme un lac de cristal,
La force et la douceur des étoiles hautaines.

Cependant, dur geôlier dont le poignard brutal
Ne se laisse fléchir par les cris de personne,
Tu peuples la prison autant que l'hôpital.

Tu te dis bon vivant, tu t'assieds sur la tonne,
Ton verre dans la main, tu chantes, et pourtant
Aux hideurs que tu fais la science s'étonne.

Tu couves tous les fruits d'un air inquiétant ;
Ton appétit funèbre engloutirait le monde,
Pourvoyeur de la mort, qui n'est jamais content.

Que t'importe ! Tu ris sous ta perruque blonde,
Ou bien tu vas prêcher la modération,
Rhéteur païen, leurré par ta propre faconde.

Fils lugubre de l'homme, et sa punition,
Ennemi de l'amour, tu rêves la conquête
De sa gloire, et maudis sa noble passion...

Mais l'amour triomphant met le pied sur ta tête !
Jésu Jackna Feb 2020
Un amant ailé

Soleil éthéré d’été
Laissez-moi être ton Icare
Même si je tombe sur la mer
Blessez mes faibles ailes
Brûlez mes yeux du cristal
Pour avoir du plaisir de vous regarder
Seulement une fois dans l’aube

Tomber amoureux, ce n’est pas un canular
Mais comment peux-je dire si vous me trompez ou pas ?
Serez-vous capable de me susurrer des illusions ?
Serais-je capable d’être le guignol de tes mains ?




Larmes d’or
Dessous kilos du sel
Personne n’écoute le son des souffrances invisibles
Néanmoins, comment pourrais-je demeurer dans vos oreilles ?  
Quand l’air, c’est l’eau
Et quand mes veines ont des poissons,
Toujours cannibales,
En nageant dans le liquide sanglant.

Serra ici le vide n’est plus un chose à craindre ?
Serra l’amour qui donne l’heure obscure ?
Alors, on paralysera et tombera sur un dimensionnelle lagune ?
Sans savoir où ou qui je serais
Malgré une existence n’est pas une réalité
Sans vous, les flammes, dans mon cœur avare
Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s'éprennent.

Je me suis dit : laisse,
Et qu'on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t'arrête,
Auguste retraite.

J'ai tant fait patience
Qu'à jamais j'oublie ;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.

Ainsi la prairie
A l'oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D'encens et d'ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.

Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n'a que l'image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l'on prie
La Vierge Marie ?

Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s'éprennent !
Espère, enfant ! demain ! et puis demain encore !
Et puis toujours demain ! croyons dans l'avenir.
Espère ! et chaque fois que se lève l'aurore,
Soyons là pour prier comme Dieu pour bénir !

Nos fautes, mon pauvre ange, ont causé nos souffrances.
Peut-être qu'en restant bien longtemps à genoux,
Quand il aura béni toutes les innocences,
Puis tous les repentirs, Dieu finira par nous !

Octobre 18...

— The End —