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De ce chaume heureux possesseur,
De bon cœur, hélas ! que j'envie
Tes travaux, ta philosophie,
Ta solitude et ton bonheur !

Pour prix des soins que tu leur donnes,
Tes arbustes reconnaissants
Et des printemps et des automnes
Te prodiguent les doux présents.

Ô trop heureux qui peut connaître
La jouissance de cueillir
Le fruit que ses soins font mûrir,
La fleur que ses soins ont fait naître !

Toujours la terre envers nos bras
S'est acquittée avec usure.
Qui veut s'éloigner des ingrats
Se rapproche de la nature.

Ne craindre et ne désirer rien,
Etre aimé de l'objet qu'on aime,
C'est bien là le bonheur suprême ;
C'est le sort des dieux, c'est le tien.

Écrit en 1792.
L'aurore se levait, la mer battait la plage ;
Ainsi parla Sapho debout sur le rivage,
Et près d'elle, à genoux, les filles de ******
Se penchaient sur l'abîme et contemplaient les flots :

Fatal rocher, profond abîme !
Je vous aborde sans effroi !
Vous allez à Vénus dérober sa victime :
J'ai méconnu l'amour, l'amour punit mon crime.
Ô Neptune ! tes flots seront plus doux pour moi !
Vois-tu de quelles fleurs j'ai couronné ma tête ?
Vois : ce front, si longtemps chargé de mon ennui,
Orné pour mon trépas comme pour une fête,
Du bandeau solennel étincelle aujourd'hui !

On dit que dans ton sein... mais je ne puis le croire !
On échappe au courroux de l'implacable Amour ;
On dit que, par tes soins, si l'on renaît au jour,
D'une flamme insensée on y perd la mémoire !
Mais de l'abîme, ô dieu ! quel que soit le secours,
Garde-toi, garde-toi de préserver mes jours !
Je ne viens pas chercher dans tes ondes propices
Un oubli passager, vain remède à mes maux !
J'y viens, j'y viens trouver le calme des tombeaux !
Reçois, ô roi des mers, mes joyeux sacrifices !
Et vous, pourquoi ces pleurs ? pourquoi ces vains sanglots ?
Chantez, chantez un hymne, ô vierges de ****** !

Importuns souvenirs, me suivrez-vous sans cesse ?
C'était sous les bosquets du temple de Vénus ;
Moi-même, de Vénus insensible prêtresse,
Je chantais sur la lyre un hymne à la déesse :
Aux pieds de ses autels, soudain je t'aperçus !
Dieux ! quels transports nouveaux ! ô dieux ! comment décrire
Tous les feux dont mon sein se remplit à la fois ?
Ma langue se glaça, je demeurais sans voix,
Et ma tremblante main laissa tomber ma lyre !
Non : jamais aux regards de l'ingrate Daphné
Tu ne parus plus beau, divin fils de Latone ;
Jamais le thyrse en main, de pampres couronné,
Le jeune dieu de l'Inde, en triomphe traîné,
N'apparut plus brillant aux regards d'Erigone.
Tout sortit... de lui seul je me souvins, hélas !
Sans rougir de ma flamme, en tout temps, à toute heure,
J'errais seule et pensive autour de sa demeure.
Un pouvoir plus qu'humain m'enchaînait sur ses pas !
Que j'aimais à le voir, de la foule enivrée,
Au gymnase, au théâtre, attirer tous les yeux,
Lancer le disque au ****, d'une main assurée,
Et sur tous ses rivaux l'emporter dans nos jeux !
Que j'aimais à le voir, penché sur la crinière
D'un coursier de I'EIide aussi prompt que les vents,
S'élancer le premier au bout de la carrière,
Et, le front couronné, revenir à pas lents !
Ah ! de tous ses succès, que mon âme était fière !
Et si de ce beau front de sueur humecté
J'avais pu seulement essuyer la poussière...
Ô dieux ! j'aurais donné tout, jusqu'à ma beauté,
Pour être un seul instant ou sa soeur ou sa mère !
Vous, qui n'avez jamais rien pu pour mon bonheur !
Vaines divinités des rives du Permesse,
Moi-même, dans vos arts, j'instruisis sa jeunesse ;
Je composai pour lui ces chants pleins de douceur,
Ces chants qui m'ont valu les transports de la Grèce :
Ces chants, qui des Enfers fléchiraient la rigueur,
Malheureuse Sapho ! n'ont pu fléchir son coeur,
Et son ingratitude a payé ta tendresse !

Redoublez vos soupirs ! redoublez vos sanglots !
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de ****** !

Si l'ingrat cependant s'était laissé toucher !
Si mes soins, si mes chants, si mes trop faibles charmes
A son indifférence avaient pu l'arracher !
S'il eût été du moins attendri par mes larmes !
Jamais pour un mortel, jamais la main des dieux
N'aurait filé des jours plus doux, plus glorieux !
Que d'éclat cet amour eût jeté sur sa vie !
Ses jours à ces dieux même auraient pu faire envie !
Et l'amant de Sapho, fameux dans l'univers,
Aurait été, comme eux, immortel dans mes vers !
C'est pour lui que j'aurais, sur tes autels propices,
Fait fumer en tout temps l'encens des sacrifices,
Ô Vénus ! c'est pour lui que j'aurais nuit et jour
Suspendu quelque offrande aux autels de l'Amour !
C'est pour lui que j'aurais, durant les nuits entières
Aux trois fatales soeurs adressé mes prières !
Ou bien que, reprenant mon luth mélodieux,
J'aurais redit les airs qui lui plaisaient le mieux !
Pour lui j'aurais voulu dans les jeux d'Ionie
Disputer aux vainqueurs les palmes du génie !
Que ces lauriers brillants à mon orgueil offerts
En les cueillant pour lui m'auraient été plus chers !
J'aurais mis à ses pieds le prix de ma victoire,
Et couronné son front des rayons de ma gloire.

Souvent à la prière abaissant mon orgueil,
De ta porte, ô Phaon ! j'allais baiser le seuil.
Au moins, disais-je, au moins, si ta rigueur jalouse
Me refuse à jamais ce doux titre d'épouse,
Souffre, ô trop cher enfant, que Sapho, près de toi,
Esclave si tu veux, vive au moins sous ta loi !
Que m'importe ce nom et cette ignominie !
Pourvu qu'à tes côtés je consume ma vie !
Pourvu que je te voie, et qu'à mon dernier jour
D'un regard de pitié tu plaignes tant d'amour !
Ne crains pas mes périls, ne crains pas ma faiblesse ;
Vénus égalera ma force à ma tendresse.
Sur les flots, sur la terre, attachée à tes pas,
Tu me verras te suivre au milieu des combats ;
Tu me verras, de Mars affrontant la furie,
Détourner tous les traits qui menacent ta vie,
Entre la mort et toi toujours prompte à courir...
Trop heureuse pour lui si j'avais pu mourir !

Lorsque enfin, fatigué des travaux de Bellone,
Sous la tente au sommeil ton âme s'abandonne,
Ce sommeil, ô Phaon ! qui n'est plus fait pour moi,
Seule me laissera veillant autour de toi !
Et si quelque souci vient rouvrir ta paupière,
Assise à tes côtés durant la nuit entière,
Mon luth sur mes genoux soupirant mon amour,
Je charmerai ta peine en attendant le jour !

Je disais; et les vents emportaient ma prière !
L'écho répétait seul ma plainte solitaire ;
Et l'écho seul encor répond à mes sanglots !
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de ****** !
Toi qui fus une fois mon bonheur et ma gloire !
Ô lyre ! que ma main fit résonner pour lui,
Ton aspect que j'aimais m'importune aujourd'hui,
Et chacun de tes airs rappelle à ma mémoire
Et mes feux, et ma honte, et l'ingrat qui m'a fui !
Brise-toi dans mes mains, lyre à jamais funeste !
Aux autels de Vénus, dans ses sacrés parvis
Je ne te suspends pas ! que le courroux céleste
Sur ces flots orageux disperse tes débris !
Et que de mes tourments nul vestige ne reste !
Que ne puis-je de même engloutir dans ces mers
Et ma fatale gloire, et mes chants, et mes vers !
Que ne puis-je effacer mes traces sur la terre !
Que ne puis-je aux Enfers descendre tout entière !
Et, brûlant ces écrits où doit vivre Phaon,
Emporter avec moi l'opprobre de mon nom !

Cependant si les dieux que sa rigueur outrage
Poussaient en cet instant ses pas vers le rivage ?
Si de ce lieu suprême il pouvait s'approcher ?
S'il venait contempler sur le fatal rocher
Sapho, les yeux en pleurs, errante, échevelée,
Frappant de vains sanglots la rive désolée,
Brûlant encor pour lui, lui pardonnant son sort,
Et dressant lentement les apprêts de sa mort ?
Sans doute, à cet aspect, touché de mon supplice,
Il se repentirait de sa longue injustice ?
Sans doute par mes pleurs se laissant désarmer
Il dirait à Sapho : Vis encor pour aimer !
Qu'ai-je dit ? **** de moi quelque remords peut-être,
A défaut de l'amour, dans son coeur a pu naître :
Peut-être dans sa fuite, averti par les dieux,
Il frissonne, il s'arrête, il revient vers ces lieux ?
Il revient m'arrêter sur les bords de l'abîme ;
Il revient !... il m'appelle... il sauve sa victime !...
Oh ! qu'entends-je ?... écoutez... du côté de ******
Une clameur lointaine a frappé les échos !
J'ai reconnu l'accent de cette voix si chère,
J'ai vu sur le chemin s'élever la poussière !
Ô vierges ! regardez ! ne le voyez-vous pas
Descendre la colline et me tendre les bras ?...
Mais non ! tout est muet dans la nature entière,
Un silence de mort règne au **** sur la terre :
Le chemin est désert !... je n'entends que les flots...
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de ****** !

Mais déjà s'élançant vers les cieux qu'il colore
Le soleil de son char précipite le cours.
Toi qui viens commencer le dernier de mes jours,
Adieu dernier soleil ! adieu suprême aurore !
Demain du sein des flots vous jaillirez encore,
Et moi je meurs ! et moi je m'éteins pour toujours !
Adieu champs paternels ! adieu douce contrée !
Adieu chère ****** à Vénus consacrée !
Rivage où j'ai reçu la lumière des cieux !
Temple auguste où ma mère, aux jours de ma naissance
D'une tremblante main me consacrant aux dieux,
Au culte de Vénus dévoua mon enfance !
Et toi, forêt sacrée, où les filles du Ciel,
Entourant mon berceau, m'ont nourri de leur miel,
Adieu ! Leurs vains présents que le vulgaire envie,
Ni des traits de l'Amour, ni des coups du destin,
Misérable Sapho ! n'ont pu sauver ta vie !
Tu vécus dans les Pleurs, et tu meurs au matin !
Ainsi tombe une fleur avant le temps fanée !
Ainsi, cruel Amour, sous le couteau mortel.
Une jeune victime à ton temple amenée,
Qu'à ton culte en naissant le pâtre a destinée,
Vient tomber avant l'âge au pied de ton autel !

Et vous qui reverrez le cruel que j'adore
Quand l'ombre du trépas aura couvert mes yeux,
Compagnes de Sapho, portez-lui ces adieux !
Dites-lui... qu'en mourant je le nommais encore !

Elle dit, et le soir, quittant le bord des flots,
Vous revîntes sans elle, ô vierges de ****** !
Une colombe gémissait
De ne pouvoir devenir mère :
Elle avait fait cent fois tout ce qu'il fallait faire
Pour en venir à bout, rien ne réussissait.
Un jour, se promenant dans un bois solitaire,
Elle rencontre en un vieux nid
Un œuf abandonné, point trop gros, point petit,
Semblable aux œufs de tourterelle.
Ah ! Quel bonheur ! S'écria-t-elle :
Je pourrai donc enfin couver,
Et puis nourrir, puis élever
Un enfant qui fera le charme de ma vie !
Tous les soins qu'il me coûtera,
Les tourments qu'il me causera,
Seront encor des biens pour mon âme ravie :
Quel plaisir vaut ces soucis-là ?
Cela dit, dans le nid la colombe établie
Se met à couver l'œuf, et le couve si bien,
Qu'elle ne le quitte pour rien,
Pas même pour manger : l'amour nourrit les mères.
Après vingt et un jours elle voit naître enfin
Celui dont elle attend son bonheur, son destin,
Et ses délices les plus chères.
De joie elle est prête à mourir ;
Auprès de son petit nuit et jour elle veille,
L'écoute respirer, le regarde dormir,
S'épuise pour le mieux nourrir.
L'enfant chéri vient à merveille,
Son corps grossit en peu de temps :
Mais son bec, ses yeux et ses ailes,
Différent fort des tourterelles ;
La mère les voit ressemblants.
À bien élever sa jeunesse
Elle met tous ses soins, lui prêche la sagesse,
Et surtout l'amitié, lui dit à chaque instant :
Pour être heureux, mon cher enfant,
Il ne faut que deux points, la paix avec soi-même,
Puis quelques bons amis dignes de nous chérir.
La vertu de la paix nous fait seule jouir ;
Et le secret pour qu'on nous aime,
C'est d'aimer les premiers, facile et doux plaisir.
Ainsi parlait la tourterelle,
Quand, au milieu de sa leçon,
Un malheureux petit pinson
Échappé de son nid vient s'abattre auprès d'elle.
Le jeune nourrisson à peine l'aperçoit,
Qu'il court à lui : sa mère croit
Que c'est pour le traiter comme ami, comme frère,
Et pour offrir au voyageur
Une retraite hospitalière.
Elle applaudit déjà : mais quelle est sa douleur,
Lorsqu'elle voit son fils, ce fils dont la jeunesse
N'entendit que leçons de vertu, de sagesse,
Saisir le faible oiseau, le plumer, le manger,
Et garder au milieu de l'horrible carnage
Ce tranquille sang froid, assuré témoignage
Que le cœur désormais ne peut se corriger !
Elle en mourut, la pauvre mère.
Quel triste prix des soins donnés à cet enfant !
Mais c'était le fils d'un milan :
Rien ne change le caractère.
Laurent Nov 2015
Ainsi toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour?

O lac! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir
Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir!

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés:
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.

Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence;
On n'entendait au ****, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots:

"O temps, suspends ton vol! et vous, heures propices,
Suspendez votre cours!
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours!

"Assez de malheureux ici-bas vous implorent:
Coulez, coulez pour eux;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent;
Oubliez les heureux."

Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et fuit;
je dis à cette nuit: "Sois plus lente"; et l'aurore
Va dissiper la nuit.

Aimons donc, aimons donc! de l'heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons!
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive;
Il coule, et nous passons!

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent **** de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur?

Hé quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace?
Quoi! passés pour jamais? quoi! tout entiers perdus?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus?

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez?
Parlez: nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez?

O lac! rochers muets! grottes! forêt obscure!
Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir!

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux!

Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés!

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
Tout dise: "Ils ont aimé!"

In English :

So driven onward to new shores forever,
Into the night eternal swept away,
Upon the sea of time can we not ever
Drop anchor for one day?

O Lake! Scarce has a single year coursed past.
To waves that she was meant to see again,
I come alone to sit upon this stone
You saw her sit on then.

You lowed just so below those plunging cliffs.
Just so you broke about their riven flanks.
Just so the wind flung your spray forth to wash
Her feet which graced your banks.

Recall the evening we sailed out in silence?
On waves beneath the skies, afar and wide,
Naught but the rowers' rhythmic oars we heard
Stroking your tuneful tide.

Then of a sudden tones untold on earth,
Resounded round the sounding spellbound sea.
The tide attended; and I heard these words
From the voice dear to me:

Pause in your trek O Time! Pause in your flight,
Favorable hours, and stay!
Let us enjoy the transient delight
That fills our fairest day.

Unhappy crowds cry out to you in prayers.
Flow, Time, and set them free.
Run through their days and through their ravening cares!
But leave the happy be.

In vain I pray the hours to linger on
And Time slips into flight.
I tell this night: "Be slower!" and the dawn
Undoes the raveled night.

Let's love, then! Love, and feel while feel we can
The moment on its run.
There is no shore of Time, no port of Man.
It flows, and we go on.

Covetous Time! Our mighty drunken moments
When love pours forth huge floods of happiness;
Can it be true that they depart no faster
Than days of wretchedness?

Why can we not keep some trace at the least?
Gone wholly? Lost forever in the black?
Will Time that gave them, Time that now elides them
Never once bring them back?

Eternity, naught, past, dark gulfs: what do
You do with days of ours which you devour?
Speak! Shall you not bring back those things sublime?
Return the raptured hour?

O Lake, caves, silent cliffs and darkling wood,
Whom Time has spared or can restore to light,
Beautiful Nature, let there live at least
The memory of that night:

Let it be in your stills and in your storms,
Fair Lake, in your cavorting sloping sides,
In the black pine trees, in the savage rocks
That hang above your tides;

Let it be in the breeze that stirs and passes,
In sounds resounding shore to shore each night,
In the star's silver countenance that glances
Your surface with soft light.

Let the deep keening winds, the sighing reeds,
Let the light balm you blow through cliff and grove,
Let all that is beheld or heard or breathed
Say only "they did love."
Alphonse Marie Louis de Prat de Lamartine, chevalier de Pratz (21 October 1790 – 28 February 1869), was a French writer, poet and politician who was instrumental in the foundation of the Second Republic and the continuation of the Tricolore as the flag of France.
Lamartine is considered to be the first French romantic poet, and was acknowledged by Paul Verlaine and the Symbolists as an important influence.
In 1816, at Aix-les Bains near Lake Bourget, Lamartine made the acquaintance of one Julie Charles. The following year, he came back to the lake, expecting to meet her there again. But he waited in vain, and initially thought she had stood him up. A month later he learned that she had taken ill and died. The "she" in this semi-autobiographical poem refers to Julie. The "voice dear to me" which speaks the lines of stanzas 6-9 is also meant to be understood as Julie's voice.
C'était l'heure chantante où, plus doux que l'aurore,
Le jour en expirant semble sourire encore,
Et laisse le zéphyr dormant sous les rameaux
En descendre avec l'ombre et flotter sur les eaux ;
La cloche dans la tour, lentement ébranlée,
Roulait ses longs soupirs de vallée en vallée,
Comme une voix du soir qui, mourant sur les flots,
Rappelle avant la nuit la nature au repos.
Les villageois, épars autour de leurs chaumières,
Cadençaient à ses sons leurs rustiques prières,
Rallumaient en chantant la flamme des foyers,
Suspendaient les filets aux troncs des peupliers,
Ou, déliant le joug de leurs taureaux superbes,
Répandaient devant eux l'or savoureux des gerbes ;
Puis, assis en silence au seuil de leurs séjours,
Attendaient le sommeil, ce doux prix de leurs jours.

Deux enfants du hameau, l'un pasteur du bocage,
L'autre jeune pêcheur de l'orageuse plage,
Consacrant à l'amour l'heure oisive du soir,
A l'ombre du même arbre étaient venus s'asseoir ;
Là, pour goûter le frais au pied du sycomore,
Chacun avait conduit la vierge qu'il adore :
Néaere et Naela, deux jeunes sœurs, deux lis
Que sur la même tige un seul souffle a cueillis.
Les deux amants, couchés aux genoux des bergères,
Les regardaient tresser les tiges des fougères.
Un tertre de gazon, d'anémones semé,
Étendait sous la pente un tapis parfumé ;
La mer le caressait de ses vagues plaintives ;
Douze chênes, courbant leurs vieux troncs sur ses rives,
Ne laissaient sous leurs feuilles entrevoir qu'à demi
Le bleu du firmament dans son flot endormi.
Un arbre dont la vigne enlaçait le feuillage
Leur versait la fraîcheur de son mobile ombrage ;
Et non **** derrière eux, dans un champ déjà mûr,
Où le pampre et l'érable entrelaçaient leur mur,
Ils entendaient le bruit de la brise inégale
Tomber, se relever, gémir par intervalle,
Et, ranimant les airs par le jour assoupis,
Glisser en bruissant entre l'or des épis.

Ils disputaient entre eux des doux soins de leur vie ;
Chacun trouvait son sort le plus digne d'envie :
L'humble berger vantait les doux soins des troupeaux,
Le pêcheur sa nacelle et le charme des eaux ;
Quand un vieillard leur dit avec un doux sourire :
- Chantez ce que les champs ou l'onde vous inspire !
Chantez ! Celui des deux dont la touchante voix
Saura mieux faire aimer les vagues ou les bois,
Des mais de la maîtresse à qui sa voix est chère
Recevra le doux prix de ses accords: Néaere,
Offrant à son amant le prix des moissonneurs,
A sa dernière gerbe attachera des fleurs ;
Et Naela, tressant les roses qu'elle noue,
De l'esquif du pêcheur couronnera la proue,
Et son mât tout le jour, aux yeux des matelots,
De ses bouquets flottants parfumera les flots.
Ainsi dit le vieillard. On consent en silence :
Le beau pêcheur médite, et le pasteur commence.

LE PASTEUR.

Quand l'astre du printemps, au berceau d'un jour pur,
Lève à moitié son front dans la changeant azur ;
Quand l'aurore, exhalant sa matinale haleine,
Épand les doux parfums dont la vallée est pleine,
Et, faisant incliner le calice des fleurs,
De la nuit sur les prés laisse épancher les pleurs,
Alors que du matin la vive messagère,
L'alouette, quittant son lit dans la fougère,
Et modulant des airs gais comme le réveil,
Monte, plane et gazouille au-devant du soleil :
Saisissant mes taureaux par leur corne glissante,
Je courbe sous le joug leur tête mugissante,
Par des nœuds douze fois sur leurs fronts redoublés,
J'attache au bois polis leurs membres accouplés ;
L'anneau brillant d'acier au timon les enchaîne,
J'entrelace à leur joug de longs festons de chêne,
Dont la feuille mobile et les flottants rameaux
De l'ardeur du midi protègent leurs naseaux.
(Sur le départ de Madame la marquise.)

Allez, belle marquise, allez en d'autres lieux
Semer les doux périls qui naissent de vos yeux.
Vous trouverez partout les âmes toutes prêtes
A recevoir vos lois et grossir vos conquêtes,
Et les cœurs à l'envi se jetant dans vos fers
Ne feront point de vœux qui ne vous soient offerts ;
Mais ne pensez pas tant aux glorieuses peines
De ces nouveaux captifs qui vont prendre vos chaînes,
Que vous teniez vos soins tout-à-fait dispensés
De faire un peu de grâce à ceux que vous laissez.
Apprenez à leur noble et chère servitude
L'art de vivre sans vous et sans inquiétude ;
Et, si sans faire un crime on peut vous en prier,
Marquise, apprenez-moi l'art de vous oublier.

En vain de tout mon cœur la triste prévoyance
A voulu faire essai des maux de votre absence ;
Quand j'ai cru le soustraire à des yeux si charmants,
Je l'ai livré moi-même à de nouveaux tourments :
Il a fait quelques jours le mutin et le brave,
Mais il revient à vous, et revient plus esclave,
Et reporte à vos pieds le tyrannique effet
De ce tourment nouveau que lui-même il s'est fait.

Vengez-vous du rebelle, et faites-vous justice ;
Vous devez un mépris du moins à son caprice ;
Avoir un si long temps des sentiments si vains,
C'est assez mériter l'honneur de vos dédains.
Quelle bonté superbe, ou quelle indifférence
A sa rébellion ôte le nom d'offense ?

Quoi ! vous me revoyez sans vous plaindre de rien ?
Je trouve même accueil avec même entretien ?
Hélas ! et j'espérais que votre humeur altière
M'ouvrirait les chemins à la révolte entière ;
Ce cœur, que la raison ne peut plus secourir,
Cherchait dans votre orgueil une aide à se guérir :
Mais vous lui refusez un moment de colère ;
Vous m'enviez le bien d'avoir pu vous déplaire ;
Vous dédaignez de voir quels sont mes attentats,
Et m'en punissez mieux ne m'en punissant pas.

Une heure de grimace ou froide ou sérieuse,
Un ton de voix trop rude ou trop impérieuse,
Un sourcil trop sévère, une ombre de fierté,
M'eût peut-être à vos yeux rendu la liberté.

J'aime, mais en aimant je n'ai point la bassesse
D'aimer jusqu'au mépris de l'objet qui me blesse ;
Ma flamme se dissipe à la moindre rigueur.
Non qu'enfin mon amour prétende cœur pour cœur :
Je vois mes cheveux gris : je sais que les années
Laissent peu de mérite aux âmes les mieux nées ;
Que les plus beaux talents des plus rares esprits,
Quand les corps sont usés, perdent bien de leur prix ;
Que, si dans mes beaux jours je parus supportable,
J'ai trop longtemps aimé pour être encore aimable,
Et que d'un front ridé les replis jaunissants
Mêlent un triste charme au prix de mon encens.
Je connais mes défauts ; mais après tout, je pense
Être pour vous encore un captif d'importance :

Car vous aimez la gloire, et vous savez qu'un roi
Ne vous en peut jamais assurer tant que moi.
Il est plus en ma main qu'en celle d'un monarque
De vous faire égaler l'amante de Pétrarque,
Et mieux que tous les rois je puis faire douter
De sa Laure ou de vous qui le doit emporter.

Aussi, je le vois trop, vous aimez à me plaire,
Vous vous rendez pour moi facile à satisfaire ;
Votre âme de mes feux tire un plaisir secret,
Et vous me perdriez sans honte avec regret.

Marquise, dites donc ce qu'il faut que je fasse :
Vous rattachez mes fers quand la saison vous chasse ;
Je vous avais quittée, et vous me rappelez
Dans le cruel instant que vous vous en allez.
Rigoureuse faveur, qui force à disparaître
Ce calme étudié que je faisais renaître,
Et qui ne rétablit votre absolu pouvoir
Que pour me condamner à languir sans vous voir !

Payez, payez mes feux d'une plus faible estime,
Traitez-les d'inconstants ; nommez ma fuite un crime ;
Prêtez-moi, par pitié, quelque injuste courroux ;
Renvoyez mes soupirs qui volent après vous ;
Faites-moi présumer qu'il en est quelques autres
A qui jusqu'en ces lieux vous renvoyez des vôtres,
Qu'en faveur d'un rival vous allez me trahir :
J'en ai, vous le savez, que je ne puis haïr ;
Négligez-moi pour eux, mais dites en vous-même :
« Moins il me veut aimer, plus il fait voir qu'il m'aime,
Et m'aime d'autant plus que son cœur enflammé
N'ose même aspirer au bonheur d'être aimé ;
Je fais tous ses plaisirs, j'ai toutes ses pensées,
Sans que le moindre espoir les ait intéressées. »

Puissé-je malgré vous y penser un peu moins,
M'échapper quelques jours vers quelques autres soins,
Trouver quelques plaisirs ailleurs qu'en votre idée,
Et voir toute mon âme un peu moins obsédée ;
Et vous, de qui je n'ose attendre jamais rien,
Ne ressentir jamais un mal pareil au mien !

Ainsi parla Cléandre, et ses maux se passèrent,
Son feu s'évanouit, ses déplaisirs cessèrent :
Il vécut sans la dame, et vécut sans ennui,
Comme la dame ailleurs se divertit sans lui.
Heureux en son amour, si l'ardeur qui l'anime
N'en conçoit les tourments que pour s'en plaindre en rime,
Et si d'un feu si beau la céleste vigueur
Peut enflammer ses vers sans échauffer son cœur !
Paul d'Aubin Jan 2015
Dame Maladie lâchez moi donc un peu !

Dame Maladie vous fûtes une compagne,
Empressée, aux soins jaloux.
Souvent c'était le nez coulant, plus que nature.
qui  donnait  au sinus, brûlures de vinaigre.
Enfant c'était l'asthme, d'étouffements suivis,
M'empêchant de dormir, autrement qu'en fauteuil.

Puis dans les années ou tant de sots font carrière,
Ce fut la Melancholia et des longues angoisses,
La sensation terrible de ne pouvoir écrire,
En tout cas au rythme que l'on m'avait fixé,
et les conseil idiots, de tant de bien-portants,
souvent suivi de honte de me voir méprisé.

Puis vint cet eczéma comme une fournaise,
Faisant brûler la peau, comme de,  feu Nessus,
La tunique brûlante, puis l'envie de gratter,
Qui soulage la peine avant de l'aggraver.
et mon corps désormais, prenant peur du salé de la mer,
dont enfant j'aimais tant à chevaucher les vagues.

Quelques années plus ****, l'intestin, à son tour,
Vint s'occuper de moi et me tenir prostré,
Car riz, charbon et coing restaient insuffisants,
Pour stopper les coliques qui me tenaient chez moi,
la position couchée devenant un refuge,
et seule la lecture me tenait compagnie.

Certes la Médecine est une grande Dame.
Que j'appris a connaître au delà du commun.
Elle sait bien soulager mais rarement guérir.
Et sa fréquentation n'admet point le divorce.
Un jour, peut être, hélas, mes sens s'apaiseront.
Mais pour un long sommeil qui se nomme la Mort,

Paul Arrighi
Fi Jul 2016
grin penetrating my mind and your touch - your grab - sewn into my side
sinking as a summer without fin(n)s drowning in your baby blues,
boy
and fooling myself into early christmas hollyboughs? go-lightly on me, oh please!
A ****** bisou beneath mistletoe
with curled toes and auroral, idolising eyes
fantasising eyes
overall, decriminalising eyes
Annie excuse at (H)all to see you and
re
-vive (mes soins, votre sécurité)
-kindle (the ignition to my inspiration)
-pair (poles apart)
a pair in the most offensive of ways
my only vice is cleansing yours
but your sins or psyche?
am i wounded or warming?
my truly fatal frailty
Women Who Love Too Much
Book by Robin Norwood
(Au Marquis de Lamaisonfort)

Oh ! qui m'emportera vers les tièdes rivages,
Où l'Arno couronné de ses pâles ombrages,
Aux murs des Médicis en sa course arrêté,
Réfléchit le palais par un sage habité,
Et semble, au bruit flatteur de son onde plus lente,
Murmurer les grands noms de Pétrarque et du Dante ?
Ou plutôt, que ne puis-je, au doux tomber du jour,
Quand le front soulagé du fardeau de la cour,
Tu vas sous tes bosquets chercher ton Égérie,
Suivre, en rêvant, tes pas de prairie en prairie ;
Jusqu'au modeste toit par tes mains embelli,
Où tu cours adorer le silence et l'oubli !
J'adore aussi ces dieux : depuis que la sagesse
Aux rayons du malheur a mûri ma jeunesse,
Pour nourrir ma raison des seuls fruits immortels,
J'y cherche en soupirant l'ombre de leurs autels ;
Et, s'il est au sommet de la verte colline,
S'il est sur le penchant du coteau qui s'incline,
S'il est aux bords déserts du torrent ignoré
Quelque rustique abri, de verdure entouré,
Dont le pampre arrondi sur le seuil domestique
Dessine en serpentant le flexible portique ;
Semblable à la colombe errante sur les eaux,
Qui, des cèdres d'Arar découvrant les rameaux,
Vola sur leur sommet poser ses pieds de rose,
Soudain mon âme errante y vole et s'y repose !
Aussi, pendant qu'admis dans les conseils des rois,
Représentant d'un maître honoré par son choix,
Tu tiens un des grands fils de la trame du monde ;
Moi, parmi les pasteurs, assis aux bords de l'onde,
Je suis d'un oeil rêveur les barques sur les eaux ;
J'écoute les soupirs du vent dans les roseaux ;
Nonchalamment couché près du lit des fontaines,
Je suis l'ombre qui tourne autour du tronc des chênes,
Ou je grave un vain nom sur l'écorce des bois,
Ou je parle à l'écho qui répond à ma voix,
Ou dans le vague azur contemplant les nuages,
Je laisse errer comme eux mes flottantes images ;
La nuit tombe, et le Temps, de son doigt redouté,
Me marque un jour de plus que je n'ai pas compté !

Quelquefois seulement quand mon âme oppressée
Sent en rythmes nombreux déborder ma pensée ;
Au souffle inspirateur du soir dans les déserts,
Ma lyre abandonnée exhale encor des vers !
J'aime à sentir ces fruits d'une sève plus mûre,
Tomber, sans qu'on les cueille, au gré de la nature,
Comme le sauvageon secoué par les vents,
Sur les gazons flétris, de ses rameaux mouvants
Laisse tomber ces fruits que la branche abandonne,
Et qui meurent au pied de l'arbre qui les donne !
Il fut un temps, peut-être, où mes jours mieux remplis,
Par la gloire éclairés, par l'amour embellis,
Et fuyant **** de moi sur des ailes rapides,
Dans la nuit du passé ne tombaient pas si vides.
Aux douteuses clartés de l'humaine raison,
Egaré dans les cieux sur les pas de Platon,
Par ma propre vertu je cherchais à connaître
Si l'âme est en effet un souffle du grand être ;
Si ce rayon divers, dans l'argile enfermé,
Doit être par la mort éteint ou rallumé ;
S'il doit après mille ans revivre sur la terre ;
Ou si, changeant sept fois de destins et de sphère,
Et montant d'astre en astre à son centre divin,
D'un but qui fuit toujours il s'approche sans fin ?
Si dans ces changements nos souvenirs survivent ?
Si nos soins, nos amours, si nos vertus nous suivent
S'il est un juge assis aux portes des enfers,
Qui sépare à jamais les justes des pervers ?
S'il est de saintes lois qui, du ciel émanées,
Des empires mortels prolongent les années,
Jettent un frein au peuple indocile à leur voix,
Et placent l'équité sous la garde des rois ?
Ou si d'un dieu qui dort l'aveugle nonchalance
Laisse au gré du destin trébucher sa balance,
Et livre, en détournant ses yeux indifférents,
La nature au hasard, et la terre aux tyrans ?
Mais ainsi que des cieux, où son vol se déploie,
L'aigle souvent trompé redescend sans sa proie,
Dans ces vastes hauteurs où mon oeil s'est porté
Je n'ai rien découvert que doute et vanité !
Et las d'errer sans fin dans des champs sans limite,
Au seul jour où je vis, au seul bord que j'habite,
J'ai borné désormais ma pensée et mes soins :
Pourvu qu'un dieu caché fournisse à mes besoins !
Pourvu que dans les bras d'une épouse chérie
Je goûte obscurément les doux fruits de ma vie !
Que le rustique enclos par mes pères planté
Me donne un toit l'hiver, et de l'ombre l'été ;
Et que d'heureux enfants ma table couronnée
D'un convive de plus se peuple chaque année !
Ami ! je n'irai plus ravir si **** de moi,
Dans les secrets de Dieu ces comment ; ces pourquoi,
Ni du risible effort de mon faible génie,
Aider péniblement la sagesse infinie !
Vivre est assez pour nous ; un plus sage l'a dit :
Le soin de chaque jour à chaque jour suffit.
Humble, et du saint des saints respectant les mystères,
J'héritai l'innocence et le dieu de mes pères ;
En inclinant mon front j'élève à lui mes bras,
Car la terre l'adore et ne le comprend pas :
Semblable à l'Alcyon, que la mer dorme ou gronde,
Qui dans son nid flottant s'endort en paix sur l'onde,
Me reposant sur Dieu du soin de me guider
A ce port invisible où tout doit aborder,
Je laisse mon esprit, libre d'inquiétude,
D'un facile bonheur faisant sa seule étude,
Et prêtant sans orgueil la voile à tous les vents,
Les yeux tournés vers lui, suivre le cours du temps.

Toi, qui longtemps battu des vents et de l'orage,
Jouissant aujourd'hui de ce ciel sans nuage,
Du sein de ton repos contemples du même oeil
Nos revers sans dédain, nos erreurs sans orgueil ;
Dont la raison facile, et chaste sans rudesse,
Des sages de ton temps n'a pris que la sagesse,
Et qui reçus d'en haut ce don mystérieux
De parler aux mortels dans la langue des dieux ;
De ces bords enchanteurs où ta voix me convie,
Où s'écoule à flots purs l'automne de ta vie,
Où les eaux et les fleurs, et l'ombre, et l'amitié,
De tes jours nonchalants usurpent la moitié,
Dans ces vers inégaux que ta muse entrelace,
Dis-nous, comme autrefois nous l'aurait dit Horace,
Si l'homme doit combattre ou suivre son destin ?
Si je me suis trompé de but ou de chemin ?
S'il est vers la sagesse une autre route à suivre ?
Et si l'art d'être heureux n'est pas tout l'art de vivre.
I


Que ces vallons déserts, que ces vastes prairies

Où j'allais promener mes tristes rêveries,

Que ces rivages frais, que ces bois, que ces champs,

Que tout prenne une voix et retrouve des chants

Et porte jusqu'au sein de Ta Toute Puissance

Un hymne de bonheur et de reconnaissance !

Celle, qui dans un chaste et pur embrassement,

A reçu mon amour et mon premier serment,

Celle à qui j'ai juré de consacrer ma vie

Par d'injustes parents m'avait été ravie ;

Ils avaient repoussé mes pleurs, et les ingrats

Avaient osé venir l'arracher de mes bras ;

Et jaloux de m'ôter la dernière espérance

Qui pût me soutenir et calmer ma souffrance,

Un message trompeur nous avait informés

Que sur un bord lointain ses yeux s'étaient fermés.

Celui qui fut aimé, celui qui put connaître

Ce bonheur enivrant de confondre son être,

De vivre dans un autre, et de ne plus avoir

Que son cœur pour sentir, et que ses yeux pour voir,

Celui-là pourra seul deviner et comprendre

Ce qu'une voix humaine est impuissante à rendre ;

Celui-là saura seul tout ce que peut souffrir

Un homme, et supporter de tourments sans mourir.

Mais la main qui sur moi s'était appesantie

Semble de mes malheurs s'être enfin repentie.

Leur cœur s'est attendri, soit qu'un pouvoir caché,

Que sais-je ? Ou que la voix du remords l'ait touché.

Celle que je pleurais, que je croyais perdue,

Elle vit ! elle vient ! et va m'être rendue !

Ne demandez donc plus, amis, pourquoi je veux

Qu'on mêle ces boutons de fleurs dans mes cheveux.

Non ! Je n'ai point souffert et mes douleurs passées

En cet heureux instant sont toutes effacées ;

Que sont tous mes malheurs, que sont tous mes ennuis.

Et ces rêves de deuil qui tourmentaient mes nuits ?

Et moi ! J'osais du ciel accuser la colère !

Je reconnais enfin sa bonté tutélaire.

Et je bénis ces maux d'un jour qui m'ont appris

Que mes yeux ne devaient la revoir qu'à ce prix !


II


Quel bonheur est le mien ! Pourtant - ces deux années

Changent bien des projets et bien des destinées ;

- Je ne puis me celer, à parler franchement,

Que ce retour me gêne un peu, dans ce moment.

Certes, le souvenir de notre amour passé

N'est pas un seul instant sorti de ma pensée ;

Mais enfin je ne sais comment cela s'est fait :

Invité cet hiver aux bals chez le préfet.

J'ai vu sa fille aînée, et par étourderie

Risqué de temps en temps quelque galanterie :

Je convins aux parents, et fus bientôt admis

Dans cette intimité qu'on réserve aux amis.

J'y venais tous les soirs, je faisais la lecture,

Je présentais la main pour monter en voiture ;

Dans nos réunions en petit comité,

Toujours près de la fille, assis à son côté.

Je me rendais utile à tout, j'étais son page.

Et quand elle chantait, je lui tournais la page.

Enfin, accoutumé chaque jour à la voir.

60 Que sais-je ? J'ai rendu, sans m'en apercevoir,

Et bien innocemment, des soins, que je soupçonne

N'être pas dédaignés de la jeune personne :

Si bien que je ne sais trop comment m'arranger :

On jase, et les parents pourront bien exiger

Que j'ôte ce prétexte à la rumeur publique,

Et, quelque beau matin, vouloir que je m'explique.

C'est ma faute, après tout, je me suis trop pressé,

Et, comme un débutant, je me suis avancé.

Mais, d'un autre côté, comment prévoir… ? N'importe,

Mes serments sont sacrés, et mon amour l'emporte,

J'irai demain trouver le père, et s'il vous plaît,-

Je lui raconterai la chose comme elle est.

- C'est bien ! - Mais que va-t-on penser, que va-t-on dire ?

Le monde est si méchant, et si prompt à médire !

- Je le brave ! et s'il faut, je verserai mon sang...

Oui : mais toujours est-il que c'est embarrassant.


III


Comme tout ici-bas se flétrit et s'altère,

Et comme les malheurs changent un caractère !

J'ai cherché vainement, et n'ai point retrouvé

Cette aimable candeur qui m'avait captivé.

Celle que j'avais vue autrefois si craintive.

Dont la voix résonnait si douce et si plaintive,

Hautaine, au parler bref, et parfois emporté,

A rejeté bien **** cette timidité.

A moi, qui n'ai vécu, n'ai souffert que pour elle.

Est-ce qu'elle n'a pas déjà cherché querelle ?

Jetant sur le passé des regards curieux,

Elle m'a demandé d'un air impérieux

Si, pendant tout ce temps que j'ai passé **** d'elle.

Mon cœur à sa mémoire était resté fidèle :

Et de quel droit, bon Dieu ? Nous n'étions point liés.

Et nous aurions très bien pu nous être oubliés !

J'avais juré, promis ! - Qu'est-ce que cela prouve ?

Tous les jours, en amour, on jure ; et lorsqu'on trouve

Quelque distraction, on laisse rarement

Perdre l'occasion de trahir son serment :

Il n'est pas défendu d'avoir un cœur sensible,

Et ce n'est point du "tout un crime irrémissible.

Et puis d'ailleurs, après ce que j'ai découvert.

Entre nous, soyons franc, parlons à cœur ouvert :

J'en avais fait mon deuil, et la pauvre exilée

S'est bien de son côté quelque peu consolée ;

Et si je persistais à demander sa main.

C'était par conscience, et par respect humain ;

Je m'étais étourdi. Mais elle a, la première.

Fait ouvrir, par bonheur, mes yeux à la lumière,

Et certes, j'aime mieux encore, à beaucoup près,

Qu'elle se soit ainsi montrée avant qu'après.

Car enfin, rien n'est fait, au moins, et le notaire

N'a point à nos serments prêté son ministère.

- Mais quels emportements ! quels pleurs ! car elle croit

Exiger une dette et réclamer un droit.

Or il faut en finir : quoi qu'elle dise ou fasse,

J'en ai pris mon parti ; j'irai lui dire en face,

- Quoi ? - Que son caractère est à n'y pas tenir.

- Elle avait bien besoin aussi de revenir !

Nous étions si bien tous, quand son humeur altière

Vint troubler le repos d'une famille entière !

On nous la disait morte ; et je croirais aussi

Qu'il vaudrait beaucoup mieux que cela fût ainsi.
I


J'ai toujours voulu voir du pays, et la vie

Que mène un voyageur m'a toujours fait envie.

Je me suis dit cent fois qu'un demi-siècle entier

Dans le même logis, dans le même quartier ;

Que dix ans de travail, dix ans de patience

A lire les docteurs et creuser leur science,

Ne valent pas six mois par voie et par chemin,

Six mois de vie errante, un bâton à la main.

- Eh bien ! me voici prêt, ma valise est remplie ;

Où vais-je ! - En Italie. - Ah, fi donc ! l'Italie !

Voyage de badauds, de beaux fils à gants blancs.

Qui vont là par ennui, par ton, comme à Coblentz,

En poste, au grand galop, traversant Rome entière,

Et regardent ton ciel, Naples, par la portière.

- Mais ce que je veux, moi, voir avant de mourir,

Où je veux à souhait rêver, chanter, courir.

C'est l'Espagne, ô mon cœur ! c'est l'hôtesse des Maures,

Avec ses orangers et ses frais sycomores,

Ses fleuves, ses rochers à pic, et ses sentiers

Où s'entendent, la nuit, les chants des muletiers ;

L'Espagne d'autrefois, seul débris qui surnage

Du colosse englouti qui fut le moyen âge ;

L'Espagne et ses couvents, et ses vieilles cités

Toutes ceintes de murs que l'âge a respectés ;

Madrid. Léon, Burgos, Grenade et cette ville

Si belle, qu'il n'en est qu'une au monde. Séville !

La ville des amants, la ville des jaloux,

Fière du beau printemps de son ciel andalou,

Qui, sous ses longs arceaux de blanches colonnades,

S'endort comme une vierge, au bruit des sérénades.

Jusqu'à tant que pour moi le jour se soit levé

Où je pourrai te voir et baiser ton pavé,

Séville ! c'est au sein de cette autre patrie

Que je veux, mes amis, mettre, ma rêverie ;

C'est là que j'enverrai mon âme et chercherai

De doux récits d'amour que je vous redirai.


II


A Séville autrefois (pour la date il n'importe),

Près du Guadalquivir, la chronique rapporte

Qu'une dame vivait, qui passait saintement

Ses jours dans la prière et le recueillement :

Ses charmes avaient su captiver la tendresse

De l'alcade, et c'était, comme on dit, sa maîtresse ;

Ce qui n'empêchait pas que son nom fût cité

Comme un exemple à tous d'austère piété.

Car elle méditait souvent les évangiles,

Jeûnait exactement quatre-temps et vigiles.

Communiait à Pâque, et croyait fermement

Que c'est péché mortel d'avoir plus d'un amant

A la fois. Ainsi donc, en personne discrète.

Elle vivait au fond d'une obscure retraite,

Toute seule et n'ayant de gens dans sa maison

Qu'une duègne au-delà de l'arrière-saison,

Qu'on disait avoir eu, quand elle était jolie.

Ses erreurs de jeunesse, et ses jours de folie.

Voyant venir les ans, et les amans partir,

En femme raisonnable elle avait cru sentir

Qu'en son âme, un beau jour, était soudain venue

Une vocation jusqu'alors inconnue ;

Au monde, qui fuyait, elle avait dit adieu,

Et pour ses vieux péchés s'était vouée à Dieu.


Une fois, au milieu d'une de ces soirées

Que prodigue le ciel à ces douces contrées,

Le bras nonchalamment jeté sur son chevet,

Paquita (c'est le nom de la dame) rêvait :

Son œil s'était voilé, silencieux et triste ;

Et tout près d'elle, au pied du lit, sa camariste

Disait dévotement, un rosaire à la main,

Ses prières du soir dans le rite romain.

Voici que dans la rue, au pied de la fenêtre,

Un bruit se fit entendre ; elle crut reconnaître

Un pas d'homme, prêta l'oreille ; en ce moment

Une voix s'éleva qui chantait doucement :


« Merveille de l'Andalousie.

Étoile qu'un ange a choisie

Entre celles du firmament,

Ne me fuis pas ainsi ; demeure,

Si tu ne veux pas que je meure

De désespoir, en te nommant !


J'ai visité les Asturies,

Aguilar aux plaines fleuries,

Tordesillas aux vieux manoirs :

J'ai parcouru les deux Castilles.

Et j'ai bien vu sous les mantilles

De grands yeux et des sourcils noirs :


Mais, ô lumière de ma vie,

Dans Barcelone ou Ségovie,

Dans Girone au ciel embaumé,

Dans la Navarre ou la Galice,

Je n'ai rien vu qui ne pâlisse

Devant les yeux qui m'ont charmé ! »


Quand la nuit est bien noire, et que toute la terre,

Comme de son manteau, se voile de mystère,

Vous est-il arrivé parfois, tout en rêvant,

D'ouïr des sons lointains apportés par le vent ?

Comme alors la musique est plus douce ! Il vous semble

Que le ciel a des voix qui se parlent ensemble,

Et que ce sont les saints qui commencent en chœur

Des chants qu'une autre voix achève dans le cœur.

- A ces sons imprévus, tout émue et saisie,

La dame osa lever un coin de jalousie

Avec précaution, et juste pour pouvoir

Découvrir qui c'était, mais sans se laisser voir.

En ce moment la lune éclatante et sereine

Parut au front des cieux comme une souveraine ;

A ses pâles rayons un regard avait lui,

Elle le reconnut, et dit : « C'est encor lui ! »

C'était don Gabriel, que par toute la ville

On disait le plus beau cavalier de Séville ;

Bien fait, de belle taille et de bonne façon ;

Intrépide écuyer et ferme sur l'arçon,

Guidant son andalou avec grâce et souplesse,

Et de plus gentilhomme et de haute noblesse ;

Ce que sachant très bien, et comme, en s'en allant,

Son bonhomme de père avait eu le talent

De lui laisser comptant ce qu'il faut de richesses

Pour payer la vertu de plus de cent duchesses,

Il allait tête haute, en homme intelligent

Du prix de la noblesse unie avec l'argent.

Mais quand le temps d'aimer, car enfin, quoi qu'on dit,

Il faut tous en passer par cette maladie,

Qui plus tôt, qui plus **** ; quand ce temps fut venu,

Et qu'un trouble arriva jusqu'alors inconnu,

Soudain il devint sombre : au fond de sa pensée

Une image de femme un jour était passée ;

Il la cherchait partout. Seul, il venait s'asseoir

Sous les arbres touffus d'Alaméda, le soir.

A cette heure d'amour où la terre embrasée

Voit son sein rafraîchir sous des pleurs de rosée.

Un jour qu'il était là, triste, allant sans savoir

Où se portaient ses pas, et regardant sans voir,

Une femme passa : vision imprévue.

Qu'il reconnut soudain sans l'avoir jamais vue !

C'était la Paquita : c'était elle ! elle avait

Ces yeux qu'il lui voyait, la nuit, quand il rêvait.

Le souris, la démarche et la taille inclinée

De l'apparition qu'il avait devinée.

Il est de ces moments qui décident des jours

D'un homme ! Depuis lors il la suivait toujours,

Partout, et c'était lui dont la voix douce et tendre

Avait trouvé les chants qu'elle venait d'entendre.


III


Comment don Gabriel se fit aimer, comment

Il entra dans ce cœur tout plein d'un autre amant,

Je n'en parlerai pas, lecteur, ne sachant guère,

Depuis qu'on fait l'amour, de chose plus vulgaire ;

Donc, je vous en fais grâce, et dirai seulement,

Pour vous faire arriver plus vite au dénouement.

Que la dame à son tour. - car il n'est pas possible

Que femme à tant d'amour garde une âme insensible,

- Après avoir en vain rappelé sa vertu.

Avoir prié longtemps, et longtemps combattu.

N'y pouvant plus tenir, sans doute, et dominée

Par ce pouvoir secret qu'on nomme destinée,

Ne se contraignit plus, et cessa d'écouter

Un reste de remords qui voulait l'arrêter :

Si bien qu'un beau matin, au détour d'une allée,

Gabriel vit venir une duègne voilée,

D'un air mystérieux l'aborder en chemin,

Regarder autour d'elle, et lui prendre la main

En disant : « Une sage et discrète personne,

Que l'on ne peut nommer ici, mais qu'on soupçonne

Vous être bien connue et vous toucher de près,

Mon noble cavalier, me charge tout exprès

De vous faire savoir que toute la soirée

Elle reste au logis, et serait honorée

De pouvoir vous apprendre, elle-même, combien

A votre seigneurie elle voudrait de bien. »


Banquiers, agents de change, épiciers et notaires,

Percepteurs, contrôleurs, sous-chefs de ministères

Boutiquiers, électeurs, vous tous, grands et petits.

Dans les soins d'ici-bas lourdement abrutis,

N'est-il pas vrai pourtant que, dans cette matière,

Où s'agite en tous sens votre existence entière.

Vous n'avez pu flétrir votre âme, et la fermer

Si bien, qu'il n'y demeure un souvenir d'aimer ?

Oh ! qui ne s'est, au moins une fois dans sa vie,

D'une extase d'amour senti l'âme ravie !

Quel cœur, si desséché qu'il soit, et si glacé,

Vers un monde nouveau ne s'est point élancé ?

Quel homme n'a pas vu s'élever dans les nues

Des chœurs mystérieux de vierges demi-nues ;

Et lorsqu'il a senti tressaillir une main,

Et qu'une voix aimée a dit tout bas : « Demain »,

Oh ! qui n'a pas connu cette fièvre brûlante,

Ces imprécations à l'aiguille trop lente,

Et cette impatience à ne pouvoir tenir

En place, et comme un jour a de mal à finir !

- Hélas ! pourquoi faut-il que le ciel nous envie

Ces instants de bonheur, si rares dans la vie,

Et qu'une heure d'amour, trop prompte à s'effacer,

Soit si longue à venir, et si courte à passer !


Après un jour, après un siècle entier d'attente,

Gabriel, l'œil en feu, la gorge haletante,

Arrive ; on l'attendait. Il la vit, - et pensa

Mourir dans le baiser dont elle l'embrassa.


IV


La nature parfois a d'étranges mystères !


V


Derrière le satin des rideaux solitaires

Que s'est-il donc passé d'inouï ? Je ne sais :

On entend des soupirs péniblement poussés.

Et soudain Paquita s'écriant : « Honte et rage !

Sainte mère de Dieu ! c'est ainsi qu'on m'outrage !

Quoi ! ces yeux, cette bouche et cette gorge-là,

N'ont de ce beau seigneur obtenu que cela !

Il vient dire qu'il m'aime ! et quand je m'abandonne

Aux serments qu'il me fait, grand Dieu ! que je me donne,

Que je risque pour lui mon âme, et je la mets

En passe d'être un jour damnée à tout jamais,

'Voilà ma récompense ! Ah ! pour que tu réveilles

Ce corps tout épuisé de luxure et de veilles,

Ma pauvre Paquita, tu n'es pas belle assez !

Car, ne m'abusez pas, maintenant je le sais.

Sorti d'un autre lit, vous venez dans le nôtre

Porter des bras meurtris sous les baisers d'une autre :

Elle doit s'estimer heureuse, Dieu merci.

De vous avoir pu mettre en l'état que voici.

Celle-là ! car sans doute elle est belle, et je pense

Qu'elle est femme à valoir qu'on se mette en dépense !

Je voudrais la connaître, et lui demanderais

De m'enseigner un peu ses merveilleux secrets.

Au moins, vous n'avez pas si peu d'intelligence

De croire que ceci restera sans vengeance.

Mon illustre seigneur ! Ah ! l'aimable roué !

Vous apprendrez à qui vous vous êtes joué !

Çà, vite en bas du lit, qu'on s'habille, et qu'on sorte !

Certes, j'espère bien vous traiter de la sorte

Que vous me connaissiez, et de quel châtiment

La Paquita punit l'outrage d'un amant ! »


Elle parlait ainsi lorsque, tout effarée,

La suivante accourut : « A la porte d'entrée,

L'alcade et trois amis, qu'il amenait souper,

Dit-elle, sont en bas qui viennent de frapper !

- Bien ! dit la Paquita ; c'est le ciel qui l'envoie !

- Ah ! señora ! pour vous, gardez que l'on me voie !

- Au contraire, dit l'autre. Allez ouvrir ! merci.

Mon Dieu ; je t'appelais, Vengeance ; te voici ! »

Et sitôt que la duègne en bas fut descendue,

La dame de crier : « A moi ! je suis perdue !

Au viol ! je me meurs ! au secours ! au secours !

Au meurtre ! à l'assassin ! Ah ! mon seigneur, accours ! »

Tout en disant cela, furieuse, éperdue,

Au cou de Gabriel elle s'était pendue.

Le serrait avec rage, et semblait repousser

Ses deux bras qu'elle avait contraints à l'embrasser ;

Et lui, troublé, la tête encor tout étourdie,

Se prêtait à ce jeu d'horrible comédie,

Sans deviner, hélas ! que, pour son châtiment,

C'était faire un prétexte et servir d'instrument !


L'alcade cependant, à ces cris de détresse,

Accourt en toute hâte auprès de sa maîtresse :

« Seigneur ! c'est le bon Dieu qui vous amène ici ;

Vengez-vous, vengez-moi ! Cet homme que voici,

Pour me déshonorer, ce soir, dans ma demeure...

- Femme, n'achevez pas, dit l'alcade ; qu'il meure !

- Qu'il meure ; reprit-elle. - Oui ; mais je ne veux pas

Lui taire de ma main un si noble trépas ;

Çà, messieurs, qu'on l'emmène, et que chacun pâlisse

En sachant à la fois le crime et le supplice ! »

Gabriel, cependant, s'étant un peu remis.

Tenta de résister ; mais pour quatre ennemis,

Hélas ! il était seul, et sa valeur trompée

Demanda vainement secours à son épée ;

Elle s'était brisée en sa main : il fallut

Se rendre, et se soumettre à tout ce qu'on voulut.


Devant la haute cour on instruisit l'affaire ;

Le procès alla vite, et quoi que pussent faire

Ses amis, ses parents et leur vaste crédit.

Qu'au promoteur fiscal don Gabriel eût dit :

« C'est un horrible piège où l'on veut me surprendre.

Un crime ! je suis noble, et je dois vous apprendre,

Seigneur, qu'on n'a jamais trouvé dans ma maison

De rouille sur l'épée ou de tache au blason !

Seigneur, c'est cette femme elle-même, j'en jure

Par ce Christ qui m'entend et punit le parjure.

Qui m'avait introduit dans son appartement ;

Et comment voulez-vous qu'à pareille heure ?... - Il ment !

Disait la Paquita ; d'ailleurs la chose est claire.

J'ai mes témoins : il faut une peine exemplaire.

Car je vous l'ai promis, et qu'un juste trépas

Me venge d'un affront que vous n'ignorez pas ! »


VI


Or, s'il faut maintenant, lecteur, qu'on vous apprenne -

La fin de tout ceci, par la cour souveraine

Il fut jugé coupable à l'unanimité ;

Et comme il était noble, il fut décapité.
Le roi brillant du jour, se couchant dans sa gloire,
Descend avec lenteur de son char de victoire.
Le nuage éclatant qui le cache à nos yeux
Conserve en sillons d'or sa trace dans les cieux,
Et d'un reflet de pourpre inonde l'étendue.
Comme une lampe d'or, dans l'azur suspendue,
La lune se balance aux bords de l'horizon ;
Ses rayons affaiblis dorment sur le gazon,
Et le voile des nuits sur les monts se déplie :
C'est l'heure où la nature, un moment recueillie,
Entre la nuit qui tombe et le jour qui s'enfuit,
S'élève au Créateur du jour et de la nuit,
Et semble offrir à Dieu, dans son brillant langage,
De la création le magnifique hommage.
Voilà le sacrifice immense, universel !
L'univers est le temple, et la terre est l'autel ;
Les cieux en sont le dôme : et ces astres sans nombre,
Ces feux demi-voilés, pâle ornement de l'ombre,
Dans la voûte d'azur avec ordre semés,
Sont les sacrés flambeaux pour ce temple allumés :
Et ces nuages purs qu'un jour mourant colore,
Et qu'un souffle léger, du couchant à l'aurore,
Dans les plaines de l'air, repliant mollement,
Roule en flocons de pourpre aux bords du firmament,
Sont les flots de l'encens qui monte et s'évapore
Jusqu'au trône du Dieu que la nature adore.
Mais ce temple est sans voix. Où sont les saints concerts ?
D'où s'élèvera l'hymne au roi de l'univers ?
Tout se tait : mon coeur seul parle dans ce silence.
La voix de l'univers, c'est mon intelligence.
Sur les rayons du soir, sur les ailes du vent,
Elle s'élève à Dieu comme un parfum vivant ;
Et, donnant un langage à toute créature,
Prête pour l'adorer mon âme à la nature.
Seul, invoquant ici son regard paternel,
Je remplis le désert du nom de I'Eternel ;
Et celui qui, du sein de sa gloire infinie,
Des sphères qu'il ordonne écoute l'harmonie,
Ecoute aussi la voix de mon humble raison,
Qui contemple sa gloire et murmure son nom.
Salut, principe et fin de toi-même et du monde,
Toi qui rends d'un regard l'immensité féconde ;
Ame de l'univers, Dieu, père, créateur,
Sous tous ces noms divers je crois en toi, Seigneur ;
Et, sans avoir besoin d'entendre ta parole,
Je lis au front des cieux mon glorieux symbole.
L'étendue à mes yeux révèle ta grandeur,
La terre ta bonté, les astres ta splendeur.
Tu t'es produit toi-même en ton brillant ouvrage ;
L'univers tout entier réfléchit ton image,
Et mon âme à son tour réfléchit l'univers.
Ma pensée, embrassant tes attributs divers,
Partout autour de soi te découvre et t'adore,
Se contemple soi-même et t'y découvre encore
Ainsi l'astre du jour éclate dans les cieux,
Se réfléchit dans l'onde et se peint à mes yeux.
C'est peu de croire en toi, bonté, beauté suprême ;
Je te cherche partout, j'aspire à toi, je t'aime ;
Mon âme est un rayon de lumière et d'amour
Qui, du foyer divin, détaché pour un jour,
De désirs dévorants **** de toi consumée,
Brûle de remonter à sa source enflammée.
Je respire, je sens, je pense, j'aime en toi.
Ce monde qui te cache est transparent pour moi ;
C'est toi que je découvre au fond de la nature,
C'est toi que je bénis dans toute créature.
Pour m'approcher de toi, j'ai fui dans ces déserts ;
Là, quand l'aube, agitant son voile dans les airs,
Entr'ouvre l'horizon qu'un jour naissant colore,
Et sème sur les monts les perles de l'aurore,
Pour moi c'est ton regard qui, du divin séjour,
S'entr'ouvre sur le monde et lui répand le jour :
Quand l'astre à son midi, suspendant sa carrière,
M'inonde de chaleur, de vie et de lumière,
Dans ses puissants rayons, qui raniment mes sens,
Seigneur, c'est ta vertu, ton souffle que je sens ;
Et quand la nuit, guidant son cortège d'étoiles,
Sur le monde endormi jette ses sombres voiles,
Seul, au sein du désert et de l'obscurité,
Méditant de la nuit la douce majesté,
Enveloppé de calme, et d'ombre, et de silence,
Mon âme, de plus près, adore ta présence ;
D'un jour intérieur je me sens éclairer,
Et j'entends une voix qui me dit d'espérer.
Oui, j'espère, Seigneur, en ta magnificence :
Partout à pleines mains prodiguant l'existence,
Tu n'auras pas borné le nombre de mes jours
A ces jours d'ici-bas, si troublés et si courts.
Je te vois en tous lieux conserver et produire ;
Celui qui peut créer dédaigne de détruire.
Témoin de ta puissance et sûr de ta bonté
J'attends le jour sans fin de l'immortalité.
La mort m'entoure en vain de ses ombres funèbres,
Ma raison voit le jour à travers ces ténèbres.
C'est le dernier degré qui m'approche de toi,
C'est le voile qui tombe entre ta face et moi.
Hâte pour moi, Seigneur, ce moment que j'implore ;
Ou, si, dans tes secrets tu le retiens encore,
Entends du haut du ciel le cri de mes besoins ;
L'atome et l'univers sont l'objet de tes soins,
Des dons de ta bonté soutiens mon indigence,
Nourris mon corps de pain, mon âme d'espérance ;
Réchauffe d'un regard de tes yeux tout-puissants
Mon esprit éclipsé par l'ombre de mes sens
Et, comme le soleil aspire la rosée,
Dans ton sein, à jamais, absorbe ma pensée.
Le Meurtre, d'une main violente, brise les liens
Les plus sacrés,
La Mort vient enlever le jeune homme florissant,
Et le Malheur s'approche comme un ennemi rusé
Au milieu des jours de fête.
Schiller.

I.

Modérons les transports d'une ivresse insensée ;
Le passage est bien court de la joie aux douleurs ;
La mort aime à poser sa main lourde et glacée
Sur des fronts couronnés de fleurs.
Demain, souillés de cendre, humbles, courbant nos têtes,
Le vain souvenir de nos fêtes
Sera pour nous presque un remords ;
Nos jeux seront suivis des pompes sépulcrales ;
Car chez nous, malheureux ! l'hymne des saturnales
Sert de prélude au chant des morts.

II.

Fuis les banquets, fais trêve à ton joyeux délire,
Paris, triste cité ! détourne tes regards
Vers le cirque où l'on voit aux accords de la lyre
S'unir les prestiges des arts.
Chœurs, interrompez-vous ; cessez, danses légères ;
Qu'on change en torches funéraires
Ces feux purs, ces brillants flambeaux ; -
Dans cette enceinte, auprès d'une couche sanglante,
J'entends un prêtre saint dont la voix chancelante
Dit la prière des tombeaux.

Sous ces lambris, frappés des éclats de la joie,
Près d'un lit où soupire un mourant étendu,
D'une famille auguste, au désespoir en proie,
Je vois le cortège éperdu.
C'est un père à genoux, c'est un frère en alarmes,
Une sœur qui n'a point de larmes
Pour calmer ses sombres douleurs ;
Car ses affreux revers ont, dès son plus jeune âge,
Dans ses yeux, enflammés d'un si mâle courage,
Tari la source de ses pleurs.

Sur l'échafaud, aux cris d'un sénat sanguinaire,
Sa mère est morte en reine et son père en héros ;
Elle a vu dans les fers périr son jeune frère,
Et n'a pu trouver des bourreaux.
Et, quand des rois ligués la main brisa ses chaînes,
Longtemps, sur des rives lointaines,
Elle a fui nos bords désolés ;
Elle a revu la France, après tant de misères,
Pour apprendre, en rentrant au palais de ses pères,
Que ses maux n'étaient pas comblés.

Plus ****, c'est une épouse... Oh ! qui peindra ses craintes,
Sa force, ses doux soins, son amour assidu ?
Hélas ! et qui dira ses lamentables plaintes,
Quand tout espoir sera perdu ?
Quels étaient nos transports, ô vierge de Sicile,
Quand naguère à ta main docile
Berry joignit sa noble main !
Devais-tu donc, princesse, en touchant ce rivage,
Voir sitôt succéder le crêpe du veuvage
Au chaste voile de l'***** ?

Berry, quand nous vantions ta paisible conquête,
Nos chants ont réveillé le dragon endormi ;
L'Anarchie en grondant a relevé sa tête,
Et l'enfer même en a frémi.
Elle a rugi ; soudain, du milieu des ténèbres,
Clément poussa des cris funèbres,
Ravaillac agita ses fers ;
Et le monstre, étendant ses deux ailes livides,
Aux applaudissements des ombres régicides,
S'envola du fond des enfers.

Le démon, vers nos bords tournant son vol funeste,
Voulut, brisant ces lys qu'il flétrit tant de fois,
Epuiser d'un seul coup le déplorable reste
D'un sang trop fertile en bons rois.
Longtemps le sbire obscur qu'il arma pour son crime,
Rêveur, autour de la victime
Promena ses affreux loisirs ;
Enfin le ciel permet que son vœu s'accomplisse ;
Pleurons tous, car le meurtre a choisi pour complice
Le tumulte de nos plaisirs.

Le fer brille... un cri part : guerriers, volez aux armes !
C'en est fait ; la duchesse accourt en pâlissant ;
Son bras soutient Berry, qu'elle arrose de larmes,
Et qui l'inonde de son sang.
Dressez un lit funèbre : est-il quelque espérance ?...
Hélas ! un lugubre silence
A condamné son triste époux.
Assistez-le, madame, en ce moment horrible ;
Les soins cruels de l'art le rendront plus terrible,
Les vôtres le rendront plus doux.

Monarque en cheveux blancs, hâte-toi, le temps presse ;
Un Bourbon va rentrer au sein de ses aïeux ;
Viens, accours vers ce fils, l'espoir de ta vieillesse ;
Car ta main doit fermer ses yeux !
Il a béni sa fille, à son amour ravie ;
Puis, des vanités de sa vie
Il proclame un noble abandon ;
Vivant, il pardonna ses maux à la patrie ;
Et son dernier soupir, digne du Dieu qu'il prie,
Est encore un cri de pardon.

Mort sublime ! ô regrets ! vois sa grande âme et pleure,
Porte au ciel tes clameurs, ô peuple désolé !
Tu l'as trop peu connu ; c'est à sa dernière heure
Que le héros s'est révélé.
Pour consoler la veuve, apportez l'orpheline ;
Donnez sa fille à Caroline,
La nature encore a ses droits.
Mais, quand périt l'espoir d'une tige féconde,
Qui pourra consoler, dans se terreur profonde,
La France, veuve de ses rois ?

À l'horrible récit, quels cris expiatoires
Vont poussez nos guerriers, fameux par leur valeur !
L'Europe, qu'ébranlait le bruit de leurs victoires,
Va retentir de leur douleur.
Mais toi, que diras-tu, chère et noble Vendée ?
Si longtemps de sang inondée,
Tes regrets seront superflus ;
Et tu seras semblable à la mère accablée,
Qui s'assied sur sa couche et pleure inconsolée,
Parce que son enfant n'est plus !

Bientôt vers Saint-Denis, désertant nos murailles,
Au bruit sourd des clairons, peuple, prêtres, soldats,
Nous suivrons à pas lents le char des funérailles,
Entouré des chars des combats.
Hélas ! jadis souillé par des mains téméraires,
Saint-Denis, où dormaient ses pères,
A vu déjà bien des forfaits ;
Du moins, puisse, à l'abri des complots parricides,
Sous ces murs profanés, parmi ces tombes vides,
Sa cendre reposer en paix !

III.

D'Enghien s'étonnera, dans les célestes sphères,
De voir sitôt l'ami, cher à ses jeunes ans,
À qui le vieux Condé, prêt à quitter nos terres,
Léguait ses devoirs bienfaisants.
À l'aspect de Berry, leur dernière espérance,
Des rois que révère la France
Les ombres frémiront d'effroi ;
Deux héros gémiront sur leurs races éteintes,
Et le vainqueur d'Ivry viendra mêler ses plaintes
Aux pleurs du vainqueur de Rocroy.

Ainsi, Bourbon, au bruit du forfait sanguinaires,
On te vit vers d'Artois accourir désolé ;
Car tu savais les maux que laisse au cœur d'un père
Un fils avant l'âge immolé.
Mais bientôt, chancelant dans ta marche incertaine,
L'affreux souvenir de Vincennes
Vint s'offrir à tes sens glacés ;
Tu pâlis ; et d'Artois, dans la douleur commune,
Sembla presque oublier sa récente infortune,
Pour plaindre tes revers passés.

Et toi, veuve éplorée, au milieu de l'orage
Attends des jours plus doux, espère un sort meilleur ;
Prends ta sœur pour modèle, et puisse ton courage
Etre aussi grand que ton malheur !
Tu porteras comme elle une urne funéraire ;
Comme elle, au sein du sanctuaire,
Tu gémiras sur un cercueil ;
L'hydre des factions, qui, par des morts célèbres,
A marqué pour ta sœur tant d'époques funèbres,
Te fait aussi ton jour de deuil !

IV.

Pourtant, ô frêle appui de la tige royale,
Si Dieu par ton secours signale son pouvoir,
Tu peux sauver la France, et de l'hydre infernale
Tromper encor l'affreux espoir.
Ainsi, quand le Serpent, auteur de tous les crimes,
Vouait d'avance aux noirs abîmes
L'homme que son forfait perdit,
Le Seigneur abaissa sa farouche arrogance ;
Une femme apparut, qui, faible et sans défense,
Brisa du pied son front maudit.

Février 1820.
Jeune fille, crois-moi, s'il en est temps encore,
Choisis un fiancé joyeux, à l'œil vivant,
Au pas ferme, à la voix sonore,
Qui n'aille pas rêvant.

Sois généreuse, épargne aux cœurs de se méprendre.
Au tien même, imprudente, épargne des regrets,
N'en captive pas un trop tendre,
Tu t'en repentirais.

La nature t'a faite indocile et rieuse,
Crains une âme où la tienne apprendrait le souci,
La tendresse est trop sérieuse,
Trop exigeante aussi.

Un compagnon rêveur attristerait ta vie,
Tu sentirais toujours son ombre à ton côté
Maudire la rumeur d'envie
Où marche ta beauté.

Si, mauvais oiseleur, de ses caresses frêles
Il abaissait sur toi le délicat réseau,
Comme d'un seul petit coup d'ailes
S'affranchirait l'oiseau !

Et tu ne peux savoir tout le bonheur que broie
D'un caprice enfantin le vol brusque et distrait,
Quand il arrache au cœur la proie
Que la lèvre effleurait ;

Quand l'extase, pareille à ces bulles ténues
Qu'un souffle patient et peureux allégea,
S'évanouit si près des nues
Qui s'y miraient déjà.

Sois généreuse, épargne à des songeurs crédules
Ta grâce, et de tes yeux les appels décevants :
Ils chercheraient des crépuscules
Dans ces soleils levants ;

Il leur faut une amie à s'attendrir facile,
Souple à leurs vains soupirs comme aux vents le roseau,
Dont le cœur leur soit un asile
Et les bras un berceau,

Douce, infiniment douce, indulgente aux chimères,
Inépuisable en soins calmants ou réchauffants,
Soins muets comme en ont les mères,
Car ce sont des enfants.

Il leur faut pour témoin dans les heures d'étude,
Une âme qu'autour d'eux ils sentent se poser,
Il leur faut une solitude
Où voltige un baiser

Jeune fille, crois-m'en, cherche qui te ressemble,
Ils sont graves ceux-là, ne choisis aucun d'eux ;
Vous seriez malheureux ensemble
Bien qu'innocents tous deux.
(À Brunette, le chien de Sophie.)


Objet si cher à ma Sophie,
Toi que nourrit sa belle main,
Toi qui passes toute ta vie
Entre ses genoux et son sein ;
Que ton sort, heureuse Brunette,
Hélas ! est différent du mien !
En amant elle traite un chien,
En chien, c'est l'amant qu'elle traite.

Et pourtant, cette préférence
Qui peut te l'obtenir sur moi ?
Ai-je moins de persévérance,
Moins de fidélité que toi ?
De mes fers **** que je m'échappe,
Enchaîné sans aucuns liens,
Toujours battu, toujours je viens
Baiser cette main qui me frappe.

Le pur sentiment qui m'enflamme
Vaut ton instinct, s'il ne vaut mieux ;
Et le feu qui brûle en mon âme
Vaut le feu qui brille en tes yeux :
Mais près de ma beauté suprême
Je suis trop coupable en effet,
Quand je hais tout ce qu'elle hait,
De n'aimer pas tout ce qu'elle aime.

Dans le dépit qui me transporte,
Souvent je ne connais plus rien.
Le grelot que Brunette porte
Serait mieux à mon cou qu'au sien.
Soins, constance, pleurs, sacrifice,
Je vous crois perdus sans retour :
Je n'espère plus de l'amour ;
Mais j'espère encor du caprice.

Écrit en 1792.
Data fata secutus.
DEVISE DES ST-JOHN.

Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte,
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du premier consul, déjà, par maint endroit,
Le front de l'empereur brisait le masque étroit.
Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole,
Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ;
Si débile qu'il fut, ainsi qu'une chimère,
Abandonné de tous, excepté de sa mère,
Et que son cou ployé comme un frêle roseau
Fit faire en même temps sa bière et son berceau.
Cet enfant que la vie effaçait de son livre,
Et qui n'avait pas même un lendemain à vivre,
C'est moi. -

Je vous dirai peut-être quelque jour
Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d'amour,
Prodigués pour ma vie en naissant condamnée,
M'ont fait deux fois l'enfant de ma mère obstinée,
Ange qui sur trois fils attachés à ses pas
Épandait son amour et ne mesurait pas !

Ô l'amour d'une mère ! amour que nul n'oublie !
Pain merveilleux qu'un Dieu partage et multiplie !
Table toujours servie au paternel foyer !
Chacun en a sa part, et tous l'ont tout entier !

Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse
Fera parler les soirs ma vieillesse conteuse,
Comment ce haut destin de gloire et de terreur
Qui remuait le monde aux pas de l'empereur,
Dans son souffle orageux m'emportant sans défense,
À tous les vents de l'air fit flotter mon enfance.
Car, lorsque l'aquilon bat ses flots palpitants,
L'océan convulsif tourmente en même temps
Le navire à trois ponts qui tonne avec l'orage,
Et la feuille échappée aux arbres du rivage !

Maintenant jeune encore et souvent éprouvé,
J'ai plus d'un souvenir profondément gravé,
Et l'on peut distinguer bien des choses passées
Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées.
Certes, plus d'un vieillard sans flamme et sans cheveux,
Tombé de lassitude au bout de tous ses vœux,
Pâlirait s'il voyait, comme un gouffre dans l'onde,
Mon âme où ma pensée habite comme un monde,
Tout ce que j'ai souffert, tout ce que j'ai tenté,
Tout ce qui m'a menti comme un fruit avorté,
Mon plus beau temps passé sans espoir qu'il renaisse,
Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse,
Et quoiqu'encore à l'âge où l'avenir sourit,
Le livre de mon cœur à toute page écrit !

Si parfois de mon sein s'envolent mes pensées,
Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées ;
S'il me plaît de cacher l'amour et la douleur
Dans le coin d'un roman ironique et railleur ;
Si j'ébranle la scène avec ma fantaisie ;
Si j'entre-choque aux yeux d'une foule choisie
D'autres hommes comme eux, vivant tous à la fois
De mon souffle et parlant au peuple avec ma voix ;
Si ma tête, fournaise où mon esprit s'allume,
Jette le vers d'airain qui bouillonne et qui fume
Dans le rythme profond, moule mystérieux
D'où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux ;
C'est que l'amour, la tombe, et la gloire, et la vie,
L'onde qui fuit, par l'onde incessamment suivie,
Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal,
Fait reluire et vibrer mon âme de cristal,
Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j'adore
Mit au centre de tout comme un écho sonore !

D'ailleurs j'ai purement passé les jours mauvais,
Et je sais d'où je viens, si j'ignore où je vais.
L'orage des partis avec son vent de flamme
Sans en altérer l'onde a remué mon âme ;
Rien d'immonde en mon cœur, pas de limon impur
Qui n'attendît qu'un vent pour en troubler l'azur !

Après avoir chanté, j'écoute et je contemple,
À l'empereur tombé dressant dans l'ombre un temple,
Aimant la liberté pour ses fruits, pour ses fleurs,
Le trône pour son droit, le roi pour ses malheurs ;
Fidèle enfin au sang qu'ont versé dans ma veine
Mon père, vieux soldat, ma mère, vendéenne !

Juin 1830.
Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou
Sous l'arbre tendronnier qui bave,
Vos caoutchoucs

Blancs de lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons !

Nous nous aimions à cette époque,
Bleu laideron !
On mangeait des oeufs à la coque
Et du mouron !

Un soir, tu me sacras poète,
Blond laideron :
Descends ici, que je te fouette
En mon giron ;

J'ai dégueulé ta bandoline,
Noir laideron ;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.

Pouah ! mes salives desséchées,
Roux laideron,
Infectent encor les tranchées
De ton sein rond !

Ô mes petites amoureuses,
Que je vous hais !
Plaquez de fouffes douloureuses
Vos tétons laids !

Piétinez mes vieilles terrines
De sentiment ;
- Hop donc ! soyez-moi ballerines
Pour un moment !...

Vos omoplates se déboîtent,
Ô mes amours !
Une étoile à vos reins qui boitent
Tournez vos tours !

Et c'est pourtant pour ces éclanches
Que j'ai rimé !
Je voudrais vous casser les hanches
D'avoir aimé !

Fade amas d'étoiles ratées,
Comblez les coins !
- Vous crèverez en Dieu, bâtées
D'ignobles soins !

Sous les lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons !
Hélas ! je n'étais pas fait pour cette haine
Et pour ce mépris plus forts que moi que j'ai.
Mais pourquoi m'avoir fait cet agneau sans laine
Et pourquoi m'avoir fait ce coeur outragé ?

J'étais né pour plaire à toute âme un peu fière,
Sorte d'homme en rêve et capable du mieux,
Parfois tout sourire et parfois tout prière,
Et toujours des cieux attendris dans les yeux ;

Toujours la bonté des caresses sincères,
En dépit de tout et quoi qu'il y parût,
Toujours la pudeur des hontes nécessaires
Dans l'argent brutal et les stupeurs du rut ;

Toujours le pardon, toujours le sacrifice !
J'eus plus d'un des torts, mais j'avais tous les soins.
Votre mère était tendrement ma complice,
Qui voyait mes torts et mes soins, elle, au moins.

Elle n'aimait pas que par vous je souffrisse.
Elle est morte et j'ai prié sur son tombeau ;
Mais je doute fort qu'elle approuve et bénisse
La chose actuelle et trouve cela beau.

Et j'ai peur aussi, nous en terre, de croire
Que le pauvre enfant, votre fils et le mien,
Ne vénérera pas trop votre mémoire,
Ô vous sans égard pour le mien et le tien.

Je n'étais pas fait pour dire de ces choses,
Moi dont la parole exhalait autrefois
Un épithalame en des apothéoses,
Ce chant du matin où mentait votre voix.

J'étais, je suis né pour plaire aux nobles âmes,
Pour les consoler un peu d'un monde impur,
Cimier d'or chanteur et tunique de flammes,
Moi le Chevalier qui saigne sur azur,

Moi qui dois mourir d'une mort douce et chaste
Dont le cygne et l'aigle encor seront jaloux,
Dans l'honneur vainqueur malgré ce vous néfaste,
Dans la gloire aussi des Illustres Époux !
Près du pêcheur qui ruisselle,
Quand tous deux, au jour baissant,
Nous errons dans la nacelle,
Laissant chanter l'homme frêle
Et gémir le flot puissant ;

Sous l'abri que font les voiles
Lorsque nous nous asseyons,
Dans cette ombre où tu te voiles
Quand ton regard aux étoiles
Semble cueillir des rayons ;

Quand tous deux nous croyons lire
Ce que la nature écrit,
Réponds, ô toi que j'admire,
D'où vient que mon cœur soupire ?
D'où vient que ton front sourit ?

Dis ? d'où vient qu'à chaque lame,
Comme une coupe de fiel,
La pensée emplit mon âme ?
C'est que moi je vois la rame
Tandis que tu vois le ciel !

C'est que je vois les flots sombres,
Toi, les astres enchantés !
C'est que, perdu dans leurs nombres,
Hélas, je compte les ombres
Quand tu comptes les clartés !

Chacun, c'est la loi suprême,
Rame, hélas ! jusqu'à la fin.
Pas d'homme, ô fatal problème !
Qui ne laboure ou ne sème
Sur quelque chose de vain !

L'homme est sur un flot qui gronde.
L'ouragan tord son manteau.
Il rame en la nuit profonde,
Et l'espoir s'en va dans l'onde
Par les fentes du bateau.

Sa voile que le vent troue
Se déchire à tout moment,
De sa route l'eau se joue,
Les obstacles sur sa proue
Écument incessamment !

Hélas ! hélas ! tout travaille
Sous tes yeux, ô Jéhovah !
De quelque côté qu'on aille,
Partout un flot qui tressaille,
Partout un homme qui va !

Où vas-tu ? - Vers la nuit noire.
Où vas-tu ? - Vers le grand jour.
Toi ? - Je cherche s'il faut croire.
Et toi ? - Je vais à la gloire.
Et toi ? - Je vais à l'amour.

Vous allez tous à la tombe !
Vous allez à l'inconnu !
Aigle, vautour, ou colombe,
Vous allez où tout retombe
Et d'où rien n'est revenu !

Vous allez où vont encore
Ceux qui font le plus de bruit !
Où va la fleur qu'avril dore !
Vous allez où va l'aurore !
Vous allez où va la nuit !

À quoi bon toutes ces peines ?
Pourquoi tant de soins jaloux ?
Buvez l'onde des fontaines,
Secouez le gland des chênes,
Aimez, et rendormez-vous !

Lorsque ainsi que des abeilles
On a travaillé toujours ;
Qu'on a rêvé des merveilles ;
Lorsqu'on a sur bien des veilles
Amoncelé bien des jours ;

Sur votre plus belle rose,
Sur votre lys le plus beau,
Savez-vous ce qui se pose ?
C'est l'oubli pour toute chose,
Pour tout homme le tombeau !

Car le Seigneur nous retire
Les fruits à peine cueillis.
Il dit : Échoue ! au navire.
Il dit à la flamme : Expire !
Il dit à la fleur : Pâlis !

Il dit au guerrier qui fonde :
- Je garde le dernier mot.
Monte, monte, ô roi du monde !
La chute la plus profonde
Pend au sommet le plus haut. -

Il a dit à la mortelle :
- Vite ! éblouis ton amant.
Avant de mourir sois belle.
Sois un instant étincelle,
Puis cendre éternellement ! -

Cet ordre auquel tu t'opposes
T'enveloppe et t'engloutit.
Mortel, plains-toi, si tu l'oses,
Au Dieu qui fit ces deux choses,
Le ciel grand, l'homme petit !

Chacun, qu'il doute ou qu'il nie,
Lutte en frayant son chemin ;
Et l'éternelle harmonie
Pèse comme une ironie
Sur tout ce tumulte humain !

Tous ces faux biens qu'on envie
Passent comme un soir de mai.
Vers l'ombre, hélas ! tout dévie.
Que reste-t-il de la vie,
Excepté d'avoir aimé !

----

Ainsi je courbe ma tête
Quand tu redresses ton front.
Ainsi, sur l'onde inquiète,
J'écoute, sombre poète,
Ce que les flots me diront.

Ainsi, pour qu'on me réponde,
J'interroge avec effroi ;
Et dans ce gouffre où je sonde
La fange se mêle à l'onde... -
Oh ! ne fais pas comme moi !

Que sur la vague troublée
J'abaisse un sourcil hagard ;
Mais toi, belle âme voilée,
Vers l'espérance étoilée
Lève un tranquille regard !

Tu fais bien. Vois les cieux luire.
Vois les astres s'y mirer.
Un instinct là-haut t'attire.
Tu regardes Dieu sourire ;
Moi, je vois l'homme pleurer !

Le 9 septembre 1836.
N'aimez plus tant, Phylis, à vous voir adorée :
Le plus ardent amour n'a pas grande durée ;
Les nœuds les plus serrés sont le plus tôt rompus ;
A force d'aimer trop, souvent on n'aime plus,
Et ces liens si forts ont des lois si sévères
Que toutes leurs douceurs en deviennent amères.

Je sais qu'il vous est doux d'asservir tous nos soins :
Mais qui se donne entier n'en exige pas moins ;
Sans réserve il se rend, sans réserve il se livre,
Hors de votre présence il doute s'il peut vivre :
Mais il veut la pareille, et son attachement
Prend compte de chaque heure et de chaque moment.
C'est un esclave fier qui veut régler son maître,
Un censeur complaisant qui cherche à trop connaître,
Un tyran déguisé qui s'attache à vos pas,
Un dangereux Argus qui voit ce qui n'est pas ;
Sans cesse il importune, et sans cesse il assiège,
Importun par devoir, fâcheux par privilège,
Ardent à vous servir jusqu'à vous en lasser,
Mais au reste un peu tendre et facile à blesser.
Le plus léger chagrin d'une humeur inégale,
Le moindre égarement d'un mauvais intervalle,
Un sourire par mégarde à ses yeux dérobé,
Un coup d'œil par hasard sur un autre tombé,
Le plus faible dehors de cette complaisance
Que se permet pour tous la même indifférence ;
Tout cela fait pour lui de grands crimes d'état ;
Et plus l'amour est fort, plus il est délicat.
Vous avez vu, Phylis, comme il brise sa chaîne
Sitôt qu'auprès de vous quelque chose le gêne ;
Et comme vos bontés ne sont qu'un faible appui
Contre un murmure sourd qui s'épand jusqu'à lui.
Que ce soit vérité, que ce soit calomnie,
Pour vous voir en coupable il suffit qu'on le dit ;
Et lorsqu'une imposture a quelque fondement
Sur un peu d'imprudence, ou sur trop d'enjouement,
Tout ce qu'il sait de vous et de votre innocence
N'ose le révolter contre cette apparence,
Et souffre qu'elle expose à cent fausses clartés
Votre humeur sociable et vos civilités.
Sa raison au dedans vous fait en vain justice,
Sa raison au dehors respecte son caprice ;
La peur de sembler dupe aux yeux de quelques fous
Etouffe cette voix qui parle trop pour vous.
La part qu'il prend sur lui de votre renommée
Forme un sombre dépit de vous avoir aimée ;
Et, comme il n'est plus temps d'en faire un désaveu,
Il fait gloire partout d'éteindre un si beau feu :
Du moins s'il ne l'éteint, il l'empêche de luire,
Et brave le pouvoir qu'il ne saurait détruire.

Voilà ce que produit le don de trop charmer.
Pour garder vos amants faites-vous moins aimer ;
Un amour médiocre est souvent plus traitable :
Mais pourriez-vous, Phylis, vous rendre moins aimable ?
Pensez-y, je vous prie, et n'oubliez jamais,
Quand on vous aimera, que l'amour est doux ; mais...
À une dame châtelaine.
(Pour la construction d'une serre.)


Pauvre fleur, qu'un rayon du soleil fit éclore,
Pauvre fleur, dont les jours n'ont qu'une courte aurore,
Il me faut, au printemps, le soleil du bon Dieu,
Et quand l'hiver arrive, un asile et du feu.
On m'a dit - j'en frémis ! - qu'au foyer de la serre
Je n'aurai plus ma place, et mourrai sur la terre
Au jour où l'hirondelle, en fuyant les frimas,
Vole vers les pays où l'hiver ne vient pas.
Et moi, qui de l'oiseau n'ai pas l'aile légère,
Sur toi, contre le froid, j'avais compté, ma mère !
Pourquoi m'abandonner ? Pauvre petite fleur,
Ne t'ai-je pas offert l'éclat de ma couleur,
Mon suave parfum, jusqu'aux jours de l'automne ?
Ne t'ai-je pas donné ce que le ciel me donne ?

Si tu savais, ma mère, il est dans ce vallon,
Non **** de ton domaine, un jeune papillon
Qui versera des pleurs, et mourra de sa peine,
En ne me voyant plus à la saison prochaine.
Des sucs des autres fleurs ne voulant se nourrir,
Fidèle à son amie, il lui faudra mourir !...
Puis une abeille aussi, sur mon destin, s'alarme :
Sur ses ailes j'ai vu briller plus d'une larme ;
Elle m'aime, et m'a dit que jamais, sous le ciel,
Jeune fleur dans son sein n'avait eu plus doux miel.
Souvent une fourmi, contre le vent d'orage,
Vient chercher vers le soir l'abri de mon feuillage.
Te parlerai-je aussi de l'insecte filant,
Qui, sur mes verts rameaux s'avançant d'un pas lent,
De son réseau léger appuyé sur ma tige,
À tout ce qui dans l'air ou bourdonne ou voltige,
Tend un piège adroit, laborieux labeur
Que ta main va détruire en détruisant ma fleur ?
Et puis, quand vient la nuit, un petit ver qui brille
Me choisit chaque soir, et son feu qui scintille,
Lorsque mes sœurs n'ont plus pour elles que l'odeur,
Me permet de montrer l'éclat de ma couleur.

Tu vois, je suis aimée ! et cette heureuse vie,
Me serait, à l'hiver, par tes ordres ravie ?...
C'est ton or qui m'a fait quitter mon beau pays,
Où, des froids ouragans je n'avais nuls soucis ;
Aussi je pleurais bien au moment du voyage...
- L'exil est un malheur qu'on comprend à tout âge !
Mais une vieille fleur, estimée en tous lieux,
M'a dit qu'auprès de toi mon sort serait heureux ;
Qu'elle avait souvenir, jusques en sa vieillesse,
D'avoir fleuri pour toi du temps de sa jeunesse ;
Qu'aussitôt qu'on te voit, t'aimer est un devoir,
Qu'aimer paraît bien doux quand on vient de te voir ;
Que tu n'as pas un cœur qui trompe l'espérance,
Que les amis te sont plus chers dans la souffrance,
Et que petite fleur, flétrie et sans odeur,
Trouverait à l'hiver pitié pour son malheur ;
Que tout ce qui gémit, s'incline, souffre et pleure,
Cherche, sans se tromper, secours dans ta demeure ;
Que, tes soins maternels éloignant les autans,
Auprès de toi toujours on se croit au printemps !

Allons, construis pour nous une heureuse retraite,
Et Dieu te bénira... car c'est lui qui m'a faite,
Et simple fleur des champs, quoique bien **** des cieux,
Comme le chêne altier, trouve place à ses yeux.
Enfin le roi lion venait d'avoir un fils ;
Partout dans ses états on se livrait en proie
Aux transports éclatants d'une bruyante joie :
Les rois heureux ont tant d'amis !
Sire lion, monarque sage,
Songeait à confier son enfant bien aimé
Aux soins d'un gouverneur vertueux, estimé,
Sous qui le lionceau fît son apprentissage.
Vous jugez qu'un choix pareil
Est d'assez grande importance
Pour que longtemps on y pense.
Le monarque indécis assemble son conseil :
En peu de mots il expose
Le point dont il s'agit, et supplie instamment
Chacun des conseillers de nommer franchement
Celui qu'en conscience il croit propre à la chose.
Le tigre se leva : sire, dit-il, les rois
N'ont de grandeur que par la guerre ;
Il faut que votre fils soit l'effroi de la terre :
Faites donc tomber votre choix
Sur le guerrier le plus terrible,
Le plus craint après vous des hôtes de ces bois.
Votre fils saura tout s'il sait être invincible.
L'ours fut de cet avis : il ajouta pourtant
Qu'il fallait un guerrier prudent,
Un animal de poids, de qui l'expérience
Du jeune lionceau sût régler la vaillance
Et mettre à profit ses exploits.
Après l'ours, le renard s'explique,
Et soutient que la politique
Est le premier talent des rois ;
Qu'il faut donc un mentor d'une finesse extrême
Pour instruire le prince et pour le bien former.
Ainsi chacun, sans se nommer,
Clairement s'indiqua soi-même :
De semblables conseils sont communs à la cour.
Enfin le chien parle à son tour :
Sire, dit-il, je sais qu'il faut faire la guerre,
Mais je crois qu'un bon roi ne la fait qu'à regret ;
L'art de tromper ne me plaît guère :
Je connais un plus beau secret
Pour rendre heureux l'état, pour en être le père,
Pour tenir ses sujets, sans trop les alarmer,
Dans une dépendance entière ;
Ce secret, c'est de les aimer.
Voilà pour bien régner la science suprême ;
Et, si vous désirez la voir dans votre fils,
Sire, montrez-la lui vous-même.
Tout le conseil resta muet à cet avis.
Le lion court au chien : ami, je te confie
Le bonheur de l'état et celui de ma vie ;
Prends mon fils, sois son maître, et, **** de tout flatteur,
S'il se peut, va former son cœur.
Il dit, et le chien part avec le jeune prince.
D'abord à son pupille il persuade bien
Qu'il n'est point lionceau, qu'il n'est qu'un pauvre
Chien,
Son parent éloigné ; de province en province
Il le fait voyager, montrant à ses regards
Les abus du pouvoir, des peuples la misère,
Les lièvres, les lapins mangés par les renards,
Les moutons par les loups, les cerfs par la panthère,
Partout le faible terrassé,
Le bœuf travaillant sans salaire,
Et le singe récompensé.
Le jeune lionceau frémissait de colère :
Mon père, disait-il, de pareils attentats
Sont-ils connus du roi ? Comment pourraient-ils l'être ?
Disait le chien : les grands approchent seuls du maître,
Et les mangés ne parlent pas.
Ainsi, sans raisonner de vertu, de prudence,
Notre jeune lion devenait tous les jours
Vertueux et prudent ; car c'est l'expérience
Qui corrige, et non les discours.
À cette bonne école il acquit avec l'âge
Sagesse, esprit, force et raison.
Que lui fallait-il davantage ?
Il ignorait pourtant encor qu'il fût lion ;
Lorsqu'un jour qu'il parlait de sa reconnaissance
À son maître, à son bienfaiteur,
Un tigre furieux, d'une énorme grandeur,
Paraissant tout-à-coup, contre le chien s'avance.
Le lionceau plus prompt s'élance,
Il hérisse ses crins, il rugit de fureur,
Bat ses flancs de sa queue, et ses griffes sanglantes
Ont bientôt dispersé les entrailles fumantes
De son redoutable ennemi.
À peine il est vainqueur qu'il court à son ami :
Oh ! Quel bonheur pour moi d'avoir sauvé ta vie !
Mais quel est mon étonnement !
Sais-tu que l'amitié, dans cet heureux moment,
M'a donné d'un lion la force et la furie ?
Vous l'êtes, mon cher fils, oui, vous êtes mon roi,
Dit le chien tout baigné de larmes.
Le voilà donc venu, ce moment plein de charmes,
Où, vous rendant enfin tout ce que je vous dois,
Je peux vous dévoiler un important mystère !
Retournons à la cour, mes travaux sont finis.
Cher prince, malgré moi cependant je gémis,
Je pleure ; pardonnez : tout l'état trouve un père,
Et moi je vais perdre mon fils.
Paul d'Aubin Nov 2016
Automnes de Luchon

Phébus s'était lové sur le val de Luchon,
Les arbres rougeoyaient comme sous le pinceau,
D'un Van Gogh qui aurait amené la Provence,
Dans les vertes Montagnes des Pyrénées centrales
Non **** de l'Aneto et très près du Vénasque.
Mais tout ce verdoiement laissait place à l'automne.
Avec ses rougeoiements, ses mauves et ses dorés.
Et les fins cheveux roux donnés par des buissons.
La nature semblait avoir changé d'atours.
Pour nous faire oublier l'été et ses douces torpeurs.
Les Erables, les Tulipiers et les Cerisier sauvages se parent,
D'atours d'or ou de rouge sang,
Comme pour les noces des feuilles et de la lune.
Oui, les derniers rayons sont toujours les plus beaux !
Dans les futaies et les clairières pourpres.
Et l’automne tendre a  ce goût de châtaignes,
Grillées dans les jardins ou embaumaient  les roses.
Et de flambées heureuses et de baisers brûlants.
La montagne est si belle que l'on voudrait figer.
Ces splendeurs éphémères et suspendre le temps.
Afin de contempler toujours ces beautés vives
De la ville Coquette et du val arboré.
Les jardins de «la Pique» faisaient belle figure,
Si près de la rivière aux eaux vivifiantes.
Et l'ancien Casino nous donnait à songer,
Aux beautés d'autrefois alanguies, sous la soie,
Dans les bals bien réglés parés d'un luxe doux
Ou il faisait parfois bon savoir jeter bas,
Les fausses les convenances pour le beau Cupidon.
Aujourd'hui; riantes et bronzées, les belles
Sont sportives, parcourent la Montagne.
Et viennent au «vapo» pour bien se délasser.
Oh; Reine d'autrefois, toujours ville de charmes.
Tes automnes suggèrent des rêves de bonheur,
De vies épanouies et de soins pour les êtres.
Ou il est reposant de venir t'admirer.
Parmi tes fleurs, les arbres et ton air vivifiant.

Paul Arrighi
Fable VII, Livre II.


Toi qui te dis mon camarade,
Devrais-je ici te rencontrer,
Bonnet ridicule et maussade ?
Le jour, peux-tu bien te montrer,
Si ce n'est au front d'un malade ?
Quel espoir te retient céans ?
De l'indolence épais emblème,
Te crois-tu chez ces fainéants
Qui te ceignaient pour diadème ?
Va, le prince à qui j'appartiens
Porte autrement qu'eux la couronne.
Vois tout l'éclat qui m'environne,
C'est de lui seul que je le tiens.
Actif dans la paix, dans la guerre,
Ce roi ne se repose guère ;
S'il me permet quelque repos,
C'est lorsque, des mains de la Gloire,
II prend le casque des héros
Ou le laurier de la Victoire.

Mais le bonnet, jusqu'à ce jour,
Vit-il jamais venir son tour ?
Pourquoi donc sort-il de l'armoire ?
Crois-moi, si tu crains les railleurs,
À la cour grand en est le nombre,
Crois-moi, rentre au plus tôt dans l'ombre,
Ou va chercher fortune ailleurs.
- C'est ici que je dois l'attendre.
Répond humblement le bonnet ;
Et je puis vous le prouver net,
Si vous consentez à m'entendre.
Partout où le trône est placé,
De droit vous vous dites admise ;
Eh bien ! moi, je me crois de mise
Partout où le lit est dressé.
N'en est-il en cette demeure ?
Nature y perd-elle ses droits ?
Ou, par bonheur, les yeux des rois
Seraient-ils ouverts à toute heure ?
Quand vient minuit, nous le voyons,
Votre noble poids les chagrine,
Et l'on dirait que quelque épine
Les tourmente sous vos rayons.
Mon règne alors succède au vôtre :
Le front de toute majesté
Qui veut dormir en liberté
Doit être coiffé comme un autre.
Et puis, mais soit dit entre nous,
N'est-il pas d'autres soins plus doux
Qui font quitter la compagnie
Et l'habit de cérémonie ?
À moi la nuit, à vous le jour :
Oui, bien que votre orgueil en gronde,
Mon crédit, même ici, se fonde
Sur les premiers besoins du monde :
Sur le sommeil et sur l'amour.
À Catulle Mendès


La petite marquise Osine est toute belle,

Elle pourrait aller grossir la ribambelle

Des folles de Watteau sous leur chapeau de fleurs

Et de soleil, mais comme on dit, elle aime ailleurs

Parisienne en tout, spirituelle et bonne

Et mauvaise à ne rien redouter de personne,

Avec cet air mi-faux qui fait que l'on vous croit,

C'est un ange fait pour le monde qu'elle voit,

Un ange blond, et même on dit qu'il a des ailes.


Vingt soupirants, brûlés du feu des meilleurs zèles

Avaient en vain quêté leur main à ses seize ans,

Quand le pauvre marquis, quittant ses paysans

Comme il avait quitté son escadron, vint faire

Escale au Jockey ; vous connaissez son affaire

Avec la grosse Emma de qui - l'eussions-nous cru ?

Le bon garçon était absolument féru,

Son désespoir après le départ de la grue,

Le duel avec Gontran, c'est vieux comme la rue ;

Bref il vit la petite un jour dans un salon,

S'en éprit tout d'un coup comme un fou ; même l'on

Dit qu'il en oublia si bien son infidèle

Qu'on le voyait le jour d'ensuite avec Adèle.

Temps et mœurs ! La petite (on sait tout aux Oiseaux)

Connaissait le roman du cher, et jusques aux

Moindres chapitres : elle en conçut de l'estime.

Aussi quand le marquis offrit sa légitime

Et sa main contre sa menotte, elle dit : Oui,

Avec un franc parler d'allégresse inouï.

Les parents, voyant sans horreur ce mariage

(Le marquis était riche et pouvait passer sage)

Signèrent au contrat avec laisser-aller.

Elle qui voyait là quelqu'un à consoler

Ouït la messe dans une ferveur profonde.


Elle le consola deux ans. Deux ans du monde !


Mais tout passe !

Si bien qu'un jour qu'elle attendait

Un autre et que cet autre atrocement tardait,

De dépit la voilà soudain qui s'agenouille

Devant l'image d'une Vierge à la quenouille

Qui se trouvait là, dans cette chambre en garni,

Demandant à Marie, en un trouble infini,

Pardon de son péché si grand, - si cher encore

Bien qu'elle croie au fond du cœur qu'elle l'abhorre.


Comme elle relevait son front d'entre ses mains

Elle vit Jésus-Christ avec les traits humains

Et les habits qu'il a dans les tableaux d'église.

Sévère, il regardait tristement la marquise.

La vision flottait blanche dans un jour bleu

Dont les ondes voilant l'apparence du lieu,

Semblaient envelopper d'une atmosphère élue

Osine qui tremblait d'extase irrésolue

Et qui balbutiait des exclamations.

Des accords assoupis de harpes de Sions

Célestes descendaient et montaient par la chambre

Et des parfums d'encens, de cinnamome et d'ambre

Fluaient, et le parquet retentissait des pas

Mystérieux de pieds que l'on ne voyait pas,

Tandis qu'autour c'était, en cadences soyeuses,

Un grand frémissement d'ailes mystérieuses

La marquise restait à genoux, attendant,

Toute admiration peureuse, cependant.


Et le Sauveur parla :

« Ma fille, le temps passe,

Et ce n'est pas toujours le moment de la grâce.

Profitez de cette heure, ou c'en est fait de vous. »


La vision cessa.

Oui certes, il est doux

Le roman d'un premier amant. L'âme s'essaie,

C'est un jeune coureur à la première haie.

C'est si mignard qu'on croit à peine que c'est mal.

Quelque chose d'étonnamment matutinal.

On sort du mariage habitueux. C'est comme

Qui dirait la lueur aurorale de l'homme

Et les baisers parmi cette fraîche clarté

Sonnent comme des cris d'alouette en été,

Ô le premier amant ! Souvenez-vous, mesdames !

Vagissant et timide élancement des âmes

Vers le fruit défendu qu'un soupir révéla...

Mais le second amant d'une femme, voilà !

On a tout su. La faute est bien délibérée

Et c'est bien un nouvel état que l'on se crée,

Un autre mariage à soi-même avoué.

Plus de retour possible au foyer bafoué.

Le mari, débonnaire ou non, fait bonne garde

Et dissimule mal. Déjà rit et bavarde

Le monde hostile et qui sévirait au besoin.

Ah, que l'aise de l'autre intrigue se fait **** !

Mais aussi cette fois comme on vit ; comme on aime,

Tout le cœur est éclos en une fleur suprême.

Ah, c'est bon ! Et l'on jette à ce feu tout remords,

On ne vit que pour lui, tous autres soins sont morts.

On est à lui, on n'est qu'à lui, c'est pour la vie,

Ce sera pour après la vie, et l'on défie

Les lois humaines et divines, car on est

Folle de corps et d'âme, et l'on ne reconnaît

Plus rien, et l'on ne sait plus rien, sinon qu'on l'aime !


Or cet amant était justement le deuxième

De la marquise, ce qui fait qu'un jour après,

- Ô sans malice et presque avec quelques regrets -

Elle le revoyait pour le revoir encore.

Quant au miracle, comme une odeur s'évapore,

Elle n'y pensa plus bientôt que vaguement.


Un matin, elle était dans son jardin charmant,

Un matin de printemps, un jardin de plaisance.

Les fleurs vraiment semblaient saluer sa présence,

Et frémissaient au vent léger, et s'inclinaient

Et les feuillages, verts tendrement, lui donnaient

L'aubade d'un timide et délicat ramage

Et les petits oiseaux, volant à son passage,

Pépiaient à plaisir dans l'air tout embaumé

Des feuilles, des bourgeons et des gommes de mai.

Elle pensait à lui ; sa vue errait, distraite,

À travers l'ombre jeune et la pompe discrète

D'un grand rosier bercé d'un mouvement câlin,

Quand elle vit Jésus en vêtements de lin

Qui marchait, écartant les branches de l'arbuste

Et la couvait d'un long regard triste. Et le Juste

Pleurait. Et tout en un instant s'évanouit.


Elle se recueillait.

Soudain un petit bruit

Se fit. On lui portait en secret une lettre,

Une lettre de lui, qui lui marquait peut-être

Un rendez-vous.


Elle ne put la déchirer.


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Marquis, pauvre marquis, qu'avez-vous à pleurer

Au chevet de ce lit de blanche mousseline ?

Elle est malade, bien malade.

« Sœur Aline,

A-t-elle un peu dormi ? »

- « Mal, monsieur le marquis. »

Et le marquis pleurait.

« Elle est ainsi depuis

Deux heures, somnolente et calme. Mais que dire

De la nuit ? Ah, monsieur le marquis, quel délire !

Elle vous appelait, vous demandait pardon

Sans cesse, encor, toujours, et tirait le cordon

De sa sonnette. »

Et le marquis frappait sa tête

De ses deux poings et, fou dans sa douleur muette

Marchait à grands pas sourds sur les tapis épais

(Dès qu'elle fut malade, elle n'eut pas de paix

Qu'elle n'eût avoué ses fautes au pauvre homme

Qui pardonna.) La sœur reprit pâle : « Elle eut comme

Un rêve, un rêve affreux. Elle voyait Jésus,

Terrible sur la nue et qui marchait dessus,

Un glaive dans la main droite, et de la main gauche

Qui ramait lentement comme une faux qui fauche,

Écartant sa prière, et passait furieux. »


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Un prêtre, saluant les assistants des yeux,

Entre.

Elle dort.

Ô ses paupières violettes !

Ô ses petites mains qui tremblent maigrelettes !

Ô tout son corps perdu dans les draps étouffants !


Regardez, elle meurt de la mort des enfants.

Et le prêtre anxieux, se penche à son oreille.

Elle s'agite un peu, la voilà qui s'éveille,

Elle voudrait parler, la voilà qui s'endort

Plus pâle.

Et le marquis : « Est-ce déjà la mort ? »

Et le docteur lui prend les deux mains, et sort vite.


On l'enterrait hier matin. Pauvre petite !
I

Vraiment, c'est bête, ces églises des villages
Où quinze laids marmots encrassant les piliers
Écoutent, grasseyant les divins babillages,
Un noir grotesque dont fermentent les souliers :
Mais le soleil éveille, à travers des feuillages,
Les vieilles couleurs des vitraux irréguliers.

La pierre sent toujours la terre maternelle.
Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux
Dans la campagne en rut qui frémit solennelle
Portant près des blés lourds, dans les sentiers ocreux,
Ces arbrisseaux brûlés où bleuit la prunelle,
Des noeuds de mûriers noirs et de rosiers fuireux.

Tous les cent ans on rend ces granges respectables
Par un badigeon d'eau bleue et de lait caillé :
Si des mysticités grotesques sont notables
Près de la Notre-Dame ou du Saint empaillé,
Des mouches sentant bon l'auberge et les étables
Se gorgent de cire au plancher ensoleillé.

L'enfant se doit surtout à la maison, famille
Des soins naïfs, des bons travaux abrutissants ;
Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille
Où le Prêtre du Christ plaqua ses doigts puissants.
On paie au Prêtre un toit ombré d'une charmille
Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts brunissants.

Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes,
Sous le Napoléon ou le Petit Tambour
Quelque enluminure où les Josephs et les Marthes
Tirent la langue avec un excessif amour
Et que joindront, au jour de science, deux cartes,
Ces seuls doux souvenirs lui restent du grand Jour.
Les filles vont toujours à l'église, contentes
De s'entendre appeler garces par les garçons
Qui font du genre après messe ou vêpres chantantes.
Eux qui sont destinés au chic des garnisons
Ils narguent au café les maisons importantes,
Blousés neuf, et gueulant d'effroyables chansons.

Cependant le Curé choisit pour les enfances
Des dessins ; dans son clos, les vêpres dites, quand
L'air s'emplit du lointain nasillement des danses,
Il se sent, en dépit des célestes défenses,
Les doigts de pied ravis et le mollet marquant ;
- La Nuit vient, noir pirate aux cieux d'or débarquant.

II

Le Prêtre a distingué parmi les catéchistes,
Congrégés des Faubourgs ou des Riches Quartiers,
Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes,
Front jaune. Les parents semblent de doux portiers.
" Au grand Jour le marquant parmi les Catéchistes,
Dieu fera sur ce front neiger ses bénitiers. "

III

La veille du grand Jour l'enfant se fait malade.
Mieux qu'à l'Église haute aux funèbres rumeurs,
D'abord le frisson vient, - le lit n'étant pas fade -
Un frisson surhumain qui retourne : " Je meurs... "

Et, comme un vol d'amour fait à ses soeurs stupides,
Elle compte, abattue et les mains sur son coeur
Les Anges, les Jésus et ses Vierges nitides
Et, calmement, son âme a bu tout son vainqueur.

Adonaï !... - Dans les terminaisons latines,
Des cieux moirés de vert baignent les Fronts vermeils
Et tachés du sang pur des célestes poitrines,
De grands linges neigeux tombent sur les soleils !

- Pour ses virginités présentes et futures
Elle mord aux fraîcheurs de ta Rémission,
Mais plus que les lys d'eau, plus que les confitures,
Tes pardons sont glacés, à Reine de Sion !
IV

Puis la Vierge n'est plus que la vierge du livre.
Les mystiques élans se cassent quelquefois...
Et vient la pauvreté des images, que cuivre
L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois ;

Des curiosités vaguement impudiques
Épouvantent le rêve aux chastes bleuités
Qui s'est surpris autour des célestes tuniques,
Du linge dont Jésus voile ses nudités.

Elle veut, elle veut, pourtant, l'âme en détresse,
Le front dans l'oreiller creusé par les cris sourds,
Prolonger les éclairs suprêmes de tendresse,
Et bave... - L'ombre emplit les maisons et les cours.

Et l'enfant ne peut plus. Elle s'agite, cambre
Les reins et d'une main ouvre le rideau bleu
Pour amener un peu la fraîcheur de la chambre
Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu...

V

À son réveil, - minuit, - la fenêtre était blanche.
Devant le sommeil bleu des rideaux illunés,
La vision la prit des candeurs du dimanche ;
Elle avait rêvé rouge. Elle saigna du nez,

Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse
Pour savourer en Dieu son amour revenant,
Elle eut soif de la nuit où s'exalte et s'abaisse
Le coeur, sous l'oeil des cieux doux, en les devinant ;

De la nuit, Vierge-Mère impalpable, qui baigne
Tous les jeunes émois de ses silences gris ;
EIIe eut soif de la nuit forte où le coeur qui saigne
Ecoule sans témoin sa révolte sans cris.

Et faisant la victime et la petite épouse,
Son étoile la vit, une chandelle aux doigts,
Descendre dans la cour où séchait une blouse,
Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits.

VI

Elle passa sa nuit sainte dans les latrines.
Vers la chandelle, aux trous du toit coulait l'air blanc,
Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines,
En deçà d'une cour voisine s'écroulant.

La lucarne faisait un coeur de lueur vive
Dans la cour où les cieux bas plaquaient d'ors vermeils
Les vitres ; les pavés puant l'eau de lessive
Soufraient l'ombre des murs bondés de noirs sommeils.

VII

Qui dira ces langueurs et ces pitiés immondes,
Et ce qu'il lui viendra de haine, à sales fous
Dont le travail divin déforme encor les mondes,
Quand la lèpre à la fin mangera ce corps doux ?

VIII

Et quand, ayant rentré tous ses noeuds d'hystéries,
Elle verra, sous les tristesses du bonheur,
L'amant rêver au blanc million des Maries,
Au matin de la nuit d'amour avec douleur :

" Sais-tu que je t'ai fait mourir ? J'ai pris ta bouche,
Ton coeur, tout ce qu'on a, tout ce que vous avez ;
Et moi, je suis malade : Oh ! je veux qu'on me couche
Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuvés !

" J'étais bien jeune, et Christ a souillé mes haleines.
Il me bonda jusqu'à la gorge de dégoûts !
Tu baisais mes cheveux profonds comme les laines
Et je me laissais faire... ah ! va, c'est bon pour vous,

" Hommes ! qui songez peu que la plus amoureuse
Est, sous sa conscience aux ignobles terreurs,
La plus prostituée et la plus douloureuse,
Et que tous nos élans vers vous sont des erreurs !

" Car ma Communion première est bien passée.
Tes baisers, je ne puis jamais les avoir sus :
Et mon coeur et ma chair par ta chair embrassée
Fourmillent du baiser putride de Jésus ! "

IX

Alors l'âme pourrie et l'âme désolée
Sentiront ruisseler tes malédictions.
- Ils auront couché sur ta Haine inviolée,
Échappés, pour la mort, des justes passions.

Christ ! ô Christ, éternel voleur des énergies,
Dieu qui pour deux mille ans vouas à ta pâleur
Cloués au sol, de honte et de céphalalgies,
Ou renversés, les fronts des femmes de douleur.
Fall Nov 2018
Couleurs en lambeaux du à trois jours

Ça pique , ça chatouille , elle arrive , je la sens , pas bien...

Ses pas sont vert , porte la music tel une mélodie qui ne connait limite

Les petits coup de , l'oeil devinent la vie , ram ou rav

Ma peur , mots , ne se manifeste auprès d'elle , chaque fois

Elle se retourne , que regarder , que penser , figé , respiré , demande

Comment va tu ? Non , trop formel , tu a prit tes soins ? Trop personnel ...

Parler , il le faut , parle la , elle se retourne , je me tourne ... Non

Sa voix est faible , ses chants plus possible , yeux sur mien

Arrete , mots , sortis ,
" je t'attendais",  " j'étais venu te voir , la porte était fermé "

" Désolé " , Elle sourit , pour moi ,
moi .
This is a french test work for an english collection of poetey that I am going to release . This will be thé only one in french  for french lovers . There is going to be some sort of chapitres to the story . It's name will be 96' ,it is based on a lovestory  . It is thé love beetween Ram and Janu . Thanks everyone
Fable XVII, Livre II.


À qui diable en veut cet Anglais ?
Il sort du lit avant l'aurore,
Laisse dormir sa femme, éveille ses valets,
Et court déjà les champs qu'il n'est pas jour encore.
Le silence a fui **** des bois ;
Comme ceux des murs où nous sommes,
Leur écho redit à la fois
Les jurements, les cris, les voix
Des chiens, des chevaux et des hommes.
Mais quoi ! le limier est lâché ;
Sur ses pas, en hurlant, le chien courant détale :
La queue en l'air, le nez à la terre attaché,
Des bassets suit la meute intrépide et bancale.
Un commun espoir les soutient.
On trotte, on court, on va, l'on vient ;
On se rejoint, on se sépare ;
On presse, on retient son essor,
Au gré des sons bruyants du cor,
Au caprice de la fanfare.
Point de repos : bêtes et gens,
À qui mieux mieux chacun s'excite.
Mais tombe enfin qui va si vite ;
Tout l'équipage est sur les dents.
Couvert d'écume et de fumée,
Le coursier du maître est rendu ;
Plus d'un chien haletant sur l'herbe est étendu,
Et de sa gueule en feu pend sa langue enflammée.
Milord, qui de chemise a besoin de changer,
Et lentement chez soi retourne à la nuit noire,
À passé le jour sans manger,
Et, qui pis est pour lui, sans boire !
Et pourquoi tant de bruit, tant de soins, tant de mal ?
Pour forcer un triste animal
Qui perd, aussitôt qu'on l'attrape,
Le prix qu'il semble avoir alors qu'il nous échappe ;
Et, **** de nous valoir ce qu'il nous a coûté,
N'offre à l'heureux vainqueur de tous ses stratagèmes,
Qu'un mets auquel deux fois on n'a jamais goûté,
Et dont les chiens à jeun ne veulent pas eux-mêmes !

Toi qui possèdes la grandeur,
Et t'es éreinté sur sa trace,
S'il se peut, parle avec candeur ;
As-tu fait plus heureuse chasse ?
À Madame De La Briche.

Vous, de qui les attraits, la modeste douceur,
Savent tout obtenir et n'osent rien prétendre,
Vous que l'on ne peut voir sans devenir plus tendre,
Et qu'on ne peut aimer sans devenir meilleur,
Je vous respecte trop pour parler de vos charmes,
De vos talents, de votre esprit...
Vous aviez déjà peur ; bannissez vos alarmes,
C'est de vos vertus qu' il s'agit.
Je veux peindre en mes vers des mères le modèle,
Le sarigue, animal peu connu parmi nous,
Mais dont les soins touchants et doux,
Dont la tendresse maternelle,
Seront de quelque prix pour vous.
Le fond du conte est véritable :
Buffon m'en est garant ; qui pourrait en douter ?
D'ailleurs tout dans ce genre a droit d'être croyable,
Lorsque c'est devant vous qu'on peut le raconter.

Maman, disait un jour à la plus tendre mère
Un enfant péruvien sur ses genoux assis,
Quel est cet animal qui, dans cette bruyère,
Se promène avec ses petits ?
Il ressemble au renard. Mon fils, répondit-elle,
Du sarigue c'est la femelle ;
Nulle mère pour ses enfants
N'eut jamais plus d'amour, plus de soins vigilants.
La nature a voulu seconder sa tendresse,
Et lui fit près de l'estomac
Une poche profonde, une espèce de sac,
Où ses petits, quand un danger les presse,
Vont mettre à couvert leur faiblesse.
Fais du bruit, tu verras ce qu' ils vont devenir.
L'enfant frappe des mains ; la sarigue attentive
Se dresse, et, d'une voix plaintive,
Jette un cri ; les petits aussitôt d'accourir,
Et de s'élancer vers la mère,
En cherchant dans son sein leur retraite ordinaire.
La poche s'ouvre, les petits
En un moment y sont blottis,
Ils disparaissent tous ; la mère avec vitesse
S'enfuit emportant sa richesse.
La péruvienne alors dit à l'enfant surpris :
Si jamais le sort t'est contraire,
Souviens-toi du sarigue, imite-le, mon fils :
L'asile le plus sûr est le sein d'une mère.
Sonnet.

Je chéris ma défaite, et mon destin m'est doux,
Beauté, charme puissant des yeux et des oreilles :
Et je n'ai point regret qu'une heure auprès de vous
Me coûte en votre absence et des soins et des veilles.

Se voir ainsi vaincu par vos rares merveilles,
C'est un malheur commode à faire cent jaloux :
Et le cœur ne soupire en des pertes pareilles,
Que pour baiser la main qui fait de si grands coups.

Recevez de la mienne, après votre victoire,
Ce que pourrait un Roi tenir à quelque gloire ;
Ce que les plus beaux yeux n'ont jamais dédaigné.

Je vous en rends, Iris, un juste et prompt hommage,
Hélas ! contentez-vous de me l'avoir gagné,
Sans, me dérober davantage.
Eh bien ! que fais-tu donc, ô Mémoire infidèle ?
Tu ne sais plus ces vers, poésie immortelle,
Consacrés par la gloire et redits en tous lieux !
Ces sublimes accents au rythme harmonieux,
Où d'un poète aimé le génie étincelle,
Mémoire, que fuis-tu, si tu ne les retiens ?
« Je me souviens !

« Mais, passant à travers les grands bruits de la terre,
Qui doit se souvenir, hélas ! a trop à faire.
Contre moi, chaque jour, combat l'oubli jaloux :
Je ne puis tout garder, et je choisis pour vous.
Du rayon qui donna la plus fraîche lumière,
D'un suave parfum, de sons éoliens,
Je me souviens.

« Souvent, abandonnant au burin de l'histoire,
Tout ce qui tient en main le sceptre de la gloire,
Je laisse à tout hasard, au ****, errer mes pas,
Dans des sentiers obscurs où l'on chante tout bas.
Plus attentive alors, moi, pauvre humble Mémoire,
D'espoirs, de doux pensers, rêves aériens,
Je me souviens.

« Si parfois un ami, triste et rempli d'alarme,
Vient chercher près de vous quelque espoir qui le charme ;
Sa main dans votre main, quand s'entr'ouvre son cœur,
- Le cœur, qui sait si bien parler de la douleur ! -
Du mal de votre ami, d'un regard, d'une larme,
De tout ce qui s'échappe en vos longs entretiens,
Je me souviens.

« À tout ce qui gémit et pleure dans la vie,
Je prête, en cheminant, une oreille attendrie ;
J'écoute mieux encor ceux qui ne parlent plus,
Les amis d'autrefois au tombeau descendus :
Je fais revivre en moi l'âme qui s'est enfuie ;
Des nœuds qui sont rompus rattachant les liens,
Je me souviens !

« Assez d'autres sans moi garderont souvenance
De ces vers tant aimés ; qu'importe mon silence !
Quand la gloire a parlé, mes soins sont superflus. »
- C'est bien ! je suis contente, et ne veux rien de plus
Si, n'oubliant jamais ni bonheur ni souffrance,
Lorsque je vois s'enfuir les plus chers de mes biens,
Tu te souviens !
Un amateur d'oiseaux avait, en grand secret,
Parmi les œufs d'une serine
Glissé l'œuf d'un chardonneret.
La mère des serins, bien plus tendre que fine,
Ne s'en aperçut point, et couva comme sien
Cet œuf qui dans peu vint à bien.
Le petit étranger, sorti de sa coquille,
Des deux époux trompés reçoit les tendres soins,
Par eux traité ni plus ni moins
Que s'il était de la famille.
Couché dans le duvet, il dort le long du jour
A côté des serins dont il se croit le frère,
Reçoit la becquée à son tour,
Et repose la nuit sous l'aile de la mère.
Chaque oisillon grandit, et, devenant oiseau,
D'un brillant plumage s'habille ;
Le chardonneret seul ne devient point jonquille,
Et ne s'en croit pas moins des serins le plus beau.
Ses frères pensent tout de même :
Douce erreur qui toujours fait voir l'objet qu'on aime
Ressemblant à nous trait pour trait !
Jaloux de son bonheur, un vieux chardonneret
Vient lui dire : Il est temps enfin de vous connaître ;
Ceux pour qui vous avez de si doux sentiments
Ne sont point du tout vos parents.
C'est d'un chardonneret que le sort vous fit naître.
Vous ne fûtes jamais serin : regardez-vous,
Vous avez le corps fauve et la tête écarlate,
Le bec... Oui, dit l'oiseau, j'ai ce qu'il vous plaira ;
Mais je n'ai point une âme ingrate,
Et mon cœur toujours chérira
Ceux qui soignèrent mon enfance.
Si mon plumage au leur ne ressemble pas bien,
J'en suis fâché ; mais leur cœur et le mien
Ont une grande ressemblance.
Vous prétendez prouver que je ne leur suis rien,
Leurs soins me prouvent le contraire :
Rien n'est vrai comme ce qu'on sent.
Pour un oiseau reconnaissant
Un bienfaiteur est plus qu'un père.
Quoi donc ! la vôtre aussi ! la vôtre suit la mienne !
Ô mère au coeur profond, mère, vous avez beau
Laisser la porte ouverte afin qu'elle revienne,
Cette pierre là-bas dans l'herbe est un tombeau !

La mienne disparut dans les flots qui se mêlent ;
Alors, ce fut ton tour, Claire, et tu t'envolas.
Est-ce donc que là-haut dans l'ombre elles s'appellent,
Qu'elles s'en vont ainsi l'une après l'autre, hélas ?

Enfant qui rayonnais, qui chassais la tristesse,
Que ta mère jadis berçait de sa chanson,
Qui d'abord la charmas avec ta petitesse
Et plus **** lui remplis de clarté l'horizon,

Voilà donc que tu dors sous cette pierre grise !
Voilà que tu n'es plus, ayant à peine été !
L'astre attire le lys, et te voilà reprise,
Ô vierge, par l'azur, cette virginité !

Te voilà remontée au firmament sublime,
Échappée aux grands cieux comme la grive aux bois,
Et, flamme, aile, hymne, odeur, replongée à l'abîme
Des rayons, des amours, des parfums et des voix !

Nous ne t'entendrons plus rire en notre nuit noire.
Nous voyons seulement, comme pour nous bénir,
Errer dans notre ciel et dans notre mémoire
Ta figure, nuage, et ton nom, souvenir !

Pressentais-tu déjà ton sombre épithalame ?
Marchant sur notre monde à pas silencieux,
De tous les idéals tu composais ton âme,
Comme si tu faisais un bouquet pour les cieux !

En te voyant si calme et toute lumineuse,
Les coeurs les plus saignants ne haïssaient plus rien.
Tu passais parmi nous comme Ruth la glaneuse,
Et, comme Ruth l'épi, tu ramassais le bien.

La nature, ô front pur, versait sur toi sa grâce,
L'aurore sa candeur, et les champs leur bonté ;
Et nous retrouvions, nous sur qui la douleur passe,
Toute cette douceur dans toute ta beauté !

Chaste, elle paraissait ne pas être autre chose
Que la forme qui sort des cieux éblouissants ;
Et de tous les rosiers elle semblait la rose,
Et de tous les amours elle semblait l'encens.

Ceux qui n'ont pas connu cette charmante fille
Ne peuvent pas savoir ce qu'était ce regard
Transparent comme l'eau qui s'égaie et qui brille
Quand l'étoile surgit sur l'océan hagard.

Elle était simple, franche, humble, naïve et bonne ;
Chantant à demi-voix son chant d'illusion,
Ayant je ne sais quoi dans toute sa personne
De vague et de lointain comme la vision.

On sentait qu'elle avait peu de temps sur la terre,
Qu'elle n'apparaissait que pour s'évanouir,
Et qu'elle acceptait peu sa vie involontaire ;
Et la tombe semblait par moments l'éblouir.

Elle a passé dans l'ombre où l'homme se résigne ;
Le vent sombre soufflait ; elle a passé sans bruit,
Belle, candide, ainsi qu'une plume de cygne
Qui reste blanche, même en traversant la nuit !

Elle s'en est allée à l'aube qui se lève,
Lueur dans le matin, vertu dans le ciel bleu,
Bouche qui n'a connu que le baiser du rêve,
Ame qui n'a dormi que dans le lit de Dieu !

Nous voici maintenant en proie aux deuils sans bornes,
Mère, à genoux tous deux sur des cercueils sacrés,
Regardant à jamais dans les ténèbres mornes
La disparition des êtres adorés !

Croire qu'ils resteraient ! quel songe ! Dieu les presse.
Même quand leurs bras blancs sont autour de nos cous,
Un vent du ciel profond fait frissonner sans cesse
Ces fantômes charmants que nous croyons à nous.

Ils sont là, près de nous, jouant sur notre route ;
Ils ne dédaignent pas notre soleil obscur,
Et derrière eux, et sans que leur candeur s'en doute,
Leurs ailes font parfois de l'ombre sur le mur.

Ils viennent sous nos toits ; avec nous ils demeurent ;
Nous leur disons : Ma fille, ou : Mon fils ; ils sont doux,
Riants, joyeux, nous font une caresse, et meurent.
Ô mère, ce sont là les anges, voyez-vous !

C'est une volonté du sort, pour nous sévère,
Qu'ils rentrent vite au ciel resté pour eux ouvert ;
Et qu'avant d'avoir mis leur lèvre à notre verre,
Avant d'avoir rien fait et d'avoir rien souffert,

Ils partent radieux ; et qu'ignorant l'envie,
L'erreur, l'orgueil, le mal, la haine, la douleur,
Tous ces êtres bénis s'envolent de la vie
A l'âge où la prunelle innocente est en fleur !

Nous qui sommes démons ou qui sommes apôtres,
Nous devons travailler, attendre, préparer ;
Pensifs, nous expions pour nous-même ou pour d'autres ;
Notre chair doit saigner, nos yeux doivent pleurer.

Eux, ils sont l'air qui fuit, l'oiseau qui ne se pose
Qu'un instant, le soupir qui vole, avril vermeil
Qui brille et passe ; ils sont le parfum de la rose
Qui va rejoindre aux cieux le rayon du soleil !

Ils ont ce grand dégoût mystérieux de l'âme
Pour notre chair coupable et pour notre destin ;
Ils ont, êtres rêveurs qu'un autre azur réclame,
Je ne sais quelle soif de mourir le matin !

Ils sont l'étoile d'or se couchant dans l'aurore,
Mourant pour nous, naissant pour l'autre firmament ;
Car la mort, quand un astre en son sein vient éclore,
Continue, au delà, l'épanouissement !

Oui, mère, ce sont là les élus du mystère,
Les envoyés divins, les ailés, les vainqueurs,
A qui Dieu n'a permis que d'effleurer la terre
Pour faire un peu de joie à quelques pauvres coeurs.

Comme l'ange à Jacob, comme Jésus à Pierre,
Ils viennent jusqu'à nous qui **** d'eux étouffons,
Beaux, purs, et chacun d'eux portant sous sa paupière
La sereine clarté des paradis profonds.

Puis, quand ils ont, pieux, baisé toutes nos plaies,
Pansé notre douleur, azuré nos raisons,
Et fait luire un moment l'aube à travers nos claies,
Et chanté la chanson du ciel dam nos maisons,

Ils retournent là-haut parler à Dieu des hommes,
Et, pour lui faire voir quel est notre chemin,
Tout ce que nous souffrons et tout ce que nous sommes,
S'en vont avec un peu de terre dans la main.

Ils s'en vont ; c'est tantôt l'éclair qui les emporte,
Tantôt un mal plus fort que nos soins superflus.
Alors, nous, pâles, froids, l'oeil fixé sur la porte,
Nous ne savons plus rien, sinon qu'ils ne sont plus.

Nous disons : - A quoi bon l'âtre sans étincelles ?
A quoi bon la maison où ne sont plus leurs pas ?
A quoi bon la ramée où ne sont plus les ailes ?
Qui donc attendons-nous s'ils ne reviendront pas ?

Ils sont partis, pareils au bruit qui sort des lyres.
Et nous restons là, seuls, près du gouffre où tout fuit,
Tristes ; et la lueur de leurs charmants sourires
Parfois nous apparaît vaguement dans la nuit.

Car ils sont revenus, et c'est là le mystère ;
Nous entendons quelqu'un flotter, un souffle errer,
Des robes effleurer notre seuil solitaire,
Et cela fait alors que nous pouvons pleurer.

Nous sentons frissonner leurs cheveux dans notre ombre ;
Nous sentons, lorsqu'ayant la lassitude en nous,
Nous nous levons après quelque prière sombre,
Leurs blanches mains toucher doucement nos genoux.

Ils nous disent tout bas de leur voix la plus tendre :
"Mon père, encore un peu ! ma mère, encore un jour !
"M'entends-tu ? je suis là, je reste pour t'attendre
"Sur l'échelon d'en bas de l'échelle d'amour.

"Je t'attends pour pouvoir nous en aller ensemble.
"Cette vie est amère, et tu vas en sortir.
"Pauvre coeur, ne crains rien, Dieu vit ! la mort rassemble.
"Tu redeviendras ange ayant été martyr."

Oh ! quand donc viendrez-vous ? Vous retrouver, c'est naître.
Quand verrons-nous, ainsi qu'un idéal flambeau,
La douce étoile mort, rayonnante, apparaître
A ce noir horizon qu'on nomme le tombeau ?

Quand nous en irons-nous où vous êtes, colombes !
Où sont les enfants morts et les printemps enfuis,
Et tous les chers amours dont nous sommes les tombes,
Et toutes les clartés dont nous sommes les nuits ?

Vers ce grand ciel clément où sont tous les dictames,
Les aimés, les absents, les êtres purs et doux,
Les baisers des esprits et les regards des âmes,
Quand nous en irons-nous ? quand nous en irons-nous ?

Quand nous en irons-nous où sont l'aube et la foudre ?
Quand verrons-nous, déjà libres, hommes encor,
Notre chair ténébreuse en rayons se dissoudre,
Et nos pieds faits de nuit éclore en ailes d'or ?

Quand nous enfuirons-nous dans la joie infinie
Où les hymnes vivants sont des anges voilés,
Où l'on voit, à travers l'azur de l'harmonie,
La strophe bleue errer sur les luths étoilés ?

Quand viendrez-vous chercher notre humble coeur qui sombre ?
Quand nous reprendrez-vous à ce monde charnel,
Pour nous bercer ensemble aux profondeurs de l'ombre,
Sous l'éblouissement du regard éternel ?
Here's a sigh to those who love me,
And a smile to those who hate ;
And whatever sky's above me,
Here's a heart for every fate.
BYRON.


Amis ! c'est donc Rouen, la ville aux vieilles rues,
Aux vieilles tours, débris des races disparues,
La ville aux cent clochers carillonnant dans l'air,
Le Rouen des châteaux, des hôtels, des bastilles,
Dont le front hérissé de flèches et d'aiguilles
Déchire incessamment les brumes de la mer ;

C'est Rouen qui vous a ! Rouen qui vous enlève !
Je ne m'en plaindrai pas. J'ai souvent fait ce rêve
D'aller voir Saint-Ouen à moitié démoli,
Et tout m'a retenu, la famille, l'étude,
Mille soins, et surtout la vague inquiétude
Qui fait que l'homme craint son désir accompli.

J'ai différé. La vie à différer se passe.
De projets en projets et d'espace en espace
Le fol esprit de l'homme en tout temps s'envola.
Un jour enfin, lassés du songe qui nous leurre,
Nous disons : " Il est temps. Exécutons! c'est l'heure. "
Alors nous retournons les yeux : la mort est là !

Ainsi de mes projets. Quand vous verrai-je, Espagne,
Et Venise et son golfe, et Rome et sa campagne,
Toi, Sicile que ronge un volcan souterrain,
Grèce qu'on connaît trop, Sardaigne qu'on ignore,
Cités de l'aquilon, du couchant, de l'aurore,
Pyramides du Nil, cathédrales du Rhin !

Qui sait ? Jamais peut-être. Et quand m'abriterai-je
Près de la mer, ou bien sous un mont blanc de neige,
Dans quelque vieux donjon, tout plein d'un vieux héros,
Où le soleil, dorant les tourelles du faîte,
N'enverra sur mon front que des rayons de fête
Teints de pourpre et d'azur au prisme des vitraux ?

Jamais non plus, sans doute. En attendant, vaine ombre,
Oublié dans l'espace et perdu dans le nombre,
Je vis. J'ai trois enfants en cercle à mon foyer ;
Et lorsque la sagesse entr'ouvre un peu ma porte,
Elle me crie : Ami ! sois content. Que t'importe
Cette tente d'un jour qu'il faut sitôt ployer !

Et puis, dans mon esprit, des choses que j'espère
Je me fais cent récits, comme à son fils un père.
Ce que je voudrais voir je le rêve si beau !
Je vois en moi des tours, des Romes, des Cordoues,
Qui jettent mille feux, muse, quand tu secoues
Sous leurs sombres piliers ton magique flambeau !

Ce sont des Alhambras, de hautes cathédrales,
Des Babels, dans la nue enfonçant leurs spirales,
De noirs Escurials, mystérieux séjour,
Des villes d'autrefois, peintes et dentelées,
Où chantent jour et nuit mille cloches ailées,
Joyeuses d'habiter dans des clochers à jour !

Et je rêve ! Et jamais villes impériales  
N'éclipseront ce rêve aux splendeurs idéales.
Gardons l'illusion ; elle fuit assez tôt.
Chaque homme, dans son coeur, crée à sa fantaisie
Tout un monde enchanté d'art et de poésie.
C'est notre Chanaan que nous voyons d'en haut.

Restons où nous voyons. Pourquoi vouloir descendre,
Et toucher ce qu'on rêve, et marcher dans la cendre ?
Que ferons-nous après ? où descendre ? où courir ?
Plus de but à chercher ! plus d'espoir qui séduise !
De la terre donnée à la terre promise
Nul retour ; et Moïse a bien fait de mourir !

Restons **** des objets dont la vue est charmée.
L'arc-en-ciel est vapeur, le nuage est fumée.
L'idéal tombe en poudre au toucher du réel.
L'âme en songes de gloire ou d'amour se consume.
Comme un enfant qui souffle en un flocon d'écume,
Chaque homme enfle une bulle où se reflète un ciel !

Frêle bulle d'azur, au roseau suspendue,
Qui tremble au moindre choc et vacille éperdue !
Voilà tous nos projets, nos plaisirs, notre bruit !
Folle création qu'un zéphyr inquiète !
Sphère aux mille couleurs, d'une goutte d'eau faite !
Monde qu'un souffle crée et qu'un souffle détruit !

Le saurons-nous jamais ? Qui percera nos voiles,
Noirs firmaments, semés de nuages d'étoiles ?
Mer, qui peut dans ton lit descendre et regarder ?
Où donc est la science ? Où donc est l'origine ?
Cherchez au fond des mers cette perle divine,
Et, l'océan connu, l'âme reste à sonder !

Que faire et que penser ? Nier, douter, ou croire ?
Carrefour ténébreux ! triple route! nuit noire !
Le plus sage s'assied sous l'arbre du chemin,
Disant tout bas : J'irai, Seigneur, où tu m'envoies.
Il espère, et, de ****, dans les trois sombres voies,
Il écoute, pensif, marcher le genre humain !

Mai 1830.
À J.-K. Huysmans.


Il fait nuit dans la chambre étroite et froide où l'homme

Vient de rentrer, couvert de neige, en blouse, et comme

Depuis trois jours il n'a pas prononcé deux mots,

La femme a peur et fait des signes aux marmots.


Un seul lit, un bahut disloqué, quatre chaises,

Des rideaux jadis blancs conchiés des punaises,

Une table qui va s'écroulant d'un côté, -

Le tout navrant avec un air de saleté.


L'homme, grand front, grands yeux pleins d'une sombre flamme

A vraiment des lueurs d'intelligence et d'âme

Et c'est ce qu'on appelle un solide garçon.

La femme, jeune encore, est belle à sa façon.


Mais la Misère a mis sur eux sa main funeste,

Et perdant par degrés rapides ce qui reste

En eux de tristement vénérable et d'humain,

Ce seront la femelle et le mâle, demain.


Tous se sont attablés pour manger de la soupe

Et du boeuf, et ce tas sordide forme un groupe

Dont l'ombre à l'infini s'allonge tout autour

De la chambre, la lampe étant sans abat-jour.


Les enfants sont petits et pâles, mais robustes

En dépit des maigreurs saillantes de leurs bustes

Qui disent les hivers passés sans feu souvent

Et les étés subis dans un air étouffant.


Non **** d'un vieux fusil rouillé qu'un clou supporte

Et que la lampe fait luire d'étrange sorte,

Quelqu'un qui chercherait longtemps dans ce retrait

Avec l'oeil d'un agent de police verrait


Empilés dans le fond de la boiteuse armoire,

Quelques livres poudreux de « science » et d'« histoire »,

N, Et sous le matelas, cachés avec grand soin,

Des romans capiteux cornés à chaque coin.


Ils mangent cependant. L'homme, morne et farouche,

Porte la nourriture écoeurante à sa bouche

D'un air qui n'est rien moins nonobstant que soumis,

Et son eustache semble à d'autres soins promis.


La femme pense à quelque ancienne compagne,

Laquelle a tout, voiture et maison de campagne,

Tandis que les enfants, leurs poings dans leurs yeux clos,

Ronflant sur leur assiette imitent des sanglots.
Hélas ! Que je dois à vos soins !
Vous m'apprenez qu'il est perfide,
Qu'il trompa mon amour timide :
C'est vous qui le jurez du moins...
Hélas ! Que je dois à vos soins !

Pressez votre main sur mon cœur
Et jouissez de votre ouvrage.
Le malheur me rend le courage ;
Mais pour juger de sa rigueur,
Pressez votre main sur mon cœur !

Adieu donc ma félicité !
Adieu sa présence et ma vie !
Oh ! Que vous m'avez bien servie
En me disant la vérité !
Adieu donc ma félicité !

Vous avez voulu me guérir,
Cruelle ! ... Ah ! Pardon ! Je m'égare.
Non, non, vous n'êtes point barbare ;
Je le crois, dussé-je mourir...
Vous avez voulu me guérir !
Sonnet.

D'un accueil si flatteur, et qui veut que j'espère,
Vous payez ma visite alors que je vous vois,
Que souvent à l'erreur j'abandonne ma foi,
Et croîs seul avoir droit d'aspirer à vous plaire.

Mais si j'y trouve alors de quoi me satisfaire,
Ces charmes attirants, ces doux je ne sais quoi,
Sont des biens pour tout autre aussi bien que pour moi,
Et c'est dont un beau feu ne se contente guère.

D'une ardeur réciproque il veut d'autres témoins,
Un mutuel échange et de vœux et de soins,
Un transport de tendresse à nul autre semblable.

C'est là ce qui remplit un cœur fort amoureux :
Le mien le sent pour vous ; le vôtre en est capable.
Hélas ! si vous vouliez, que je serais heureux !
Sonnet.

Vois à loisir ce lieu champêtre ;
Les jours y coulent sans ennuis :
Tâche, si tu peux, de connaître
Tant d'herbes, de fleurs, et de fruits.

Ces animaux que tu poursuis,
Ces oiseaux que tu vois paraître,
Dans ce bel enclos sont réduits
Par les soins et l'art de son maître.

Jette après la vue au dehors,
Et, voyant avec quels efforts
La nature à l'envi le pare,

Demande à tes yeux enchantés
S'il pouvait, en un lieu plus rare,
Assembler tant de raretés.
Fable XVIII, Livre II.


Tandis que sa main droite achevait un tableau,
Certain professeur en peinture
Gourmandait sa main gauche, et disait : « La nature
T'a fait là, pauvre peintre ! un assez sot cadeau.
Jamais une esquisse, une ébauche,
Un simple trait peut-il sortir de ta main gauche ?
Sait-elle tenir un pinceau ?
Non, pas même un crayon ! Cependant, maladroite,
N'as-tu pas cinq doigts bien comptés ?
Pour faire en tout mes volontés,
Qu'as-tu de moins que ma main droite ?
- Beaucoup, monsieur, » répond pour le membre accusé
L'un des cinq doigts ; le petit doigt, sans doute ;
Doigt très instruit, doigt très rusé,
Doigt qui sait ce qu'il dit comme tel qui l'écoute.
« La main gauche à la droite est semblable en tous points,
Dans l'état de nature ou l'état d'ignorance,
Car c'est tout un ; mais quelle différence
Entre ces sœurs bientôt s'établit par vos soins,
Vers la droite en tout temps portés de préférence !
La main droite est toujours en opération ;
La main gauche en repos : voilà toute l'affaire.
On ne peut devenir habile, à ne rien faire.
Au seul défaut d'instruction
Attribuez, monsieur, l'impuissance où nous sommes.
Croyez-vous l'éducation
Moins nécessaire aux mains qu'aux hommes ? »
Ayant vu le massacre immense, le combat,
Le peuple sur sa croix, Paris sur son grabat,
La pitié formidable était dans tes paroles ;
Tu faisais ce que font les grandes âmes folles,
Et lasse de lutter, de rêver, de souffrir,
Tu disais : J'ai tué ! car tu voulais mourir.

Tu mentais contre toi, terrible et surhumaine.
Judith la sombre juive, Arria la romaine,
Eussent battu des mains pendant que tu parlais.
Tu disais aux greniers : J'ai brûlé les palais !
Tu glorifiais ceux qu'on écrase et qu'on foule ;
Tu criais : J'ai tué, qu'on me tue ! Et la foule
Écoutait cette femme altière s'accuser.
Tu semblais envoyer au sépulcre un baiser ;
Ton oeil fixe pesait sur les juges livides,
Et tu songeais, pareille aux graves Euménides.
La pâle mort était debout derrière toi.
Toute la vaste salle était pleine d'effroi,
Car le peuple saignant hait la guerre civile.
Dehors on entendait la rumeur de la ville.

Cette femme écoutait la vie aux bruits confus,
D'en haut, dans l'attitude austère du refus.
Elle n'avait pas l'air de comprendre autre chose
Qu'un pilori dressé pour une apothéose,
Et trouvant l'affront noble et le supplice beau,
Sinistre, elle hâtait le pas vers le tombeau.
Les juges murmuraient : Qu'elle meure. C'est juste.
Elle est infâme. -A moins qu'elle ne soit auguste,
Disait leur conscience ; et les juges pensifs,
Devant oui, devant non, comme entre deux récifs,
Hésitaient, regardant, la sévère coupable.

Et ceux qui comme moi te savent incapable
De tout ce qui n'est pas héroïsme et vertu,
Qui savent que si Dieu te disait : D'où viens-tu ?
Tu répondrais : Je viens de la nuit où l'on souffre ;
Dieu, je sors du devoir dont vous faites un gouffre !
Ceux qui savent tes vers mystérieux et doux,
Tes jours, tes nuits, tes soins, tes pleurs, donnés à tous,
Ton oubli de toi-même à secourir les autres,
Ta parole semblable aux flammes des apôtres ;
Ceux qui savent le toit sans feu, sans air, sans pain,
Le lit de sangle avec la table de sapin,
Ta bonté, ta fierté de femme populaire,
L'âpre attendrissement qui dort sous ta colère,
Ton long regard de haine à tous les inhumains,
Et les pieds des enfants réchauffés dans tes mains ;
Ceux-là, femme, devant ta majesté farouche,
Méditaient, et, malgré l'amer pli de ta bouche,
Malgré le maudisseur qui, s'acharnant sur toi,
Te jetait tous les cris indignés de la loi,
Malgré ta voix fatale et haute qui t'accuse,
Voyaient resplendir l'ange à travers la méduse.

Tu fus belle et semblas étrange en ces débats ;
Car, chétifs comme sont les vivants d'ici-bas,
Rien ne les trouble plus que deux âmes mêlées,
Que le divin chaos des choses étoilées
Aperçu tout au fond d'un grand coeur inclément,
Et qu'un rayonnement vu dans un flamboiement.

Le 18 décembre 1871.
Fable V, Livre V.


On ne supporte qu'à moitié
Le poids des misères humaines,
Quand le ciel accorde à nos peines
Les tendres soins de l'amitié.
Près de ce chien voyez son maître :
Blessé par le poignard d'un traître,
Dans sa douleur comme il sourit
À l'infatigable tendresse
De la langue qui le caresse
Et tout à la fois le guérit !
(Écrit à l'âge de quatorze ans.)


Après un si joyeux festin,
Zélés sectateurs de Grégoire,
Mes amis, si, le verre en main
Nous voulons chanter, rire et boire,
Pourquoi s'adresser à Bacchus ?
Dans une journée aussi belle
Mes amis, chantons en " chorus "
À la tendresse maternelle. (Bis.)

Un don pour nous si précieux,
Ce doux protecteur de l'enfance,
Ah ! c'est une faveur des cieux
Que Dieu donna dans sa clémence.
D'un bien pour l'homme si charmant
Nous avons ici le modèle ;
Qui ne serait reconnaissant
À la tendresse maternelle ? (Bis.)

Arrive-t-il quelque bonheur ?
Vite, à sa mère on le raconte ;
C'est dans son sein consolateur
Qu'on cache ses pleurs ou sa honte.
A-t-on quelques faibles succès,
On ne triomphe que pour elle
Et que pour répondre aux bienfaits
De la tendresse maternelle. (Bis.)

Ô toi, dont les soins prévoyants,
Dans les sentiers de cette vie
Dirigent mes pas nonchalants,
Ma mère, à toi je me confie.
Des écueils d'un monde trompeur
Écarte ma faible nacelle.
Je veux devoir tout mon bonheur
À la tendresse maternelle. (Bis.)

— The End —