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L'aurore se levait, la mer battait la plage ;
Ainsi parla Sapho debout sur le rivage,
Et près d'elle, à genoux, les filles de ******
Se penchaient sur l'abîme et contemplaient les flots :

Fatal rocher, profond abîme !
Je vous aborde sans effroi !
Vous allez à Vénus dérober sa victime :
J'ai méconnu l'amour, l'amour punit mon crime.
Ô Neptune ! tes flots seront plus doux pour moi !
Vois-tu de quelles fleurs j'ai couronné ma tête ?
Vois : ce front, si longtemps chargé de mon ennui,
Orné pour mon trépas comme pour une fête,
Du bandeau solennel étincelle aujourd'hui !

On dit que dans ton sein... mais je ne puis le croire !
On échappe au courroux de l'implacable Amour ;
On dit que, par tes soins, si l'on renaît au jour,
D'une flamme insensée on y perd la mémoire !
Mais de l'abîme, ô dieu ! quel que soit le secours,
Garde-toi, garde-toi de préserver mes jours !
Je ne viens pas chercher dans tes ondes propices
Un oubli passager, vain remède à mes maux !
J'y viens, j'y viens trouver le calme des tombeaux !
Reçois, ô roi des mers, mes joyeux sacrifices !
Et vous, pourquoi ces pleurs ? pourquoi ces vains sanglots ?
Chantez, chantez un hymne, ô vierges de ****** !

Importuns souvenirs, me suivrez-vous sans cesse ?
C'était sous les bosquets du temple de Vénus ;
Moi-même, de Vénus insensible prêtresse,
Je chantais sur la lyre un hymne à la déesse :
Aux pieds de ses autels, soudain je t'aperçus !
Dieux ! quels transports nouveaux ! ô dieux ! comment décrire
Tous les feux dont mon sein se remplit à la fois ?
Ma langue se glaça, je demeurais sans voix,
Et ma tremblante main laissa tomber ma lyre !
Non : jamais aux regards de l'ingrate Daphné
Tu ne parus plus beau, divin fils de Latone ;
Jamais le thyrse en main, de pampres couronné,
Le jeune dieu de l'Inde, en triomphe traîné,
N'apparut plus brillant aux regards d'Erigone.
Tout sortit... de lui seul je me souvins, hélas !
Sans rougir de ma flamme, en tout temps, à toute heure,
J'errais seule et pensive autour de sa demeure.
Un pouvoir plus qu'humain m'enchaînait sur ses pas !
Que j'aimais à le voir, de la foule enivrée,
Au gymnase, au théâtre, attirer tous les yeux,
Lancer le disque au ****, d'une main assurée,
Et sur tous ses rivaux l'emporter dans nos jeux !
Que j'aimais à le voir, penché sur la crinière
D'un coursier de I'EIide aussi prompt que les vents,
S'élancer le premier au bout de la carrière,
Et, le front couronné, revenir à pas lents !
Ah ! de tous ses succès, que mon âme était fière !
Et si de ce beau front de sueur humecté
J'avais pu seulement essuyer la poussière...
Ô dieux ! j'aurais donné tout, jusqu'à ma beauté,
Pour être un seul instant ou sa soeur ou sa mère !
Vous, qui n'avez jamais rien pu pour mon bonheur !
Vaines divinités des rives du Permesse,
Moi-même, dans vos arts, j'instruisis sa jeunesse ;
Je composai pour lui ces chants pleins de douceur,
Ces chants qui m'ont valu les transports de la Grèce :
Ces chants, qui des Enfers fléchiraient la rigueur,
Malheureuse Sapho ! n'ont pu fléchir son coeur,
Et son ingratitude a payé ta tendresse !

Redoublez vos soupirs ! redoublez vos sanglots !
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de ****** !

Si l'ingrat cependant s'était laissé toucher !
Si mes soins, si mes chants, si mes trop faibles charmes
A son indifférence avaient pu l'arracher !
S'il eût été du moins attendri par mes larmes !
Jamais pour un mortel, jamais la main des dieux
N'aurait filé des jours plus doux, plus glorieux !
Que d'éclat cet amour eût jeté sur sa vie !
Ses jours à ces dieux même auraient pu faire envie !
Et l'amant de Sapho, fameux dans l'univers,
Aurait été, comme eux, immortel dans mes vers !
C'est pour lui que j'aurais, sur tes autels propices,
Fait fumer en tout temps l'encens des sacrifices,
Ô Vénus ! c'est pour lui que j'aurais nuit et jour
Suspendu quelque offrande aux autels de l'Amour !
C'est pour lui que j'aurais, durant les nuits entières
Aux trois fatales soeurs adressé mes prières !
Ou bien que, reprenant mon luth mélodieux,
J'aurais redit les airs qui lui plaisaient le mieux !
Pour lui j'aurais voulu dans les jeux d'Ionie
Disputer aux vainqueurs les palmes du génie !
Que ces lauriers brillants à mon orgueil offerts
En les cueillant pour lui m'auraient été plus chers !
J'aurais mis à ses pieds le prix de ma victoire,
Et couronné son front des rayons de ma gloire.

Souvent à la prière abaissant mon orgueil,
De ta porte, ô Phaon ! j'allais baiser le seuil.
Au moins, disais-je, au moins, si ta rigueur jalouse
Me refuse à jamais ce doux titre d'épouse,
Souffre, ô trop cher enfant, que Sapho, près de toi,
Esclave si tu veux, vive au moins sous ta loi !
Que m'importe ce nom et cette ignominie !
Pourvu qu'à tes côtés je consume ma vie !
Pourvu que je te voie, et qu'à mon dernier jour
D'un regard de pitié tu plaignes tant d'amour !
Ne crains pas mes périls, ne crains pas ma faiblesse ;
Vénus égalera ma force à ma tendresse.
Sur les flots, sur la terre, attachée à tes pas,
Tu me verras te suivre au milieu des combats ;
Tu me verras, de Mars affrontant la furie,
Détourner tous les traits qui menacent ta vie,
Entre la mort et toi toujours prompte à courir...
Trop heureuse pour lui si j'avais pu mourir !

Lorsque enfin, fatigué des travaux de Bellone,
Sous la tente au sommeil ton âme s'abandonne,
Ce sommeil, ô Phaon ! qui n'est plus fait pour moi,
Seule me laissera veillant autour de toi !
Et si quelque souci vient rouvrir ta paupière,
Assise à tes côtés durant la nuit entière,
Mon luth sur mes genoux soupirant mon amour,
Je charmerai ta peine en attendant le jour !

Je disais; et les vents emportaient ma prière !
L'écho répétait seul ma plainte solitaire ;
Et l'écho seul encor répond à mes sanglots !
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de ****** !
Toi qui fus une fois mon bonheur et ma gloire !
Ô lyre ! que ma main fit résonner pour lui,
Ton aspect que j'aimais m'importune aujourd'hui,
Et chacun de tes airs rappelle à ma mémoire
Et mes feux, et ma honte, et l'ingrat qui m'a fui !
Brise-toi dans mes mains, lyre à jamais funeste !
Aux autels de Vénus, dans ses sacrés parvis
Je ne te suspends pas ! que le courroux céleste
Sur ces flots orageux disperse tes débris !
Et que de mes tourments nul vestige ne reste !
Que ne puis-je de même engloutir dans ces mers
Et ma fatale gloire, et mes chants, et mes vers !
Que ne puis-je effacer mes traces sur la terre !
Que ne puis-je aux Enfers descendre tout entière !
Et, brûlant ces écrits où doit vivre Phaon,
Emporter avec moi l'opprobre de mon nom !

Cependant si les dieux que sa rigueur outrage
Poussaient en cet instant ses pas vers le rivage ?
Si de ce lieu suprême il pouvait s'approcher ?
S'il venait contempler sur le fatal rocher
Sapho, les yeux en pleurs, errante, échevelée,
Frappant de vains sanglots la rive désolée,
Brûlant encor pour lui, lui pardonnant son sort,
Et dressant lentement les apprêts de sa mort ?
Sans doute, à cet aspect, touché de mon supplice,
Il se repentirait de sa longue injustice ?
Sans doute par mes pleurs se laissant désarmer
Il dirait à Sapho : Vis encor pour aimer !
Qu'ai-je dit ? **** de moi quelque remords peut-être,
A défaut de l'amour, dans son coeur a pu naître :
Peut-être dans sa fuite, averti par les dieux,
Il frissonne, il s'arrête, il revient vers ces lieux ?
Il revient m'arrêter sur les bords de l'abîme ;
Il revient !... il m'appelle... il sauve sa victime !...
Oh ! qu'entends-je ?... écoutez... du côté de ******
Une clameur lointaine a frappé les échos !
J'ai reconnu l'accent de cette voix si chère,
J'ai vu sur le chemin s'élever la poussière !
Ô vierges ! regardez ! ne le voyez-vous pas
Descendre la colline et me tendre les bras ?...
Mais non ! tout est muet dans la nature entière,
Un silence de mort règne au **** sur la terre :
Le chemin est désert !... je n'entends que les flots...
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de ****** !

Mais déjà s'élançant vers les cieux qu'il colore
Le soleil de son char précipite le cours.
Toi qui viens commencer le dernier de mes jours,
Adieu dernier soleil ! adieu suprême aurore !
Demain du sein des flots vous jaillirez encore,
Et moi je meurs ! et moi je m'éteins pour toujours !
Adieu champs paternels ! adieu douce contrée !
Adieu chère ****** à Vénus consacrée !
Rivage où j'ai reçu la lumière des cieux !
Temple auguste où ma mère, aux jours de ma naissance
D'une tremblante main me consacrant aux dieux,
Au culte de Vénus dévoua mon enfance !
Et toi, forêt sacrée, où les filles du Ciel,
Entourant mon berceau, m'ont nourri de leur miel,
Adieu ! Leurs vains présents que le vulgaire envie,
Ni des traits de l'Amour, ni des coups du destin,
Misérable Sapho ! n'ont pu sauver ta vie !
Tu vécus dans les Pleurs, et tu meurs au matin !
Ainsi tombe une fleur avant le temps fanée !
Ainsi, cruel Amour, sous le couteau mortel.
Une jeune victime à ton temple amenée,
Qu'à ton culte en naissant le pâtre a destinée,
Vient tomber avant l'âge au pied de ton autel !

Et vous qui reverrez le cruel que j'adore
Quand l'ombre du trépas aura couvert mes yeux,
Compagnes de Sapho, portez-lui ces adieux !
Dites-lui... qu'en mourant je le nommais encore !

Elle dit, et le soir, quittant le bord des flots,
Vous revîntes sans elle, ô vierges de ****** !
Paul d'Aubin Dec 2013
Ulysse, la Méditerranée et ses rapports avec les  Femmes.

Parti à contre cœur, ayant même contrefait le fou, pour se soustraire à la guerre et élever ton fils Télémaque, tu dus partir à Troie, et sus t'y montrer brave, mais surtout fin stratège.
La guerre fut bien longue, pas du tout comme celle que chantait les Aèdes. L'ennemi ressemblait tant à nos guerriers Achéens, courageux et aussi sûrs de leur droit que nous l'étions du notre. Que de sang, que de peine ! Tu vis périr Patrocle, ne pus sauver Achille ; et les morts aux corps déchiquetés par les épées se substituèrent aux coupes de ce vin si enivrant qu'est la rhétorique guerrière et à la funeste illusion d'une victoire facile. Ulysse tu eus l'idée de bâtir ce grand vaisseau dont la proue figurait une tête de cheval. Ainsi les Achéens purent entrer dans le port forteresse si bien gardé. Mais quand la nuit noire et le vin mêlés ôtèrent aux courageux Troyens leur vigilance et leur garde, vous sortirent alors des flancs du bateau et vous précipitèrent pour ouvrir grands les portes aux guerriers Achéens. La suite fut un grand carnage de guerriers Troyens mais aussi de non combattants et même de femmes. Et Troie, la fière, la courageuse ne fut plus ville libre et les survivants de son Peuple connurent l'esclavage. Aussi quand Troie fut conquise et que ses rue coulèrent rouges du sang vermeil de ses défenseur, mais aussi de nombreux civils, tu songeas à retourner chez toi, car tu étais roi, et ton fils Télémaque aurait besoin de toi et Pénélope t'aimait. Les souvenirs d'émois et de tendres caresses faisaient encore frissonner la harpe de ton corps de souvenirs très doux. C'est alors que tu dus affronter la Déesse Athéna et ton double, tous deux vigilants, à tester ta sincérité et ta constance. Oh, toi Homme volage et point encore rassasié de voyages et de conquêtes. L'étendue de la mer te fut donnée comme le théâtre même de ta vérité profonde. Après bien des voyages et avoir perdu nombre de tes compagnons, tu fus poussé dans l'île de la nymphe Calypso. Cette immortelle à la chevelure, si joliment bouclée se trouvait dans son île d'arbustes odoriférants. Aussi fit-elle tout pour te garder. Toi-même, tu lui trouvas de l'ardeur et des charmes même si durant le jour tu te laissais aller à la nostalgie d'Ithaque. La belle immortelle te proposas, pour te garder, de te donner cet attribut si recherché qui empêche à jamais de sombrer dans le sommeil perpétuel. Mais toi, Ulysse, tu préféras garder ton destin d'homme mortel et ton inguérissable blessure pour Ithaque. Après sept années d’une prison si douce, l'intervention d'Athéna te rendit aux aventures de la Mer. Tu accostas, avec tes compagnons sur la côte d’une île malfaisante. C'était la demeure des Cyclopes. Parmi ce Peuple de géants, le cyclope Polyphème habitait une grotte profonde d'où il faisait rentrer chaque soir son troupeau. Ulysse quelle folie traversa ton esprit et celui de tes compagnons que de vouloir pénétrer dans cette antre maudite, mû à la fois par la curiosité et la volonté de faire quelques larcins de chèvres ? Vous payèrent bien cher cette offense par la cruelle dévoration que fit l'infâme Polyphème de plusieurs de tes compagnons dont vous entendîtes craquer les os sous la mâchoire du sauvage. Aussi votre courage fut renforcé par votre haine lorsque vous lui plantèrent l'épieu dans son œil unique alors que sa vigilance venait d'être endormie par le vin. Les barques ayant mouillés dans l'île d'Aiaé, tes compagnons imprudents furent transformés en pourceaux par la belle et cruelle Magicienne Circée. Doté d'un contre poison à ses filtres, tu ne restas cependant pas insensible aux charmes de la belle Magicienne mais tu lui fis prononcer le grand serment avant de répondre à tes avances. Elle accepta pour faire de toi son amant de redonner leur forme humaine à tes compagnons, Et vos nuits furent tendres, sensuelles et magiques car la Magicienne excellait dans les arts de l'amour et il en naquit un fils. Toi le rusé et courageux Ulysse, tu espérais enfin voguer avec délice sur une mer d'huile parcourue par les reflets d'argent des poissons volants et te réjouir des facéties des dauphins, Mais c'était oublier et compter pour peu la rancune de Poséidon, le maître des eaux, rendu furieux par le traitement subi par son fils Polyphème. C'est pour cela qu'une masse d'eau compacte, haute comme une haute tour avançant au grand galop ébranla et engloutit ton solide radeau. Seul ton réflexe prompt de t'accrocher au plus grand des troncs te permis de plonger longuement au fonds des eaux en retenant longtemps ton souffle avant d’émerger à nouveaux. La troisième des belles que ton voyage tumultueux te fit rencontrer fut la jeune Nausicaa, fille du roi des Phéaciens, Alcinoos. Celle-ci, dans la floraison de sa jeunesse, ardente et vive, ne cédait en rien à l'éclat des plus belles et subtiles fleurs. Guidée par la déesse Athéna, elle vint auprès du fleuve ou tu dormais laver les habits royaux avec ses suivantes. Les voix des jeunes filles t'éveillèrent. Dans ta détresse et ta nudité, tu jetas l'effroi parmi les jeunes filles. Seule Nausicaa eut le courage de ne pas fuir et d'écouter ta demande d'aide. Elle rappela ses suivantes et te fit vêtir après que ton corps ait été lavé par l'eau du fleuve et enduit d'huile fine. Tu retrouvas ta force et ta beauté. Aussi Nausicaa vit en toi l'époux qu'elle désirait. Mais, ta nostalgie d'Ithaque fut encore plus forte. Alors Nausicaa te pria seulement, en ravalant ses larmes, de ne point oublier qu'elle t'avait sauvé des flots. Amené tout ensommeillé dans le vaisseau mené par les rameurs Phéaciens si bien aguerris à leur tâche, tu étais comme bercé par le bruit régulier des rames et le mouvement profond d'une mer douce mais étincelante. C'était comme dans ces rêves très rares qui vous mènent sur l'Olympe. Jamais tu ne te sentis si bien avec ce goût d’embrun salé sur tes lèvres et ce bruit régulier et sec du claquement des rames sur les flots. Tu éprouvas la sensation de voguer vers un nouveau Monde. Ce fut, Ulysse, l'un des rares moments de félicité absolue dans une vie de combats, de feu et du malheur d'avoir vu périr tous tes valeureux compagnons. Ulysse revenu dans ton palais, déguisé en mendiants pour châtier les prétendants, tu triomphas au tir à l'arc. Mais l'heure de la vindicte avait sonné. La première de tes flèches perça la gorge d'Antinoos, buvant sa coupe. Nul ne put te fléchir Ulysse, pas même, l'éloquent Eurymaque qui t'offrait de t'apporter réparations pour tes provisions goulument mangés et tes biens dilapidés. Le pardon s'effaça en toi car l'offense faite à ta femme et à ton fils et à ton honneur était trop forte. Aussi tu n'eus pas la magnanimité de choisir la clémence et le sang coula dans ton palais comme le vin des outres. Pas un des prétendants ne fut épargné à l'exception du chanteur de Lyre, Phénios et du héraut Médon qui avait protégé Télémaque.
Mais Ulysse, tu ne fus pas grand en laissant condamner à la pendaison hideuse, douze servantes qui avaient outragé Pénélope et partagé leur couche avec les prétendants. Ulysse tu fus tant aimé des déesses, des nymphes et des femmes et souvent sauvé du pire par celles qui te donnèrent plaisir et descendance. Mais obsédé par tes roches d'Ithaque ne sus pas leur rendre l'amour qu'elles te portèrent. Tu ne fus pas non plus à la hauteur de la constance et de la fidélité de Pénélope. Mais Ulysse poursuivi par la fatalité de l'exil et de l'errance et la rancune de Poséidon, tu fus aussi le préféré de la déesse Athéna qui fit tant et plus pour te sauver maintes fois de ta perte. Cette déesse fut la vraie sauvegarde de ta vie aventureuse et les femmes qui te chérirent t'apportèrent maintes douceurs et consolations dans ta vie tumultueuse.

Paul Arrighi, Toulouse, (France) 2013.
Paul d'Aubin Jul 2014
Ulysse adoré par les Femmes, les  Nymphes , protégé par Athéna et traqué par Poséidon.


Parti à contrecœur, ayant même contrefait le fou, pour se soustraire à la guerre et élever ton fils Télémaque, tu dus partir à Troie, et sus t'y montrer brave mais surtout fin stratège.
La guerre fut bien longue, pas du tout comme celle que chantaient les Aèdes. L'ennemi ressemblait tant à nos guerriers Achéens, courageux et aussi sûrs de leur droit que nous l'étions du notre.
Que de sang, que de peine ! Tu vis périr Patrocle, ne pus sauver Achille; et les morts aux corps déchiquetés par les épées se substituèrent aux coupes de ce vin si enivrant qu'est la rhétorique guerrière et à la funeste illusion d'une victoire facile.

Ulysse tu eus l'idée de bâtir ce grand vaisseau dont la proue figurait une tête de cheval. Ainsi les Achéens purent entrer dans le port forteresse si bien gardé. Mais quand la nuit noire et le vin mêlés ôtèrent aux courageux Troyens leur vigilance et leur garde, vous sortirent alors des flancs du bateau et vous précipitèrent pour ouvrir grands les portes aux guerriers Achéens.
La suite fut un grand carnage de guerriers Troyens mais aussi de non combattants et même de femmes. Et Troie, la fière, la courageuse ne fut plus ville libre et les survivants de son Peuple connurent l'esclavage.

Aussi quand Troie fut conquise et que ses rue coulèrent rouges du sang vermeil de ses défenseur, mais aussi de nombreux civils, tu songeas à retourner chez toi, car tu étais roi, et ton fils Télémaque aurait besoin de toi et Pénélope t'aimait. Les souvenirs d'émois et de tendres caresses faisaient encore frissonner la harpe de ton corps de souvenirs très doux.
C'est alors que tu dus affronter la Déesse Athéna et ton double, tous deux vigilants, a tester ta sincérité et ta constance. Oh, toi Homme volage et point encore rassasié de voyages et de conquêtes. L'étendue de la mer te fut donnée comme le théâtre même de ta vérité profonde.


Après bien des voyages et avoir perdu nombre de tes compagnons, tu fus poussé dans l'île de la nymphe Calypso.
Cette immortelle à la chevelure, si joliment bouclée se trouvait dans son île d'arbustes odoriférants. Aussi fit-elle tout pour te garder. Toi-même, tu lui trouvas de l'ardeur et des charmes même si durant le jour tu te laissais aller à la nostalgie d'Ithaque.
La belle immortelle te proposas, pour te garder, de te donner cet attribut si recherché qui empêche à jamais de sombrer dans le sommeil perpétuel.
Mais toi, Ulysse, tu préféras garder ton destin d'homme mortel et ton inguérissable blessure pour Ithaque.

Après sept années d’une prison si douce, l'intervention d'Athéna te rendit aux aventures de la Mer. Tu accostas, avec tes compagnons sur la côte d’une île malfaisante. C’était la demeure des Cyclopes. Parmi ce Peuple de géants, le cyclope Polyphème habitait une grotte profonde d'où il faisait rentrer chaque soir son troupeau.
Ulysse quelle folie traversa ton esprit et celui de tes compagnons que de vouloir pénétrer dans cette antre maudite, mû à la fois par la curiosité et la volonté de faire quelques larcins de chèvres ? Vous payèrent bien cher cette offense par la cruelle dévoration que fit l'infâme Polyphème de plusieurs de tes compagnons dont vous entendîtes craquer les os sous la mâchoire du sauvage. Aussi votre courage fut renforcé par votre haine lorsque vous lui plantèrent l'épieu dans son œil unique alors que sa vigilance venait d'être endormie par le vin.

Les barques ayant mouillés dans l'île d'Aiaé, tes compagnons imprudents furent transformés en pourceaux par la belle et cruelle Magicienne Circée.
Doté d'un contre poison à ses filtres, tu ne restas cependant pas insensible aux charmes de la belle Magicienne mais tu lui fis prononcer le grand serment avant de répondre à tes avances.
Elle accepta pour faire de toi son amant de redonner leur forme humaine à tes compagnons,
Et vos nuits furent tendres, sensuelles et magiques car la Magicienne excellait dans les arts de l'amour et il en naquit un fils.

Toi le rusé et courageux Ulysse, tu espérais enfin voguer avec délice sur une mer d'huile parcourue par les reflets d'argent des poissons volants et te réjouir des facéties des dauphins,
Mais c'était oublier et compter pour peu la rancune de Poséidon, le maître des eaux, rendu furieux par le traitement subi par son fils Polyphème.
C'est pour cela qu'une masse d'eau compacte, haute comme une haute tour avançant au grand galop ébranla et engloutit ton solide radeau.
Seul ton réflexe prompt de t'accrocher au plus grand des troncs te permis de plonger longuement au fonds des eaux en retenant longtemps ton souffle avant d’émerger à nouveaux.

La troisième des belles que ton voyage tumultueux te fit rencontrer fut la jeune Nausicaa, fille du roi des Phéaciens, Alcinoos.
Celle-ci, dans la floraison de sa jeunesse, ardente et vive, ne cédait en rien à l'éclat des plus belles et subtiles fleurs. Guidée par la déesse Athéna, elle vint auprès du fleuve ou tu dormais laver les habits royaux avec ses suivantes. Les voix des jeunes filles t'éveillèrent. Dans ta détresse et ta nudité, tu jetas l'effroi parmi les jeunes filles. Seule Nausicaa eut le courage de ne pas fuir et d'écouter ta demande d'aide. Elle rappela ses suivantes et te fit vêtir après que ton corps ait été lavé par l'eau du fleuve et enduit d'huile fine. Tu retrouvas ta force et ta beauté. Aussi Nausicaa vit en toi l'époux qu'elle désirait. Mais, ta nostalgie d'Ithaque fut encore plus forte. Alors Nausicaa te pria seulement, en ravalant ses larmes, de ne point oublier qu'elle t'avait sauvé des flots.

Amené tout ensommeillé dans le vaisseau mené par les rameurs Phéaciens si bien aguerris à leur tâche, tu étais comme bercé par le bruit régulier des rames et le mouvement profond d'une mer douce mais étincelante. C'était comme dans ces rêves très rares qui vous mènent sur l'Olympe. Jamais tu ne te sentis si bien avec ce goût d’embrun salé sur tes lèvres et ce bruit régulier et sec du claquement des rames sur les flots. Tu éprouvas la sensation de voguer vers un nouveau Monde. Ce fut, Ulysse, l'un des rares moments de félicité absolue dans une vie de combats, de feu et du malheur d'avoir vu périr tous tes valeureux compagnons.

Ulysse revenu dans ton palais, déguisé en mendiants pour châtier les prétendants, tu triomphas au tir à l'arc. Mais l'heure de la vindicte avait sonné. La première de tes flèches perça la gorge d'Antinoüs, buvant sa coupe. Nul ne put te fléchir Ulysse, pas même, l'éloquent Eurymaque qui t'offrait de t'apporter réparations pour tes provisions goulument mangés et tes biens dilapidés. Le pardon s'effaça en toi car l'offense faite à ta femme et à ton fils et à ton honneur était trop forte. Aussi tu n'eus pas la magnanimité de choisir la clémence et le sang coula dans ton palais comme le vin des outres. Pas un des prétendants ne fut épargné à l'exception du chanteur de Lyre, Phénios et du héraut Médon qui avait protégé Télémaque. Mais Ulysse, tu ne fus pas grand en laissant condamner à la pendaison hideuse, douze servantes qui avaient outragé Pénélope et partagé leur couche avec les prétendants.

Ulysse tu fus tant aimé des déesses, des nymphes et des femmes et souvent sauvé du pire par celles qui te donnèrent plaisir et descendance. Mais obsédé par tes roches d'Ithaque ne sus pas leur rendre l'amour qu'elles te portèrent. Tu ne fus pas non plus à la hauteur de la constance et de la fidélité de Pénélope.
Mais Ulysse poursuivi par la fatalité de l'exil et de l'errance et la rancune de Poséidon, tu fus aussi le préféré de la déesse Athéna qui fit tant et plus pour te sauver maintes fois de ta perte. Cette déesse fut la vraie sauvegarde de ta vie aventureuse et les femmes qui te chérirent t'apportèrent maintes douceurs et consolations dans ta vie tumultueuse.

Paul Arrighi
The adventures of Ulysses in the Odyssey as beloved by Women and Nymphs protected by Athena and pursue by Poseidon
Hôtes de ce séjour d'angoisse et de souffrance,

Où Satan sur le seuil a mis : Plus d'espérance !

Qui vous brisez le front contre ses murs de fer,

Et vîntes échanger, dans cette fange immonde,

La perpétuité des peines de ce monde

Pour l'éternité de l'enfer !


Ô vous, bandits, larrons d'Italie ou d'Espagne,

Hôtes des grands chemins, qui courez la campagne

De Tarente à Venise, et de Rome au Simplon ;

Et vous, concitoyens, voleurs de ma patrie.

Qui, les cheveux rasés et l'épaule flétrie.

Ramiez dans Brest ou dans Toulon !


Et vous qui, franchissant les monts et les cascades,

Imploriez la madone, et braviez les alcades,

Castillans, Grenadins ! et vous qui, sourdement,

Sous le ciel de l'Écosse, alliez dans les ténèbres

Ressusciter les morts dans leurs linceuls funèbres

Avant le jour du jugement !


Filles de joie, ô vous qu'on voyait dans la rue.

Autour d'un mauvais lieu, faire le pied de grue.

Dont l'amour fut mortel, et le baiser fatal ;

Vous tous, morts dans le crime et dans l'impénitence,

Spectres, qu'ont ainsi faits la roue ou la potence,

La guillotine ou l'hôpital !


Vous tous, mes vieux damnés, races de Dieu maudites,

Approchez-vous ici, parlez-nous, et nous dites

Aux gouffres de Satan combien a rapporté

Chaque péché mortel qui damne l'autre vie ;

Combien l'Orgueil, combien l'Avarice ou l'Envie,

Combien surtout la Pauvreté ?


C'est Elle qui flétrit une âme encor novice,

L'enlace, et la conduit au crime par le vice.

Courbant les plus hauts fronts avec sa main de fer ;

Qui mêle le poison et qui tire l'épée :

Elle, la plus féconde et la mieux occupée

Des pourvoyeuses de l'enfer !


Pauvreté ! vaste mot. Puissances de la terre,

Qui portez de vos noms l'orgueil héréditaire,

Savez-vous ce que c'est qu'avoir soif, avoir faim :

L'hiver, dans un grabat juché sous la toiture,

Passer le jour sans feu, la nuit sans couverture ;

Ce que c'est que le pauvre, enfin ?


- C'est un homme qui va, sur les places publiques,

Colporter, tout perclus, une boîte à reliques ;

Un aveugle en haillons, qu'on voit par les chemins

Accompagné d'un chien qui porte une sébile,

Agenouillé par terre, et qui chante, immobile,

Un cantique, en joignant les mains :


C'est un homme qui veille au seuil la nuit entière,

Et vient, sortants du bal, vous ouvrir la portière,

Recommandant sa peine aux cœurs compatissants ;

C'est une femme en pleurs qui voile son visage

Et tient à ses côtés deux enfants en bas-âge

Dressés à suivre les passants.


C'est cela : rien de plus. D'ailleurs, c'est une classe,

Les pauvres : il faut bien que chacun ait sa place ;

Dieu seul sait comme tout ici doit s'ordonner :

Il a mis la santé près de la maladie,

Le riche près du pauvre : il faut que l'un mendie

Pour que l'autre puisse donner.


Et quand, lassés de voir qu'on vous suit à la trace,

Vous vous êtes saignés, à grand'peine, et par grâce,

Du denier qu'un laquais insolent a jeté :

Grands seigneurs, financiers, belles dames, duchesses.

Vous vous tenez contenus, et croyez vos richesses

Quittes envers la pauvreté !


Mais il en est une autre, une autre cent fois pire,

Qui n'a point de haillons, celle-là, qui n'inspire

Ni pitié, ni dégoût, qui se pare de fleurs :

Qui ne se montre point, mendiante et quêteuse,

Mais, sous de beaux habits, cache, toute honteuse.

Ses ulcères et ses douleurs.


Elle vient au concert, et chante : au bal, et danse :

Jamais, jamais un geste, un mot dont l'imprudence

Trahirait des tourments qui ne sont point compris ;

C'est un combat sans fin, une longue détresse,

Une fièvre qui mine, un cauchemar qui presse

Et tue en étouffant vos cris.


C'est ce mal qui travaille une âme bien placée,

Qui s'indigne du rang où le sort l'a laissée ;

Qui demeure toujours triste au sein des plaisirs,

Parce qu'elle en sait bien le terme, et s'importune

De n'égaler jamais ses vœux à sa fortune,

Ni son espoir à ses désirs.


C'est le fléau du siècle, et cette maladie

Gagne de proche en proche, ainsi qu'un incendie :

Le monde dans son sein porte un hôte inconnu :

C'est un ver dans le cœur, c'est le cheval de Troie,

D'où les Grecs tout armés tomberont sur leur proie

Quand le moment sera venu.


Or, quand cela se voit, c'est une marque sûre

Qu'il s'est fait au-dedans une grande blessure.

Enseignement certain, par où Dieu nous apprend

Qu'une société vieillie et décrépite

S'émeut au plus profond de sa base, et palpite

Du dernier râle d'un mourant.


Je vous en avertis, riches ; prenez-y garde !

L'édifice est usé : si quelqu'un par mégarde

Passe trop chargé d'or sur ses planchers pourris,

- Un grain de blé suffit pour combler la mesure :

Au choc le plus léger cette vieille masure

Vous étouffe sous ses débris.


Peu de jours sont passés depuis qu'en sa colère

Lyon a vu rugir le monstre populaire :

Vous aviez cru le voir arriver en trois bonds,

Le sang dans les regards, le feu dans les narines.

Et vous aviez serré votre or sur vos poitrines.

Pâles comme des moribonds.


S'il n'a pas cette fois encor, rompu sa chaîne,

Si la porte est de fer et la cage de chêne,

Pourtant n'approchez pas des barreaux trop souvent.

Car sa force s'accroît, et sa rage, en silence ;

Et gare qu'un beau jour il les brise, et s'élance

Libre enfin, et les crins au vent !
Mon aimée, ma presque feue
Chatte masquée
Qui se délecte à se faire désirer !
Je veux te mater.
Je suis désolé d'avoir à te le dire
Mais je vais devoir, oui, te mater
Avec et sans accent circonflexe
Ou plutôt te démâter d'abord
De poupe en proue
Pour te remâter ensuite.
Seul ainsi entre nous
L'extase sera envisageable.
Tu dis que tu m'aimes malgré toi
Mais tu refuses obstinément
De te montrer nue à distance
La nudité selon toi est affaire de présence
Quand je serai physiquement à portée de tes lèvres
Tu exauceras toutes mes volontés
Te bornes-tu à ma dire.
Tu m'invites même à venir sans tarder
Auprès de toi et là tu te montreras sous toutes les coutures
Et je pourrai te prendre sans limite, c'est promis.

Alors que nous pouvons rire à distance
Nous fâcher à distance, nous émouvoir et rêver de nous à distance
Tu te refuses à accéder à mon délire de te voir nue à distance
Nue et sincère nue et sincère nue et sincère.
Il te serait impossible de me montrer l'objet de mon désir fatal
Que je puisse boire des yeux jusqu'à la lie
Le calice de ta chatte démasquée, ta vulve fraîche et bombée
Nue et sincère
Dépouillée de toutes ses parures.

Sais tu ma chatte que l 'amour
C'est une steppe de petites morts
Et que pour chaque petite mort
Il faut franchir les sept portes de l'Enfer ?

Oui, je sais, tu te dis immortelle et divine
Tu es la Muse, les lois de l'Enfer ne s'appliquent pas à toi, penses-tu.

Voilà ce qu'il en coûte de s'acoquiner à un mortel !

En vue de notre premier congrès amoureux
Tu t'es déjà dépouillée de six de tes talismans
Tu as tour à tour,
Porte après porte,
Délaissé tes parures.

A la première porte tu m'as laissé
Ta couronne de buis odorant
Et j 'ai souri d'aise

A la deuxième porte tu m'as abandonné
Tes lunettes de vue et de soleil
Et j'ai souri d'aise

A la troisième porte tu t'es débarrassée
De tes boucles d'oreille en forme de piment rouge
Et j'ai souri d'aise

A la quatrième porte tu m'as décroché
Ton collier de perles noires
Et j'ai souri d'aise

A la cinquième porte tu as envoyé valdinguer
Ton soutien-gorge en velours côtelé
Et j'ai souri d'aise

A la sixième porte tu as désagrafé
Le collier de coquillages qui ceignait tes hanches
Et j'ai souri d'aise

Tu es désormais coincée entre la sixième et la septième porte
A cause de ce string où volettent de petits papillons farceurs
Ce string qui me prive de la jouissance visuelle de ton être intime.

Vas-tu enfin m'enlever cette toilette,
Prendre pied résolument dans l 'Enfer
Et laper les flammes de la petite mort primale ?

Vas-tu enfin me laisser m'assurer
Que tu n 'es ni satyre ni hermaphrodite
Mais au contraire femelle chatte muse
Dégoulinante de cyprine ?

Toi, tu me parles de blocage.
Moi, nue, au téléphone, jamais
Nu non niet
Moi, jouir, au téléphone, jamais
Nu non niet
retire ce cheval de la pluie !
Je t'aime malgré moi
C'est tout ce que tu trouves à me dire !
Accepte donc, ma chatte
Que je te mate malgré moi.
Car je te veux
Obéissante et docile
Apprivoisée
Je veux que tu couines, que tu miaules que tu frémisses
En te montrant à moi en tenue d'Eve
Je veux que tu t'exhibes à moi ton ******
Que tu sois impudique
Je veux j 'exige, ma presque feue,
Je suis Roi, souviens-toi !
Je ne te donne pas d'ultimatum !
Je suis avec mon temps ! Je suis post-moderne !
Car il est écrit dans les livres
Depuis plus de mille ans
Que les lois de l 'Amour
Sont comme les lois de l'Enfer
Incontournables et implacables :
En Enfer on arrive nu,
En Amour aussi !
Alors bien sûr je sais, tu trouveras bien quelque part
Une exégète pour me prouver l'exact contraire
Que l'amour c'est le paradis et la feuille de figuier
Et surtout pas l 'Enfer.
Alors explique-moi, je t'en conjure, mon archéologue,
Pourquoi l 'amour est fait de petites morts.

Moi, ma chatte, je te propose
Non pas une petite mort par ci, une petite mort par là
Mais un enterrement festif de première classe
Un Te Deum
Dans un sarcophage de marbre blanc
Sculpté de serpents et de figues
Evadés des prisons d'Eden.

Je veux t'aimer nue et sincère
Mortelle et vibrante de désir
Je veux jouir de toutes les parcelles de ta chair et de tes os
je veux pétrir ton sang sans artifices et sans blocages
Et je n 'ai d'autre choix
Que de te mater de ma fougue
A moins que tu ne préfères
Rester bloquée sempiternellement
Dans la solitude confortable
Entre la pénultième et l'ultime porte
Qui nous sépare de nos sourires d'aise

Complices et lubriques.
Le soleil va porter le jour à d'autres mondes ;
Dans l'horizon désert Phébé monte sans bruit,
Et jette, en pénétrant les ténèbres profondes,
Un voile transparent sur le front de la nuit.

Voyez du haut des monts ses clartés ondoyantes
Comme un fleuve de flamme inonder les coteaux,
Dormir dans les vallons, ou glisser sur les pentes,
Ou rejaillir au **** du sein brillant des eaux.

La douteuse lueur, dans l'ombre répandue,
Teint d'un jour azuré la pâle obscurité,
Et fait nager au **** dans la vague étendue
Les horizons baignés par sa molle clarté !

L'Océan amoureux de ces rives tranquilles
Calme, en baisant leurs pieds, ses orageux transports,
Et pressant dans ses bras ces golfes et ces îles,
De son humide haleine en rafraîchit les bords.

Du flot qui tour à tour s'avance et se retire
L'oeil aime à suivre au **** le flexible contour :
On dirait un amant qui presse en son délire
La vierge qui résiste, et cède tour à tour !

Doux comme le soupir de l'enfant qui sommeille,
Un son vague et plaintif se répand dans les airs :
Est-ce un écho du ciel qui charme notre oreille ?
Est-ce un soupir d'amour de la terre et des mers ?

Il s'élève, il retombe, il renaît, il expire,
Comme un coeur oppressé d'un poids de volupté,
Il semble qu'en ces nuits la nature respire,
Et se plaint comme nous de sa félicité !

Mortel, ouvre ton âme à ces torrents de vie !
Reçois par tous les sens les charmes de la nuit,
A t'enivrer d'amour son ombre te convie ;
Son astre dans le ciel se lève, et te conduit.

Vois-tu ce feu lointain trembler sur la colline ?
Par la main de l'Amour c'est un phare allumé ;
Là, comme un lis penché, l'amante qui s'incline
Prête une oreille avide aux pas du bien-aimé !

La vierge, dans le songe où son âme s'égare,
Soulève un oeil d'azur qui réfléchit les cieux,
Et ses doigts au hasard errant sur sa guitare
Jettent aux vents du soir des sons mystérieux !

" Viens ! l'amoureux silence occupe au **** l'espace ;
Viens du soir près de moi respirer la fraîcheur !
C'est l'heure; à peine au **** la voile qui s'efface
Blanchit en ramenant le paisible pêcheur !

" Depuis l'heure où ta barque a fui **** de la rive,
J'ai suivi tout le jour ta voile sur les mers,
Ainsi que de son nid la colombe craintive
Suit l'aile du ramier qui blanchit dans les airs !

" Tandis qu'elle glissait sous l'ombre du rivage,
J'ai reconnu ta voix dans la voix des échos ;
Et la brise du soir, en mourant sur la plage,
Me rapportait tes chants prolongés sur les flots.

" Quand la vague a grondé sur la côte écumante,
À l'étoile des mers j'ai murmuré ton nom,
J'ai rallumé sa lampe, et de ta seule amante
L'amoureuse prière a fait fuir l'aquilon !

" Maintenant sous le ciel tout repose, ou tout aime :
La vague en ondulant vient dormir sur le bord ;
La fleur dort sur sa tige, et la nature même
Sous le dais de la nuit se recueille et s'endort.

" Vois ! la mousse a pour nous tapissé la vallée,
Le pampre s'y recourbe en replis tortueux,
Et l'haleine de l'onde, à l'oranger mêlée,
De ses fleurs qu'elle effeuille embaume mes cheveux.

" A la molle clarté de la voûte sereine
Nous chanterons ensemble assis sous le jasmin,
Jusqu'à l'heure où la lune, en glissant vers Misène,
Se perd en pâlissant dans les feux du matin. "

Elle chante ; et sa voix par intervalle expire,
Et, des accords du luth plus faiblement frappés,
Les échos assoupis ne livrent au zéphire
Que des soupirs mourants, de silence coupés !

Celui qui, le coeur plein de délire et de flamme,
A cette heure d'amour, sous cet astre enchanté,
Sentirait tout à coup le rêve de son âme
S'animer sous les traits d'une chaste beauté ;

Celui qui, sur la mousse, au pied du sycomore,
Au murmure des eaux, sous un dais de saphirs,
Assis à ses genoux, de l'une à l'autre aurore,
N'aurait pour lui parler que l'accent des soupirs ;

Celui qui, respirant son haleine adorée,
Sentirait ses cheveux, soulevés par les vents,
Caresser en passant sa paupière effleurée,
Ou rouler sur son front leurs anneaux ondoyants ;

Celui qui, suspendant les heures fugitives,
Fixant avec l'amour son âme en ce beau lieu,
Oublierait que le temps coule encor sur ces rives,
Serait-il un mortel, ou serait-il un dieu ?...

Et nous, aux doux penchants de ces verts Elysées,
Sur ces bords où l'amour eût caché son Eden,
Au murmure plaintif des vagues apaisées,
Aux rayons endormis de l'astre élysien,

Sous ce ciel où la vie, où le bonheur abonde,
Sur ces rives que l'oeil se plaît à parcourir,
Nous avons respiré cet air d'un autre monde,
Elyse !... et cependant on dit qu'il faut mourir !
Sur un écueil battu par la vague plaintive,
Le nautonier de **** voit blanchir sur la rive
Un tombeau près du bord par les flots déposé ;
Le temps n'a pas encor bruni l'étroite pierre,
Et sous le vert tissu de la ronce et du lierre
On distingue... un sceptre brisé !

Ici gît... point de nom !... demandez à la terre !
Ce nom ? il est inscrit en sanglant caractère
Des bords du Tanaïs au sommet du Cédar,
Sur le bronze et le marbre, et sur le sein des braves,
Et jusque dans le cœur de ces troupeaux d'esclaves
Qu'il foulait tremblants sous son char.

Depuis ces deux grands noms qu'un siècle au siècle annonce,
Jamais nom qu'ici-bas toute langue prononce
Sur l'aile de la foudre aussi **** ne vola.
Jamais d'aucun mortel le pied qu'un souffle efface
N'imprima sur la terre une plus forte trace,
Et ce pied s'est arrêté là !...

Il est là !... sous trois pas un enfant le mesure !
Son ombre ne rend pas même un léger murmure !
Le pied d'un ennemi foule en paix son cercueil !
Sur ce front foudroyant le moucheron bourdonne,
Et son ombre n'entend que le bruit monotone
D'une vague contre un écueil !

Ne crains rien, cependant, ombre encore inquiète,
Que je vienne outrager ta majesté muette.
Non. La lyre aux tombeaux n'a jamais insulté.
La mort fut de tout temps l'asile de la gloire.
Rien ne doit jusqu'ici poursuivre une mémoire.
Rien !... excepté la vérité !

Ta tombe et ton berceau sont couverts d'un nuage,
Mais pareil à l'éclair tu sortis d'un orage !
Tu foudroyas le monde avant d'avoir un nom !
Tel ce Nil dont Memphis boit les vagues fécondes
Avant d'être nommé fait bouilloner ses ondes
Aux solitudes de Memnom.

Les dieux étaient tombés, les trônes étaient vides ;
La victoire te prit sur ses ailes rapides
D'un peuple de Brutus la gloire te fit roi !
Ce siècle, dont l'écume entraînait dans sa course
Les mœurs, les rois, les dieux... refoulé vers sa source,
Recula d'un pas devant toi !

Tu combattis l'erreur sans regarder le nombre ;
Pareil au fier Jacob tu luttas contre une ombre !
Le fantôme croula sous le poids d'un mortel !
Et, de tous ses grands noms profanateur sublime,
Tu jouas avec eux, comme la main du crime
Avec les vases de l'autel.

Ainsi, dans les accès d'un impuissant délire
Quand un siècle vieilli de ses mains se déchire
En jetant dans ses fers un cri de liberté,
Un héros tout à coup de la poudre s'élève,
Le frappe avec son sceptre... il s'éveille, et le rêve
Tombe devant la vérité !

Ah ! si rendant ce sceptre à ses mains légitimes,
Plaçant sur ton pavois de royales victimes,
Tes mains des saints bandeaux avaient lavé l'affront !
Soldat vengeur des rois, plus grand que ces rois même,
De quel divin parfum, de quel pur diadème
L'histoire aurait sacré ton front !

Gloire ! honneur! liberté ! ces mots que l'homme adore,
Retentissaient pour toi comme l'airain sonore
Dont un stupide écho répète au **** le son :
De cette langue en vain ton oreille frappée
Ne comprit ici-bas que le cri de l'épée,
Et le mâle accord du clairon !

Superbe, et dédaignant ce que la terre admire,
Tu ne demandais rien au monde, que l'empire !
Tu marchais !... tout obstacle était ton ennemi !
Ta volonté volait comme ce trait rapide
Qui va frapper le but où le regard le guide,
Même à travers un cœur ami !

Jamais, pour éclaircir ta royale tristesse,
La coupe des festins ne te versa l'ivresse ;
Tes yeux d'une autre pourpre aimaient à s'enivrer !
Comme un soldat debout qui veille sous les armes,
Tu vis de la beauté le sourire ou les larmes,
Sans sourire et sans soupirer !

Tu n'aimais que le bruit du fer, le cri d'alarmes !
L'éclat resplendissant de l'aube sur tes armes !
Et ta main ne flattait que ton léger coursier,
Quand les flots ondoyants de sa pâle crinière
Sillonnaient comme un vent la sanglante poussière,
Et que ses pieds brisaient l'acier !

Tu grandis sans plaisir, tu tombas sans murmure !
Rien d'humain ne battait sous ton épaisse armure :
Sans haine et sans amour, tu vivais pour penser :
Comme l'aigle régnant dans un ciel solitaire,
Tu n'avais qu'un regard pour mesurer la terre,
Et des serres pour l'embrasser !

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S'élancer d'un seul bon au char de la victoire,
Foudroyer l'univers des splendeurs de sa gloire,
Fouler d'un même pied des tribuns et des rois ;
Forger un joug trempé dans l'amour et la haine,
Et faire frissonner sous le frein qui l'enchaîne
Un peuple échappé de ses lois !

Etre d'un siècle entier la pensée et la vie,
Emousser le poignard, décourager l'envie ;
Ebranler, raffermir l'univers incertain,
Aux sinistres clarté de ta foudre qui gronde
Vingt fois contre les dieux jouer le sort du monde,
Quel rêve ! et ce fut ton destin !...

Tu tombas cependant de ce sublime faîte !
Sur ce rocher désert jeté par la tempête,
Tu vis tes ennemis déchirer ton manteau !
Et le sort, ce seul dieu qu'adora ton audace,
Pour dernière faveur t'accorda cet espace
Entre le trône et le tombeau !

Oh ! qui m'aurait donné d'y sonder ta pensée,
Lorsque le souvenir de te grandeur passée
Venait, comme un remords, t'assaillir **** du bruit !
Et que, les bras croisés sur ta large poitrine,
Sur ton front chauve et nu, que la pensée incline,
L'horreur passait comme la nuit !

Tel qu'un pasteur debout sur la rive profonde
Voit son ombre de **** se prolonger sur l'onde
Et du fleuve orageux suivre en flottant le cours ;
Tel du sommet désert de ta grandeur suprême,
Dans l'ombre du passé te recherchant toi-même,
Tu rappelais tes anciens jours !

Ils passaient devant toi comme des flots sublimes
Dont l'oeil voit sur les mers étinceler les cimes,
Ton oreille écoutait leur bruit harmonieux !
Et, d'un reflet de gloire éclairant ton visage,
Chaque flot t'apportait une brillante image
Que tu suivais longtemps des yeux !

Là, sur un pont tremblant tu défiais la foudre !
Là, du désert sacré tu réveillais la poudre !
Ton coursier frissonnait dans les flots du Jourdain !
Là, tes pas abaissaient une cime escarpée !
Là, tu changeais en sceptre une invincible épée !
Ici... Mais quel effroi soudain ?

Pourquoi détournes-tu ta paupière éperdue ?
D'où vient cette pâleur sur ton front répandue ?
Qu'as-tu vu tout à coup dans l'horreur du passé ?
Est-ce d'une cité la ruine fumante ?
Ou du sang des humains quelque plaine écumante ?
Mais la gloire a tout effacé.

La gloire efface tout !... tout excepté le crime !
Mais son doigt me montrait le corps d'une victime ;
Un jeune homme! un héros, d'un sang pur inondé !
Le flot qui l'apportait, passait, passait, sans cesse ;
Et toujours en passant la vague vengeresse
Lui jetait le nom de Condé !...

Comme pour effacer une tache livide,
On voyait sur son front passer sa main rapide ;
Mais la trace du sang sous son doigt renaissait !
Et, comme un sceau frappé par une main suprême,
La goutte ineffaçable, ainsi qu'un diadème,
Le couronnait de son forfait !

C'est pour cela, tyran! que ta gloire ternie
Fera par ton forfait douter de ton génie !
Qu'une trace de sang suivra partout ton char !
Et que ton nom, jouet d'un éternel orage,
Sera par l'avenir ballotté d'âge en âge
Entre Marius et César !

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Tu mourus cependant de la mort du vulgaire,
Ainsi qu'un moissonneur va chercher son salaire,
Et dort sur sa faucille avant d'être payé !
Tu ceignis en mourant ton glaive sur ta cuisse,
Et tu fus demander récompense ou justice
Au dieu qui t'avait envoyé !

On dit qu'aux derniers jours de sa longue agonie,
Devant l'éternité seul avec son génie,
Son regard vers le ciel parut se soulever !
Le signe rédempteur toucha son front farouche !...
Et même on entendit commencer sur sa bouche
Un nom !... qu'il n'osait achever !

Achève... C'est le dieu qui règne et qui couronne !
C'est le dieu qui punit ! c'est le dieu qui pardonne !
Pour les héros et nous il a des poids divers !
Parle-lui sans effroi ! lui seul peut te comprendre !
L'esclave et le tyran ont tous un compte à rendre,
L'un du sceptre, l'autre des fers !

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Son cercueil est fermé ! Dieu l'a jugé ! Silence !
Son crime et ses exploits pèsent dans la balance :
Que des faibles mortels la main n'y touche plus !
Qui peut sonder, Seigneur, ta clémence infinie ?
Et vous, fléaux de Dieu ! qui sait si le génie
N'est pas une de vos vertus ?...
I


J'ai toujours voulu voir du pays, et la vie

Que mène un voyageur m'a toujours fait envie.

Je me suis dit cent fois qu'un demi-siècle entier

Dans le même logis, dans le même quartier ;

Que dix ans de travail, dix ans de patience

A lire les docteurs et creuser leur science,

Ne valent pas six mois par voie et par chemin,

Six mois de vie errante, un bâton à la main.

- Eh bien ! me voici prêt, ma valise est remplie ;

Où vais-je ! - En Italie. - Ah, fi donc ! l'Italie !

Voyage de badauds, de beaux fils à gants blancs.

Qui vont là par ennui, par ton, comme à Coblentz,

En poste, au grand galop, traversant Rome entière,

Et regardent ton ciel, Naples, par la portière.

- Mais ce que je veux, moi, voir avant de mourir,

Où je veux à souhait rêver, chanter, courir.

C'est l'Espagne, ô mon cœur ! c'est l'hôtesse des Maures,

Avec ses orangers et ses frais sycomores,

Ses fleuves, ses rochers à pic, et ses sentiers

Où s'entendent, la nuit, les chants des muletiers ;

L'Espagne d'autrefois, seul débris qui surnage

Du colosse englouti qui fut le moyen âge ;

L'Espagne et ses couvents, et ses vieilles cités

Toutes ceintes de murs que l'âge a respectés ;

Madrid. Léon, Burgos, Grenade et cette ville

Si belle, qu'il n'en est qu'une au monde. Séville !

La ville des amants, la ville des jaloux,

Fière du beau printemps de son ciel andalou,

Qui, sous ses longs arceaux de blanches colonnades,

S'endort comme une vierge, au bruit des sérénades.

Jusqu'à tant que pour moi le jour se soit levé

Où je pourrai te voir et baiser ton pavé,

Séville ! c'est au sein de cette autre patrie

Que je veux, mes amis, mettre, ma rêverie ;

C'est là que j'enverrai mon âme et chercherai

De doux récits d'amour que je vous redirai.


II


A Séville autrefois (pour la date il n'importe),

Près du Guadalquivir, la chronique rapporte

Qu'une dame vivait, qui passait saintement

Ses jours dans la prière et le recueillement :

Ses charmes avaient su captiver la tendresse

De l'alcade, et c'était, comme on dit, sa maîtresse ;

Ce qui n'empêchait pas que son nom fût cité

Comme un exemple à tous d'austère piété.

Car elle méditait souvent les évangiles,

Jeûnait exactement quatre-temps et vigiles.

Communiait à Pâque, et croyait fermement

Que c'est péché mortel d'avoir plus d'un amant

A la fois. Ainsi donc, en personne discrète.

Elle vivait au fond d'une obscure retraite,

Toute seule et n'ayant de gens dans sa maison

Qu'une duègne au-delà de l'arrière-saison,

Qu'on disait avoir eu, quand elle était jolie.

Ses erreurs de jeunesse, et ses jours de folie.

Voyant venir les ans, et les amans partir,

En femme raisonnable elle avait cru sentir

Qu'en son âme, un beau jour, était soudain venue

Une vocation jusqu'alors inconnue ;

Au monde, qui fuyait, elle avait dit adieu,

Et pour ses vieux péchés s'était vouée à Dieu.


Une fois, au milieu d'une de ces soirées

Que prodigue le ciel à ces douces contrées,

Le bras nonchalamment jeté sur son chevet,

Paquita (c'est le nom de la dame) rêvait :

Son œil s'était voilé, silencieux et triste ;

Et tout près d'elle, au pied du lit, sa camariste

Disait dévotement, un rosaire à la main,

Ses prières du soir dans le rite romain.

Voici que dans la rue, au pied de la fenêtre,

Un bruit se fit entendre ; elle crut reconnaître

Un pas d'homme, prêta l'oreille ; en ce moment

Une voix s'éleva qui chantait doucement :


« Merveille de l'Andalousie.

Étoile qu'un ange a choisie

Entre celles du firmament,

Ne me fuis pas ainsi ; demeure,

Si tu ne veux pas que je meure

De désespoir, en te nommant !


J'ai visité les Asturies,

Aguilar aux plaines fleuries,

Tordesillas aux vieux manoirs :

J'ai parcouru les deux Castilles.

Et j'ai bien vu sous les mantilles

De grands yeux et des sourcils noirs :


Mais, ô lumière de ma vie,

Dans Barcelone ou Ségovie,

Dans Girone au ciel embaumé,

Dans la Navarre ou la Galice,

Je n'ai rien vu qui ne pâlisse

Devant les yeux qui m'ont charmé ! »


Quand la nuit est bien noire, et que toute la terre,

Comme de son manteau, se voile de mystère,

Vous est-il arrivé parfois, tout en rêvant,

D'ouïr des sons lointains apportés par le vent ?

Comme alors la musique est plus douce ! Il vous semble

Que le ciel a des voix qui se parlent ensemble,

Et que ce sont les saints qui commencent en chœur

Des chants qu'une autre voix achève dans le cœur.

- A ces sons imprévus, tout émue et saisie,

La dame osa lever un coin de jalousie

Avec précaution, et juste pour pouvoir

Découvrir qui c'était, mais sans se laisser voir.

En ce moment la lune éclatante et sereine

Parut au front des cieux comme une souveraine ;

A ses pâles rayons un regard avait lui,

Elle le reconnut, et dit : « C'est encor lui ! »

C'était don Gabriel, que par toute la ville

On disait le plus beau cavalier de Séville ;

Bien fait, de belle taille et de bonne façon ;

Intrépide écuyer et ferme sur l'arçon,

Guidant son andalou avec grâce et souplesse,

Et de plus gentilhomme et de haute noblesse ;

Ce que sachant très bien, et comme, en s'en allant,

Son bonhomme de père avait eu le talent

De lui laisser comptant ce qu'il faut de richesses

Pour payer la vertu de plus de cent duchesses,

Il allait tête haute, en homme intelligent

Du prix de la noblesse unie avec l'argent.

Mais quand le temps d'aimer, car enfin, quoi qu'on dit,

Il faut tous en passer par cette maladie,

Qui plus tôt, qui plus **** ; quand ce temps fut venu,

Et qu'un trouble arriva jusqu'alors inconnu,

Soudain il devint sombre : au fond de sa pensée

Une image de femme un jour était passée ;

Il la cherchait partout. Seul, il venait s'asseoir

Sous les arbres touffus d'Alaméda, le soir.

A cette heure d'amour où la terre embrasée

Voit son sein rafraîchir sous des pleurs de rosée.

Un jour qu'il était là, triste, allant sans savoir

Où se portaient ses pas, et regardant sans voir,

Une femme passa : vision imprévue.

Qu'il reconnut soudain sans l'avoir jamais vue !

C'était la Paquita : c'était elle ! elle avait

Ces yeux qu'il lui voyait, la nuit, quand il rêvait.

Le souris, la démarche et la taille inclinée

De l'apparition qu'il avait devinée.

Il est de ces moments qui décident des jours

D'un homme ! Depuis lors il la suivait toujours,

Partout, et c'était lui dont la voix douce et tendre

Avait trouvé les chants qu'elle venait d'entendre.


III


Comment don Gabriel se fit aimer, comment

Il entra dans ce cœur tout plein d'un autre amant,

Je n'en parlerai pas, lecteur, ne sachant guère,

Depuis qu'on fait l'amour, de chose plus vulgaire ;

Donc, je vous en fais grâce, et dirai seulement,

Pour vous faire arriver plus vite au dénouement.

Que la dame à son tour. - car il n'est pas possible

Que femme à tant d'amour garde une âme insensible,

- Après avoir en vain rappelé sa vertu.

Avoir prié longtemps, et longtemps combattu.

N'y pouvant plus tenir, sans doute, et dominée

Par ce pouvoir secret qu'on nomme destinée,

Ne se contraignit plus, et cessa d'écouter

Un reste de remords qui voulait l'arrêter :

Si bien qu'un beau matin, au détour d'une allée,

Gabriel vit venir une duègne voilée,

D'un air mystérieux l'aborder en chemin,

Regarder autour d'elle, et lui prendre la main

En disant : « Une sage et discrète personne,

Que l'on ne peut nommer ici, mais qu'on soupçonne

Vous être bien connue et vous toucher de près,

Mon noble cavalier, me charge tout exprès

De vous faire savoir que toute la soirée

Elle reste au logis, et serait honorée

De pouvoir vous apprendre, elle-même, combien

A votre seigneurie elle voudrait de bien. »


Banquiers, agents de change, épiciers et notaires,

Percepteurs, contrôleurs, sous-chefs de ministères

Boutiquiers, électeurs, vous tous, grands et petits.

Dans les soins d'ici-bas lourdement abrutis,

N'est-il pas vrai pourtant que, dans cette matière,

Où s'agite en tous sens votre existence entière.

Vous n'avez pu flétrir votre âme, et la fermer

Si bien, qu'il n'y demeure un souvenir d'aimer ?

Oh ! qui ne s'est, au moins une fois dans sa vie,

D'une extase d'amour senti l'âme ravie !

Quel cœur, si desséché qu'il soit, et si glacé,

Vers un monde nouveau ne s'est point élancé ?

Quel homme n'a pas vu s'élever dans les nues

Des chœurs mystérieux de vierges demi-nues ;

Et lorsqu'il a senti tressaillir une main,

Et qu'une voix aimée a dit tout bas : « Demain »,

Oh ! qui n'a pas connu cette fièvre brûlante,

Ces imprécations à l'aiguille trop lente,

Et cette impatience à ne pouvoir tenir

En place, et comme un jour a de mal à finir !

- Hélas ! pourquoi faut-il que le ciel nous envie

Ces instants de bonheur, si rares dans la vie,

Et qu'une heure d'amour, trop prompte à s'effacer,

Soit si longue à venir, et si courte à passer !


Après un jour, après un siècle entier d'attente,

Gabriel, l'œil en feu, la gorge haletante,

Arrive ; on l'attendait. Il la vit, - et pensa

Mourir dans le baiser dont elle l'embrassa.


IV


La nature parfois a d'étranges mystères !


V


Derrière le satin des rideaux solitaires

Que s'est-il donc passé d'inouï ? Je ne sais :

On entend des soupirs péniblement poussés.

Et soudain Paquita s'écriant : « Honte et rage !

Sainte mère de Dieu ! c'est ainsi qu'on m'outrage !

Quoi ! ces yeux, cette bouche et cette gorge-là,

N'ont de ce beau seigneur obtenu que cela !

Il vient dire qu'il m'aime ! et quand je m'abandonne

Aux serments qu'il me fait, grand Dieu ! que je me donne,

Que je risque pour lui mon âme, et je la mets

En passe d'être un jour damnée à tout jamais,

'Voilà ma récompense ! Ah ! pour que tu réveilles

Ce corps tout épuisé de luxure et de veilles,

Ma pauvre Paquita, tu n'es pas belle assez !

Car, ne m'abusez pas, maintenant je le sais.

Sorti d'un autre lit, vous venez dans le nôtre

Porter des bras meurtris sous les baisers d'une autre :

Elle doit s'estimer heureuse, Dieu merci.

De vous avoir pu mettre en l'état que voici.

Celle-là ! car sans doute elle est belle, et je pense

Qu'elle est femme à valoir qu'on se mette en dépense !

Je voudrais la connaître, et lui demanderais

De m'enseigner un peu ses merveilleux secrets.

Au moins, vous n'avez pas si peu d'intelligence

De croire que ceci restera sans vengeance.

Mon illustre seigneur ! Ah ! l'aimable roué !

Vous apprendrez à qui vous vous êtes joué !

Çà, vite en bas du lit, qu'on s'habille, et qu'on sorte !

Certes, j'espère bien vous traiter de la sorte

Que vous me connaissiez, et de quel châtiment

La Paquita punit l'outrage d'un amant ! »


Elle parlait ainsi lorsque, tout effarée,

La suivante accourut : « A la porte d'entrée,

L'alcade et trois amis, qu'il amenait souper,

Dit-elle, sont en bas qui viennent de frapper !

- Bien ! dit la Paquita ; c'est le ciel qui l'envoie !

- Ah ! señora ! pour vous, gardez que l'on me voie !

- Au contraire, dit l'autre. Allez ouvrir ! merci.

Mon Dieu ; je t'appelais, Vengeance ; te voici ! »

Et sitôt que la duègne en bas fut descendue,

La dame de crier : « A moi ! je suis perdue !

Au viol ! je me meurs ! au secours ! au secours !

Au meurtre ! à l'assassin ! Ah ! mon seigneur, accours ! »

Tout en disant cela, furieuse, éperdue,

Au cou de Gabriel elle s'était pendue.

Le serrait avec rage, et semblait repousser

Ses deux bras qu'elle avait contraints à l'embrasser ;

Et lui, troublé, la tête encor tout étourdie,

Se prêtait à ce jeu d'horrible comédie,

Sans deviner, hélas ! que, pour son châtiment,

C'était faire un prétexte et servir d'instrument !


L'alcade cependant, à ces cris de détresse,

Accourt en toute hâte auprès de sa maîtresse :

« Seigneur ! c'est le bon Dieu qui vous amène ici ;

Vengez-vous, vengez-moi ! Cet homme que voici,

Pour me déshonorer, ce soir, dans ma demeure...

- Femme, n'achevez pas, dit l'alcade ; qu'il meure !

- Qu'il meure ; reprit-elle. - Oui ; mais je ne veux pas

Lui taire de ma main un si noble trépas ;

Çà, messieurs, qu'on l'emmène, et que chacun pâlisse

En sachant à la fois le crime et le supplice ! »

Gabriel, cependant, s'étant un peu remis.

Tenta de résister ; mais pour quatre ennemis,

Hélas ! il était seul, et sa valeur trompée

Demanda vainement secours à son épée ;

Elle s'était brisée en sa main : il fallut

Se rendre, et se soumettre à tout ce qu'on voulut.


Devant la haute cour on instruisit l'affaire ;

Le procès alla vite, et quoi que pussent faire

Ses amis, ses parents et leur vaste crédit.

Qu'au promoteur fiscal don Gabriel eût dit :

« C'est un horrible piège où l'on veut me surprendre.

Un crime ! je suis noble, et je dois vous apprendre,

Seigneur, qu'on n'a jamais trouvé dans ma maison

De rouille sur l'épée ou de tache au blason !

Seigneur, c'est cette femme elle-même, j'en jure

Par ce Christ qui m'entend et punit le parjure.

Qui m'avait introduit dans son appartement ;

Et comment voulez-vous qu'à pareille heure ?... - Il ment !

Disait la Paquita ; d'ailleurs la chose est claire.

J'ai mes témoins : il faut une peine exemplaire.

Car je vous l'ai promis, et qu'un juste trépas

Me venge d'un affront que vous n'ignorez pas ! »


VI


Or, s'il faut maintenant, lecteur, qu'on vous apprenne -

La fin de tout ceci, par la cour souveraine

Il fut jugé coupable à l'unanimité ;

Et comme il était noble, il fut décapité.
Chris Mortel Apr 2018
Siya, na mahal na mahal ka,
Siya, na laging nandyan t'wing
kailangan mo siya..
Siya, na lagi kang pinapatawa t'wing malungkot ka.
Siya, na mabilis mag reply sayo sa chat at text pag boring ka.
Siya, na gusto ka ! Pero ikaw, ang gusto mo ay iba.
Hanggang ganito na lang ba? Hanggang kelan ka magiging manhid sa ipinapakita at ipinaparamdam niya? Hanggang sa bandang huli maisip **** mahal mo rin pala siya.  Samantalang siya napagod na at minamahal na ng iba.
Naranasan mo na bang mag mahal ng isang tao na iba din ang mahal at gusto? Hanggang kelan ka aasa? Para sayo ito.
Ô temps miraculeux ! ô gaîtés homériques !
Ô rires de l'Europe et des deux Amériques !
Croûtes qui larmoyez ! bons dieux mal accrochés
Qui saignez dans vos coins ! madones qui louchez !
Phénomènes vivants ! ô choses inouïes !
Candeurs ! énormités au jour épanouies !
Le goudron déclaré fétide par le suif,
Judas flairant Shylock et criant : c'est un juif !
L'arsenic indigné dénonçant la morphine,
La hotte injuriant la borne, Messaline
Reprochant à Goton son regard effronté,
Et Dupin accusant Sauzet de lâcheté !

Oui, le vide-gousset flétrit le tire-laine,
Falstaff montre du doigt le ventre de Silène,
Lacenaire, pudique et de rougeur atteint,
Dit en baissant les yeux : J'ai vu passer Castaing !

Je contemple nos temps. J'en ai le droit, je pense.
Souffrir étant mon lot, rire est ma récompense.
Je ne sais pas comment cette pauvre Clio
Fera pour se tirer de cet imbroglio.
Ma rêverie au fond de ce règne pénètre,
Quand, ne pouvant dormir, la nuit, à ma fenêtre,
Je songe, et que là-bas, dans l'ombre, à travers l'eau,
Je vois briller le phare auprès de Saint-Malo.

Donc ce moment existe ! il est ! Stupeur risible !
On le voit ; c'est réel, et ce n'est pas possible.
L'empire est là, refait par quelques sacripants.
Bonaparte le Grand dormait. Quel guet-apens !
Il dormait dans sa tombe, absous par la patrie.
Tout à coup des brigands firent une tuerie
Qui dura tout un jour et du soir au matin ;
Napoléon le Nain en sortit. Le destin,
De l'expiation implacable ministre,
Dans tout ce sang versé trempa son doigt sinistre
Pour barbouiller, affront à la gloire en lambeau,
Cette caricature au mur de ce tombeau.

Ce monde-là prospère. Il prospère, vous dis-je !
Embonpoint de la honte ! époque callipyge !
Il trône, ce cokney d'Eglinton et d'Epsom,
Qui, la main sur son cœur, dit : Je mens, ergo sum.
Les jours, les mois, les ans passent ; ce flegmatique,
Ce somnambule obscur, brusquement frénétique,
Que Schœlcher a nommé le président Obus,
Règne, continuant ses crimes en abus.
Ô spectacle ! en plein jour, il marche et se promène,
Cet être horrible, insulte à la figure humaine !
Il s'étale effroyable, ayant tout un troupeau
De Suins et de Fortouls qui vivent sur sa peau,
Montrant ses nudités, cynique, infâme, indigne,
Sans mettre à son Baroche une feuille de vigne !
Il rit de voir à terre et montre à Machiavel
Sa parole d'honneur qu'il a tuée en duel.
Il sème l'or ; - venez ! - et sa largesse éclate.
Magnan ouvre sa griffe et Troplong tend sa patte.
Tout va. Les sous-coquins aident le drôle en chef.
Tout est beau, tout est bon, et tout est juste ; bref,
L'église le soutient, l'opéra le constate.
Il vola ! Te Deum. Il égorgea ! cantate.

Lois, mœurs, maître, valets, tout est à l'avenant.
C'est un bivouac de gueux, splendide et rayonnant.
Le mépris bat des mains, admire, et dit : courage !
C'est hideux. L'entouré ressemble à l'entourage.
Quelle collection ! quel choix ! quel Œil-de-boeuf !
L'un vient de Loyola, l'autre vient de Babeuf !
Jamais vénitiens, romains et bergamasques
N'ont sous plus de sifflets vu passer plus de masques.
La société va sans but, sans jour, sans droit,
Et l'envers de l'habit est devenu l'endroit.
L'immondice au sommet de l'état se déploie.
Les chiffonniers, la nuit, courbés, flairant leur proie,
Allongent leurs crochets du côté du sénat.
Voyez-moi ce coquin, normand, corse, auvergnat :
C'était fait pour vieillir bélître et mourir cuistre ;
C'est premier président, c'est préfet, c'est ministre.
Ce truand catholique au temps jadis vivait
Maigre, chez Flicoteaux plutôt que chez Chevet ;
Il habitait au fond d'un bouge à tabatière
Un lit fait et défait, hélas, par sa portière,
Et griffonnait dès l'aube, amer, affreux, souillé,
Exhalant dans son trou l'odeur d'un chien mouillé.
Il conseille l'état pour ving-cinq mille livres
Par an. Ce petit homme, étant teneur de livres
Dans la blonde Marseille, au pays du mistral,
Fit des faux. Le voici procureur général.
Celui-là, qui courait la foire avec un singe,
Est député ; cet autre, ayant fort peu de linge,
Sur la pointe du pied entrait dans les logis
Où bâillait quelque armoire aux tiroirs élargis,
Et du bourgeois absent empruntait la tunique
Nul mortel n'a jamais, de façon plus cynique,
Assouvi le désir des chemises d'autrui ;
Il était grinche hier, il est juge aujourd'hui.
Ceux-ci, quand il leur plaît, chapelains de la clique,
Au saint-père accroupi font pondre une encyclique ;
Ce sont des gazetiers fort puissants en haut lieu,
Car ils sont les amis particuliers de Dieu
Sachez que ces béats, quand ils parlent du temple
Comme de leur maison, n'ont pas tort ; par exemple,
J'ai toujours applaudi quand ils ont affecté
Avec les saints du ciel des airs d'intimité ;
Veuillot, certe, aurait pu vivre avec Saint-Antoine.
Cet autre est général comme on serait chanoine,
Parce qu'il est très gras et qu'il a trois mentons.
Cet autre fut escroc. Cet autre eut vingt bâtons
Cassés sur lui. Cet autre, admirable canaille,
Quand la bise, en janvier, nous pince et nous tenaille,
D'une savate oblique écrasant les talons,
Pour se garer du froid mettait deux pantalons
Dont les trous par bonheur n'étaient pas l'un sur l'autre.
Aujourd'hui, sénateur, dans l'empire il se vautre.
Je regrette le temps que c'était dans l'égout.
Ce ventre a nom d'Hautpoul, ce nez a nom d'Argout.
Ce prêtre, c'est la honte à l'état de prodige.
Passons vite. L'histoire abrège, elle rédige
Royer d'un coup de fouet, Mongis d'un coup de pied,
Et fuit. Royer se frotte et Mongis se rassied ;
Tout est dit. Que leur fait l'affront ? l'opprobre engraissé.
Quant au maître qui hait les curieux, la presse,
La tribune, et ne veut pour son règne éclatant
Ni regards, ni témoins, il doit être content
Il a plus de succès encor qu'il n'en exige ;
César, devant sa cour, son pouvoir, son quadrige,
Ses lois, ses serviteurs brodés et galonnés,
Veut qu'on ferme les veux : on se bouche le nez.

Prenez ce Beauharnais et prenez une loupe ;
Penchez-vous, regardez l'homme et scrutez la troupe.
Vous n'y trouverez pas l'ombre d'un bon instinct.
C'est vil et c'est féroce. En eux l'homme est éteint
Et ce qui plonge l'âme en des stupeurs profondes,
C'est la perfection de ces gredins immondes.

À ce ramas se joint un tas d'affreux poussahs,
Un tas de Triboulets et de Sancho Panças.
Sous vingt gouvernements ils ont palpé des sommes.
Aucune indignité ne manque à ces bonshommes ;
Rufins poussifs, Verrès goutteux, Séjans fourbus,
Selles à tout tyran, sénateurs omnibus.
On est l'ancien soudard, on est l'ancien bourgmestre ;
On tua Louis seize, on vote avec de Maistre ;
Ils ont eu leur fauteuil dans tous les Luxembourgs ;
Ayant vu les Maurys, ils sont faits aux Sibours ;
Ils sont gais, et, contant leurs antiques bamboches,
Branlent leurs vieux gazons sur leurs vieilles caboches.
Ayant été, du temps qu'ils avaient un cheveu,
Lâches sous l'oncle, ils sont abjects sous le neveu.
Gros mandarins chinois adorant le tartare,
Ils apportent leur cœur, leur vertu, leur catarrhe,
Et prosternent, cagneux, devant sa majesté
Leur bassesse avachie en imbécillité.

Cette bande s'embrasse et se livre à des joies.
Bon ménage touchant des vautours et des oies !

Noirs empereurs romains couchés dans les tombeaux,
Qui faisiez aux sénats discuter les turbots,
Toi, dernière Lagide, ô reine au cou de cygne,
Prêtre Alexandre six qui rêves dans ta vigne,
Despotes d'Allemagne éclos dans le Rœmer,
Nemrod qui hais le ciel, Xercès qui bats la mer,
Caïphe qui tressas la couronne d'épine,
Claude après Messaline épousant Agrippine,
Caïus qu'on fit césar, Commode qu'on fit dieu,
Iturbide, Rosas, Mazarin, Richelieu,
Moines qui chassez Dante et brisez Galilée,
Saint-office, conseil des dix, chambre étoilée,
Parlements tout noircis de décrets et d'olims,
Vous sultans, les Mourads, les Achmets, les Sélims,
Rois qu'on montre aux enfants dans tous les syllabaires,
Papes, ducs, empereurs, princes, tas de Tibères !
Bourreaux toujours sanglants, toujours divinisés,
Tyrans ! enseignez-moi, si vous le connaissez,
Enseignez-moi le lieu, le point, la borne où cesse
La lâcheté publique et l'humaine bassesse !

Et l'archet frémissant fait bondir tout cela !
Bal à l'hôtel de ville, au Luxembourg gala.
Allons, juges, dansez la danse de l'épée !
Gambade, ô Dombidau, pour l'onomatopée !
Polkez, Fould et Maupas, avec votre écriteau,
Toi, Persil-Guillotine, au profil de couteau !

Ours que Boustrapa montre et qu'il tient par la sangle,
Valsez, Billault, Parieu, Drouyn, Lebœuf, Delangle !
Danse, Dupin ! dansez, l'horrible et le bouffon !
Hyènes, loups, chacals, non prévus par Buffon,
Leroy, Forey, tueurs au fer rongé de rouilles,
Dansez ! dansez, Berger, d'Hautpoul, Murat, citrouilles !

Et l'on râle en exil, à Cayenne, à Blidah !
Et sur le Duguesclin, et sur le Canada,
Des enfants de dix ans, brigands qu'on extermine,
Agonisent, brûlés de fièvre et de vermine !
Et les mères, pleurant sous l'homme triomphant,
Ne savent même pas où se meurt leur enfant !
Et Samson reparaît, et sort de ses retraites !
Et, le soir, on entend, sur d'horribles charrettes
Qui traversent la ville et qu'on suit à pas lents,
Quelque chose sauter dans des paniers sanglants !
Oh ! laissez ! laissez-moi m'enfuir sur le rivage !
Laissez-moi respirer l'odeur du flot sauvage !
Jersey rit, terre libre, au sein des sombres mers ;
Les genêts sont en fleur, l'agneau paît les prés verts ;
L'écume jette aux rocs ses blanches mousselines ;
Par moments apparaît, au sommet des collines,
Livrant ses crins épars au vent âpre et joyeux,
Un cheval effaré qui hennit dans les cieux !

Jersey, le 24 mai 1853.
Adam était fort amoureux.
Maigre comme un clou, les yeux creux ;
Son Ève était donc bien heureuse
D'être sa belle Ève amoureuse,
Mais... fiez-vous donc à demain !
Un soir, en promenant sa main
Sur le moins beau torse du monde,
Ah !... sa surprise fut profonde !
Il manquait une côte... là.
Tiens ! Tiens ! que veut dire cela ?
Se dit Ève, en baissant la tête.
Mais comme Ève n'était pas bête,
Tout d'abord Ève ne fit rien
Que s'en assurer bel et bien.
« Vous, Madame, avec cette mine ?
Qu'avez-vous donc qui vous chagrine ? »
Lui dit Adam, le jour suivant.
« Moi, rien... dit Ève... c'est... le vent. »
Or, le vent donnait sous la plume,
Contrairement à sa coutume.
Un autre eût été dépité,
Mais comme il avait la gaieté
Inaltérable de son âge,
Il s'en fut à son jardinage
Tout comme si de rien n'était.

Cependant, Ève s'em...bêtait
Comme s'ennuie une Princesse.
« Il faut, nom de Dieu ! que ça cesse »,
Se dit Ève, d'un ton tranchant.
« Je veux le voir, oui, sur-le-champ »,
Je dirai : « Sire, il manque à l'homme
Une côte, c'est sûr ; en somme,
En général, ça ne fait rien,
Mais ce général, c'est le mien.
Il faut donc la lui donner vite.
Moi, j'ai mon compte, ça m'évite
De vous importuner ; mais lui,
N'a pas le sien, c'est un ennui.
Ce détail me gâte la fête.
Puisque je suis toute parfaite,
J'ai bien droit au mari parfait.
Il ne peut que dire : en effet »,
Ici la Femme devint... rose,

« Et s'il dit, prenant mal la chose :
« Ton Adam n'est donc plus tout nu !
Que lui-même il n'est pas venu ?
A-t-il sa langue dans sa poche ?
Sur la mèche où le cœur s'accroche,
La casquette à n'en plus finir ?
Est-il en train de devenir...
Soutenu ?... » Que répliquerai-je ?
La Femme ici devint... de neige.

Sitôt qu'Adam fut de retour
Ève passa ses bras autour
Du cou, le plus fort de son monde,
Et, renversant sa tête blonde,
Reçut deux grands baisers joyeux ;
Puis fermant à demi les yeux,
Pâmée au rire de sa bouche,
Elle l'attira vers sa couche,
Où, commençant à s'incliner,
L'on se mit à se lutiner.
Soudain : « Ah ! qu'as-tu là ? » fit Ève.
Adam parut sortir d'un rêve.
« Là... mais, rien... », dit-il. « Justement,
Tu n'as rien, comme c'est charmant !
Tu vois, il te manque une côte.
Après tout, ce n'est pas ta faute,
Tu ne dois pas te tourmenter ;
Mais sur l'heure, il faut tout quitter,
Aller voir le Prince, et lui dire
Ce qu'humblement ton cœur désire ;
Que tu veux ta côte, voilà.
Or, pour lui, qu'est-ce que cela ?
Moins que rien, une bagatelle. »
Et prenant sa voix d'Immortelle :
« Allons ! Monsieur... tout de ce pas. »
Ève changea de ritournelle,
Et lorsqu'Adam était... sur elle,
Elle répétait d'un ton las :
« Pourquoi, dis, que tu m'aimes pas ? »
« Mais puisque ça ne se voit pas »,
Dit Adam. « Ça se sent », dit Ève,
Avec sa voix sifflante et brève.

Adam partit à contrecœur,
Car dans le fond il avait peur
De dire, en cette conjoncture,
À l'Auteur de la créature :
Vous avez fait un pas de clerc
En ratant ma côte, c'est clair.
Sa démarche impliquait un blâme.
Mais il voulait plaire à sa femme.

Ève attendit une heure vingt
Bonnes minutes ; il revint
Souriant, la mine attendrie,
Et, baisant sa bouche fleurie,
L'étreignant de son bras musclé :
« Je ne l'ai pas, pourtant je l'ai.
Je la tiens bien puisque je t'aime,
Sans l'avoir, je l'ai tout de même. »

Ève, sentant que ça manquait
Toujours, pensa qu'il se moquait ;
Mais il lui raconta l'histoire
Qu'il venait d'apprendre, il faut croire,
De l'origine de son corps,
Qu'Ève était sa côte, et qu'alors...
La chose...

« Ah ! c'est donc ça..., dit-elle,
Que le jour, oui, je me rappelle,
Où nous nous sommes rencontrés
Dans les parterres diaprés,
Tu m'as, en tendant tes mains franches,
Dit : « Voici la fleur de mes branches,
Et voilà le fruit de ma chair ! »
« En effet, ma chère ! »

« Ah !... mon cher !
J'avais pris moi cette parole
Au figuré... Mais j'étais folle ! »

« Je t'avais prise au figuré
Moi-même », dit Adam, paré
De sa dignité fraîche éclose
Et qui lui prêtait quelque chose
Comme un ton de maître d'hôtel,
Déjà suffisamment mortel ;
« L'ayant dit un peu comme on tousse.
Vois, quand la vérité nous pousse,
Il faut la dire, malgré soi. »

« Je ne peux pas moi comme toi »,
Fut tout ce que répondit Ève.

La nuit s'en va, le jour se lève,
Adam saisit son arrosoir,
Et : « Ma belle enfant, à ce soir ! »
Sa belle enfant ! pauvre petite !
Elle, jadis sa... favorite,
Était son enfant, à présent.
Quoi ? Ce n'était pas suffisant
Qu'Adam n'eût toujours pas sa côte,
À présent c'était de sa faute !
Elle en avait les bras cassés !
Et ce n'était encore assez.
Il fallait cette côte absente
Qu'elle en parût reconnaissante !

Doux Jésus !
Tout fut bien changé.

Ève prit son air affligé,
Et lorsqu'Adam parmi les branches
Voyait bouder ses... formes blanches
Et que, ne pouvant s'en passer,
Il accourait, pour l'embrasser,
Tout rempli d'une envie affreuse :
« Ah ! que je suis donc malheureuse ! »
Disait Ève, qui s'affalait.

Enfin, un jour qu'Adam parlait
D'une voix trop brusque et trop haute :
« Pourquoi, dis, que t'as pas ta côte ? »

« Voyons ! vous vous... fichez de moi !
Tu le sais bien,... comment, c'est toi,
Toi, ma côte, qui se réclame ! »
« Ça n'empêche pas, dit la Femme,
À ta place, j'insisterais. »

« Si je faisais de nouveaux frais,
Dit Adam, j'aurais trop de honte.
Nous avons chacun notre compte,
Toi comme moi, tu le sais bien,
Et le Prince ne nous doit rien ;
Car nul en terme de boutique
Ne tient mieux son arithmétique. »
Ce raisonnement était fort,
Ève pourtant n'avait pas tort.

Sur ces entrefaites, la femme
S'en vint errer, le vague à l'âme,
Autour de l'arbre défendu.
Le serpent s'y trouvait pendu
Par la queue, il leva la tête.
« Ève, comme vous voilà faite ! »
Dit-il, en la voyant venir.

La pauvre Ève n'y put tenir ;
Elle lui raconta sa peine,
Et même fit voir... une veine.
Le bon Vieux en parut navré.
« Tiens ! Tiens ! dit-il ; c'est pourtant vrai.
Eh ! bien ! moi : j'ai votre remède ;
Et je veux vous venir en aide,
Car je sais où tout ça conduit.
Écoute-moi, prends de ce fruit. »
« Oh ! non ! » dit Ève « Et la défense ? »
« Ton prince est meilleur qu'il ne pense
Et ne peut vous faire mourir.
Prends cette pomme et va l'offrir
À ton mari, pour qu'il en mange,
Et, dit, entr'autres choses, l'Ange,
Parfaits alors, comme des Dieux,
En lui, plus de vide odieux !
Vois quelle épine je vous ôte.
Ce pauvre Adam aura sa côte. »
C'était tout ce qu'Ève voulait.
Le fruit était là qui parlait,
Ève étendît donc sa main blanche
Et le fit passer de la branche
Sous sa nuque, dans son chignon.

Ève trouva son compagnon
Qui dormait étendu sur l'herbe,
Dans une pose peu superbe,
Le front obscurci par l'ennui.

Ève s'assit auprès de lui,
Ève s'empara de la pomme,
Se tourna du côté de l'Homme
Et la plaçant bien sous son nez,
**** de ses regards étonnés :
« Tiens ! regarde ! la belle pêche ! »
- « Pomme », dit-il d'une voix sèche.
« Pêche ! Pêche ! » - « Pomme. » - « Comment ?
Ce fruit d'or, d'un rose charmant,
N'est pas une pomme bien ronde ?
Voyons !... demande à tout le monde ? »
- « Qui, tout le monde ? » Ève sourit :
« J'ai dit tout le monde ? » et reprit,
Lui prenant doucement la tête :
« Eh ! oui, c'est une pomme, bête,
Qui ne comprends pas qu'on voulait
T'attraper... Ah ! fi ! que c'est laid !
Pour me punir, mon petit homme,
Je vais t'en donner, de ma pomme. »
Et l'éclair de son ongle luit,
Qui se perd dans la peau du fruit.

On était au temps des cerises,
Et justement l'effort des brises,
Qui soufflait dans les cerisiers,
En fit tomber une à leurs pieds !

« Malheureuse ! que vas-tu faire ? »
Crie Adam, rouge de colère,
Qui soudain a tout deviné,
Veut se saisir du fruit damné,
Mais l'homme avait trouvé son maître.
« Je serai seule à la commettre »,
Dit Ève en éloignant ses bras,
Si hautaine... qu'il n'osa pas.

Puis très tranquillement, sans fièvres,
Ève met le fruit sur ses lèvres,
Ève le mange avec ses dents.

L'homme baissa ses yeux ardents
Et de ses mains voila sa face.

« Moi, que voulez-vous que j'y fasse ?
Dit Ève ; c'est mon bon plaisir ;
Je n'écoute que mon désir
Et je le contente sur l'heure.
Mieux que vous... qu'a-t-il donc ? il pleure !
En voulez-vous ?
Non, et pourquoi ?
Vous voyez, j'en mange bien, moi.
D'ailleurs, songez qu'après ma faute
Nous ne vivrons plus côte à côte,
On va nous séparer... c'est sûr,
On me l'a dit, par un grand mur.
En voulez-vous ? »
Lui, tout en larmes,
S'enfonçait, songeant à ses charmes,
Dans le royaume de Sa voix.
Enfin, pour la dernière fois
Prenant sa tête qu'Ève couche,
« En veux-tu, dis ? Ouvre ta bouche ! »

Et c'est ainsi qu'Adam mangea
À peu près tout, Ève déjà
N'en ayant pris qu'une bouchée ;
Mais Ève eût été bien fâchée
Du contraire, pour l'avenir.
Il a besoin de devenir
Dieu, bien plus que moi, pensait-Elle.

Quand l'homme nous l'eut baillé belle,
Tu sais ce qui lors arriva ;
Le pauvre Adam se retrouva
Plus bête qu'avant, par sa faute.
Car s'il eût su plaindre sa côte,
Son Ève alors n'eût point péché ;
De plus, s'il se fût attaché
À son Prince, du fond de l'âme,
S'il n'eût point écouté sa femme,
Ton cœur a déjà deviné
Que le Seigneur eût pardonné,
Le motif d'Ève, au fond valable,
N'ayant pas eu pour détestable
Suite la faute du mari.

Lequel plus **** fut bien chéri
Et bien dorloté par « sa chère »,
Mais quand, mécontent de la chère,
Il disait : « Je suis trop bon, moi !
- Sans doute, disait Ève, toi,
T'es-un-bon-bonhomme, sur terre,
Mais... tu n'as pas de caractère ! »
À Armand Silvestre


Un cachot. Une femme à genoux, en prière.

Une tête de mort est gisante par terre,

Et parle, d'un ton aigre et douloureux aussi.

D'une lampe au plafond tombe un rayon transi.


« Dame Reine. - Encor toi, Satan ! - Madame Reine.

- « Ô Seigneur, faites mon oreille assez sereine

« Pour ouïr sans l'écouter ce que dit le Malin ! »

- « Ah ! ce fut un vaillant et galant châtelain

« Que votre époux ! Toujours en guerre ou bien en fête,

« (Hélas ! j'en puis parler puisque je suis sa tête.)

« Il vous aima, mais moins encore qu'il n'eût dû.

« Que de vertu gâtée et que de temps perdu

« En vains tournois, en cours d'amour **** de sa dame

Qui belle et jeune prit un amant, la pauvre âme ! » -

- « Ô Seigneur, écartez ce calice de moi ! » -

- « Comme ils s'aimèrent ! Ils s'étaient juré leur foi

De s'épouser sitôt que serait mort le maître,

Et le tuèrent dans son sommeil d'un coup traître. »

- « Seigneur, vous le savez, dès le crime accompli,

J'eus horreur, et prenant ce jeune homme en oubli,

Vins au roi, dévoilant l'attentat effroyable,

Et pour mieux déjouer la malice du diable,

J'obtins qu'on m'apportât en ma juste prison

La tête de l'époux occis en trahison :

Par ainsi le remords, devant ce triste reste,

Me met toujours aux yeux mon action funeste,

Et la ferveur de mon repentir s'en accroît,

Ô Jésus ! Mais voici : le Malin qui se voit

Dupe et qui voudrait bien ressaisir sa conquête

S'en vient-il pas loger dans cette pauvre tête

Et me tenir de faux propos insidieux ?

Ô Seigneur, tendez-moi vos secours précieux ! »

- « Ce n'est pas le démon, ma Reine, c'est moi-même,

Votre époux, qui vous parle en ce moment suprême,

Votre époux qui, damné (car j'étais en mourant

En état de péché mortel), vers vous se rend,

Ô Reine, et qui, pauvre âme errante, prend la tête

Qui fut la sienne aux jours vivants pour interprète

Effroyable de son amour épouvanté. »

- « Ô blasphème hideux, mensonge détesté !

Monsieur Jésus, mon maître adorable, exorcise

Ce chef horrible et le vide de la hantise

Diabolique qui n'en fait qu'un instrument

Où souffle Belzébuth fallacieusement

Comme dans une flûte on joue un air perfide ! »

- « Ô douleur, une erreur lamentable te guide,

Reine, je ne suis pas Satan, je suis Henry ! » -

- « Oyez, Seigneur, il prend la voix de mon mari !

À mon secours, les Saints, à l'aide, Notre Dame ! » -

- « Je suis Henry, du moins, Reine, je suis son âme

Qui, par sa volonté, plus forte que l'enfer,

Ayant su transgresser toute porte de fer

Et de flamme, et braver leur impure cohorte,

Hélas ! vient pour te dire avec cette voix morte

Qu'il est d'autres amours encor que ceux d'ici,

Tout immatériels et sans autre souci

Qu'eux-mêmes, des amours d'âmes et de pensées.

Ah, que leur fait le Ciel ou l'enfer. Enlacées,

Les âmes, elles n'ont qu'elles-mêmes pour but !

L'enfer pour elles c'est que leur amour mourût,

Et leur amour de son essence est immortelle !

Hélas ! moi, je ne puis te suivre aux cieux, cruelle

Et seule peine en ma damnation. Mais toi,

Damne-toi ! Nous serons heureux à deux, la loi

Des âmes, je te dis, c'est l'alme indifférence

Pour la félicité comme pour la souffrance

Si l'amour partagé leur fait d'intimes cieux.

Viens afin que l'enfer jaloux, voie, envieux,

Deux damnés ajouter, comme on double un délice,

Tous les feux de l'amour à tous ceux du supplice,

Et se sourire en un baiser perpétuel ! »

« - Âme de mon époux, tu sais qu'il est réel

Le repentir qui fait qu'en ce moment j'espère

En la miséricorde ineffable du Père

Et du Fils et du Saint-Esprit ! Depuis un mois

Que j'expie, attendant la mort que je te dois,

En ce cachot trop doux encor, nue et par terre,

Le crime monstrueux et l'infâme adultère

N'ai-je pas, repassant ma vie en sanglotant,

Ô mon Henry, pleuré des siècles cet instant

Où j'ai pu méconnaître en toi celui qu'on aime ?

Va, j'ai revu, superbe et doux, toujours le même,

Ton regard qui parlait délicieusement

Et j'entends, et c'est là mon plus dur châtiment,

Ta noble voix, et je me souviens des caresses !

Or si tu m'as absoute et si tu t'intéresses

À mon salut, du haut des cieux, ô cher souci,

Manifeste-toi, parle, et démens celui-ci

Qui blasphème et ***** d'affreuses hérésies ! » -

- « Je te dis que je suis damné ! Tu t'extasies

En terreurs vaines, ô ma Reine. Je te dis

Qu'il te faut rebrousser chemin du Paradis,

Vain séjour du bonheur banal et solitaire

Pour l'amour avec moi ! Les amours de la terre

Ont, tu le sais, de ces instants chastes et lents :

L'âme veille, les sens se taisent somnolents,

Le cœur qui se repose et le sang qui s'affaisse

Font dans tout l'être comme une douce faiblesse.

Plus de désirs fiévreux, plus d'élans énervants,

On est des frères et des sœurs et des enfants,

On pleure d'une intime et profonde allégresse,

On est les cieux, on est la terre, enfin on cesse

De vivre et de sentir pour s'aimer au delà,

Et c'est l'éternité que je t'offre, prends-la !

Au milieu des tourments nous serons dans la joie,

Et le Diable aura beau meurtrir sa double proie,

Nous rirons, et plaindrons ce Satan sans amour.

Non, les Anges n'auront dans leur morne séjour

Rien de pareil à ces délices inouïes ! » -


La Comtesse est debout, paumes épanouies.

Elle fait le grand cri des amours surhumains,

Puis se penche et saisit avec ses pâles mains

La tête qui, merveille ! a l'aspect de sourire.

Un fantôme de vie et de chair semble luire

Sur le hideux objet qui rayonne à présent

Dans un nimbe languissamment phosphorescent.

Un halo clair, semblable à des cheveux d'aurore

Tremble au sommet et semble au vent flotter encore

Parmi le chant des cors à travers la forêt.

Les noirs orbites ont des éclairs, on dirait

De grands regards de flamme et noirs. Le trou farouche

Au rire affreux, qui fut, Comte Henry, votre bouche

Se transfigure rouge aux deux arcs palpitants

De lèvres qu'auréole un duvet de vingt ans,

Et qui pour un baiser se tendent savoureuses...

Et la Comtesse à la façon des amoureuses

Tient la tête terrible amplement, une main

Derrière et l'autre sur le front, pâle, en chemin

D'aller vers le baiser spectral, l'âme tendue,

Hoquetant, dilatant sa prunelle perdue

Au fond de ce regard vague qu'elle a devant...

Soudain elle recule, et d'un geste rêvant

(Ô femmes, vous avez ces allures de faire !)

Elle laisse tomber la tête qui profère

Une plainte, et, roulant, sonne creux et longtemps :

- « Mon Dieu, mon Dieu, pitié ! Mes péchés pénitents

Lèvent leurs pauvres bras vers ta bénévolence,

Ô ne les souffre pas criant en vain ! Ô lance

L'éclair de ton pardon qui tuera ce corps vil !

Vois que mon âme est faible en ce dolent exil

Et ne la laisse pas au Mauvais qui la guette !

Ô que je meure ! »

Avec le bruit d'un corps qu'on jette,

La Comtesse à l'instant tombe morte, et voici :

Son âme en blanc linceul, par l'espace éclairci

D'une douce clarté d'or blond qui flue et vibre

Monte au plafond ouvert désormais à l'air libre

Et d'une ascension lente va vers les cieux.


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


La tête est là, dardant en l'air ses sombres yeux

Et sautèle dans des attitudes étranges :

Telle dans les Assomptions des têtes d'anges,

Et la bouche ***** un gémissement long,

Et des orbites vont coulant des pleurs de plomb.
brandon nagley May 2015
Her eyes, soo poisonously lustful,
her house will lead you down to hell!!!!
Près du pêcheur qui ruisselle,
Quand tous deux, au jour baissant,
Nous errons dans la nacelle,
Laissant chanter l'homme frêle
Et gémir le flot puissant ;

Sous l'abri que font les voiles
Lorsque nous nous asseyons,
Dans cette ombre où tu te voiles
Quand ton regard aux étoiles
Semble cueillir des rayons ;

Quand tous deux nous croyons lire
Ce que la nature écrit,
Réponds, ô toi que j'admire,
D'où vient que mon cœur soupire ?
D'où vient que ton front sourit ?

Dis ? d'où vient qu'à chaque lame,
Comme une coupe de fiel,
La pensée emplit mon âme ?
C'est que moi je vois la rame
Tandis que tu vois le ciel !

C'est que je vois les flots sombres,
Toi, les astres enchantés !
C'est que, perdu dans leurs nombres,
Hélas, je compte les ombres
Quand tu comptes les clartés !

Chacun, c'est la loi suprême,
Rame, hélas ! jusqu'à la fin.
Pas d'homme, ô fatal problème !
Qui ne laboure ou ne sème
Sur quelque chose de vain !

L'homme est sur un flot qui gronde.
L'ouragan tord son manteau.
Il rame en la nuit profonde,
Et l'espoir s'en va dans l'onde
Par les fentes du bateau.

Sa voile que le vent troue
Se déchire à tout moment,
De sa route l'eau se joue,
Les obstacles sur sa proue
Écument incessamment !

Hélas ! hélas ! tout travaille
Sous tes yeux, ô Jéhovah !
De quelque côté qu'on aille,
Partout un flot qui tressaille,
Partout un homme qui va !

Où vas-tu ? - Vers la nuit noire.
Où vas-tu ? - Vers le grand jour.
Toi ? - Je cherche s'il faut croire.
Et toi ? - Je vais à la gloire.
Et toi ? - Je vais à l'amour.

Vous allez tous à la tombe !
Vous allez à l'inconnu !
Aigle, vautour, ou colombe,
Vous allez où tout retombe
Et d'où rien n'est revenu !

Vous allez où vont encore
Ceux qui font le plus de bruit !
Où va la fleur qu'avril dore !
Vous allez où va l'aurore !
Vous allez où va la nuit !

À quoi bon toutes ces peines ?
Pourquoi tant de soins jaloux ?
Buvez l'onde des fontaines,
Secouez le gland des chênes,
Aimez, et rendormez-vous !

Lorsque ainsi que des abeilles
On a travaillé toujours ;
Qu'on a rêvé des merveilles ;
Lorsqu'on a sur bien des veilles
Amoncelé bien des jours ;

Sur votre plus belle rose,
Sur votre lys le plus beau,
Savez-vous ce qui se pose ?
C'est l'oubli pour toute chose,
Pour tout homme le tombeau !

Car le Seigneur nous retire
Les fruits à peine cueillis.
Il dit : Échoue ! au navire.
Il dit à la flamme : Expire !
Il dit à la fleur : Pâlis !

Il dit au guerrier qui fonde :
- Je garde le dernier mot.
Monte, monte, ô roi du monde !
La chute la plus profonde
Pend au sommet le plus haut. -

Il a dit à la mortelle :
- Vite ! éblouis ton amant.
Avant de mourir sois belle.
Sois un instant étincelle,
Puis cendre éternellement ! -

Cet ordre auquel tu t'opposes
T'enveloppe et t'engloutit.
Mortel, plains-toi, si tu l'oses,
Au Dieu qui fit ces deux choses,
Le ciel grand, l'homme petit !

Chacun, qu'il doute ou qu'il nie,
Lutte en frayant son chemin ;
Et l'éternelle harmonie
Pèse comme une ironie
Sur tout ce tumulte humain !

Tous ces faux biens qu'on envie
Passent comme un soir de mai.
Vers l'ombre, hélas ! tout dévie.
Que reste-t-il de la vie,
Excepté d'avoir aimé !

----

Ainsi je courbe ma tête
Quand tu redresses ton front.
Ainsi, sur l'onde inquiète,
J'écoute, sombre poète,
Ce que les flots me diront.

Ainsi, pour qu'on me réponde,
J'interroge avec effroi ;
Et dans ce gouffre où je sonde
La fange se mêle à l'onde... -
Oh ! ne fais pas comme moi !

Que sur la vague troublée
J'abaisse un sourcil hagard ;
Mais toi, belle âme voilée,
Vers l'espérance étoilée
Lève un tranquille regard !

Tu fais bien. Vois les cieux luire.
Vois les astres s'y mirer.
Un instinct là-haut t'attire.
Tu regardes Dieu sourire ;
Moi, je vois l'homme pleurer !

Le 9 septembre 1836.
À Mme de P*.

Il est pour la pensée une heure... une heure sainte,
Alors que, s'enfuyant de la céleste enceinte,
De l'absence du jour pour consoler les cieux,
Le crépuscule aux monts prolonge ses adieux.
On voit à l'horizon sa lueur incertaine,
Comme les bords flottants d'une robe qui traîne,
Balayer lentement le firmament obscur,
Où les astres ternis revivent dans l'azur.
Alors ces globes d'or, ces îles de lumière,
Que cherche par instinct la rêveuse paupière,
Jaillissent par milliers de l'ombre qui s'enfuit
Comme une poudre d'or sur les pas de la nuit ;
Et le souffle du soir qui vole sur sa trace,
Les sème en tourbillons dans le brillant espace.
L'oeil ébloui les cherche et les perd à la fois ;
Les uns semblent planer sur les cimes des bois,
Tel qu'un céleste oiseau dont les rapides ailes
Font jaillir en s'ouvrant des gerbes d'étincelles.
D'autres en flots brillants s'étendent dans les airs,
Comme un rocher blanchi de l'écume des mers ;
Ceux-là, comme un coursier volant dans la carrière,
Déroulent à longs plis leur flottante crinière ;
Ceux-ci, sur l'horizon se penchant à demi,
Semblent des yeux ouverts sur le monde endormi,
Tandis qu'aux bords du ciel de légères étoiles
Voguent dans cet azur comme de blanches voiles
Qui, revenant au port, d'un rivage lointain,
Brillent sur l'Océan aux rayons du matin.

De ces astres brillants, son plus sublime ouvrage,
Dieu seul connaît le nombre, et la distance, et l'âge ;
Les uns, déjà vieillis, pâlissent à nos yeux,
D'autres se sont perdus dans les routes des cieux,
D'autres, comme des fleurs que son souffle caresse,
Lèvent un front riant de grâce et de jeunesse,
Et, charmant l'Orient de leurs fraîches clartés,
Etonnent tout à coup l'oeil qui les a comptés.
Dans la danse céleste ils s'élancent... et l'homme,
Ainsi qu'un nouveau-né, les salue, et les nomme.
Quel mortel enivré de leur chaste regard,
Laissant ses yeux flottants les fixer au hasard,
Et cherchant le plus pur parmi ce choeur suprême,
Ne l'a pas consacré du nom de ce qu'il aime ?
Moi-même... il en est un, solitaire, isolé,
Qui, dans mes longues nuits, m'a souvent consolé,
Et dont l'éclat, voilé des ombres du mystère,
Me rappelle un regard qui brillait sur la terre.
Peut-être ?... ah ! puisse-t-il au céleste séjour
Porter au moins ce nom que lui donna l'Amour !

Cependant la nuit marche, et sur l'abîme immense
Tous ces mondes flottants gravitent en silence,
Et nous-même, avec eux emportés dans leur cours
Vers un port inconnu nous avançons toujours !
Souvent, pendant la nuit, au souffle du zéphire,
On sent la terre aussi flotter comme un navire.
D'une écume brillante on voit les monts couverts
Fendre d'un cours égal le flot grondant des airs ;
Sur ces vagues d'azur où le globe se joue,
On entend l'aquilon se briser sous la proue,
Et du vent dans les mâts les tristes sifflements,
Et de ses flancs battus les sourds gémissements ;
Et l'homme sur l'abîme où sa demeure flotte
Vogue avec volupté sur la foi du pilote !
Soleils ! mondes flottants qui voguez avec nous,
Dites, s'il vous l'a dit, où donc allons-nous tous ?
Quel est le port céleste où son souffle nous guide ?
Quel terme assigna-t-il à notre vol rapide ?
Allons-nous sur des bords de silence et de deuil,
Echouant dans la nuit sur quelque vaste écueil,
Semer l'immensité des débris du naufrage ?
Ou, conduits par sa main sur un brillant rivage,
Et sur l'ancre éternelle à jamais affermis,
Dans un golfe du ciel aborder endormis ?

Vous qui nagez plus près de la céleste voûte,
Mondes étincelants, vous le savez sans doute !
Cet Océan plus pur, ce ciel où vous flottez,
Laisse arriver à vous de plus vives clartés ;
Plus brillantes que nous, vous savez davantage ;
Car de la vérité la lumière est l'image !
Oui : si j'en crois l'éclat dont vos orbes errants
Argentent des forêts les dômes transparents,
Qui glissant tout à coup sur des mers irritées,
Calme en les éclairant les vagues agitées ;
Si j'en crois ces rayons dont le sensible jour
Inspire la vertu, la prière, l'amour,
Et quand l'oeil attendri s'entrouvre à leur lumière,
Attirent une larme au bord de la paupière ;
Si j'en crois ces instincts, ces doux pressentiments
Qui dirigent vers nous les soupirs des amants,
Les yeux de la beauté, les rêves qu'on regrette,
Et le vol enflammé de l'aigle et du poète !
Tentes du ciel, Edens ! temples! brillants palais !
Vous êtes un séjour d'innocence et de paix !
Dans le calme des nuits, à travers la distance,
Vous en versez sur nous la lointaine influence !
Tout ce que nous cherchons, l'amour, la vérité,
Ces fruits tombés du ciel dont la terre a goûté,
Dans vos brillants climats que le regard envie
Nourrissent à jamais les enfants de la vie,
Et l'homme, un jour peut-être à ses destins rendu,
Retrouvera chez vous tout ce qu'il a perdu ?
Hélas ! combien de fois seul, veillant sur ces cimes
Où notre âme plus libre a des voeux plus sublimes,
Beaux astres ! fleurs du ciel dont le lis est jaloux,
J'ai murmuré tout bas : Que ne suis-je un de vous ?
Que ne puis-je, échappant à ce globe de boue,
Dans la sphère éclatante où mon regard se joue,
Jonchant d'un feu de plus le parvis du saint lieu,
Eclore tout à coup sous les pas de mon Dieu,
Ou briller sur le front de la beauté suprême,
Comme un pâle fleuron de son saint diadème ?

Dans le limpide azur de ces flots de cristal,
Me souvenant encor de mon globe natal,
Je viendrais chaque nuit, tardif et solitaire,
Sur les monts que j'aimais briller près de la terre ;
J'aimerais à glisser sous la nuit des rameaux,
A dormir sur les prés, à flotter sur les eaux ;
A percer doucement le voile d'un nuage,
Comme un regard d'amour que la pudeur ombrage :
Je visiterais l'homme ; et s'il est ici-bas
Un front pensif, des yeux qui ne se ferment pas,
Une âme en deuil, un coeur qu'un poids sublime oppresse,
Répandant devant Dieu sa pieuse tristesse ;
Un malheureux au jour dérobant ses douleurs
Et dans le sein des nuits laissant couler ses pleurs,
Un génie inquiet, une active pensée
Par un instinct trop fort dans l'infini lancée ;
Mon rayon pénétré d'une sainte amitié
Pour des maux trop connus prodiguant sa pitié,
Comme un secret d'amour versé dans un coeur tendre,
Sur ces fronts inclinés se plairait à descendre !
Ma lueur fraternelle en découlant sur eux
Dormirait sur leur sein, sourirait à leurs yeux :
Je leur révélerais dans la langue divine
Un mot du grand secret que le malheur devine ;
Je sécherais leurs pleurs ; et quand l'oeil du matin
Ferait pâlir mon disque à l'horizon lointain,
Mon rayon en quittant leur paupière attendrie
Leur laisserait encor la vague rêverie,
Et la paix et l'espoir ; et, lassés de gémir,
Au moins avant l'aurore ils pourraient s'endormir !

Et vous, brillantes soeurs! étoiles, mes compagnes,
Qui du bleu firmament émaillez les campagnes,
Et cadençant vos pas à la lyre des cieux,
Nouez et dénouez vos choeurs harmonieux !
Introduit sur vos pas dans la céleste chaîne,
Je suivrais dans l'azur l'instinct qui vous entraîne,
Vous guideriez mon oeil dans ce brillant désert,
Labyrinthe de feux où le regard se perd !
Vos rayons m'apprendraient à louer, à connaître
Celui que nous cherchons, que vous voyez peut-être !
Et noyant dans son sein mes tremblantes clartés,
Je sentirais en lui.., tout ce que vous sentez !
À Victor Hugo.

I

Andromaque, je pense à vous ! Ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit
L'immense majesté de vos douleurs de veuve,
Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,

A fécondé soudain ma mémoire fertile,
Comme je traversais le nouveau Carrousel.
Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville
Change plus vite, hélas ! que le coeur d'un mortel) ;

Je ne vois qu'en esprit, tout ce camp de baraques,
Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,
Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flaques,
Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus.

Là s'étalait jadis une ménagerie ;
Là je vis, un matin, à l'heure où sous les cieux
Froids et clairs le travail s'éveille, où la voirie
Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,

Un cygne qui s'était évadé de sa cage,
Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,
Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.
Près d'un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec

Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,
Et disait, le coeur plein de son beau lac natal :
" Eau, quand donc pleuvras-tu ? quand tonneras-tu, foudre ? "
Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,

Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,
Comme s'il adressait des reproches à Dieu !

II

Paris change ! mais rien dans ma mélancolie
N'a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.

Aussi devant ce Louvre une image m'opprime :
Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,
Comme les exilés, ridicule et sublime,
Et rongé d'un, désir sans trêve ! et puis à vous,

Andromaque, des bras d'un grand époux tombée,
Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Auprès d'un tombeau vide en extase courbée ;
Veuve d'Hector, hélas ! et femme d'Hélénus !

Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique,
Piétinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derrière la muraille immense du brouillard ;

A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais, jamais ! à ceux qui s'abreuvent de pleurs
Et tètent la douleur comme une bonne louve !
Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs !

Ainsi dans la forêt où mon esprit s'exile
Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor !
Je pense aux matelots oubliés dans une île,
Aux captifs, aux vaincus !... à bien d'autres encor !
À L. De V*.

Le feu divin qui nous consume
Ressemble à ces feux indiscrets
Qu'un pasteur imprudent allume
Aux bord de profondes forêts ;
Tant qu'aucun souffle ne l'éveille,
L'humble foyer couve et sommeille ;
Mais s'il respire l'aquilon,
Tout à coup la flamme engourdie
S'enfle, déborde ; et l'incendie
Embrase un immense horizon !

Ô mon âme, de quels rivages
Viendra ce souffle inattendu ?
Serait-ce un enfant des orages ?
Un soupir à peine entendu ?
Viendra-t-il, comme un doux zéphyre,
Mollement caresser ma lyre,
Ainsi qu'il caresse une fleur ?
Ou sous ses ailes frémissantes,
Briser ses cordes gémissantes
Du cri perçant de la douleur ?

Viens du couchant ou de l'aurore !
Doux ou terrible au gré du sort,
Le sein généreux qui t'implore
Brave la souffrance ou la mort !
Aux coeurs altérés d'harmonie
Qu'importe le prix du génie ?
Si c'est la mort, il faut mourir !...
On dit que la bouche d'Orphée,
Par les flots de l'Ebre étouffée,
Rendit un immortel soupir !

Mais soit qu'un mortel vive ou meurt,
Toujours rebelle à nos souhaits,
L'esprit ne souffle qu'à son heure,
Et ne se repose jamais !
Préparons-lui des lèvres pures,
Un oeil chaste, un front sans souillures,
Comme, aux approches du saint lieu,
Des enfants, des vierges voilées,
Jonchent de roses effeuillées
La route où va passer un Dieu !

Fuyant des bords qui l'ont vu naître,
De Jéthro l'antique berger
Un jour devant lui vit paraître
Un mystérieux étranger ;
Dans l'ombre, ses larges prunelles
Lançaient de pâles étincelles,
Ses pas ébranlaient le vallon ;
Le courroux gonflait sa poitrine,
Et le souffle de sa narine
Résonnait comme l'aquilon !

Dans un formidable silence
Ils se mesurent un moment ;
Soudain l'un sur l'autre s'élance,
Saisi d'un même emportement :
Leurs bras menaçants se replient,
Leurs fronts luttent, leurs membres crient,
Leurs flancs pressent leurs flancs pressés ;
Comme un chêne qu'on déracine
Leur tronc se balance et s'incline
Sur leurs genoux entrelacés !

Tous deux ils glissent dans la lutte,
Et Jacob enfin terrassé
Chancelle, tombe, et dans sa chute
Entraîne l'ange renversé :
Palpitant de crainte et de rage,
Soudain le pasteur se dégage
Des bras du combattant des cieux,
L'abat, le presse, le surmonte,
Et sur son sein gonflé de honte
Pose un genou victorieux !

Mais, sur le lutteur qu'il domine,
Jacob encor mal affermi,
Sent à son tour sur sa poitrine
Le poids du céleste ennemi !...
Enfin, depuis les heures sombres
Où le soir lutte avec les ombres,
Tantôt vaincu, tantôt vainqueur,
Contre ce rival qu'il ignore
Il combattit jusqu'à l'aurore...
Et c'était l'esprit du Seigneur !

Ainsi dans les ombres du doute
L'homme, hélas! égaré souvent,
Se trace à soi-même sa route,
Et veut voguer contre le vent ;
Mais dans cette lutte insensée,
Bientôt notre aile terrassée
Par le souffle qui la combat,
Sur la terre tombe essoufflée
Comme la voile désenflée
Qui tombe et dort le long du mât.

Attendons le souffle suprême ;
Dans un repos silencieux ;
Nous ne sommes rien de nous-même
Qu'un instrument mélodieux !
Quand le doigt d'en haut se retire,
Restons muets comme la lyre
Qui recueille ses saints transports
Jusqu'à ce que la main puissante
Touche la corde frémissante
Où dorment les divins accords !
Stu Harley Jul 2013
an hourglass break
her silence shield
that spiritual
dome of glass
thus weave
a sandstorm
that flows through
these mortel hands
not through temptation but
lean towards deliverence
that embrace the edge of time
G Dec 2018
Je ne retrouve pas
Ton humour délicieux
Le son de tes pas
Marchant depuis les cieux
Quand ton sourire appas
M'attrapait, astucieux.

Comme le piège du soleil
Éclairant les actes du jour
Ou butinent les abeilles
Sur les fleurs des alentours
Je m’émerveille
Comme au premier jour.

Les odeurs de la vie
Comme une primevère,
Encense mes envies,
Terre à terre.
Ou es-tu, Wifi?
Réveille tes ondes téméraires.

Une image apparaît
Virtuelle,
Plus que jamais
Irréelle,
J'accroche mon cœur comme Beyoncé,  
Au crochet d'un célèbre mortel.

Puis je renais !
Sans ombre,
Rien n'est neuf, mais tout me plait
Je vole dans les ondes
Du progrès
Qui explose sur mes écrans noirs de monde.

La solitude n'existe plus
Que dans les romans
Des écrivains déprimés et sans vertu
Peu importe qui est amant
Rien n’est conclu
Seul compte l’irremplaçable moment.

Paris, 9-28-2018
written in Paris, September 2018
À Ernest Christophe.

Fière, autant qu'un vivant, de sa noble stature,
Avec son gros bouquet, son mouchoir et ses gants,
Elle a la nonchalance et la désinvolture
D'une coquette maigre aux airs extravagants.

Vit-on jamais au bal une taille plus mince ?
Sa robe exagérée, en sa royale ampleur,
S'écroule abondamment sur un pied sec que pince
Un soulier pomponné, joli comme une fleur.

La ruche qui se joue au bord des clavicules,
Comme un ruisseau lascif qui se frotte au rocher,
Défend pudiquement des lazzi ridicules
Les funèbres appas qu'elle tient à cacher.

Ses yeux profonds sont faits de vide et de ténèbres,
Et son crâne, de fleurs artistement coiffé,
Oscille mollement sur ses frêles vertèbres.
Ô charme d'un néant follement attifé.

Aucuns t'appelleront une caricature,
Qui ne comprennent pas, amants ivres de chair,
L'élégance sans nom de l'humaine armature.
Tu réponds, grand squelette, à mon goût le plus cher !

Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace,
La fête de la Vie ? ou quelque vieux désir,
Éperonnant encor ta vivante carcasse,
Te pousse-t-il, crédule, au sabbat du Plaisir ?

Au chant des violons, aux flammes des bougies,
Espères-tu chasser ton cauchemar moqueur,
Et viens-tu demander au torrent des ******
De rafraîchir l'enfer allumé dans ton coeur ?

Inépuisable puits de sottise et de fautes !
De l'antique douleur éternel alambic !
A travers le treillis recourbé de tes côtes
Je vois, errant encor, l'insatiable aspic.

Pour dire vrai, je crains que ta coquetterie
Ne trouve pas un prix digne de ses efforts ;
Qui, de ces coeurs mortels, entend la raillerie ?
Les charmes de l'horreur n'enivrent que les forts !

Le gouffre de tes yeux, plein d'horribles pensées,
Exhale le vertige, et les danseurs prudents
Ne contempleront pas sans d'amères nausées
Le sourire éternel de tes trente-deux dents.

Pourtant, qui n'a serré dans ses bras un squelette,
Et qui ne s'est nourri des choses du tombeau ?
Qu'importe le parfum, l'habit ou la toilette ?
Qui fait le dégoûté montre qu'il se croit beau.

Bayadère sans nez, irrésistible gouge,
Dis donc à ces danseurs qui font les offusqués :
" Fiers mignons, malgré l'art des poudres et du rouge,
Vous sentez tous la mort ! Ô squelettes musqués,

Antinoüs flétris, dandys, à face glabre,
Cadavres vernissés, lovelaces chenus,
Le branle universel de la danse macabre
Vous entraîne en des lieux qui ne sont pas connus !

Des quais froids de la Seine aux bords brûlants du Gange,
Le troupeau mortel saute et se pâme, sans voir
Dans un trou du plafond la trompette de l'Ange
Sinistrement béante ainsi qu'un tromblon noir.

En tout climat, sous tout soleil, la Mort t'admire
En tes contorsions, risible Humanité,
Et souvent, comme toi, se parfumant de myrrhe,
Mêle son ironie à ton insanité ! "
SHAKESPEARE.
À lui la baguette magique
Le pouvoir de tout enchaîner ;
Il riva la Nature aux plis de sa tunique,
Et la Création a su le couronner.

MILTON.
Son esprit était un pactole
Dont les flots roulaient de l'or pur,
Un temple à la vertu dont la vaste coupole
Se perdait dans les cieux au milieu de l'azur.

THOMPSON.
Après le jour la nuit obscure,
Après les saisons les saisons,
Ses chants qui sont gravés au sein de la nature
Iront de l'avenir dorer les horizons.

GRAY.
D'un vol grandiose il s'élève,
La foudre il la brave de l'œil,
Le nuage orageux il le passe, puis s'enlève
Lumineuse trainée au sein de son orgueil.

BURNS.
De la lyre de sa patrie
Il fit vibrer les plus doux sons,
Et son âme de feu, céleste rêverie
Se fondit dans des flots d'admirables chansons.

SOUTHEY.
Où règne la nécromancie
Dans les pays orientaux,
Il aimait promener sa riche fantaisie,
Son esprit à cheval sur les vieux fabliaux.

COLERIDGE.
Par le charme de sa magie
Au clair de la lune le soir
Il évoquait le preux, et du preux la vigie,
La superstition, hôte du vieux manoir.

WORDSWORTH.
Au livre de philosophie
Il suspendit sa harpe un jour,
Là, placé près des lacs, il chante, il magnifie
Dans ses paisibles vers la nature et l'amour.

CAMPBELL.
Enfant gâté de la nature
L'art polit son vers enchanteur,
Il sut pincer sa lyre et gracieuse et pure,
Pour amuser l'esprit, et réchauffer le cœur.

SCOTT.
Il chante, et voyez ! là s'élance
Le Roman que l'on croyait mort,
Et la Chevalerie et la Dague et la Lance,
Sortent de l'Arsenal poussés par son ressort !

WILSON.
Son chant comme une hymne sacrée
S'infiltre de l'oreille au cœur ;
On croirait qu'il vous vient de la voûte éthérée
La voix d'un chérubin, d'un saint enfant de chœur.

HEMANS.
Elle ouvre la source des larmes
Et les fait doucement couler,
La pitié dans ses vers elle a les plus doux charmes
Et le lecteur ému s'y laisse affrioler.

SHELLEY.
Un rocher nu, bien solitaire
Au **** par de là l'océan,
Crévassé par le choc des volcans, du tonnerre,
Voilà quel fut Shelley, l'audacieux Titan !

HOGG.
Vêtu d'un rayon de lumière
Qu'il sut voler à l'arc-en-ciel,
Il voit fée et lutin danser dans la clairière,
Et faire le sabbat **** de tout œil mortel.

BYRON.
La tête ceinte de nuages,
Ses pieds étaient jonchés de fleurs,
L'ivresse et la gaité, le calme et les orages
Trouvent en ses beaux vers un écho dans les cœurs.

MOORE.
Couronné de vertes louanges
Et pour chaque œuvre tour à tour,
Moore dans les bosquets se plait avec les anges
À chanter les plaisirs de son Dieu... de l'Amour !
La Rochefoucauld dit, Madame,
Qu'on ne doit pas parler de soi,
Ni ?.. ni ?.. de ?.. de ?.. sa ?.. sa ?.. sa femme.
Alors, ma conduite est infâme,
Voyez, je ne fais que ça, moi.

Je me moque de sa maxime.
Comme un fœtus dans un bocal,
J'enferme mon « moi » dans ma rime,
Ce bon « moi » dont me fait un crime
Le sévère Blaise Pascal.

Or, ce ne serait rien encore,
On excuse un... maudit travers ;
Mais j'enferme Toi que j'adore
Sur l'autel que mon souffle dore
Au Temple bâti par mes vers ;

Sous les plafonds de mon Poème,
Sur mes tapis égyptiens,
Dans des flots d'encens, moi qui T'aime,
Je me couche auprès de Toi-même
Comme auprès du Sphinx des Anciens ;

Tel qu'un Faust prenant pour fétiche
L'un des coins brodés de tes bas,
Je Te suis dans chaque hémistiche
Où Tu bondis comme une biche,
La Biche-Femme des Sabbats ;

Comme pour la Sibylle à Cumes,
Mon quatrain Te sert de trépied,
Où, dans un vacarme d'enclumes,
Je m'abattrai, couvert d'écumes,
Pour baiser le bout de ton pied ;

À chaque endroit de la césure,
D'un bout de rythme à l'autre bout,
Tu règnes avec grâce et sûre
De remplir toute la mesure,
Assise, couchée, ou debout.

Eh, bien ! j'ai tort, je le confesse :
On doit, jaloux de sa maison,
N'en parler pas plus qu'à la messe ;
Maxime pleine de sagesse !
J'ai tort, sans doute... et j'ai raison.

Si ma raison est peu touchante,
C'est que mon tort n'est qu'apparent :
Je ne parle pas, moi, je chante ;
Comme aux jours d'Orphée ou du Dante,
Je chante, c'est bien différent.

Je ne parle pas, moi, Madame.
Vous voyez que je n'ai pas tort,
Je ne parle pas de ma femme,
Je la chante et je clame, clame,
Je clame haut, sans crier fort.

Je clame et vous chante à voix haute.
Qu'il plaise aux cœurs de m'épier,
Lequel pourra me prendre en faute ?
Je ne compte pas sans mon hôte,
J'écris « ne vends » sur ce papier.

J'écris à peine, je crayonne.
Je le répète encor plus haut,
Je chante et votre Âme rayonne.
Comme les lyres, je résonne,
Oui... d'après La Rochefoucauld.

Ah ! Monsieur !.. le duc que vous êtes,
Dont la France peut se vanter,
Fait très bien tout ce que vous faites ;
Il dit aux femmes des poètes :
« Libre aux vôtres de vous chanter !

Dès qu'il ne s'agit plus de prose,
Qu'il ne s'agit plus des humains,
Au Mont où croît le Laurier-Rose,
Qu'on chante l'une ou l'autre chose,
Pour moi, je m'en lave les mains. »

Donc, sans épater les usages,
Je ferai, Madame, sur Vous
Dix volumes de six cents pages,
Que je destine... pas aux sages,
Tous moins amoureux que les fous.

Pour terminer, une remarque,
(Si j'ose descendre à ce ton,
Madame), après, je me rembarque,
Et je vais relire Plutarque
Dans le quartier du Panthéon :

Sans la poésie et sa flamme,
(Que Vous avez, bien entendu)
Aucun mortel, je le proclame,
N'aurait jamais connu votre âme,
Rose duParadis Perdu ;

Oui, personne, dans les Deux-Mondes,
N'aurait jamais rien su de Toi.
Sans ces... marionnettes rondes,
Les Vers bruns et les Rimes blondes,
Mais, oui, Madame, excepté moi.
Eric Martin Dec 2019
The poisonous deadly floral rose
Just a flower on a stick in a sensual pose
There's a joyfulness power that only a true admirer (knows / will expose)
But soon they all see the pointlessness while its aroma hits their nose
Because with a swift ***** they die painfully contemplating as their final hour goes
Can you rhyme knows with nose?
L'année avait trois fois noué mon humble trame,
Et modelé ma forme en y broyant ses fleurs ,
Et trois fois de ma mère acquitté les douleurs,
Quand le Banc de la tienne éclata : ma jeune âme
Eut dès lors sa promise et l'attira toujours,
Toujours ; tant qu'à la fin elle entra dans mes jours.
Et lorsqu'à ton insu tu venais vers ma vie,
J'inventais par le monde un chemin jusqu'à toi ;
C'était **** ; mais l'étoile allait, cherchait pour moi,
Et me frayait la terre où tu m'avais suivie,
Ou tu me reconnus d'autre part ; oui, des cieux ;
Moi de même ; il restait tant de ciel dans tes jeux !

Mais le sais-tu ? trois fois le jour de la naissance
Baisa mon front limpide assoupi d'innocence,
Avant que ton étoile à toi, lente à venir,
Descendît marier notre double avenir.
Oh ! devions-nous ainsi naître absents de nous-mêmes !
Toi, tu ne le sais pas en ce moment ; tu m'aimes,
Je ne suis pas l'aînée. Encor vierge au bonheur,
J'avais un pur aimant pour attirer ton cœur ;
Car le mien, fleur tardive en soi-même exilée,
N'épanouit qu'à toi sa couronne voilée,
Cœur d'attente oppressé dans un tremblant séjour
Où ma mère enferma son nom de femme : Amour.

Comme le rossignol qui meurt de mélodie
Souffle sur son enfant sa tendre maladie,
Morte d'aimer, ma mère, à son regard d'adieu,
Me raconta son âme et me souffla son Dieu.
Triste de me quitter, cette mère charmante,
Me léguant à regret la flamme qui tourmente,
Jeune, à son jeune enfant tendit longtemps sa main,
Comme pour le sauver par le même chemin.
Et je restai longtemps, longtemps, sans la comprendre,
Et longtemps à pleurer son secret sans l'apprendre,
A pleurer de sa mort le mystère inconnu,
Le portant tout scellé dans mon cœur ingénu,
Ce cœur signé d'amour comme sa tendre proie,
Où pas un chant mortel n'éveillait une joie.
On eût dit, à sentir ses faibles battements,
Une montre cachée où s'arrêtait le temps ;
On eût dit qu'à plaisir il se retint de vivre.
Comme un enfant dormeur qui n'ouvre pas son livre,
Je ne voulais rien lire à mon sort, j'attendais ;
Et tous les jours levés sur moi, je les perdais.
Par ma ceinture noire à la terre arrêtée,
Ma mère était partie et tout m'avait quittée :
Le monde était trop grand, trop défait, trop désert ;
Une voix seule éteinte en changeait le concert :
Je voulais me sauver de ses dures contraintes,
J'avais peur de ses lois, de ses morts, de ses craintes,
Et ne sachant où fuir ses échos durs et froids,
Je me prenais tout haut à chanter mes effrois !

Mais quand tu dis : « Je viens ! » quelle cloche de fête
Fit bondir le sommeil attardé sur ma tête ;
Quelle rapide étreinte attacha notre sort,
Pour entre-ailer nos jours d'un fraternel essor !
Ma vie, elle avait froid, s'alluma dans la tienne,
Et ma vie a brillé, comme on voit au soleil
Se dresser une fleur sans que rien la soutienne,
Rien qu'un baiser de l'air, rien qu'un rayon vermeil...
Aussi, dès qu'en entier ton âme m'eut saisie,
Tu fus ma piété ! Mon ciel ! Ma poésie !
Aussi, sans te parler, je te nomme souvent
Mon frère devant Dieu ! Mon âme ! Ou mon enfant !
Tu ne sauras jamais, comme je sais moi-même,
A quelle profondeur je t'atteins et je t'aime !
Tu serais par la mort arraché de mes vœux,
Que pour te ressaisir mon âme aurait des yeux,
Des lueurs, des accents, des larmes, des prières,
Qui forceraient la mort à rouvrir tes paupières !
Je sais de quels frissons ta mère a dû frémir
Sur tes sommeils d'enfant : moi, je t'ai vu dormir :
Tous ses effrois charmants ont tremblé dans mon âme ;
Tu dis vrai, tu dis vrai ; je ne suis qu'une femme ;
Je ne sais qu'inventer pour te faire un bonheur ;
Une surprise à voir s'émerveiller ton cœur !

Toi, ne sois pas jaloux ! Quand tu me vois penchée,
Quand tu me vois me taire, et te craindre et souffrir,
C'est que l'amour m'accable. Oh ! Si j'en dois mourir,
Attends : je veux savoir si, quand tu m'as cherchée,
Tu t'es dit : « Voici l'âme où j'attache mon sort
Et que j'épouserai dans la vie ou la mort. »
Oh ! Je veux le savoir. Oh ! L'as-tu dit ? ... pardonne !
On est étrange, on veut échanger ce qu'on donne.
Ainsi, pour m'acquitter de ton regard à toi,
Je voudrais être un monde et te dire : « Prends-moi ! »
Née avant toi... douleur ! Tu le verrais peut-être,
Si je vivais trop ****. Ne le fais point paraître,
Ne dis pas que l'amour sait compter, trompe-moi :
Je m'en ressouviendrai pour mourir avant toi !
Homme dont la tristesse est écrite d'un bout
Du monde à l'autre, et même aux murs de la campagne,
Forçat de l'hôpital et malade du bagne ;

Dormeur maussade, à qui chaque aube dit : « Debout ! »
Voyageur douloureux qu'attend la Mort, auberge
Où l'on vend le lit dur et les pleurs blancs du cierge,

Tu gémis, étonné de te sentir si las ;
Puis un jour tu te dis : « L'âme est un vain bagage,
Et mon cœur est bien lourd pour un pareil voyage ! »

Et, sans songer que Dieu te donne ses lilas,
Tu veux jeter ton cœur, tu veux jeter ton âme,
Pour alléger ta marche et mieux porter la Femme ;

Par ta route et ses ponts fiers de leur parapet,
Compagnon de l'orgueil, fils des froides études,
Tu vas vers le malheur et vers les solitudes.

Tout plein des arguments dont l'esprit se repaît,
Tu fais, pour savourer ta gloire monotone,
Taire ta conscience à l'heure où le ciel tonne.

Si pourtant à ce prix tu manges à ta faim,
Si tu dors calme, au creux de l'oreiller facile,
Ecoute ta science et reste-lui docile ;

Si ta libre raison, la plus forte à la fin,
Respire au coup mortel porté par elle au doute,
Pareil au Juif errant, homme, poursuis ta route.

Sois content sans ton âme, et joyeux sans ton cœur,
Sois ton corps tyran ni que et sois ta bête fauve,
Fais tes traits durs et froids, fais ton iront vaste et chauve !

Mais si ton fruit superbe engraisse un ver vainqueur,
Si tu bâilles, les soirs larmoyants, sous ta lampe,
Tâche de réfléchir, pose un doigt sur ta tempe.

Si tu n'as toujours pas trouvé sur ton chemin,
Qu'assourdit la rumeur des sabres et des chaînes
Repos pour tes amours et cesse pour tes haines ;

Si ton bâton usé tâtonne dans ta main,
Pauvre aveugle tremblant qui portes une sourde,
La Femme, chaque jour plus énorme et plus lourde ;

Si Tentant ancien sommeille encore en toi,
Gardant le souvenir de la faute première,
Dis : « J'ai le dos tourné peut-être à la Lumière » ;

Dis : « J'étais un esclave et croyais être un Roi ! »
Pour t'en aller gaiement, frère des hirondelles,
Reprends ton cœur, reprends ton âme, ces deux ailes ;

Et grâce à ce fardeau redevenu léger,
Emporte alors l'enfant, mère, sœur ou compagne,
Comme l'ange en ses bras emporte la montagne ;

Enivre-toi du long plaisir de voyager ;
Que ta faim soit paisible et que ta soif soit pure,
Bois à tout cœur ouvert, mange à toute âme mûre !
À Lord Byron.

Toi, dont le monde encore ignore le vrai nom,
Esprit mystérieux, mortel, ange, ou démon,
Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal génie,
J'aime de tes concerts la sauvage harmonie,
Comme j'aime le bruit de la foudre et des vents
Se mêlant dans l'orage à la voix des torrents !
La nuit est ton séjour, l'horreur est ton domaine :
L'aigle, roi des déserts, dédaigne ainsi la plaine
Il ne veut, comme toi, que des rocs escarpés
Que l'hiver a blanchis, que la foudre a frappés ;
Des rivages couverts des débris du naufrage,
Ou des champs tout noircis des restes du carnage.
Ode
(Au Révérend Père Delidel de la Compagnie de
Jésus, sur son traité de la Théologie des Saints.)

Toi qui nous apprends de la Grâce
Quelle est la force et la douceur,
Comme elle descend dans un cœur,
Comme elle agit, comme elle passe,
Docte Ecrivain, dont l'œil perçant,
Va jusqu'au sein du Tout-puissant
Pénétrer ce profond abîme,
Que les hommes te vont devoir !
Et que le prix en est ineffable et sublime,
De ces biens que par-là tu mets en leur pouvoir !

Oui, tant que durera ta course,
Tu peux, mortel, à pleines mains ;
Puiser des bonheurs souverains
En cette inépuisable source.
Un guide si bien éclairé,
Te conduit d'un pas assuré
Au vivant Soleil qui l'éclaire ;
Suis, mais avec zèle, avec foi,
Suis, dis-je, tu verras tout ce qu'il te faut faire,
Et si tu ne le fais, il ne tiendra qu'à toi.

Tu pèches, mais un Dieu pardonne,
Et pour mériter ce pardon,
II te sait ce précieux don,
II n'en est avare à personne.
Reçois avec humilité,
Conserve avec fidélité,
Ce grand appui de ta faiblesse.
Avec lui ton vouloir peut tout,
Sans lui tu n'es qu'ordure, impuissance, bassesse,
Fais-en un bon usage, et la gloire est au bout.

C'en est la digne récompense ;
Mais aussi, tu le dois savoir,
Cet usage est en ton pouvoir,
II dépend de ta vigilance :
Tu peux t'endormir, t'arrêter,
Tu peux même le rejeter
Ce don, sans qui ta perte est sûre,
Et n'en tireras aucun fruit,
Si tu défères plus aux sens, à la nature ;
Qu'aux mouvement sacrés qu'en ton âme il produit.

J'en connaît par toi l'efficace,
Savant et pieux Ecrivain,
Qui jadis de ta propre main
M'as élevé sur le Parnasse ;
C'était trop peu pour ta bonté
Que ma jeunesse eût profité
Des leçons que tu m'as données ;  
Tu portes plus **** ton amour,
Et tu veux qu'aujourd'hui mes dernières années
De tes instructions profitent à leur tour.

Je suis ton disciple, et peut-être
Que l'heureux éclat de mes vers
Éblouit assez l'univers,
Pour faire peu de honte au Maître.
Par une plus sainte leçon
Tu m'apprends de quelle façon
Au vice on doit faire la guerre.
Puissé-je en user encore mieux,
Et comme je te dois ma gloire sur la terre !
Puissé-je te devoir un jour celle des cieux !
À M. A. de V*.

Arrêtons-nous sur la colline
A l'heure où, partageant les jours,
L'astre du matin qui décline
Semble précipiter son cours !
En avançant dans sa carrière,
Plus faible il rejette en arrière
L'ombre terrestre qui le suit,
Et de l'horizon qu'il colore
Une moitié le voit encore,
C'est l'heure où, sous l'ombre inclinée,
Le laboureur dans le vallon
Suspend un moment sa journée,
Et s'assied au bord du sillon !
C'est l'heure où, près de la fontaine,
Le voyageur reprend haleine
Après sa course du matin
Et c'est l'heure où l'âme qui pense
Qui l'abandonne en son chemin !

Ainsi notre étoile pâlie,
Jetant de mourantes lueurs
Sur le midi de notre vie,
De notre rapide existence
L'ombre de la mort qui s'avance
Obscurcit déjà la moitié !
Et, près de ce terme funeste,
Comme à l'aurore, il ne nous reste
Que l'espérance et l'amitié !

Ami qu'un même jour vit naître,
Compagnon depuis le berceau,
Et qu'un même jour doit peut-être
Endormir au même tombeau !
Voici la borne qui partage

Qu'un même sort nous a tracé !
De ce sommet qui nous rassemble,
Viens, jetons un regard ensemble
Sur l'avenir et le passé !

Repassons nos jours, si tu l'oses !
Jamais l'espoir des matelots
Le navire qu'on lance aux flots ?
Jamais d'une teinte plus belle
L'aube en riant colora-t-elle
Le front rayonnant du matin ?
Jamais, d'un oeil perçant d'audace,
L'aigle embrassa-t-il plus d'espace
Que nous en ouvrait le destin ?

En vain sur la route fatale,
Dont les cyprès tracent le bord,
Quelques tombeaux par intervalle
Nous avertissaient de la mort !
Ces monuments mélancoliques
Nous semblaient, comme aux jours antiques,
Un vain ornement du chemin !
Nous nous asseyions sous leur ombre,
Et nous rêvions des jours sans nombre,
Hélas ! entre hier et demain !

Combien de fois, près du rivage
Où Nisida dort sur les mers,
La beauté crédule ou volage
Accourut à nos doux concerts !
Combien de fois la barque errante
Berça sur l'onde transparente
Deux couples par l'Amour conduits !
Tandis qu'une déesse amie
Jetait sur la vague endormie
Le voile parfumé des nuits !

Combien de fois, dans le délire
Qui succédait à nos festins,
Aux sons antiques de la lyre,
J'évoquai des songes divins !
Aux parfums des roses mourantes,
Aux vapeurs des coupes fumantes,
Ils volaient à nous tour à tour !
Et sur leurs ailes nuancées,
Dans les dédales de l'Amour !

Mais dans leur insensible pente,
Les jours qui succédaient aux jours
Entraînaient comme une eau courante
Et nos songes et nos amours ;
Pareil à la fleur fugitive
Qui du front joyeux d'un convive
Tombe avant l'heure du festin,
Ce bonheur que l'ivresse cueille,
De nos fronts tombant feuille à feuille,

Et maintenant, sur cet espace
Que nos pas ont déjà quitté,
Retourne-toi ! cherchons la trace
De l'amour, de la volupté !
En foulant leurs rives fanées,
Remontons le cours des années,
Tandis qu'un souvenir glacé,
Comme l'astre adouci des ombres,
Eclaire encor de teintes sombres
La scène vide du passé !

Ici, sur la scène du monde,
Se leva ton premier soleil !
Regarde ! quelle nuit profonde
A remplacé ce jour vermeil !
Tout sous les cieux semblait sourire,
La feuille, l'onde, le zéphire
Murmuraient des accords charmants !
Ecoute ! la feuille est flétrie !
Et les vents sur l'onde tarie
Rendent de sourds gémissements !

Cette mer aux flots argentés,
Qui ne fait que bercer l'image
Des bords dans son sein répétés ?
Un nom chéri vole sur l'onde !...
Mais pas une voix qui réponde,
Que le flot grondant sur l'écueil !
Malheureux ! quel nom tu prononces !
Ne vois-tu pas parmi ces ronces
Ce nom gravé sur un cercueil ?...

Plus **** sur la rive où s'épanche
Vois-tu ce palais qui se penche
Et jette une ombre au sein des eaux ?
Là, sous une forme étrangère,
Un ange exilé de sa sphère
D'un céleste amour t'enflamma !
Pourquoi trembler ? quel bruit t'étonne ?
Ce n'est qu'une ombre qui frissonne
Aux pas du mortel qu'elle aima !

Hélas ! partout où tu repasses,
C'est le deuil, le vide ou la mort,
Et rien n'a germé sur nos traces
Que la douleur ou le remord !
Voilà ce coeur où ta tendresse
Sema des fruits que ta vieillesse,
Hélas ! ne recueillera pas :
Là, l'oubli perdit ta mémoire !
Là, l'envie étouffa ta gloire !
Là, ta vertu fit des ingrats !

Là, l'illusion éclipsée
S'enfuit sous un nuage obscur !
Ici, l'espérance lassée
Replia ses ailes d'azur !
Là, sous la douleur qui le glace,
Ton sourire perdit sa grâce,
Ta voix oublia ses concerts !
Tes sens épuisés se plaignirent,
Et tes blonds cheveux se teignirent
Au souffle argenté des hivers !

Ainsi des rives étrangères,
Quand l'homme, à l'insu des tyrans,
Vers la demeure de ses pères
Porte en secret ses pas errants,
L'ivraie a couvert ses collines,
Son toit sacré pend en ruines,
Dans ses jardins l'onde a tari ;
Et sur le seuil qui fut sa joie,
Dans l'ombre un chien féroce aboie
Contre les mains qui l'ont nourri !

Mais ces sens qui s'appesantissent
Et du temps subissent la loi,
Ces yeux, ce coeur qui se ternissent,
Cette ombre enfin, ce n'est pas toi !
Sans regret, au flot des années,
Livre ces dépouilles fanées
Qu'enlève le souffle des jours,
La feuille aride et vagabonde
Que l'onde entraîne dans son cours !

Ce n'est plus le temps de sourire
A ces roses de peu de jours !
De mêler aux sons de la lyre
Les tendres soupirs des amours !
De semer sur des fonds stériles
Ces voeux, ces projets inutiles,
Par les vents du ciel emportés,
A qui le temps qui nous dévore
Ne donne pas l'heure d'éclore
Pendant nos rapides étés !

Levons les yeux vers la colline
Où luit l'étoile du matin !
Saluons la splendeur divine
Qui se lève dans le lointain !
Cette clarté pure et féconde
Aux yeux de l'âme éclaire un monde
Où la foi monte sans effort !
D'un saint espoir ton coeur palpite ;
Ami ! pour y voler plus vite,
Prenons les ailes de la mort !

En vain, dans ce désert aride,
Sous nos pas tout s'est effacé !
Viens ! où l'éternité réside,
On retrouve jusqu'au passé !
Là, sont nos rêves pleins de charmes,
Et nos adieux trempés de larmes,
Nos voeux et nos espoirs perdus !
Là, refleuriront nos jeunesses ;
Et les objets de nos tristesses
A nos regrets seront rendus !

Ainsi, quand les vents de l'automne
Ont balayé l'ombre des bois,
L'hirondelle agile abandonne
Le faîte du palais des rois !
Suivant le soleil dans sa course,
Elle remonte vers la source
D'où l'astre nous répand les jours ;
Et sur ses pas retrouve encore
Un autre ciel, une autre aurore,
Un autre nid pour ses amours !

Ce roi, dont la sainte tristesse
Immortalisa les douleurs,
Vit ainsi sa verte jeunesse
Se renouveler sous ses pleurs !
Sa harpe, à l'ombre de la tombe,
Soupirait comme la colombe
Sous les verts cyprès du Carmel !
Et son coeur, qu'une lampe éclaire,
Résonnait comme un sanctuaire
Où retentit l'hymne éternel !
Amour, tu es trop fort, trop foible est ma Raison
Pour soustenir le camp d'un si rude adversaire.
Va, badine Raison, tu te laisses desfaire :
Dez le premier assaut on te meine en prison.


Je veux, pour secourir mon chef demy-grison,
Non la Philosophie ou les Loix : au contraire
Je veux ce deux fois nay, ce Thebain, ce Bon-pere,
Lequel me servira d'une contrepoison.


Il ne faut qu'un mortel un immortel assaille.
Mais si je prens un jour cest Indien pour moy,
Amour, tant sois tu fort, tu perdras la bataille,


Ayant ensemble un homme et un Dieu contre toy.
La Raison contre Amour ne peut chose qui vaille :
Il faut contre un grand Prince opposer un grand Roy.
À M. Louis Boulanger.

Away ! - Away ! -
(En avant ! En avant !)
BYRON, Mazeppa.


I.

Ainsi, quand Mazeppa, qui rugit et qui pleure,
A vu ses bras, ses pieds, ses flancs qu'un sabre effleure,
Tous ses membres liés
Sur un fougueux cheval, nourri d'herbes marines,
Qui fume, et fait jaillir le feu de ses narines
Et le feu de ses pieds ;

Quand il s'est dans ses nœuds roulé comme un reptile,
Qu'il a bien réjoui de sa rage inutile
Ses bourreaux tout joyeux,
Et qu'il retombe enfin sur la croupe farouche,
La sueur sur le front, l'écume dans la bouche,
Et du sang dans les yeux,

Un cri part ; et soudain voilà que par la plaine
Et l'homme et le cheval, emportés, hors d'haleine,
Sur les sables mouvants,
Seuls, emplissant de bruit un tourbillon de poudre
Pareil au nuage noir où serpente la foudre,
Volent avec les vents !

Ils vont. Dans les vallons comme un orage ils passent,
Comme ces ouragans qui dans les monts s'entassent,
Comme un globe de feu ;
Puis déjà ne sont plus qu'un point noir dans la brume,
Puis s'effacent dans l'air comme un flocon d'écume
Au vaste océan bleu.

Ils vont. L'espace est grand. Dans le désert immense,
Dans l'horizon sans fin qui toujours recommence,
Ils se plongent tous deux.
Leur course comme un vol les emporte, et grands chênes,
Villes et tours, monts noirs liés en longues chaînes,
Tout chancelle autour d'eux.

Et si l'infortuné, dont la tête se brise,
Se débat, le cheval, qui devance la brise,
D'un bond plus effrayé,
S'enfonce au désert vaste, aride, infranchissable,
Qui devant eux s'étend, avec ses plis de sable,
Comme un manteau rayé.

Tout vacille et se peint de couleurs inconnues :
Il voit courir les bois, courir les larges nues,
Le vieux donjon détruit,
Les monts dont un rayon baigne les intervalles ;
Il voit ; et des troupeaux de fumantes cavales
Le suivent à grand bruit !

Et le ciel, où déjà les pas du soir s'allongent,
Avec ses océans de nuages où plongent
Des nuages encor,
Et son soleil qui fend leurs vagues de sa proue,
Sur son front ébloui tourne comme une roue
De marbre aux veines d'or !

Son oeil s'égare et luit, sa chevelure traîne,
Sa tête pend ; son sang rougit la jaune arène,
Les buissons épineux ;
Sur ses membres gonflés la corde se replie,
Et comme un long serpent resserre et multiplie
Sa morsure et ses nœuds.

Le cheval, qui ne sent ni le mors ni la selle,
Toujours fuit, et toujours son sang coule et ruisselle,
Sa chair tombe en lambeaux ;
Hélas ! voici déjà qu'aux cavales ardentes
Qui le suivaient, dressant leurs crinières pendantes,
Succèdent les corbeaux !

Les corbeaux, le grand-duc à l'oeil rond, qui s'effraie,
L'aigle effaré des champs de bataille, et l'orfraie,
Monstre au jour inconnu,
Les obliques hiboux, et le grand vautour fauve
Qui fouille au flanc des morts où son col rouge et chauve
Plonge comme un bras nu !

Tous viennent élargir la funèbre volée ;
Tous quittent pour le suivre et l'yeuse isolée,
Et les nids du manoir.
Lui, sanglant, éperdu, sourd à leurs cris de joie,
Demande en les voyant qui donc là-haut déploie
Ce grand éventail noir.

La nuit descend lugubre, et sans robe étoilée.
L'essaim s'acharne, et suit, tel qu'une meute ailée,
Le voyageur fumant.
Entre le ciel et lui, comme un tourbillon sombre
Il les voit, puis les perd, et les entend dans l'ombre
Voler confusément.

Enfin, après trois jours d'une course insensée,
Après avoir franchi fleuves à l'eau glacée,
Steppes, forêts, déserts,
Le cheval tombe aux cris de mille oiseaux de proie,
Et son ongle de fer sur la pierre qu'il broie
Éteint ses quatre éclairs.

Voilà l'infortuné, gisant, nu, misérable,
Tout tacheté de sang, plus rouge que l'érable
Dans la saison des fleurs.
Le nuage d'oiseaux sur lui tourne et s'arrête ;
Maint bec ardent aspire à ronger dans sa tête
Ses yeux brûlés de pleurs.

Eh bien ! ce condamné qui hurle et qui se traîne,
Ce cadavre vivant, les tribus de l'Ukraine
Le feront prince un jour.
Un jour, semant les champs de morts sans sépultures,
Il dédommagera par de larges pâtures
L'orfraie et le vautour.

Sa sauvage grandeur naîtra de son supplice.
Un jour, des vieux hetmans il ceindra la pelisse,
Grand à l'oeil ébloui ;
Et quand il passera, ces peuples de la tente,
Prosternés, enverront la fanfare éclatante
Bondir autour de lui !

II.

Ainsi, lorsqu'un mortel, sur qui son dieu s'étale,
S'est vu lier vivant sur ta croupe fatale,
Génie, ardent coursier,
En vain il lutte, hélas ! tu bondis, tu l'emportes
Hors du monde réel dont tu brises les portes
Avec tes pieds d'acier !

Tu franchis avec lui déserts, cimes chenues
Des vieux monts, et les mers, et, par delà les nues,
De sombres régions ;
Et mille impurs esprits que ta course réveille
Autour du voyageur, insolente merveille,
Pressent leurs légions !

Il traverse d'un vol, sur tes ailes de flamme,
Tous les champs du possible, et les mondes de l'âme ;
Boit au fleuve éternel ;
Dans la nuit orageuse ou la nuit étoilée,
Sa chevelure, aux crins des comètes mêlée,
Flamboie au front du ciel.

Les six lunes d'Herschel, l'anneau du vieux Saturne,
Le pôle, arrondissant une aurore nocturne
Sur son front boréal,
Il voit tout ; et pour lui ton vol, que rien ne lasse,
De ce monde sans borne à chaque instant déplace
L'horizon idéal.

Qui peut savoir, hormis les démons et les anges,
Ce qu'il souffre à te suivre, et quels éclairs étranges
À ses yeux reluiront,
Comme il sera brûlé d'ardentes étincelles,
Hélas ! et dans la nuit combien de froides ailes
Viendront battre son front ?

Il crie épouvanté, tu poursuis implacable.
Pâle, épuisé, béant, sous ton vol qui l'accable
Il ploie avec effroi ;
Chaque pas que tu fais semble creuser sa tombe.
Enfin le terme arrive... il court, il vole, il tombe,
Et se relève roi !

Mai 1828.
I.

« Oh ! disaient les peuples du monde,
Les derniers temps sont-ils venus ?
Nos pas, dans une nuit profonde,
Suivent des chemins inconnus.
Où va-t-on ? dans la nuit perfide,
Quel est ce fanal qui nous guide,
Tous courbés sous un bras de fer ?
Est-il propice ? est-il funeste ?
Est-ce la colonne céleste ?
Est-ce une flamme de l'enfer ?

« Les tribus des chefs se divisent ;
Les troupeaux chassent les pasteurs ;
Et les sceptres des rois se brisent
Devant les faisceaux des préteurs.
Les trônes tombent ; l'auteur croule ;
Les factions naissent en foule
Sur les bords des deux Océans ;
Et les ambitions serviles,
Qui dormaient comme des reptiles,
Se lèvent comme des géants.

« Ah ! malheur ! nous avons fait gloire,
Hélas ! d'attentats inouïs,
Tels qu'en cherche en vain la mémoire
Dans les siècles évanouis.
Malheur ! tous nos forfaits l'appellent,
Tous les signes nous le révèlent,
Le jour des arrêts solennels.
L'homme est digne enfin des abîmes ;
Et rien ne manque à ses longs crimes
Que les châtiments éternels. »

Le Très-Haut a pris leur défense,
Lorsqu'ils craignaient son abandon ;
L'homme peut épuiser l'offense,
Dieu n'épuise pas le pardon.
Il mène au repentir l'impie ;
Lui-même, pour nous, il expie
L'oubli des lois qu'il nous donna ;
Pour lui seul il reste sévère ;
C'est la victime du Calvaire
Qui fléchit le Dieu du Sina !

II.

Par un autre berceau sa main nous sauve encore.
Le monde du bonheur n'ose entrevoir l'aurore,
Quoique Dieu des méchants ait puni les défis,
Et, troublant leurs conseils, dispersant leurs phalanges,
Nous ait donné l'un de ses anges,
Comme aux antiques jours il nous donna son Fils.

Tel, lorsqu'il sort vivant du gouffre de ténèbres,
Le prophète voit fuir les visions funèbres ;
La terre est sous ses pas, le jour luit à ses yeux ;
Mais lui, tout ébloui de la flamme éternelle,
Longtemps à sa vue infidèle
La lueur de l'enfer voile l'éclat des cieux.

Peuples, ne doutez pas ! chantez votre victoire.
Un sauveur naît, vêtu de puissance et de gloire ;
Il réunit le glaive et le sceptre en faisceau ;
Des leçons du malheur naîtront nos jours prospères,
Car de soixante rois, ses pères,
Les ombres sans cercueils veillent sur son berceau.

Son nom seul a calmé nos tempêtes civiles ;
Ainsi qu'un bouclier il a ouvert les villes ;
La révolte et la haine ont déserté nos murs.
Tel du jeune lion, qui lui-même s'ignore,
Le premier cri, paisible encore,
Fait de l'antre royal fuir cent monstres impurs.

III.

Quel est cet enfant débile
Qu'on porte aux sacrés parvis ?
Toute une foule immobile
Le suit de ses yeux ravis ;
Son front est nu, ses mains tremblent,
Ses pieds, que des nœuds rassemblent,
N'ont point commencé de pas ;
La faiblesse encore l'enchaîne ;
Son regard ne voit qu'à peine
Et sa voix ne parle pas.

C'est un roi parmi les hommes ;
En entrant dans le saint lieu,
Il devient ce que nous sommes : -
C'est un homme aux pieds de Dieu.
Cet enfant est notre joie ;
Dieu pour sauveur nous l'envoie ;
Sa loi l'abaisse aujourd'hui.
Les rois, qu'arme son tonnerre,
Sont tout par lui sur la terre,
Et ne sont rien devant lui !

Que tout tremble et s'humilie.
L'orgueil mortel parle en vain ;
Le lion royal se plie
Au joug de l'agneau divin.
Le Père, entouré d'étoiles,
Vers l'Enfant, faible et sans voiles,
Descend, sur les vents porté ;
L'Esprit-Saint de feux l'inonde ;
Il n'est encor né qu'au monde,
Qu'il naisse à l'éternité !

Maire, aux rayons modeste,
Heureuse et priant toujours,
Guide les vierges célestes
Vers son vieux temple aux deux tours,
Toutes les saintes armées,
Parmi les soleils semées,
Suivent son char triomphant ;
La Charité les devance,
La Foi brille, et l'Espérance
S'assied près de l'humble Enfant !

IV.

Jourdain ! te souvient-il de ce qu'ont vu tes rives ?
Naguère un pèlerin près de tes eaux captives
Vint s'asseoir et pleura, pareil en sa ferveur
À ces preux qui jadis, terrible et saint cortège,
Ravirent au joug sacrilège
Ton onde baptismale et le tombeau sauveur.

Ce chrétien avait pu, dans la France usurpée,
Trône, autel, chartes, lois, tomber sous une épée,
Les vertus sans honneur, les forfaits impunis ;
Et lui, des vieux croisés cherchait l'ombre sublime,
Et, s'exilant près de Solime,
Aux lieux ou Dieu mourut pleurait ses rois bannis.

L'eau du saint fleuve emplit sa gourde voyageuse ;
Il partit ; il revit notre rive orageuse,
Ignorant quel bonheur attendait son retour,
Et qu'à l'enfant des rois, du fond de l'Arabie,
Il apportait, nouveau Tobie,
Le remède divin qui rend l'aveugle au jour.

Qu'il soit fier dans ses flots, le fleuve des prophètes !
Peuples, l'eau du salut est présente à nos fêtes ;
Le ciel sur cet enfant a placé sa faveur ;
Qu'il reçoive les eaux que reçut Dieu lui-même ;
Et qu'à l'onde de son baptême,
Le monde rassuré reconnaisse un sauveur.

À vous, comme à Clovis, prince, Dieu se révèle.
Soyez du temple saint la colonne nouvelle.
Votre âme en vain du lys efface la blancheur ;
Quittez l'orgueil du rang, l'orgueil de l'innocence ;
Dieu vous offre, dans sa puissance,
La piscine du pauvre et la croix du pécheur.

V.

L'enfant, quand du Seigneur sur lui brille l'aurore,
Ignore le martyre et sourit à la croix ;
Mais un autre baptême, hélas ! attend encore
Le front infortuné des rois. -
Des jours viendront, jeune homme, où ton âme troublée,
Du fardeau d'un peuple accablée
Frémira d'un effroi pieux,
Quand l'évêque sur toi répandra l'huile austère,
Formidable présent qu'aux maîtres de la terre
La colombe apporta des cieux.

Alors, ô roi chrétien ! au Seigneur sois semblable ;
Sache être grand par toi, comme il est grand par lui ;
Car le sceptre devient un fardeau redoutable
Dès qu'on veut s'en faire un appui.
Un vrai roi sur sa tête unit toutes les gloires ;
Et si, dans ses justes victoires,
Par la mort il est arrêté,
Il voit, comme Bayard, une croix dans son glaive,
Et ne fait, quand le ciel à la terre l'enlève,
Que changer d'immortalité !

À LA MUSE.

Je vais, ô Muse ! où tu m'envoies ;
Je ne sais que verser des pleurs ;
Mais qu'il soit fidèle à leurs joies,
Ce luth fidèle à leurs douleurs !
Ma voix, dans leur récente histoire,
N'a point, sur des tons de victoire,
Appris à louer le Seigneur.
Ô roi, victimes couronnées !
Lorsqu'on chante vos destinées,
On sait mal chanter le bonheur.

Mai 1821.
Ô vous, qui passez comme l'ombre
Par ce triste vallon des pleurs,
Passagers sur ce globe sombre,
Hommes! mes frères en douleurs,
Ecoutez : voici vers Solime
Un son de la harpe sublime
Qui charmait l'écho du Thabor :
Sion en frémit sous sa cendre,
Et le vieux palmier croit entendre
La voix du vieillard de Ségor !

Insensé le mortel qui pense !
Toute pensée est une erreur.
Vivez, et mourez en silence ;
Car la parole est au Seigneur !
Il sait pourquoi flottent les mondes ;
Il sait pourquoi coulent les ondes,
Pourquoi les cieux pendent sur nous,
Pourquoi le jour brille et s'efface,
Pourquoi l'homme soupire et passe :
Et vous, mortels, que savez-vous ?

Asseyez-vous près des fontaines,
Tandis qu'agitant les rameaux,
Du midi les tièdes haleines
Font flotter l'ombre sur les eaux :
Au doux murmure de leurs ondes
Exprimez vos grappes fécondes
Où rougit l'heureuse liqueur ;
Et de main en main sous vos treilles
Passez-vous ces coupes vermeilles
Pleines de l'ivresse du coeur.

Ainsi qu'on choisit une rose
Dans les guirlandes de Sârons,
Choisissez une vierge éclose
Parmi les lis de vos vallons !
Enivrez-vous de son haleine ;
Ecartez ses tresses d'ébène,
Goûtez les fruits de sa beauté.
Vivez, aimez, c'est la sagesse :
Hors le plaisir et la tendresse,
Tout est mensonge et vanité !

Comme un lis penché par la pluie
Courbe ses rameaux éplorés,
Si la main du Seigneur vous plie,
Baissez votre tête, et pleurez.
Une larme à ses pieds versée
Luit plus que la perle enchâssée
Dans son tabernacle immortel ;
Et le coeur blessé qui soupire
Rend un son plus doux que la lyre
Sous les colonnes de l'autel !

Les astres roulent en silence
Sans savoir les routes des cieux ;
Le Jourdain vers l'abîme immense
Poursuit son cours mystérieux ;
L'aquilon, d'une aile rapide,
Sans savoir où l'instinct le guide,
S'élance et court sur vos sillons ;
Les feuilles que l'hiver entasse,
Sans savoir où le vent les chasse,
Volent en pâles tourbillons !

Et vous, pourquoi d'un soin stérile
Empoisonner vos jours bornés ?
Le jour présent vaut mieux que mille
Des siècles qui ne sont pas nés.
Passez, passez, ombres légères,
Allez où sont allés vos pères,
Dormir auprès de vos aïeux.
De ce lit où la mort sommeille,
On dit qu'un jour elle s'éveille
Comme l'aurore dans les cieux !
D'hommes tu nous fais dieux.
RÉGNIER.


Oh ! que ne suis-je un de ces hommes
Qui, géants d'un siècle effacé,
Jusque dans le siècle où nous sommes
Règnent du fond de leur passé !
Que ne suis-je, prince ou poète,
De ces mortels à haute tête,
D'un monde à la fois base et faîte,
Que leur temps ne peut contenir ;
Qui, dans le calme ou dans l'orage,
Qu'on les adore ou les outrage,
Devançant le pas de leur âge,
Marchent un pied dans l'avenir !

Que ne suis-je une de ces flammes,
Un de ces pôles glorieux,
Vers qui penchent toutes les âmes,
Sur qui se fixent tous les yeux !
De ces hommes dont les statues,
Du flot des temps toujours battues,
D'un tel signe sont revêtues
Que, si le hasard les abat,
S'il les détrône de leur sphère,
Du bronze auguste on ne peut faire
Que des cloches pour la prière
Ou des canons pour le combat !

Que n'ai-je un de ces fronts sublimes,
David ! Mon corps, fait pour souffrir,
Du moins sous tes mains magnanimes
Renaîtrait pour ne plus mourir !
Du haut du temple ou du théâtre,
Colosse de bronze ou d'albâtre,
Salué d'un peuple idolâtre,
Je surgirais sur la cité,
Comme un géant en sentinelle,
Couvrant la ville de mon aile,
Dans quelque attitude éternelle
De génie et de majesté !

Car c'est toi, lorsqu'un héros tombe,
Qui le relèves souverain !
Toi qui le scelles sur sa tombe
Qu'il foule avec des pieds d'airain !
Rival de Rome et de Ferrare,
Tu pétris pour le mortel rare
Ou le marbre froid de Carrare,
Ou le métal qui fume et bout.
Le grand homme au tombeau s'apaise
Quand ta main, à qui rien ne pèse,
Hors du bloc ou de la fournaise
Le jette vivant et debout !

Sans toi peut-être sa mémoire
Pâlirait d'un oubli fatal ;
Mais c'est toi qui sculptes sa gloire
Visible sur un piédestal.
Ce fanal, perdu pour le monde,
Feu rampant dans la nuit profonde,
S'éteindrait, sans montrer sur l'onde
Ni les écueils ni le chemin.
C'est ton souffle qui le ranime ;
C'est toi qui, sur le sombre abîme,
Dresses le colosse sublime
Qui prend le phare dans sa main.

Lorsqu'à tes yeux une pensée
Sous les traits d'un grand homme a lui,
Tu la fais marbre, elle est fixée,
Et les peuples disent : C'est lui !
Mais avant d'être pour la foule,
Longtemps dans ta tête elle roule
Comme une flamboyante houle
Au fond du volcan souterrain ;
**** du grand jour qui la réclame
Tu las fais bouillir dans ton âme :
Ainsi de ses langues de flamme
Le feu saisit l'urne d'airain.

Va ! que nos villes soient remplies
De tes colosses radieux !
Qu'à jamais tu te multiplies
Dans un peuple de demi-dieux !
Fais de nos cités des Corinthes !
Oh ! ta pensée a des étreintes
Dont l'airain garde les empreintes,
Dont le granit s'enorgueillit !
Honneur au sol que ton pied foule !
Un métal dans tes veines coule ;
Ta tête ardente est un grand moule
D'où l'idée en bronze jaillit !

Bonaparte eût voulu renaître
De marbre et géant sous ta main ;
Cromwell, son aïeul et son maître,
T'eût livré son front surhumain ;
Ton bras eût sculpté pour l'Espagne
Charles-Quint ; pour nous, Charlemagne,
Un pied sur l'hydre d'Allemagne,
L'autre sur Rome aux sept coteaux ;
Au sépulcre prêt à descendre,
César t'eût confié sa cendre,
Et c'est toi qu'eût pris Alexandre
Pour lui tailler le mont Athos !

Juillet 1829.
Les Chinois voient l'heure dans l'œil des chats.

Un jour un missionnaire, se promenant dans la banlieue de Nankin, s'aperçut qu'il avait oublié sa montre, et demanda à un petit garçon quelle heure il était.

Le gamin du céleste Empire hésita d'abord ; puis, se ravisant, il répondit : « Je vais vous le dire ». Peu d'instants après, il reparut, tenant dans ses bras un fort gros chat, et le regardant, comme on dit, dans le blanc des yeux, il affirma sans hésiter : « Il n'est pas encore tout à fait midi. » Ce qui était vrai.

Pour moi, si je me penche vers la belle Féline, la si bien nommée, qui est à la fois l'honneur de son sexe, l'orgueil de mon cœur et le parfum de mon esprit, que ce soit la nuit, que ce soit le jour, dans la pleine lumière ou dans l'ombre opaque, au fond de ses yeux adorables je vois toujours l'heure distinctement, toujours la même, une heure vaste, solennelle, grande comme l'espace, sans divisions de minutes ni de secondes, - une heure immobile qui n'est pas marquée sur les horloges, et cependant légère comme un soupir, rapide comme un coup d'œil.

Et si quelque importun venait me déranger pendant que mon regard repose sur ce délicieux cadran, si quelque Génie malhonnête et intolérant, quelque Démon du contre-temps venait me dire : « Que regardes-tu là avec tant de soin ? Que cherches-tu dans les yeux de cet être ? Y vois-tu l'heure, mortel prodigue et fainéant ? » je répondrais sans hésiter : « Oui, je vois l'heure ; il est l'Éternité ! »

N'est-ce pas, madame, que voici un madrigal vraiment méritoire, et aussi emphatique que vous-même ? En vérité, j'ai eu tant de plaisir à broder cette prétentieuse galanterie, que je ne vous demanderai rien en échange.
Il est pour tout mortel, soit que, **** de l'envie,
Un astre aux rayons purs illumine sa vie ;
Soit qu'il suive à pas lents un cercle de douleurs,
Et, regrettant quelque ombre à son amour ravie,
Veille auprès de sa lampe, et répande des pleurs ;

Il est des jours de paix, d'ivresse et de mystère,
Où notre cœur savoure un charme involontaire,
Où l'air vibre, animé d'ineffables accords,
Comme si l'âme heureuse entendait de la terre
Le bruit vague et lointain de la cité des morts.

Souvent ici, domptant mes douleurs étouffées,
Mon bonheur s'éleva comme un château de fées,
Avec ses murs de nacre, aux mobiles couleurs,
Ses tours, ses portes d'or, ses pièges, ses trophées,
Et ses fruits merveilleux, et ses magiques fleurs.

Puis soudain tout fuyait : sur d'informes décombres
Tout à tour à mes yeux passaient de pâles ombres ;
D'un crêpe nébuleux le ciel était voilé ;
Et, de spectres en deuil peuplant ces déserts sombres,
Un tombeau dominait le palais écroulé.

Vallon ! j'ai bien souvent laissé dans ta prairie,
Comme une eau murmurante, errer ma rêverie ;
Je n'oublierai jamais ces fugitifs instants ;
Ton souvenir sera, dans mon âme attendrie,
Comme un son triste et doux qu'on écoute longtemps !

1823.
À François Coppée


Don Juan qui fut grand Seigneur en ce monde

Est aux enfers ainsi qu'un pauvre immonde

Pauvre, sans la barbe faite, et pouilleux,

Et si n'étaient la lueur de ses yeux

Et la beauté de sa maigre figure,

En le voyant ainsi quiconque jure

Qu'il est un gueux et non ce héros fier

Aux dames comme au poète si cher

Et dont l'auteur de ces humbles chroniques

Vous va parler sur des faits authentiques.


Il a son front dans ses mains et paraît

Penser beaucoup à quelque grand secret.


Il marche à pas douloureux sur la neige :

Car c'est son châtiment que rien n'allège

D'habiter seul et vêtu de léger

**** de tout lieu où fleurit l'oranger

Et de mener ses tristes promenades

Sous un ciel veuf de toutes sérénades

Et qu'une lune morte éclaire assez

Pour expier tous ses soleils passés.

Il songe. Dieu peut gagner, car le Diable

S'est vu réduire à l'état pitoyable

De tourmenteur et de geôlier gagé

Pour être las trop tôt, et trop âgé.

Du Révolté de jadis il ne reste

Plus qu'un bourreau qu'on paie et qu'on moleste

Si bien qu'enfin la cause de l'Enfer

S'en va tombant comme un fleuve à la mer,

Au sein de l'alliance primitive.

Il ne faut pas que cette honte arrive.


Mais lui, don Juan, n'est pas mort, et se sent

Le coeur vif comme un coeur d'adolescent

Et dans sa tête une jeune pensée

Couve et nourrit une force amassée ;

S'il est damné c'est qu'il le voulut bien,

Il avait tout pour être un bon chrétien,

La foi, l'ardeur au ciel, et le baptême,

Et ce désir de volupté lui-même,

Mais s'étant découvert meilleur que Dieu,

Il résolut de se mettre en son lieu.

À cet effet, pour asservir les âmes

Il rendit siens d'abord les cœurs des femmes.

Toutes pour lui laissèrent là Jésus,

Et son orgueil jaloux monta dessus

Comme un vainqueur foule un champ de bataille.

Seule la mort pouvait être à sa taille.

Il l'insulta, la défit. C'est alors

Qu'il vint à Dieu, lui parla face à face

Sans qu'un instant hésitât son audace.

Le défiant, Lui, son Fils et ses saints !

L'affreux combat ! Très calme et les reins ceints

D'impiété cynique et de blasphème,

Ayant volé son verbe à Jésus même,

Il voyagea, funeste pèlerin,

Prêchant en chaire et chantant au lutrin,

Et le torrent amer de sa doctrine,

Parallèle à la parole divine,

Troublait la paix des simples et noyait

Toute croyance et, grossi, s'enfuyait.


Il enseignait : « Juste, prends patience.

Ton heure est proche. Et mets ta confiance

En ton bon coeur. Sois vigilant pourtant,

Et ton salut en sera sûr d'autant.

Femmes, aimez vos maris et les vôtres

Sans cependant abandonner les autres...

L'amour est un dans tous et tous dans un,

Afin qu'alors que tombe le soir brun

L'ange des nuits n'abrite sous ses ailes

Que cœurs mi-clos dans la paix fraternelle. »


Au mendiant errant dans la forêt

Il ne donnait un sol que s'il jurait.

Il ajoutait : « De ce que l'on invoque

Le nom de Dieu, celui-ci s'en choque,

Bien au contraire, et tout est pour le mieux.

Tiens, prends, et bois à ma santé, bon vieux. »

Puis il disait : « Celui-là prévarique

Qui de sa chair faisant une bourrique

La subordonne au soin de son salut

Et lui désigne un trop servile but.

La chair est sainte ! Il faut qu'on la vénère.

C'est notre fille, enfants, et notre mère,

Et c'est la fleur du jardin d'ici-bas !

Malheur à ceux qui ne l'adorent pas !

Car, non contents de renier leur être,

Ils s'en vont reniant le divin maître,

Jésus fait chair qui mourut sur la croix,

Jésus fait chair qui de sa douce voix

Ouvrait le coeur de la Samaritaine,

Jésus fait chair qu'aima la Madeleine ! »


À ce blasphème effroyable, voilà

Que le ciel de ténèbres se voila.

Et que la mer entrechoqua les îles.

On vit errer des formes dans les villes

Les mains des morts sortirent des cercueils,

Ce ne fut plus que terreurs et que deuils

Et Dieu voulant venger l'injure affreuse

Prit sa foudre en sa droite furieuse

Et maudissant don Juan, lui jeta bas

Son corps mortel, mais son âme, non pas !

Non pas son âme, on l'allait voir ! Et pâle

De male joie et d'audace infernale,

Le grand damné, royal sous ses haillons,

Promène autour son œil plein de rayons,

Et crie : « À moi l'Enfer ! ô vous qui fûtes

Par moi guidés en vos sublimes chutes,

Disciples de don Juan, reconnaissez

Ici la voix qui vous a redressés.-

Satan est mort, Dieu mourra dans la fête,

Aux armes pour la suprême conquête !


Apprêtez-vous, vieillards et nouveau-nés,

C'est le grand jour pour le tour des damnés. »

Il dit. L'écho frémit et va répandre

L'appel altier, et don Juan croit entendre

Un grand frémissement de tous côtés.

Ses ordres sont à coup sûr écoutés :

Le bruit s'accroît des clameurs de victoire,

Disant son nom et racontant sa gloire.

« À nous deux, Dieu stupide, maintenant ! »

Et don Juan a foulé d'un pied tonnant


Le sol qui tremble et la neige glacée

Qui semble fondre au feu de sa pensée...

Mais le voilà qui devient glace aussi

Et dans son coeur horriblement transi

Le sang s'arrête, et son geste se fige.

Il est statue, il est glace. Ô prodige

Vengeur du Commandeur assassiné !

Tout bruit s'éteint et l'Enfer réfréné

Rentre à jamais dans ses mornes cellules.

« Ô les rodomontades ridicules »,


Dit du dehors Quelqu'un qui ricanait,

« Contes prévus ! farces que l'on connaît !

Morgue espagnole et fougue italienne !

Don Juan, faut-il afin qu'il t'en souvienne,

Que ce vieux Diable, encore que radoteur,

Ainsi te prenne en délit de candeur ?

Il est écrit de ne tenter... personne

L'Enfer ni ne se prend ni ne se donne.

Mais avant tout, ami, retiens ce point :

On est le Diable, on ne le devient point. »
Ainsi, quand l'aigle du tonnerre
Enlevait Ganymède aux cieux,
L'enfant, s'attachant à la terre,
Luttait contre l'oiseau des dieux ;
Mais entre ses serres rapides
L'aigle pressant ses flancs timides,
L'arrachait aux champs paternels ;
Et, sourd à la voix qui l'implore,
Il le jetait, tremblant encore,
Jusques aux pieds des immortels.

Ainsi quand tu fonds sur mon âme,
Enthousiasme, aigle vainqueur,
Au bruit de tes ailes de flamme
Je frémis d'une sainte horreur ;
Je me débats sous ta puissance,
Je fuis, je crains que ta présence
N'anéantisse un coeur mortel,
Comme un feu que la foudre allume,
Qui ne s'éteint plus, et consume
Le bûcher, le temple et l'autel.

Mais à l'essor de la pensée
L'instinct des sens s'oppose en vain ;
Sous le dieu, mon âme oppressée
Bondit, s'élance, et bat mon sein.
La foudre en mes veines circule
Etonné du feu qui me brûle.
Je l'irrite en le combattant,
Et la lave de mon génie
Déborde en torrents d'harmonie,
Et me consume en s'échappant.

Muse, contemple ta victime !
Ce n'est plus ce front inspiré,
Ce n'est plus ce regard sublime
Qui lançait un rayon sacré :
Sous ta dévorante influence,
A peine un reste d'existence
A ma jeunesse est échappé.
Mon front, que la pâleur efface,
Ne conserve plus que la trace
De la foudre qui m'a frappé.

Heureux le poète insensible !
Son luth n'est point baigné de pleurs,
Son enthousiasme paisible
N'a point ces tragiques fureurs.
De sa veine féconde et pure
Coulent, avec nombre et mesure,
Des ruisseaux de lait et de miel ;
Et ce pusillanime Icare,
Trahi par l'aile de Pindare,
Ne retombe jamais du ciel.

Mais nous, pour embraser les âmes,
Il faut brûler, il faut ravir
Au ciel jaloux ses triples flammes.
Pour tout peindre, il faut tout sentir.
Foyers brûlants de la lumière,
Nos coeurs de la nature entière
Doivent concentrer les rayons ;
Et l'on accuse notre vie !
Mais ce flambeau qu'on nous envie
S'allume au feu des passions.

Non, jamais un sein pacifique
N'enfanta ces divins élans,
Ni ce désordre sympathique
Qui soumet le monde à nos chants.
Non, non, quand l'Apollon d'Homère
Pour lancer ses traits sur la terre,
Descendait des sommets d'Eryx,
Volant aux rives infernales,
Il trempait ses armes fatales
Dans les eaux bouillantes du Styx.

Descendez de l'auguste cime
Qu'indignent de lâches transports !
Ce n'est que d'un luth magnanime
Que partent les divins accords.
Le coeur des enfants de la lyre
Ressemble au marbre qui soupire
Sur le sépulcre de Memnon ;
Pour lui donner la voix et l'âme,
Il faut que de sa chaste flamme
L'oeil du jour lui lance un rayon.

Et tu veux qu'éveillant encore
Des feux sous la cendre couverts
Mon reste d'âme s'évapore
En accents perdus dans les airs !
La gloire est le rêve d'une ombre ;
Elle a trop retranché le nombre
Des jours qu'elle devait charmer.
Tu veux que je lui sacrifie
Ce dernier souffle de ma vie !
Je veux le garder pour aimer !
Clair de lune sentimental.

A travers la folle risée
Que Saint-Marc renvoie au Lido,
Une gamme monte en fusée,
Comme au clair de lune un jet d'eau...

A l'air qui jase d'un ton bouffe
Et secoue au vent ses grelots,
Un regret, ramier qu'on étouffe,
Par instant mêle ses sanglots.

Au ****, dans la brume sonore,
Comme un rêve presque effacé,
J'ai revu, pâle et triste encore,
Mon vieil amour de l'an passé.

Mon âme en pleurs s'est souvenue
De l'avril, où, guettant au bois
La violette à sa venue,
Sous l'herbe nous mêlions nos doigts...

Cette note de chanterelle,
Vibrant comme l'harmonica,
C'est la voix enfantine et grêle,
Flèche d'argent qui me piqua.

Le son en est si faux, si tendre,
Si moqueur, si doux, si cruel,
Si froid, si brûlant, qu'à l'entendre
On ressent un plaisir mortel,

Et que mon coeur, comme la voûte
Dont l'eau pleure dans un bassin,
Laisse tomber goutte par goutte
Ses larmes rouges dans mon sein.

Jovial et mélancolique,
Ah ! vieux thème du carnaval,
Où le rire aux larmes réplique,
Que ton charme m'a fait de mal !
Mourir sans vider mon carquois !
Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange
Ces bourreaux barbouilleurs de lois !...  
André Chénier, Lambes.


« Le vent chasse **** des campagnes
Le gland tombé des rameaux verts ;
Chêne, il le bat sur les montagnes ;
Esquif, il le bat sur les mers.
Jeune homme, ainsi le sort nous presse.
Ne joins pas, dans ta folle ivresse,
Les maux du monde à tes malheurs ;
Gardons, coupables et victimes,
Nos remords pour nos propres crimes,
Nos pleurs pour nos propres douleurs ! »

Quoi ! mes chants sont-ils téméraires ?  
Faut-il donc, en ces jours d'effroi,  
Rester sourd aux cris de ses frères ?  
Ne souffrir jamais que pour soi ?
Non, le poète sur la terre
Console, exilé volontaire,
Les tristes humains dans leurs fers ;
Parmi les peuples en délire,
Il s'élance, armé de sa lyre,
Comme Orphée au sein des enfers !

« Orphée aux peines éternelles
Vint un moment ravir les morts ;
Toi, sur les têtes criminelles,
Tu chantes l'hymne du remords.
Insensé ! quel orgueil t'entraîne ?
De quel droit viens-tu dans l'arène
Juger sans avoir combattu ?
Censeur échappé de l'enfance,
Laisse vieillir ton innocence,
Avant de croire à ta vertu ! »

Quand le crime, Python livide,
Brave, impuni, le frein des lois,
La Muse devient I'Euménide :
Apollon saisit son carquois !
Je cède au Dieu qui me rassure ;
J'ignore à ma vie encor pure
Quels maux le sort veut attacher ;
Je suis sans orgueil mon étoile ;
L'orage déchire la voile :
La voile sauve le nocher.

« Les hommes vont aux précipices !
Tes chants ne les sauveront pas.
Avec eux, **** des cieux propices,
Pourquoi donc égarer tes pas
Peux-tu, dès tes jeunes années,
Sans briser d'autres destinées,
Rompre la chaîne de tes jours ?
Épargne ta vie éphémère ;
Jeune homme, n'as-tu pas de mère ?
Poète, n'as-tu pas d'amours ? »

Eh bien ! à mes terrestres flammes,
Si je meurs, les cieux vont s'ouvrir.
L'amour chaste agrandit les âmes,
Et qui sait aimer sait mourir.
Le poète, en des temps de crime,
Fidèle aux justes qu'on opprime,
Célèbre, imite les héros ;
Il a, jaloux de leur martyre,
Pour les victimes une lyre,
Une tète pour les bourreaux !

« On dit que jadis le Poète,
Chantant des jours encor lointains,
Savait à la terre inquiète
Révéler ses futurs destins.
Mais toi, que peux-tu pour le monde
Tu partages sa nuit profonde :
Le ciel se voile et veut punir ;
Les lyres n'ont plus de prophète,
Et la Muse, aveugle et muette,
Ne sait plus rien de l'avenir ! »

Le mortel qu'un Dieu même anime
Marche à l'avenir, plein d'ardeur ;
C'est en s'élançant dans l'abîme
Qu'il en sonde la profondeur.
Il se prépare au sacrifice ;
Il sait que le bonheur du vice
Par l'innocent est expié ;
Prophète à son jour mortuaire,
La prison est son sanctuaire,
Et l'échafaud est son trépied !

« Que n'es-tu né sur les rivages
Des Abbas et des Cosroës,
Aux rayons d'un ciel sans nuages,
Parmi le myrte et l'aloës !
Là, sourd aux maux que tu déplores,
Le poète voit ses aurores
Se lever sans trouble et sans pleurs ;
Et la colombe, chère aux sages,
Porte aux vierges ses doux messages
Où l'amour parle avec des fleurs ! »

Qu'un autre au céleste martyre
Préfère un repos sans honneur !
La gloire est le but où j'aspire ;
On n'y va point par le bonheur.
L'alcyon, quand l'Océan gronde,
Craint que les vents ne troublent l'onde
Où se berce son doux sommeil ;
Mais pour l'aiglon, fils des orages,
Ce n'est qu'à travers les nuages
Qu'il prend son vol vers le soleil !

Mars 1821.
Je te regarde à travers le glory hole de ton texte
Et comme je suis voyant extra-lucide
Je te lis comme si je t'avais moi-même écrite
Mot par mot
Lettre par lettre
Signe par signe
Tu m'avoues tous tes fantasmes inavouables
Les mille fantasmes inavouables
Qui te traversent la chair.
Je suis le majordome intime de ton confessional
Et tu me confesses tout tout tout
Tout tout
Tout et son contraire
Agenouillée sur l'autel de la cuisine
Pour pouvoir communier, excitée comme une puce vierge,
À ma soupe aux poissons,
À mes pieds de porc à la mode de Caen
Et à ma caille aux raisins
Tu me confesses ton désir de mariage à ma sainte Trinité
Ce piment mortel
Et tu réclames la fraise consacrée
Le vin de messe bio sans sulphites
Et tu m'implores d'être le témoin
De tes énièmes noces en quatre jours
Pour le meilleur et pour le pire
Le vingt-six du joli mois des plaisirs.
Tu me demandes conseil pour les préparatifs :
La robe de mariée, les dragées, les deux cents invités
Le traiteur, l'orchestre, la jarretière
Tu passes tout en *****
Du faire-part
Jusqu'à la petite lune de miel
Jusqu'à ce que la petite rigor mortis nous sépare.
Et moi je te suggère de me prendre Comme réalisateur pour épicer le film En panoramique de tes fantasmes.
Libre à toi d'en être la script-girl,
La monteuse, la scénariste ou
projectionniste
En plus d'être l'actrice principale,
Je me réserverai tout juste une apparition en cameo
Te servant en morceau de bravoure,
En longs travellings avant et arrière
À fleuret moucheté, ton fantasme inavouable.
Quand une lueur pâle à l'orient se lève,
Quand la porte du jour, vague et pareille au rêve,
Commence à s'entr'ouvrir et blanchit à l'horizon,
Comme l'espoir blanchit le seuil d'une prison,
Se réveiller, c'est bien, et travailler, c'est juste.
Quand le matin à Dieu chante son hymne auguste,
Le travail, saint tribut dû par l'homme mortel,
Est la strophe sacrée au pied du sombre autel ;
Le soc murmure un psaume ; et c'est un chant sublime
Qui, dès l'aurore, au fond des forêts, sur l'abîme,
Au bruit de la cognée, au choc des avirons,
Sort des durs matelots et des noirs bûcherons.

Mais, au milieu des nuits, s'éveiller ! quel mystère !
Songer, sinistre et seul, quand tout dort sur la terre !
Quand pas un œil vivant ne veille, pas un feu ;
Quand les sept chevaux d'or du grand chariot bleu
Rentrent à l'écurie et descendent au pôle,
Se sentir dans son lit soudain toucher l'épaule
Par quelqu'un d'inconnu qui dit : Allons ! c'est moi !
Travaillons ! - La chair gronde et demande pourquoi.
- Je dors. Je suis très-las de la course dernière ;
Ma paupière est encor du somme prisonnière ;
Maître mystérieux, grâce ! que me veux-tu ?
Certes, il faut que tu sois un démon bien têtu
De venir m'éveiller toujours quand tout repose !
Aie un peu de raison. Il est encor nuit close ;
Regarde, j'ouvre l'oeil puisque cela te plaît ;
Pas la moindre lueur aux fentes du volet ;
Va-t'en ! je dors, j'ai chaud, je rêve de ma maîtresse.
Elle faisait flotter sur moi sa longue tresse,
D'où pleuvaient sur mon front des astres et des fleurs.
Va-t'en, tu reviendras demain, au jour, ailleurs.
Je te tourne le dos, je ne veux pas ! décampe !
Ne pose pas ton doigt de braise sur ma tempe.
La biche illusion me mangeait dans le creux
De la main ; tu l'as fait enfuir. J'étais heureux,
Je ronflais comme un bœuf ; laisse-moi. C'est stupide.
Ciel ! déjà ma pensée, inquiète et rapide,
Fil sans bout, se dévide et tourne à ton fuseau.
Tu m'apportes un vers, étrange et fauve oiseau
Que tu viens de saisir dans les pâles nuées.
Je n'en veux pas. Le vent, des ses tristes huées,
Emplit l'antre des cieux ; les souffles, noirs dragons,
Passent en secouant ma porte sur ses gonds.
- Paix là ! va-t'en, bourreau ! quant au vers, je le lâche.
Je veux toute la nuit dormir comme un vieux lâche ;
Voyons, ménage un peu ton pauvre compagnon.
Je suis las, je suis mort, laisse-moi dormir !

- Non !
Est-ce que je dors, moi ? dit l'idée implacable.
Penseur, subis ta loi ; forçat, tire ton câble.
Quoi ! cette bête a goût au vil foin du sommeil !
L'orient est pour moi toujours clair et vermeil.
Que m'importe le corps ! qu'il marche, souffre et meure !
Horrible esclave, allons, travaille ! c'est mon heure.

Et l'ange étreint Jacob, et l'âme tient le corps ;
Nul moyen de lutter ; et tout revient alors,
Le drame commencé dont l'ébauche frissonne,
Ruy-Blas, Marion, Job, Sylva, son cor qui sonne,
Ou le roman pleurant avec des yeux humains,
Ou l'ode qui s'enfonce en deux profonds chemins,
Dans l'azur près d'Horace et dans l'ombre avec Dante :
Il faut dans ces labeurs rentrer la tête ardente ;
Dans ces grands horizons subitement rouverts,
Il faut de strophe en strophe, il faut de vers en vers,
S'en aller devant soi, pensif, ivre de l'ombre ;
Il faut, rêveur nocturne en proie à l'esprit sombre,
Gravir le dur sentier de l'inspiration ;
Poursuivre la lointaine et blanche vision,
Traverser, effaré, les clairières désertes,
Le champ plein de tombeaux, les eaux, les herbes vertes,
Et franchir la forêt, le torrent, le hallier,
Noir cheval galopant sous le noir cavalier.

1843, nuit.
Yung-Frau, le voyageur qui pourrait sur ta tête
S'arrêter, et poser le pied sur sa conquête,
Sentirait en son coeur un noble battement,
Quand son âme, au penchant de ta neige éternelle,
Pareille au jeune aiglon qui passe et lui tend l'aile,
Glisserait et fuirait sous le clair firmament.

Yung-Frau, je sais un coeur qui, comme toi, se cache.
Revêtu, comme toi, d'une robe sans tache,
Il est plus près de Dieu que tu ne l'es du ciel.
Ne t'étonne donc point, ô montagne sublime,
Si la première fois que j'en ai vu la cime,
J'ai cru le lieu trop haut pour être d'un mortel.

— The End —