Submit your work, meet writers and drop the ads. Become a member
I.

Canaris ! Canaris ! pleure ! cent vingt vaisseaux !
Pleure ! Une flotte entière ! - Où donc, démon des eaux,
Où donc était ta main hardie ?
Se peut-il que sans toi l'ottoman succombât ?
Pleure ! comme Crillon exilé d'un combat,
Tu manquais à cet incendie !

Jusqu'ici, quand parfois la vague de tes mers
Soudain s'ensanglantait, comme un lac des enfers,
D'une lueur large et profonde,
Si quelque lourd navire éclatait à nos yeux
Couronné tout à coup d'une aigrette de feux,
Comme un volcan s'ouvrant dans l'onde ;

Si la lame roulait turbans, sabres courbés,
Voiles, tentes, croissants des mâts rompus tombés,
Vestiges de flotte et d'armée,
Pelisses de vizirs, sayons de matelots,
Rebuts stigmatisés de la flamme et des flots,
Blancs d'écume et noirs de fumée ;

Si partait de ces mers d'Egine ou d'Iolchos
Un bruit d'explosion, tonnant dans mille échos
Et roulant au **** dans l'espace,
L'Europe se tournait vers le rougo Orient ;
Et, sur la poupe assis, le nocher souriant
Disait : - C'est Canaris qui passe !

Jusqu'ici quand brûlaient au sein des flots fumants
Les capitans-pachas avec leurs armements,
Leur flotte dans l'ombre engourdie,
On te reconnaissait à ce terrible jeu ;
Ton brûlot expliquant tous ces vaisseaux en feu ;
Ta torche éclairait l'incendie !

Mais pleure aujourd'hui, pleure, on s'est battu sans toi !
Pourquoi, sans Canaris, sur ces flottes, pourquoi
Porter la guerre et ses tempêtes ?
Du Dieu qui garde Hellé n'est-il plus le bras droit ?
On aurait dû l'attendre ! Et n'est-il pas de droit
Convive de toutes ces fêtes ?

II.

Console-toi ! la Grèce est libre.
Entre les bourreaux, les mourants,
L'Europe a remis l'équilibre ;
Console-toi ! plus de tyrans !
La France combat : le sort change.
Souffre que sa main qui vous venge
Du moins te dérobe en échange
Une feuille de ton laurier.
Grèces de Byron et d'Homère,
Toi, notre sœur, toi, notre mère,
Chantez ! si votre voix amère
Ne s'est pas éteinte à crier.

Pauvre Grèce, qu'elle était belle,
Pour être couchée au tombeau !
Chaque vizir de la rebelle
S'arrachait un sacré lambeau.
Où la fable mit ses ménades,
Où l'amour eut ses sérénades,
Grondaient les sombres canonnades
Sapant les temps du vrai Dieu ;
Le ciel de cette terre aimée
N'avait, sous sa voûte embaumée,
De nuages que la fumée
De toutes ses villes en feu.

Voilà six ans qu'ils l'ont choisie !
Six ans qu'on voyait accourir
L'Afrique au secours de l'Asie
Contre un peuple instruit à mourir.
Ibrahim, que rien ne modère,
Vole de l'Isthme au Belvédère,
Comme un faucon qui n'a plus d'aire,
Comme un loup qui règne au bercail ;
Il court où le butin le tente,
Et lorsqu'il retourne à sa tente,
Chaque fois sa main dégouttante
Jette des têtes au sérail !

III.

Enfin ! - C'est Navarin, la ville aux maisons peintes,
La ville aux dômes d'or, la blanche Navarin,
Sur la colline assise entre les térébinthes,
Qui prête son beau golfe aux ardentes étreintes
De deux flottes heurtant leurs carènes d'airain.

Les voilà toutes deux ! - La mer en est chargée,
Prête à noyer leurs feux, prête à boire leur sang.
Chacune par son dieu semble au combat rangée ;
L'une s'étend en croix sur les flots allongée,
L'autre ouvre ses bras lourds et se courbe en croissant.

Ici, l'Europe : enfin ! l'Europe qu'on déchaîne,
Avec ses grands vaisseaux voguant comme des tours.
Là, l'Egypte des Turcs, cette Asie africaine,
Ces vivaces forbans, mal tués par Duquesne,
Qui mit en vain le pied sur ces nids de vautours.

IV.

Ecoutez ! - Le canon gronde.
Il est temps qu'on lui réponde.
Le patient est le fort.
Eclatent donc les bordées !
Sur ces nefs intimidées,
Frégates, jetez la mort !
Et qu'au souffle de vos bouches
Fondent ces vaisseaux farouches,
Broyés aux rochers du port !

La bataille enfin s'allume.
Tout à la fois tonne et fume.
La mort vole où nous frappons.
Là, tout brûle pêle-mêle.
Ici, court le brûlot frêle
Qui jette aux mâts ses crampons
Et, comme un chacal dévore
L'éléphant qui lutte encore,
Ronge un navire à trois ponts.

- L'abordage ! l'abordage ! -
On se suspend au cordage,
On s'élance des haubans.
La poupe heurte la proue.
La mêlée a dans sa roue
Rameurs courbés sur leurs bancs
Fantassins cherchant la terre,
L'épée et le cimeterre,
Les casques et les turbans.

La vergue aux vergues s'attache ;
La torche insulte à la hache ;
Tout s'attaque en même temps.
Sur l'abîme la mort nage.
Epouvantable carnage !
Champs de bataille flottants
Qui, battus de cent volées,
S'écroulent sous les mêlées,
Avec tous les combattants.

V.

Lutte horrible ! Ah ! quand l'homme, à l'étroit sur la terre,
Jusque sur l'Océan précipite la guerre,
Le sol tremble sous lui, tandis qu'il se débat.
La mer, la grande mer joue avec ses batailles.
Vainqueurs, vaincus, à tous elle ouvre ses entrailles.
Le naufrage éteint le combat.

Ô spectacle ! Tandis que l'Afrique grondante
Bat nos puissants vaisseaux de sa flotte imprudente,
Qu'elle épuise à leurs flancs sa rage et ses efforts,
Chacun d'eux, géant fier, sur ces hordes bruyantes,
Ouvrant à temps égaux ses gueules foudroyantes,
***** tranquillement la mort de tous ses bords.

Tout s'embrase : voyez ! l'eau de centre est semée,
Le vent aux mâts en flamme arrache la fumée,
Le feu sur les tillacs s'abat en ponts mouvants.
Déjà brûlent les nefs ; déjà, sourde et profonde,
La flamme en leurs flancs noirs ouvre un passage à l'onde ;
Déjà, sur les ailes des vents,

L'incendie, attaquant la frégate amirale,
Déroule autour des mâts sont ardente spirale,
Prend les marins hurlants dans ses brûlants réseaux,
Couronne de ses jets la poupe inabordable,
Triomphe, et jette au **** un reflet formidable
Qui tremble, élargissant ses cercles sur les eaux.

VI.

Où sont, enfants du Caire,
Ces flottes qui naguère
Emportaient à la guerre
Leurs mille matelots ?
Ces voiles, où sont-elles,
Qu'armaient les infidèles,
Et qui prêtaient leurs ailes
A l'ongle des brûlots ?

Où sont tes mille antennes,
Et tes hunes hautaines,
Et tes fiers capitaines,
Armada du sultan ?
Ta ruine commence,
Toi qui, dans ta démence,
Battais les mers, immense
Comme Léviathan !

Le capitan qui tremble
Voit éclater ensemble
Ces chébecs que rassemble
Alger ou Tetuan.
Le feu vengeur embrasse
Son vaisseau dont la masse
Soulève, quand il passe,
Le fond de l'Océan.

Sur les mers irritées,
Dérivent, démâtées,
Nefs par les nefs heurtées,
Yachts aux mille couleurs,
Galères capitanes,
Caïques et tartanes
Qui portaient aux sultanes
Des têtes et des fleurs.

Adieu, sloops intrépides,
Adieu, jonques rapides,
Qui sur les eaux limpides
Berçaient les icoglans !
Adieu la goëlette
Dont la vague reflète
Le flamboyant squelette,
Noir dans les feux sanglants !

Adieu la barcarolle
Dont l'humble banderole
Autour des vaisseaux vole,
Et qui, peureuse, fuit,
Quand du souffle des brises
Les frégates surprises,
Gonflant leurs voiles grises,
Déferlent à grand bruit !

Adieu la caravelle
Qu'une voile nouvelle
Aux yeux de **** révèle ;
Adieu le dogre ailé,
Le brick dont les amures
Rendent de sourds murmures,
Comme un amas d'armures
Par le vent ébranlé !

Adieu la brigantine,
Dont la voile latine
Du flot qui se mutine
Fend les vallons amers !
Adieu la balancelle
Qui sur l'onde chancelle,
Et, comme une étincelle,
Luit sur l'azur des mers !

Adieu lougres difformes,
Galéaces énormes,
Vaisseaux de toutes formes,
Vaisseaux de tous climats,
L'yole aux triples flammes,
Les mahonnes, les prames,
La felouque à six rames,
La polacre à deux mâts !

Chaloupe canonnières !
Et lanches marinières
Où flottaient les bannières
Du pacha souverain !
Bombardes que la houle,
Sur son front qui s'écroule,
Soulève, emporte et roule
Avec un bruit d'airain !

Adieu, ces nefs bizarres,
Caraques et gabarres,
Qui de leurs cris barbares
Troublaient Chypre et Délos !
Que sont donc devenues
Ces flottes trop connues ?
La mer les jette aux nues,
Le ciel les rend aux flots !

VII.

Silence ! Tout est fait. Tout retombe à l'abîme.
L'écume des hauts mâts a recouvert la cime.
Des vaisseaux du sultan les flots se sont joués.
Quelques-uns, bricks rompus, prames désemparées,
Comme l'algue des eaux qu'apportent les marées,
Sur la grève noircie expirent échoués.

Ah ! c'est une victoire ! - Oui, l'Afrique défaite,
Le vrai Dieu sous ses pieds foulant le faux prophète,
Les tyrans, les bourreaux criant grâce à leur tour,
Ceux qui meurent enfin sauvés par ceux qui règnent,
Hellé lavant ses flancs qui saignent,
Et six ans vengés dans un jour !

Depuis assez longtemps les peuples disaient : « Grèce !
Grèce ! Grèce ! tu meurs. Pauvre peuple en détresse,
A l'horizon en feu chaque jour tu décroîs.
En vain, pour te sauver, patrie illustre et chère,
Nous réveillons le prêtre endormi dans sa chaire,
En vain nous mendions une armée à nos rois.

« Mais les rois restent sourds, les chaires sont muettes.
Ton nom n'échauffe ici que des cœurs de poètes.
A la gloire, à la vie on demande tes droits.
A la croix grecque, Hellé, ta valeur se confie.
C'est un peuple qu'on crucifie !
Qu'importe, hélas ! sur quelle croix !

« Tes dieux s'en vont aussi. Parthénon, Propylées,
Murs de Grèce, ossements des villes mutilées,
Vous devenez une arme aux mains des mécréants.
Pour battre ses vaisseaux du haut des Dardanelles,
Chacun de vos débris, ruines solennelles,
Donne un boulet de marbre à leurs canons géants ! »

Qu'on change cette plainte en joyeuse fanfare !
Une rumeur surgit de l'Isthme jusqu'au Phare.
Regardez ce ciel noir plus beau qu'un ciel serein.
Le vieux colosse turc sur l'Orient retombe,
La Grèce est libre, et dans la tombe
Byron applaudit Navarin.

Salut donc, Albion, vieille reine des ondes !
Salut, aigle des czars qui planes sur deux mondes !
Gloire à nos fleurs de lys, dont l'éclat est si beau !
L'Angleterre aujourd'hui reconnaît sa rivale.
Navarin la lui rend. Notre gloire navale
A cet embrasement rallume son flambeau.

Je te retrouve, Autriche ! - Oui, la voilà, c'est elle !
Non pas ici, mais là, - dans la flotte infidèle.
Parmi les rangs chrétiens en vain on te cherchera.
Nous surprenons, honteuse et la tête penchée,
Ton aigle au double front cachée
Sous les crinières d'un pacha !

C'est bien ta place, Autriche ! - On te voyait naguère
Briller près d'Ibrahim, ce Tamerlan vulgaire ;
Tu dépouillais les morts qu'il foulait en passant ;
Tu l'admirais, mêlée aux eunuques serviles
Promenant au hasard sa torche dans les villes,
Horrible et n'éteignant le feu qu'avec du sang.

Tu préférais ces feux aux clartés de l'aurore.
Aujourd'hui qu'à leur tour la flamme enfin dévore
Ses noirs vaisseaux, vomis des ports égyptiens,
Rouvre les yeux, regarde, Autriche abâtardie !
Que dis-tu de cet incendie ?
Est-il aussi beau que les siens ?

Le 23 novembre 1827.
Lorsque l'on veut monter aux tours des cathédrales,

On prend l'escalier noir qui roule ses spirales,

Comme un serpent de pierre au ventre d'un clocher.


L'on chemine d'abord dans une nuit profonde,

Sans trèfle de soleil et de lumière blonde,

Tâtant le mur des mains, de peur de trébucher ;


Car les hautes maisons voisines de l'église

Vers le pied de la tour versent leur ombre grise,

Qu'un rayon lumineux ne vient jamais trancher.


S'envolant tout à coup, les chouettes peureuses

Vous flagellent le front de leurs ailes poudreuses,

Et les chauves-souris s'abattent sur vos bras ;


Les spectres, les terreurs qui hantent les ténèbres,

Vous frôlent en passant de leurs crêpes funèbres ;

Vous les entendez geindre et chuchoter tout bas.


À travers l'ombre on voit la chimère accroupie

Remuer, et l'écho de la voûte assoupie

Derrière votre pas suscite un autre pas.


Vous sentez à l'épaule une pénible haleine,

Un souffle intermittent, comme d'une âme en peine

Qu'on aurait éveillée et qui vous poursuivrait.


Et si l'humidité fait des yeux de la voûte,

Larmes du monument, tomber l'eau goutte à goutte,

Il semble qu'on dérange une ombre qui pleurait.


Chaque fois que la vis, en tournant, se dérobe,

Sur la dernière marche un dernier pli de robe,

Irritante terreur, brusquement disparaît.


Bientôt le jour, filtrant par les fentes étroites,

Sur le mur opposé trace des lignes droites,

Comme une barre d'or sur un écusson noir.


L'on est déjà plus haut que les toits de la ville,

Édifices sans nom, masse confuse et vile,

Et par les arceaux gris le ciel bleu se fait voir.


Les hiboux disparus font place aux tourterelles,

Qui lustrent au soleil le satin de leurs ailes

Et semblent roucouler des promesses d'espoir.


Des essaims familiers perchent sur les tarasques,

Et, sans se rebuter de la laideur des masques,

Dans chaque bouche ouverte un oiseau fait son nid.


Les guivres, les dragons et les formes étranges

Ne sont plus maintenant que des figures d'anges,

Séraphiques gardiens taillés dans le granit,


Qui depuis huit cents ans, pensives sentinelles,

Dans leurs niches de pierre, appuyés sur leurs ailes,

Montent leur faction qui jamais ne finit.


Vous débouchez enfin sur une plate-forme,

Et vous apercevez, ainsi qu'un monstre énorme,

La Cité grommelante, accroupie alentour.


Comme un requin, ouvrant ses immenses mâchoires,

Elle mord l'horizon de ses mille dents noires,

Dont chacune est un dôme, un clocher, une tour.


À travers le brouillard, de ses naseaux de plâtre

Elle souffle dans l'air son haleine bleuâtre,

Que dore par flocons un chaud reflet de jour.


Comme sur l'eau qui bout monte et chante l'écume,

Sur la ville toujours plane une ardente brume,

Un bourdonnement sourd fait de cent bruits confus :


Ce sont les tintements et les grêles volées

Des cloches, de leurs voix sonores ou fêlées,

Chantant à plein gosier dans leurs beffrois touffus ;


C'est le vent dans le ciel et l'homme sur la terre ;

C'est le bruit des tambours et des clairons de guerre,

Ou des canons grondeurs sonnant sur leurs affûts ;


C'est la rumeur des chars, dont la prompte lanterne

File comme une étoile à travers l'ombre terne,

Emportant un heureux aux bras de son désir ;


Le soupir de la vierge au balcon accoudée,

Le marteau sur l'enclume et le fait sur l'idée,

Le cri de la douleur ou le chant du plaisir.


Dans cette symphonie au colossal orchestre,

Que n'écrira jamais musicien terrestre,

Chaque objet fait sa note impossible à saisir.


Vous pensiez être en haut ; mais voici qu'une aiguille,

Où le ciel découpé par dentelles scintille,

Se présente soudain devant vos pieds lassés.


Il faut monter encore dans la mince tourelle,

L'escalier qui serpente en spirale plus frêle,

Se pendant aux crampons de **** en **** placés.


Le vent, d'un air moqueur, à vos oreilles siffle,

La goule étend sa griffe et la guivre renifle,

Le vertige alourdit vos pas embarrassés.


Vous voyez **** de vous, comme dans des abîmes,

S'aplanir les clochers et les plus hautes cimes ;

Des aigles les plus fiers vous dominez l'essor.


Votre sueur se fige à votre front en nage ;

L'air trop vif vous étouffe : allons, enfant, courage !

Vous êtes près des cieux ; allons, un pas encore !


Et vous pourrez toucher, de votre main surprise,

L'archange colossal que fait tourner la brise,

Le saint Michel géant qui tient un glaive d'or ;


Et si, vous accoudant sur la rampe de marbre,

Qui palpite au grand vent, comme une branche d'arbre,

Vous dirigez en bas un œil moins effrayé,


Vous verrez la campagne à plus de trente lieues,

Un immense horizon, bordé de franges bleues,

Se déroulant sous vous comme un tapis rayé ;


Les carrés de blé d'or, les cultures zébrées,

Les plaques de gazon de troupeaux noirs tigrées ;

Et, dans le sainfoin rouge, un chemin blanc frayé ;


Les cités, les hameaux, nids semés dans la plaine,

Et partout, où se groupe une famille humaine,

Un clocher vers le ciel, comme un doigt s'allongeant.


Vous verrez dans le golfe, aux bras des promontoires,

La mer se diaprer et se gaufrer de moires,

Comme un kandjiar turc damasquiné d'argent ;


Les vaisseaux, alcyons balancés sur leurs ailes,

Piquer l'azur lointain de blanches étincelles

Et croiser en tous sens leur vol intelligent.


Comme un sein plein de lait gonflant leurs voiles ronde,

Sur la foi de l'aimant ils vont chercher des mondes,

Des rivages nouveaux sur de nouvelles mers :


Dans l'Inde, de parfums, d'or et de soleil pleine,

Dans la Chine bizarre, aux tours de porcelaine,

Chimérique pays peuplé de dragons verts ;


Ou vers Otaïti, la belle fleur des ondes,

De ses longs cheveux noirs tordant les perles blondes,

Comme une autre Vénus, fille des flots amers ;


À Ceylan, à Java, plus **** encore peut-être,

Dans quelque île déserte et dont on se rend maître,

Vers une autre Amérique échappée à Colomb.


Hélas ! Et vous aussi, sans crainte, ô mes pensées,

Livrant aux vents du ciel vos ailes empressées,

Vous tentez un voyage aventureux et long.


Si la foudre et le nord respectent vos antennes,

Des pays inconnus et des îles lointaines

Que rapporterez-vous ? De l'or, ou bien du plomb ?...


La spirale soudain s'interrompt et se brise.

Comme celui qui monte au clocher de l'église,

Me voici maintenant au sommet de ma tour.


J'ai planté le drapeau tout au haut de mon œuvre.

Ah ! Que depuis longtemps, pauvre et rude manœuvre,

Insensible à la joie, à la vie, à l'amour,


Pour garder mon dessin avec ses lignes pures,

J'émousse mon ciseau contre des pierres dures,

Élevant à grande peine une assise par jour !


Pendant combien de mois suis-je resté sous terre,

Creusant comme un mineur ma fouille solitaire,

Et cherchant le roc vif pour mes fondations !


Et pourtant le soleil riait sur la nature ;

Les fleurs faisaient l'amour, et toute créature

Livrait sa fantaisie au vent des passions ;


Le printemps dans les bois faisait courir la sève,

Et le flot, en chantant, venait baiser la grève ;

Tout n'était que parfum, plaisir, joie et rayons !


Patient architecte, avec mes mains pensives

Sur mes piliers trapus inclinant mes ogives,

Je fouillais sous l'église un temple souterrain ;


Puis l'église elle-même, avec ses colonnettes,

Qui semble, tant elle a d'aiguilles et d'arêtes,

Un madrépore immense, un polypier marin ;


Et le clocher hardi, grand peuplier de pierre,

Où gazouillent, quand vient l'heure de la prière,

Avec les blancs ramiers, des nids d'oiseaux d'airain.


Du haut de cette tour à grande peine achevée,

Pourrais-je t'entrevoir, perspective rêvée,

Terre de Chanaan où tendait mon effort ?


Pourrai-je apercevoir la figure du monde,

Les astres dans le ciel accomplissant leur ronde,

Et les vaisseaux quittant et regagnant le port ?


Si mon clocher passait seulement de la tête

Les toits ou les tuyaux de la ville, ou le faîte

De ce donjon aigu qui du brouillard ressort ;


S'il était assez haut pour découvrir l'étoile

Que la colline bleue avec son dos me voile,

Le croissant qui s'écorne au toit de la maison ;


Pour voir, au ciel de smalt, les flottantes nuées,

Par le vent du matin mollement remuées,

Comme un troupeau de l'air secouer leur toison ;


Et la gloire, la gloire, astre et soleil de l'âme,

Dans un océan d'or, avec le globe en flamme,

Majestueusement monter à l'horizon !
Paul d'Aubin Dec 2016
Des Cassandres incomprises ?


Elle maudissait encor le baiser refusé à celui qui aurait pu devenir son amant. Le bel et fier Apollon s’était vengé de son refus, en lui soufflant sur la bouche, afin que le don de divination, déjà donné, soit réduit à néant, et qu’elle ne fut jamais crue. Cruel sort qui la condamnait à connaître le futur, en restant incomprise aux yeux de toutes et de tous, parmi celles et ceux qu’elle chérissait, et auxquels elle voulait épargner le malheur. Aussi lorsque tu vis naître ton frère Pâris, tu informas ta mère des sombres présages que son devenir présentait pour la famille royale. Hélas, mal avisés, Priam et Hécube, après l’avoir éloigné finirent par lui donner une ambassade à Sparte. Ou il fut séduit et enleva Hélène la si belle. Puis vint ce jour funeste, quand tu vis, le port de Troie presque masqué par des milliers de voiles rouges, et autant de vaisseaux munis d’éperons. Tu ressentis, une peur panique, celle, de la mort, de toutes celles et ceux que tu aimais, et tu versas des larmes salées pour tous ces jeunes hommes qui allaient perdre la vie, dans des combats menés autours des remparts. Avant que les chevaux géants de bois, funestes, dont personne ne te crut pour le danger annoncé entrèrent dans la ville, alors que l’armée Achéenne faisait mine de se retirer. C’est ****, dans la nuit, qu’à la lueur des torches, les guerriers, sortirent des flancs des chevaux géants et jaillirent en hurlant, pour porter le malheur dans ta chère Troie. Glacée d’émotion et d’épouvante tu te réfugias auprès de l’autel sacre d’Athéna, Pour préserver ton corps gracieux des outrages de l’ennemi. Mais c’était sans compter sur Ajax le furieux, qui faisant fi de la protection sacrée que t’offrait le temple, te pris malgré tes cris et tes pleurs, déchira ta blanche tunique, te traina par les cheveux sur l’autel. Et violenta ton corps avec plus de brutalité que de désir. Tu aurais voulu mourir, mais Athéna, elle-même, insultée, comme Déesse, dans son propre temple, ne le voulut point. C’est le roi Agamemnon, qui te trouva déflorée, prostrée et en larmes, et te fit prisonnière, et te gardant en vie, pris la décision de te ramener à Mycènes. Tu le mis en garde contre la jalousie qu’allait éprouver sa femme, Clytemnestre Mais ce fut vain, et toi, déshonorée et prisonnière tu ne voulais plus vivre. Tu tendis ta gorge à cette jalouse implacable, peu après avoir débarqué Et son geste de mort fut ton soulagement, oh, toi devineresse, jamais crue.
Après Cassandre la Troyenne, il y eut d’autres fameuses Cassandre. Louise Michel, institutrice porta sa flamme aux Communards, Et faite prisonnière réclama une mort qu’on n’osa pas lui donner. Transformant sa peine de déportation en Nouvelle Calédonie, Ou elle refusa de faire chorus contre les canaques. Enfin libérée elle soutint ses sœurs et frères, les prolétaires, et brandit le drapeau noir des Libertaire, qui faisait si peur. Cette Femme admirable resta souvent incomprise, dans ses combats et sa soif d’un Monde plus humain. Cette solitude aussi doit être le sceau des Cassandre. De l’autre côté du Rhin, et même, en Pologne a Zamość, naquit une nouvelle Cassandre. Fière comme un aigle, pensive comme une colombe, elle avait pour prénom Rosa, mais pas de celles avec épines, Son nom était Luxemburg, et c’était vraiment un être de lumières. Une pensée étincelante, une volonté de duchesse Espagnole, et une lucidité aussi grande que les feux de ses passions. Rosa lutta, dès le début contre la guerre et la capitulation des esprits, devant ces monstres d’acier, de feu et de gaz moutarde. Qui allaient ravager l’Europe en fauchant des millions de vies. Mais dans cet empire si discipliné, elle fut emprisonnée, pour lui faire expier son opposition à cette guerre fratricide, et afin que les consciences restassent bien éteintes. Mais son courage était sans borne avec son amant Leo Jogiches, Et la force de conviction de Karl Liebknecht. Ayant passé la majeure partie de la guerre, emprisonnée, elle étudiait sans répit et faisait parvenir des articles, pour ses amis de la « ligue Spartacus ». Elle défendait la Liberté, comme le vrai diamant du socialisme à venir. Mais les États-majors militaires et politiques la haïssaient. Libérée par la chute du kaiser, elle reprit sa passion, de journaliste à la plume de feu à la «Rote Fahne.» Elle s’efforçait d’éclairer des masses trompées par des bergers par trop intéressés, timorés et menteurs. Elle rejetait aussi toute illusion de putsch et de violence armée. Hélas, elle ne fut pas écoutée par les irréfléchis à la parole haute, ni par les têtes remplies de vent et encor imprégnèes par les usages récents de tant de violences inoculées durant et par ces années de guerre et de tueries. Ces hâtifs et ces simplistes au verbe haut déclenchèrent l’émeute dans Berlin, qui allait devenir leur commun linceul. Elle décida cependant de ne pas se désolidariser des révoltés, D’ailleurs arrête-on sans digue un torrent furieux ? Rosa, refusa d’ajouter l’enjeu de sa survie et sa propre peur à la désorientation générale de ses camarades. Consciente de l’échec, Rosa écrivit son dernier article sur : « L’ordre règne à Berlin, L’ordre règne à Varsovie », « l’ordre règne à Paris », « l’ordre règne à Berlin ». Tous les demi-siècles, les gardiens de « l’ordre », lancent ainsi dans un des foyers de la lutte mondiale leurs bulletins de victoire Et ces « vainqueurs » qui exultent ne s’aperçoivent pas qu’un « ordre», qui a besoin d’être maintenu périodiquement par de sanglantes hécatombes, va inéluctablement à sa perte.» Puis Rosa, rentra chez elle, sans prendre de précaution ni se cacher vraiment. Nourrissait-elle quelconque illusion sur son ennemi, Gustav Noske? Lequel revendiqua, pour lui-même, le douteux honneur d’avoir tenu le rôle d’un « chien sanglant » Ou avait-elle, plutôt du mal à regarder l’horreur de la haine et les tréfonds de la barbarie ? Amenée par les soldats des corps francs elle fut interrogée et se tut. Puis, ce beau front pensif et cette tête bouillonnante d'avenirs reçut de violents coups de crosse, avant que les barbares ne lui tirent une balle dans la tête,
et ne la jettent inanimée dans le canal.
Une Cassandre de plus était victime de la froide cruauté,
et des peurs qu'inspiraient la création d'une société nouvelle.
Mais l'esprit des Cassandre survit dans les braises de la lucidité
Aujourd'hui, nous avons probablement des Cassandre parmi nous,
dans les braises de la vérité en marche, qu’il nous faut oser écouter en les aidant à dessiller nos yeux encore clos. dont l’esprit s’est forgé.

Paul Arrighi.
Belgrade et Semlin sont en guerre.
Dans son lit, paisible naguère,
Le vieillard Danube leur père
S'éveille au bruit de leur canon.
Il doute s'il rêve, il trésaille,
Puis entend gronder la bataille,
Et frappe dans ses mains d'écaille,
Et les appelle par leur nom.

« Allons, la turque et la chrétienne !
Semlin ! Belgrade ! qu'avez-vous ?
On ne peut, le ciel me soutienne !
Dormir un siècle, sans que vienne
Vous éveiller d'un bruit jaloux
Belgrade ou Semlin en courroux !

« Hiver, été, printemps, automne,
Toujours votre canon qui tonne !
Bercé du courant monotone,
Je sommeillais dans mes roseaux ;
Et, comme des louves marines
Jettent l'onde de leurs narines,
Voilà vos longues couleuvrines
Qui soufflent du feu sur mes eaux !

« Ce sont des sorcières oisives
Qui vous mirent, pour rire un jour,
Face à face sur mes deux rives,
Comme au même plat deux convives,
Comme au front de la même tour
Une aire d'aigle, un nid d'autour.

« Quoi ! ne pouvez-vous vivre ensemble,
Mes filles ? Faut-il que je tremble
Du destin qui ne vous rassemble
Que pour vous haïr de plus près,
Quand vous pourriez, sœurs pacifiques,
Mirer dans mes eaux magnifiques,
Semlin, tes noirs clochers gothiques,
Belgrade, tes blancs minarets ?

« Mon flot, qui dans l'océan tombe,
Vous sépare en vain, large et clair ;
Du haut du château qui surplombe
Vous vous unissez, et la bombe,
Entre vous courbant son éclair,
Vous trace un pont de feu dans l'air.

« Trêve ! taisez-vous, les deux villes !
Je m'ennuie aux guerres civiles.
Nous sommes vieux, soyons tranquilles.
Dormons à l'ombre des bouleaux.
Trêve à ces débats de familles !
Hé ! sans le bruit de vos bastilles,
N'ai-je donc point assez, mes filles,
De l'assourdissement des flots ?

« Une croix, un croissant fragile,
Changent en enfer ce beau lieu.
Vous échangez la bombe agile
Pour le Coran et l'évangile ?
C'est perdre le bruit et le feu :
Je le sais, moi qui fus un dieu !

« Vos dieux m'ont chassé de leur sphère
Et dégradé, c'est leur affaire :
L'ombre est le bien que je préfère,
Pourvu qu'ils gardent leurs palais,
Et ne viennent pas sur mes plages
Déraciner mes verts feuillages,
Et m'écraser mes coquillages
Sous leurs bombes et leurs boulets !

« De leurs abominables cultes
Ces interventions sont le fruit.
De mon temps point de ces tumultes.
Si la pierre des catapultes
Battait les cités jour et nuit,
C'était sans fumée et sans bruit.

« Voyez Ulm, votre sœur jumelle :
Tenez-vous en repos comme elle.
Que le fil des rois se démêle,
Tournez vos fuseaux, et riez.
Voyez Bude, votre voisine ;
Voyez Dristra la sarrasine !
Que dirait l'Etna, si Messine
Faisait tout ce bruit à ses pieds ?

« Semlin est la plus querelleuse :
Elle a toujours les premiers torts.
Croyez-vous que mon eau houleuse,
Suivant sa pente rocailleuse,
N'ait rien à faire entre ses bords
Qu'à porter à l'Euxin vos morts ?

« Vos mortiers ont tant de fumée
Qu'il fait nuit dans ma grotte aimée,
D'éclats d'obus toujours semée !
Du jour j'ai perdu le tableau ;
Le soir, la vapeur de leur bouche
Me couvre d'une ombre farouche,
Quand je cherche à voir de ma couche
Les étoiles à travers l'eau.

« Sœurs, à vous cribler de blessures
Espérez-vous un grand renom ?
Vos palais deviendront masures.
Ah ! qu'en vos noires embrasures
La guerre se taise, ou sinon
J'éteindrai, moi, votre canon.

« Car je suis le Danube immense.
Malheur à vous, si je commence !
Je vous souffre ici par clémence,
Si je voulais, de leur prison,
Mes flots lâchés dans les campagnes,
Emportant vous et vos compagnes,
Comme une chaîne de montagnes
Se lèveraient à l'horizon ! »

Certes, on peut parler de la sorte
Quand c'est au canon qu'on répond,
Quand des rois on baigne la porte,
Lorsqu'on est Danube, et qu'on porte,
Comme l'Euxin et l'Hellespont,
De grands vaisseaux au triple pont ;

Lorsqu'on ronge cent ponts de pierre,
Qu'on traverse les huit Bavières,
Qu'on reçoit soixante rivières
Et qu'on les dévore en fuyant ;
Qu'on a, comme une mer, sa houle ;
Quand sur le globe on se déroule
Comme un serpent, et quand on coule
De l'occident à l'orient !

Juin 1828.
Lorsqu'un vaisseau vaincu dérive en pleine mer ;
Que ses voiles carrées
Pendent le long des mâts, par les boulets de fer
Largement déchirées ;

Qu'on n'y voit que des morts tombés de toutes parts,
Ancres, agrès, voilures,
Grands mâts rompus, traînant leurs cordages épars
Comme des chevelures ;

Que le vaisseau, couvert de fumée et de bruit,
Tourne ainsi qu'une roue ;
Qu'un flux et qu'un reflux d'hommes roule et s'enfuit
De la poupe à la proue ;

Lorsqu'à la voix des chefs nul soldat ne répond ;
Que la mer monte et gronde ;
Que les canons éteints nagent dans l'entre-pont,
S'entre-choquant dans l'onde ;

Qu'on voit le lourd colosse ouvrir au flot marin
Sa blessure béante,
Et saigner, à travers son armure d'airain,
La galère géante ;

Qu'elle vogue au hasard, comme un corps palpitant,
La carène entr'ouverte,
Comme un grand poisson mort, dont le ventre flottant
Argente l'onde verte ;

Alors gloire au vainqueur ! Son grappin noir s'abat
Sur la nef qu'il foudroie ;
Tel un aigle puissant pose, après le combat,
Son ongle sur sa proie !

Puis, il pend au grand mât, comme au front d'une tour,
Son drapeau que l'air ronge,
Et dont le reflet d'or dans l'onde, tour à tour,
S'élargit et s'allonge.

Et c'est alors qu'on voit les peuples étaler
Les couleurs les plus fières,
Et la pourpre, et l'argent, et l'azur onduler
Aux plis de leurs bannières.

Dans ce riche appareil leur orgueil insensé
Se flatte et se repose,
Comme si le flot noir, par le flot effacé,
En gardait quelque chose !

Malte arborait sa croix ; Venise, peuple-roi,
Sur ses poupes mouvantes,
L'héraldique lion qui fait rugir d'effroi
Les lionnes vivantes.

Le pavillon de Naples est éclatant dans l'air,
Et quand il se déploie
On croit voir ondoyer de la poupe à la mer
Un flot d'or et de soie.

Espagne peint aux plis des drapeaux voltigeant
Sur ses flottes avares,
Léon aux lions d'or, Castille aux tours d'argent,
Les chaînes des Navarres.

Rome a les clefs; Milan, l'enfant qui hurle encor
Dans les dents de la guivre ;
Et les vaisseaux de France ont des fleurs de lys d'or
Sur leurs robes de cuivre.

Stamboul la turque autour du croissant abhorré
Suspend trois blanches queues ;
L'Amérique enfin libre étale un ciel doré
Semé d'étoiles bleues.

L'Autriche a l'aigle étrange, aux ailerons dressés,
Qui, brillant sur la moire,
Vers les deux bouts du monde à la fois menacés
Tourne une tête noire.

L'autre aigle au double front, qui des czars suit les lois,
Son antique adversaire,
Comme elle regardant deux mondes à la fois,
En tient un dans sa serre.

L'Angleterre en triomphe impose aux flots amers
Sa splendide oriflamme,
Si riche qu'on prendrait son reflet dans les mers
Pour l'ombre d'une flamme.

C'est ainsi que les rois font aux mâts des vaisseaux
Flotter leurs armoiries,
Et condamnent les nefs conquises sur les eaux
A changer de patries.

Ils traînent dans leurs rangs ces voiles dont le sort
Trompa les destinées,
Tout fiers de voir rentrer plus nombreuses au port
Leurs flottes blasonnées.

Aux navires captifs toujours ils appendront
Leurs drapeaux de victoire,
Afin que le vaincu porte écrite à son front
Sa honte avec leur gloire !

Mais le bon Canaris, dont un ardent sillon
Suit la barque hardie,
Sur les vaisseaux qu'il prend, comme son pavillon,
Arbore l'incendie !

Novembre 1828.
DITHYRAMBE.

À M. Eugène de Genoude.

Son front est couronné de palmes et d'étoiles ;
Son regard immortel, que rien ne peut ternir,
Traversant tous les temps, soulevant tous les voiles,
Réveille le passé, plonge dans l'avenir !
Du monde sous ses yeux ses fastes se déroulent,
Les siècles à ses pieds comme un torrent s'écoulent ;
A son gré descendant ou remontant leurs cours,
Elle sonne aux tombeaux l'heure, l'heure fatale,
Ou sur sa lyre virginale
Chante au monde vieilli ce jour, père des jours !

------

Ecoutez ! - Jéhova s'élance
Du sein de son éternité.
Le chaos endormi s'éveille en sa présence,
Sa vertu le féconde, et sa toute-puissance
Repose sur l'immensité !

Dieu dit, et le jour fut; Dieu dit, et les étoiles
De la nuit éternelle éclaircirent les voiles ;
Tous les éléments divers
A sa voix se séparèrent ;
Les eaux soudain s'écoulèrent
Dans le lit creusé des mers ;
Les montagnes s'élevèrent,
Et les aquilons volèrent
Dans les libres champs des airs !

Sept fois de Jéhova la parole féconde
Se fit entendre au monde,
Et sept fois le néant à sa voix répondit ;
Et Dieu dit : Faisons l'homme à ma vivante image.
Il dit, l'homme naquit; à ce dernier ouvrage
Le Verbe créateur s'arrête et s'applaudit !

------

Mais ce n'est plus un Dieu ! - C'est l'homme qui soupire
Eden a fui !... voilà le travail et la mort !
Dans les larmes sa voix expire ;
La corde du bonheur se brise sur sa lyre,
Et Job en tire un son triste comme le sort.

------

Ah ! périsse à jamais le jour qui m'a vu naître !
Ah ! périsse à jamais la nuit qui m'a conçu !
Et le sein qui m'a donné l'être,
Et les genoux qui m'ont reçu !

Que du nombre des jours Dieu pour jamais l'efface ;
Que, toujours obscurci des ombres du trépas,
Ce jour parmi les jours ne trouve plus sa place,
Qu'il soit comme s'il n'était pas !

Maintenant dans l'oubli je dormirais encore,
Et j'achèverais mon sommeil
Dans cette longue nuit qui n'aura point d'aurore,
Avec ces conquérants que la terre dévore,
Avec le fruit conçu qui meurt avant d'éclore
Et qui n'a pas vu le soleil.

Mes jours déclinent comme l'ombre ;
Je voudrais les précipiter.
O mon Dieu ! retranchez le nombre
Des soleils que je dois compter !
L'aspect de ma longue infortune
Eloigne, repousse, importune
Mes frères lassés de mes maux ;
En vain je m'adresse à leur foule,
Leur pitié m'échappe et s'écoule
Comme l'onde au flanc des coteaux.

Ainsi qu'un nuage qui passe,
Mon printemps s'est évanoui ;
Mes yeux ne verront plus la trace
De tous ces biens dont j'ai joui.
Par le souffle de la colère,
Hélas ! arraché à la terre,
Je vais d'où l'on ne revient pas !
Mes vallons, ma propre demeure,
Et cet oeil même qui me pleure,
Ne reverront jamais mes pas !

L'homme vit un jour sur la terre
Entre la mort et la douleur ;
Rassasié de sa misère,
Il tombe enfin comme la fleur ;
Il tombe ! Au moins par la rosée
Des fleurs la racine arrosée
Peut-elle un moment refleurir !
Mais l'homme, hélas!, après la vie,
C'est un lac dont l'eau s'est enfuie :
On le cherche, il vient de tarir.

Mes jours fondent comme la neige
Au souffle du courroux divin ;
Mon espérance, qu'il abrège,
S'enfuit comme l'eau de ma main ;
Ouvrez-moi mon dernier asile ;
Là, j'ai dans l'ombre un lit tranquille,
Lit préparé pour mes douleurs !
O tombeau ! vous êtes mon père !
Et je dis aux vers de la terre :
Vous êtes ma mère et mes sœurs !

Mais les jours heureux de l'impie
Ne s'éclipsent pas au matin ;
Tranquille, il prolonge sa vie
Avec le sang de l'orphelin !
Il étend au **** ses racines ;
Comme un troupeau sur les collines,
Sa famille couvre Ségor ;
Puis dans un riche mausolée
Il est couché dans la vallée,
Et l'on dirait qu'il vit encor.

C'est le secret de Dieu, je me tais et l'adore !
C'est sa main qui traça les sentiers de l'aurore,
Qui pesa l'Océan, qui suspendit les cieux !
Pour lui, l'abîme est nu, l'enfer même est sans voiles !
Il a fondé la terre et semé les étoiles !
Et qui suis-je à ses yeux ?

------

Mais la harpe a frémi sous les doigts d'Isaïe ;
De son sein bouillonnant la menace à longs flots
S'échappe ; un Dieu l'appelle, il s'élance, il s'écrie :
Cieux et terre, écoutez ! silence au fils d'Amos !

------

Osias n'était plus : Dieu m'apparut; je vis
Adonaï vêtu de gloire et d'épouvante !
Les bords éblouissants de sa robe flottante
Remplissaient le sacré parvis !

Des séraphins debout sur des marches d'ivoire
Se voilaient devant lui de six ailes de feux ;
Volant de l'un à l'autre, ils se disaient entre eux :
Saint, saint, saint, le Seigneur, le Dieu, le roi des dieux !
Toute la terre est pleine de sa gloire !

Du temple à ces accents la voûte s'ébranla,
Adonaï s'enfuit sous la nue enflammée :
Le saint lieu fut rempli de torrents de fumée.
La terre sous mes pieds trembla !

Et moi ! je resterais dans un lâche silence !
Moi qui t'ai vu, Seigneur, je n'oserais parler !
A ce peuple impur qui t'offense
Je craindrais de te révéler !

Qui marchera pour nous ? dit le Dieu des armées.
Qui parlera pour moi ? dit Dieu : Qui ? moi, Seigneur !
Touche mes lèvres enflammées !
Me voilà ! je suis prêt !... malheur !

Malheur à vous qui dès l'aurore
Respirez les parfums du vin !
Et que le soir retrouve encore
Chancelants aux bords du festin !
Malheur à vous qui par l'usure
Etendez sans fin ni mesure
La borne immense de vos champs !
Voulez-vous donc, mortels avides,
Habiter dans vos champs arides,
Seuls, sur la terre des vivants ?

Malheur à vous, race insensée !
Enfants d'un siècle audacieux,
Qui dites dans votre pensée :
Nous sommes sages à nos yeux :
Vous changez ma nuit en lumière,
Et le jour en ombre grossière
Où se cachent vos voluptés !
Mais, comme un taureau dans la plaine,
Vous traînez après vous la chaîne
Des vos longues iniquités !

Malheur à vous, filles de l'onde !
Iles de Sydon et de Tyr !
Tyrans ! qui trafiquez du monde
Avec la pourpre et l'or d'Ophyr !
Malheur à vous ! votre heure sonne !
En vain l'Océan vous couronne,
Malheur à toi, reine des eaux,
A toi qui, sur des mers nouvelles,
Fais retentir comme des ailes
Les voiles de mille vaisseaux !

Ils sont enfin venus les jours de ma justice ;
Ma colère, dit Dieu, se déborde sur vous !
Plus d'encens, plus de sacrifice
Qui puisse éteindre mon courroux !

Je livrerai ce peuple à la mort, au carnage ;
Le fer moissonnera comme l'herbe sauvage
Ses bataillons entiers !
- Seigneur ! épargnez-nous ! Seigneur ! - Non, point de trêve,
Et je ferai sur lui ruisseler de mon glaive
Le sang de ses guerriers !

Ses torrents sécheront sous ma brûlante haleine ;
Ma main nivellera, comme une vaste plaine,
Ses murs et ses palais ;
Le feu les brûlera comme il brûle le chaume.
Là, plus de nation, de ville, de royaume ;
Le silence à jamais !

Ses murs se couvriront de ronces et d'épines ;
L'hyène et le serpent peupleront ses ruines ;
Les hiboux, les vautours,
L'un l'autre s'appelant durant la nuit obscure,
Viendront à leurs petits porter la nourriture
Au sommet de ses tours !

------

Mais Dieu ferme à ces mots les lèvres d'Isaïe ;
Le sombre Ezéchiel
Sur le tronc desséché de l'ingrat Israël
Fait descendre à son tour la parole de vie.

------

L'Eternel emporta mon esprit au désert :
D'ossements desséchés le sol était couvert ;
J'approche en frissonnant; mais Jéhova me crie :
Si je parle à ces os, reprendront-ils la vie ?
- Eternel, tu le sais ! - Eh bien! dit le Seigneur,
Ecoute mes accents ! retiens-les et dis-leur :
Ossements desséchés ! insensible poussière !
Levez-vous ! recevez l'esprit et la lumière !
Que vos membres épars s'assemblent à ma voix !
Que l'esprit vous anime une seconde fois !
Qu'entre vos os flétris vos muscles se replacent !
Que votre sang circule et vos nerfs s'entrelacent !
Levez-vous et vivez, et voyez qui je suis !
J'écoutai le Seigneur, j'obéis et je dis :
Esprits, soufflez sur eux du couchant, de l'aurore ;
Soufflez de l'aquilon, soufflez !... Pressés d'éclore,
Ces restes du tombeau, réveillés par mes cris,
Entrechoquent soudain leurs ossements flétris ;
Aux clartés du soleil leur paupière se rouvre,
Leurs os sont rassemblés, et la chair les recouvre !
Et ce champ de la mort tout entier se leva,
Redevint un grand peuple, et connut Jéhova !

------

Mais Dieu de ses enfants a perdu la mémoire ;
La fille de Sion, méditant ses malheurs,
S'assied en soupirant, et, veuve de sa gloire,
Ecoute Jérémie, et retrouve des pleurs.

------

Le seigneur, m'accablant du poids de sa colère,
Retire tour à tour et ramène sa main ;
Vous qui passez par le chemin,
Est-il une misère égale à ma misère ?

En vain ma voix s'élève, il n'entend plus ma voix ;
Il m'a choisi pour but de ses flèches de flamme,
Et tout le jour contre mon âme
Sa fureur a lancé les fils de son carquois !

Sur mes os consumés ma peau s'est desséchée ;
Les enfants m'ont chanté dans leurs dérisions ;
Seul, au milieu des nations,
Le Seigneur m'a jeté comme une herbe arrachée.

Il s'est enveloppé de son divin courroux ;
Il a fermé ma route, il a troublé ma voie ;
Mon sein n'a plus connu la joie,
Et j'ai dit au Seigneur : Seigneur, souvenez-vous,
Souvenez-vous, Seigneur, de ces jours de colère ;
Souvenez-vous du fiel dont vous m'avez nourri ;
Non, votre amour n'est point tari :
Vous me frappez, Seigneur, et c'est pourquoi j'espère.

Je repasse en pleurant ces misérables jours ;
J'ai connu le Seigneur dès ma plus tendre aurore :
Quand il punit, il aime encore ;
Il ne s'est pas, mon âme, éloigné pour toujours.

Heureux qui le connaît ! heureux qui dès l'enfance
Porta le joug d'un Dieu, clément dans sa rigueur !
Il croit au salut du Seigneur,
S'assied au bord du fleuve et l'attend en silence.

Il sent peser sur lui ce joug de votre amour ;
Il répand dans la nuit ses pleurs et sa prière,
Et la bouche dans la poussière,
Il invoque, il espère, il attend votre jour.

------

Silence, ô lyre ! et vous silence,
Prophètes, voix de l'avenir !
Tout l'univers se tait d'avance
Devant celui qui doit venir !
Fermez-vous, lèvres inspirées ;
Reposez-vous, harpes sacrées,
Jusqu'au jour où sur les hauts lieux
Une voix au monde inconnue,
Fera retentir dans la nue :
PAIX A LA TERRE, ET GLOIRE AUX CIEUX !
Alors le Seigneur fit descendre du ciel sur
Sodome et sur Gomorrhe une pluie de soufre et de feu.

25. Et il perdit ces villes avec tous leurs habitant,
Tout le pays à l'entour avec ceux qui l'habitaient,
Et tout ce qui avait quelque verdeur sur la terre.

Genèse.

I.

La voyez-vous passer, la nuée au flanc noir ?
Tantôt pâle, tantôt rouge et splendide à voir,
Morne comme un été stérile ?
On croit voir à la fois, sur le vent de la nuit,
Fuir toute la fumée ardente et tout le bruit
De l'embrasement d'une ville.

D'où vient-elle ? des cieux, de la mer ou des monts ?
Est-ce le char de feu qui porte les démons
À quelque planète prochaine ?
Ô terreur ! de son sein, chaos mystérieux,
D'où vient que par moments un éclair furieux
Comme un long serpent se déchaîne ?

II.

La mer ! partout la mer ! des flots, des flots encor.
L'oiseau fatigue en vain son inégal essor.
Ici les flots, là-bas les ondes ;
Toujours des flots sans fin par des flots repoussés ;
L'œil ne voit que des flots dans l'abîme entassés
Rouler sous les vagues profondes.

Parfois de grands poissons, à fleur d'eau voyageant,
Font reluire au soleil leurs nageoires d'argent,
Ou l'azur de leurs larges queues.
La mer semble un troupeau secouant sa toison :
Mais un cercle d'airain ferme au **** l'horizon ;
Le ciel bleu se mêle aux eaux bleues.

- Faut-il sécher ces mers ? dit le nuage en feu.
- Non ! - Il reprit son vol sous le souffle de Dieu.

III.

Un golfe aux vertes collines
Se mirant dans le flot clair ! -
Des buffles, des javelines,
Et des chants joyeux dans l'air ! -
C'était la tente et la crèche,
La tribu qui chasse et pêche,
Qui vit libre, et dont la flèche
Jouterait avec l'éclair.

Pour ces errantes familles
Jamais l'air ne se corrompt.
Les enfants, les jeunes filles,
Les guerriers dansaient en rond,
Autour d'un feu sur la grève,
Que le vent courbe et relève,
Pareils aux esprits qu'en rêve
On voit tourner sur son front.

Les vierges aux seins d'ébène,
Belles comme les beaux soirs,
Riaient de se voir à peine
Dans le cuivre des miroirs ;
D'autres, joyeuses comme elles,
Faisaient jaillir des mamelles
De leurs dociles chamelles
Un lait blanc sous leurs doigts noirs.

Les hommes, les femmes nues
Se baignaient au gouffre amer. -
Ces peuplades inconnues,
Où passaient-elles hier ? -
La voix grêle des cymbales,
Qui fait hennir les cavales,
Se mêlait par intervalles
Aux bruits de la grande mer.

La nuée un moment hésita dans l'espace.
- Est-ce là ? - Nul ne sait qui lui répondit : - Passe !

IV.

L'Égypte ! - Elle étalait, toute blonde d'épis,
Ses champs, bariolés comme un riche tapis,
Plaines que des plaines prolongent ;
L'eau vaste et froide au nord, au sud le sable ardent
Se dispute l'Égypte : elle rit cependant
Entre ces deux mers qui la rongent.

Trois monts bâtis par l'homme au **** perçaient les cieux
D'un triple angle de marbre, et dérobaient aux yeux
Leurs bases de cendre inondées ;
Et de leur faîte aigu jusqu'aux sables dorés,
Allaient s'élargissant leurs monstrueux degrés,
Faits pour des pas de six coudées.

Un sphinx de granit rose, un dieu de marbre vert,
Les gardaient, sans qu'il fût vent de flamme au désert
Qui leur fît baisser la paupière.
Des vaisseaux au flanc large entraient dans un grand port.
Une ville géante, assise sur le bord,
Baignait dans l'eau ses pieds de pierre.

On entendait mugir le semoun meurtrier,
Et sur les cailloux blancs les écailles crier
Sous le ventre des crocodiles.
Les obélisques gris s'élançaient d'un seul jet.
Comme une peau de tigre, au couchant s'allongeait
Le Nil jaune, tacheté d'îles.

L'astre-roi se couchait. Calme, à l'abri du vent,
La mer réfléchissait ce globe d'or vivant,
Ce monde, âme et flambeau du nôtre ;
Et dans le ciel rougeâtre et dans les flots vermeils,
Comme deux rois amis, on voyait deux soleils
Venir au-devant l'un de l'autre.

- Où faut-il s'arrêter ? dit la nuée encor.
- Cherche ! dit une voix dont trembla le Thabor.

V.

Du sable, puis du sable !
Le désert ! noir chaos
Toujours inépuisable
En monstres, en fléaux !
Ici rien ne s'arrête.
Ces monts à jaune crête,
Quand souffle la tempête,
Roulent comme des flots !

Parfois, de bruits profanes
Troublant ce lieu sacré,
Passent les caravanes
D'Ophir ou de Membré.
L'œil de **** suit leur foule,
Qui sur l'ardente houle
Ondule et se déroule
Comme un serpent marbré.

Ces solitudes mornes,
Ces déserts sont à Dieu :
Lui seul en sait les bornes,
En marque le milieu.
Toujours plane une brume
Sur cette mer qui fume,
Et jette pour écume
Une cendre de feu.

- Faut-il changer en lac ce désert ? dit la nue.
- Plus **** ! dit l'autre voix du fond des cieux venue.

VI.

Comme un énorme écueil sur les vagues dressé,
Comme un amas de tours, vaste et bouleversé,
Voici Babel, déserte et sombre.
Du néant des mortels prodigieux témoin,
Aux rayons de la lune, elle couvrait au ****
Quatre montagnes de son ombre.

L'édifice écroulé plongeait aux lieux profonds.
Les ouragans captifs sous ses larges plafonds
Jetaient une étrange harmonie.
Le genre humain jadis bourdonnait à l'entour,
Et sur le globe entier Babel devait un jour
Asseoir sa spirale infinie.

Ses escaliers devaient monter jusqu'au zénith.
Chacun des plus grands monts à ses flancs de granit
N'avait pu fournir qu'une dalle.
Et des sommets nouveaux d'autres sommets chargés
Sans cesse surgissaient aux yeux découragés
Sur sa tête pyramidale.

Les boas monstrueux, les crocodiles verts,
Moindres que des lézards sur ses murs entrouverts,
Glissaient parmi les blocs superbes ;
Et, colosses perdus dans ses larges contours,
Les palmiers chevelus, pendant au front des tours,
Semblaient d'en bas des touffes d'herbes.

Des éléphants passaient aux fentes de ses murs ;
Une forêt croissait sous ses piliers obscurs
Multipliés par la démence ;
Des essaims d'aigles roux et de vautours géants
Jour et nuit tournoyaient à ses porches béants,
Comme autour d'une ruche immense.

- Faut-il l'achever ? dit la nuée en courroux. -
Marche ! - Seigneur, dit-elle, où donc m'emportez-vous ?

VII.

Voilà que deux cités, étranges, inconnues,
Et d'étage en étage escaladant les nues,
Apparaissent, dormant dans la brume des nuits,
Avec leurs dieux, leur peuple, et leurs chars, et leurs bruits.
Dans le même vallon c'étaient deux sœurs couchées.
L'ombre baignait leurs tours par la lune ébauchées ;
Puis l'œil entrevoyait, dans le chaos confus,
Aqueducs, escaliers, piliers aux larges fûts,
Chapiteaux évasés ; puis un groupe difforme
D'éléphants de granit portant un dôme énorme ;
Des colosses debout, regardant autour d'eux
Ramper des monstres nés d'accouplements hideux ;
Des jardins suspendus, pleins de fleurs et d'arcades,
Où la lune jetait son écharpe aux cascades ;
Des temples où siégeaient sur de riches carreaux
Cent idoles de jaspe à têtes de taureaux ;
Des plafonds d'un seul bloc couvrant de vastes salles,
Où, sans jamais lever leurs têtes colossales,
Veillaient, assis en cercle, et se regardant tous,
Des dieux d'airain, posant leurs mains sur leurs genoux.
Ces rampes, ces palais, ces sombres avenues
Où partout surgissaient des formes inconnues,
Ces ponts, ces aqueducs, ces arcs, ces rondes tours,
Effrayaient l'œil perdu dans leurs profonds détours ;
On voyait dans les cieux, avec leurs larges ombres,
Monter comme des caps ces édifices sombres,
Immense entassement de ténèbres voilé !
Le ciel à l'horizon scintillait étoilé,
Et, sous les mille arceaux du vaste promontoire,
Brillait comme à travers une dentelle noire.

Ah ! villes de l'enfer, folles dans leurs désirs !
Là, chaque heure inventait de monstrueux plaisirs,
Chaque toit recelait quelque mystère immonde,
Et, comme un double ulcère, elles souillaient le monde.

Tout dormait cependant : au front des deux cités,
À peine encor glissaient quelques pâles clartés,
Lampes de la débauche, en naissant disparues,
Derniers feux des festins oubliés dans les rues,
De grands angles de murs, par la lune blanchis,
Coupaient l'ombre, ou tremblaient dans une eau réfléchis.
Peut-être on entendait vaguement dans les plaines
S'étouffer des baisers, se mêler des haleines,
Et les deux villes surs, lasses des feux du jour,
Murmurer mollement d'une étreinte d'amour !

Et le vent, soupirant sous le frais sycomore,
Allait tout parfumé de Sodome à Gomorrhe.
C'est alors que passa le nuage noirci,
Et que la voix d'en haut lui cria : - C'est ici !

VIII.

La nuée éclate !
La flamme écarlate
Déchire ses flancs,
L'ouvre comme un gouffre,
Tombe en flots de soufre
Aux palais croulants,
Et jette, tremblante,
Sa lueur sanglante
Sur leurs frontons blancs !

Gomorrhe ! Sodome !
De quel brûlant dôme
Vos murs sont couverts !
L'ardente nuée
Sur vous s'est ruée,
Ô peuples pervers !
Et ses larges gueules
Sur vos têtes seules
Soufflent leurs éclairs !

Ce peuple s'éveille,
Qui dormait la veille
Sans penser à Dieu.
Les grands palais croulent ;
Mille chars qui roulent
Heurtent leur essieu ;
Et la foule accrue,
Trouve en chaque rue
Un fleuve de feu.

Sur ces tours altières,
Colosses de pierres
Trop mal affermis,
Abondent dans l'ombre
Des mourants sans nombre
Encore endormis.
Sur des murs qui pendent
Ainsi se répandent
De noires fourmis !

Se peut-il qu'on fuie
Sous l'horrible pluie ?
Tout périt, hélas !
Le feu qui foudroie
Bat les ponts qu'il broie,
Crève les toits plats,
Roule, tombe, et brise
Sur la dalle grise
Ses rouges éclats !

Sous chaque étincelle
Grossit et ruisselle
Le feu souverain.
Vermeil et limpide,
Il court plus rapide
Qu'un cheval sans frein ;
Et l'idole infâme,
Croulant dans la flamme,
Tord ses bras d'airain !

Il gronde, il ondule,
Du peuple incrédule
Bat les tours d'argent ;
Son flot vert et rose,
Que le soufre arrose,
Fait, en les rongeant,
Luire les murailles
Comme les écailles
D'un lézard changeant.

Il fond comme cire
Agate, porphyre,
Pierres du tombeau,
Ploie, ainsi qu'un arbre,
Le géant de marbre
Qu'ils nommaient Nabo,
Et chaque colonne
Brûle et tourbillonne
Comme un grand flambeau.

En vain quelques mages
Portent les images
Des dieux du haut lieu ;
En vain leur roi penche
Sa tunique blanche
Sur le soufre bleu ;
Le flot qu'il contemple
Emporte leur temple
Dans ses plis de feu !

Plus **** il charrie
Un palais, où crie
Un peuple à l'étroit ;
L'onde incendiaire
Mord l'îlot de pierre
Qui fume et décroît,
Flotte à sa surface,
Puis fond et s'efface
Comme un glaçon froid !

Le grand-prêtre arrive
Sur l'ardente rive
D'où le reste a fui.
Soudain sa tiare
Prend feu comme un phare,
Et pâle, ébloui,
Sa main qui l'arrache
À son front s'attache,
Et brûle avec lui.

Le peuple, hommes, femmes,
Court... Partout les flammes
Aveuglent les yeux ;
Des deux villes mortes
Assiégeant les portes
À flots furieux,
La foule maudite
Croit voir, interdite,
L'enfer dans les cieux !

IX.

On dit qu'alors, ainsi que pour voir un supplice
Un vieux captif se dresse aux murs de sa prison,
On vit de **** Babel, leur fatale complice,
Regarder par-dessus les monts de l'horizon.

On entendit, durant cet étrange mystère,
Un grand bruit qui remplit le monde épouvanté,
Si profond qu'il troubla, dans leur morne cité,
Jusqu'à ces peuples sourds qui vivent sous la terre.

X.

Le feu fut sans pitié ! Pas un des condamnés
Ne put fuir de ces murs brûlant et calcinés.
Pourtant, ils levaient leurs mains viles,
Et ceux qui s'embrassaient dans un dernier adieu,
Terrassés, éblouis, se demandaient quel dieu
Versait un volcan sur leurs villes.

Contre le feu vivant, contre le feu divin,
De larges toits de marbre ils s'abritaient en vain.
Dieu sait atteindre qui le brave.
Ils invoquaient leurs dieux ; mais le feu qui punit
Frappait ces dieux muets dont les yeux de granit
Soudain fondaient en pleurs de lave !

Ainsi tout disparut sous le noir tourbillon,
L'homme avec la cité, l'herbe avec le sillon !
Dieu brûla ces mornes campagnes ;
Rien ne resta debout de ce peuple détruit,
Et le vent inconnu qui souffla cette nuit
Changea la forme des montagnes.

XI.

Aujourd'hui le palmier qui croît sur le rocher
Sent sa feuille jaunie et sa tige sécher
À cet air qui brûle et qui pèse.
Ces villes ne sont plus ; et, miroir du passé,
Sur leurs débris éteints s'étend un lac glacé,
Qui fume comme une fournaise !

Octobre 1828.
À M. Léon Bailby.


Oiseau tranquille au vol inverse oiseau
Qui nidifie en l'air
À la limite où notre sol brille déjà
Baisse ta deuxième paupière la terre t'éblouit
Quand tu lèves la tête

Et moi aussi de près je suis sombre et terne
Une brume qui vient d'obscurcir les lanternes
Une main qui tout à coup se pose devant les yeux
Une voûte entre vous et toutes les lumières
Et je m'éloignerai m'illuminant au milieu d'ombres
Et d'alignements d'yeux des astres bien-aimés

Oiseau tranquille au vol inverse oiseau
Qui nidifie en l'air
À la limite où brille déjà ma mémoire
Baisse ta deuxième paupière
Ni à cause du soleil ni à cause de la terre
Mais pour ce feu oblong dont l'intensité ira s'augmentant
Au point qu'il deviendra un jour l'unique lumière
Un jour
Un jour je m'attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes
Pour que je sache enfin celui-là que je suis
Moi qui connais les autres
Je les connais par les cinq sens et quelques autres
Il me suffit de voir leurs pieds pour pouvoir refaire ces gens à milliers
De voir leurs pieds paniques un seul de leurs cheveux
Ou leur langue quand il me plaît de faire le médecin
Ou leurs enfants quand il me plaît de faire le prophète
Les vaisseaux des armateurs la plume de mes confrères
La monnaie des aveugles les mains des muets
Ou bien encore à cause du vocabulaire et non de l'écriture
Une lettre écrite par ceux qui ont plus de vingt ans
Il me suffit de sentir l'odeur de leurs églises
L'odeur des fleuves dans leurs villes
Le parfum des fleurs dans les jardins publics
Ô Corneille Agrippa l'odeur d'un petit chien m'eût suffi
Pour décrire exactement tes concitoyens de Cologne
Leurs rois-mages et la ribambelle ursuline
Qui t'inspirait l'erreur touchant toutes les femmes
Il me suffit de goûter la saveur du laurier qu'on cultive pour que j'aime ou que je bafoue
Et de toucher les vêtements
Pour ne pas douter si l'on est frileux ou non
Ô gens que je connais
Il me suffit d'entendre le bruit de leurs pas
Pour pouvoir indiquer à jamais la direction qu'ils ont prise
Il me suffit de tous ceux-là pour me croire le droit
De ressusciter les autres
Un jour je m'attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes
Et d'un lyrique pas s'avançaient ceux que j'aime
Parmi lesquels je n'étais pas
Les géants couverts d'algues passaient dans leurs villes
Sous-marines où les tours seules étaient des îles
Et cette mer avec les clartés de ses profondeurs
Coulait sang de mes veines et fait battre mon cœur
Puis sur terre il venait mille peuplades blanches
Dont chaque homme tenait une rose à la main
Et le langage qu'ils inventaient en chemin
Je l'appris de leur bouche et je le parle encore
Le cortège passait et j'y cherchais mon corps
Tous ceux qui survenaient et n'étaient pas moi-même
Amenaient un à un les morceaux de moi-même
On me bâtit peu à peu comme on élève une tour
Les peuples s'entassaient et je parus moi-même
Qu'ont formé tous les corps et les choses humaines

Temps passés Trépassés Les dieux qui me formâtes
Je ne vis que passant ainsi que vous passâtes
Et détournant mes yeux de ce vide avenir
En moi-même je vois tout le passé grandir

Rien n'est mort que ce qui n'existe pas encore
Près du passé luisant demain est incolore
Il est informe aussi près de ce qui parfait
Présente tout ensemble et l'effort et l'effet.
Il faut laisser maisons et vergers et jardins,
Vaisselles et vaisseaux que l'artisan burine,
Et chanter son obseque en la façon du Cygne,
Qui chante son trespas sur les bors Maeandrins.


C'est fait j'ay devidé le cours de mes destins,
J'ay vescu, j'ay rendu mon nom assez insigne,
Ma plume vole au ciel pour estre quelque signe
**** des appas mondains qui trompent les plus fins.


Heureux qui ne fut onc, plus heureux qui retourne
En rien comme il estoit, plus heureux qui sejourne
D'homme fait nouvel ange aupres de Jesuchrist,


Laissant pourrir ça bas sa despouille de boüe
Dont le sort, la fortune, et le destin se joüe,
Franc des liens du corps pour n'estre qu'un esprit.
I.

Aimez bien vos amours ; aimez l'amour qui rêve
Une rose à la lèvre et des fleurs dans les yeux ;
C'est lui que vous cherchez quand votre avril se lève,
Lui dont reste un parfum quand vos ans se font vieux.

Aimez l'amour qui joue au soleil des peintures,
Sous l'azur de la Grèce, autour de ses autels,
Et qui déroule au ciel la tresse et les ceintures,
Ou qui vide un carquois sur des coeurs immortels.

Aimez l'amour qui parle avec la lenteur basse
Des Ave Maria chuchotés sous l'arceau ;
C'est lui que vous priez quand votre tête est lasse,
Lui dont la voix vous rend le rythme du berceau.

Aimez l'amour que Dieu souffla sur notre fange,
Aimez l'amour aveugle, allumant son flambeau,
Aimez l'amour rêvé qui ressemble à notre ange,
Aimez l'amour promis aux cendres du tombeau !

Aimez l'antique amour du règne de Saturne,
Aimez le dieu charmant, aimez le dieu caché,
Qui suspendait, ainsi qu'un papillon nocturne,
Un baiser invisible aux lèvres de Psyché !

Car c'est lui dont la terre appelle encore la flamme,
Lui dont la caravane humaine allait rêvant,
Et qui, triste d'errer, cherchant toujours une âme,
Gémissait dans la lyre et pleurait dans le vent.

Il revient ; le voici : son aurore éternelle
A frémi comme un monde au ventre de la nuit,
C'est le commencement des rumeurs de son aile ;
Il veille sur le sage, et la vierge le suit.

Le songe que le jour dissipe au coeur des femmes,
C'est ce Dieu. Le soupir qui traverse les bois,
C'est ce Dieu. C'est ce Dieu qui tord les oriflammes
Sur les mâts des vaisseaux et des faîtes des toits.

Il palpite toujours sous les tentes de toile,
Au fond de tous les cris et de tous les secrets ;
C'est lui que les lions contemplent dans l'étoile ;
L'oiseau le chante au loup qui le hurle aux forêts.

La source le pleurait, car il sera la mousse,
Et l'arbre le nommait, car il sera le fruit,
Et l'aube l'attendait, lui, l'épouvante douce
Qui fera reculer toute ombre et toute nuit.

Le voici qui retourne à nous, son règne est proche,
Aimez l'amour, riez ! Aimez l'amour, chantez !
Et que l'écho des bois s'éveille dans la roche,
Amour dans les déserts, amour dans les cités !

Amour sur l'Océan, amour sur les collines !
Amour dans les grands lys qui montent des vallons !
Amour dans la parole et les brises câlines !
Amour dans la prière et sur les violons !

Amour dans tous les coeurs et sur toutes les lèvres !
Amour dans tous les bras, amour dans tous les doigts !
Amour dans tous les seins et dans toutes les fièvres !
Amour dans tous les yeux et dans toutes les voix !

Amour dans chaque ville : ouvrez-vous, citadelles !
Amour dans les chantiers : travailleurs, à genoux !
Amour dans les couvents : anges, battez des ailes !
Amour dans les prisons : murs noirs, écroulez-vous !

II.

Mais adorez l'Amour terrible qui demeure
Dans l'éblouissement des futures Sions,
Et dont la plaie, ouverte encor, saigne à toute heure
Sur la croix, dont les bras s'ouvrent aux nations.
O horrible ! o horrible ! most horrible !
Shakespeare, Hamlet.

On a cru devoir réimprimer cette ode telle qu'elle a été composée et publiée
en juin 1826, à l'époque du désastre de Missolonghi. Il est important de se rappeler,
en la lisant, que tous les journaux d'Europe annoncèrent alors la mort de Canaris,
tué dans son brûlot par une bombe turque, devant la ville qu'il venait secourir.
Depuis, cette nouvelle fatale a été heureusement démentie.


I.

Le dôme obscur des nuits, semé d'astres sans nombre,
Se mirait dans la mer resplendissante et sombre ;
La riante Stamboul, le front d'étoiles voilé,
Semblait, couchée au bord du golfe qui l'inonde,
Entre les feux du ciel et les reflets de l'onde,
Dormir dans un globe étoilé.

On eût dit la cité dont les esprits nocturnes
Bâtissent dans les airs les palais taciturnes,
À voir ses grands harems, séjours des longs ennuis,
Ses dômes bleus, pareils au ciel qui les colore,
Et leurs mille croissants, que semblaient faire éclore
Les rayons du croissant des nuits.

L'œil distinguait les tours par leurs angles marquées,
Les maisons aux toits plats, les flèches des mosquées,
Les moresques balcons en trèfles découpés,
Les vitraux, se cachant sous des grilles discrètes,
Et les palais dorés, et comme des aigrettes
Les palmiers sur leur front groupés.

Là, de blancs minarets dont l'aiguille s'élance
Tels que des mâts d'ivoire armés d'un fer de lance ;
Là, des kiosques peints ; là, des fanaux changeants ;
Et sur le vieux sérail, que ses hauts murs décèlent,
Cent coupoles d'étain, qui dans l'ombre étincellent
Comme des casques de géants !

II.

Le sérail...! Cette nuit il tressaillait de joie.
Au son des gais tambours, sur des tapis de soie,
Les sultanes dansaient sous son lambris sacré ;
Et, tel qu'un roi couvert de ses joyaux de fête,
Superbe, il se montrait aux enfants du prophète,
De six mille têtes paré !

Livides, l'œil éteint, de noirs cheveux chargés,
Ces têtes couronnaient, sur les créneaux rangées,
Les terrasses de rose et de jasmins en fleur :
Triste comme un ami, comme lui consolante,
La lune, astre des morts, sur leur pâleur sanglante
Répandait sa douce pâleur.

Dominant le sérail, de la porte fatale
Trois d'entre elles marquaient l'ogive orientale ;
Ces têtes, que battait l'aile du noir corbeau,
Semblaient avoir reçu l'atteinte meurtrière,
L'une dans les combats, l'autre dans la prière,
La dernière dans le tombeau.

On dit qu'alors, tandis qu'immobiles comme elles,
Veillaient stupidement les mornes sentinelles,
Les trois têtes soudain parlèrent ; et leurs voix
Ressemblaient à ces chants qu'on entend dans les rêves,
Aux bruits confus du flot qui s'endort sur les grèves,
Du vent qui s'endort dans les bois !

III.

La première voix.

« Où suis-je...? mon brûlot ! à la voile ! à la rame !
Frères, Missolonghi fumante nous réclame,
Les Turcs ont investi ses remparts généreux.
Renvoyons leurs vaisseaux à leurs villes lointaines,
Et que ma torche, ô capitaines !
Soit un phare pour vous, soit un foudre pour eux !

« Partons ! Adieu Corinthe et son haut promontoire,
Mers dont chaque rocher porte un nom de victoire,
Écueils de l'Archipel sur tous les flots semés,
Belles îles, des cieux et du printemps chéries,
Qui le jour paraissez des corbeilles fleuries,
La nuit, des vases parfumés !

« Adieu, fière patrie, Hydra, Sparte nouvelle !
Ta jeune liberté par des chants se révèle ;
Des mâts voilent tes murs, ville de matelots !
Adieu ! j'aime ton île où notre espoir se fonde,
Tes gazons caressés par l'onde,
Tes rocs battus d'éclairs et rongés par les flots !

« Frères, si je reviens, Missolonghi sauvée,
Qu'une église nouvelle au Christ soit élevée.
Si je meurs, si je tombe en la nuit sans réveil,
Si je verse le sang qui me reste à répandre,
Dans une terre libre allez porter ma cendre,
Et creusez ma tombe au soleil !

« Missolonghi ! - Les Turcs ! - Chassons, ô camarades,
Leurs canons de ses forts, leurs flottes de ses rades.
Brûlons le capitan sous son triple canon.
Allons ! que des brûlots l'ongle ardent se prépare.
Sur sa nef, si je m'en empare,
C'est en lettres de feu que j'écrirai mon nom.

« Victoire ! amis...! - Ô ciel ! de mon esquif agile
Une bombe en tombant brise le pont fragile...
Il éclate, il tournoie, il s'ouvre aux flots amers !
Ma bouche crie en vain, par les vagues couverte !
Adieu ! je vais trouver mon linceul d'algue verte,
Mon lit de sable au fond des mers.

« Mais non ! Je me réveille enfin...! Mais quel mystère ?
Quel rêve affreux...! mon bras manque à mon cimeterre.
Quel est donc près de moi ce sombre épouvantail ?
Qu'entends-je au ****...? des chœurs... sont-ce des voix de femmes ?
Des chants murmurés par des âmes ?
Ces concerts...! suis-je au ciel ? - Du sang... c'est le sérail ! »

IV.

La deuxième voix.

« Oui, Canaris, tu vois le sérail et ma tête
Arrachée au cercueil pour orner cette fête.
Les Turcs m'ont poursuivi sous mon tombeau glacé.
Vois ! ces os desséchés sont leur dépouille opime :
Voilà de Botzaris ce qu'au sultan sublime
Le ver du sépulcre a laissé !

« Écoute : Je dormais dans le fond de ma tombe,
Quand un cri m'éveilla : Missolonghi succombe !
Je me lève à demi dans la nuit du trépas ;
J'entends des canons sourds les tonnantes volées,
Les clameurs aux clameurs mêlées,
Les chocs fréquents du fer, le bruit pressé des pas.

« J'entends, dans le combat qui remplissait la ville,
Des voix crier : « Défends d'une horde servile,
Ombre de Botzaris, tes Grecs infortunés ! »
Et moi, pour m'échapper, luttant dans les ténèbres,
J'achevais de briser sur les marbres funèbres
Tous mes ossements décharnés.

« Soudain, comme un volcan, le sol s'embrase et gronde... -
Tout se tait ; - et mon œil ouvert pour l'autre monde
Voit ce que nul vivant n'eût pu voir de ses yeux.
De la terre, des flots, du sein profond des flammes,
S'échappaient des tourbillons d'âmes
Qui tombaient dans l'abîme ou s'envolaient aux cieux !

« Les Musulmans vainqueurs dans ma tombe fouillèrent ;
Ils mêlèrent ma tête aux vôtres qu'ils souillèrent.
Dans le sac du Tartare on les jeta sans choix.
Mon corps décapité tressaillit d'allégresse ;
Il me semblait, ami, pour la Croix et la Grèce
Mourir une seconde fois.

« Sur la terre aujourd'hui notre destin s'achève.
Stamboul, pour contempler cette moisson du glaive,
Vile esclave, s'émeut du Fanar aux Sept-Tours ;
Et nos têtes, qu'on livre aux publiques risées,
Sur l'impur sérail exposées,
Repaissent le sultan, convive des vautours !

« Voilà tous nos héros ! Costas le palicare ;
Christo, du mont Olympe ; Hellas, des mers d'Icare ;
Kitzos, qu'aimait Byron, le poète immortel ;
Et cet enfant des monts, notre ami, notre émule,
Mayer, qui rapportait aux fils de Thrasybule
La flèche de Guillaume Tell !

« Mais ces morts inconnus, qui dans nos rangs stoïques
Confondent leurs fronts vils à des fronts héroïques,
Ce sont des fils maudits d'Eblis et de Satan,
Des Turcs, obscur troupeau, foule au sabre asservie,
Esclaves dont on prend la vie,
Quand il manque une tête au compte du sultan !

« Semblable au Minotaure inventé par nos pères,
Un homme est seul vivant dans ces hideux repaires,
Qui montrent nos lambeaux aux peuples à genoux ;
Car les autres témoins de ces fêtes fétides,
Ses eunuques impurs, ses muets homicides,
Ami, sont aussi morts que nous.

« Quels sont ces cris...? - C'est l'heure où ses plaisirs infâmes
Ont réclamé nos sœurs, nos filles et nos femmes.
Ces fleurs vont se flétrir à son souffle inhumain.
Le tigre impérial, rugissant dans sa joie,
Tour à tour compte chaque proie,
Nos vierges cette nuit, et nos têtes demain ! »

V.

La troisième voix.

« Ô mes frères ! Joseph, évêque, vous salue.
Missolonghi n'est plus ! À sa mort résolue,
Elle a fui la famine et son venin rongeur.
Enveloppant les Turcs dans son malheur suprême,
Formidable victime, elle a mis elle-même
La flamme à son bûcher vengeur.

« Voyant depuis vingt jours notre ville affamée,
J'ai crié : « Venez tous ; il est temps, peuple, armée !
Dans le saint sacrifice il faut nous dire adieu.
Recevez de mes mains, à la table céleste,
Le seul aliment qui nous reste,
Le pain qui nourrit l'âme et la transforme en dieu ! »

« Quelle communion ! Des mourants immobiles,
Cherchant l'hostie offerte à leurs lèvres débiles,
Des soldats défaillants, mais encor redoutés,
Des femmes, des vieillards, des vierges désolées,
Et sur le sein flétri des mères mutilées
Des enfants de sang allaités !

« La nuit vint, on partit ; mais les Turcs dans les ombres
Assiégèrent bientôt nos morts et nos décombres.
Mon église s'ouvrit à leurs pas inquiets.
Sur un débris d'autel, leur dernière conquête,
Un sabre fit rouler ma tête...
J'ignore quelle main me frappa : je priais.

« Frères, plaignez Mahmoud ! Né dans sa loi barbare,
Des hommes et de Dieu son pouvoir le sépare.
Son aveugle regard ne s'ouvre pas au ciel.
Sa couronne fatale, et toujours chancelante,
Porte à chaque fleuron une tête sanglante ;
Et peut-être il n'est pas cruel !

« Le malheureux, en proie, aux terreurs implacables,
Perd pour l'éternité ses jours irrévocables.
Rien ne marque pour lui les matins et les soirs.
Toujours l'ennui ! Semblable aux idoles qu'ils dorent,
Ses esclaves de **** l'adorent,
Et le fouet d'un spahi règle leurs encensoirs.

« Mais pour vous tout est joie, honneur, fête, victoire.
Sur la terre vaincus, vous vaincrez dans l'histoire.
Frères, Dieu vous bénit sur le sérail fumant.
Vos gloires par la mort ne sont pas étouffées :
Vos têtes sans tombeaux deviennent vos trophées ;
Vos débris sont un monument !

« Que l'apostat surtout vous envie ! Anathème
Au chrétien qui souilla l'eau sainte du baptême !
Sur le livre de vie en vain il fut compté :
Nul ange ne l'attend dans les cieux où nous sommes ;
Et son nom, exécré des hommes,
Sera, comme un poison, des bouches rejeté !

« Et toi, chrétienne Europe, entends nos voix plaintives.
Jadis, pour nous sauver, saint Louis vers nos rives
Eût de ses chevaliers guidé l'arrière-ban.
Choisis enfin, avant que ton Dieu ne se lève,
De Jésus et d'Omar, de la croix et du glaive,
De l'auréole et du turban. »

VI.

Oui, Botzaris, Joseph, Canaris, ombres saintes,
Elle entendra vos voix, par le trépas éteintes ;
Elle verra le signe empreint sur votre front ;
Et soupirant ensemble un chant expiatoire,
À vos débris sanglants portant leur double gloire,
Sur la harpe et le luth les deux Grèces diront :

« Hélas ! vous êtes saints et vous êtes sublimes,
Confesseurs, demi-dieux, fraternelles victimes !
Votre bras aux combats s'est longtemps signalé ;
Morts, vous êtes tous trois souillés par des mains viles.
Voici votre Calvaire après vos Thermopyles ;
Pour tous les dévouements votre sang a coulé !

« Ah ! si l'Europe en deuil, qu'un sang si pur menace,
Ne suit jusqu'au sérail le chemin qu'il lui trace,
Le Seigneur la réserve à d'amers repentirs.
Marin, prêtre, soldat, nos autels vous demandent ;
Car l'Olympe et le Ciel à la fois vous attendent,
Pléiade de héros ! Trinité de martyrs ! »

Juin 1826.
Paul d'Aubin Sep 2016
La vie s'en est allée

La vie s'en est allée
comme vont et viennent les vagues
avec leur écume et leurs ressacs.
Avec leurs rêves de jeunesse
trop souvent envolés
dans la forêt des illusions perdues.

La vie s'en est allée
Comme une pluie d'illusions
Pour nous, rêveurs trébuchants,
Et celles et ceux, brillants
comme des papillons
Happés par leurs mirages.

La vie s'en est allée
Comme l'on fait naufrage,
En se retrouvant Robinson
Dans une île inconnue, **** de tout secours
Guettant les signes de vaisseaux
Qui ne passeront probablement jamais.

La vie, s'en est allée
Comme meurent les roses
Laissant charmes et beauté,
Se dissiper comme des parfums
Évaporés avec le temps.
Ne laissant qu'une faible empreinte.

La vie s'en est allée,
Comme un dernier souffle
Comme un regard mouillé
Qui voudrait s'attarder
Mais n'a plus le pouvoir
de capter l'attention
Des passant(e)s fuyant(e)s.

Paul Arrighi
Ode XXVIII.

Si j'avois un riche tresor,
Ou des vaisseaux engravez d'or,
Tableaux ou medailles de cuivre,
Ou ces joyaux qui font passer
Tant de mers pour les amasser,
Où le jour se laisse revivre,

Je t'en ferois un beau present.
Mais quoy ! cela ne t'est plaisant,
Aux richesses tu ne t'amuses
Qui ne font que nous estonner ;
C'est pourquoy je te veux donner
Le bien que m'ont donné les Muses.

Je sçay que tu contes assez
De biens l'un sur l'autre amassez,
Qui perissent comme fumée,
Ou comme un songe qui s'enfuit
Du cerveau si tost que la nuit
Au second somme est consumée.

L'un au matin s'enfle en son bien,
Qui au soleil couchant n'a rien,
Par défaveur, ou par disgrace,
Ou par un changement commun,
Ou par l'envie de quelqu'un
Qui ravit ce que l'autre amasse.

Mais les beaux vers ne changent pas,
Qui durent contre le trespas,
Et en devançant les années,
Hautains de gloire et de bonheur,
Des hommes emportent l'honneur
Dessur leurs courses empennées.

Dy-moy, Verdun, qui penses-tu
Qui ait deterré la vertu
D'Hector, d'Achille et d'Alexandre,
Envoyé Bacchus dans les Cieux,
Et Hercule au nombre des dieux,
Et de Junon l'a fait le gendre,

Sinon le vers bien accomply,
Qui tirant leurs noms de l'oubly,
Plongez au plus profond de l'onde
De Styx, les a remis au jour,
Les relogeant au grand sejour
Par deux fois de nostre grand monde ?

Mort est l'honneur de tant de rois
Espagnols, germains et françois,
D'un tombeau pressant leur mémoire ;
Car les rois et les empereurs
Ne different aux laboureurs
Si quelcun ne chante leur gloire.

Quant à moy, je ne veux souffrir
Que ton beau nom se vienne offrir
A la Mort, sans que je le vange,
Pour n'estre jamais finissant,
Mais d'âge en âge verdissant,
Surmonter la Mort et le change.

Je veux, malgré les ans obscurs,
Que tu sois des peuples futurs
Cognu sur tous ceux de nostre âge,
Pour avoir conçeu volontiers
Des neuf Pucelles les mestiers,
Qui t'ont enflamé le courage,

Non pas au gain ny au vil prix,
Mais pour estre des mieux appris
Entre les hommes qui s'assemblent
Sur Parnasse au double sourci ;
C'est pourquoy tu aimes aussi
Les bons esprits qui te ressemblent.

Or pour le plaisir, quant à moy,
Verdun, que j'ay reçeu de toy,
Tu n'auras rien de ton poète
Sinon ces vers que je t'ay faits,
Et avec ces vers les souhaits
Que pour bonheur je te souhaite.

Dieu vueille benir ta maison
De beaux enfans naiz à foison
De ta femme belle et pudique ;
La concorde habite en ton lit,
Et bien **** de toy soit le bruit
De toute noise domestique.

Sois gaillard, dispost et joyeux,
Ny convoiteux ny soucieux
Des choses qui nous rongent l'âme ;
Fuy toutes sortes de douleurs,
Et ne pren soucy des malheurs
Qui sont predits par Nostradame.

Ne romps ton tranquille repos
Pour papaux, ny pour huguenots,
Ny amy d'eux, ny adversaire,
Croyant que Dieu père très doux
(Qui n'est partial comme nous)
Sçait ce qui nous est nécessaire.

N'ayes soucy du lendemain,
Mais, serrant le temps en la main,
Vy joyeusement la journée
Et l'heure en laquelle seras :
Et que sçais-tu si tu verras
L'autre lumiere retournée ?

Couche-toy à l'ombre d'un bois,
Ou près d'un rivage où la vois
D'une fontaine jazeresse
Tressaute, et tandis que tes ans
Sont encore et verds et plaisans,
Par le jeu trompe la vieillesse.

Tout incontinent nous mourrons,
Et bien **** bannis nous irons
Dedans une nacelle obscure
Où plus de rien ne nous souvient,
Et d'où jamais on ne revient :
Car ainsi l'a voulu Nature.
Alfred, j'ai vu des jours où nous vivions en frères,
Servant les mêmes dieux aux autels littéraires :
Le ciel n'avait formé qu'une âme pour deux corps ;
Beaux jours d'épanchement, d'amour et d'harmonie,
Où ma voix à la tienne incessamment unie
Allait se perdre au ciel en de divins accords.

Qui de nous a changé ? Pourquoi dans la carrière
L'un court-il en avant, laissant l'autre en arrière ?
Lequel des deux soldats a déserté les rangs ?
Pourquoi ces deux vaisseaux qui naviguaient ensemble,
Désespérant déjà d'un port qui les rassemble,
Vont-ils chercher si **** des bords si différents ?

Je n'ai pas dévoué mon maître aux gémonies,
Je n'ai pas abreuvé de fiel et d'avanies
L'idole où mes genoux s'usaient à se plier :
Je n'ai point du passé répudié la trace,
J'y suis resté fidèle, et n'ai point, comme Horace,
Au milieu du combat jeté mon bouclier.

Non, c'est toi qui changeas. Un nom qui se révèle
T'éblouit des rayons de sa gloire nouvelle.
Tu vois dans le bourgeon le fruit qui doit mûrir :
Mécène du Virgile et saint Jean du Messie,
Tu répands en tous lieux la saint Prophétie,
Tu sèmes la parole et tu la fais fleurir.

Je ne suis pas de ceux qui vont dans les ******
S'inspirer aux lueurs blafardes des bougies,
Qui dans l'air obscurci par les vapeurs du vin,
Tentent de ranimer leur muse exténuée,
Comme un vieillard flétri qu'une prostituée
Sous ses baisers impurs veut réchauffer en vain.

C'est ainsi que j'entends l'œuvre de poésie :
Chacun de nous s'est fait l'art à sa fantaisie,
Chacun de nous l'a vu d'un différent côté.
Prisme aux mille couleurs, chaque œil en saisit une
Suivant le point divers où l'a mis la fortune :
Dieu lui seul peut tout voir dans son immensité.

Conserve la croyance et respecte la nôtre,
Apôtre dévoué de la gloire d'un autre ;
Fais-toi du nouveau Dieu confesseur et martyr,
Ne crois pas que mon cœur cède comme une argile
Ni que ta voix, prêchant le nouvel Évangile,
Si chaude qu'elle soit, puisse me convertir.

Adieu. Garde ta foi, garde ton opulence.
Laisse-moi recueillir mon cœur dans le silence,
Laisse-moi consumer mes jours comme un reclus ;
Pardonne cependant à cette rêverie,
C'est le chant d'un proscrit en quittant la patrie,
C'est la voix d'un ami que tu n'entendras plus.
Au rendez-vous des assassins
Le sang et la peinture fraîche
Odeur du froid
On tue au dessert
Les bougies n'agiront pas assez
Nous aurons évidemment besoin de nos petits
outils
Le chef se masque
Velours des abstractions
Monsieur va sans doute au bal de l'Opéra
Tous les crimes se passent à La Muette
Et cœtera
Ils ne voient que l'argent à gagner Opossum
Ma bande réunit les plus grands noms de France
Bouquets de fleurs Abus de confiance
J'entraîne Paris dans mon déshonneur Course
Coup de Bourse
La perspective réjouit le cœur des complices
Machine infernale au sein d'un coquelicot
Ils ne s'enrichiront plus longtemps C'est à leur
tour
Étoile en journal des carreaux cassés
Je connais les points faibles des vilebrequins
mes camarades
On arrive à ses fins par la délation sans yeux
Le poison Bière mousseuse
Ou la trahison.
Celui-ci Pâture du cheval de bois
Je le livre à la police
Les autres se frottent les mains
Vous ne perdez rien pour attendre
Il y aura des sinistres sur mer cette nuit
Des attentats Des préoccupations
Sur les descentes de lit la mort coule en lacs
rouges
Encore deux amis avant d'arriver à mon frère
Il me regarde en souriant et je lui montre aussi
les dents
Lequel étranglera l'autre
La main dans la main

Tirerons-nous au sort le nom de la victime
L'agression nœud coulant
Celui qui parlait trépasse
Le meurtrier se relève et dit
Suicide
Fin du monde
Enroulement des drapeaux coquillages
Le flot ne rend pas ses vaisseaux
Secrets de goudron Torches
Fruit percé de trous Sifflet de plomb
Je rends le massacre inutile et renie
le passé vert et blanc pour le plaisir
Je mets au concours l'anarchie
dans toutes les librairies et gares.
Je voudrais être, sur la terre,
L'unique héritier des grands rois
Dont la force et l'éclat font taire
Tous les revendiqueurs des droits,

De ces rois d'Asie et d'Afrique,
Monarques des derniers pays
Où les maîtres sont, sans réplique,
Sans réserve, encore obéis.

Je verrais, à mon tour idole,
Les trois quarts du monde vivant
Se prosterner sous ma parole
Comme un champ de blés sous le vent.

Les tribus des races voisines
Feraient affluer par milliers
Les venaisons dans mes cuisines,
Les vins rares dans mes celliers,

Des chevaux plein mes écuries,
Des meutes traînant leurs valets,
Des marbres, des tapisseries,
Des vases d'or, plein mes palais !

Sous mes mains j'aurais des captives
Belles de pleurs, et sous mes pieds
Les têtes fières ou craintives
De leurs pères humiliés.

Je posséderais sans conquête
Mon vaste empire, et sans rival !
Dans la sécurité complète
D'un pouvoir salué légal.

Alors, alors, ô joie intense !
Convoquant mon peuple et ma cour,
Devant la servile assistance
Moi-même, en plein règne, au grand jour,

Avec un cynisme suprême,
Je briserais sur mon genou
Le sceptre avec le diadème,
Comme un enfant casse un joujou ;

De mes épaules accablées
Arrachant le royal manteau,
Aux multitudes assemblées
Je jetterais l'affreux fardeau ;

Pour les déshérités prodigue
Je laisserais tous mes trésors,
Comme un torrent qui rompt sa digue,
Se précipiter au dehors ;

Cessant d'appuyer ma sandale
Sur la nuque des prisonniers ;
Je rendrais la terre natale
Aux plus fameux comme aux derniers ;

J'abandonnerais à mes troupes
Tout l'or glorieux des rançons ;
Puis je laisserais dans mes coupes
Boire mes propres échansons ;

Sur mes parcs, mes greniers, mes caves,
Par-dessus fossé, grille et mur,
Je lâcherais tous mes esclaves
Comme des ramiers dans l'azur !

Tout mon harem, filles et veuves,
S'en retournerait au foyer,
Pour enfanter des races neuves
Que nul tyran ne pût broyer,

Qui ne fussent plus la curée
D'un vainqueur, suppôt de la mort,
Mais serves d'une loi jurée
Dans un libre et paisible accord,

Fondant la cité juste et bonne
Où chaque homme en levant la main
Sent qu'il atteste en sa personne
La dignité du genre humain !

Et moi qui fuis même la gêne
Des pactes librement conclus,
Moi qui ne suis roseau ni chêne,
Ni souple, ni viril non plus,

Je m'en irais finir ma vie
Au milieu des mers, sous l'azur,
Dans une île, une île assoupie
Dont le sol serait vierge et sûr,

Île qui n'aurait pas encore
Senti l'ancre des noirs vaisseaux,
Dont n'approcheraient que l'aurore,
Le nuage et le pli des eaux.

Dans cette oasis embaumée,
**** des froides lois en vigueur,
Viens, dirais-je à la bien-aimée,
Appuyer ton cœur sur mon cœur ;

Des lianes feront guirlandes
Entre les palmiers sur nos fronts,
Et tu verras des fleurs si grandes
Qu'ensemble nous y dormirons.
Mais gloire aux cathédrales !
Pleines d'ombre et de feux, de silence et de râles,
Avec leur forêt d'énormes piliers
Et leur peuple de saints, moines et chevaliers,
Ce sont des cités au-dessus des villes,
Que gardent seulement les sons irréguliers
De l'aumône, au fond des sébiles,
Sous leurs porches hospitaliers.
Humblement agenouillées
Comme leurs sœurs des champs dans les herbes mouillées,
Sous le clocher d'ardoise ou le dôme d'étain,
Où les angélus clairs tintent dans le matin,
Les églises et les chapelles
Des couvents,
Tout au **** vers elles,
Mêlent un rire allègre au rire amer des vents,
En joyeuses vassales ;
Mais elles, dans les cieux traversés des vautours,
Comme au cœur d'une ruche, aux cages de leurs tours,
C'est un bourdonnement de guêpes colossales.
Voyez dans le nuage blanc
Qui traverse là-haut des solitudes bleues,
Par-dessus les balcons d'où l'on voit les banlieues,
Voyez monter la flèche au coq étincelant,
Qui, toute frémissante et toujours plus fluette,
Défiant parfois les regards trop lents,
Va droit au ciel se perdre, ainsi que l'alouette.
Ceux-là qui dressèrent la tour
Avec ses quatre rangs d'ouïes
Qui versent la rumeur des cloches éblouies,
Ceux qui firent la porte avec les saints autour,
Ceux qui bâtirent la muraille,
Ceux qui surent ployer les bras des arcs-boutants,
Dont la solidité se raille
Des gifles de l'éclair et des griffes du temps ;
Tous ceux dont les doigts ciselèrent
Les grands portails du temple, et ceux qui révélèrent
Les traits mystérieux du Christ et des Élus,
Que le siècle va voir et qu'il ne comprend plus ;
Ceux qui semèrent de fleurs vives
Le vitrail tout en flamme au cadre des ogives
Ces royaux ouvriers et ces divins sculpteurs
Qui suspendaient au ciel l'abside solennelle,
Dont les ciseaux pieux criaient dans les hauteurs,
N'ont point gravé leur nom sur la pierre éternelle ;
Vous les avez couverts, poudre des parchemins !
Vous seules les savez, vierges aux longues mains !
Vous, dont les Jésus rient dans leurs barcelonnettes,
Artistes d'autrefois, où vous reposez-vous ?
Sous quelle tombe où l'on prie à genoux ?
Et vous, mains qui tendiez les nerfs des colonnettes,
Et vous, doigts qui semiez
De saintes le portail où nichent les ramiers,
Et qui, dans les rayons dont le soleil l'arrose,
Chaque jour encor faites s'éveiller
La rosace, immortelle rose
Que nul vent ne vient effeuiller !
Ô cathédrales d'or, demeures des miracles
Et des soleils de gloire échevelés autour
Des tabernacles
De l'amour !
Vous qui retentissez toujours de ses oracles,
Vaisseaux délicieux qui voguez vers le jour !
Vous qui sacrez les rois, grandes et nobles dames,
Qui réchauffez les cœurs et recueillez les âmes
Sous votre vêtement fait en forme de croix !
Vous qui voyez, ô souveraines,
La ville à vos genoux courber ses toits !
Vous dont les cloches sont, fières de leurs marraines,
Comme un bijou sonore à l'oreille des reines !
Vous dont les beaux pieds sont de marbre pur !
Vous dont les voiles
Sont d'azur !
Vous dont la couronne est d'étoiles !
Sous vos habits de fête ou vos robes de deuil,
Vous êtes belles sans orgueil !
Vous montez sans orgueil vos marches en spirales
Qui conduisent au bord du ciel,
Ô magnifiques cathédrales,
Chaumières de Jésus, Bethléem éternel !
Si longues, qu'un brouillard léger toujours les voile ;
Si douces, que la lampe y ressemble à l'étoile,
Les nefs aux silences amis,
Dans l'air sombre des soirs, dans les bancs endormis,
Comptent les longs soupirs dont tremble un écho chaste
Et voient les larmes d'or où l'âme se répand,
Sous l'œil d'un Christ qui semble, en son calvaire vaste,
Un grand oiseau blessé dont l'aile lasse pend.
Ah ! bienheureux le cœur qui, dans les sanctuaires,
Près des cierges fleuris qu'allument les prières,
Souvent, dans l'encens bleu, vers le Seigneur monta,
Et qui, dans les parfums mystiques, écouta
Ce que disent les croix, les clous et les suaires,
Et ce que dit la paix du confessionnal,
Oreille de l'amour que l'homme connaît mal !...
Avec sa grille étroite et son ombre sévère,
Ô sages, qui parliez autour du Parthénon,
Le confessionnal, c'est la maison de verre
À qui Socrate rêve et qui manque à Zénon !
Grandes ombres du Styx, me répondrez-vous: non ?...
Ce que disent les cathédrales,
Soit qu'un baptême y jase au bord des eaux lustrales,
Soit qu'au peuple, autour d'un cercueil,
Un orgue aux ondes sépulcrales
Y verse un vin funèbre et l'ivresse du deuil,
Soit que la foule autour des tables
S'y presse aux repas délectables,
Soit qu'un prêtre vêtu de blanc
Y rayonne au fond de sa chaise,
Soit que la chaire y tonne ou soit qu'elle se taise,
Heureux le cœur qui l'écoute en tremblant !
Heureux celui qui vous écoute,
Vagues frémissements des ailes sous la voûte !
Comme une clé qui luit dans un trousseau vermeil
Quand un rayon plus rouge aux doigts d'or du soleil
A clos la porte obscure au seuil de chaque église,
Quand le vitrail palpite au vol de l'heure grise,
Quand le parvis plein d'ombre éteint toutes ses voix,
Ô cathédrales, je vous vois
Semblables au navire émergeant de l'eau brune,
Et vos clochetons fins sont des mâts sous la lune ;
D'invisibles ris sont largués,
Une vigie est sur la hune,
Car immobiles, vous voguez,
Car c'est en vous que je vois l'arche
Qui, sur l'ordre de Dieu, vers Dieu s'est mise en marche ;
La race de Noé gronde encore dans vos flancs ;
Vous êtes le vaisseau des immortels élans,
Et vous bravez tous les désastres.
Car le maître est Celui qui gouverne les astres,
Le pilote, Celui qui marche sur les eaux...
Laissez, autour de vous, pousser aux noirs oiseaux
Leur croassement de sinistre augure ;
Allez, vous êtes la figure
Vivante de l'humanité ;
Et la voile du Christ à l'immense envergure
Mène au port de l'éternité.
Cette vallée est triste et grise : un froid brouillard

Pèse sur elle ;

L'horizon est ridé comme un front de vieillard ;

Oiseau, gazelle,

Prêtez-moi votre vol ; éclair, emporte-moi !

Vite, bien vite,

Vers ces plaines du ciel où le printemps est roi,

Et nous invite

À la fête éternelle, au concert éclatant

Qui toujours vibre,

Et dont l'écho lointain, de mon cœur palpitant

Trouble la fibre.

Là, rayonnent, sous l'oeil de Dieu qui les bénit,

Des fleurs étranges,

Là, sont des arbres où gazouillent comme un nid

Des milliers d'anges ;

Là, tous les sons rêves, là, toutes les splendeurs

Inabordables

Forment, par un ***** miraculeux, des chœurs

Inénarrables !

Là, des vaisseaux sans nombre, aux cordages de feu

Fendent les ondes

D'un lac de diamant où se peint le ciel bleu

Avec les mondes ;

Là, dans les airs charmés, volèrent des odeurs

Enchanteresses,

Enivrant à la fois les cerveaux et les cœurs

De leurs caresses.

Des vierges, à la chair phosphorescente, aux yeux

Dont l'orbe austère

Contient l'immensité sidérale des cieux

Et du mystère,

Y baisent chastement, comme il sied aux péris,

Le saint poète,

Qui voit tourbillonner des légions d'esprits

Dessus sa tête.

L'âme, dans cet Éden, boit à flots l'idéal,

Torrent splendide,

Qui tombe des hauts lieux et roule son cristal

Sans une ride.

Ah ! pour me transporter dans ce septième ciel,

Moi, pauvre hère,

Moi, frêle fils d'Adam, cœur tout matériel,

**** de la terre,

**** de ce monde impur où le fait chaque jour

Détruit le rêve,

Où l'or remplace tout, la beauté, l'art, l'amour,

Où ne se lève

Aucune gloire un peu pure que les siffleurs

Ne la déflorent,

Où les artistes pour désarmer les railleurs

Se déshonorent,

**** de ce bagne où, hors le débauché qui dort,

Tous sont infâmes,

**** de tout ce qui vit, **** des hommes, encor

Plus **** des femmes,

Aigle, au rêveur hardi, pour l'enlever du sol,

Ouvre ton aile !

Éclair, emporte-moi ! Prêtez-moi votre vol,

Oiseau, gazelle !
Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l'âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde ;
C'est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
- Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D'hyacinthe et d'or ;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir !

La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !
Comme d'autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.

J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l'ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève !
Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :

Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur.

Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse
Dans ce noir océan où l'autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé !

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?
Comme elle court ! voyez ! - Par les poudreux sentiers,
Par les gazons tout pleins de touffes d'églantiers,
Par les blés où le pavot brille,
Par les chemins perdus, par les chemins frayés,
Par les monts, par les bois, par les plaines, voyez
Comme elle court, la jeune fille !

Elle est grande, elle est svelte, et quand, d'un pas joyeux,
Sa corbeille de fleurs sur la tête, à nos yeux
Elle apparaît vive et folâtre,
A voir sur son beau front s'arrondir ses bras blancs,
On croirait voir de ****, dans nos temples croulants,
Une amphore aux anses d'albâtre.

Elle est jeune et rieuse, et chante sa chanson.
Et, pieds nus, près du lac, de buisson en buisson,
Poursuit les vertes demoiselles.
Elle lève sa robe et passe les ruisseaux.
Elle va, court, s'arrête, et vole, et les oiseaux
Pour ses pieds donneraient leurs ailes.

Quand, le soir, pour la danse on va se réunir,
A l'heure où l'on entend lentement revenir
Les grelots du troupeau qui bêle,
Sans chercher quels atours à ses traits conviendront,
Elle arrive, et la fleur qu'elle attache à son front
Nous semble toujours la plus belle.

Certes, le vieux Omer, pacha de Négrepont,
Pour elle eût tout donné, vaisseaux à triple pont,
Foudroyantes artilleries,
Harnois de ses chevaux, toisons de ses brebis,
Et son rouge turban de soie, et ses habits
Tout ruisselants de pierreries ;

Et ses lourds pistolets, ses tromblons évasés,
Et leurs pommeaux d'argent par sa main rude usés,
Et ses sonores espingoles,
Et son courbe damas, et, don plus riche encor,
La grande peau de tigre où pend son carquois d'or,
Hérissé de flèches mogoles.

Il eût donné sa housse et son large étrier ;
Donné tous ses trésors avec le trésorier ;
Donné ses trois cents concubines ;
Donné ses chiens de chasse aux colliers de vermeil ;
Donné ses albanais, brûlés par le soleil,
Avec leurs longues carabines.

Il eût donné les francs, les juifs et leur rabbin ;
Son kiosque rouge et vert, et ses salles de bain
Aux grands pavés de mosaïque ;
Sa haute citadelle aux créneaux anguleux ;
Et sa maison d'été qui se mire aux flots bleus
D'un golfe de Cyrénaïque.

Tout ! jusqu'au cheval blanc, qu'il élève au sérail,
Dont la sueur à flots argente le poitrail ;
Jusqu'au frein que l'or damasquine ;
Jusqu'à cette espagnole, envoi du dey d'Alger,
Qui soulève, en dansant son fandango léger,
Les plis brodés de sa basquine !

Ce n'est point un pacha, c'est un klephte à l'œil noir
Qui l'a prise, et qui n'a rien donné pour l'avoir ;
Car la pauvreté l'accompagne ;
Un klephte a pour tous biens l'air du ciel, l'eau des puits,
Un bon fusil bronzé par la fumée, et puis
La liberté sur la montagne.

Le 14 mai 1828.
La mer pousse une vaste plainte,
Se tord et se roule avec bruit,
Ainsi qu'une géante enceinte
Qui des grandes douleurs atteinte,
Ne pourrait pas donner son fruit ;

Et sa pleine rondeur se lève
Et s'abaisse avec désespoir.
Mais elle a des heures de trêve :
Alors sous l'azur elle rêve,
Calme et lisse comme un miroir.

Ses pieds caressent les empires,
Ses mains soutiennent les vaisseaux,
Elle rit aux moindres zéphires,
Et les cordages sont des lyres,
Et les hunes sont des berceaux.

Elle dit au marin : « Pardonne
Si mon tourment te fait mourir ;
Hélas ! Je sens que je suis bonne,
Mais je souffre et ne vois personne
D'assez fort pour me secourir ! »

Puis elle s'enfle encor, se creuse
Et gémit dans sa profondeur ;
Telle, en sa force douloureuse,
Une grande âme malheureuse
Qu'isole sa propre grandeur !
A la nuit satine
la belle Orion se mire
dans l'air frissonnant
des sables constellés,
et sur les rives lactées
où coule le Nil,
je me pavane
le nez dans les étoiles,
suivant des yeux
les volutes sorcières
d'un havane suave
embaumant Misraïm.
Qu'ont-ils raconté
ces hommes, venant de Mars,
lorsqu'ils débarquèrent
de leurs vaisseaux,
fuyant leur terre moribonde ?
Et quel espoir oublié
chérissaient-ils
que garde en son ventre
le sphinx immobile ?
Mon vieux Samir
reprenons une rasade
de ce doux Rhum
couleur d'ambre
parfumé de santal
et laissons sous le sable
soupirer ce mystère
qui sommeille.

— The End —