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On lit dans les Annales de la propagation de la Foi :
« Une lettre de Hong-Kong (Chine), en date du 24 juillet
1832, nous annonce que M. Bonnard, missionnaire du
Tong-King, a été décapité pour la foi, le 1er mai dernier. »
Ce nouveau martyr était né dans le diocèse de Lyon et
appartenait à la Société des Missions étrangères. Il était
parti pour le Tong-King en 1849. »

I.

Ô saint prêtre ! grande âme ! oh ! je tombe à genoux !
Jeune, il avait encor de longs jours parmi nous,
Il n'en a pas compté le nombre ;
Il était à cet âge où le bonheur fleurit ;
Il a considéré la croix de Jésus-Christ
Toute rayonnante dans l'ombre.

Il a dit : - « C'est le Dieu de progrès et d'amour.
Jésus, qui voit ton front croit voir le front du jour.
Christ sourit à qui le repousse.
Puisqu'il est mort pour nous, je veux mourir pour lui ;
Dans son tombeau, dont j'ai la pierre pour appui,
Il m'appelle d'une voix douce.

« Sa doctrine est le ciel entr'ouvert ; par la main,
Comme un père l'enfant, il tient le genre humain ;
Par lui nous vivons et nous sommes ;
Au chevet des geôliers dormant dans leurs maisons,
Il dérobe les clefs de toutes les prisons
Et met en liberté les hommes.

« Or il est, **** de nous, une autre humanité
Qui ne le connaît point, et dans l'iniquité
Rampe enchaînée, et souffre et tombe ;
Ils font pour trouver Dieu de ténébreux efforts ;
Ils s'agitent en vain ; ils sont comme des morts
Qui tâtent le mur de leur tombe.

« Sans loi, sans but, sans guide, ils errent ici-bas.
Ils sont méchants, étant ignorants ; ils n'ont pas
Leur part de la grande conquête.
J'irai. Pour les sauver je quitte le saint lieu.
Ô mes frères, je viens vous apporter mon Dieu,
Je viens vous apporter ma tête ! » -

Prêtre, il s'est souvenu, calme en nos jours troublés,
De la parole dite aux apôtres : - Allez,  
Bravez les bûchers et les claies ! -
Et de l'adieu du Christ au suprême moment :
- Ô vivant, aimez-vous ! aimez. En vous aimant,
Frères, vous fermerez mes plaies. -

Il s'est dit qu'il est bon d'éclairer dans leur nuit
Ces peuples égarés **** du progrès qui luit,
Dont l'âme est couverte de voiles ;
Puis il s'en est allé, dans les vents, dans les flots,
Vers les noirs chevalets et les sanglants billots,
Les yeux fixés sur les étoiles.

II.

Ceux vers qui cet apôtre allait, l'ont égorgé.

III.

Oh ! tandis que là-bas, hélas ! chez ces barbares,
S'étale l'échafaud de tes membres chargé,
Que le bourreau, rangeant ses glaives et ses barres,
Frotte au gibet son ongle où ton sang s'est figé ;

Ciel ! tandis que les chiens dans ce sang viennent boire,
Et que la mouche horrible, essaim au vol joyeux,
Comme dans une ruche entre en ta bouche noire
Et bourdonne au soleil dans les trous de tes yeux ;

Tandis qu'échevelée, et sans voix, sans paupières,
Ta tête blême est là sur un infâme pieu,
Livrée aux vils affronts, meurtrie à coups de pierres,
Ici, derrière toi, martyr, on vend ton Dieu !

Ce Dieu qui n'est qu'à toi, martyr, on te le vole !
On le livre à Mandrin, ce Dieu pour qui tu meurs !
Des hommes, comme toi revêtus de l'étole,
Pour être cardinaux, pour être sénateurs,

Des prêtres, pour avoir des palais, des carrosses,
Et des jardins l'été riant sous le ciel bleu,
Pour argenter leur mitre et pour dorer leurs crosses,
Pour boire de bon vin, assis près d'un bon feu,

Au forban dont la main dans le meurtre est trempée,
Au larron chargé d'or qui paye et qui sourit,
Grand Dieu ! retourne-toi vers nous, tête coupée !
Ils vendent Jésus-Christ ! ils vendent Jésus-Christ !

Ils livrent au bandit, pour quelques sacs sordides,
L'évangile, la loi, l'autel épouvanté,
Et la justice aux yeux sévères et candides,
Et l'étoile du coeur humain, la vérité !

Les bons jetés, vivants, au bagne, ou morts, aux fleuves,
L'homme juste proscrit par Cartouche Sylla,
L'innocent égorgé, le deuil sacré des veuves,
Les pleurs de l'orphelin, ils vendent tout cela !

Tout ! la foi, le serment que Dieu tient sous sa garde,
Le saint temple où, mourant, tu dis :Introïbo,
Ils livrent tout ! pudeur, vertu ! - martyr, regarde,
Rouvre tes yeux qu'emplit la lueur du tombeau ; -

Ils vendent l'arche auguste où l'hostie étincelle !
Ils vendent Christ, te dis-je ! et ses membres liés !
Ils vendent la sueur qui sur son front ruisselle,
Et les clous de ses mains, et les clous de ses pieds !

Ils vendent au brigand qui chez lui les attire
Le grand crucifié sur les hommes penché ;
Ils vendent sa parole, ils vendent son martyre,
Et ton martyre à toi par-dessus le marché !

Tant pour les coups de fouet qu'il reçut à la porte !
César ! tant pour l'amen, tant pour l'alléluia !
Tant pour la pierre où vint heurter sa tête morte !
Tant pour le drap rougi que sa barbe essuya !

Ils vendent ses genoux meurtris, sa palme verte,
Sa plaie au flanc, son oeil tout baigné d'infini,
Ses pleurs, son agonie, et sa bouche entrouverte,
Et le cri qu'il poussa : Lamma Sabacthani !

Ils vendent le sépulcre ! ils vendent les ténèbres !
Les séraphins chantant au seuil profond des cieux,
Et la mère debout sous l'arbre aux bras funèbres,
Qui, sentant là son fils, ne levait pas les yeux !

Oui, ces évêques, oui, ces marchands, oui, ces prêtres
A l'histrion du crime, assouvi, couronné,
A ce Néron repu qui rit parmi les traîtres,
Un pied sur Thraséas, un coude sur Phryné,

Au voleur qui tua les lois à coups de crosse,
Au pirate empereur Napoléon dernier,
Ivre deux fois, immonde encor plus que féroce,
Pourceau dans le cloaque et loup dans le charnier,

Ils vendent, ô martyr, le Dieu pensif et pâle
Qui, debout sur la terre et sous le firmament,
Triste et nous souriant dans notre nuit fatale,
Sur le noir Golgotha saigne éternellement !

Du 5 au 8 novembre 1852, à Jersey
I


Mon Dieu m'a dit : Mon fils, il faut m'aimer. Tu vois

Mon flanc percé, mon cœur qui rayonne et qui saigne,

Et mes pieds offensés que Madeleine baigne

De larmes, et mes bras douloureux sous le poids


De tes péchés, et mes mains ! Et tu vois la croix,

Tu vois les clous, le fiel, l'éponge et tout t'enseigne

À n'aimer, en ce monde où la chair règne.

Que ma Chair et mon Sang, ma parole et ma voix.


Ne t'ai-je pas aimé jusqu'à la mort moi-même,

Mon frère en mon Père, ô mon fils en l'Esprit,

Et n'ai-je pas souffert, comme c'était écrit ?


N'ai-je pas sangloté ton angoisse suprême

Et n'ai-je pas sué la sueur de tes nuits,

Lamentable ami qui me cherches où je suis ? »


II


J'ai répondu : Seigneur, vous avez dit mon âme.

C'est vrai que je vous cherche et ne vous trouve pas.

Mais vous aimer ! Voyez comme je suis en bas,

Vous dont l'amour toujours monte comme la flamme.


Vous, la source de paix que toute soif réclame,

Hélas ! Voyez un peu mes tristes combats !

Oserai-je adorer la trace de vos pas,

Sur ces genoux saignants d'un rampement infâme ?


Et pourtant je vous cherche en longs tâtonnements,

Je voudrais que votre ombre au moins vêtît ma houle,

Mais vous n'avez pas d'ombre, ô vous dont l'amour monte,


Ô vous, fontaine calme, amère aux seuls amants

De leur damnation, ô vous toute lumière

Sauf aux yeux dont un lourd baiser tient la paupière !


III


- Il faut m'aimer ! Je suis l'universel Baiser,

Je suis cette paupière et je suis cette lèvre

Dont tu parles, ô cher malade, et cette fièvre

Qui t'agite, c'est moi toujours ! il faut oser


M'aimer ! Oui, mon amour monte sans biaiser

Jusqu'où ne grimpe pas ton pauvre amour de chèvre,

Et t'emportera, comme un aigle vole un lièvre,

Vers des serpolets qu'un ciel cher vient arroser.


Ô ma nuit claire ! Ô tes yeux dans mon clair de lune !

Ô ce lit de lumière et d'eau parmi la brune !

Toute celle innocence et tout ce reposoir !


Aime-moi ! Ces deux mots sont mes verbes suprêmes,

Car étant ton Dieu tout-puissant, Je peux vouloir,

Mais je ne veux d'abord que pouvoir que tu m'aimes.


IV


- Seigneur, c'est trop ? Vraiment je n'ose. Aimer qui ? Vous ?

Oh ! non ! Je tremble et n'ose. Oh ! vous aimer je n'ose,

Je ne veux pas ! Je suis indigne. Vous, la Rose

Immense des purs vents de l'Amour, ô Vous, tous


Les cœurs des saints, ô vous qui fûtes le Jaloux

D'Israël, Vous, la chaste abeille qui se pose

Sur la seule fleur d'une innocence mi-close.

Quoi, moi, moi, pouvoir Vous aimer. Êtes-vous fous


Père, Fils, Esprit ? Moi, ce pécheur-ci, ce lâche,

Ce superbe, qui fait le mal comme sa tâche

Et n'a dans tous ses sens, odorat, toucher, goût.


Vue, ouïe, et dans tout son être - hélas ! dans tout

Son espoir et dans tout son remords que l'extase

D'une caresse où le seul vieil Adam s'embrase ?


V


- Il faut m'aimer. Je suis ces Fous que tu nommais,

Je suis l'Adam nouveau qui mange le vieil homme,

Ta Rome, ton Paris, ta Sparte et ta Sodome,

Comme un pauvre rué parmi d'horribles mets.


Mon amour est le feu qui dévore à jamais

Toute chair insensée, et l'évaporé comme

Un parfum, - et c'est le déluge qui consomme

En son Ilot tout mauvais germe que je semais.


Afin qu'un jour la Croix où je meurs fût dressée

Et que par un miracle effrayant de bonté

Je t'eusse un jour à moi, frémissant et dompté.


Aime. Sors de ta nuit. Aime. C'est ma pensée

De toute éternité, pauvre âme délaissée,

Que tu dusses m'aimer, moi seul qui suis resté !


VI


- Seigneur, j'ai peur. Mon âme en moi tressaille toute.

Je vois, je sens qu'il faut vous aimer. Mais comment

Moi, ceci, me ferais-je, ô mon Dieu, votre amant,

Ô Justice que la vertu des bons redoute ?


Oui, comment ? Car voici que s'ébranle la voûte

Où mon cœur creusait son ensevelissement

Et que je sens fluer à moi le firmament,

Et je vous dis : de vous à moi quelle est la route ?


Tendez-moi votre main, que je puisse lever

Cette chair accroupie et cet esprit malade.

Mais recevoir jamais la céleste accolade.


Est-ce possible ? Un jour, pouvoir la retrouver

Dans votre sein, sur votre cœur qui fut le nôtre,

La place où reposa la tête de l'apôtre ?


VII


- Certes, si tu le veux mériter, mon fils, oui,

Et voici. Laisse aller l'ignorance indécise

De ton cœur vers les bras ouverts de mon Église,

Comme la guêpe vole au lis épanoui.


Approche-toi de mon oreille. Épanches-y

L'humiliation d'une brave franchise.

Dis-moi tout sans un mot d'orgueil ou de reprise

Et m'offre le bouquet d'un repentir choisi.


Puis franchement et simplement viens à ma table.

Et je t'y bénirai d'un repas délectable

Auquel l'ange n'aura lui-même qu'assisté,


Et tu boiras le Vin de la vigne immuable,

Dont la force, dont la douceur, dont la bonté

Feront germer ton sang à l'immortalité.


- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Puis, va ! Garde une foi modeste en ce mystère

D'amour par quoi je suis ta chair et ta raison,

Et surtout reviens très souvent dans ma maison,

Pour y participer au Vin qui désaltère.


Au Pain sans qui la vie est une trahison,

Pour y prier mon Père et supplier ma Mère

Qu'il te soit accordé, dans l'exil de la terre,

D'être l'agneau sans cris qui donne sa toison.


D'être l'enfant vêtu de lin et d'innocence,

D'oublier ton pauvre amour-propre et ton essence,

Enfin, de devenir un peu semblable à moi


Qui fus, durant les jours d'Hérode et de Pilate

Et de Judas et de Pierre, pareil à toi

Pour souffrir et mourir d'une mort scélérate !


- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Et pour récompenser ton zèle en ces devoirs

Si doux qu'ils sont encore d'ineffables délices,

Je te ferai goûter sur terre mes prémices,

La paix du cœur, l'amour d'être pauvre, et mes soirs -


Mystiques, quand l'esprit s'ouvre aux calmes espoirs

Et croit boire, suivant ma promesse, au Calice

Éternel, et qu'au ciel pieux la lune glisse,

Et que sonnent les angélus roses et noirs,


En attendant l'assomption dans ma lumière,

L'éveil sans fin dans ma charité coutumière,

La musique de mes louanges à jamais,


Et l'extase perpétuelle et la science.

Et d'être en moi parmi l'aimable irradiance

De tes souffrances, enfin miennes, que j'aimais !


VIII


- Ah ! Seigneur, qu'ai-je ? Hélas ! me voici tout en larmes

D'une joie extraordinaire : votre voix

Me fait comme du bien et du mal à la fois,

Et le mal et le bien, tout a les mêmes charmes.


Je ris, je pleure, et c'est comme un appel aux armes

D'un clairon pour des champs de bataille où je vois

Des anges bleus et blancs portés sur des pavois,

Et ce clairon m'enlève en de fières alarmes.


J'ai l'extase et j'ai la terreur d'être choisi.

Je suis indigne, mais je sais votre clémence.

Ah ! quel effort, mais quelle ardeur ! Et me voici


Plein d'une humble prière, encore qu'un trouble immense

Brouille l'espoir que votre voix me révéla,

Et j'aspire en tremblant.


IX


- Pauvre âme, c'est cela !
I

Mets-toi sur ton séant, lève tes yeux, dérange
Ce drap glacé qui fait des plis sur ton front d'ange,
Ouvre tes mains, et prends ce livre : il est à toi.

Ce livre où vit mon âme, espoir, deuil, rêve, effroi,
Ce livre qui contient le spectre de ma vie,
Mes angoisses, mon aube, hélas ! de pleurs suivie,
L'ombre et son ouragan, la rose et son pistil,
Ce livre azuré, triste, orageux, d'où sort-il ?
D'où sort le blême éclair qui déchire la brume ?
Depuis quatre ans, j'habite un tourbillon d'écume ;
Ce livre en a jailli. Dieu dictait, j'écrivais ;
Car je suis paille au vent. Va ! dit l'esprit. Je vais.
Et, quand j'eus terminé ces pages, quand ce livre
Se mit à palpiter, à respirer, à vivre,
Une église des champs, que le lierre verdit,
Dont la tour sonne l'heure à mon néant, m'a dit :
Ton cantique est fini ; donne-le-moi, poëte.
- Je le réclame, a dit la forêt inquiète ;
Et le doux pré fleuri m'a dit : - Donne-le-moi.
La mer, en le voyant frémir, m'a dit : - Pourquoi
Ne pas me le jeter, puisque c'est une voile !
- C'est à moi qu'appartient cet hymne, a dit l'étoile.
- Donne-le-nous, songeur, ont crié les grands vents.
Et les oiseaux m'ont dit : - Vas-tu pas aux vivants
Offrir ce livre, éclos si **** de leurs querelles ?
Laisse-nous l'emporter dans nos nids sur nos ailes ! -
Mais le vent n'aura point mon livre, ô cieux profonds !
Ni la sauvage mer, livrée aux noirs typhons,
Ouvrant et refermant ses flots, âpres embûches ;
Ni la verte forêt qu'emplit un bruit de ruches ;
Ni l'église où le temps fait tourner son compas ;
Le pré ne l'aura pas, l'astre ne l'aura pas,
L'oiseau ne l'aura pas, qu'il soit aigle ou colombe,
Les nids ne l'auront pas ; je le donne à la tombe.

II

Autrefois, quand septembre en larmes revenait,
Je partais, je quittais tout ce qui me connaît,
Je m'évadais ; Paris s'effaçait ; rien, personne !
J'allais, je n'étais plus qu'une ombre qui frissonne,
Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler,
Sachant bien que j'irais où je devais aller ;
Hélas ! je n'aurais pu même dire : Je souffre !
Et, comme subissant l'attraction d'un gouffre,
Que le chemin fût beau, pluvieux, froid, mauvais,
J'ignorais, je marchais devant moi, j'arrivais.
Ô souvenirs ! ô forme horrible des collines !
Et, pendant que la mère et la soeur, orphelines,
Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir
Avec l'avidité morne du désespoir ;
Puis j'allais au champ triste à côté de l'église ;
Tête nue, à pas lents, les cheveux dans la bise,
L'oeil aux cieux, j'approchais ; l'accablement soutient ;
Les arbres murmuraient : C'est le père qui vient !
Les ronces écartaient leurs branches desséchées ;
Je marchais à travers les humbles croix penchées,
Disant je ne sais quels doux et funèbres mots ;
Et je m'agenouillais au milieu des rameaux
Sur la pierre qu'on voit blanche dans la verdure.
Pourquoi donc dormais-tu d'une façon si dure
Que tu n'entendais pas lorsque je t'appelais ?

Et les pêcheurs passaient en traînant leurs filets,
Et disaient : Qu'est-ce donc que cet homme qui songe ?
Et le jour, et le soir, et l'ombre qui s'allonge,
Et Vénus, qui pour moi jadis étincela,
Tout avait disparu que j'étais encor là.
J'étais là, suppliant celui qui nous exauce ;
J'adorais, je laissais tomber sur cette fosse,
Hélas ! où j'avais vu s'évanouir mes cieux,
Tout mon coeur goutte à goutte en pleurs silencieux ;
J'effeuillais de la sauge et de la clématite ;
Je me la rappelais quand elle était petite,
Quand elle m'apportait des lys et des jasmins,
Ou quand elle prenait ma plume dans ses mains,
Gaie, et riant d'avoir de l'encre à ses doigts roses ;
Je respirais les fleurs sur cette cendre écloses,
Je fixais mon regard sur ces froids gazons verts,
Et par moments, ô Dieu, je voyais, à travers
La pierre du tombeau, comme une lueur d'âme !

Oui, jadis, quand cette heure en deuil qui me réclame
Tintait dans le ciel triste et dans mon coeur saignant,
Rien ne me retenait, et j'allais ; maintenant,
Hélas !... - Ô fleuve ! ô bois ! vallons dont je fus l'hôte,
Elle sait, n'est-ce pas ? que ce n'est pas ma faute
Si, depuis ces quatre ans, pauvre coeur sans flambeau,
Je ne suis pas allé prier sur son tombeau !

III

Ainsi, ce noir chemin que je faisais, ce marbre
Que je contemplais, pâle, adossé contre un arbre,
Ce tombeau sur lequel mes pieds pouvaient marcher,
La nuit, que je voyais lentement approcher,
Ces ifs, ce crépuscule avec ce cimetière,
Ces sanglots, qui du moins tombaient sur cette pierre,
Ô mon Dieu, tout cela, c'était donc du bonheur !

Dis, qu'as-tu fait pendant tout ce temps-là ? - Seigneur,
Qu'a-t-elle fait ? - Vois-tu la vie en vos demeures ?
A quelle horloge d'ombre as-tu compté les heures ?
As-tu sans bruit parfois poussé l'autre endormi ?
Et t'es-tu, m'attendant, réveillée à demi ?
T'es-tu, pâle, accoudée à l'obscure fenêtre
De l'infini, cherchant dans l'ombre à reconnaître
Un passant, à travers le noir cercueil mal joint,
Attentive, écoutant si tu n'entendais point
Quelqu'un marcher vers toi dans l'éternité sombre ?
Et t'es-tu recouchée ainsi qu'un mât qui sombre,
En disant : Qu'est-ce donc ? mon père ne vient pas !
Avez-vous tous les deux parlé de moi tout bas ?

Que de fois j'ai choisi, tout mouillés de rosée,
Des lys dans mon jardin, des lys dans ma pensée !
Que de fois j'ai cueilli de l'aubépine en fleur !
Que de fois j'ai, là-bas, cherché la tour d'Harfleur,
Murmurant : C'est demain que je pars ! et, stupide,
Je calculais le vent et la voile rapide,
Puis ma main s'ouvrait triste, et je disais : Tout fuit !
Et le bouquet tombait, sinistre, dans la nuit !
Oh ! que de fois, sentant qu'elle devait m'attendre,
J'ai pris ce que j'avais dans le coeur de plus tendre
Pour en charger quelqu'un qui passerait par là !

Lazare ouvrit les yeux quand Jésus l'appela ;
Quand je lui parle, hélas ! pourquoi les ferme-t-elle ?
Où serait donc le mal quand de l'ombre mortelle
L'amour violerait deux fois le noir secret,
Et quand, ce qu'un dieu fit, un père le ferait ?

IV

Que ce livre, du moins, obscur message, arrive,
Murmure, à ce silence, et, flot, à cette rive !
Qu'il y tombe, sanglot, soupir, larme d'amour !
Qu'il entre en ce sépulcre où sont entrés un jour
Le baiser, la jeunesse, et l'aube, et la rosée,
Et le rire adoré de la fraîche épousée,
Et la joie, et mon coeur, qui n'est pas ressorti !
Qu'il soit le cri d'espoir qui n'a jamais menti,
Le chant du deuil, la voix du pâle adieu qui pleure,
Le rêve dont on sent l'aile qui nous effleure !
Qu'elle dise : Quelqu'un est là ; j'entends du bruit !
Qu'il soit comme le pas de mon âme en sa nuit !

Ce livre, légion tournoyante et sans nombre
D'oiseaux blancs dans l'aurore et d'oiseaux noirs dans l'ombre,
Ce vol de souvenirs fuyant à l'horizon,
Cet essaim que je lâche au seuil de ma prison,
Je vous le confie, air, souffles, nuée, espace !
Que ce fauve océan qui me parle à voix basse,
Lui soit clément, l'épargne et le laisse passer !
Et que le vent ait soin de n'en rien disperser,
Et jusqu'au froid caveau fidèlement apporte
Ce don mystérieux de l'absent à la morte !

Ô Dieu ! puisqu'en effet, dans ces sombres feuillets,
Dans ces strophes qu'au fond de vos cieux je cueillais,
Dans ces chants murmurés comme un épithalame
Pendant que vous tourniez les pages de mon âme,
Puisque j'ai, dans ce livre, enregistré mes jours,
Mes maux, mes deuils, mes cris dans les problèmes sourds,
Mes amours, mes travaux, ma vie heure par heure ;
Puisque vous ne voulez pas encor que je meure,
Et qu'il faut bien pourtant que j'aille lui parler ;
Puisque je sens le vent de l'infini souffler
Sur ce livre qu'emplit l'orage et le mystère ;
Puisque j'ai versé là toutes vos ombres, terre,
Humanité, douleur, dont je suis le passant ;
Puisque de mon esprit, de mon coeur, de mon sang,
J'ai fait l'âcre parfum de ces versets funèbres,
Va-t'en, livre, à l'azur, à travers les ténèbres !
Fuis vers la brume où tout à pas lents est conduit !
Oui, qu'il vole à la fosse, à la tombe, à la nuit,
Comme une feuille d'arbre ou comme une âme d'homme !
Qu'il roule au gouffre où va tout ce que la voix nomme !
Qu'il tombe au plus profond du sépulcre hagard,
A côté d'elle, ô mort ! et que là, le regard,
Près de l'ange qui dort, lumineux et sublime,
Le voie épanoui, sombre fleur de l'abîme !

V

Ô doux commencements d'azur qui me trompiez,
Ô bonheurs ! je vous ai durement expiés !
J'ai le droit aujourd'hui d'être, quand la nuit tombe,
Un de ceux qui se font écouter de la tombe,
Et qui font, en parlant aux morts blêmes et seuls,
Remuer lentement les plis noirs des linceuls,
Et dont la parole, âpre ou tendre, émeut les pierres,
Les grains dans les sillons, les ombres dans les bières,
La vague et la nuée, et devient une voix
De la nature, ainsi que la rumeur des bois.
Car voilà, n'est-ce pas, tombeaux ? bien des années,
Que je marche au milieu des croix infortunées,
Échevelé parmi les ifs et les cyprès,
L'âme au bord de la nuit, et m'approchant tout près,
Et que je vais, courbé sur le cercueil austère,
Questionnant le plomb, les clous, le ver de terre
Qui pour moi sort des yeux de la tête de mort,
Le squelette qui rit, le squelette qui mord,
Les mains aux doigts noueux, les crânes, les poussières,
Et les os des genoux qui savent des prières !

Hélas ! j'ai fouillé tout. J'ai voulu voir le fond.
Pourquoi le mal en nous avec le bien se fond,
J'ai voulu le savoir. J'ai dit : Que faut-il croire ?
J'ai creusé la lumière, et l'aurore, et la gloire,
L'enfant joyeux, la vierge et sa chaste frayeur,
Et l'amour, et la vie, et l'âme, - fossoyeur.

Qu'ai-je appris ? J'ai, pensif , tout saisi sans rien prendre ;
J'ai vu beaucoup de nuit et fait beaucoup de cendre.
Qui sommes-nous ? que veut dire ce mot : Toujours ?
J'ai tout enseveli, songes, espoirs, amours,
Dans la fosse que j'ai creusée en ma poitrine.
Qui donc a la science ? où donc est la doctrine ?
Oh ! que ne suis-je encor le rêveur d'autrefois,
Qui s'égarait dans l'herbe, et les prés, et les bois,
Qui marchait souriant, le soir, quand le ciel brille,
Tenant la main petite et blanche de sa fille,
Et qui, joyeux, laissant luire le firmament,
Laissant l'enfant parler, se sentait lentement
Emplir de cet azur et de cette innocence !

Entre Dieu qui flamboie et l'ange qui l'encense,
J'ai vécu, j'ai lutté, sans crainte, sans remord.
Puis ma porte soudain s'ouvrit devant la mort,
Cette visite brusque et terrible de l'ombre.
Tu passes en laissant le vide et le décombre,
Ô spectre ! tu saisis mon ange et tu frappas.
Un tombeau fut dès lors le but de tous mes pas.

VI

Je ne puis plus reprendre aujourd'hui dans la plaine
Mon sentier d'autrefois qui descend vers la Seine ;
Je ne puis plus aller où j'allais ; je ne puis,
Pareil à la laveuse assise au bord du puits,
Que m'accouder au mur de l'éternel abîme ;
Paris m'est éclipsé par l'énorme Solime ;
La hauteNotre-Dame à présent, qui me luit,
C'est l'ombre ayant deux tours, le silence et la nuit,
Et laissant des clartés trouer ses fatals voiles ;
Et je vois sur mon front un panthéon d'étoiles ;
Si j'appelle Rouen, Villequier, Caudebec,
Toute l'ombre me crie : Horeb, Cédron, Balbeck !
Et, si je pars, m'arrête à la première lieue,
Et me dit: Tourne-toi vers l'immensité bleue !
Et me dit : Les chemins où tu marchais sont clos.
Penche-toi sur les nuits, sur les vents, sur les flots !
A quoi penses-tu donc ? que fais-tu, solitaire ?
Crois-tu donc sous tes pieds avoir encor la terre ?
Où vas-tu de la sorte et machinalement ?
Ô songeur ! penche-toi sur l'être et l'élément !
Écoute la rumeur des âmes dans les ondes !
Contemple, s'il te faut de la cendre, les mondes ;
Cherche au moins la poussière immense, si tu veux
Mêler de la poussière à tes sombres cheveux,
Et regarde, en dehors de ton propre martyre,
Le grand néant, si c'est le néant qui t'attire !
Sois tout à ces soleils où tu remonteras !
Laisse là ton vil coin de terre. Tends les bras,
Ô proscrit de l'azur, vers les astres patries !
Revois-y refleurir tes aurores flétries ;
Deviens le grand oeil fixe ouvert sur le grand tout.
Penche-toi sur l'énigme où l'être se dissout,
Sur tout ce qui naît, vit, marche, s'éteint, succombe,
Sur tout le genre humain et sur toute la tombe !

Mais mon coeur toujours saigne et du même côté.
C'est en vain que les cieux, les nuits, l'éternité,
Veulent distraire une âme et calmer un atome.
Tout l'éblouissement des lumières du dôme
M'ôte-t-il une larme ? Ah ! l'étendue a beau
Me parler, me montrer l'universel tombeau,
Les soirs sereins, les bois rêveurs, la lune amie ;
J'écoute, et je reviens à la douce endormie.

VII

Des fleurs ! oh ! si j'avais des fleurs ! si je pouvais
Aller semer des lys sur ces deux froids chevets !
Si je pouvais couvrir de fleurs mon ange pâle !
Les fleurs sont l'or, l'azur, l'émeraude, l'opale !
Le cercueil au milieu des fleurs veut se coucher ;
Les fleurs aiment la mort, et Dieu les fait toucher
Par leur racine aux os, par leur parfum aux âmes !
Puisque je ne le puis, aux lieux que nous aimâmes,
Puisque Dieu ne veut pas nous laisser revenir,
Puisqu'il nous fait lâcher ce qu'on croyait tenir,
Puisque le froid destin, dans ma geôle profonde,
Sur la première porte en scelle une seconde,
Et, sur le père triste et sur l'enfant qui dort,
Ferme l'exil après avoir fermé la mort,
Puisqu'il est impossible à présent que je jette
Même un brin de bruyère à sa fosse muette,
C'est bien le moins qu'elle ait mon âme, n'est-ce pas ?
Ô vent noir dont j'entends sur mon plafond le pas !
Tempête, hiver, qui bats ma vitre de ta grêle !
Mers, nuits ! et je l'ai mise en ce livre pour elle !

Prends ce livre ; et dis-toi : Ceci vient du vivant
Que nous avons laissé derrière nous, rêvant.
Prends. Et, quoique de ****, reconnais ma voix, âme !
Oh ! ta cendre est le lit de mon reste de flamme ;
Ta tombe est mon espoir, ma charité, ma foi ;
Ton linceul toujours flotte entre la vie et moi.
Prends ce livre, et fais-en sortir un divin psaume !
Qu'entre tes vagues mains il devienne fantôme !
Qu'il blanchisse, pareil à l'aube qui pâlit,
A mesure que l'oeil de mon ange le lit,
Et qu'il s'évanouisse, et flotte, et disparaisse,
Ainsi qu'un âtre obscur qu'un souffle errant caresse,
Ainsi qu'une lueur qu'on voit passer le soir,
Ainsi qu'un tourbillon de feu de l'encensoir,
Et que, sous ton regard éblouissant et sombre,
Chaque page s'en aille en étoiles dans l'ombre !

VIII

Oh ! quoi que nous fassions et quoi que nous disions,
Soit que notre âme plane au vent des visions,
Soit qu'elle se cramponne à l'argile natale,
Toujours nous arrivons à ta grotte fatale,
Gethsémani ! qu'éclaire une vague lueur !
Ô rocher de l'étrange et funèbre sueur !
Cave où l'esprit combat le destin ! ouverture
Sur les profonds effrois de la sombre nature !
Antre d'où le lion sort rêveur, en voyant
Quelqu'un de plus sinistre et de plus effrayant,
La douleur, entrer, pâle, amère, échevelée !
Ô chute ! asile ! ô seuil de la trouble vallée
D'où nous apercevons nos ans fuyants et courts,
Nos propres pas marqués dans la fange des jours,
L'échelle où le mal pèse et monte, spectre louche,
L'âpre frémissement de la palme farouche,
Les degrés noirs tirant en bas les blancs degrés,
Et les frissons aux fronts des anges effarés !

Toujours nous arrivons à cette solitude,
Et, là, nous nous taisons, sentant la plénitude !

Paix à l'ombre ! Dormez ! dormez ! dormez ! dormez !
Êtres, groupes confus lentement transformés !
Dormez, les champs ! dormez, les fleurs ! dormez, les tombes !
Toits, murs, seuils des maisons, pierres des catacombes,
Feuilles au fond des bois, plumes au fond des nids,
Dormez ! dormez, brins d'herbe, et dormez, infinis !
Calmez-vous, forêt, chêne, érable, frêne, yeuse !
Silence sur la grande horreur religieuse,
Sur l'océan qui lutte et qui ronge son mors,
Et sur l'apaisement insondable des morts !
Paix à l'obscurité muette et redoutée,
Paix au doute effrayant, à l'immense ombre athée,
A toi, nature, cercle et centre, âme et milieu,
Fourmillement de tout, solitude de Dieu !
Ô générations aux brumeuses haleines,
Reposez-vous ! pas noirs qui marchez dans les plaines !
Dormez, vous qui saignez ; dormez, vous qui pleurez !
Douleurs, douleurs, douleurs, fermez vos yeux sacrés !
Tout est religio
« Amis et frères ! en présence de ce gouvernement infâme, négation de toute morale, obstacle à tout progrès social, en présence de ce gouvernement meurtrier du peuple, assassin de la République et violateur des lois, de ce gouvernement né de la force et qui doit périr par la force, de ce gouvernement élevé par le crime et qui doit être terrassé par le droit, le français digne du nom de citoyen ne sait pas, ne veut pas savoir s'il y a quelque part des semblants de scrutin, des comédies de suffrage universel et des parodies d'appel à la nation ; il ne s'informe pas s'il y a des hommes qui votent et des hommes qui font voter, s'il y a un troupeau qu'on appelle le sénat et qui délibère et un autre troupeau qu'on appelle le peuple et qui obéit ; il ne s'informe pas si le pape va sacrer au maître-autel de Notre-Dame l'homme qui - n'en doutez pas, ceci est l'avenir inévitable - sera ferré au poteau par le bourreau ; - en présence de M. Bonaparte et de son gouvernement, le citoyen digne de ce nom ne fait qu'une chose et n'a qu'une chose à faire : charger son fusil, et attendre l'heure.

Jersey, le 31 octobre 1852.


Déclaration des proscrits républicains de Jersey, à propos de l'empire, publiée par le Moniteur, signée pour copie conforme :

VICTOR HUGO, FAURE, FOMBERTAUX.


« Nous flétrissons de l'énergie la plus vigoureuse de notre âme les ignobles et coupables manifestes du Parti du Crime. »

(RIANCEY, JOURNAL L'UNION, 22 NOVEMBRE.)

« Le Parti du Crime relève la tête. »

(TOUS LES JOURNAUX ÉLYSÉENS EN CHOEUR.)



Ainsi ce gouvernant dont l'ongle est une griffe,
Ce masque impérial, Bonaparte apocryphe,
À coup sûr Beauharnais, peut-être Verhueil,
Qui, pour la mettre en croix, livra, sbire cruel,
Rome républicaine à Rome catholique,
Cet homme, l'assassin de la chose publique,
Ce parvenu, choisi par le destin sans yeux,
Ainsi, lui, ce glouton singeant l'ambitieux,
Cette altesse quelconque habile aux catastrophes,
Ce loup sur qui je lâche une meute de strophes,
Ainsi ce boucanier, ainsi ce chourineur
À fait d'un jour d'orgueil un jour de déshonneur,
Mis sur la gloire un crime et souillé la victoire
Il a volé, l'infâme, Austerlitz à l'histoire ;
Brigand, dans ce trophée il a pris un poignard ;
Il a broyé bourgeois, ouvrier, campagnard ;
Il a fait de corps morts une horrible étagère
Derrière les barreaux de la cité Bergère ;
Il s'est, le sabre en main, rué sur son serment ;
Il a tué les lois et le gouvernement,
La justice, l'honneur, tout, jusqu'à l'espérance
Il a rougi de sang, de ton sang pur, ô France,
Tous nos fleuves, depuis la Seine jusqu'au Var ;
Il a conquis le Louvre en méritant Clamar ;
Et maintenant il règne, appuyant, ô patrie,
Son vil talon fangeux sur ta bouche meurtrie
Voilà ce qu'il a fait ; je n'exagère rien ;
Et quand, nous indignant de ce galérien,
Et de tous les escrocs de cette dictature,
Croyant rêver devant cette affreuse aventure,
Nous disons, de dégoût et d'horreur soulevés :
- Citoyens, marchons ! Peuple, aux armes, aux pavés !
À bas ce sabre abject qui n'est pas même un glaive !
Que le jour reparaisse et que le droit se lève ! -
C'est nous, proscrits frappés par ces coquins hardis,
Nous, les assassinés, qui sommes les bandits !
Nous qui voulons le meurtre et les guerres civiles !
Nous qui mettons la torche aux quatre coins des villes !

Donc, trôner par la mort, fouler aux pieds le droit
Etre fourbe, impudent, cynique, atroce, adroit ;
Dire : je suis César, et n'être qu'un maroufle
Etouffer la pensée et la vie et le souffle ;
Forcer quatre-vingt-neuf qui marche à reculer ;
Supprimer lois, tribune et presse ; museler
La grande nation comme une bête fauve ;
Régner par la caserne et du fond d'une alcôve ;
Restaurer les abus au profit des félons
Livrer ce pauvre peuple aux voraces Troplongs,
Sous prétexte qu'il fut, **** des temps où nous sommes,
Dévoré par les rois et par les gentilshommes
Faire manger aux chiens ce reste des lions ;
Prendre gaîment pour soi palais et millions ;
S'afficher tout crûment satrape, et, sans sourdines,
Mener joyeuse vie avec des gourgandines
Torturer des héros dans le bagne exécré ;
Bannir quiconque est ferme et fier ; vivre entouré
De grecs, comme à Byzance autrefois le despote
Etre le bras qui tue et la main qui tripote
Ceci, c'est la justice, ô peuple, et la vertu !
Et confesser le droit par le meurtre abattu
Dans l'exil, à travers l'encens et les fumées,
Dire en face aux tyrans, dire en face aux armées
- Violence, injustice et force sont vos noms
Vous êtes les soldats, vous êtes les canons ;
La terre est sous vos pieds comme votre royaume
Vous êtes le colosse et nous sommes l'atome ;
Eh bien ! guerre ! et luttons, c'est notre volonté,
Vous, pour l'oppression, nous, pour la liberté ! -
Montrer les noirs pontons, montrer les catacombes,
Et s'écrier, debout sur la pierre des tombes.
- Français ! craignez d'avoir un jour pour repentirs
Les pleurs des innocents et les os des martyrs !
Brise l'homme sépulcre, ô France ! ressuscite !
Arrache de ton flanc ce Néron parasite !
Sors de terre sanglante et belle, et dresse-toi,
Dans une main le glaive et dans l'autre la loi ! -
Jeter ce cri du fond de son âme proscrite,
Attaquer le forban, démasquer l'hypocrite
Parce que l'honneur parle et parce qu'il le faut,
C'est le crime, cela ! - Tu l'entends, toi, là-haut !
Oui, voilà ce qu'on dit, mon Dieu, devant ta face !
Témoin toujours présent qu'aucune ombre n'efface,
Voilà ce qu'on étale à tes yeux éternels !

Quoi ! le sang fume aux mains de tous ces criminels !
Quoi ! les morts, vierge, enfant, vieillards et femmes grosses
Ont à peine eu le temps de pourrir dans leurs fosses !
Quoi ! Paris saigne encor ! quoi ! devant tous les yeux,
Son faux serment est là qui plane dans les cieux !
Et voilà comme parle un tas d'êtres immondes
Ô noir bouillonnement des colères profondes !

Et maint vivant, gavé, triomphant et vermeil,
Reprend : « Ce bruit qu'on fait dérange mon sommeil.
Tout va bien. Les marchands triplent leurs clientèles,
Et nos femmes ne sont que fleurs et que dentelles !
- De quoi donc se plaint-on ? crie un autre quidam ;
En flânant sur l'asphalte et sur le macadam,
Je gagne tous les jours trois cents francs à la Bourse.
L'argent coule aujourd'hui comme l'eau d'une source ;
Les ouvriers maçons ont trois livres dix sous,
C'est superbe ; Paris est sens dessus dessous.
Il paraît qu'on a mis dehors les démagogues.
Tant mieux. Moi j'applaudis les bals et les églogues
Du prince qu'autrefois à tort je reniais.
Que m'importe qu'on ait chassé quelques niais ?
Quant aux morts, ils sont morts. Paix à ces imbéciles !
Vivent les gens d'esprit ! vivent ces temps faciles
Où l'on peut à son choix prendre pour nourricier
Le crédit mobilier ou le crédit foncier !
La république rouge aboie en ses cavernes,
C'est affreux ! Liberté, droit, progrès, balivernes
Hier encor j'empochais une prime d'un franc ;
Et moi, je sens fort peu, j'en conviens, je suis franc,
Les déclamations m'étant indifférentes,
La baisse de l'honneur dans la hausse des rentes. »

Ô langage hideux ! on le tient, on l'entend !
Eh bien, sachez-le donc ; repus au cœur content,
Que nous vous le disions bien une fois pour toutes,
Oui, nous, les vagabonds dispersés sur les routes,
Errant sans passe-port, sans nom et sans foyer,
Nous autres, les proscrits qu'on ne fait pas ployer,
Nous qui n'acceptons point qu'un peuple s'abrutisse,
Qui d'ailleurs ne voulons, tout en voulant justice,
D'aucune représaille et d'aucun échafaud,
Nous, dis-je, les vaincus sur qui Mandrin prévaut,
Pour que la liberté revive, et que la honte
Meure, et qu'à tous les fronts l'honneur serein remonte,
Pour affranchir romains, lombards, germains, hongrois,
Pour faire rayonner, soleil de tous les droits,
La république mère au centre de l'Europe,
Pour réconcilier le palais et l'échoppe,
Pour faire refleurir la fleur Fraternité,
Pour fonder du travail le droit incontesté,
Pour tirer les martyrs de ces bagnes infâmes,
Pour rendre aux fils le père et les maris aux femmes,
Pour qu'enfin ce grand siècle et cette nation
Sortent du Bonaparte et de l'abjection,
Pour atteindre à ce but où notre âme s'élance,
Nous nous ceignons les reins dans l'ombre et le silence
Nous nous déclarons prêts, prêts, entendez-vous bien ?
- Le sacrifice est tout, la souffrance n'est rien, -
Prêts, quand Dieu fera signe, à donner notre vie
Car, à voir ce qui vit, la mort nous fait envie,
Car nous sommes tous mal sous ce drôle effronté,
Vivant, nous sans patrie, et vous sans liberté !

Oui, sachez-le, vous tous que l'air libre importune
Et qui dans ce fumier plantez votre fortune,
Nous ne laisserons pas le peuple s'assoupir ;
Oui, nous appellerons, jusqu'au dernier soupir,
Au secours de la France aux fers et presque éteinte,
Comme nos grands -aïeux, l'insurrection sainte
Nous convierons Dieu même à foudroyer ceci
Et c'est notre pensée et nous sommes ainsi,
Aimant mieux, dût le sort nous broyer sous sa roue,
Voir couler notre sang que croupir votre boue.

Jersey, le 28 janvier 1853.
Taisez-vous, ô mon cœur ! Taisez-vous, ô mon âme !

Et n'allez plus chercher de querelles au sort ;

Le néant vous appelle et l'oubli vous réclame.


Mon cœur, ne battez plus, puisque vous êtes mort ;

Mon âme, repliez le reste de vos ailes,

Car vous avez tenté votre suprême effort.


Vos deux linceuls sont prêts, et vos fosses jumelles

Ouvrent leur bouche sombre au flanc de mon passé,

Comme au flanc d'un guerrier deux blessures mortelles.


Couchez-vous tout du long dans votre lit glacé ;

Puisse avec vos tombeaux, que va recouvrir l'herbe,

Votre souvenir être à jamais effacé !


Vous n'aurez pas de croix ni de marbre superbe,

Ni d'épitaphe d'or, où quelque saule en pleurs

Laisse les doigts du vent éparpiller sa gerbe.


Vous n'aurez ni blasons, ni chants, ni vers, ni fleurs ;

On ne répandra pas les larmes argentées

Sur le funèbre drap, noir manteau des douleurs.


Votre convoi muet, comme ceux des athées,

Sur le triste chemin rampera dans la nuit ;

Vos cendres sans honneur seront au vent jetées.


La pierre qui s'abîme en tombant fait son bruit ;

Mais vous, vous tomberez sans que l'onde s'émeuve,

Dans ce gouffre sans fond où le remords nous suit.


Vous ne ferez pas même un seul rond sur le fleuve,

Nul ne s'apercevra que vous soyez absents,

Aucune âme ici-bas ne se sentira veuve.


Et le chaste secret du rêve de vos ans

Périra tout entier sous votre tombe obscure

Où rien n'attirera le regard des passants.


Que voulez-vous ? Hélas ! Notre mère Nature,

Comme toute autre mère, a ses enfants gâtés,

Et pour les malvenus elle est avare et dure.


Aux uns tous les bonheurs et toutes les beautés !

L'occasion leur est toujours bonne et fidèle :

Ils trouvent au désert des palais enchantés ;


Ils tètent librement la féconde mamelle ;

La chimère à leur voix s'empresse d'accourir,

Et tout l'or du Pactole entre leurs doigts ruisselle.


Les autres moins aimés, ont beau tordre et pétrir

Avec leurs maigres mains la mamelle tarie,

Leur frère a bu le lait qui les devait nourrir.


S'il éclot quelque chose au milieu de leur vie,

Une petite fleur sous leur pâle gazon,

Le sabot du vacher l'aura bientôt flétrie.


Un rayon de soleil brille à leur horizon,

Il fait beau dans leur âme ; à coup sûr, un nuage

Avec un flot de pluie éteindra le rayon.


L'espoir le mieux fondé, le projet le plus sage,

Rien ne leur réussit ; tout les trompe et leur ment.

Ils se perdent en mer sans quitter le rivage.


L'aigle, pour le briser, du haut du firmament,

Sur leur front découvert lâchera la tortue,

Car ils doivent périr inévitablement.


L'aigle manque son coup ; quelque vieille statue,

Sans tremblement de terre, on ne sait pas pourquoi,

Quitte son piédestal, les écrase et les tue.


Le cœur qu'ils ont choisi ne garde pas sa foi ;

Leur chien même les mord et leur donne la rage ;

Un ami jurera qu'ils ont trahi le roi.


Fils du Danube, ils vont se noyer dans le Tage ;

D'un bout du monde à l'autre ils courent à leur mort ;

Ils auraient pu du moins s'épargner le voyage !


Si dur qu'il soit, il faut qu'ils remplissent leur sort ;

Nul n'y peut résister, et le genou d'Hercule

Pour un pareil athlète est à peine assez fort.


Après la vie obscure une mort ridicule ;

Après le dur grabat, un cercueil sans repos

Au bord d'un carrefour où la foule circule.


Ils tombent inconnus de la mort des héros,

Et quelque ambitieux, pour se hausser la taille,

Se fait effrontément un socle de leurs os.


Sur son trône d'airain, le Destin qui s'en raille

Imbibe leur éponge avec du fiel amer,

Et la Nécessité les tord dans sa tenaille.


Tout buisson trouve un dard pour déchirer sa chair,

Tout beau chemin pour eux cache une chausse-trappe,

Et les chaînes de fleurs leur sont chaînes de fer.


Si le tonnerre tombe, entre mille il les frappe ;

Pour eux l'aveugle nuit semble prendre des yeux,

Tout plomb vole à leur cœur, et pas un seul n'échappe.


La tombe vomira leur fantôme odieux.

Vivants, ils ont servi de bouc expiatoire ;

Morts, ils seront bannis de la terre et des cieux.


Cette histoire sinistre est votre propre histoire ;

Ô mon âme ! Ô mon cœur ! Peut-être même, hélas !

La vôtre est-elle encore plus sinistre et plus noire.


C'est une histoire simple où l'on ne trouve pas

De grands événements et des malheurs de drame,

Une douleur qui chante et fait un grand fracas ;


Quelques fils bien communs en composent la trame,

Et cependant elle est plus triste et sombre à voir

Que celle qu'un poignard dénoue avec sa lame.


Puisque rien ne vous veut, pourquoi donc tout vouloir ;

Quand il vous faut mourir, pourquoi donc vouloir vivre,

Vous qui ne croyez pas et n'avez pas d'espoir ?


Ô vous que nul amour et que nul vin n'enivre,

Frères désespérés, vous devez être prêts

Pour descendre au néant où mon corps vous doit suivre !


Le néant a des lits et des ombrages frais.

La mort fait mieux dormir que son frère Morphée,

Et les pavots devraient jalouser les cyprès.


Sous la cendre à jamais, dors, ô flamme étouffée !

Orgueil, courbe ton front jusque sur tes genoux,

Comme un Scythe captif qui supporte un trophée.


Cesse de te raidir contre le sort jaloux,

Dans l'eau du noir Léthé plonge de bonne grâce,

Et laisse à ton cercueil planter les derniers clous.


Le sable des chemins ne garde pas ta trace,

L'écho ne redit pas ta chanson, et le mur

Ne veut pas se charger de ton ombre qui passe.


Pour y graver un nom ton airain est bien dur,

Ô Corinthe ! Et souvent froide et blanche Carrare,

Le ciseau ne mord pas sur ton marbre si pur.


Il faut un grand génie avec un bonheur rare

Pour faire jusqu'au ciel monter son monument,

Et de ce double don le destin est avare.


Hélas ! Et le poète est pareil à l'amant,

Car ils ont tous les deux leur maîtresse idéale,

Quelque rêve chéri caressé chastement :


Eldorado lointain, pierre philosophale

Qu'ils poursuivent toujours sans l'atteindre jamais,

Un astre impérieux, une étoile fatale.


L'étoile fuit toujours, ils lui courent après ;

Et, le matin venu, la lueur poursuivie,

Quand ils la vont saisir, s'éteint dans un marais.


C'est une belle chose et digne qu'on l'envie

Que de trouver son rêve au milieu du chemin,

Et d'avoir devant soi le désir de sa vie.


Quel plaisir quand on voit briller le lendemain

Le baiser du soleil aux frêles colonnades

Du palais que la nuit éleva de sa main !


Il est beau qu'un plongeur, comme dans les ballades,

Descende au gouffre amer chercher la coupe d'or

Et perce, triomphant, les vitreuses arcades.


Il est beau d'arriver où tendait votre essor,

De trouver sa beauté, d'aborder à son monde,

Et, quand on a fouillé, d'exhumer un trésor ;


De faire, du plus creux de son âme profonde,

Rayonner son idée ou bien sa passion ;

D'être l'oiseau qui chante et la foudre qui gronde ;


D'unir heureusement le rêve à l'action,

D'aimer et d'être aimé, de gagner quand on joue,

Et de donner un trône à son ambition ;


D'arrêter, quand on veut, la Fortune et sa roue,

Et de sentir, la nuit, quelque baiser royal

Se suspendre en tremblant aux fleurs de votre joue.


Ceux-là sont peu nombreux dans notre âge fatal.

Polycrate aujourd'hui pourrait garder sa bague :

Nul bonheur insolent n'ose appeler le mal.


L'eau s'avance et nous gagne, et pas à pas la vague,

Montant les escaliers qui mènent à nos tours,

Mêle aux chants du festin son chant confus et vague.


Les phoques monstrueux, traînant leurs ventres lourds,

Viennent jusqu'à la table, et leurs larges mâchoires

S'ouvrent avec des cris et des grognements sourds.


Sur les autels déserts des basiliques noires,

Les saints, désespérés et reniant leur Dieu,

S'arrachent à pleins poings l'or chevelu des gloires.


Le soleil désolé, penchant son œil de feu,

Pleure sur l'univers une larme sanglante ;

L'ange dit à la terre un éternel adieu.


Rien ne sera sauvé, ni l'homme ni la plante ;

L'eau recouvrira tout : la montagne et la tour ;

Car la vengeance vient, quoique boiteuse et lente.


Les plumes s'useront aux ailes du vautour,

Sans qu'il trouve une place où rebâtir son aire,

Et du monde vingt fois il refera le tour ;


Puis il retombera dans cette eau solitaire

Où le rond de sa chute ira s'élargissant :

Alors tout sera dit pour cette pauvre terre.


Rien ne sera sauvé, pas même l'innocent.

Ce sera, cette fois, un déluge sans arche ;

Les eaux seront les pleurs des hommes et leur sang.


Plus de mont Ararat où se pose, en sa marche,

Le vaisseau d'avenir qui cache en ses flancs creux

Les trois nouveaux Adams et le grand patriarche !


Entendez-vous là-haut ces craquements affreux ?

Le vieil Atlas, lassé, retire son épaule

Au lourd entablement de ce ciel ténébreux.


L'essieu du monde ploie ainsi qu'un brin de saule ;

La terre ivre a perdu son chemin dans le ciel ;

L'aimant déconcerté ne trouve plus son pôle.


Le Christ, d'un ton railleur, tord l'éponge de fiel

Sur les lèvres en feu du monde à l'agonie,

Et Dieu, dans son Delta, rit d'un rire cruel.


Quand notre passion sera-t-elle finie ?

Le sang coule avec l'eau de notre flanc ouvert,

La sueur rouge teint notre face jaunie.


Assez comme cela ! Nous avons trop souffert ;

De nos lèvres, Seigneur, détournez ce calice,

Car pour nous racheter votre Fils s'est offert.


Christ n'y peut rien : il faut que le sort s'accomplisse ;

Pour sauver ce vieux monde il faut un Dieu nouveau,

Et le prêtre demande un autre sacrifice.


Voici bien deux mille ans que l'on saigne l'Agneau ;

Il est mort à la fin, et sa gorge épuisée

N'a plus assez de sang pour teindre le couteau.


Le Dieu ne viendra pas. L'Église est renversée.
AP May 2017
Rentrez sortez discorde.
Je saigne du nez.
Et mes globules meurent en paix.
La fenêtre illumine ma corde.

Ma vie marginale.
Couleur rose de pastel.
Douleur du cœur mal réelle.
Lit pour faire du sale.

Je sais qu'on ne se connaît pas.
Sortez de ce salon.
Mon image mon rond.
Spam de panique je ne suis plus là.

L'ambulance arrive.
Je n'ai plus de vie.
Tout le monde crie.
Couleur vive.

Discorde rentrez sortez.
Discorde mort reporté.
Tu sais l'amour et son ivresse
Tu sais l'amour et ses combats ;
Tu sais une voix qui t'adresse
Ces mots d'ineffable tendresse
Qui ne se disent que tout bas.

Sur un beau sein, ta bouche errante
Enfin a pu se reposer,
Et sur une lèvre mourante
Sentir la douceur enivrante
Que recèle un premier baiser...

Maître de ces biens qu'on envie
Ton cœur est pur, tes jours sont pleins !
Esclave à tes vœux asservie,
La fortune embellit ta vie
Tu sais qu'on t'aime, et tu te plains !

Et tu te plains ! et t'exagères
Ces vagues ennuis d'un moment,
Ces chagrins, ces douleurs légères,
Et ces peines si passagères
Qu'on ne peut souffrir qu'en aimant !

Et tu pleures ! et tu regrettes
Cet épanchement amoureux !
Pourquoi ces maux que tu t'apprêtes ?
Garde ces plaintes indiscrètes
Et ces pleurs pour les malheureux !

Pour moi, de qui l'âme flétrie
N'a jamais reçu de serment,
Comme un exilé sans patrie,
Pour moi, qu'une voix attendrie
N'a jamais nommé doucement,

Personne qui daigne m'entendre,
A mon sort qui saigne s'unir,
Et m'interroge d'un air tendre,
Pourquoi je me suis fait attendre
Un jour tout entier sans venir.

Personne qui me recommande
De ne rester que peu d'instants
Hors du logis ; qui me gourmande
Lorsque je rentre et me demande
Où je suis allé si longtemps.

Jamais d'haleine caressante
Qui, la nuit, vienne m'embaumer ;
Personne dont la main pressante
Cherche la mienne, et dont je sente
Sur mon cœur les bras se fermer !

Une fois pourtant - quatre années
Auraient-elles donc effacé
Ce que ces heures fortunées
D'illusions environnées
Au fond de mon âme ont laissé ?

Oh ! c'est qu'elle était si jolie !
Soit qu'elle ouvrit ses yeux si grands,
Soit que sa paupière affaiblie
Comme un voile qui se déplie
Éteignit ses regards mourants !

- J'osai concevoir l'espérance
Que les destins moins ennemis,
Prenant pitié de ma souffrance,
Viendraient me donner l'assurance
D'un bonheur qu'ils auraient permis :

L'heure que j'avais attendue,
Le bonheur que j'avais rêvé
A fui de mon âme éperdue,
Comme une note suspendue,
Comme un sourire inachevé !

Elle ne s'est point souvenue
Du monde qui ne la vit pas ;
Rien n'a signalé sa venue,
Elle est passée, humble, inconnue,
Sans laisser trace de ses pas.

Depuis lors, triste et monotone,
Chaque jour commence et finit :
Rien ne m'émeut, rien ne m'étonne,
Comme un dernier rayon d'automne
J'aperçois mon front qui jaunit.

Et **** de tous, quand le mystère
De l'avenir s'est refermé,
Je fuis, exilé volontaire !
- Il n'est qu'un bonheur sur la terre,
Celui d'aimer et d'être aimé.
Œil pour œil ! Dent pour dent ! Tête pour tête ! A mort !
Justice ! L'échafaud vaut mieux que le remord.
Talion ! talion !

- Silence aux cris sauvages !
Non ! assez de malheur, de meurtre et de ravages !
Assez d'égorgements ! assez de deuil ! assez
De fantômes sans tête et d'affreux trépassés !
Assez de visions funèbres dans la brume !
Assez de doigts hideux, montrant le sang qui fume,
Noirs, et comptant les trous des linceuls dans la nuit !
Pas de suppliciés dont le cri nous poursuit !
Pas de spectres jetant leur ombre sur nos têtes !
Nous sommes ruisselants de toutes les tempêtes ;
Il n'est plus qu'un devoir et qu'une vérité,
C'est, après tant d'angoisse et de calamité.
Homme, d'ouvrir son cœur, oiseau, d'ouvrir son aile
Vers ce ciel que remplit la grande âme éternelle !
Le peuple, que les rois broyaient sous leurs talons.
Est la pierre promise au temple, et nous voulons
Que la pierre bâtisse et non qu'elle lapide !
Pas de sang ! pas de mort ! C'est un reflux stupide
Que la férocité sur la férocité.
Un pilier d'échafaud soutient mal la cité.
Tu veux faire mourir ! Moi je veux faire naître !
Je mure le sépulcre et j'ouvre la fenêtre.
Dieu n'a pas fait le sang, à l'amour réservé.
Pour qu'on le donne à boire aux fentes du pavé.
S'agit-il d'égorger ? Peuples, il s'agit d'être.
Quoi ! tu veux te venger, passant ? de qui ? du maître ?
Si tu ne vaux pas mieux, que viens-tu faire ici ?
Tout mystère où l'on jette un meurtre est obscurci ;
L'énigme ensanglantée est plus âpre à résoudre ;
L'ombre s'ouvre terrible après le coup de foudre ;
Tuer n'est pas créer, et l'on se tromperait
Si l'on croyait que tout finit au couperet ;
C'est là qu'inattendue, impénétrable, immense.
Pleine d'éclairs subits, la question commence ;
C'est du bien et du mal ; mais le mal est plus grand.
Satan rit à travers l'échafaud transparent.
Le bourreau, quel qu'il soit, a le pied dans l'abîme ;
Quoi qu'elle fasse, hélas ! la hache fait un crime ;
Une lugubre nuit fume sur ce tranchant ;
Quand il vient de tuer, comme, en s'en approchant.
On frémit de le voir tout ruisselant, et comme
On sent qu'il a frappé dans l'ombre plus qu'un homme
Sitôt qu'a disparu le coupable immolé.
Hors du panier tragique où la tête a roulé.
Le principe innocent, divin, inviolable.
Avec son regard d'astre à l'aurore semblable.
Se dresse, spectre auguste, un cercle rouge au cou.
L'homme est impitoyable, hélas, sans savoir où.
Comment ne voit-il pas qu'il vit dans un problème.
Que l'homme est solidaire avec ses monstres même.
Et qu'il ne peut tuer autre chose qu'Abel !
Lorsqu'une tête tombe, on sent trembler le ciel.
Décapitez Néron, cette hyène insensée,
La vie universelle est dans Néron blessée ;
Faites monter Tibère à l'échafaud demain,
Tibère saignera le sang du genre humain.
Nous sommes tous mêlés à ce que fait la Grève ;
Quand un homme, en public, nous voyant comme un rêve.
Meurt, implorant en vain nos lâches abandons.
Ce meurtre est notre meurtre et nous en répondons ;
C'est avec un morceau de notre insouciance.
C'est avec un haillon de notre conscience.
Avec notre âme à tous, que l'exécuteur las
Essuie en s'en allant son hideux coutelas.
L'homme peut oublier ; les choses importunes
S'effacent dans l'éclat ondoyant des fortunes ;
Le passé, l'avenir, se voilent par moments ;
Les festins, les flambeaux, les feux, les diamants.
L'illumination triomphale des fêtes.
Peuvent éclipser l'ombre énorme des prophètes ;
Autour des grands bassins, au bord des claires eaux.
Les enfants radieux peuvent aux cris d'oiseaux
Mêler le bruit confus de leurs lèvres fleuries.
Et, dans le Luxembourg ou dans les Tuileries,
Devant les vieux héros de marbre aux poings crispés.
Danser, rire et chanter : les lauriers sont coupés !
La Courtille au front bas peut noyer dans les verres
Le souvenir des jours illustres et sévères ;
La valse peut ravir, éblouir, enivrer
Des femmes de satin, heureuses de livrer
Le plus de nudité possible aux yeux de flamme ;
L'***** peut murmurer son chaste épithalame ;
Le bal masqué, lascif, paré, bruyant, charmant,
Peut allumer sa torche et bondir follement.
Goule au linceul joyeux, larve en fleurs, spectre rose ;
Mais, quel que soit le temps, quelle que soit la cause.
C'est toujours une nuit funeste au peuple entier
Que celle où, conduisant un prêtre, un guichetier
Fouille au trousseau de clefs qui pend à sa ceinture
Pour aller, sur le lit de fièvre et de torture,
Réveiller avant l'heure un pauvre homme endormi,
Tandis que, sur la Grève, entrevus à demi.
Sous les coups de marteau qui font fuir la chouette.
D'effrayants madriers dressent leur silhouette.
Rougis par la lanterne horrible du bourreau.
Le vieux glaive du juge a la nuit pour fourreau.
Le tribunal ne peut de ce fourreau livide
Tirer que la douleur, l'anxiété, le vide,
Le néant, le remords, l'ignorance et l'effroi.

Qu'il frappe au nom du peuple ou venge au nom du roi.
Justice ! dites-vous. - Qu'appelez-vous justice ?
Qu'on s'entr'aide, qu'on soit des frères, qu'on vêtisse
Ceux qui sont nus, qu'on donne à tous le pain sacré.
Qu'on brise l'affreux bagne où le pauvre est muré,
Mais qu'on ne touche point à la balance sombre !
Le sépulcre où, pensif, l'homme naufrage et sombre.
Au delà d'aujourd'hui, de demain, des saisons.
Des jours, du flamboiement de nos vains horizons,
Et des chimères, proie et fruit de notre étude,
A son ciel plein d'aurore et fait de certitude ;
La justice en est l'astre immuable et lointain.
Notre justice à nous, comme notre destin.
Est tâtonnement, trouble, erreur, nuage, doute ;
Martyr, je m'applaudis ; juge, je me redoute ;
L'infaillible, est-ce moi, dis ? est-ce toi ? réponds.
Vous criez : - Nos douleurs sont notre droit. Frappons.
Nous sommes trop en butte au sort qui nous accable.
Nous sommes trop frappés d'un mal inexplicable.
Nous avons trop de deuils, trop de jougs, trop d'hivers.
Nous sommes trop souffrants, dans nos destins divers.
Tous, les grands, les petits, les obscurs, les célèbres.
Pour ne pas condamner quelqu'un dans nos ténèbres. -
Puisque vous ne voyez rien de clair dans le sort.
Ne vous hâtez pas trop d'en conclure la mort.
Fût-ce la mort d'un roi, d'un maître et d'un despote ;
Dans la brume insondable où tout saigne et sanglote,
Ne vous hâtez pas trop de prendre vos malheurs.
Vos jours sans feu, vos jours sans pain, vos cris, vos pleurs.
Et ce deuil qui sur vous et votre race tombe.
Pour les faire servir à construire une tombe.
Quel pas aurez-vous fait pour avoir ajouté
A votre obscur destin, ombre et fatalité.
Cette autre obscurité que vous nommez justice ?
Faire de l'échafaud, menaçante bâtisse.
Un autel à bénir le progrès nouveau-né,
Ô vivants, c'est démence ; et qu'aurez-vous gagné
Quand, d'un culte de mort lamentables ministres.
Vous aurez marié ces infirmes sinistres,
La justice boiteuse et l'aveugle anankè ?
Le glaive toujours cherche un but toujours manqué ;
La palme, cette flamme aux fleurs étincelantes,
Faite d'azur, frémit devant des mains sanglantes.
Et recule et s'enfuit, sensitive des cieux !
La colère assouvie a le front soucieux.
Quant à moi, tu le sais, nuit calme où je respire,
J'aurais là, sous mes pieds, mon ennemi, le pire,
Caïn juge, Judas pontife, Satan roi.
Que j'ouvrirais ma porte et dirais : Sauve-toi !

Non, l'élargissement des mornes cimetières
N'est pas le but. Marchons, reculons les frontières
De la vie ! Ô mon siècle, allons toujours plus haut !
Grandissons !

Qu'est-ce donc qu'il nous veut, l'échafaud.
Cette charpente spectre accoutumée aux foules.
Cet îlot noir qu'assiège et que bat de ses houles
La multitude aux flots inquiets et mouvants.
Ce sépulcre qui vient attaquer les vivants,
Et qui, sur les palais ainsi que sur les bouges.
Surgit, levant un glaive au bout de ses bras rouges ?
Mystère qui se livre aux carrefours, morceau
De la tombe qui vient tremper dans le ruisseau,
Bravant le jour, le bruit, les cris ; bière effrontée
Qui, féroce, cynique et lâche, semble athée !
Ô spectacle exécré dans les plus repoussants.
Une mort qui se fait coudoyer aux passants,
Qui permet qu'un crieur hors de l'ombre la tire !
Une mort qui n'a pas l'épouvante du rire.
Dévoilant l'escalier qui dans la nuit descend,
Disant : voyez ! marchant dans la rue, et laissant
La boue éclabousser son linceul semé d'astres ;
Qui, sur un tréteau, montre entre deux vils pilastres
Son horreur, son front noir, son œil de basilic ;
Qui consent à venir travailler en public,
Et qui, prostituée, accepte, sur les places,
La familiarité des fauves populaces !

Ô vivant du tombeau, vivant de l'infini,
Jéhovah ! Dieu, clarté, rayon jamais terni.
Pour faire de la mort, de la nuit, des ténèbres,
Ils ont mis ton triangle entre deux pieux funèbres ;
Et leur foule, qui voit resplendir ta lueur.
Ne sent pas à son front poindre une âpre sueur.
Et l'horreur n'étreint pas ce noir peuple unanime.
Quand ils font, pour punir ce qu'ils ont nommé crime.
Au nom de ce qu'ils ont appelé vérité.
Sur la vie, o terreur, tomber l'éternité !
À Manoel de Barros

PSAUME I

Tapi dans la mangrove, bondissant...sautant-matant

Le ciel aux trois-quarts nu

De giraumon, de pissat et de sang...

Assis sur le trottoir, le ciel tousse

Kein-hein kein-hein

Ivre de parfums rouges errants,

De brocarts et de confettis à ses trousses.

Assis à marée basse, électrique...

Insensible aux chevaux des dieux

Qui tournoient

Au-dessus des tambours

Qui chavirent

Insensibles

Aux orgues charnelles

Des moites guérisseuses...

Le ciel caracole,

Glisse, contorsionniste,

Mascarade immobile

Démêlant le cours des amours burlesques

Entre les atolls obscurs

De pistaches et de bonbons,

D’anges et de démons...

Cabriole, tiède et poisseux,

Cisaille à contre-jour

L’orpailleur en transe

Aboyant dans le sérail de mes âmes

Sevrées, esseulées...

L’aube culbute

Dans les lambeaux du gouffre

Dans les calypsos du soleil

D’où sourdent, dégénérées,

Les jambes et les larmes

Qui fraient encore, exotiques

Sur les pilotis

Du carnaval nocturne

D’où va saillir le jour.

PSAUME II

Il pleut sur le kiosque des songes

Des encres mornes

Comme des brindilles

Enfantées de l’œuf tiède

Où s’aimante

Délicieusement noire

La mygale

Fleuve des nuages

Qui emballe

De son ouate ludique

Le rayon nain

Dérobé

Au serpent arc-en-ciel

Enfin rassasié

PSAUME III

Tellurique, dame Terre esquive les amarres

Effervescentes. Le ciel, hameçon entre les îles,

Rayonne, entonne l’odyssée perpétuelle,

Pion libre dans l’espace

Sempiternellement baigné par les baumes

Incendiaires du soleil obèse, son jumeau

Complice des moissons violées, œcuménique,

Humble, jadis et toujours, Terre :

Oasis, océan, oxygène, oeil

Revêtu d’or, jardin où les ombres basses

Exultent, balbutiant des airs amnésiques..."

PSAUME IV

Rebelle lascive

Telle la lune blette

Suçant les corps subtils

Des mangues sauvages

Enroulées dans la pluie d’obsidienne...

Courtisane de toutes les brousses

Avaleuse de poisson vivant

Pour mieux apprendre à nager

Dans les moues du fleuve douillet...

Les lacets se cabrent, dans un baiser de peaux, de tôles et de croix

Les laves du dernier décan affleurent,

Saupoudrent l’écloserie de marbre humide

Et la pellicule humide de feu cru

Enfouit les dieux écartelés

Aux moues du fleuve endiablé..."

PSAUME V

Soudain pagayer dans le vent et découdre l’odeur légère de la forêt

Chasser les désirs cueillis dans la poudre des oiseaux rares

Et repriser dans les entrailles des pétales juteux...

Puis amarrer à la lumière verticale des matins

Un éclair avec le mot “boum”.

PSAUME VI

"Nomades, où sont les nuits ?"

Grince l’arc débandé du soleil

Embrassé à la portée de cristal

Des nuages en menstrues...

Peut-être que la nuit décante
Blottie dans le nid du large

Faite une enfant, se vautre

Sous les flottilles de jasmin

Dévastant les marées,

Traquant le ressac du temps...

Peut-être que la nuit accouche
Bien après les chaleurs

Faite une gueuse, brise

De son cœur de soprano

Les rames de glace de la lune qui s’épand

Dans un banc d’aquarelles...

Ou peut-être, la nuit, peut-être

La nuit, lisse et lasse,

Allaite les étoiles prises

Aux moustiquaires de cendre

Où le ciel foudroyé

Bat en retraite la chamade.

Peut-être qu’elle arraisonne
Les frêles écailles de l’orgasme total

Pour que nul ne sache

Qu’elle est née sans nombril,

Pour que nul ne sache

Qu’elle est grosse d’un jour

Au goût de sel...

PSAUME VII

"Abysses en vue !" vocifère l’huile en larmes

Faisant voler dans l’onguent vagabond

Les feux follets sortis de leur miroir,

Condors de phosphore, cyclones désemparés

Où se bousculent, palefrenières distraites,

Les couleurs qui rient en allant au supplice...

En chapelets, la lumière débouche, foule, broute,

S’autodévore sous la caresse des truelles,

Moud les étincelles, les taches, les brèches

En route vers le seuil du sacrifice,

Et dans l’embellie de l’œil

Éclot le prétendant buriné

Dans l’apothéose du matin soigneusement peint...

PSAUME VIII

Noyée dans la saumure en flammes

Du soir délicieusement grand ouvert, l’indicible lueur

Cloîtrée dans son écrin liquide

Jalonné de boues, moustiques et palétuviers,

Harponne la braise moribonde de charbon rose

Innombrable qui serpente dans le cirque de sable

A force de nager, à force de nager

Éternellement à joncher les grèves de l’arc-en-ciel.

PSAUME IX

Dans la baie, un sein vert flambe

Campant dans un bain de coton...

L’écho, hypnotique, tourne, tourne, prolifique...

Ô îles, les îles

Notes en menottes, ailes balafrées,

Miels de sel, fiels de ciel...

Ô îles, les îles

Filaments de mangue, eaux assoiffées

Larmes chaudes de tambours incoagulables...

Ô îles, les îles

D’où venez-vous, miettes de sang ?

Comment vous êtes-vous posés, papillons,

Au milieu de la grande termitière d’or bleu ?

PSAUME X

Kaki, dans le jour rectiligne,

Le soleil, bibelot tiède et omniprésent,

Affalé dans les sortilèges

De la pluie ensorceleuse..

.
Incrustée dans son terrier maternel,

Luciole équilibriste,

A demi ivre souffre l’espérance,

Soufflant des goélettes de papier...

Les lunes se rétractent lestes et faibles,

La visibilité est bonne

De chenaux en détroits, vont, naufragées,

En débandade, les voluptés,

Roues flamboyantes

Dilacérant les haillons allumés

Des orbites sismiques..

PSAUME XI

Zéro heure, la chauve cascade

Où le délire se découd

Dans les courbes de l’ennui...

Zéro heure, l’édentée

Déchirant les échos

Des obsèques de minuit...

Zéro heure, poupée

Aptère, assoupie

A l’ombre des rêves...

Cartomancienne hérétique

Châtrant les éruptions chagrines,

Châtrant, multipliant les yeux

Vers les plages pourpres...

Zéro heure, nymphe sourde

Défunte à la canne bossue,

Hissant le grand pavois

De la couleur polyphonique,

L’accord,

La peau du poète,

Éclipse magique

De tous les déluges...

PSAUME XII

Songes dans l’extrême sud

Monochromatique

Ancres tapissées,

Couples éteints, inflorescences...

Chevaux cardiaques

Occultés dans un nid lunaire...

Passager de la nef du fou

Fouetté par le roi si bémol

Qui monte à l’échafaud...

Battements rupestres,

Sentiers crevant les lieues

Au rythme des ailes de nuages...

La pluie soudain s’est tue

La liesse s’est tue soudain

Dilapidée dans ce jour rongé...

PSAUME XIII

Éteint dans la lumière, le portraitiste

Brûle l’absence mate,

La suie insolite...

La haute mer se dilue..

L’arche hiberne aussi **** que porte la vie

Dans son sanctuaire de sève

Où la terre saigne ses eaux bouclées

Qui écument des épaves de pierre

Aussi **** que porte la vie.

PSAUME XIV

Les îles du matin m’embrassent

Après une nuit de lune rase

Le ronflement du rayon

Macule en naissant le chœur torride

De l’alcôve qui s’écaille émaillée.

Entre traits, tracés et rayures

Flottent des oranges polymorphes

A portée des mains...

Sous la ménagerie de ses eaux poissonneuses

La gomme méthylique du soleil

Frotte dans le bassin d’étincelles

L’orchestre infime de ce lointain carnaval renié

Qui crépite, savonné...

Entre gravillons et bulles

Flottent des oranges polymorphes

A portée des mains...

Devant l’horloge en rut

Se signent les orangers...

Le soleil consent à la lune

La mare de feu

Greffée dans le pouls vivace de l’ombre ivre...

Entre ruines et volutes

Flottent des oranges polymorphes

Scandaleusement

A portée des mains...

PSAUME XV

Le matin nage, innombrable

Salamandre aux cent venins de verre

Qui se distillent dans une encre de cendres

Offertes au soleil insatiable...

Dans le calice débordant

Des récoltes que la nuit

Ne grignote qu’à moitié,

Les sargasses du désir plongent,

Cinglant le silence des incohérences...

Hilare, la lune

Se réveille et butine

Le nectar indigo

Qui s’attarde

Comme une musique rétinienne

Aux confins du jour...

Ainsi emmurés vifs

Dans le flux impénétrable des reflets,

Vont à l’aveuglette

Dans le palais des singes volants

L’amour et ses tribus aborigènes

Veillant sur la toison rouge du ciel...

PSAUME XVI

Mon deuil échoue à l’aube

Les yeux ouverts sur les laves

De ce volcan éteint

Où s’apaisent les étoiles...

La flèche de l’archer s’évanouit, fauchée...

Le licol de mousseline de l’archipel précieux

Vacille, se dissout,

Orphelin mélancolique

Murmurant des baisers d’aniline

Aux marges du rêve...

Insomnuit d’été

Si seulement je pouvais rêver !

PSAUME XVII

Sur l’échiquier, la nuit chancelle, vénéneuse...

Un vaisseau de pierre au galop s’envole

Au chevet de la mer noyée

Suant la résine...

Sifflotant, le saltimbanque

Éconduit les horizons pétales

Pris du soleil gemme étanche

Dans les écumes du ciel d’étain...

Bientôt, les lunes oscillent

Ondulent, se dérobent frivoles,

L’étalon noir se dissipe

Décochant des flèches en forme de cœur...

Quelque chose se brise dans le noir :

Était-ce un masque ou un miroir ?

Quand luit la dernière tranche d’ombre

Déboussolées, dans la dune de verre, les étoiles

Bégaient...

Les coquilles se détellent de la terre réfractaire...

Le soleil dévastateur s’abreuve de ciel

Cachant les antres de brai...

Tâtant les décadences nacrées

Ointes de sueurs salines

L’amazone enfin répudiée

Chantonne aux aguets

Dans la baie couleur sépia...

PSAUME XVIII

Clic
Hennissement aveugle, l’île

Se déhanche

Toute soie et serpent

Contre l’épi de maïs vert...

Clac
“Marée basse”, dit la reine-mère...

Aucune abeille ne rame,

Ne laboure les pollens de la mer...

Clic
**** des brise-lames

Lisses et bouillonnants

Des crinières sans fin et du goémon,

L’iguane sous la villa jaune...

Le long des bougies

Coule le gouvernail du silence...

Clic
Sous les fleurs délabrées de l’éclair

Dans leur hamac vert

Les vagues veuves, les vagues nues

Courent après les lunes

Et lentement chantent les araignées...

Clic
Parfums de lumière

Qui jouent, jouent, jouent

Se décomposent

Dans une brise d’alcools...

Clic
Chimères de la mer, coup de sifflet final

Rongeant les sables glauques

Les tranchées dans le ciel ouvert

Tapis du soleil et son essaim de sujets...

Clic
La nuit, la mer fructifie

Au ralenti...

PSAUME XIX

"Au feu, au feu !

Feu à la dérive !"

Scandent deux coléoptères...

Le feu fuit !

Le magicien s’est brûlé

A faire sa magie.

Le pôle s’évapore,

Le puits fait l’aumône,

L’enfant aboie,

La moto boite,

La forêt détale,

Le lion se vêt de singe

Noir et doré

Et petit à petit

Va planer

Au-dessus de l’autel fugace

Où gît

Hululant, pullulant, virulent,

Le vol agile craché

Du saxophone ténor...

L’hiver fouette le ciel,

La terre meurt prématurée,

Liane après liane,

Sécrétant comme vestiges

Le tapis de talc

D’une aile de sirène

Et le vertige nuptial

De deux notes jaunes inachevées

Au sein des similitudes.

PSAUME **

Prunelle de gris jaune
Prunelle nuit et mer
Bleu coursier d’argile
Tigresse à la crinière couleur de brume.
Dans le rare verger qu’est l’amour
Audacieuse, elle va, incendiaire
Empaillée dans un paquebot hystérique
Vers le hasard des quais identiques
Les yeux pleins de chaux.

Dans ce chant veuf, dans cette capitale pyromane
La voilà, légère,
Aspirant les équinoxes dans cet air enchaîné
En selle pour un bain d’herbes monastique
Geôlière verte
D’émeraude pure...

PSAUME XXI

L’accordéoniste des abysses
Peint dans l’œil de l’obscur :
Un nuage en zigzaguant
Ancre aux eaux du vide.

Et le gong sue...timide.
Et comme en un tango antique
S’écoule le cri acide

Des teintes atteintes par les balles,
Hoquet du temps incarné
A l’aube d’une pluie sèche de chaleurs vertes.
Et le gong sue...tumide.

Et comme en un tango marin
Caracole la pirogue étoilée du tigre intime
Renversant de son parapluie
Les certitudes les plus ensevelies de la peur.

Et le gong sue...tumide.
Et les papillons enfantent
Des flammes dans les sables mouvants,
Des harpes éoliennes
Comme des gymnastes hués par le soleil en ruines
A la recherche des marées sèches.

Et le gong sue... tumide.
Et comme en un tango de funambules
Les œillères des brebis galeuses
Traversent la toile, vieillissent, exhument le salpêtre
D’un bandonéon dont la sueur incendie les cernes
De la nuit qui jazze...

PSAUME XXII

Tendrement
Le messager lit
Les lignes du vent,
Prend le pouls
Du ventre jaspé
De la basilique d’encre de chine :

-Là-bas, sous les monts de Vénus
Rode le messager,
Troubadour englouti
Par une lave obscure,

Passager invisible
Des failles muettes
Qu’il restaure encore...

Tendrement
Le messager
Harponne
Les coquilles du temps...
A la pointe de l’hameçon,

Un morceau de vitrail
Où à peine filtre
La lueur des entrailles,
On devine soudain
La forme d’un cheval marron
Qui hennit.

PSAUME XXIII

Bleu roi
De ces couleurs pièges.
Bleu de ces teintes imprévisibles.
Issu du venin tribal
Des roses du désert
Le bleu tombe,
Comme un nuage de coton doux,
Sur la brousse atlantique des lèvres
Enflées de secrets,
Où, hystérique, il donne le jour
Sous le kiosque sympathique des pluies cyanes
A une larme de sang,
Daltonienne.

Bleu roi
De ces couleurs mutantes :
Seul le baiser de cobalt réchauffe
Les escales mélancoliques
De ces ailes closes,
Révèle les jeux d’artifice,
Et murmurant des flammes,
Fait évanouir
Le deuil magnétique
Des rênes d’ivoire...

La flèche de l’archer pénètre,
Débridée,
Le voile de mousseline de l’archipel précieux
Qui vacille, se dissout,
Orphelin en suspens, spectre d’aniline
Aux gants d’émeraude
Et aux chaussons d’améthyste...

PSAUME XXIV

Dormir, virgule,
Souffler doucement
Des cases jumelles,
Ramper à nouveau, gigoter,
Jusqu’à ce que tout ne soit plus
Qu’une seule immensité...

Au lieu de l’abîme
La clairière dans la caféière.
Dormir, virgule,
Ça et là,
Lune bleue
Embuée
Sous la baguette du silence...

Le rêve entre et sort

Et jusqu’aux nuages
Craignent la chute
Vers le sommeil...

PSAUME XXV

Les îles et une nuits
Me font chavirer,
Je fuis,
Naufragée inlassable,
Hors du clan tentaculaire
Vers la clarté volatile
Des voiles incendiaires...

Mes nerfs à la fleur du large
Bifurquent,
S’évaporent en filigranes
Plus **** encore...

Bleu nuit devient la mer
Aux portes de son repaire
Ancré à la rive gauche du cœur.

La crique n’est plus ce qu’elle était :
La neige reptile teint les dauphins de rose...
Éden ?
De temps à autre

Passe un trapèze
Balayant le silence.

PSAUME XXVI

Ô Reine, Notre Duc
Sous tes ongles laqués
J’imagine un ciel rouge
Aux parfums de lait de cobra...
Le soleil fait pleuvoir des sceptres sur le fleuve
Et des piranhas aux dents d’eau
Larguent des cerfs-volants sans fin...

“Chantez les très riches heures de l’En-Dehors !”
Crie à la face du levant
Un caméléon qui lisse les ailes du hasard
Planté dans le dédale de ta langue baccarat.

PSAUME XXVII

Près de la passerelle d’ivoire :
“Odyssées,
Métamorphoses,
Mues,
Je vous aime !” "
(Fragment)

Ni ce moine rêveur, ni ce vieux charlatan,
N'ont deviné pourquoi Mariette est mourante.
Elle est frappée au cœur, la belle indifférente ;
Voilà son mal, - elle aime. - Il est cruel pourtant
De voir entre les mains d'un cafard et d'un âne,
Mourir cette superbe et jeune courtisane.
Mais chacun a son jour, et le sien est venu ;
Pour moi, je ne crois guère à ce mal inconnu.
Tenez, - la voyez-vous, seule, au pied de ces arbres,
Chercher l'ombre profonde et la fraîcheur des marbres,
Et plonger dans le bain ses membres en sueur ?
Je gagerais mes os qu'elle est frappée au cœur.
Regardez : - c'est ici, sous ces longues charmilles,
Qu'hier encor, dans ses bras, **** des rayons du jour,
Ont pâli les enfants des plus nobles familles.
Là s'exerçait dans l'ombre un redoutable amour ;
Là, cette Messaline ouvrait ses bras rapaces
Pour changer en vieillards ses frêles favoris,
Et, répandant la mort sous des baisers vivaces,
Buvait avec fureur ses éléments chéris,
L'or et le sang. -
Hélas ! c'en est fait, Mariette,
Maintenant te voilà solitaire et muette.
Tu te mires dans l'eau ; sur ce corps si vanté
Tes yeux cherchent en vain ta fatale beauté.
Va courir maintenant sur les places publiques.
Tire par les manteaux tes amants magnifiques.
Ceux qui, l'hiver dernier, t'ont bâti ton palais,
T'enverront demander ton nom par leurs valets.
Le médecin s'éloigne en haussant les épaules ;
Il soupire, il se dit que l'art est impuissant.
Quant au moine stupide, il ne sait que deux rôles,
L'un pour le criminel, l'autre pour l'innocent ;
Et, voyant une femme en silence s'éteindre,
Ne sachant s'il devait ou condamner ou plaindre,
D'une bouche tremblante il les a dits tous deux.
Maria ! Maria ! superbe créature,
Tu seras ce chasseur imprudent que les dieux
Aux chiens qu'il nourrissait jetèrent en pâture.
Sous le tranquille abri des citronniers en fleurs,
L'infortunée endort le poison qui la mine ;
Et, comme Madeleine, on voit sur sa poitrine
Ruisseler les cheveux ensemble avec les pleurs.

Etait-ce un connaisseur en matière de femme,
Cet écrivain qui dit que, lorsqu'elle sourit,
Elle vous trompe; elle a pleuré toute la nuit ?
Ah ! s'il est vrai qu'un oeil plein de joie et de flamme,
Une bouche riante, et de légers propos,
Cachent des pleurs amers et des nuits de sanglots ;
S'il est vrai que l'acteur ait l'âme déchirée
Quand le masque est fardé de joyeuses couleurs,
Qu'est-ce donc quand la joue est ardente et plombée,
Quand le masque lui-même est inondé de pleurs ?
Je ne sais si jamais l'éternelle justice
A du plaisir des dieux fait un plaisir permis ;
Mais, s'il m'était donné de dire à quel supplice
Je voudrais condamner mon plus fier ennemi,
C'est toi, pâle souci d'une amour dédaignée,
Désespoir misérable et qui meurs ignoré,
Oui, c'est toi, ce serait ta lame empoisonnée
Que je voudrais briser dans un cœur abhorré !
Savez-vous ce que c'est que ce mal solitaire ?
Ce qu'il faut en souffrir seulement pour s'en taire ?
Pour que toute une mer d'angoisses et de maux
Demeure au fond du crâne, entre deux faibles os ?...

Et comment voudrait-il, l'insensé, qu'on le plaigne ?
Sois méprisé d'un seul, c'est à qui t'oubliera.
D'ailleurs, l'inexorable orgueil n'est-il pas là ?
L'orgueil, qui craint les yeux, et, sur son flanc qui saigne,
Retient, comme César, jusque sous le couteau,
De ses débiles mains les plis de son manteau.

.......................................................­......

Sur les flots engourdis de ces mers indolentes,
Le nonchalant Octave, insolemment paré,
Ferme et soulève, au bruit des valses turbulentes,
Ses yeux, ses beaux yeux bleus, qui n'ont jamais pleuré.
C'est un chétif enfant ; - il commence à paraître,
Personne jusqu'ici ne l'avait aperçu.
On raconte qu'un jour, au pied de sa fenêtre,
La belle Mariette en gondole l'a vu.
Une vieille ce soir l'arrête à son passage :
« Hélas ! a-t-elle dit d'une tremblante voix,
Elle voudrait vous voir une dernière fois. »
Mais Octave, à ces mots, découvrant son visage,  
A laissé voir un front où la joie éclatait :
« Mariette se meurt ! est-on sûr qu'elle meure ?
Dit-il. - Le médecin lui donne encore une heure.
- Alors, réplique-t-il, porte-lui ce billet. »
Il écrivit ces mots du bout de son stylet :
« Je suis femme, Maria ; tu m'avais offensée.
Je puis te pardonner, puisque tu meurs par moi.
Tu m'as vengée ! adieu. - Je suis la fiancée
De Petruccio Balbi qui s'est noyé pour toi. »
I.

Aimez bien vos amours ; aimez l'amour qui rêve
Une rose à la lèvre et des fleurs dans les yeux ;
C'est lui que vous cherchez quand votre avril se lève,
Lui dont reste un parfum quand vos ans se font vieux.

Aimez l'amour qui joue au soleil des peintures,
Sous l'azur de la Grèce, autour de ses autels,
Et qui déroule au ciel la tresse et les ceintures,
Ou qui vide un carquois sur des coeurs immortels.

Aimez l'amour qui parle avec la lenteur basse
Des Ave Maria chuchotés sous l'arceau ;
C'est lui que vous priez quand votre tête est lasse,
Lui dont la voix vous rend le rythme du berceau.

Aimez l'amour que Dieu souffla sur notre fange,
Aimez l'amour aveugle, allumant son flambeau,
Aimez l'amour rêvé qui ressemble à notre ange,
Aimez l'amour promis aux cendres du tombeau !

Aimez l'antique amour du règne de Saturne,
Aimez le dieu charmant, aimez le dieu caché,
Qui suspendait, ainsi qu'un papillon nocturne,
Un baiser invisible aux lèvres de Psyché !

Car c'est lui dont la terre appelle encore la flamme,
Lui dont la caravane humaine allait rêvant,
Et qui, triste d'errer, cherchant toujours une âme,
Gémissait dans la lyre et pleurait dans le vent.

Il revient ; le voici : son aurore éternelle
A frémi comme un monde au ventre de la nuit,
C'est le commencement des rumeurs de son aile ;
Il veille sur le sage, et la vierge le suit.

Le songe que le jour dissipe au coeur des femmes,
C'est ce Dieu. Le soupir qui traverse les bois,
C'est ce Dieu. C'est ce Dieu qui tord les oriflammes
Sur les mâts des vaisseaux et des faîtes des toits.

Il palpite toujours sous les tentes de toile,
Au fond de tous les cris et de tous les secrets ;
C'est lui que les lions contemplent dans l'étoile ;
L'oiseau le chante au loup qui le hurle aux forêts.

La source le pleurait, car il sera la mousse,
Et l'arbre le nommait, car il sera le fruit,
Et l'aube l'attendait, lui, l'épouvante douce
Qui fera reculer toute ombre et toute nuit.

Le voici qui retourne à nous, son règne est proche,
Aimez l'amour, riez ! Aimez l'amour, chantez !
Et que l'écho des bois s'éveille dans la roche,
Amour dans les déserts, amour dans les cités !

Amour sur l'Océan, amour sur les collines !
Amour dans les grands lys qui montent des vallons !
Amour dans la parole et les brises câlines !
Amour dans la prière et sur les violons !

Amour dans tous les coeurs et sur toutes les lèvres !
Amour dans tous les bras, amour dans tous les doigts !
Amour dans tous les seins et dans toutes les fièvres !
Amour dans tous les yeux et dans toutes les voix !

Amour dans chaque ville : ouvrez-vous, citadelles !
Amour dans les chantiers : travailleurs, à genoux !
Amour dans les couvents : anges, battez des ailes !
Amour dans les prisons : murs noirs, écroulez-vous !

II.

Mais adorez l'Amour terrible qui demeure
Dans l'éblouissement des futures Sions,
Et dont la plaie, ouverte encor, saigne à toute heure
Sur la croix, dont les bras s'ouvrent aux nations.
LUI. - Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein ? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
Aux frais rayons

Du bon matin bleu, qui vous baigne
Du vin de jour ?...
Quand tout le bois frissonnant saigne
Muet d'amour

De chaque branche, gouttes vertes,
Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
Frémir des chairs :

Tu plongerais dans la luzerne
Ton blanc peignoir
Rosant à l'air ce bleu qui cerne
Ton grand oeil noir

Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou :

Riant à moi, brutal d'ivresse,
Qui te prendrais.
Comme cela, - la belle tresse,
Oh ! - qui boirais

Ton goût de framboise et de fraise,
Ô chair de fleur !
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur,

Au rose églantier qui t'embête
Aimablement :
Riant surtout, à folle tête,
À ton amant !...

- Ta poitrine sur ma poitrine,
Mêlant nos voix,
Lents, nous gagnerions la ravine,
Puis les grands bois !...

Puis, comme une petite morte,
Le coeur pâmé,
Tu me dirais que je te porte,
L'oeil mi-fermé...

Je te porterais, palpitante,
Dans le sentier :
L'oiseau filerait son andante :
Au Noisetier..

Je te parlerais dans ta bouche :
J'irais, pressant
Ton corps, comme une enfant qu'on couche,
Ivre du sang

Qui coule, bleu, sous ta peau blanche
Aux tons rosés :
Et te parlant la langue franche...
Tiens !... - que tu sais...

Nos grands bois sentiraient la sève
Et le soleil
Sablerait d'or fin leur grand rêve
Vert et vermeil.

Le soir ?... Nous reprendrons la route
Blanche qui court
Flânant, comme un troupeau qui broute,
Tout à l'entour

Les bons vergers à l'herbe bleue
Aux pommiers tors !
Comme on les sent toute une lieue
Leurs parfums forts !

Nous regagnerons le village
Au ciel mi-noir ;
Et ça sentira le laitage
Dans l'air du soir ;

Ça sentira l'étable, pleine
De fumiers chauds,
Pleine d'un lent rythme d'haleine,
Et de grands dos

Blanchissant sous quelque lumière ;
Et, tout là-bas,
Une vache fientera, fière,
À chaque pas...

- Les lunettes de la grand-mère
Et son nez long
Dans son missel ; le *** de bière
Cerclé de plomb,

Moussant entre les larges pipes
Qui, crânement,
Fument : les effroyables lippes
Qui, tout fumant,

Happent le jambon aux fourchettes
Tant, tant et plus :
Le feu qui claire les couchettes
Et les bahuts.

Les fesses luisantes et grasses
D'un gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses,
Son museau blanc

Frôlé par un mufle qui gronde
D'un ton gentil,
Et pourlèche la face ronde
Du cher petit...

Que de choses verrons-nous, chère,
Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire,
Les carreaux gris !...

- Puis, petite et toute nichée
Dans les lilas
Noirs et frais : la vitre cachée,
Qui rit là-bas...

Tu viendras, tu viendras, je t'aime !
Ce sera beau.
Tu viendras, n'est-ce pas, et même...

ELLE. - Et mon bureau ?
I

Vraiment, c'est bête, ces églises des villages
Où quinze laids marmots encrassant les piliers
Écoutent, grasseyant les divins babillages,
Un noir grotesque dont fermentent les souliers :
Mais le soleil éveille, à travers des feuillages,
Les vieilles couleurs des vitraux irréguliers.

La pierre sent toujours la terre maternelle.
Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux
Dans la campagne en rut qui frémit solennelle
Portant près des blés lourds, dans les sentiers ocreux,
Ces arbrisseaux brûlés où bleuit la prunelle,
Des noeuds de mûriers noirs et de rosiers fuireux.

Tous les cent ans on rend ces granges respectables
Par un badigeon d'eau bleue et de lait caillé :
Si des mysticités grotesques sont notables
Près de la Notre-Dame ou du Saint empaillé,
Des mouches sentant bon l'auberge et les étables
Se gorgent de cire au plancher ensoleillé.

L'enfant se doit surtout à la maison, famille
Des soins naïfs, des bons travaux abrutissants ;
Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille
Où le Prêtre du Christ plaqua ses doigts puissants.
On paie au Prêtre un toit ombré d'une charmille
Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts brunissants.

Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes,
Sous le Napoléon ou le Petit Tambour
Quelque enluminure où les Josephs et les Marthes
Tirent la langue avec un excessif amour
Et que joindront, au jour de science, deux cartes,
Ces seuls doux souvenirs lui restent du grand Jour.
Les filles vont toujours à l'église, contentes
De s'entendre appeler garces par les garçons
Qui font du genre après messe ou vêpres chantantes.
Eux qui sont destinés au chic des garnisons
Ils narguent au café les maisons importantes,
Blousés neuf, et gueulant d'effroyables chansons.

Cependant le Curé choisit pour les enfances
Des dessins ; dans son clos, les vêpres dites, quand
L'air s'emplit du lointain nasillement des danses,
Il se sent, en dépit des célestes défenses,
Les doigts de pied ravis et le mollet marquant ;
- La Nuit vient, noir pirate aux cieux d'or débarquant.

II

Le Prêtre a distingué parmi les catéchistes,
Congrégés des Faubourgs ou des Riches Quartiers,
Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes,
Front jaune. Les parents semblent de doux portiers.
" Au grand Jour le marquant parmi les Catéchistes,
Dieu fera sur ce front neiger ses bénitiers. "

III

La veille du grand Jour l'enfant se fait malade.
Mieux qu'à l'Église haute aux funèbres rumeurs,
D'abord le frisson vient, - le lit n'étant pas fade -
Un frisson surhumain qui retourne : " Je meurs... "

Et, comme un vol d'amour fait à ses soeurs stupides,
Elle compte, abattue et les mains sur son coeur
Les Anges, les Jésus et ses Vierges nitides
Et, calmement, son âme a bu tout son vainqueur.

Adonaï !... - Dans les terminaisons latines,
Des cieux moirés de vert baignent les Fronts vermeils
Et tachés du sang pur des célestes poitrines,
De grands linges neigeux tombent sur les soleils !

- Pour ses virginités présentes et futures
Elle mord aux fraîcheurs de ta Rémission,
Mais plus que les lys d'eau, plus que les confitures,
Tes pardons sont glacés, à Reine de Sion !
IV

Puis la Vierge n'est plus que la vierge du livre.
Les mystiques élans se cassent quelquefois...
Et vient la pauvreté des images, que cuivre
L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois ;

Des curiosités vaguement impudiques
Épouvantent le rêve aux chastes bleuités
Qui s'est surpris autour des célestes tuniques,
Du linge dont Jésus voile ses nudités.

Elle veut, elle veut, pourtant, l'âme en détresse,
Le front dans l'oreiller creusé par les cris sourds,
Prolonger les éclairs suprêmes de tendresse,
Et bave... - L'ombre emplit les maisons et les cours.

Et l'enfant ne peut plus. Elle s'agite, cambre
Les reins et d'une main ouvre le rideau bleu
Pour amener un peu la fraîcheur de la chambre
Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu...

V

À son réveil, - minuit, - la fenêtre était blanche.
Devant le sommeil bleu des rideaux illunés,
La vision la prit des candeurs du dimanche ;
Elle avait rêvé rouge. Elle saigna du nez,

Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse
Pour savourer en Dieu son amour revenant,
Elle eut soif de la nuit où s'exalte et s'abaisse
Le coeur, sous l'oeil des cieux doux, en les devinant ;

De la nuit, Vierge-Mère impalpable, qui baigne
Tous les jeunes émois de ses silences gris ;
EIIe eut soif de la nuit forte où le coeur qui saigne
Ecoule sans témoin sa révolte sans cris.

Et faisant la victime et la petite épouse,
Son étoile la vit, une chandelle aux doigts,
Descendre dans la cour où séchait une blouse,
Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits.

VI

Elle passa sa nuit sainte dans les latrines.
Vers la chandelle, aux trous du toit coulait l'air blanc,
Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines,
En deçà d'une cour voisine s'écroulant.

La lucarne faisait un coeur de lueur vive
Dans la cour où les cieux bas plaquaient d'ors vermeils
Les vitres ; les pavés puant l'eau de lessive
Soufraient l'ombre des murs bondés de noirs sommeils.

VII

Qui dira ces langueurs et ces pitiés immondes,
Et ce qu'il lui viendra de haine, à sales fous
Dont le travail divin déforme encor les mondes,
Quand la lèpre à la fin mangera ce corps doux ?

VIII

Et quand, ayant rentré tous ses noeuds d'hystéries,
Elle verra, sous les tristesses du bonheur,
L'amant rêver au blanc million des Maries,
Au matin de la nuit d'amour avec douleur :

" Sais-tu que je t'ai fait mourir ? J'ai pris ta bouche,
Ton coeur, tout ce qu'on a, tout ce que vous avez ;
Et moi, je suis malade : Oh ! je veux qu'on me couche
Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuvés !

" J'étais bien jeune, et Christ a souillé mes haleines.
Il me bonda jusqu'à la gorge de dégoûts !
Tu baisais mes cheveux profonds comme les laines
Et je me laissais faire... ah ! va, c'est bon pour vous,

" Hommes ! qui songez peu que la plus amoureuse
Est, sous sa conscience aux ignobles terreurs,
La plus prostituée et la plus douloureuse,
Et que tous nos élans vers vous sont des erreurs !

" Car ma Communion première est bien passée.
Tes baisers, je ne puis jamais les avoir sus :
Et mon coeur et ma chair par ta chair embrassée
Fourmillent du baiser putride de Jésus ! "

IX

Alors l'âme pourrie et l'âme désolée
Sentiront ruisseler tes malédictions.
- Ils auront couché sur ta Haine inviolée,
Échappés, pour la mort, des justes passions.

Christ ! ô Christ, éternel voleur des énergies,
Dieu qui pour deux mille ans vouas à ta pâleur
Cloués au sol, de honte et de céphalalgies,
Ou renversés, les fronts des femmes de douleur.
Madame, croyez-moi ; bien qu'une autre patrie

Vous ait ravie à ceux qui vous ont tant chérie,

Allez, consolez-vous, ne pleurez point ainsi ;

Votre corps est là-bas, mais votre âme est ici :

C'est la moindre moitié que l'exil nous a prise ;

La tige s'est rompue au souffle de la brise ;

Mais l'ouragan jaloux, qui ternit sa splendeur,

Jeta la fleur au vent et nous laissa l'odeur.

A moins, à moins pourtant que dans cette retraite

Vous n'ayez apporté quelque peine secrète.

Et que là, comme ici, quelque ennui voyageur

Se cramponne à votre âme, inflexible et rongeur :

Car bien souvent, un mot, un geste involontaire.

Des maux que vous souffrez a trahi le mystère,

Et j'ai vu sous ces pleurs et cet abattement

La blessure d'un cœur qui saigne longuement.

Vous avez épuisé tout ce que la nature

A permis de bonheur à l'humble créature,

Et votre pauvre cœur, lentement consumé,

S'est fait vieux en un jour, pour avoir trop aimé :

Vous seule, n'est-ce pas, vous êtes demeurée

Fidèle à cet amour que deux avaient juré.

Et seule, jusqu'au bout, avez pieusement

Accompli votre part de ce double serment.

Consolez-vous encor ; car vous avez. Madame,

Achevé saintement votre rôle de femme ;

Vous avez ici-bas rempli la mission

Faite à l'être créé par la création.

Aimer, et puis souffrir, voilà toute la vie :

Dieu vous donna longtemps des jours dignes d'envie

Aujourd'hui, c'est la loi. vous payez chèrement

Par des larmes sans fin ce bonheur d'un moment.

Certes, tant de chagrins, et tant de nuits passées

A couver tristement de lugubres pensées.

Tant et de si longs pleurs n'ont pas si bien éteint

Les éclairs de vos yeux et pâli votre teint.

Que mainte ambition ne se fût contentée,

Madame, de la part qui vous en est restée.

Et que plus d'un encor n'y laissât sa raison.

Ainsi qu'aux églantiers l'agneau fait sa toison.

Mais votre âme est plus haute, et ne s'arrange guère

Des consolations d'un bonheur si vulgaire ;

Madame, ce n'est point un vase où, tour à tour,

Chacun puisse étancher la soif de son amour ;

Mais Dieu la fit semblable à la coupe choisie,

Dans les plus purs cristaux des rochers de l'Asie,

Où l'on verse au sultan le Chypre et le Xérès,

Qui ne sert qu'une fois, et qui se brise après.

Gardez-la donc toujours cette triste pensée

D'un amour méconnu et d'une âme froissée :

Que le prêtre debout, sur l'autel aboli,

Reste fidèle au Dieu dont il était rempli ;

Que le temple désert, aux vitraux de l'enceinte

Garde un dernier rayon de l'auréole sainte.

Et que l'encensoir d'or ne cesse d'exhaler

Le parfum d'un encens qui cessa de brûler !

Il n'est si triste nuit qu'au crêpe de son voile

Dieu ne fasse parfois luire une blanche étoile,

Et le ciel mit au fond des amours malheureux

Certains bonheurs cachés qu'il a gardés pour eux.

Supportez donc vos maux, car plus d'un les envie ;

Car, moi qui parle, au prix du repos de ma vie.

Au prix de tout mon sang. Madame, je voudrais

Les éprouver un jour, quitte à mourir après.
À Manoel de Barros

PSAUME I

Tapi dans la mangrove, bondissant...sautant-matant

Le ciel aux trois-quarts nu

De giraumon, de pissat et de sang...

Assis sur le trottoir, le ciel tousse

Kein-hein kein-hein

Ivre de parfums rouges errants,

De brocarts et de confettis à ses trousses.

Assis à marée basse, électrique...

Insensible aux chevaux des dieux

Qui tournoient

Au-dessus des tambours

Qui chavirent

Insensibles

Aux orgues charnelles

Des moites guérisseuses...

Le ciel caracole,

Glisse, contorsionniste,

Mascarade immobile

Démêlant le cours des amours burlesques

Entre les atolls obscurs

De pistaches et de bonbons,

D’anges et de démons...

Cabriole, tiède et poisseux,

Cisaille à contre-jour

L’orpailleur en transe

Aboyant dans le sérail de mes âmes

Sevrées, esseulées...

L’aube culbute

Dans les lambeaux du gouffre

Dans les calypsos du soleil

D’où sourdent, dégénérées,

Les jambes et les larmes

Qui fraient encore, exotiques

Sur les pilotis

Du carnaval nocturne

D’où va saillir le jour.

PSAUME II

Il pleut sur le kiosque des songes

Des encres mornes

Comme des brindilles

Enfantées de l’œuf tiède

Où s’aimante

Délicieusement noire

La mygale

Fleuve des nuages

Qui emballe

De son ouate ludique

Le rayon nain

Dérobé

Au serpent arc-en-ciel

Enfin rassasié

PSAUME III

Tellurique, dame Terre esquive les amarres

Effervescentes. Le ciel, hameçon entre les îles,

Rayonne, entonne l’odyssée perpétuelle,

Pion libre dans l’espace

Sempiternellement baigné par les baumes

Incendiaires du soleil obèse, son jumeau

Complice des moissons violées, œcuménique,

Humble, jadis et toujours, Terre :

Oasis, océan, oxygène, oeil

Revêtu d’or, jardin où les ombres basses

Exultent, balbutiant des airs amnésiques..."

PSAUME IV

Rebelle lascive

Telle la lune blette

Suçant les corps subtils

Des mangues sauvages

Enroulées dans la pluie d’obsidienne...

Courtisane de toutes les brousses

Avaleuse de poisson vivant

Pour mieux apprendre à nager

Dans les moues du fleuve douillet...

Les lacets se cabrent, dans un baiser de peaux, de tôles et de croix

Les laves du dernier décan affleurent,

Saupoudrent l’écloserie de marbre humide

Et la pellicule humide de feu cru

Enfouit les dieux écartelés

Aux moues du fleuve endiablé..."

PSAUME V

Soudain pagayer dans le vent et découdre l’odeur légère de la forêt

Chasser les désirs cueillis dans la poudre des oiseaux rares

Et repriser dans les entrailles des pétales juteux...

Puis amarrer à la lumière verticale des matins

Un éclair avec le mot “boum”.

PSAUME VI

"Nomades, où sont les nuits ?"

Grince l’arc débandé du soleil

Embrassé à la portée de cristal

Des nuages en menstrues...

Peut-être que la nuit décante
Blottie dans le nid du large

Faite une enfant, se vautre

Sous les flottilles de jasmin

Dévastant les marées,

Traquant le ressac du temps...

Peut-être que la nuit accouche
Bien après les chaleurs

Faite une gueuse, brise

De son cœur de soprano

Les rames de glace de la lune qui s’épand

Dans un banc d’aquarelles...

Ou peut-être, la nuit, peut-être

La nuit, lisse et lasse,

Allaite les étoiles prises

Aux moustiquaires de cendre

Où le ciel foudroyé

Bat en retraite la chamade.

Peut-être qu’elle arraisonne
Les frêles écailles de l’orgasme total

Pour que nul ne sache

Qu’elle est née sans nombril,

Pour que nul ne sache

Qu’elle est grosse d’un jour

Au goût de sel...

PSAUME VII

"Abysses en vue !" vocifère l’huile en larmes

Faisant voler dans l’onguent vagabond

Les feux follets sortis de leur miroir,

Condors de phosphore, cyclones désemparés

Où se bousculent, palefrenières distraites,

Les couleurs qui rient en allant au supplice...

En chapelets, la lumière débouche, foule, broute,

S’autodévore sous la caresse des truelles,

Moud les étincelles, les taches, les brèches

En route vers le seuil du sacrifice,

Et dans l’embellie de l’œil

Éclot le prétendant buriné

Dans l’apothéose du matin soigneusement peint...

PSAUME VIII

Noyée dans la saumure en flammes

Du soir délicieusement grand ouvert, l’indicible lueur

Cloîtrée dans son écrin liquide

Jalonné de boues, moustiques et palétuviers,

Harponne la braise moribonde de charbon rose

Innombrable qui serpente dans le cirque de sable

A force de nager, à force de nager

Éternellement à joncher les grèves de l’arc-en-ciel.

PSAUME IX

Dans la baie, un sein vert flambe

Campant dans un bain de coton...

L’écho, hypnotique, tourne, tourne, prolifique...

Ô îles, les îles

Notes en menottes, ailes balafrées,

Miels de sel, fiels de ciel...

Ô îles, les îles

Filaments de mangue, eaux assoiffées

Larmes chaudes de tambours incoagulables...

Ô îles, les îles

D’où venez-vous, miettes de sang ?

Comment vous êtes-vous posés, papillons,

Au milieu de la grande termitière d’or bleu ?

PSAUME X

Kaki, dans le jour rectiligne,

Le soleil, bibelot tiède et omniprésent,

Affalé dans les sortilèges

De la pluie ensorceleuse..

.
Incrustée dans son terrier maternel,

Luciole équilibriste,

A demi ivre souffre l’espérance,

Soufflant des goélettes de papier...

Les lunes se rétractent lestes et faibles,

La visibilité est bonne

De chenaux en détroits, vont, naufragées,

En débandade, les voluptés,

Roues flamboyantes

Dilacérant les haillons allumés

Des orbites sismiques..

PSAUME XI

Zéro heure, la chauve cascade

Où le délire se découd

Dans les courbes de l’ennui...

Zéro heure, l’édentée

Déchirant les échos

Des obsèques de minuit...

Zéro heure, poupée

Aptère, assoupie

A l’ombre des rêves...

Cartomancienne hérétique

Châtrant les éruptions chagrines,

Châtrant, multipliant les yeux

Vers les plages pourpres...

Zéro heure, nymphe sourde

Défunte à la canne bossue,

Hissant le grand pavois

De la couleur polyphonique,

L’accord,

La peau du poète,

Éclipse magique

De tous les déluges...

PSAUME XII

Songes dans l’extrême sud

Monochromatique

Ancres tapissées,

Couples éteints, inflorescences...

Chevaux cardiaques

Occultés dans un nid lunaire...

Passager de la nef du fou

Fouetté par le roi si bémol

Qui monte à l’échafaud...

Battements rupestres,

Sentiers crevant les lieues

Au rythme des ailes de nuages...

La pluie soudain s’est tue

La liesse s’est tue soudain

Dilapidée dans ce jour rongé...

PSAUME XIII

Éteint dans la lumière, le portraitiste

Brûle l’absence mate,

La suie insolite...

La haute mer se dilue..

L’arche hiberne aussi **** que porte la vie

Dans son sanctuaire de sève

Où la terre saigne ses eaux bouclées

Qui écument des épaves de pierre

Aussi **** que porte la vie.

PSAUME XIV

Les îles du matin m’embrassent

Après une nuit de lune rase

Le ronflement du rayon

Macule en naissant le chœur torride

De l’alcôve qui s’écaille émaillée.

Entre traits, tracés et rayures

Flottent des oranges polymorphes

A portée des mains...

Sous la ménagerie de ses eaux poissonneuses

La gomme méthylique du soleil

Frotte dans le bassin d’étincelles

L’orchestre infime de ce lointain carnaval renié

Qui crépite, savonné...

Entre gravillons et bulles

Flottent des oranges polymorphes

A portée des mains...

Devant l’horloge en rut

Se signent les orangers...

Le soleil consent à la lune

La mare de feu

Greffée dans le pouls vivace de l’ombre ivre...

Entre ruines et volutes

Flottent des oranges polymorphes

Scandaleusement

A portée des mains...

PSAUME XV

Le matin nage, innombrable

Salamandre aux cent venins de verre

Qui se distillent dans une encre de cendres

Offertes au soleil insatiable...

Dans le calice débordant

Des récoltes que la nuit

Ne grignote qu’à moitié,

Les sargasses du désir plongent,

Cinglant le silence des incohérences...

Hilare, la lune

Se réveille et butine

Le nectar indigo

Qui s’attarde

Comme une musique rétinienne

Aux confins du jour...

Ainsi emmurés vifs

Dans le flux impénétrable des reflets,

Vont à l’aveuglette

Dans le palais des singes volants

L’amour et ses tribus aborigènes

Veillant sur la toison rouge du ciel...

PSAUME XVI

Mon deuil échoue à l’aube

Les yeux ouverts sur les laves

De ce volcan éteint

Où s’apaisent les étoiles...

La flèche de l’archer s’évanouit, fauchée...

Le licol de mousseline de l’archipel précieux

Vacille, se dissout,

Orphelin mélancolique

Murmurant des baisers d’aniline

Aux marges du rêve...

Insomnuit d’été

Si seulement je pouvais rêver !

PSAUME XVII

Sur l’échiquier, la nuit chancelle, vénéneuse...

Un vaisseau de pierre au galop s’envole

Au chevet de la mer noyée

Suant la résine...

Sifflotant, le saltimbanque

Éconduit les horizons pétales

Pris du soleil gemme étanche

Dans les écumes du ciel d’étain...

Bientôt, les lunes oscillent

Ondulent, se dérobent frivoles,

L’étalon noir se dissipe

Décochant des flèches en forme de cœur...

Quelque chose se brise dans le noir :

Était-ce un masque ou un miroir ?

Quand luit la dernière tranche d’ombre

Déboussolées, dans la dune de verre, les étoiles

Bégaient...

Les coquilles se détellent de la terre réfractaire...

Le soleil dévastateur s’abreuve de ciel

Cachant les antres de brai...

Tâtant les décadences nacrées

Ointes de sueurs salines

L’amazone enfin répudiée

Chantonne aux aguets

Dans la baie couleur sépia...

PSAUME XVIII

Clic
Hennissement aveugle, l’île

Se déhanche

Toute soie et serpent

Contre l’épi de maïs vert...

Clac
“Marée basse”, dit la reine-mère...

Aucune abeille ne rame,

Ne laboure les pollens de la mer...

Clic
**** des brise-lames

Lisses et bouillonnants

Des crinières sans fin et du goémon,

L’iguane sous la villa jaune...

Le long des bougies

Coule le gouvernail du silence...

Clic
Sous les fleurs délabrées de l’éclair

Dans leur hamac vert

Les vagues veuves, les vagues nues

Courent après les lunes

Et lentement chantent les araignées...

Clic
Parfums de lumière

Qui jouent, jouent, jouent

Se décomposent

Dans une brise d’alcools...

Clic
Chimères de la mer, coup de sifflet final

Rongeant les sables glauques

Les tranchées dans le ciel ouvert

Tapis du soleil et son essaim de sujets...

Clic
La nuit, la mer fructifie

Au ralenti...

PSAUME XIX

"Au feu, au feu !

Feu à la dérive !"

Scandent deux coléoptères...

Le feu fuit !

Le magicien s’est brûlé

A faire sa magie.

Le pôle s’évapore,

Le puits fait l’aumône,

L’enfant aboie,

La moto boite,

La forêt détale,

Le lion se vêt de singe

Noir et doré

Et petit à petit

Va planer

Au-dessus de l’autel fugace

Où gît

Hululant, pullulant, virulent,

Le vol agile craché

Du saxophone ténor...

L’hiver fouette le ciel,

La terre meurt prématurée,

Liane après liane,

Sécrétant comme vestiges

Le tapis de talc

D’une aile de sirène

Et le vertige nuptial

De deux notes jaunes inachevées

Au sein des similitudes.

PSAUME **

Prunelle de gris jaune
Prunelle nuit et mer
Bleu coursier d’argile
Tigresse à la crinière couleur de brume.
Dans le rare verger qu’est l’amour
Audacieuse, elle va, incendiaire
Empaillée dans un paquebot hystérique
Vers le hasard des quais identiques
Les yeux pleins de chaux.

Dans ce chant veuf, dans cette capitale pyromane
La voilà, légère,
Aspirant les équinoxes dans cet air enchaîné
En selle pour un bain d’herbes monastique
Geôlière verte
D’émeraude pure...

PSAUME XXI

L’accordéoniste des abysses
Peint dans l’œil de l’obscur :
Un nuage en zigzaguant
Ancre aux eaux du vide.

Et le gong sue...timide.
Et comme en un tango antique
S’écoule le cri acide

Des teintes atteintes par les balles,
Hoquet du temps incarné
A l’aube d’une pluie sèche de chaleurs vertes.
Et le gong sue...tumide.

Et comme en un tango marin
Caracole la pirogue étoilée du tigre intime
Renversant de son parapluie
Les certitudes les plus ensevelies de la peur.

Et le gong sue...tumide.
Et les papillons enfantent
Des flammes dans les sables mouvants,
Des harpes éoliennes
Comme des gymnastes hués par le soleil en ruines
A la recherche des marées sèches.

Et le gong sue... tumide.
Et comme en un tango de funambules
Les œillères des brebis galeuses
Traversent la toile, vieillissent, exhument le salpêtre
D’un bandonéon dont la sueur incendie les cernes
De la nuit qui jazze...

PSAUME XXII

Tendrement
Le messager lit
Les lignes du vent,
Prend le pouls
Du ventre jaspé
De la basilique d’encre de chine :

-Là-bas, sous les monts de Vénus
Rode le messager,
Troubadour englouti
Par une lave obscure,

Passager invisible
Des failles muettes
Qu’il restaure encore...

Tendrement
Le messager
Harponne
Les coquilles du temps...
A la pointe de l’hameçon,

Un morceau de vitrail
Où à peine filtre
La lueur des entrailles,
On devine soudain
La forme d’un cheval marron
Qui hennit.

PSAUME XXIII

Bleu roi
De ces couleurs pièges.
Bleu de ces teintes imprévisibles.
Issu du venin tribal
Des roses du désert
Le bleu tombe,
Comme un nuage de coton doux,
Sur la brousse atlantique des lèvres
Enflées de secrets,
Où, hystérique, il donne le jour
Sous le kiosque sympathique des pluies cyanes
A une larme de sang,
Daltonienne.

Bleu roi
De ces couleurs mutantes :
Seul le baiser de cobalt réchauffe
Les escales mélancoliques
De ces ailes closes,
Révèle les jeux d’artifice,
Et murmurant des flammes,
Fait évanouir
Le deuil magnétique
Des rênes d’ivoire...

La flèche de l’archer pénètre,
Débridée,
Le voile de mousseline de l’archipel précieux
Qui vacille, se dissout,
Orphelin en suspens, spectre d’aniline
Aux gants d’émeraude
Et aux chaussons d’améthyste...

PSAUME XXIV

Dormir, virgule,
Souffler doucement
Des cases jumelles,
Ramper à nouveau, gigoter,
Jusqu’à ce que tout ne soit plus
Qu’une seule immensité...

Au lieu de l’abîme
La clairière dans la caféière.
Dormir, virgule,
Ça et là,
Lune bleue
Embuée
Sous la baguette du silence...

Le rêve entre et sort

Et jusqu’aux nuages
Craignent la chute
Vers le sommeil...

PSAUME XXV

Les îles et une nuits
Me font chavirer,
Je fuis,
Naufragée inlassable,
Hors du clan tentaculaire
Vers la clarté volatile
Des voiles incendiaires...

Mes nerfs à la fleur du large
Bifurquent,
S’évaporent en filigranes
Plus **** encore...

Bleu nuit devient la mer
Aux portes de son repaire
Ancré à la rive gauche du cœur.

La crique n’est plus ce qu’elle était :
La neige reptile teint les dauphins de rose...
Éden ?
De temps à autre

Passe un trapèze
Balayant le silence.

PSAUME XXVI

Ô Reine, Notre Duc
Sous tes ongles laqués
J’imagine un ciel rouge
Aux parfums de lait de cobra...
Le soleil fait pleuvoir des sceptres sur le fleuve
Et des piranhas aux dents d’eau
Larguent des cerfs-volants sans fin...

“Chantez les très riches heures de l’En-Dehors !”
Crie à la face du levant
Un caméléon qui lisse les ailes du hasard
Planté dans le dédale de ta langue baccarat.

PSAUME XXVII

Près de la passerelle d’ivoire :
“Odyssées,
Métamorphoses,
Mues,
Je vous aime !” "
Entre Muses et Furies
Il y a une seringue de cyprine amère
Où se coagule fréquemment ma Muse.
Elle entre dans tous ses états
M'injurie et me voue aux gémonies
En pleine crise de jalousie.

Ma muse est une guerrière blessée
D'une volée de bois vert et de cons
Elle veut me froisser, m'effacer, m'annihiler
Me priant de fourrer sa prétendue Rivale
De poèmes lubriques dans le trou de balle.

Et ma Sans-Rivale, ma Déesse, ma Chatte Sainte et Vierge
Ma Muse soi-disant végétarienne se révèle cannibale
De la pire espèce des tribus anthropophages
Et me déchiquette, moi son zmeu, son dragon nuageux,
Sa muse masculine, son pervers narcissique,
Son ombre réfléchie dans le miroir,
Me dépèce comme une hyène frénétique
Aux crocs d'ivoire en chaleur
Elle me saigne tant et tant
Que je suinte de tous mes lambeaux
Résine, sève, latex, musc
Comme une plantation hétéroclite et sauvage
D'hévéas, de pissenlits, de sapotilliers
D'ignames jaunes et de dachines.

Et quand rassasiée de ma gomme à mâcher
Certifiée bio et sans additif
Elle se barbouille les lèvres de ma saignée
Je lui murmure encore que c 'est elle Mon Unique,
Ma Précieuse Ombre, Ma Chatte Immaculée
Entre toutes les chattes, mon chewing gum préféré
Et que je bande pour ses entrailles
Cérébralement
Mystiquement.
brandon nagley Jun 2015
mi amour 'pour mon ai-je tu me manques, mi amour', je ne quittait jamais, je voulais être ton meilleur et je ne auras pas laisser !!! pour doth tu pas seeith? Je suis à toi et ton tu es à moi !! la encourse de deux symphonie, je suis désolé pour tous les mauvais mots ive desdits mi amour ', mais je ne sais ce qui est **** de toi un jour est comme une éternité pour moi !!! peux-tu seeith? tu es à moi muse. affection mienne tout pour toi et toi car tu !!! Je saigne encore et plus, mon ange du décor de l'Espagne .. mi amour ', oh tis, comment je tu aime tellement !!!!
(Spanish tongue)

(English).  Mi amour' for my how I missed thou, mi amour' I never left, I wanted to be thy best and I shalt not leave!!! for doth thou not seeith? I am thine and thine thou art to me!! two symphony's encourse, I'm sorry for all wrong words ive said mi amour', yet I do know this being away from thou one day is as an eternity to me!!! canst thou seeith? thou art mine muse. mine affection all for thou and thee!!!for thou I'd bleed again and over, mine angel of Spain's decor.. mi amour', oh tis, how I loveth thou so!!!! So to much!!!!
À cette terre, où l'on ploie
Sa tente au déclin du jour,
Ne demande pas la joie.
Contente-toi de l'amour !

Excepté lui, tout s'efface.
La vie est un sombre lieu
Où chaque chose qui passe
Ébauche l'homme pour Dieu.

L'homme est l'arbre à qui la sève
Manque avant qu'il soit en fleur.
Son sort jamais ne s'achève
Que du côté du malheur.

Tous cherchent la joie ensemble ;
L'esprit rit à tout venant ;
Chacun tend sa main qui tremble
Vers quelque objet rayonnant.

Mais vers toute âme, humble ou fière,
Le malheur monte à pas lourds,
Comme un spectre aux pieds de pierre ;
Le reste flotte toujours !

Tout nous manque, hormis la peine !
Le bonheur, pour l'homme en pleurs,
N'est qu'une figure vaine
De choses qui sont ailleurs.

L'espoir c'est l'aube incertaine ;
Sur notre but sérieux
C'est la dorure lointaine
D'un rayon mystérieux.

C'est le reflet, brume ou flamme,
Que dans leur calme éternel
Versent d'en haut sur notre âme
Les félicités du ciel.

Ce sont les visions blanches
Qui, jusqu'à nos yeux maudits,
Viennent à travers les branches
Des arbres du paradis !

C'est l'ombre que sur nos grèves
Jettent ces arbres charmants
Dont l'âme entend dans ses rêves
Les vagues frissonnements !

Ce reflet des biens sans nombre,
Nous l'appelons le bonheur ;
Et nous voulons saisir l'ombre
Quand la chose est au Seigneur !

Va, si haut nul ne s'élève ;
Sur terre il faut demeurer ;
On sourit de ce qu'on rêve,
Mais ce qu'on a, fait pleurer.

Puisqu'un Dieu saigne au Calvaire,
Ne nous plaignons pas, crois-moi.
Souffrons ! c'est la loi sévère.
Aimons ! c'est la douce loi.

Aimons ! soyons deux ! Le sage
N'est pas seul dans son vaisseau.
Les deux yeux font le visage ;
Les deux ailes font l'oiseau.

Soyons deux ! - Tout nous convie
À nous aimer jusqu'au soir.
N'ayons à deux qu'une vie !
N'ayons à deux qu'un espoir !

Dans ce monde de mensonges,
Moi, j'aimerai mes douleurs,
Si mes rêves sont tes songes,
Si mes larmes sont tes pleurs !

Le 20 mai 1838.
Vous connaissez que j'ai pour mie
Une Andalouse à l'oeil lutin,
Et sur mon coeur, tout endormie,
Je la berce jusqu'au matin.

Voyez-la, quand son bras m'enlace,
Comme le col d'un cygne blanc,
S'enivrer, oublieuse et lasse,
De quelque rêve nonchalant.

Gais chérubins ! veillez sur elle.
Planez, oiseaux, sur notre nid ;
Dorez du reflet de votre aile
Son doux sommeil, que Dieu bénit !

Car toute chose nous convie
D'oublier tout, fors notre amour :
Nos plaisirs, d'oublier la vie ;
Nos rideaux, d'oublier le jour.

Pose ton souffle sur ma bouche,
Que ton âme y vienne passer !
Oh ! restons ainsi dans ma couche,
Jusqu'à l'heure de trépasser !

Restons ! L'étoile vagabonde
Dont les sages ont peur de ****
Peut-être, en emportant le monde,
Nous laissera dans notre coin.

Oh ! viens ! dans mon âme froissée
Qui saigne encor d'un mal bien grand,
Viens verser ta blanche pensée,
Comme un ruisseau dans un torrent !

Car sais-tu, seulement pour vivre,
Combien il m'a fallu pleurer ?
De cet ennui qui désenivre
Combien en mon coeur dévorer ?

Donne-moi, ma belle maîtresse,
Un beau baiser, car je te veux
Raconter ma longue détresse,
En caressant tes beaux cheveux.

Or voyez qui je suis, ma mie,
Car je vous pardonne pourtant
De vous être hier endormie
Sur mes lèvres, en m'écoutant.

Pour ce, madame la marquise,
Dès qu'à la ville il fera noir,
De par le roi sera requise
De venir en notre manoir ;

Et sur mon coeur, tout endormie,
La bercerai jusqu'au matin,
Car on connaît que j'ai pour mie
Une Andalouse à l'oeil lutin.
Donc, vieux passé plaintif, toujours tu reviendras
Nous criant : - Pourquoi donc est-on si **** ? Ingrats !
Qu'êtes-vous devenus ? Dites, avec l'abîme
Quel pacte avez-vous fait ? Quel attentat ? Quel crime ? -
Nous questionnant, sombre et de rage écumant,
Furieux.
Nous avons marché, tout bonnement.
Qui marche t'assassine, ô bon vieux passé blême.
Mais que veux-tu ? Je suis de mon siècle, et je l'aime !
Je te l'ai déjà dit. Non, ce n'est plus du tout
L'époque où la nature était de mauvais goût,
Où Bouhours, vieux jésuite, et le Batteux, vieux cancre,
Lunette au nez et plume au poing, barbouillaient d'encre
Le cygne au bec doré, le bois vert, le ciel bleu ;
Où l'homme corrigeait le manuscrit de Dieu.
Non, ce n'est plus le temps où Lenôtre à Versailles
Raturait le buisson, la ronce, la broussaille ;
Siècle où l'on ne voyait dans les champs éperdus
Que des hommes poudrés sous des arbres tondus.
Tout est en liberté maintenant. Sur sa nuque
L'arbre a plus de cheveux, l'homme a moins de perruque.
La vieille idée est morte avec le vieux cerveau.
La révolution est un monde nouveau.
Notre oreille en changeant a changé la musique.
Lorsque Fernand Cortez arriva du Mexique,
Il revint la main pleine, et, du jeune univers,
Il rapporta de l'or ; nous rapportons des vers.
Nous rapportons des chants mystérieux. Nous sommes
D'autres yeux, d'autres fronts, d'autres cœurs, d'autres hommes.

Braves pédants, calmez votre bon vieux courroux.
Nous arrachons de l'âme humaine les verrous.
Tous frères, et mêlés dans les monts, dans les plaines,
Nous laissons librement s'en aller nos haleines
À travers les grands bois et les bleus firmaments.
Nous avons démoli les vieux compartiments.

Non, nous ne sommes plus ni paysan, ni noble,
Ni lourdaud dans son pré, ni rustre en son vignoble,
Ni baron dans sa tour, ni reître à ses canons ;
Nous brisons cette écorce, et nous redevenons
L'homme ; l'homme enfin hors des temps crépusculaires ;
L'homme égal à lui-même en tous ses exemplaires ;
Ni tyran, ni forçat, ni maître, ni valet ;
L'humanité se montre enfin telle qu'elle est,
Chaque matin plus libre et chaque soir plus sage ;
Et le vieux masque usé laisse voir le visage.

Avec Ézéchiel nous mêlons Spinosa.
La nature nous prend, la nature nous a ;
Dans son antre profond, douce, elle nous attire ;
Elle en chasse pour nous son antique satyre,
Et nous y montre un sphinx nouveau qui dit : pensez.
Pour nous les petits cris au fond des nids poussés,
Sont augustes ; pour nous toutes les monarchies
Que vous saluez, vous, de vos têtes blanchies,
Tous les fauteuils royaux aux dossiers empourprés,
Sont peu de chose auprès d'un liseron des prés.
Régner ! Cela vaut-il rêver sous un vieux aulne ?
Nous regardons passer Charles-Quint sur son trône,
Jules deux sous son dais, César dans les clairons,
Et nous avons pitié lorsque nous comparons
À l'aurore des cieux cette fausse dorure.
Lorsque nous contemplons, par une déchirure
Des nuages, l'oiseau volant dans sa fierté,
Nous sentons frissonner notre aile, ô liberté !
En fait d'or, à la cour nous préférons la gerbe.
La nature est pour nous l'unique et sacré verbe,
Et notre art poétique ignore Despréaux.
Nos rois très excellents, très puissants et très hauts,
C'est le roc dans les flots, c'est dans les bois le chêne.
Mai, qui brise l'hiver, c'est-à-dire la chaîne,
Nous plaît. Le vrai nous tient. Je suis parfois tenté
De dire au mont Blanc : - Sire ! Et : - Votre majesté
À la vierge qui passe et porte, agreste et belle,
Sa cruche sur son front et Dieu dans sa prunelle.
Pour nous, songeurs, bandits, romantiques, démons,
Bonnets rouges, les flots grondants, l'aigle, les monts,
La bise, quand le soir ouvre son noir portique,
La tempête effarant l'onde apocalyptique,
Dépassent en musique, en mystère, en effroi,
Les quatre violons de la chambre du roi.
Chaque siècle, il s'y faut résigner, suit sa route.
Les hommes d'autrefois ont été grands sans doute ;
Nous ne nous tournons plus vers les mêmes clartés.
Jadis, frisure au front, ayant à ses côtés
Un tas d'abbés sans bure et de femmes sans guimpes,
Parmi des princes dieux, sous des plafonds olympes,
Prêt dans son justaucorps à poser pour Audran,
La dentelle au cou, grave, et l'œil sur un cadran,
Dans le salon de Mars ou dans la galerie
D'apollon, submergé dans la grand'seigneurie,
Dans le flot des Rohan, des Sourdis, des Elbeuf,
Et des fiers habits d'or roulant vers l'Œil-de-Boeuf,
Le poète, fût-il Corneille, ou toi, Molière,
- Tandis qu'en la chapelle ou bien dans la volière,
Les chanteurs accordaient le théorbe et le luth,
Et que Lulli tremblant s'écriait : gare à l'ut ! -
Attendait qu'au milieu de la claire fanfare
Et des fronts inclinés apparût, comme un phare,
Le page, aux tonnelets de brocart d'argent fin,
Qui portait le bougeoir de monsieur le dauphin.
Aujourd'hui, pour Versaille et pour salon d'Hercule,
Ayant l'ombre et l'airain du rouge crépuscule,
Fauve, et peu coudoyé de Guiche ou de Brissac,
La face au vent, les poings dans un paletot sac,
Seul, dans l'immensité que l'ouragan secoue,
Il écoute le bruit que fait la sombre proue
De la terre, et pensif, sur le blême horizon,
À l'heure où, dans l'orchestre inquiet du buisson,
De l'arbre et de la source, un frémissement passe,
Où le chêne chuchote et prend sa contrebasse,
L'eau sa flûte et le vent son stradivarius,
Il regarde monter l'effrayant Sirius.

Pour la muse en paniers, par Dorat réchauffée,
C'est un orang-outang ; pour les bois, c'est Orphée.
La nature lui dit : mon fils. Ce malotru,
Ô grand siècle ! Écrit mieux qu'Ablancourt et Patru.
Est-il féroce ? Non. Ce troglodyte affable
À l'ormeau du chemin fait réciter sa fable ;
Il dit au doux chevreau : bien bêlé, mon enfant !
Quand la fleur, le matin, de perles se coiffant,
Se mire aux flots, coquette et mijaurée exquise,
Il passe et dit : Bonjour, madame la marquise.
Et puis il souffre, il pleure, il est homme ; le sort
En rayons douloureux de son front triste sort.
Car, ici-bas, si fort qu'on soit, si peu qu'on vaille,
Tous, qui que nous soyons, le destin nous travaille
Pour orner dans l'azur la tiare de Dieu.
Le même bras nous fait passer au même feu ;
Et, sur l'humanité, qu'il use de sa lime,
Essayant tous les cœurs à sa meule sublime,
Scrutant tous les défauts de l'homme transparent,
Sombre ouvrier du ciel, noir orfèvre, tirant
Du sage une étincelle et du juste une flamme,
Se penche le malheur, lapidaire de l'âme.

Oui, tel est le poète aujourd'hui. Grands, petits,
Tous dans Pan effaré nous sommes engloutis.
Et ces secrets surpris, ces splendeurs contemplées,
Ces pages de la nuit et du jour épelées,
Ce qu'affirme Newton, ce qu'aperçoit Mesmer,
La grande liberté des souffles sur la mer,
La forêt qui craint Dieu dans l'ombre et qui le nomme,
Les eaux, les fleurs, les champs, font naître en nous un homme
Mystérieux, semblable aux profondeurs qu'il voit.
La nature aux songeurs montre les cieux du doigt.
Le cèdre au torse énorme, athlète des tempêtes,
Sur le fauve Liban conseillait les prophètes,
Et ce fut son exemple austère qui poussa
Nahum contre Ninive, Amos contre Gaza.
Les sphères en roulant nous jettent la justice.
Oui, l'âme monte au bien comme l'astre au solstice ;
Et le monde équilibre a fait l'homme devoir.
Quand l'âme voit mal Dieu, l'aube le fait mieux voir.
La nuit, quand Aquilon sonne de la trompette,
Ce qu'il dit, notre cœur frémissant le répète.
Nous vivons libres, fiers, tressaillants, prosternés,
Éblouis du grand Dieu formidable ; et, tournés
Vers tous les idéals et vers tous les possibles,
Nous cueillons dans l'azur les roses invisibles.
L'ombre est notre palais. Nous sommes commensaux
De l'abeille, du jonc nourri par les ruisseaux,
Du papillon qui boit dans la fleur arrosée.
Nos âmes aux oiseaux disputent la rosée.
Laissant le passé mort dans les siècles défunts,
Nous vivons de rayons, de soupirs, de parfums,
Et nous nous abreuvons de l'immense ambroisie
Qu'Homère appelle amour et Platon poésie.
Sous les branchages noirs du destin, nous errons,
Purs et graves, avec les souffles sur nos fronts.

Notre adoration, notre autel, notre Louvre,
C'est la vertu qui saigne ou le matin qui s'ouvre ;
Les grands levers auxquels nous ne manquons jamais,
C'est Vénus des monts noirs blanchissant les sommets ;
C'est le lys fleurissant, chaste, charmant, sévère ;
C'est Jésus se dressant, pâle, sur le calvaire.

Le 22 novembre 1854.
Hélas ! je n'étais pas fait pour cette haine
Et pour ce mépris plus forts que moi que j'ai.
Mais pourquoi m'avoir fait cet agneau sans laine
Et pourquoi m'avoir fait ce coeur outragé ?

J'étais né pour plaire à toute âme un peu fière,
Sorte d'homme en rêve et capable du mieux,
Parfois tout sourire et parfois tout prière,
Et toujours des cieux attendris dans les yeux ;

Toujours la bonté des caresses sincères,
En dépit de tout et quoi qu'il y parût,
Toujours la pudeur des hontes nécessaires
Dans l'argent brutal et les stupeurs du rut ;

Toujours le pardon, toujours le sacrifice !
J'eus plus d'un des torts, mais j'avais tous les soins.
Votre mère était tendrement ma complice,
Qui voyait mes torts et mes soins, elle, au moins.

Elle n'aimait pas que par vous je souffrisse.
Elle est morte et j'ai prié sur son tombeau ;
Mais je doute fort qu'elle approuve et bénisse
La chose actuelle et trouve cela beau.

Et j'ai peur aussi, nous en terre, de croire
Que le pauvre enfant, votre fils et le mien,
Ne vénérera pas trop votre mémoire,
Ô vous sans égard pour le mien et le tien.

Je n'étais pas fait pour dire de ces choses,
Moi dont la parole exhalait autrefois
Un épithalame en des apothéoses,
Ce chant du matin où mentait votre voix.

J'étais, je suis né pour plaire aux nobles âmes,
Pour les consoler un peu d'un monde impur,
Cimier d'or chanteur et tunique de flammes,
Moi le Chevalier qui saigne sur azur,

Moi qui dois mourir d'une mort douce et chaste
Dont le cygne et l'aigle encor seront jaloux,
Dans l'honneur vainqueur malgré ce vous néfaste,
Dans la gloire aussi des Illustres Époux !
VIII.

Voilà ce qu'on a vu ! l'histoire le raconte,
Et lorsqu'elle a fini pleure, rouge de honte.

Quand se réveillera la grande nation,
Quand viendra le moment de l'expiation,
Glaive des jours sanglants, oh ! ne sors pas de l'ombre !
Non ! non ! il n'est pas vrai qu'en plus d'une âme sombre,
Pour châtier ce traître et cet homme de nuit,
A cette heure, ô douleur, ta nécessité luit !
Souvenirs où l'esprit grave et pensif s'arrête !
Gendarmes, sabre nu, conduisant la charrette,
Roulements des tambours, peuple criant : frappons !
Foule encombrant les toits, les seuils, les quais, les ponts,
Grèves des temps passés, mornes places publiques
Où l'on entrevoyait des triangles obliques,
Oh ! ne revenez pas, lugubres visions !
Ciel ! nous allions en paix devant nous, nous faisions
Chacun notre travail dans le siècle où nous sommes,
Le poète chantait l'oeuvre immense des hommes,
La tribune parlait avec sa grande voix,
On brisait échafauds, trônes, carcans, pavois,
Chaque jour décroissaient la haine et la souffrance,
Le genre humain suivait le progrès saint, la France
Marchait devant, avec sa flamme sur le front ;
Ces hommes sont venus ! lui, ce vivant affront,
Lui, ce bandit qu'on lave avec l'huile du sacre,
Ils sont venus, portant le deuil et le massacre,
Le meurtre, les linceuls, le fer, le sang, le feu,
Ils ont semé cela sur l'avenir. Grand Dieu !

Et maintenant, pitié, voici que tu tressailles
A ces mots effrayants - vengeance ! représailles !

Et moi, proscrit qui saigne aux ronces des chemins,
Triste, je rêve et j'ai mon front dans mes deux mains,
Et je sens, par instants, d'une aile hérissée,
Dans les jours qui viendront s'enfoncer ma pensée !
Géante aux chastes yeux, à l'ardente action,
Que jamais on ne voie, ô Révolution,
Devant ton fier visage où la colère brille,
L'Humanité, tremblante et te criant : ma fille !
Et, couvrant de son corps même les scélérats,
Se traîner à tes pieds en se tordant les bras !
Ah ! tu respecteras cette douleur amère,
Et tu t'arrêteras, Vierge, devant la Mère !

Ô travailleur robuste, ouvrier demi-nu,
Moissonneur envoyé par Dieu même, et venu
Pour faucher en un jour dix siècles de misère,
Sans peur, sans pitié, vrai, formidable et sincère,
Egal par la stature au colosse romain,
Toi qui vainquis l'Europe et qui pris dans ta main
Les rois, et les brisas les uns contre les autres,
Né pour clore les temps d'où sortirent les nôtres,
Toi qui par la terreur sauvas la liberté,
Toi qui portes ce nom sombre : Nécessité !
Dans l'Histoire où tu luis comme en une fournaise,
Reste seul à jamais, Titan quatre-vingt-treize !
Rien d'aussi grand que toi ne viendrait après toi.

D'ailleurs, né d'un régime où dominait l'effroi,
Ton éducation sur ta tête affranchie
Pesait, et, malgré toi, fils de la monarchie,
Nourri d'enseignements et d'exemples mauvais,
Comme elle tu versas le sang ; tu ne savais
Que ce qu'elle t'avait appris : le mal, la peine,
La loi de mort mêlée avec la loi de haine ;
Et, jetant bas tyrans, parlements, rois, Capets,
Tu te levais contre eux et comme eux tu frappais.

Nous, grâce à toi, géant qui gagnas notre cause,
Fils de la liberté, nous savons autre chose.
Ce que la France veut pour toujours désormais,
C'est l'amour rayonnant sur ses calmes sommets,
La loi sainte du Christ, la fraternité pure.
Ce grand mot est écrit dans toute la nature :
Aimez-vous ! aimez-vous ! - Soyons frères ; ayons
L'oeil fixé sur l'Idée, ange aux divins rayons.
L'Idée à qui tout cède et qui toujours éclaire
Prouve sa sainteté même dans sa colère.
Elle laisse toujours les principes debout.
Etre vainqueurs, c'est peu, mais rester grands, c'est tout.
Quand nous tiendrons ce traître, abject, frissonnant, blême
Affirmons le progrès dans le châtiment même.
La honte, et non la mort. - Peuples, couvrons d'oubli
L'affreux passé des rois, pour toujours aboli,
Supplices, couperets, billots, gibets, tortures !
Hâtons l'heure promise aux nations futures,
Où, calme et souriant aux bons, même aux ingrats,
La concorde, serrant les hommes dans ses bras,
Penchera sur nous tous sa tête vénérable !
Oh ! qu'il ne soit pas dit que, pour ce misérable,
Le monde en son chemin sublime a reculé !
Que Jésus et Voltaire auront en vain parlé !
Qu'il n'est pas vrai qu'après tant d'efforts et de peine,
Notre époque ait enfin sacré la vie humaine,
Hélas ! et qu'il suffit d'un moment indigné
Pour perdre le trésor par les siècles gagné !
On peut être sévère et de sang économe.
Oh ! qu'il ne soit pas dit qu'à cause de cet homme
La guillotine au noir panier, qu'avec dégoût
Février avait prise et jetée à l'égout,
S'est réveillée avec les bourreaux dans leurs bouges,
A ressaisi sa hache entre ses deux bras rouges,
Et, dressant son poteau dans les tombes scellé,
Sinistre, a reparu sous le ciel étoilé !

Du 16 au 22 novembre 1852, à Jersey
Ne le tourmentez pas, il souffre. Il est celui
Sur qui, jusqu'à ce jour, pas un rayon n'a lui ;
Oh ! ne confondez pas l'esclave avec le maître !
Et, quand vous le voyez dans vos rangs apparaître,
Humble et calme, et s'asseoir la tête dans ses mains,
Ayant peut-être en lui l'esprit des vieux Romains
Dont il vous dit les noms, dont il vous lit les livres,
Écoliers, frais enfants de joie et d'aurore ivres,
Ne le tourmentez pas ! soyez doux, soyez bons.
Tous nous portons la vie et tous nous nous courbons
Mais lui, c'est le flambeau qui la nuit se consomme ;
L'ombre le tient captif, et ce pâle jeune homme,
Enfermé plus que vous, plus que vous enchaîné,
Votre frère, écoliers, et votre frère aîné,
Destin tronqué, matin noyé dans les ténèbres,
Ayant l'ennui sans fin devant ses yeux funèbres,
Indigent, chancelant, et cependant vainqueur,
Sans oiseaux dans son ciel, sans amours dans son cœur,
A l'heure du plein jour, attend que l'aube naisse,
Enfance, ayez pitié de la sombre jeunesse !

Apprenez à connaître, enfants qu'attend l'effort,
Les inégalités des âmes et du sort ;
Respectez-le deux fois, dans le deuil qui le mine,
Puisque de deux sommets, enfant, il vous domine,
Puisqu'il est le plus pauvre et qu'il est le plus grand.
Songez que, triste, en butte au souci dévorant,
A travers ses douleurs, ce fils de la chaumière
Vous verse la raison, le savoir, la lumière,
Et qu'il vous donne l'or, et qu'il n'a pas de pain.
Oh ! dans la longue salle aux tables de sapin,
Enfants, faites silence à la lueur des lampes !
Voyez, la morne angoisse a fait blêmir ses tempes :
Songez qu'il saigne, hélas ! sous ses pauvres habits.
L'herbe que mord la dent cruelle des brebis,
C'est lui ; vous riez, vous, et vous lui rongez l'âme.
Songez qu'il agonise, amer, sans air, sans flamme ;
Que sa colère dit : « Plaignez-moi ; » que ses pleurs
Ne peuvent pas couler devant vos yeux railleurs !
Aux heures du travail votre ennui le dévore,
Aux heures du plaisir vous le rongez encore ;
Sa pensée, arrachée et froissée, est à vous,
Et, pareille au papier qu'on distribue à tous,
Page blanche d'abord, devient lentement noire.
Vous feuilletez son cœur, vous videz sa mémoire ;
Vos mains, jetant chacune un bruit, un trouble, un mot,
Et raturant l'idée en lui dès qu'elle éclôt,
Toutes en même temps dans son esprit écrivent.
Si des rêves, parfois, jusqu'à son front arrivent,
Vous répandez votre encre à flots sur cet azur ;
Vos plumes, tas d'oiseaux hideux au vol obscur,
De leurs mille becs noirs lui fouillent la cervelle.
Le nuage d'ennui passe et se renouvelle.
Dormir, il ne le peut ; penser, il ne le peut.
Chaque enfant est un fil dont son cœur sent le nœud.
Oui, s'il veut songer, fuir, oublier, franchir l'ombre,
Laisser voler son âme aux chimères sans nombre,
Ces écoliers joueurs, vifs, légers et doux, aimants,
Pèsent sur lui, de l'aube au soir, à tous moments,
Et le font retomber des voûtes immortelles ;
Et tous ces papillons sont le plomb de ses ailes.
Saint et grave martyr changeant de chevalet,
Crucifié par vous, bourreaux charmants, il est
Votre souffre-douleurs et votre souffre-joies ;
Ses nuits sont vos hochets et ces jours sont vos proies,
Il porte sur son front votre essaim orageux ;
Il a toujours vos bruits, vos rires et vos jeux,
Tourbillonnant sur lui comme une âpre tempête.
Hélas ! il est le deuil dont vous êtes la fête ;
Hélas ! il est le cri dont vous êtes le chant.

Et, qui sait ? sans rien dire, austère, et se cachant
De sa bonne action comme d'une mauvaise,
Ce pauvre être qui rêve accoudé sur sa chaise,
Mal nourri, mal vêtu, qu'un mendiant plaindrait,
Peut-être a des parents qu'il soutient en secret,
Et fait de ses labeurs, de sa faim, de ses veilles,
Des siècles dont sa voix vous traduit les merveilles,
Et de cette sueur qui coule sur sa chair,
Des rubans au printemps, un peu de feu l'hiver,
Pour quelque jeune sœur ou quelque vieille mère ;
Changeant en goutte d'eau la sombre larme amère ;
De sorte que, vivant à son ombre sans bruit,
Une colombe vient la boire dans la nuit !
Songez que pour cette œuvre, enfants, il se dévoue,
Brûle ses yeux, meurtrit son cœur, tourne la roue,
Traîne la chaîne ! Hélas, pour lui, pour son destin,
Pour ses espoirs perdus à l'horizon lointain,
Pour ses vœux, pour son âme aux fers, pour sa prunelle,
Votre cage d'un jour est prison éternelle !
Songez que c'est sur lui que marchent tous vos pas !
Songez qu'il ne rit pas, songez qu'il ne vit pas !
L'avenir, cet avril plein de fleurs, vous convie ;
Vous vous envolerez demain en pleine vie ;
Vous sortirez de l'ombre, il restera. Pour lui,
Demain sera muet et sourd comme aujourd'hui ;
Demain, même en juillet, sera toujours décembre,
Toujours l'étroit préau, toujours la pauvre chambre,
Toujours le ciel glacé, gris, blafard, pluvieux ;
Et, quand vous serez grands, enfants, il sera vieux.
Et, si quelque heureux vent ne souffle et ne l'emporte,
Toujours il sera là, seul sous la sombre porte,
Gardant les beaux enfants sous ce mur redouté,
Ayant tout de leur peine et rien de leur gaîté.
Oh ! que votre pensée aime, console, encense
Ce sublime forçat du bagne d'innocence !
Pesez ce qu'il prodigue avec ce qu'il reçoit.
Oh ! qu'il se transfigure à vos yeux, et qu'il soit
Celui qui vous grandit, celui qui vous élève,
Qui donne à vos raisons les deux tranchants du glaive,
Art et science, afin qu'en marchant au tombeau,
Vous viviez pour le vrai, vous luttiez pour le beau !
Oh ! qu'il vous soit sacré dans cette tâche auguste
De conduire à l'utile, au sage, au grand, au juste,
Vos âmes en tumulte à qui le ciel sourit !
Quand les cœurs sont troupeau, le berger est esprit.

Et, pendant qu'il est là, triste, et que dans la classe
Un chuchotement vague endort son âme lasse,
Oh ! des poètes purs entr'ouverts sur vos bancs,
Qu'il sorte, dans le bruit confus des soirs tombants,
Qu'il sorte de Platon, qu'il sorte d'Euripide,
Et de Virgile, cygne errant du vers limpide,
Et d'Eschyle, lion du drame monstrueux,
Et d'Horace et d'Homère à demi dans les cieux,
Qu'il sorte, pour sa tête aux saints travaux baissée,
Pour l'humble défricheur de la jeune pensée,
Qu'il sorte, pour ce front qui se penche et se fend
Sur ce sillon humain qu'on appelle l'enfant,
De tous ces livres pleins de hautes harmonies,
La bénédiction sereine des génies !

Juin 1842.
Seras-tu de l'amour l'éternelle pâture ?
À quoi te sert la volonté,
Si ce n'est point, ô cœur, pour vaincre ta torture,
Et dans la paix enfin, plus fort que la nature,
T'asseoir sur le désir dompté,

Ainsi qu'un bestiaire, après la lutte, règne
Sur son tigre qui s'est rendu,
Et s'assied sur la bête, et, de son poing qui saigne
La courbant jusqu'à terre, exige qu'elle craigne
Alors même qu'elle a mordu ?

Et comme ce dompteur, seul au fond de la cage,
Ne cherche qu'en soi son appui,
Car nul dans ce péril avec lui ne s'engage,
Et nul ne sait parler le tacite langage
Que le monstre parle avec lui,


Ainsi, dans les combats que le désir te livre,
Ne compte sur personne, ô cœur !
N'attends pas, sous la dent, qu'un autre te délivre !
Tu luttes quelque part où nul ne peut te suivre,
Toujours seul, victime ou vainqueur.
Quand tout se fait petit, femmes, vous restez grandes.
En vain, aux murs sanglants accrochant des guirlandes,
Ils ont ouvert le bal et la danse ; ô nos soeurs,
Devant ces scélérats transformés en valseurs
Vous haussez, - châtiment ! - vos charmantes épaules.
Votre divin sourire extermine ces drôles.
En vain leur frac brodé scintille ; en vain, brigands,
Pour vous plaire ils ont mis à leurs griffes des gants,
Et de leur vil tricorne ils ont doré les ganses ;
Vous bafouez ces gants, ces fracs, ces élégances,
Cet empire tout neuf et déjà vermoulu.
Dieu vous a tout donné, femmes ; il a voulu
Que les seuls alcyons tinssent tête à l'orage,
Et qu'étant la beauté, vous fussiez le courage.

Les femmes ici-bas et là-haut les aïeux,
Voilà ce qui nous reste !

Abjection ! nos yeux
Plongent dans une nuit toujours plus épaissie.
Oui, le peuple français, oui, le peuple messie,
Oui, ce grand forgeron du droit universel
Dont, depuis soixante ans, l'enclume sous le ciel
Luit et sonne, dont l'âtre incessamment pétille,
Qui fit voler au vent les tours de la Bastille,
Qui broya, se dressant tout à coup souverain,
Mille ans de royauté sous son talon d'airain,
Ce peuple dont le souffle, ainsi que des fumées,
Faisait tourbillonner les rois et les armées,
Qui, lorsqu'il se fâchait, brisait sous son bâton
Le géant Robespierre et le titan Danton,
Oui, ce peuple invincible, oui, ce peuple superbe
Tremble aujourd'hui, pâlit, frissonne comme l'herbe,
Claque des dents, se cache et n'ose dire un mot
Devant Magnan, ce reître, et Troplong, ce grimaud !
Oui, nous voyons cela ! Nous tenant dans leurs serres,
Mangeant les millions en face des misères,
Les Fortoul, les Rouher, êtres stupéfiants,
S'étalent ; on se tait. Nos maîtres ruffians
À Cayenne, en un bagne, abîme d'agonie,
Accouplent l'héroïsme avec l'ignominie ;
On se tait. Les pontons râlent ; que dit-on ? rien.
Des enfants sont forçats en Afrique ; c'est bien.
Si vous pleurez, tenez votre larme secrète.
Le bourreau, noir faucheur, debout dans sa charrette,
Revient de la moisson avec son panier plein
Pas un souffle. Il est là, ce Tibère-Ezzelin
Qui se croit scorpion et n'est que scolopendre,
Fusillant, et jaloux de Haynau qui peut pendre ;
Eclaboussé de sang, le prêtre l'applaudit ;
Il est là, ce César chauve-souris qui dit
Aux rois : voyez mon sceptre ; aux gueux : voyez mon crime
Ce vainqueur qui, béni, lavé, sacré, sublime,
De deux pourpres vêtu, dans l'histoire s'assied
Le globe dans sa main, un boulet à son pied ;
Il nous crache au visage, il règne ! nul ne bouge.

Et c'est à votre front qu'on voit monter le rouge,
C'est vous qui vous levez et qui vous indignez,
Femmes ; le sein gonflé, les yeux de pleurs baignés,
Vous huez le tyran, vous consolez les tombes,
Et le vautour frémit sous le bec des colombes !

Et moi, proscrit pensif, je vous dis : Gloire à vous !
Oh ! oui, vous êtes bien le sexe fier et doux,
Ardent au dévouement, ardent à la souffrance,
Toujours prêt à la lutte, à Béthulie, en France,
Dont l'âme à la hauteur des héros s'élargit,
D'où se lève Judith, d'où Charlotte surgit !
Vous mêlez la bravoure à la mélancolie.
Vous êtes Porcia, vous êtes Cornélie,
Vous êtes Arria qui saigne et qui sourit ;
Oui, vous avez toujours en vous ce même esprit
Qui relève et soutient les nations tombées,
Qui suscite la Juive et les sept Machabées,
Qui dans toi, Jeanne d'Arc, fait revivre Amadis,
Et qui, sur le chemin des tyrans interdits,
Pour les épouvanter dans leur gloire éphémère,
Met tantôt une vierge et tantôt une mère !

Si bien que, par moments, lorsqu'en nos visions
Nous voyons, secouant un glaive de rayons,
Dans les cieux apparaître une figure ailée,
Saint-Michel sous ses pieds foulant l'hydre écaillée,
Nous disons : c'est la Gloire et c'est la Liberté !
Et nous croyons, devant sa grâce et sa beauté,
Quand nous cherchons le nom dont il faut qu'on le nomme,
Que l'archange est plutôt une femme qu'un homme !

Jersey, le 30 mai 1853.
Les morts que l'on fait saigner dans leur tombe

Se vengent toujours.

Ils ont leur manière, et plaignez qui tombe

Sous leurs grands coups sourds.

Mieux vaut n'avoir jamais connu la vie,

Mieux vaut la mort lente d'autres suivie,

Tant le temps est long, tant les coups sont lourds.


Les vivants qu'on fait pleurer comme on saigne

Se vengent parfois.

Ceux-là qu'ils ont pris, qu'un chacun les plaigne,

Pris entre leurs doigts.

Mieux vaut un ours et les jeux de sa patte,

Mieux vaut cent fois le chanvre et sa cravate,

Mieux vaut l'édredon d'Othello cent fois.


Ô toi, persécuter, crains le vampire

Et crains l'étrangleur :

Leur jour de colère apparaîtra pire

Que toute douleur.

Tiens ton âme prête à ce jour ultime

Qui surprendra l'assassin comme un crime

Et fondra sur le vol comme un voleur.
Ainsi l'hôtel de ville illumine son faîte.
Le prince et les flambeaux, tout y brille, et la fête
Ce soir va resplendir sur ce comble éclairé,
Comme l'idée au front du poète sacré.
Mais cette fête, amis, n'est pas une pensée.
Ce n'est pas d'un banquet que la France est pressée,
Et ce n'est pas un bal qu'il faut, en vérité,
A ce tas de douleurs qu'on nomme la cité !

Puissants ! nous ferions mieux de panser quelque plaie
Dont le sage rêveur à cette heure s'effraie,
D'étayer l'escalier qui d'en bas monte en haut,
D'agrandir l'atelier, d'amoindrir l'échafaud,
De songer aux enfants qui sont sans pain dans l'ombre,
De rendre un paradis au pauvre impie et sombre,
Que d'allumer un lustre et de tenir la nuit
Quelques fous éveillés autour d'un peu de bruit !

Ô reines de nos toits, femmes chastes et saintes,
Fleurs qui de nos maisons parfumez les enceintes,
Vous à qui le bonheur conseille la vertu,
Vous qui contre le mal n'avez pas combattu,
A qui jamais la faim, empoisonneuse infâme,
N'a dit : Vends-moi ton corps, - c'est-à-dire votre âme !
Vous dont le cœur de joie et d'innocence est plein,
Dont la pudeur a plus d'enveloppes de lin
Que n'en avait Isis, la déesse voilée,
Cette fête est pour vous comme une aube étoilée !
Vous riez d'y courir tandis qu'on souffre ailleurs !
C'est que votre belle âme ignore les douleurs ;
Le hasard vous posa dans la sphère suprême ;
Vous vivez, vous brillez, vous ne voyez pas même,
Tant vos yeux éblouis de rayons sont noyés,
Ce qu'au-dessous de vous dans l'ombre on foule aux pieds !

Oui, c'est ainsi. - Le prince, et le riche, et le monde
Cherche à vous réjouir, vous pour qui tout abonde.
Vous avez la beauté, vous avez l'ornement ;
La fête vous enivre à son bourdonnement,
Et, comme à la lumière un papillon de soie,
Vous volez à la porte ouverte qui flamboie !
Vous allez à ce bal, et vous ne songez pas
Que parmi ces passants amassés sur vos pas,
En foule émerveillés des chars et des livrées,
D'autres femmes sont là, non moins que vous parées,
Qu'on farde et qu'on expose à vendre au carrefour ;
Spectres où saigne encor la place de l'amour ;
Comme vous pour le bal, belles et demi-nues ;
Pour vous voir au passage, hélas ! exprès venues,
Voilant leur feuil affreux d'un sourire moqueur,
Les fleurs au front, la boue aux pieds, la haine au cœur !

Mai 1833.
I

Vraiment, c'est bête, ces églises des villages
Où quinze laids marmots encrassant les piliers
Écoutent, grasseyant les divins babillages,
Un noir grotesque dont fermentent les souliers :
Mais le soleil éveille, à travers des feuillages,
Les vieilles couleurs des vitraux irréguliers.

La pierre sent toujours la terre maternelle.
Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux
Dans la campagne en rut qui frémit solennelle
Portant près des blés lourds, dans les sentiers ocreux,
Ces arbrisseaux brûlés où bleuit la prunelle,
Des noeuds de mûriers noirs et de rosiers fuireux.

Tous les cent ans on rend ces granges respectables
Par un badigeon d'eau bleue et de lait caillé :
Si des mysticités grotesques sont notables
Près de la Notre-Dame ou du Saint empaillé,
Des mouches sentant bon l'auberge et les étables
Se gorgent de cire au plancher ensoleillé.

L'enfant se doit surtout à la maison, famille
Des soins naïfs, des bons travaux abrutissants ;
Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille
Où le Prêtre du Christ plaqua ses doigts puissants.
On paie au Prêtre un toit ombré d'une charmille
Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts brunissants.

Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes,
Sous le Napoléon ou le Petit Tambour
Quelque enluminure où les Josephs et les Marthes
Tirent la langue avec un excessif amour
Et que joindront, au jour de science, deux cartes,
Ces seuls doux souvenirs lui restent du grand Jour.
Les filles vont toujours à l'église, contentes
De s'entendre appeler garces par les garçons
Qui font du genre après messe ou vêpres chantantes.
Eux qui sont destinés au chic des garnisons
Ils narguent au café les maisons importantes,
Blousés neuf, et gueulant d'effroyables chansons.

Cependant le Curé choisit pour les enfances
Des dessins ; dans son clos, les vêpres dites, quand
L'air s'emplit du lointain nasillement des danses,
Il se sent, en dépit des célestes défenses,
Les doigts de pied ravis et le mollet marquant ;
- La Nuit vient, noir pirate aux cieux d'or débarquant.

II

Le Prêtre a distingué parmi les catéchistes,
Congrégés des Faubourgs ou des Riches Quartiers,
Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes,
Front jaune. Les parents semblent de doux portiers.
" Au grand Jour le marquant parmi les Catéchistes,
Dieu fera sur ce front neiger ses bénitiers. "

III

La veille du grand Jour l'enfant se fait malade.
Mieux qu'à l'Église haute aux funèbres rumeurs,
D'abord le frisson vient, - le lit n'étant pas fade -
Un frisson surhumain qui retourne : " Je meurs... "

Et, comme un vol d'amour fait à ses soeurs stupides,
Elle compte, abattue et les mains sur son coeur
Les Anges, les Jésus et ses Vierges nitides
Et, calmement, son âme a bu tout son vainqueur.

Adonaï !... - Dans les terminaisons latines,
Des cieux moirés de vert baignent les Fronts vermeils
Et tachés du sang pur des célestes poitrines,
De grands linges neigeux tombent sur les soleils !

- Pour ses virginités présentes et futures
Elle mord aux fraîcheurs de ta Rémission,
Mais plus que les lys d'eau, plus que les confitures,
Tes pardons sont glacés, à Reine de Sion !
IV

Puis la Vierge n'est plus que la vierge du livre.
Les mystiques élans se cassent quelquefois...
Et vient la pauvreté des images, que cuivre
L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois ;

Des curiosités vaguement impudiques
Épouvantent le rêve aux chastes bleuités
Qui s'est surpris autour des célestes tuniques,
Du linge dont Jésus voile ses nudités.

Elle veut, elle veut, pourtant, l'âme en détresse,
Le front dans l'oreiller creusé par les cris sourds,
Prolonger les éclairs suprêmes de tendresse,
Et bave... - L'ombre emplit les maisons et les cours.

Et l'enfant ne peut plus. Elle s'agite, cambre
Les reins et d'une main ouvre le rideau bleu
Pour amener un peu la fraîcheur de la chambre
Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu...

V

À son réveil, - minuit, - la fenêtre était blanche.
Devant le sommeil bleu des rideaux illunés,
La vision la prit des candeurs du dimanche ;
Elle avait rêvé rouge. Elle saigna du nez,

Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse
Pour savourer en Dieu son amour revenant,
Elle eut soif de la nuit où s'exalte et s'abaisse
Le coeur, sous l'oeil des cieux doux, en les devinant ;

De la nuit, Vierge-Mère impalpable, qui baigne
Tous les jeunes émois de ses silences gris ;
EIIe eut soif de la nuit forte où le coeur qui saigne
Ecoule sans témoin sa révolte sans cris.

Et faisant la victime et la petite épouse,
Son étoile la vit, une chandelle aux doigts,
Descendre dans la cour où séchait une blouse,
Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits.

VI

Elle passa sa nuit sainte dans les latrines.
Vers la chandelle, aux trous du toit coulait l'air blanc,
Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines,
En deçà d'une cour voisine s'écroulant.

La lucarne faisait un coeur de lueur vive
Dans la cour où les cieux bas plaquaient d'ors vermeils
Les vitres ; les pavés puant l'eau de lessive
Soufraient l'ombre des murs bondés de noirs sommeils.

VII

Qui dira ces langueurs et ces pitiés immondes,
Et ce qu'il lui viendra de haine, à sales fous
Dont le travail divin déforme encor les mondes,
Quand la lèpre à la fin mangera ce corps doux ?

VIII

Et quand, ayant rentré tous ses noeuds d'hystéries,
Elle verra, sous les tristesses du bonheur,
L'amant rêver au blanc million des Maries,
Au matin de la nuit d'amour avec douleur :

" Sais-tu que je t'ai fait mourir ? J'ai pris ta bouche,
Ton coeur, tout ce qu'on a, tout ce que vous avez ;
Et moi, je suis malade : Oh ! je veux qu'on me couche
Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuvés !

" J'étais bien jeune, et Christ a souillé mes haleines.
Il me bonda jusqu'à la gorge de dégoûts !
Tu baisais mes cheveux profonds comme les laines
Et je me laissais faire... ah ! va, c'est bon pour vous,

" Hommes ! qui songez peu que la plus amoureuse
Est, sous sa conscience aux ignobles terreurs,
La plus prostituée et la plus douloureuse,
Et que tous nos élans vers vous sont des erreurs !

" Car ma Communion première est bien passée.
Tes baisers, je ne puis jamais les avoir sus :
Et mon coeur et ma chair par ta chair embrassée
Fourmillent du baiser putride de Jésus ! "

IX

Alors l'âme pourrie et l'âme désolée
Sentiront ruisseler tes malédictions.
- Ils auront couché sur ta Haine inviolée,
Échappés, pour la mort, des justes passions.

Christ ! ô Christ, éternel voleur des énergies,
Dieu qui pour deux mille ans vouas à ta pâleur
Cloués au sol, de honte et de céphalalgies,
Ou renversés, les fronts des femmes de douleur.
Une enfant de seize ans, belle, et qui, toute franche,
Ouvrant ses yeux, ouvrait son cœur,
S'est inclinée un jour comme une fleur se penche,
Agonisante deux fois blanche
Par l'innocence et la langueur.

Ne parlez plus du monde à sa mère atterrée :
Ce qui n'est pas noir lui déplaît ;
Ah ! l'immense douleur que son amour lui crée
N'est-elle pas aussi sacrée
Qu'un seuil de tombe où l'on se tait ?

Vouloir la détourner de son culte à la morte,
C'est toujours l'en entretenir,
Et la vertu des mots ne peut être assez forte
Pour que leur souffle vide emporte
Le plomb fixe du souvenir.

Mais surtout cachez-lui l'âge de votre fille,
Ses premiers hivers triomphants
Au bal, où chaque mère a sa perle qui brille,
Printemps des nuits où la famille
Fête la beauté des enfants.

Ne soyez, en lavant sa blessure cruelle,
Ni le flatteur des longs regrets,
Ni le froid raisonneur dont l'amitié querelle,
Ni l'avocat de Dieu contre elle
Qui saigne encor de ses décrets.

Mais soyez un écho dans une solitude,
Toujours présent, toujours voilé,
Faites de sa souffrance une invisible étude,
Et si le jour lui semble rude
Montrez-lui le soir étoile.

La nature à son tour par d'invisibles charmes
Forcera la peine au sommeil ;
Un jour on offre aux morts des fleurs au lieu de larmes.
Que de désespoirs tu désarmes,
Silencieux et fort soleil !

Vous ne distrairez pas les malheureuses mères,
Tant qu'elles pleurent leurs enfants ;
Les discours ni le bruit ne les soulagent guères :
Recueillez leurs larmes amères,
Aidez leurs soupirs étouffants :

Il faut que la douleur par les sanglots brisée
Se divise un peu chaque jour,
Et dans les libres pleurs, dissolvante rosée,
Sur le tombeau qui l'a causée
S'épuise par un lent retour.

Alors le désespoir devient tristesse et plie,
Le cœur moins serré s'ouvre un peu ;
Ce nœud qui l'étreignait doucement se délie,
Et l'âme retombe affaiblie,
Mais plus sage et sereine en Dieu.

La douleur se repose, et d'étape en étape
S'éloigne, et, prête à s'envoler,
Hésite au bord du cœur, lève l'aile et s'échappe ;
Le cœur s'indigne... Dieu qui frappe
Use du droit de consoler.
Vous n'avez pas eu toute patience,

Cela se comprend par malheur, de reste ;

Vous êtes si jeune ! Et l'insouciance,

C'est le lot amer de l'âge céleste !


Vous n'avez pas eu toute la douceur,

Cela par malheur d'ailleurs se comprend ;

Vous êtes si jeune, ô ma froide sœur,

Que votre cœur doit être indifférent !


Aussi, me voici plein de pardons chastes,

Non, certes ! joyeux, mais très calme en somme

Bien que je déplore, en ces mois néfastes,

D'être, grâce à vous, le moins heureux homme.


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Et vous voyez bien que j'avais raison

Quand je vous disais, dans mes moments noirs,

Que vos yeux, foyers de mes vieux espoirs,

Ne couvaient plus rien que la trahison.


Vous juriez alors que c'était mensonge

Et votre regard qui mentait lui-même

Flambait comme un feu mourant qu'on prolonge,

Et de votre voix vous disiez : « Je t'aime ! »


Hélas ! on se prend toujours au désir

Qu'on a d'être heureux malgré la saison...

Mais ce fut un jour plein d'amer plaisir,

Quand je m'aperçus que j'avais raison !


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Aussi bien pourquoi me mettrais-je à geindre ?

Vous ne m'aimiez pas, l'affaire est conclue,

Et, ne voulant pas qu'on ose me plaindre,

Je souffrirai d'une âme résolue.


Oui ! je souffrirai, car je vous aimais !

Mais je souffrirai comme un bon soldat

Blessé qui s'en va dormir à jamais,

Plein d'amour pour quelque pays ingrat.


Vous qui fûtes ma Belle, ma Chérie,

Encor que de vous vienne ma souffrance,

N'êtes-vous donc pas toujours ma Patrie,

Aussi jeune, aussi folle que la France ?


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Or, je ne veux pas - le puis-je d'abord ?

Plonger dans ceci mes regards mouillés.

Pourtant mon amour que vous croyez mort

A peut-être enfin les yeux dessillés.


Mon amour qui n'est que ressouvenance,

Quoique sous vos coups il saigne et qu'il pleure

Encore et qu'il doive, à ce que je pense,

Souffrir longtemps jusqu'à ce qu'il en meure,


Peut-être a raison de croire entrevoir

En vous un remords qui n'est pas banal,

Et d'entendre dire, en son désespoir,

À votre mémoire : ah ! fi ! que c'est mal !


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Je vous vois encor. J'entr'ouvris la porte.

Vous étiez au lit comme fatiguée.

Mais, ô corps léger que l'amour emporte,

Vous bondîtes nue, éplorée et gaie.


Ô quels baisers, quels enlacements fous !

J'en riais moi-même à travers mes pleurs.

Certes, ces instants seront, entre tous

Mes plus tristes, mais aussi mes meilleurs.


Je ne veux revoir de votre sourire

Et de vos bons yeux en cette occurrence

Et de vous enfin, qu'il faudrait maudire,

Et du piège exquis, rien que l'apparence.


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Je vous vois encore ! En robe d'été

Blanche et jaune avec des fleurs de rideaux.

Mais vous n'aviez plus l'humide gaîté

Du plus délirant de tous nos tantôts.


La petite épouse et la fille aînée

Était reparue avec la toilette

Et c'était déjà notre destinée

Qui me regardait sous votre voilette.


Soyez pardonnée ! Et c'est pour cela

Que je garde, hélas ! avec quelque orgueil,

En mon souvenir qui vous cajola

L'éclair de côté que coulait votre œil.


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Par instants je suis le pauvre navire

Qui court démâté parmi la tempête

Et, ne voyant pas Notre-Dame luire,

Pour l'engouffrement en priant s'apprête.


Par instants je meurs la mort du pécheur

Qui se sait damné s'il n'est confessé,

Et, perdant l'espoir de nul confesseur,

Se tord dans l'Enfer, qu'il a devancé.


Ô mais ! par instants, j'ai l'extase rouge

Du premier chrétien, sous la dent rapace,

Qui rit à Jésus témoin, sans que bouge

Un poil de sa chair, un nerf de sa face !


Bruxelles-Londres. - Septembre-octobre 1872.
Venez bien près, plus près, qu'on ne puisse m'entendre.
Un bruit vole sur vous, mais qu'il est peu flatteur !
Votre mère en est triste ; elle vous est si tendre !
On dit, mon cher amour, que vous êtes menteur.

Au lieu d'apprendre en paix la leçon qu'on vous donne,
Vous faites le plaintif, vous traînez votre voix,
Et vous criez très haut : Hé ! ma bonne ! ma bonne !
L'écho, qui me dit tout, m'en a parlé deux fois.

Vous avez effrayé cette bonne attentive.
Et, pour vous secourir,
Près de vous, toute pâle, on l'a vue accourir :
Hélas ! vous avez ri de sa bonté craintive,
Enfant ! vous avez ri ! quelle douleur pour nous !
On ne croira donc plus à vos jeunes alarmes ?
Si j'avais eu ce tort, j'irais à deux genoux
Lui demander pardon d'avoir ri de ses larmes ;
J'irais... Ne pleurez pas ; causons avant d'agir ;
Écoutez une histoire, et jugez-la vous-même :
Cachez-vous cependant sur ce coeur qui vous aime ;
Je rougis de vous voir rougir.

« Au loup ! au loup ! à moi ! » criait un jeune pâtre ;
Et les bergers entr'eux suspendaient leurs discours.
Trompé par les clameurs du rustique folâtre,
Tout venait, jusqu'aux chiens, tout volait au secours.
Ayant de tant de cours éveillé le courage,
Tirant l'un du sommeil, et l'autre de l'ouvrage,
Il se mettait à rire, il se croyait bien fin :
« Je suis loup, » disait-il. Mais attendez la fin.
Un jour que les bergers, au fond d'une vallée,
Appelant la gaîté sur leurs aigres pipeaux,
Confondaient leurs repas, leurs chansons, leurs troupeaux,
Et de leurs pieds joyeux pressaient l'herbe foulée
« Au loup ! au loup ! à moi ! » dit le jeune garçon ;
« Au loup ! » répéta-t-il d'une voix lamentable.
Pas un n'abandonna la danse ni la table :
« Il est loup, dirent-ils ; à d'autres la leçon. »

Et toutefois le loup dévorait la plus belle
De ses belles brebis ;
Et pour punir l'enfant qu'il traitait de rebelle,
Il lui montrait les dents, et rompait ses habits :
Et le pauvre menteur, élevant ses prières,
N'attristait que l'écho ; ses cris n'amenaient rien.
Tout riait, tout dansait au **** dans les bruyères :
« Eh quoi ! pas un ami, dit-il, pas même un chien ! »
On ajoute, et vraiment, c'est pitié de le croire !
Qu'il serrait la brebis dans ses deux bras tremblants ;
Et, quand il vint en pleurs raconter son histoire,
On vit que ses deux bras étaient nus et sanglants.
« Il ne ment pas, dit-on, il tremble ! il saigne ! il pleure !
Quoi ! c'est donc vrai, Colas ? » Il s'appelait Colas.

« Nous avons bien ri tout à l'heure ;
Et la brebis est morte ! elle est mangée...hélas ! »
On le plaignit. Un rustre, insensible à ses larmes.
Lui dit : « Tu fus menteur, tu trompas notre effroi :
Or, s'il m'avait trompé, le menteur fût-il roi,
Me crierait vainement aux armes. »

Et vous n'êtes pas roi, mon ange, et vous mentez !
Ici, pas un flatteur dont la voix vous abuse ;
Vous n'avez point d'excuse.
Quand vous aurez perdu tous les cours révoltés,
Vous ne direz qu'à moi votre souffrance amère,
Car on ne ment pas à sa mère.
Tout s'enfuira de vous, j'en pleurerai tout bas ;
Vous n'aurez plus d'amis, je n'aurai plus de joie :
Que ferons-nous alors ? Oh ! ne vous cachez pas !
Prenez un peu courage, enfant ; que je vous voie ;
Vous me touchez le coeur, j'y sens votre pardon ;
Allez, petit chéri, ne trompez plus personne ;
Soyez sage, aimez Dieu, priez qu'il vous pardonne ;
Il est père, il est bon !
Au retour des beaux jours, dans ce vert floréal
Où meurent les Danton trahis par les Réal,
Quand l'étable s'agite au fond des métairies,
Quand l'eau vive au soleil se change en pierreries,
Quand la grisette assise, une aiguille à la main,
Soupire, et, de côté regardant le chemin,
Voudrait aller cueillir des fleurs au lieu de coudre,
Quand les nids font l'amour, quand le pommier se poudre
Pour le printemps ainsi qu'un marquis pour le bal,
Quand, par mai réveillés, Charles douze, Annibal,
Disent : c'est l'heure ! et font vers les sanglants tumultes
Rouler, l'un les canons, l'autre les catapultes ;
Moi, je crie : ô soleil ! salut ! parmi les fleurs
J'entends les gais pinsons et les merles siffleurs ;
L'arbre chante ; j'accours ; ô printemps ! on vit double
Gallus entraîne au bois Lycoris qui se trouble ;
Tout rayonne ; et le ciel, couvant l'homme enchanté,
N'est plus qu'un grand regard plein de sérénité !
Alors l'herbe m'invite et le pré me convie ;
Alors j'absous le sort, je pardonne à la vie,
Et je dis : Pourquoi faire autre chose qu'aimer ?
Je sens, comme au dehors, tout en moi s'animer,
Et je dis aux oiseaux : e Petits oiseaux, vous n'êtes
Que des chardonnerets et des bergeronnettes,
Vous ne me connaissez pas même, vous allez
Au hasard dans les champs, dans les bois, dans les blés,
Pêle-mêle, pluviers, grimpereaux, hochequeues,
Dressant vos huppes d'or, lissant vos plumes bleues
Vous êtes, quoique beaux, très bêtes ; votre loi,
C'est d'errer ; vous chantez en l'air sans savoir quoi
Eh bien, vous m'inondez d'émotions sacrées !
Et quand je vous entends sur les branches dorées,
Oiseaux, mon aile s'ouvre, et mon cœur rajeuni
Boit à l'amour sans fond et s'emplit d'infini ! »
Et je me laisse aller aux longues rêveries.
Ô feuilles d'arbre ! oubli ! bœufs mugissants ! prairies !
Mais dans ces moments-là, tu le sais, Juvénal,
Qu'il sorte par hasard de ma poche un journal,
Et que mon œil distrait, qui vers les cieux remonte,
Heurte l'un de ces noms qui veulent dire honte,
Alors toute l'horreur revient ; dans les bois verts
Némésis m'apparaît et me montre à travers
Les rameaux et les fleurs sa gorge de furie.

C'est que tu veux tout l'homme, ô devoir ! ô patrie !
C'est que lorsque ton flanc saigne, ô France, tu veux
Que l'angoisse nous tienne et dresse nos cheveux,
Que nous ne regardions plus autre chose au monde,
Et que notre œil, noyé dans la pitié profonde,
Cesse de voir les cieux pour ne voir que ton sang !

Et je me lève, et tout s'efface, et, frémissant,
Je n'ai plus sous les yeux qu'un peuple à la torture,
Crimes sans châtiment, griefs sans sépulture,
Les géants garrottés livrés aux avortons,
Femmes dans les cachots, enfants dans les pontons,
Bagnes, sénats, proscrits, cadavres, gémonies
Alors, foulant aux pieds toutes les fleurs ternies,
Je m'enfuis, et je dis à ce soleil si doux :
Je veux l'ombre ! et je crie aux oiseaux : taisez-vous !

Et je pleure ! et la strophe, éclose de ma bouche,
Bat mon front orageux de son aile farouche.

Ainsi pas de printemps ! ainsi pas de ciel bleu !
Ô bandits, et toi, fils d'Hortense de Saint-Leu,
Soyez maudits, d'abord d'être ce que vous êtes,
Et puis soyez maudits d'obséder les poètes !
Soyez maudits, Troplong, Fould, Magnan, Faustin deux,
De faire au penseur triste un cortège hideux,
De le suivre au désert, dans les champs, sous les ormes,
De mêler aux forêts vos figures difformes !
Soyez maudits, bourreaux qui lui masquez le jour,
D'emplir de haine un cœur qui déborde d'amour !

Jersey, le 28 mai 1853.
Une chouette était sur une porte clouée ;
Larve de l'ombre au toit des hommes échouée.
La nature, qui mêle une âme aux rameaux verts,
Qui remplit tout, et vit, à des degrés divers,
Dans la bête sauvage et la bête de somme,
Toujours en dialogue avec l'esprit de l'homme,
Lui donne à déchiffrer les animaux, qui sont
Ses signes, alphabet formidable et profond ;
Et, sombre, ayant pour mots l'oiseau, le ver, l'insecte,
Parle deux langues : l'une, admirable et correcte,
L'autre, obscur bégaîment. L'éléphant aux pieds lourds,
Le lion, ce grand front de l'antre, l'aigle, l'ours,
Le taureau, le cheval, le tigre au bond superbe,
Sont le langage altier et splendide, le verbe ;
Et la chauve-souris, le crapaud, le putois,
Le crabe, le hibou, le porc, sont le patois.
Or, j'étais là, pensif, bienveillant, presque tendre,
Épelant ce squelette, et tâchant de comprendre
Ce qu'entre les trois clous où son spectre pendait,
Aux vivants, aux souffrants, au bœuf triste, au baudet,
Disait, hélas ! la pauvre et sinistre chouette,
Du côté noir de l'être informe silhouette.

Elle disait :

« Sur son front sombre
Comme la brume se répand !
Il remplit tout le fond de l'ombre.
Comme sa tête morte pend !
De ses yeux coulent ses pensées.
Ses pieds troués, ses mains percées
Bleuissent à l'air glacial,
Oh ! comme il saigne dans le gouffre !
Lui qui faisait le bien, il souffre
Comme moi qui faisait le mal.

« Une lumière à son front tremble.
Et la nuit dit au vent : « Soufflons
Sur cette flamme ! » et, tous ensemble,
Les ténèbres, les aquilons,
La pluie et l'horreur, froides bouches,
Soufflent, hagards, hideux, farouches,
Et dans la tempête et le bruit
La clarté reparaît grandie... -
Tu peux éteindre un incendie,
Mais pas une auréole, ô nuit !

« Cette âme arriva sur la terre,
Qu'assombrit le soir incertain ;
Elle entra dans l'obscur mystère
Que l'ombre appelle son destin ;
Au mensonge, aux forfaits sans nombre,
À tout l'horrible essaim de l'ombre,
Elle livrait de saints combats ;
Elle volait, et ses prunelles
Semblaient deux lueurs éternelles
Qui passaient dans la nuit d'en bas.

« Elle allait parmi les ténèbres,
Poursuivant, chassant, dévorant
Les vices, ces taupes funèbres,
Le crime, ce phalène errant ;
Arrachant de leurs trous la haine,
L'orgueil, la fraude qui se traîne,
L'âpre envie, aspic du chemin,
Les vers de terre et les vipères,
Que la nuit cache dans les pierres
Et le mal dans le cœur humain !

« Elle cherchait ces infidèles,
L'Achab, le Nemrod, le Mathan,
Que, dans son temple et sous ses ailes,
Réchauffe le faux dieu Satan,
Les vendeurs cachés sous les porches,
Le brûleur allumant ses torches
Au même feu que l'encensoir ;
Et, quand elle l'avait trouvée,
Toute la sinistre couvée
Se hérissait sous l'autel noir.

« Elle allait, délivrant les hommes
De leurs ennemis ténébreux ;
Les hommes, noirs comme nous sommes,
Prirent l'esprit luttant pour eux ;
Puis ils clouèrent, les infâmes,
L'âme qui défendait leurs âmes,
L'être dont l'œil jetait du jour ;
Et leur foule, dans sa démence,
Railla cette chouette immense
De la lumière et de l'amour !

« Race qui frappes et lapides,
Je te plains ! hommes, je vous plains !
Hélas ! je plains vos poings stupides,
D'affreux clous et de marteaux pleins !
Vous persécutez pêle-mêle
Le mal, le bien, la griffe et l'aile,
Chasseurs sans but, bourreaux sans yeux !
Vous clouez de vos mains mal sûres
Les hiboux au seuil des masures,
Et Christ sur la porte des cieux ! »

Mai 1843.
Au bout d'un bas-côté de l'église gothique,

Contre le mur que vient baiser le jour mystique

D'un long vitrail d'azur et d'or finement roux,

Le Crucifix se dresse, ineffablement doux,

Sur sa croix peinte en vert aux arêtes dorées,

Et la gloire d'or sombre en langues échancrées

Flue autour de la tête et des bras étendus,

Tels quatre vols de flamme en un seul confondus.

La statue est en bois, de grandeur naturelle,

Légèrement teintée, et l'on croirait sur elle

Voir s'arrêter la vie à l'instant qu'on la voit,

Merveille d'art pieux, celui qui la fit doit

N'avoir fait qu'elle et s'être éteint dans la victoire

L'être un bon ouvrier trois fois sûr de sa gloire.

« Voilà l'homme ! » Robuste et délicat pourtant.

C'est bien le corps qu'il faut pour avoir souffert tant,

Et c'est bien la poitrine où bat le Cœur immense :

Par les lèvres le souffle expirant dit : « Clémence »

Tant l'artiste les a disjointes saintement,

Et les bras grands ouverts prouvent le Dieu clément ;

La couronne d'épine est énorme et cruelle

Sur le front inclinant sa pâleur fraternelle

Vers l'ignorance humaine et l'erreur du pécheur,

Tandis que, pour noyer le scrupule empêcheur

D'aimer et d'espérer comme la Foi l'enseigne,

Les pieds saignent, les mains saignent, le côté saigne ;

On sent qu'il s'offre au Père en toute charité.

Ce vrai Christ catholique éperdu de bonté,

Pour spécialement sauver vos âmes tristes,

Pharisiens naïfs, sincères jansénistes !

- Un ami qui passait, bon peintre et bon chrétien

Et bon poète aussi - les trois s'accordent bien -

Vit cette œuvre sublime, en fit une copie

Exquise, et, surprenant mon regard qui l'épie,

Très gracieusement chez moi vint l'oublier.

Et j'ai rimé ces vers pour le remercier. -
Murs blancs, toit rouge, c'est l'Auberge fraîche au bord

Du grand chemin poudreux où le pied brûle et saigne,

L'Auberge gaie avec le Bonheur pour enseigne.

Vin bleu, pain tendre, et pas besoin de passe-port.


Ici l'on fume, ici l'on chante, ici l'on dort.

L'hôte est un vieux soldat, et l'hôtesse, qui peigne

Et lave dix marmots roses et pleins de teigne,

Parle d'amour, de joie et d'aise, et n'a pas tort !


La salle au noir plafond de poutres, aux images

Violentes, Maleck Adel et les Rois Mages,

Vous accueille d'un bon parfum de soupe aux choux.


Entendez-vous ? C'est la marmite qu'accompagne

L'horloge du tic-tac allègre de son pouls.

Et la fenêtre s'ouvre au **** sur la campagne.
c rogan Aug 2022
flowers for my mother, it’s nice to hear the voice again…

lift heavy mossy beds, our golden depth…

it’s today, it’s bright, its continuous summer,

thread tugged from hot wax.  

quilting leaves, gentle and warm home breath.



sounds of water rushes words on skin, evaporate in lungs.

windows sit in windows until they are opened,

until they are opened and swiveled and creased on the edges.  

moss on fingertips.



a rabbit entered my dream like the smell of rain –

thunderous rushing sound -

anthropocene buried in a new bed.  Pause.



painting water on backs of hands,

sun dried thoughts return to lungs and yield ferns in the yard.

the first tomato harvest of the season.

they stretch the shade, slow light down.  

last garden rows on a crescent moon.



dans un reve, tu m’aimes.

dans un reve, le ciel et rose

dans un reve, tu m’aimes

et je ne saigne jamais



hieroglyphics sing inside limbs, absent and changing, dividing, growing

why do they make the strange art?  When will time stop?

being lived and lived again, being told about stories

find emerald home reclaimed



within the final days, she said

the stars are unseen

an eye closing on sunlight water

in naked tenderness, humble and gardening open air

visible but cannot be touched,

plant into the earth.  resume.

profound and rich memories carved out in pen and pencil

moss grows newly made bed.
LUI. - Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein ? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
Aux frais rayons

Du bon matin bleu, qui vous baigne
Du vin de jour ?...
Quand tout le bois frissonnant saigne
Muet d'amour

De chaque branche, gouttes vertes,
Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
Frémir des chairs :

Tu plongerais dans la luzerne
Ton blanc peignoir
Rosant à l'air ce bleu qui cerne
Ton grand oeil noir

Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou :

Riant à moi, brutal d'ivresse,
Qui te prendrais.
Comme cela, - la belle tresse,
Oh ! - qui boirais

Ton goût de framboise et de fraise,
Ô chair de fleur !
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur,

Au rose églantier qui t'embête
Aimablement :
Riant surtout, à folle tête,
À ton amant !...

- Ta poitrine sur ma poitrine,
Mêlant nos voix,
Lents, nous gagnerions la ravine,
Puis les grands bois !...

Puis, comme une petite morte,
Le coeur pâmé,
Tu me dirais que je te porte,
L'oeil mi-fermé...

Je te porterais, palpitante,
Dans le sentier :
L'oiseau filerait son andante :
Au Noisetier..

Je te parlerais dans ta bouche :
J'irais, pressant
Ton corps, comme une enfant qu'on couche,
Ivre du sang

Qui coule, bleu, sous ta peau blanche
Aux tons rosés :
Et te parlant la langue franche...
Tiens !... - que tu sais...

Nos grands bois sentiraient la sève
Et le soleil
Sablerait d'or fin leur grand rêve
Vert et vermeil.

Le soir ?... Nous reprendrons la route
Blanche qui court
Flânant, comme un troupeau qui broute,
Tout à l'entour

Les bons vergers à l'herbe bleue
Aux pommiers tors !
Comme on les sent toute une lieue
Leurs parfums forts !

Nous regagnerons le village
Au ciel mi-noir ;
Et ça sentira le laitage
Dans l'air du soir ;

Ça sentira l'étable, pleine
De fumiers chauds,
Pleine d'un lent rythme d'haleine,
Et de grands dos

Blanchissant sous quelque lumière ;
Et, tout là-bas,
Une vache fientera, fière,
À chaque pas...

- Les lunettes de la grand-mère
Et son nez long
Dans son missel ; le *** de bière
Cerclé de plomb,

Moussant entre les larges pipes
Qui, crânement,
Fument : les effroyables lippes
Qui, tout fumant,

Happent le jambon aux fourchettes
Tant, tant et plus :
Le feu qui claire les couchettes
Et les bahuts.

Les fesses luisantes et grasses
D'un gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses,
Son museau blanc

Frôlé par un mufle qui gronde
D'un ton gentil,
Et pourlèche la face ronde
Du cher petit...

Que de choses verrons-nous, chère,
Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire,
Les carreaux gris !...

- Puis, petite et toute nichée
Dans les lilas
Noirs et frais : la vitre cachée,
Qui rit là-bas...

Tu viendras, tu viendras, je t'aime !
Ce sera beau.
Tu viendras, n'est-ce pas, et même...

ELLE. - Et mon bureau ?

— The End —