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solenn fresnay Sep 2012
Il la traîna de force jusqu’à sa chambre
Lui tira les cheveux et lui fracassa la cervelle plusieurs fois contre le carrelage froid du couloir
- Carrelage de couleur marron jaune -
Au passage une de ses dents du haut s’est cassée, pas grave, on dira lundi à l’école qu’elle a mangé des cailloux tout le week-end avec ses cousines
Ses cousines qui par ailleurs l’ont laissée toute l’après-midi sur le toit de la voiture familiale
Juste pour une histoire de garçon
Et puis après tout, tu as assez bien finie, tu aurais pu atterrir dans la porcherie
Pour une simple histoire de choux de Bruxelles
Juste pour une histoire de choux de Bruxelles.

Maman ne m’a jamais dit comment on faisait l’amour
Mais maman tous les soirs me faisait l’amour
(Un cri)
Pour une simple histoire de choux de Bruxelles
Chaque jour de la semaine maintenant je suis défoncée
TOTALEMENT DEFONCEE.

Mais ne t’inquiète pas, lui dit-il en la serrant encore plus fort, maman rentrera bientôt
Et la petite fille qui pleurait et pleurait
Sentant cette chose immonde venir s’écraser contre sa poitrine
Ne t’inquiète donc pas, maman rentera bientôt
Et la petite fille qui pleurait chaque minute encore plus
Sentant cette chose immonde se balader contre son tout petit corps
Maman rentrera bientôt ?
JE N’AVAIS QUE CINQ ANS.

Maman ne m’a jamais dit comment on faisait l’amour
Mais maman tous les soirs me faisait l’amour
(Un cri)
Pour une simple histoire de choux de Bruxelles
Chaque jour de la semaine maintenant je suis défoncée
TOTALEMENT DEFONCEE.

Elle entra à l’hôpital une nuit d’hiver
Dans la voiture toute blanche il y avait de jolies lumières au-dessus de sa tête et puis aussi une jolie musique
Tout allait un peu vite mais les messieurs étaient si gentils
Et puis elle avait encore vomi un peu partout mais les infirmières étaient si belles et avaient les dents si blanches
Elle resta une dizaine de jours dans cette chambre rose bonbon, le bras accroché à un drôle de pied en acier caillé, sa gentille maman qui continuait chaque nuit à lui faire l’amour en cachette
Elle se souvient avoir failli mourir
Mais après tout, tu as assez bien fini, tu aurais pu atterrir dans la porcherie
Pour une simple histoire de choux de Bruxelles
Juste pour une histoire de choux de Bruxelles.

Maman ne m’a jamais dit comment on faisait l’amour
Mais maman tous les soirs me faisait l’amour
(Un cri)
Pour une simple histoire de choux de Bruxelles
Chaque jour de la semaine maintenant je suis défoncée
TOTALEMENT DEFONCEE.

A l’école elle faisait tout le temps pipi sur elle
Puis elle s’est mise à se raconter des histoires, juste pour atteindre plus facilement le paradis artificiel
C’était toujours mieux quand c’était maman
Enfin elle ne se rappelle plus très bien
Elle a tout mélangé
Dans sa tête tout s’est mélangé
Elle est très malheureuse encore aujourd’hui
Mais après tout, elle a assez bien fini, elle aurait pu atterrir dans la porcherie
Pour une simple histoire de choux de Bruxelles
Juste pour une histoire de choux de Bruxelles.
I.

Aimez bien vos amours ; aimez l'amour qui rêve
Une rose à la lèvre et des fleurs dans les yeux ;
C'est lui que vous cherchez quand votre avril se lève,
Lui dont reste un parfum quand vos ans se font vieux.

Aimez l'amour qui joue au soleil des peintures,
Sous l'azur de la Grèce, autour de ses autels,
Et qui déroule au ciel la tresse et les ceintures,
Ou qui vide un carquois sur des coeurs immortels.

Aimez l'amour qui parle avec la lenteur basse
Des Ave Maria chuchotés sous l'arceau ;
C'est lui que vous priez quand votre tête est lasse,
Lui dont la voix vous rend le rythme du berceau.

Aimez l'amour que Dieu souffla sur notre fange,
Aimez l'amour aveugle, allumant son flambeau,
Aimez l'amour rêvé qui ressemble à notre ange,
Aimez l'amour promis aux cendres du tombeau !

Aimez l'antique amour du règne de Saturne,
Aimez le dieu charmant, aimez le dieu caché,
Qui suspendait, ainsi qu'un papillon nocturne,
Un baiser invisible aux lèvres de Psyché !

Car c'est lui dont la terre appelle encore la flamme,
Lui dont la caravane humaine allait rêvant,
Et qui, triste d'errer, cherchant toujours une âme,
Gémissait dans la lyre et pleurait dans le vent.

Il revient ; le voici : son aurore éternelle
A frémi comme un monde au ventre de la nuit,
C'est le commencement des rumeurs de son aile ;
Il veille sur le sage, et la vierge le suit.

Le songe que le jour dissipe au coeur des femmes,
C'est ce Dieu. Le soupir qui traverse les bois,
C'est ce Dieu. C'est ce Dieu qui tord les oriflammes
Sur les mâts des vaisseaux et des faîtes des toits.

Il palpite toujours sous les tentes de toile,
Au fond de tous les cris et de tous les secrets ;
C'est lui que les lions contemplent dans l'étoile ;
L'oiseau le chante au loup qui le hurle aux forêts.

La source le pleurait, car il sera la mousse,
Et l'arbre le nommait, car il sera le fruit,
Et l'aube l'attendait, lui, l'épouvante douce
Qui fera reculer toute ombre et toute nuit.

Le voici qui retourne à nous, son règne est proche,
Aimez l'amour, riez ! Aimez l'amour, chantez !
Et que l'écho des bois s'éveille dans la roche,
Amour dans les déserts, amour dans les cités !

Amour sur l'Océan, amour sur les collines !
Amour dans les grands lys qui montent des vallons !
Amour dans la parole et les brises câlines !
Amour dans la prière et sur les violons !

Amour dans tous les coeurs et sur toutes les lèvres !
Amour dans tous les bras, amour dans tous les doigts !
Amour dans tous les seins et dans toutes les fièvres !
Amour dans tous les yeux et dans toutes les voix !

Amour dans chaque ville : ouvrez-vous, citadelles !
Amour dans les chantiers : travailleurs, à genoux !
Amour dans les couvents : anges, battez des ailes !
Amour dans les prisons : murs noirs, écroulez-vous !

II.

Mais adorez l'Amour terrible qui demeure
Dans l'éblouissement des futures Sions,
Et dont la plaie, ouverte encor, saigne à toute heure
Sur la croix, dont les bras s'ouvrent aux nations.
À Catulle Mendès


La petite marquise Osine est toute belle,

Elle pourrait aller grossir la ribambelle

Des folles de Watteau sous leur chapeau de fleurs

Et de soleil, mais comme on dit, elle aime ailleurs

Parisienne en tout, spirituelle et bonne

Et mauvaise à ne rien redouter de personne,

Avec cet air mi-faux qui fait que l'on vous croit,

C'est un ange fait pour le monde qu'elle voit,

Un ange blond, et même on dit qu'il a des ailes.


Vingt soupirants, brûlés du feu des meilleurs zèles

Avaient en vain quêté leur main à ses seize ans,

Quand le pauvre marquis, quittant ses paysans

Comme il avait quitté son escadron, vint faire

Escale au Jockey ; vous connaissez son affaire

Avec la grosse Emma de qui - l'eussions-nous cru ?

Le bon garçon était absolument féru,

Son désespoir après le départ de la grue,

Le duel avec Gontran, c'est vieux comme la rue ;

Bref il vit la petite un jour dans un salon,

S'en éprit tout d'un coup comme un fou ; même l'on

Dit qu'il en oublia si bien son infidèle

Qu'on le voyait le jour d'ensuite avec Adèle.

Temps et mœurs ! La petite (on sait tout aux Oiseaux)

Connaissait le roman du cher, et jusques aux

Moindres chapitres : elle en conçut de l'estime.

Aussi quand le marquis offrit sa légitime

Et sa main contre sa menotte, elle dit : Oui,

Avec un franc parler d'allégresse inouï.

Les parents, voyant sans horreur ce mariage

(Le marquis était riche et pouvait passer sage)

Signèrent au contrat avec laisser-aller.

Elle qui voyait là quelqu'un à consoler

Ouït la messe dans une ferveur profonde.


Elle le consola deux ans. Deux ans du monde !


Mais tout passe !

Si bien qu'un jour qu'elle attendait

Un autre et que cet autre atrocement tardait,

De dépit la voilà soudain qui s'agenouille

Devant l'image d'une Vierge à la quenouille

Qui se trouvait là, dans cette chambre en garni,

Demandant à Marie, en un trouble infini,

Pardon de son péché si grand, - si cher encore

Bien qu'elle croie au fond du cœur qu'elle l'abhorre.


Comme elle relevait son front d'entre ses mains

Elle vit Jésus-Christ avec les traits humains

Et les habits qu'il a dans les tableaux d'église.

Sévère, il regardait tristement la marquise.

La vision flottait blanche dans un jour bleu

Dont les ondes voilant l'apparence du lieu,

Semblaient envelopper d'une atmosphère élue

Osine qui tremblait d'extase irrésolue

Et qui balbutiait des exclamations.

Des accords assoupis de harpes de Sions

Célestes descendaient et montaient par la chambre

Et des parfums d'encens, de cinnamome et d'ambre

Fluaient, et le parquet retentissait des pas

Mystérieux de pieds que l'on ne voyait pas,

Tandis qu'autour c'était, en cadences soyeuses,

Un grand frémissement d'ailes mystérieuses

La marquise restait à genoux, attendant,

Toute admiration peureuse, cependant.


Et le Sauveur parla :

« Ma fille, le temps passe,

Et ce n'est pas toujours le moment de la grâce.

Profitez de cette heure, ou c'en est fait de vous. »


La vision cessa.

Oui certes, il est doux

Le roman d'un premier amant. L'âme s'essaie,

C'est un jeune coureur à la première haie.

C'est si mignard qu'on croit à peine que c'est mal.

Quelque chose d'étonnamment matutinal.

On sort du mariage habitueux. C'est comme

Qui dirait la lueur aurorale de l'homme

Et les baisers parmi cette fraîche clarté

Sonnent comme des cris d'alouette en été,

Ô le premier amant ! Souvenez-vous, mesdames !

Vagissant et timide élancement des âmes

Vers le fruit défendu qu'un soupir révéla...

Mais le second amant d'une femme, voilà !

On a tout su. La faute est bien délibérée

Et c'est bien un nouvel état que l'on se crée,

Un autre mariage à soi-même avoué.

Plus de retour possible au foyer bafoué.

Le mari, débonnaire ou non, fait bonne garde

Et dissimule mal. Déjà rit et bavarde

Le monde hostile et qui sévirait au besoin.

Ah, que l'aise de l'autre intrigue se fait **** !

Mais aussi cette fois comme on vit ; comme on aime,

Tout le cœur est éclos en une fleur suprême.

Ah, c'est bon ! Et l'on jette à ce feu tout remords,

On ne vit que pour lui, tous autres soins sont morts.

On est à lui, on n'est qu'à lui, c'est pour la vie,

Ce sera pour après la vie, et l'on défie

Les lois humaines et divines, car on est

Folle de corps et d'âme, et l'on ne reconnaît

Plus rien, et l'on ne sait plus rien, sinon qu'on l'aime !


Or cet amant était justement le deuxième

De la marquise, ce qui fait qu'un jour après,

- Ô sans malice et presque avec quelques regrets -

Elle le revoyait pour le revoir encore.

Quant au miracle, comme une odeur s'évapore,

Elle n'y pensa plus bientôt que vaguement.


Un matin, elle était dans son jardin charmant,

Un matin de printemps, un jardin de plaisance.

Les fleurs vraiment semblaient saluer sa présence,

Et frémissaient au vent léger, et s'inclinaient

Et les feuillages, verts tendrement, lui donnaient

L'aubade d'un timide et délicat ramage

Et les petits oiseaux, volant à son passage,

Pépiaient à plaisir dans l'air tout embaumé

Des feuilles, des bourgeons et des gommes de mai.

Elle pensait à lui ; sa vue errait, distraite,

À travers l'ombre jeune et la pompe discrète

D'un grand rosier bercé d'un mouvement câlin,

Quand elle vit Jésus en vêtements de lin

Qui marchait, écartant les branches de l'arbuste

Et la couvait d'un long regard triste. Et le Juste

Pleurait. Et tout en un instant s'évanouit.


Elle se recueillait.

Soudain un petit bruit

Se fit. On lui portait en secret une lettre,

Une lettre de lui, qui lui marquait peut-être

Un rendez-vous.


Elle ne put la déchirer.


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Marquis, pauvre marquis, qu'avez-vous à pleurer

Au chevet de ce lit de blanche mousseline ?

Elle est malade, bien malade.

« Sœur Aline,

A-t-elle un peu dormi ? »

- « Mal, monsieur le marquis. »

Et le marquis pleurait.

« Elle est ainsi depuis

Deux heures, somnolente et calme. Mais que dire

De la nuit ? Ah, monsieur le marquis, quel délire !

Elle vous appelait, vous demandait pardon

Sans cesse, encor, toujours, et tirait le cordon

De sa sonnette. »

Et le marquis frappait sa tête

De ses deux poings et, fou dans sa douleur muette

Marchait à grands pas sourds sur les tapis épais

(Dès qu'elle fut malade, elle n'eut pas de paix

Qu'elle n'eût avoué ses fautes au pauvre homme

Qui pardonna.) La sœur reprit pâle : « Elle eut comme

Un rêve, un rêve affreux. Elle voyait Jésus,

Terrible sur la nue et qui marchait dessus,

Un glaive dans la main droite, et de la main gauche

Qui ramait lentement comme une faux qui fauche,

Écartant sa prière, et passait furieux. »


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Un prêtre, saluant les assistants des yeux,

Entre.

Elle dort.

Ô ses paupières violettes !

Ô ses petites mains qui tremblent maigrelettes !

Ô tout son corps perdu dans les draps étouffants !


Regardez, elle meurt de la mort des enfants.

Et le prêtre anxieux, se penche à son oreille.

Elle s'agite un peu, la voilà qui s'éveille,

Elle voudrait parler, la voilà qui s'endort

Plus pâle.

Et le marquis : « Est-ce déjà la mort ? »

Et le docteur lui prend les deux mains, et sort vite.


On l'enterrait hier matin. Pauvre petite !
Quitterie Nov 2017
Regarde les squelettes qui dansent dans la cour
Et l'odeur de violette qui va chassant le jour.
Hier encore la fête, les nombreux petits-fours,
Le sel des cacahuètes et le son des tambours.

Aujourd'hui qu'elle est **** la joie de Mariette :
Quelques restes de pain sur la table - des miettes -
Et des grains de raisins que grignotent les guêpes,
Quand le rouge du vin nous fait perdre la tête.

Ils cliquettent les rires et grelottent les os ;
Il chuinte le sabir des cages dans ce zoo :
Mariette et Amir sont partis tout là-haut
Sans même prévenir : j'en ai froid dans le dos.

Regarde les squelettes qui dansent dans la cour
Et l'odeur de violette qui va chassant le jour.
Amir était poète, Mariette un amour.
Qui sait que la mort guette quand on a de l'humour ?

Hier, à la rivière, nous lancions des pierres,
Les canettes de bières et les traits de lumières
Éclairaient nos visages et plissaient nos regards :
Qui sait que les présages ressembl'nt aux nénuphars ?

Mariette portait ses jolies perles jaunes
Et son rire de Corte. Amir était un faune
Dont la longue crinière nous mettaient en chaleur.
Qu'ils étaient beaux et fiers : quand j'y pense je pleure

Regarde les squelettes qui dansent dans la cour
Et l'odeur de violette qui va chassant le jour.
C'est une étrange valse, une valse à trois temps,
Celle du temps qui passe et te chasse, entêtant.

Hier, ce jour, demain : étourdissant manège
Aux chevaux de bois dur où je pleurais enfant.
Osselets de mes mains, et mes pieds dans la neige :
Quelle est cette blessure où s'épuise mon sang ?

Mariette pleurait et riait à la fois,
Qu'Amir aux yeux dorés nous raconte l'émoi
De leur premier baiser sous un bel amandier.
Leurs visages apaisés nous ont incendiés.

Regarde les squelettes qui dansent dans la cour
Et l'odeur de violette qui va chassant le jour...
« Du vin ! Nous sommes trois ; du vin, allons, du vin !
Hôtesse ! nous voulons chanter jusqu'au matin.
As-tu toujours ta vigne et ta fille jolie ?
L'amour, le vin, voilà les seuls biens de la vie.

- Entrez, seigneurs, entrez.... le vent est froid, la nuit.
Ma vigne donne un vin qui brûle et réjouit ;
Le soleil a mûri les raisins qu'elle porte,
Mon vin est clair et bon : buvez !... Ma fille est morte !

- Morte ? - Depuis un jour. - Morte, la belle enfant !
Laisse-nous la revoir. Plus de vin, plus de chant !
Que ta lampe un instant éclaire son visage ;
Chapeau bas, nous dirons la prière d'usage. »

Et les passants criaient : « Du vin, allons, du vin !
Hôtesse ! nous voulons chanter jusqu'au matin.
As-tu toujours ta vigne et ta fille jolie ?
L'amour, le vin, voilà les seuls biens de la vie. »

Le premier voyageur s'inclina près du lit,
Écartant les rideaux, à demi-voix il dit :
« Belle enfant, maintenant glacée, inanimée,
Pourquoi mourir si tôt ? Moi, je t'aurais aimée ! »

Et l'on disait en bas : « Du vin, allons, du vin !
Hôtesse ! nous voulons chanter jusqu'au matin.
As-tu toujours ta vigne et ta fille jolie ?
L'amour, le vin, voilà les seuls biens de la vie. »

Le second voyageur s'inclina près du lit,
Et fermant les rideaux, à demi-voix il dit :
« Moi, je t'aimais, enfant ; j'aurais été fidèle
Adieu donc pour toujours, à toi qui fus si belle ! »

Et l'on disait en bas : « Du vin, allons, du vin !
Hôtesse ! nous voulons chanter jusqu'au matin.
As-tu toujours ta vigne et ta fille jolie ?
L'amour, le vin, voilà les seuls biens de la vie. »

Le dernier voyageur s'inclina près du lit ;
Baisant ce front de marbre, à demi-voix il dit :
« Je t'aimais et je t'aime, enfant si tôt enfuie !
Je n'aimerai que toi jusqu'au soir de ma vie. »

Et l'on disait en bas : « Du vin, allons, du vin !
Hôtesse ! nous voulons chanter jusqu'au matin.
As-tu toujours ta vigne et ta fille jolie ?
L'amour, le vin, voilà les seuls biens de la vie. »

Et la mère à genoux disait, mais sans pleurer :
« Un cœur pur en ces lieux ne pouvait demeurer ;
Un bon ange veillait sur ma fille innocente...
Elle pleurait ici, dans le ciel elle chante ! »

Et l'on disait en bas : « Du vin, allons, du vin !
Hôtesse ! nous voulons chanter jusqu'au matin.
As-tu toujours ta vigne et ta fille jolie ?
L'amour, le vin, voilà les seuls biens de la vie.

- Entrez, seigneurs, entrez ! le vent est froid, la nuit.
Ma vigne donne un vin qui brûle et réjouit ;
Le soleil a mûri les raisins qu'elle porte,
Mon vin est clair et bon ; buvez !... Ma fille est morte !
Mères en deuil, vos cris là-haut sont entendus.
Dieu, qui tient dans sa main tous les oiseaux perdus,
Parfois au même nid rend la même colombe.
O mères ! le berceau communique à la tombe.
L'éternité contient plus d'un divin secret.

La mère dont je vais vous parler demeurait
A Blois ; je l'ai connue en un temps plus prospère ;
Et sa maison touchait à celle de mon père.
Elle avait tous les biens que Dieu donne ou permet.
On l'avait mariée à l'homme qu'elle aimait.
Elle eut un fils ; ce fut une ineffable joie.

Ce premier-né couchait dans un berceau de soie ;
Sa mère l'allaitait ; il faisait un doux bruit
A côté du chevet nuptial ; et, la nuit,
La mère ouvrait son âme aux chimères sans nombre,
Pauvre mère, et ses yeux resplendissaient dans l'ombre,
Quand, sans souffle, sans voix, renonçant au sommeil,
Penchée, elle écoutait dormir l'enfant vermeil.
Dès l'aube, elle chantait, ravie et toute fière.

Elle se renversait sur sa chaise en arrière,
Son fichu laissant voir son sein gonflé de lait,
Et souriait au faible enfant, et l'appelait
Ange, trésor, amour ; et mille folles choses.
Oh ! comme elle baisait ces beaux petits pieds roses !
Comme elle leur parlait ! l'enfant, charmant et nu,
Riait, et par ses mains sous les bras soutenu,
Joyeux, de ses genoux montait jusqu'à sa bouche.

Tremblant comme le daim qu'une feuille effarouche,
Il grandit. Pour l'enfant, grandir, c'est chanceler.
Il se mit à marcher, il se mit à parler,
Il eut trois ans ; doux âge, où déjà la parole,
Comme le jeune oiseau, bat de l'aile et s'envole.
Et la mère disait : « Mon fils ! » et reprenait :
« Voyez comme il est grand ! il apprend ; il connaît
Ses lettres. C'est un diable ! Il veut que je l'habille
En homme ; il ne veut plus de ses robes de fille ;
C'est déjà très-méchant, ces petits hommes-là !
C'est égal, il lit bien ; il ira **** ; il a
De l'esprit ; je lui fais épeler l'Évangile. »
Et ses yeux adoraient cette tête fragile,
Et, femme heureuse, et mère au regard triomphant,
Elle sentait son cœur battre dans son enfant.

Un jour, - nous avons tous de ces dates funèbres ! -
Le croup, monstre hideux, épervier des ténèbres,
Sur la blanche maison brusquement s'abattit,
Horrible, et, se ruant sur le pauvre petit,
Le saisit à la gorge ; ô noire maladie !
De l'air par qui l'on vit sinistre perfidie !
Qui n'a vu se débattre, hélas ! ces doux enfants
Qu'étreint le croup féroce en ses doigts étouffants !
Ils luttent ; l'ombre emplit lentement leurs yeux d'ange,
Et de leur bouche froide il sort un râle étrange,
Et si mystérieux, qu'il semble qu'on entend,
Dans leur poitrine, où meurt le souffle haletant,
L'affreux coq du tombeau chanter son aube obscure.
Tel qu'un fruit qui du givre a senti la piqûre,
L'enfant mourut. La mort entra comme un voleur
Et le prit. - Une mère, un père, la douleur,
Le noir cercueil, le front qui se heurte aux murailles,
Les lugubres sanglots qui sortent des entrailles,
Oh ! la parole expire où commence le cri ;
Silence aux mots humains !

La mère au cœur meurtri,
Pendant qu'à ses côtés pleurait le père sombre,
Resta trois mois sinistre, immobile dans l'ombre,
L'oeil fixe, murmurant on ne sait quoi d'obscur,
Et regardant toujours le même angle du mur.
Elle ne mangeait pas ; sa vie était sa fièvre ;
Elle ne répondait à personne ; sa lèvre
Tremblait ; on l'entendait, avec un morne effroi,
Qui disait à voix basse à quelqu'un : « Rends-le moi ! »
Et le médecin dit au père : « Il faut distraire
Ce cœur triste, et donner à l'enfant mort un frère. »
Le temps passa ; les jours, les semaines, les mois.

Elle se sentit mère une seconde fois.

Devant le berceau froid de son ange éphémère,
Se rappelant l'accent dont il disait : « Ma mère, »
Elle songeait, muette, assise sur son lit.
Le jour où, tout à coup, dans son flanc tressaillit
L'être inconnu promis à notre aube mortelle,
Elle pâlit. « Quel est cet étranger ? » dit-elle.
Puis elle cria, sombre et tombant à genoux :
« Non, non, je ne veux pas ! non ! tu serais jaloux !
Ô mon doux endormi, toi que la terre glace,
Tu dirais : « On m'oublie ; un autre a pris ma place ;
Ma mère l'aime, et rit ; elle le trouve beau,
Elle l'embrasse, et, moi, je suis dans mon tombeau ! »
Non, non ! »

Ainsi pleurait cette douleur profonde.

Le jour vint ; elle mit un autre enfant au monde,
Et le père joyeux cria : « C'est un garçon. »
Mais le père était seul joyeux dans la maison ;
La mère restait morne, et la pâle accouchée,
Sur l'ancien souvenir tout entière penchée,
Rêvait ; on lui porta l'enfant sur un coussin ;
Elle se laissa faire et lui donna le sein ;
Et tout à coup, pendant que, farouche, accablée,
Pensant au fils nouveau moins qu'à l'âme envolée,
Hélas ! et songeant moins au langes qu'au linceul,
Elle disait : « Cet ange en son sépulcre est seul ! »
- O doux miracle ! ô mère au bonheur revenue ! -
Elle entendit, avec une voix bien connue,
Le nouveau-né parler dans l'ombre entre ses bras,
Et tout bas murmurer : « C'est moi. Ne le dis pas. »

Août 1843.
Lorsque l'on veut monter aux tours des cathédrales,

On prend l'escalier noir qui roule ses spirales,

Comme un serpent de pierre au ventre d'un clocher.


L'on chemine d'abord dans une nuit profonde,

Sans trèfle de soleil et de lumière blonde,

Tâtant le mur des mains, de peur de trébucher ;


Car les hautes maisons voisines de l'église

Vers le pied de la tour versent leur ombre grise,

Qu'un rayon lumineux ne vient jamais trancher.


S'envolant tout à coup, les chouettes peureuses

Vous flagellent le front de leurs ailes poudreuses,

Et les chauves-souris s'abattent sur vos bras ;


Les spectres, les terreurs qui hantent les ténèbres,

Vous frôlent en passant de leurs crêpes funèbres ;

Vous les entendez geindre et chuchoter tout bas.


À travers l'ombre on voit la chimère accroupie

Remuer, et l'écho de la voûte assoupie

Derrière votre pas suscite un autre pas.


Vous sentez à l'épaule une pénible haleine,

Un souffle intermittent, comme d'une âme en peine

Qu'on aurait éveillée et qui vous poursuivrait.


Et si l'humidité fait des yeux de la voûte,

Larmes du monument, tomber l'eau goutte à goutte,

Il semble qu'on dérange une ombre qui pleurait.


Chaque fois que la vis, en tournant, se dérobe,

Sur la dernière marche un dernier pli de robe,

Irritante terreur, brusquement disparaît.


Bientôt le jour, filtrant par les fentes étroites,

Sur le mur opposé trace des lignes droites,

Comme une barre d'or sur un écusson noir.


L'on est déjà plus haut que les toits de la ville,

Édifices sans nom, masse confuse et vile,

Et par les arceaux gris le ciel bleu se fait voir.


Les hiboux disparus font place aux tourterelles,

Qui lustrent au soleil le satin de leurs ailes

Et semblent roucouler des promesses d'espoir.


Des essaims familiers perchent sur les tarasques,

Et, sans se rebuter de la laideur des masques,

Dans chaque bouche ouverte un oiseau fait son nid.


Les guivres, les dragons et les formes étranges

Ne sont plus maintenant que des figures d'anges,

Séraphiques gardiens taillés dans le granit,


Qui depuis huit cents ans, pensives sentinelles,

Dans leurs niches de pierre, appuyés sur leurs ailes,

Montent leur faction qui jamais ne finit.


Vous débouchez enfin sur une plate-forme,

Et vous apercevez, ainsi qu'un monstre énorme,

La Cité grommelante, accroupie alentour.


Comme un requin, ouvrant ses immenses mâchoires,

Elle mord l'horizon de ses mille dents noires,

Dont chacune est un dôme, un clocher, une tour.


À travers le brouillard, de ses naseaux de plâtre

Elle souffle dans l'air son haleine bleuâtre,

Que dore par flocons un chaud reflet de jour.


Comme sur l'eau qui bout monte et chante l'écume,

Sur la ville toujours plane une ardente brume,

Un bourdonnement sourd fait de cent bruits confus :


Ce sont les tintements et les grêles volées

Des cloches, de leurs voix sonores ou fêlées,

Chantant à plein gosier dans leurs beffrois touffus ;


C'est le vent dans le ciel et l'homme sur la terre ;

C'est le bruit des tambours et des clairons de guerre,

Ou des canons grondeurs sonnant sur leurs affûts ;


C'est la rumeur des chars, dont la prompte lanterne

File comme une étoile à travers l'ombre terne,

Emportant un heureux aux bras de son désir ;


Le soupir de la vierge au balcon accoudée,

Le marteau sur l'enclume et le fait sur l'idée,

Le cri de la douleur ou le chant du plaisir.


Dans cette symphonie au colossal orchestre,

Que n'écrira jamais musicien terrestre,

Chaque objet fait sa note impossible à saisir.


Vous pensiez être en haut ; mais voici qu'une aiguille,

Où le ciel découpé par dentelles scintille,

Se présente soudain devant vos pieds lassés.


Il faut monter encore dans la mince tourelle,

L'escalier qui serpente en spirale plus frêle,

Se pendant aux crampons de **** en **** placés.


Le vent, d'un air moqueur, à vos oreilles siffle,

La goule étend sa griffe et la guivre renifle,

Le vertige alourdit vos pas embarrassés.


Vous voyez **** de vous, comme dans des abîmes,

S'aplanir les clochers et les plus hautes cimes ;

Des aigles les plus fiers vous dominez l'essor.


Votre sueur se fige à votre front en nage ;

L'air trop vif vous étouffe : allons, enfant, courage !

Vous êtes près des cieux ; allons, un pas encore !


Et vous pourrez toucher, de votre main surprise,

L'archange colossal que fait tourner la brise,

Le saint Michel géant qui tient un glaive d'or ;


Et si, vous accoudant sur la rampe de marbre,

Qui palpite au grand vent, comme une branche d'arbre,

Vous dirigez en bas un œil moins effrayé,


Vous verrez la campagne à plus de trente lieues,

Un immense horizon, bordé de franges bleues,

Se déroulant sous vous comme un tapis rayé ;


Les carrés de blé d'or, les cultures zébrées,

Les plaques de gazon de troupeaux noirs tigrées ;

Et, dans le sainfoin rouge, un chemin blanc frayé ;


Les cités, les hameaux, nids semés dans la plaine,

Et partout, où se groupe une famille humaine,

Un clocher vers le ciel, comme un doigt s'allongeant.


Vous verrez dans le golfe, aux bras des promontoires,

La mer se diaprer et se gaufrer de moires,

Comme un kandjiar turc damasquiné d'argent ;


Les vaisseaux, alcyons balancés sur leurs ailes,

Piquer l'azur lointain de blanches étincelles

Et croiser en tous sens leur vol intelligent.


Comme un sein plein de lait gonflant leurs voiles ronde,

Sur la foi de l'aimant ils vont chercher des mondes,

Des rivages nouveaux sur de nouvelles mers :


Dans l'Inde, de parfums, d'or et de soleil pleine,

Dans la Chine bizarre, aux tours de porcelaine,

Chimérique pays peuplé de dragons verts ;


Ou vers Otaïti, la belle fleur des ondes,

De ses longs cheveux noirs tordant les perles blondes,

Comme une autre Vénus, fille des flots amers ;


À Ceylan, à Java, plus **** encore peut-être,

Dans quelque île déserte et dont on se rend maître,

Vers une autre Amérique échappée à Colomb.


Hélas ! Et vous aussi, sans crainte, ô mes pensées,

Livrant aux vents du ciel vos ailes empressées,

Vous tentez un voyage aventureux et long.


Si la foudre et le nord respectent vos antennes,

Des pays inconnus et des îles lointaines

Que rapporterez-vous ? De l'or, ou bien du plomb ?...


La spirale soudain s'interrompt et se brise.

Comme celui qui monte au clocher de l'église,

Me voici maintenant au sommet de ma tour.


J'ai planté le drapeau tout au haut de mon œuvre.

Ah ! Que depuis longtemps, pauvre et rude manœuvre,

Insensible à la joie, à la vie, à l'amour,


Pour garder mon dessin avec ses lignes pures,

J'émousse mon ciseau contre des pierres dures,

Élevant à grande peine une assise par jour !


Pendant combien de mois suis-je resté sous terre,

Creusant comme un mineur ma fouille solitaire,

Et cherchant le roc vif pour mes fondations !


Et pourtant le soleil riait sur la nature ;

Les fleurs faisaient l'amour, et toute créature

Livrait sa fantaisie au vent des passions ;


Le printemps dans les bois faisait courir la sève,

Et le flot, en chantant, venait baiser la grève ;

Tout n'était que parfum, plaisir, joie et rayons !


Patient architecte, avec mes mains pensives

Sur mes piliers trapus inclinant mes ogives,

Je fouillais sous l'église un temple souterrain ;


Puis l'église elle-même, avec ses colonnettes,

Qui semble, tant elle a d'aiguilles et d'arêtes,

Un madrépore immense, un polypier marin ;


Et le clocher hardi, grand peuplier de pierre,

Où gazouillent, quand vient l'heure de la prière,

Avec les blancs ramiers, des nids d'oiseaux d'airain.


Du haut de cette tour à grande peine achevée,

Pourrais-je t'entrevoir, perspective rêvée,

Terre de Chanaan où tendait mon effort ?


Pourrai-je apercevoir la figure du monde,

Les astres dans le ciel accomplissant leur ronde,

Et les vaisseaux quittant et regagnant le port ?


Si mon clocher passait seulement de la tête

Les toits ou les tuyaux de la ville, ou le faîte

De ce donjon aigu qui du brouillard ressort ;


S'il était assez haut pour découvrir l'étoile

Que la colline bleue avec son dos me voile,

Le croissant qui s'écorne au toit de la maison ;


Pour voir, au ciel de smalt, les flottantes nuées,

Par le vent du matin mollement remuées,

Comme un troupeau de l'air secouer leur toison ;


Et la gloire, la gloire, astre et soleil de l'âme,

Dans un océan d'or, avec le globe en flamme,

Majestueusement monter à l'horizon !
Fable XVII, Livre V.


Polichinelle, à toi nous voilà revenus.
J'y reviens volontiers, c'est un ami d'enfance ;
Garçon d'esprit d'ailleurs, dans son extravagance,
Fertile en mots profonds, des badauds retenus ;
Garçon d'humeur toujours égale,
Non pas comme un quidam que nous avons connu,
Du matin jusqu'au soir plus mauvais que la gale ;
Mais toujours avenant, mais partout bien venu,
Trinquant avec qui le régale,
Et point fier, quoique parvenu.
Rien n'est indifférent dans un homme aussi rare.
Sachez donc, mes amis, quelle ingénuité
En son accoutrement, qui vous paraît bizarre,
Lui fait joindre aux galons, dont le riche se pare,
Les sabots de la pauvreté.
La fortune en tout temps ne lui fut pas prospère.
Il eut un bûcheron pour père ;
Bon homme, en qui l'amour paternel décroissait
Juste dans la mesure où son fils grandissait ;
Et qui disait parfois : « Je crois, Dieu me pardonne,
Que j'aimais mieux l'enfant quand il était petit.
Dieu fait bien ce qu'il fait ; mais d'où vient qu'il me donne
Un fils de si bon appétit ? »
Il est vrai que ce fils, encore à la lisière,
Si j'en crois un voisin qui l'a vu de ses yeux,
Coûtait plus à lui seul que sa famille entière,
Ne faisait rien qui vaille, et n'en mangeait que mieux.
Sur la nature enfin l'avarice l'emporte.
L'indigent est cruel comme l'ambitieux.
Lassé d'une charge aussi forte,
Le bon père, un beau jour, met son fils à la porte.
Voilà Polichinelle à la grâce de Dieu ;
Ce qui, dans le siècle où nous sommes,
Veut dire abandonné des hommes,
Et n'ayant pain, ni feu, ni lieu.
Il ne lui reste rien au monde,
Que deux chemises sans jabots,
Une panse un peu large, une échine un peu ronde,
Un vieil habit et des sabots.
Au surplus, ne sachant rien faire,
Sinon boire et manger, talent assez commun ;
Il apprit vingt métiers, mais il n'en sait pas un :
Comment sortira-t-il d'affaire ?
Il y pense en pleurant. Cet heureux don des pleurs,
Qui dans le cœur d'autrui fait passer nos douleurs,
Bien qu'au cerf rarement l'épreuve en soit utile,
A servi quelquefois l'homme et le crocodile.
Il a sauvé Sinon, je l'ai lu dans Virgile ;
Il sauva notre ami : non pas qu'en larmoyant
Il ait produit l'effet que je viens de décrire,
Au contraire ; on pleurait peut-être en le voyant,
Mais c'était à force de rire.
Cet effet singulier lui tint lieu de talent
Près du sieur Brioché, si fameux dans l'histoire.
« Voilà, dit ce grand homme, un paillasse excellent
Pour mon théâtre de la Foire.
En place de mon grimacier,
Dont le public paraît ne plus se soucier,
Si j'engageais ce bon apôtre ? »
Polichinelle accepte ; il faut gagner son pain.
Hélas ! il serait mort de faim
S'il avait pleuré comme un autre.
Il débute ; en dehors d'abord il se montra,
Et puis en dedans il entra.
Or vous savez, messieurs, mesdames,
Dans son métier s'il prospéra,
S'il fut charmant dans l'opéra,
S'il fut excellent dans les drames.
Auprès de Melpomène il perdit son procès ;
Mais il fit sa fortune en faisant la culbute.
Que d'acteurs contre sa chute
Voudraient changer leurs succès !
Dans son heureux caractère
Rentré pour n'en plus sortir,
Grâce à l'argent des sots qu'il a su divertir,
Il est capitaliste, il est propriétaire.
C'est presque un seigneur, vraiment !
Au reste, employant gaîment
Le bien que gaîment il gagne,
Il a maison de ville et maison de campagne,
Et, ce point-là surtout ne doit pas être omis,
Bonne table pour ses amis.
Aussi, comme il en a ! Bravant mode et coutume,
Chacun sait qu'à sa guise il s'est fait un costume
Où, sans être obligé de se déboutonner,
Il boit, mange et rit tout à l'aise.
Cet habit vaut le nôtre , il l'a fait galonner.
En jabot de dentelle il a changé sa fraise.
Mais quand tout devrait l'inviter
A quitter les sabots, il veut, ne vous déplaise,
Il veut ne les jamais quitter.
La raison qu'il en donne au reste est fort honnête.
« Souvent les parvenus se sont trop oubliés ;
Quand l'orgueil me porte à la tête,
Dit-il, je regarde à mes pieds.
Ils me rappellent tout ; mes parents, leur misère,
La détresse où j'étais quand Brioché me prit. »
« - Polichinelle, en tout le sort te soit prospère !
C'est le fait d'un bon cœur, comme d'un bon esprit
De ne point rougir de son père. »
Elle ne connaissait ni l'orgueil ni la haine ;
Elle aimait ; elle était pauvre, simple et sereine ;
Souvent le pain qui manque abrégeait son repas.
Elle avait trois enfants, ce qui n'empêchait pas
Qu'elle ne se sentît mère de ceux qui souffrent.
Les noirs événements qui dans la nuit s'engouffrent,
Les flux et les reflux, les abîmes béants,
Les nains, sapant sans bruit l'ouvrage des géants,
Et tous nos malfaiteurs inconnus ou célèbres,
Ne l'épouvantaient point ; derrière ces ténèbres,
Elle apercevait Dieu construisant l'avenir.
Elle sentait sa foi sans cesse rajeunir
De la liberté sainte elle attisait les flammes
Elle s'inquiétait des enfants et des femmes ;
Elle disait, tendant la main aux travailleurs :
La vie est dure ici, mais sera bonne ailleurs.
Avançons ! - Elle allait, portant de l'un à l'autre
L'espérance ; c'était une espèce d'apôtre
Que Dieu, sur cette terre où nous gémissons tous,
Avait fait mère et femme afin qu'il fût plus doux ;
L'esprit le plus farouche aimait sa voix sincère.
Tendre, elle visitait, sous leur toit de misère,
Tous ceux que la famine ou la douleur abat,
Les malades pensifs, gisant sur leur grabat,
La mansarde où languit l'indigence morose ;
Quand, par hasard moins pauvre, elle avait quelque chose,
Elle le partageait à tous comme une sœur ;
Quand elle n'avait rien, elle donnait son cœur.
Calme et grande, elle aimait comme le soleil brille.
Le genre humain pour elle était une famille
Comme ses trois enfants étaient l'humanité.
Elle criait : progrès ! amour ! fraternité !
Elle ouvrait aux souffrants des horizons sublimes.

Quand Pauline Roland eut commis tous ces crimes,
Le sauveur de l'église et de l'ordre la prit
Et la mit en prison. Tranquille, elle sourit,
Car l'éponge de fiel plaît à ces lèvres pures.
Cinq mois, elle subit le contact des souillures,
L'oubli, le rire affreux du vice, les bourreaux,
Et le pain noir qu'on jette à travers les barreaux,
Edifiant la geôle au mal habituée,
Enseignant la voleuse et la prostituée.
Ces cinq mois écoulés, un soldat, un bandit,
Dont le nom souillerait ces vers, vint et lui dit
- Soumettez-vous sur l'heure au règne qui commence,
Reniez votre foi ; sinon, pas de clémence,
Lambessa ! choisissez. - Elle dit : Lambessa.
Le lendemain la grille en frémissant grinça,
Et l'on vit arriver un fourgon cellulaire.
- Ah ! voici Lambessa, dit-elle sans colère.
Elles étaient plusieurs qui souffraient pour le droit
Dans la même prison. Le fourgon trop étroit
Ne put les recevoir dans ses cloisons infâmes
Et l'on fit traverser tout Paris à ces femmes
Bras dessus bras dessous avec les argousins.
Ainsi que des voleurs et que des assassins,
Les sbires les frappaient de paroles bourrues.
S'il arrivait parfois que les passants des rues,
Surpris de voir mener ces femmes en troupeau,
S'approchaient et mettaient la main à leur chapeau,
L'argousin leur jetait des sourires obliques,
Et les passants fuyaient, disant : filles publiques !
Et Pauline Roland disait : courage, sœurs !
L'océan au bruit rauque, aux sombres épaisseurs,
Les emporta. Durant la rude traversée,
L'horizon était noir, la bise était glacée,
Sans l'ami qui soutient, sans la voix qui répond,
Elles tremblaient. La nuit, il pleuvait sur le pont
Pas de lit pour dormir, pas d'abri sous l'orage,
Et Pauline Roland criait : mes soeurs, courage !
Et les durs matelots pleuraient en les voyant.
On atteignit l'Afrique au rivage effrayant,
Les sables, les déserts qu'un ciel d'airain calcine,
Les rocs sans une source et sans une racine ;
L'Afrique, lieu d'horreur pour les plus résolus,
Terre au visage étrange où l'on ne se sent plus
Regardé par les yeux de la douce patrie.
Et Pauline Roland, souriante et meurtrie,
Dit aux femmes en pleurs : courage, c'est ici.
Et quand elle était seule, elle pleurait aussi.
Ses trois enfants ! **** d'elle ! Oh ! quelle angoisse amère !
Un jour, un des geôliers dit à la pauvre mère
Dans la casbah de Bône aux cachots étouffants :
Voulez-vous être libre et revoir vos enfants ?
Demandez grâce au prince. - Et cette femme forte
Dit : - J'irai les revoir lorsque je serai morte.
Alors sur la martyre, humble cœur indompté,
On épuisa la haine et la férocité.
Bagnes d'Afrique ! enfers qu'a sondés Ribeyrolles !
Oh ! la pitié sanglote et manque de paroles.
Une femme, une mère, un esprit ! ce fut là
Que malade, accablée et seule, on l'exila.
Le lit de camp, le froid et le chaud, la famine,
Le jour l'affreux soleil et la nuit la vermine,
Les verrous, le travail sans repos, les affronts,
Rien ne plia son âme ; elle disait : - Souffrons.
Souffrons comme Jésus, souffrons comme Socrate. -
Captive, on la traîna sur cette terre ingrate ;
Et, lasse, et quoiqu'un ciel torride l'écrasât,
On la faisait marcher à pied comme un forçat.
La fièvre la rongeait ; sombre, pâle, amaigrie,
Le soir elle tombait sur la paille pourrie,
Et de la France aux fers murmurait le doux nom.
On jeta cette femme au fond d'un cabanon.
Le mal brisait sa vie et grandissait son âme.
Grave, elle répétait : « Il est bon qu'une femme,
Dans cette servitude et cette lâcheté,
Meure pour la justice et pour la liberté. »
Voyant qu'elle râlait, sachant qu'ils rendront compte,
Les bourreaux eurent peur, ne pouvant avoir honte
Et l'homme de décembre abrégea son exil.
« Puisque c'est pour mourir, qu'elle rentre ! » dit-il.
Elle ne savait plus ce que l'on faisait d'elle.
L'agonie à Lyon la saisit. Sa prunelle,
Comme la nuit se fait quand baisse le flambeau,
Devint obscure et vague, et l'ombre du tombeau
Se leva lentement sur son visage blême.
Son fils, pour recueillir à cette heure suprême
Du moins son dernier souffle et son dernier regard,
Accourut. Pauvre mère ! Il arriva trop ****.
Elle était morte ; morte à force de souffrance,
Morte sans avoir su qu'elle voyait la France
Et le doux ciel natal aux rayons réchauffants
Morte dans le délire en criant : mes enfants !
On n'a pas même osé pleurer à ses obsèques ;
Elle dort sous la terre. - Et maintenant, évêques,
Debout, la mitre au front, dans l'ombre du saint lieu,
Crachez vos Te Deum à la face de Dieu !

Jersey, le 12 mars 1853.
Mon rêve le plus cher et le plus caressé,

Le seul qui rit encore à mon cœur oppressé,

C'est de m'ensevelir au fond d'une chartreuse,

Dans une solitude inabordable, affreuse ;

****, bien ****, tout là-bas, dans quelque Sierra

Bien sauvage, où jamais voix d'homme ne vibra,

Dans la forêt de pins, parmi les âpres roches,

Où n'arrive pas même un bruit lointain de cloches ;

Dans quelque Thébaïde, aux lieux les moins hantés,

Comme en cherchaient les saints pour leurs austérités ;

Sous la grotte où grondait le lion de Jérôme,

Oui, c'est là que j'irais pour respirer ton baume

Et boire la rosée à ton calice ouvert,

Ô frêle et chaste fleur, qui crois dans le désert

Aux fentes du tombeau de l'Espérance morte !

De non cœur dépeuplé je fermerais la porte

Et j'y ferais la garde, afin qu'un souvenir

Du monde des vivants n'y pût pas revenir ;

J'effacerais mon nom de ma propre mémoire ;

Et de tous ces mots creux : Amour, Science et Gloire

Qu'aux jours de mon avril mon âme en fleur rêvait,

Pour y dormir ma nuit j'en ferais un chevet ;

Car je sais maintenant que vaut cette fumée

Qu'au-dessus du néant pousse une renommée.

J'ai regardé de près et la science et l'art :

J'ai vu que ce n'était que mensonge et hasard ;

J'ai mis sur un plateau de toile d'araignée

L'amour qu'en mon chemin j'ai reçue et donnée :

Puis sur l'autre plateau deux grains du vermillon

Impalpable, qui teint l'aile du papillon,

Et j'ai trouvé l'amour léger dans la balance.

Donc, reçois dans tes bras, ô douce somnolence,

Vierge aux pâles couleurs, blanche sœur de la mort,

Un pauvre naufragé des tempêtes du sort !

Exauce un malheureux qui te prie et t'implore,

Egraine sur son front le pavot inodore,

Abrite-le d'un pan de ton grand manteau noir,

Et du doigt clos ses yeux qui ne veulent plus voir.

Vous, esprits du désert, cependant qu'il sommeille,

Faites taire les vents et bouchez son oreille,

Pour qu'il n'entende pas le retentissement

Du siècle qui s'écroule, et ce bourdonnement

Qu'en s'en allant au but où son destin la mène

Sur le chemin du temps fait la famille humaine !


Je suis las de la vie et ne veux pas mourir ;

Mes pieds ne peuvent plus ni marcher ni courir ;

J'ai les talons usés de battre cette route

Qui ramène toujours de la science au doute.

Assez, je me suis dit, voilà la question.


Va, pauvre rêveur, cherche une solution

Claire et satisfaisante à ton sombre problème,

Tandis qu'Ophélia te dit tout haut : Je t'aime ;

Mon beau prince danois marche les bras croisés,

Le front dans la poitrine et les sourcils froncés,

D'un pas lent et pensif arpente le théâtre,

Plus pâle que ne sont ces figures d'albâtre,

Pleurant pour les vivants sur les tombeaux des morts ;

Épuise ta vigueur en stériles efforts,

Et tu n'arriveras, comme a fait Ophélie,

Qu'à l'abrutissement ou bien à la folie.

C'est à ce degré-là que je suis arrivé.

Je sens ployer sous moi mon génie énervé ;

Je ne vis plus ; je suis une lampe sans flamme,

Et mon corps est vraiment le cercueil de mon âme.


Ne plus penser, ne plus aimer, ne plus haïr,

Si dans un coin du cœur il éclot un désir,

Lui couper sans pitié ses ailes de colombe,

Être comme est un mort, étendu sous la tombe,

Dans l'immobilité savourer lentement,

Comme un philtre endormeur, l'anéantissement :

Voilà quel est mon vœu, tant j'ai de lassitude,

D'avoir voulu gravir cette côte âpre et rude,

Brocken mystérieux, où des sommets nouveaux

Surgissent tout à coup sur de nouveaux plateaux,

Et qui ne laisse voir de ses plus hautes cimes

Que l'esprit du vertige errant sur les abîmes.


C'est pourquoi je m'assieds au revers du fossé,

Désabusé de tout, plus voûté, plus cassé

Que ces vieux mendiants que jusques à la porte

Le chien de la maison en grommelant escorte.

C'est pourquoi, fatigué d'errer et de gémir,

Comme un petit enfant, je demande à dormir ;

Je veux dans le néant renouveler mon être,

M'isoler de moi-même et ne plus me connaître ;

Et comme en un linceul, sans y laisser un seul pli,

Rester enveloppé dans mon manteau d'oubli.


J'aimerais que ce fût dans une roche creuse,

Au penchant d'une côte escarpée et pierreuse,

Comme dans les tableaux de Salvator Rosa,

Où le pied d'un vivant jamais ne se posa ;

Sous un ciel vert, zébré de grands nuages fauves,

Dans des terrains galeux clairsemés d'arbres chauves,

Avec un horizon sans couronne d'azur,

Bornant de tous côtés le regard comme un mur,

Et dans les roseaux secs près d'une eau noire et plate

Quelque maigre héron debout sur une patte.

Sur la caverne, un pin, ainsi qu'un spectre en deuil

Qui tend ses bras voilés au-dessus d'un cercueil,

Tendrait ses bras en pleurs, et du haut de la voûte

Un maigre filet d'eau suintant goutte à goutte,

Marquerait par sa chute aux sons intermittents

Le battement égal que fait le cœur du temps.

Comme la Niobé qui pleurait sur la roche,

Jusqu'à ce que le lierre autour de moi s'accroche,

Je demeurerais là les genoux au menton,

Plus ployé que jamais, sous l'angle d'un fronton,

Ces Atlas accroupis gonflant leurs nerfs de marbre ;

Mes pieds prendraient racine et je deviendrais arbre ;

Les faons auprès de moi tondraient le gazon ras,

Et les oiseaux de nuit percheraient sur mes bras.


C'est là ce qu'il me faut plutôt qu'un monastère ;

Un couvent est un port qui tient trop à la terre ;

Ma nef tire trop d'eau pour y pouvoir entrer

Sans en toucher le fond et sans s'y déchirer.

Dût sombrer le navire avec toute sa charge,

J'aime mieux errer seul sur l'eau profonde et large.

Aux barques de pêcheur l'anse à l'abri du vent,

Aux simples naufragés de l'âme, le couvent.

À moi la solitude effroyable et profonde,

Par dedans, par dehors !


Par dedans, par dehors ! Un couvent, c'est un monde ;

On y pense, on y rêve, on y prie, on y croit :

La mort n'est que le seuil d'une autre vie ; on voit

Passer au long du cloître une forme angélique ;

La cloche vous murmure un chant mélancolique ;

La Vierge vous sourit, le bel enfant Jésus

Vous tend ses petits bras de sa niche ; au-dessus

De vos fronts inclinés, comme un essaim d'abeilles,

Volent les Chérubins en légions vermeilles.

Vous êtes tout espoir, tout joie et tout amour,

À l'escalier du ciel vous montez chaque jour ;

L'extase vous remplit d'ineffables délices,

Et vos cœurs parfumés sont comme des calices ;

Vous marchez entourés de célestes rayons

Et vos pieds après vous laissent d'ardents sillons !


Ah ! grands voluptueux, sybarites du cloître,

Qui passez votre vie à voir s'ouvrir et croître

Dans le jardin fleuri de la mysticité,

Les pétales d'argent du lis de pureté,

Vrais libertins du ciel, dévots Sardanapales,

Vous, vieux moines chenus, et vous, novices pâles,

Foyers couverts de cendre, encensoirs ignorés,

Quel don Juan a jamais sous ses lambris dorés

Senti des voluptés comparables aux vôtres !

Auprès de vos plaisirs, quels plaisirs sont les nôtres !

Quel amant a jamais, à l'âge où l'œil reluit,

Dans tout l'enivrement de la première nuit,

Poussé plus de soupirs profonds et pleins de flamme,

Et baisé les pieds nus de la plus belle femme

Avec la même ardeur que vous les pieds de bois

Du cadavre insensible allongé sur la croix !

Quelle bouche fleurie et d'ambroisie humide,

Vaudrait la bouche ouverte à son côté livide !

Notre vin est grossier ; pour vous, au lieu de vin,

Dans un calice d'or perle le sang divin ;

Nous usons notre lèvre au seuil des courtisanes,

Vous autres, vous aimez des saintes diaphanes,

Qui se parent pour vous des couleurs des vitraux

Et sur vos fronts tondus, au détour des arceaux,

Laissent flotter le bout de leurs robes de gaze :

Nous n'avons que l'ivresse et vous avez l'extase.

Nous, nos contentements dureront peu de jours,

Les vôtres, bien plus vifs, doivent durer toujours.

Calculateurs prudents, pour l'abandon d'une heure,

Sur une terre où nul plus d'un jour ne demeure,

Vous achetez le ciel avec l'éternité.

Malgré ta règle étroite et ton austérité,

Maigre et jaune Rancé, tes moines taciturnes

S'entrouvrent à l'amour comme des fleurs nocturnes,

Une tête de mort grimaçante pour nous

Sourit à leur chevet du rire le plus doux ;

Ils creusent chaque jour leur fosse au cimetière,

Ils jeûnent et n'ont pas d'autre lit qu'une bière,

Mais ils sentent vibrer sous leur suaire blanc,

Dans des transports divins, un cœur chaste et brûlant ;

Ils se baignent aux flots de l'océan de joie,

Et sous la volupté leur âme tremble et ploie,

Comme fait une fleur sous une goutte d'eau,

Ils sont dignes d'envie et leur sort est très-beau ;

Mais ils sont peu nombreux dans ce siècle incrédule

Creux qui font de leur âme une lampe qui brûle,

Et qui peuvent, baisant la blessure du Christ,

Croire que tout s'est fait comme il était écrit.

Il en est qui n'ont pas le don des saintes larmes,

Qui veillent sans lumière et combattent sans armes ;

Il est des malheureux qui ne peuvent prier

Et dont la voix s'éteint quand ils veulent crier ;

Tous ne se baignent pas dans la pure piscine

Et n'ont pas même part à la table divine :

Moi, je suis de ce nombre, et comme saint Thomas,

Si je n'ai dans la plaie un doigt, je ne crois pas.


Aussi je me choisis un antre pour retraite

Dans une région détournée et secrète

D'où l'on n'entende pas le rire des heureux

Ni le chant printanier des oiseaux amoureux,

L'antre d'un loup crevé de faim ou de vieillesse,

Car tout son m'importune et tout rayon me blesse,

Tout ce qui palpite, aime ou chante, me déplaît,

Et je hais l'homme autant et plus que ne le hait

Le buffle à qui l'on vient de percer la narine.

De tous les sentiments croulés dans la ruine,

Du temple de mon âme, il ne reste debout

Que deux piliers d'airain, la haine et le dégoût.

Pourtant je suis à peine au tiers de ma journée ;

Ma tête de cheveux n'est pas découronnée ;

À peine vingt épis sont tombés du faisceau :

Je puis derrière moi voir encore mon berceau.

Mais les soucis amers de leurs griffes arides

M'ont fouillé dans le front d'assez profondes rides

Pour en faire une fosse à chaque illusion.

Ainsi me voilà donc sans foi ni passion,

Désireux de la vie et ne pouvant pas vivre,

Et dès le premier mot sachant la fin du livre.

Car c'est ainsi que sont les jeunes d'aujourd'hui :

Leurs mères les ont faits dans un moment d'ennui.

Et qui les voit auprès des blancs sexagénaires

Plutôt que les enfants les estime les pères ;

Ils sont venus au monde avec des cheveux gris ;

Comme ces arbrisseaux frêles et rabougris

Qui, dès le mois de mai, sont pleins de feuilles mortes,

Ils s'effeuillent au vent, et vont devant leurs portes

Se chauffer au soleil à côté de l'aïeul,

Et du jeune et du vieux, à coup sûr, le plus seul,

Le moins accompagné sur la route du monde,

Hélas ! C'est le jeune homme à tête brune ou blonde

Et non pas le vieillard sur qui l'âge a neigé ;

Celui dont le navire est le plus allégé

D'espérance et d'amour, lest divin dont on jette

Quelque chose à la mer chaque jour de tempête,

Ce n'est pas le vieillard, dont le triste vaisseau

Va bientôt échouer à l'écueil du tombeau.

L'univers décrépit devient paralytique,

La nature se meurt, et le spectre critique

Cherche en vain sous le ciel quelque chose à nier.

Qu'attends-tu donc, clairon du jugement dernier ?

Dis-moi, qu'attends-tu donc, archange à bouche ronde

Qui dois sonner là-haut la fanfare du monde ?

Toi, sablier du temps, que Dieu tient dans sa main,

Quand donc laisseras-tu tomber ton dernier grain ?
Quand Marco passait, tous les jeunes hommes

Se penchaient pour voir ses yeux, des Sodomes

Où les feux d'Amour brûlaient sans pitié

Ta pauvre cahute, ô froide Amitié ;

Tout autour dansaient des parfums mystiques

Où l'âme, en pleurant, s'anéantissait.

Sur ses cheveux roux un charme glissait ;

Sa robe rendait d'étranges musiques

Quand Marco passait.


Quand Marco chantait, ses mains, sur l'ivoire

Évoquaient souvent la profondeur noire

Des airs primitifs que nul n'a redits,

Et sa voix montait dans les paradis

De la symphonie immense des rêves,

Et l'enthousiasme alors transportait

Vers des cieux connus quiconque écoutait

Ce timbre d'argent qui vibrait sans trêves,

Quand Marco chantait.


Quand Marco pleurait, ses terribles larmes

Défiaient l'éclat des plus belles armes ;

Ses lèvres de sang fonçaient leur carmin

Et son désespoir n'avait rien d'humain ;

Pareil au foyer que l'huile exaspère,

Son courroux croissait, rouge, et l'on aurait

Dit d'une lionne à l'âpre forêt

Communiquant sa terrible colère,

Quand Marco pleurait.


Quand Marco dansait, sa jupe moirée

Allait et venait comme une marée,

Et, tel qu'un bambou flexible, son flanc

Se tordait, faisant saillir son sein blanc ;

Un éclair partait. Sa jambe de marbre,

Emphatiquement cynique, haussait

Ses mates splendeurs, et cela faisait

Le bruit du vent de la nuit dans un arbre,

Quand Marco dansait.


Quand Marco dormait, oh ! quels parfums d'ambre

Et de chair mêlés opprimaient la chambre !

Sous les draps la ligne exquise du dos

Ondulait, et dans l'ombre des rideaux

L'haleine montait, rhythmique et légère ;

Un sommeil heureux et calme fermait

Ses yeux, et ce doux mystère charmait

Les vagues objets parmi l'étagère,

Quand Marco dormait.


Mais quand elle aimait, des flots de luxure

Débordaient, ainsi que d'une blessure

Sort un sang vermeil qui fume et qui bout,

De ce corps cruel que son crime absout :

Le torrent rompait les digues de l'âme,

Noyait la pensée, et bouleversait

Tout sur son passage, et rebondissait

Souple et dévorant comme de la flamme,

Et puis se glaçait.
Partout s'étalait, se répandait, s'ébaudissait le peuple en vacances. C'était une de ces solennités sur lesquelles, pendant un long temps, comptent les saltimbanques, les faiseurs de tours, les montreurs d'animaux et les boutiquiers ambulants, pour compenser les mauvais temps de l'année.

En ces jours-là il me semble que le peuple oublie tout, la douleur et le travail ; il devient pareil aux enfants. Pour les petits c'est un jour de congé, c'est l'horreur de l'école renvoyée à vingt-quatre heures. Pour les grands c'est un armistice conclu avec les puissances malfaisantes de la vie, un répit dans la contention et la lutte universelles.

L'homme du monde lui-même et l'homme occupé de travaux spirituels échappent difficilement à l'influence de ce jubilé populaire. Ils absorbent, sans le vouloir, leur part de cette atmosphère d'insouciance. Pour moi, je ne manque jamais, en vrai Parisien, de passer la ***** de toutes les baraques qui se pavanent à ces époques solennelles.

Elles se faisaient, en vérité, une concurrence formidable : elles piaillaient, beuglaient, hurlaient. C'était un mélange de cris, de détonations de cuivre et d'explosions de fusées. Les queues-rouges et les Jocrisses convulsaient les traits de leurs visages basanés, racornis par le vent, la pluie et le soleil ; ils lançaient, avec l'aplomb des comédiens sûrs de leurs effets, des bons mots et des plaisanteries d'un comique solide et lourd comme celui de Molière. Les Hercules, fiers de l'énormité de leurs membres, sans front et sans crâne, comme les orang-outangs, se prélassaient majestueusement sous les maillots lavés la veille pour la circonstance. Les danseuses, belles comme des fées ou des princesses, sautaient et cabriolaient sous le feu des lanternes qui remplissaient leurs jupes d'étincelles.

Tout n'était que lumière, poussière, cris, joie, tumulte ; les uns dépensaient, les autres gagnaient, les uns et les autres également joyeux. Les enfants se suspendaient aux jupons de leurs mères pour obtenir quelque bâton de sucre, ou montaient sur les épaules de leurs pères pour mieux voir un escamoteur éblouissant comme un dieu. Et partout circulait, dominant tous les parfums, une odeur de friture qui était comme l'encens de cette fête.

Au bout, à l'extrême bout de la rangée de baraques, comme si, honteux, il s'était exilé lui-même de toutes ces splendeurs, je vis un pauvre saltimbanque, voûté, caduc, décrépit, une ruine d'homme, adossé contre un des poteaux de sa cahute ; une cahute plus misérable que celle du sauvage le plus abruti, et dont deux bouts de chandelles, coulants et fumants, éclairaient trop bien encore la détresse.

Partout la joie, le gain, la débauche ; partout la certitude du pain pour les lendemains ; partout l'explosion frénétique de la vitalité. Ici la misère absolue, la misère affublée, pour comble d'horreur, de haillons comiques, où la nécessité, bien plus que l'art, avait introduit le contraste. Il ne riait pas, le misérable ! Il ne pleurait pas, il ne dansait pas, il ne gesticulait pas, il ne criait pas ; il ne chantait aucune chanson, ni gaie ni lamentable, il n'implorait pas. Il était muet et immobile. Il avait renoncé, il avait abdiqué. Sa destinée était faite.

Mais quel regard profond, inoubliable, il promenait sur la foule et les lumières, dont le flot mouvant s'arrêtait à quelques pas de sa répulsive misère ! Je sentis ma gorge serrée par la main terrible de l'hystérie, et il me sembla que mes regards étaient offusqués par ces larmes rebelles qui ne veulent pas tomber.

Que faire ? À quoi bon demander à l'infortuné quelle curiosité, quelle merveille il avait à montrer dans ces ténèbres puantes, derrière son rideau déchiqueté ? En vérité, je n'osais ; et, dût la raison de ma timidité vous faire rire, j'avouerai que je craignais de l'humilier. Enfin, je venais de me résoudre à déposer en passant quelque argent sur une de ses planches, espérant qu'il devinerait mon intention, quand un grand reflux de peuple, causé par je ne sais quel trouble, m'entraîna **** de lui.

Et, m'en retournant, obsédé par cette vision, je cherchai à analyser ma soudaine douleur, et je me dis : Je viens de voir l'image du vieil homme de lettres qui a survécu à la génération dont il fut le brillant amuseur ; du vieux poëte sans amis, sans famille, sans enfants, dégradé par sa misère et par l'ingratitude publique, et dans la baraque de qui le monde oublieux ne veut plus entrer !
Un baiser sur mon front ! un baiser, même en rêve !
Mais de mon front pensif le frais baiser s'enfuit ;
Mais de mes jours taris l'été n'a plus de sève ;
Mais l'Aurore jamais n'embrassera la Nuit.

Elle rêvait sans doute aussi que son haleine
Me rendait les climats de mes jeunes saisons,
Que la neige fondait sur une tête humaine,
Et que la fleur de l'âme avait deux floraisons.

Elle rêvait sans doute aussi que sur ma joue
Mes cheveux par le vent écartés de mes yeux,
Pareils aux jais flottants que sa tête secoue,
Noyaient ses doigts distraits dans leurs flocons soyeux.

Elle rêvait sans doute aussi que l'innocence
Gardait contre un désir ses roses et ses lis ;
Que j'étais Jocelyn et qu'elle était Laurence,  
Que la vallée en fleurs nous cachait dans ses plis.

Elle rêvait sans doute aussi que mon délire
En vers mélodieux pleurait comme autrefois ;
Que mon cœur sous sa main devenait une lyre
Qui dans un seul soupir accentuait deux voix.

Fatale vision ! Tout mon être frissonne ;
On dirait que mon sang veut remonter son cours.
Enfant, ne dites plus vos rêves à personne,
Et ne rêvez jamais, ou bien rêvez toujours !
À M. le vicomte de Chateaubriand.

I.

« Qui de nous, en posant une urne cinéraire,
N'a trouvé quelque ami pleurant sur un cercueil ?
Autour du froid tombeau d'une épouse ou d'un frère,
Qui de nous n'a mené le deuil ? »
- Ainsi sur les malheurs de la France éplorée
Gémissait la Muse sacrée
Qui nous montra le ciel ouvert,
Dans ces chants où, planant sur Rome et sur Palmyre,
Sublime, elle annonçait les douceurs du martyre
Et l'humble bonheur du désert.

Depuis, à nos tyrans rappelant tous leurs crimes,
Et vouant aux remords ces cœurs sans repentirs,
Elle a dit : « En ces temps la France eut des victimes ;
Mais la Vendée eut des martyrs ! »
- Déplorable Vendée, a-t-on séché tes larmes ?
Marches-tu, ceinte de tes armes,
Au premier rang de nos guerriers ?
Si l'honneur, si la foi n'est pas un vain fantôme,
Montre-moi quels palais ont remplacé le chaume
De tes rustiques chevaliers.

Hélas ! tu te souviens des jours de ta misère !
Des flots de sang baignaient tes sillons dévastés,
Et le pied des coursiers n'y foulait de poussière
Que la cendre de tes cités.
Ceux-là qui n'avaient pu te vaincre avec l'épée
Semblaient, dans leur rage trompée,
Implorer l'enfer pour appui ;
Et, roulant sur la plaine en torrents de fumée,
Le vaste embrasement poursuivait ton armée,
Qui ne fuyait que devant lui.

II.

La Loire, vit alors, sur ses plages désertes,
S'assembler les tribus des vengeurs de nos rois,
Peuple qui ne pleurait, fier de ses nobles pertes,
Que sur le trône et sur la croix.
C'étaient quelques vieillards fuyant leurs toits en flammes
C'étaient des enfants et des femmes,
Suivis d'un reste de héros ;
Au milieu d'eux marchait leur patrie exilée,
Car ils ne laissaient plus qu'une terre peuplée
De cadavres et de bourreaux.

On dit qu'en ce moment, dans un divin délire,
Un vieux prêtre parut parmi ces fiers soldats,
Comme un saint chargé d'ans qui parle du martyre
Aux nobles anges des combats ;
Tranquille, en proclamant de sinistres présages,
Les souvenirs des anciens âges
S'éveillaient dans son cœur glacé ;
Et, racontant le sort qu'ils devaient tous attendre,
La voix de l'avenir semblait se faire attendre,
Dans ses discours pleins du passé.

III.

« Au delà du Jourdain, après quarante années,
Dieu promit une terre aux enfants d'Israël
Au-delà de ces flots, après quelques journées,
Le Seigneur vous promet le ciel.
Ces bords ne verront plus vos phalanges errantes ;
Dieu, sur des plaines dévorantes,
Vous prépare un tombeau lointain ;
Votre astre doit s'éteindre, à peine à son aurore ;
Mais Samson expirant peut ébranler encore
Les colonnes du Philistin.

« Vos guerriers périront ; mais, toujours invincibles,
S'ils ne peuvent punir, ils sauront se venger ;
Car ils verront encor fuir ces soldats terribles
Devant qui fuyait l'étranger.
Vous ne mourrez pas tous sous des bras intrépides ;
Les uns, sur des nefs homicides,
Seront jetés aux flots mouvants ;
Ceux-là promèneront des os sans sépulture,
Et cacheront leurs morts sous une terre obscure,
Pour les dérober aux vivants.

« Et vous, ô jeune chef, ravi par la victoire
Aux hasards de Mortagne, aux périls de Saumur,
L'honneur de vous frapper dans un combat sans gloire
Rendra célèbre un bras obscur.
Il ne sera donné qu'à bien peu de nos frères
De revoir, après tant de guerres,
La place où furent leurs foyers ;
Alors, ornant son toit de ses armes oisives,
Chacun d'eux attendra que Dieu donne à nos rives
Les lys, qu'il préfère aux lauriers.

« Vendée, ô noble terre ! ô ma triste patrie !
Tu dois payer bien cher le retour de tes rois !
Avant que sur nos bords croisse la fleur chérie,
Ton sang l'arrosera deux fois.
Mais aussi, lorsqu'un jour l'Europe réunie
De l'arbre de la tyrannie
Aura brisé les rejetons,
Tous les rois vanteront leurs camps, leur flotte immense,
Et, seul, le roi chrétien mettra dans la balance
L'humble glaive des vieux Bretons.

« Grand Dieu ! - Si toutefois, après ces jours d'ivresse,
Blessant le cœur aigri du héros oublié,
Une voix insultante offrait à sa détresse
Les dons ingrats de la pitié ;
Si sa mère, et sa veuve, et sa fille, éplorées,
S'arrêtaient, de faim dévorées,
Au seuil d'un favori puissant,
Rappelant à celui qu'implore leur misère
Qu'elles n'ont plus ce fils, cet époux et ce père
Qui croyait leur léguer son sang ;

« Si, pauvre et délaissé, le citoyen fidèle,
Lorsqu'un traître enrichi se rirait de sa foi,
Entendait au sénat calomnier son zèle
Par celui qui jugea son roi ;
Si, pour comble d'affronts, un magistrat injuste,
Déguisant sous un nom auguste
L'abus d'un insolent pouvoir,
Venait, de vils soupçons chargeant sa noble tête,
Lui demander ce fer, sa première conquête, -
Peut-être son dernier espoir ;

« Qu'il se résigne alors. - Par ses crimes prospères
L'impie heureux insulte au fidèle souffrant ;
Mais que le juste pense aux forfaits de nos pères,
Et qu'il songe à son Dieu mourant.
Le Seigneur veut parfois le triomphe du vice,
Il veut aussi, dans sa justice,
Que l'innocent verse des pleurs ;
Souvent, dans ses desseins, Dieu suit d'étranges voies,
Lui qui livre Satan aux infernales joies,
Et Marie aux saintes douleurs. »

IV.

Le vieillard s'arrêta. Sans croire à son langage,
Ils quittèrent ces bords, pour n'y plus revenir ;
Et tous croyaient couvert des ténèbres de l'âge
L'esprit qui voyait l'avenir.
Ainsi, faible en soldats, mais fort en renommée,
Ce débris d'une illustre armée
Suivait sa bannière en lambeaux ;
Et ces derniers français, que rien ne put défendre,
**** de leur temple en deuil et de leur chaume en cendre,
Allaient conquérir des tombeaux !

1819.
L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.
Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;
On voyait un rameau bénit sur un portrait.
Une vieille grand'mère était là qui pleurait.
Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,
Pâle, s'ouvrait ; la mort noyait son œil farouche ;
Ses bras pendants semblaient demander des appuis.
Il avait dans sa poche une toupie en buis.
On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.
Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?
Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.
L'aïeule regarda déshabiller l'enfant,
Disant : - Comme il est blanc ! approchez donc la lampe.
Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe ! -

Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.
La nuit était lugubre ; on entendait des coups
De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres.
- Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres.
Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer.
L'aïeule cependant l'approchait du foyer
Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.
Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides
Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas !
Elle pencha la tête et lui tira ses bas,
Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.
- Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre !
Cria-t-elle ; monsieur, il n'avait pas huit ans !
Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.
Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,
C'est lui qui l'écrivait. Est-ce qu'on va se mettre
À tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu !
On est donc des brigands ! Je vous demande un peu,
Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !
Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être
Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.
Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.
Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte
Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte
De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! -
Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant,
Puis elle dit, et tous pleuraient près de l'aïeule.
- Que vais-je devenir à présent toute seule ?

Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd'hui.
Hélas ! je n'avais plus de sa mère que lui.
Pourquoi l'a-t-on tué ? je veux qu'on me l'explique.
L'enfant n'a pas crié vive la République. -
Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,
Tremblant devant ce deuil qu'on ne console pas.

Vous ne compreniez point, mère, la politique.
Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique,
Est pauvre, et même prince ; il aime les palais ;
Il lui convient d'avoir des chevaux, des valets,
De l'argent pour son jeu, sa table, son alcôve,
Ses chasses ; par la même occasion, il sauve
La famille, l'église et la société ;
Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l'été,
Où viendront l'adorer les préfets et les maires
C'est pour cela qu'il faut que les vieilles grand'mères,
De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps
Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.

Jersey, le 2 décembre 1852.
J'irai, j'irai porter ma couronne effeuillée
Au jardin de mon père où revit toute fleur ;
J'y répandrai longtemps mon âme agenouillée :
Mon père a des secrets pour vaincre la douleur.

J'irai, j'irai lui dire au moins avec mes larmes :
« Regardez, j'ai souffert...  » Il me regardera,
Et sous mes jours changés, sous mes pâleurs sans charmes,
Parce qu'il est mon père, il me reconnaîtra.

Il dira : « C'est donc vous, chère âme désolée ;
La terre manque-t-elle à vos pas égarés ?
Chère âme, je suis Dieu : ne soyez plus troublée ;
Voici votre maison, voici mon coeur, entrez ! »

Ô clémence! Ô douceur! Ô saint refuge ! Ô Père !
Votre enfant qui pleurait, vous l'avez entendu !
Je vous obtiens déjà, puisque je vous espère
Et que vous possédez tout ce que j'ai perdu.

Vous ne rejetez pas la fleur qui n'est plus belle ;
Ce crime de la terre au ciel est pardonné.
Vous ne maudirez pas votre enfant infidèle,
Non d'avoir rien vendu, mais d'avoir tout donné.
Devant les douze lords de la chambre étoilée,
Hugo Dundas fut grand.
Du fond d'une tribune une femme voilée
L'admirait en pleurant.

Nuit, flambeaux, murs drapés, blasons des deux royaumes,
C'était sinistre et beau.
Les douze pairs muets semblaient douze fantômes,
Assis dans un tombeau.

Une hache brillait. Le peuple criait : honte !
Le peuple et les soldats.
Tous menaçaient. Mais rien ne fit pâlir le comte,
Le comte Hugo Dundas.

La Révolte a troublé les monts où l'aigle plane,
Et vous étiez là tous.
Que faisiez-vous, mylord, à Dumbar, à Cartlane ?
Mylord, qu'y faisiez-vous ?

Mes pairs, j'ai défendu le roi que mon coeur nomme,
Mon clan, mon étendard.
J'aime l'aigle et le roi, car je suis gentilhomme
Et je suis montagnard.

Ainsi le juge austère et le comte superbe
Se parlaient dans la tour.
Heureux le bon soldat qui meurt, couché sur l'herbe,
En plein air, en plein jour !

La cour se retira. L'on voyait dans la salle
Le peuple fourmiller.
Enfin l'aube apparut comme une vierge pâle
Que l'homme va souiller.

Les portes du conseil, de bronze revêtues,
S'ébranlèrent alors ;
Et l'on vit, à pas lents, comme douze statues
Rentrer les douze lords.

Le juge en cheveux blancs, debout, parlant au comte,
Dit : « Nos jours durent peu.
Puisque cet homme au roi ne veut pas rendre compte,
Il rendra compte à Dieu.

Sachez qu'on va dresser devant la Tour de Londres
Un grand échafaud noir.
Lord comte Hugo Dundas, qu'avez-vous à répondre ?
Vous mourrez demain soir. »

Alors un de ces cris, qui font que l'effroi monte
Jusqu'au juge inquiet,
Retentit sous la voûte... - On regarda le comte ;
Le comte souriait.

Il dit : « Adieu la vie ! » Et ; sans trouble dans l'âme,
Il salua la cour.
Puis se tournant vers l'ombre où pleurait une femme,
« Adieu, dit-il, amour ! »

Le 14 janvier 1844.
T'ai-je vu chez mon père,

Dans l'âge où tout est beau,

Comme je dois, j'espère,

Te voir près du tombeau ?

Sur les bords de ma vie

Vins-tu voir après moi ?

Oui, quelqu'un m'a suivie,

Et je crois que c'est toi !


Quand tout semble un hommage

A nos yeux entr'ouverts,

Ai-je vu ton image

Peinte sur l'univers ?

Et toi, sous une flamme

Dont le ciel t'éclairait,

Dans le fond de ton âme

Cachais-tu mon portrait ?


Aimais-tu l'humble école

Où j'allais autrefois ?

L'ange, qui la console,

Parlait-il dans ta voix ?

Et, quand j'appris à lire

Ma prière à genoux,

Vins-tu m'aider à dire :

« Mon Dieu, bénissez-nous ! »


A l'étroite fenêtre,

Où riait un jasmin,

Quand je n'osais paraître,

Elevais-tu ta main ?

Oui ! la même ombre encore

Glissait dans le soleil,

Et jusqu'à l'autre aurore

Passait sur mon sommeil !


Dans l'enclos plein d'ombrage,

Où j'avais frais et peur,

Plaçais-tu ton courage

Entre l'ombre et mon cœur ?

Pour causer sans médire,

Y venais-tu t'asseoir,

Et, sans pouvoir sourire,

Nous disions-nous : « Bonsoir ! »


T'ai-je aimé la première,

Lorsque ta main s'ouvrit

Au pauvre sans chaumière,

Dont la flûte pleurait ?

Le demandeur d'aumône

A-t-il béni nos jours ?

Et devant sa Madone

Avons-nous dit : « Toujours ! »


T'ai-je conté mes peines,

Quand je crus en avoir ?

Un jour... triste à nos plaines,

M'as-tu dit : « Au revoir ! »

Pour un âge plus tendre

M'as-tu promis des fleurs ?

Sais-tu qu'à les attendre

J'ai versé bien des pleurs ?


Sais-tu que le ciel même

T'ouvrit notre maison ?

Et que ton nom que j'aime

Se trouve dans mon nom ?

Mais à ma confidence

N'as-tu pas répondu ?

Oui ! jusqu'en ton silence,

Je l'ai tout entendu !
I.

Par ses propres fureurs le Maudit se dévoile ;
Dans le démon vainqueur on voit l'ange proscrit ;
L'anathème éternel, qui poursuit son étoile,
Dans ses succès même est écrit.
Il est, lorsque des cieux nous oublions la voie,
Des jours, que Dieu sans doute envoie
Pour nous rappeler les enfers ;
Jours sanglants qui, voués au triomphe du crime,
Comme d'affreux rayons échappés de l'abîme,
Apparaissent sur l'univers.

Poètes qui toujours, **** du siècle où nous sommes,
Chantres des pleurs sans fin et des maux mérités,
Cherchez des attentats tels que la voix des hommes
N'en ait point encor racontés,
Si quelqu'un vient à vous vantant la jeune France,
Nos exploits, notre tolérance,
Et nos temps féconds en bienfaits,
Soyez contents ; lisez nos récentes histoires,
Evoquez nos vertus, interrogez nos gloires : -
Vous pourrez choisir des forfaits !

Moi, je n'ai point reçu de la Muse funèbre
Votre lyre de bronze, ô chantres des remords !
Mais je voudrais flétrir les bourreaux qu'on célèbre,
Et venger la cause des morts.
Je voudrais, un moment, troublant l'impur Génie.
Arrêter sa gloire impunie
Qu'on pousse à l'immortalité ;
Comme autrefois un grec, malgré les vents rapides,
Seul, retint de ses bras, de ses dents intrépides,
L'esquif sur les mers emporté !

II.

Quiberon vit jadis, sur son bord solitaire,
Des français assaillis s'apprêter à mourir,
Puis, devant les deux chefs, l'airain fumant se taire,
Et les rangs désarmés s'ouvrir.
Pour sauver ses soldats l'un d'eux offrit sa tête ;
L'autre accepta cette conquête,
De leur traité gage inhumain ;
Et nul guerrier ne crut sa promesse frivole,
Car devant les drapeaux, témoins de leur parole,
Tous deux s'étaient donné la main !

La phalange fidèle alors livra ses armes.
Ils marchaient ; une armée environnait leurs pas,
Et le peuple accourait, en répandant des larmes,
Voir ces preux, sauvés du trépas.
Ils foulaient en vaincus les champs de leurs ancêtres ;
Ce fut un vieux temple, sans prêtres,
Qui reçut ces vengeurs des rois ;
Mais l'humble autel manquait à la pieuse enceinte,
Et, pour se consoler, dans cette prison sainte,
Leurs yeux en vain cherchaient la croix.

Tous prièrent ensemble, et, d'une voix plaintive,
Tous, se frappant le sein, gémirent à genoux.
Un seul ne pleurait pas dans la tribu captive :
C'était lui qui mourait pour tous ;
C'était Sombreuil, leur chef : Jeune et plein d'espérance,
L'heure de son trépas s'avance ;
Il la salue avec ferveur.
Le supplice, entouré des apprêts funéraires,
Est beau pour un chrétien qui, seul, va pour ses frères
Expirer, semblable au Sauveur.

« Oh ! cessez, disait-il, ces larmes, ces reproches,
Guerriers ; votre salut prévient tant de douleurs !
Combien à votre mort vos amis et vos proches,
Hélas ! auraient versé de pleurs !
Je romps avec vos fers mes chaînes éphémères ;
À vos épouses, à vos mères,
Conservez vos jours précieux.
On vous rendra la paix, la liberté, la vie ;
Tout ce bonheur n'a rien que mon cœur vous envie ;
Vous, ne m'enviez pas les cieux. »

Le sinistre tambour sonna l'heure dernière,
Les bourreaux étaient prêts ; on vit Sombreuil partir.
La sœur ne fut point là pour leur ravir le frère, -
Et le héros devint martyr.
L'exhortant de la voix et de son saint exemple,
Un évêque, exilé du temple,
Le suivit au funeste lieu ;
Afin que le vainqueur vît, dans son camp rebelle,
Mourir, près d'un soldat à son prince fidèle,
Un prêtre fidèle à son Dieu !

III.

Vous pour qui s'est versé le sang expiatoire,
Bénissez le Seigneur, louez l'heureux Sombreuil ;
Celui qui monte au ciel, brillant de tant de gloire,
N'a pas besoin de chants de deuil !
Bannis, on va vous rendre enfin une patrie ;
Captifs, la liberté chérie
Se montre à vous dans l'avenir.
Oui, de vos longs malheurs chantez la fin prochaine ;
Vos prisons vont s'ouvrir, on brise votre chaîne ;
Chantez ! votre exil va finir.

En effet, - des cachots la porte à grand bruit roule,
Un étendard paraît, qui flotte ensanglanté ;
Des chefs et des soldats l'environnent en foule,
En invoquant la liberté !
« Quoi ! disaient les captifs, déjà l'on nous délivre !... »
Quelques uns s'empressent de suivre
Les bourreaux devenus meilleurs.
« Adieu, leur criait-on, adieu, plus de souffrance ;
Nous nous reverrons tous, libres, dans notre France ! »
Ils devaient se revoir ailleurs.

Bientôt, jusqu'aux prisons des captifs en prières,
Arrive un sourd fracas, par l'écho répété ;
C'étaient leurs fiers vainqueurs qui délivraient leurs frères,
Et qui remplissaient leur traité !
Sans troubler les proscrits, ce bruit vint les surprendre ;
Aucun d'eux ne savait comprendre
Qu'on pût se jouer des serments ;
Ils disaient aux soldats : « Votre foi nous protège ; »
Et, pour toute réponse, un lugubre cortège
Les traîna sur des corps fumants !

Le jour fit place à l'ombre et la nuit à l'aurore,
Hélas ! et, pour mourir traversant la cité,
Les crédules proscrits passaient, passaient encore,
Aux yeux du peuple éprouvant !
Chacun d'eux racontait, brûlant d'un sain délire,
À ses compagnons de martyre
Les malheurs qu'il avait soufferts ;
Tous succombaient sans peur, sans faste, sans murmure,
Regrettant seulement qu'il fallût un parjure,
Pour les immoler dans les fers.

À coups multipliés la hache abat les chênes.
Le vil chasseur, dans l'antre ignoré du soleil,
Egorge lentement le lion dont ses chaînes
Ont surpris le noble sommeil.
On massacra longtemps la tribu sans défense.
À leur mort assistait la France,
Jouet des bourreaux triomphants ;
Comme jadis, aux pieds des idoles impures,
Tour à tour, une veuve, en de longues tortures,
Vit expirer ses sept enfants.

C'étaient là les vertus d'un sénat qu'on nous vante !
Le sombre esprit du mal sourit en le créant ;
Mais ce corps aux cent bras, fort de notre épouvante,
En son sein portait son néant.
Le colosse de fer s'est dissous dans la fange.
L'anarchie, alors que tout change,
Pense voir ses œuvres durer ;
Mais ce Pygmalion, dans ses travaux frivoles,
Ne peut donner la vie aux horribles idoles
Qu'il se fait pour les adorer.

IV.

On dit que, de nos jours, viennent, versant des larmes,
Prier au champ fatal où ces preux sont tombés,
Les vierges, les soldats fiers de leurs jeunes armes,
Et les vieillards lents et courbés.
Du ciel sur les bourreaux appelant l'indulgence,
Là, nul n'implore la vengeance,
Tous demandent le repentir ;
Et chez ces vieux bretons, témoins de tant de crimes,
Le pèlerin, qui vient invoquer les victimes,
Souvent lui-même est un martyr.

Du 11 au 17 février 1821.
I.

« Oh ! disaient les peuples du monde,
Les derniers temps sont-ils venus ?
Nos pas, dans une nuit profonde,
Suivent des chemins inconnus.
Où va-t-on ? dans la nuit perfide,
Quel est ce fanal qui nous guide,
Tous courbés sous un bras de fer ?
Est-il propice ? est-il funeste ?
Est-ce la colonne céleste ?
Est-ce une flamme de l'enfer ?

« Les tribus des chefs se divisent ;
Les troupeaux chassent les pasteurs ;
Et les sceptres des rois se brisent
Devant les faisceaux des préteurs.
Les trônes tombent ; l'auteur croule ;
Les factions naissent en foule
Sur les bords des deux Océans ;
Et les ambitions serviles,
Qui dormaient comme des reptiles,
Se lèvent comme des géants.

« Ah ! malheur ! nous avons fait gloire,
Hélas ! d'attentats inouïs,
Tels qu'en cherche en vain la mémoire
Dans les siècles évanouis.
Malheur ! tous nos forfaits l'appellent,
Tous les signes nous le révèlent,
Le jour des arrêts solennels.
L'homme est digne enfin des abîmes ;
Et rien ne manque à ses longs crimes
Que les châtiments éternels. »

Le Très-Haut a pris leur défense,
Lorsqu'ils craignaient son abandon ;
L'homme peut épuiser l'offense,
Dieu n'épuise pas le pardon.
Il mène au repentir l'impie ;
Lui-même, pour nous, il expie
L'oubli des lois qu'il nous donna ;
Pour lui seul il reste sévère ;
C'est la victime du Calvaire
Qui fléchit le Dieu du Sina !

II.

Par un autre berceau sa main nous sauve encore.
Le monde du bonheur n'ose entrevoir l'aurore,
Quoique Dieu des méchants ait puni les défis,
Et, troublant leurs conseils, dispersant leurs phalanges,
Nous ait donné l'un de ses anges,
Comme aux antiques jours il nous donna son Fils.

Tel, lorsqu'il sort vivant du gouffre de ténèbres,
Le prophète voit fuir les visions funèbres ;
La terre est sous ses pas, le jour luit à ses yeux ;
Mais lui, tout ébloui de la flamme éternelle,
Longtemps à sa vue infidèle
La lueur de l'enfer voile l'éclat des cieux.

Peuples, ne doutez pas ! chantez votre victoire.
Un sauveur naît, vêtu de puissance et de gloire ;
Il réunit le glaive et le sceptre en faisceau ;
Des leçons du malheur naîtront nos jours prospères,
Car de soixante rois, ses pères,
Les ombres sans cercueils veillent sur son berceau.

Son nom seul a calmé nos tempêtes civiles ;
Ainsi qu'un bouclier il a ouvert les villes ;
La révolte et la haine ont déserté nos murs.
Tel du jeune lion, qui lui-même s'ignore,
Le premier cri, paisible encore,
Fait de l'antre royal fuir cent monstres impurs.

III.

Quel est cet enfant débile
Qu'on porte aux sacrés parvis ?
Toute une foule immobile
Le suit de ses yeux ravis ;
Son front est nu, ses mains tremblent,
Ses pieds, que des nœuds rassemblent,
N'ont point commencé de pas ;
La faiblesse encore l'enchaîne ;
Son regard ne voit qu'à peine
Et sa voix ne parle pas.

C'est un roi parmi les hommes ;
En entrant dans le saint lieu,
Il devient ce que nous sommes : -
C'est un homme aux pieds de Dieu.
Cet enfant est notre joie ;
Dieu pour sauveur nous l'envoie ;
Sa loi l'abaisse aujourd'hui.
Les rois, qu'arme son tonnerre,
Sont tout par lui sur la terre,
Et ne sont rien devant lui !

Que tout tremble et s'humilie.
L'orgueil mortel parle en vain ;
Le lion royal se plie
Au joug de l'agneau divin.
Le Père, entouré d'étoiles,
Vers l'Enfant, faible et sans voiles,
Descend, sur les vents porté ;
L'Esprit-Saint de feux l'inonde ;
Il n'est encor né qu'au monde,
Qu'il naisse à l'éternité !

Maire, aux rayons modeste,
Heureuse et priant toujours,
Guide les vierges célestes
Vers son vieux temple aux deux tours,
Toutes les saintes armées,
Parmi les soleils semées,
Suivent son char triomphant ;
La Charité les devance,
La Foi brille, et l'Espérance
S'assied près de l'humble Enfant !

IV.

Jourdain ! te souvient-il de ce qu'ont vu tes rives ?
Naguère un pèlerin près de tes eaux captives
Vint s'asseoir et pleura, pareil en sa ferveur
À ces preux qui jadis, terrible et saint cortège,
Ravirent au joug sacrilège
Ton onde baptismale et le tombeau sauveur.

Ce chrétien avait pu, dans la France usurpée,
Trône, autel, chartes, lois, tomber sous une épée,
Les vertus sans honneur, les forfaits impunis ;
Et lui, des vieux croisés cherchait l'ombre sublime,
Et, s'exilant près de Solime,
Aux lieux ou Dieu mourut pleurait ses rois bannis.

L'eau du saint fleuve emplit sa gourde voyageuse ;
Il partit ; il revit notre rive orageuse,
Ignorant quel bonheur attendait son retour,
Et qu'à l'enfant des rois, du fond de l'Arabie,
Il apportait, nouveau Tobie,
Le remède divin qui rend l'aveugle au jour.

Qu'il soit fier dans ses flots, le fleuve des prophètes !
Peuples, l'eau du salut est présente à nos fêtes ;
Le ciel sur cet enfant a placé sa faveur ;
Qu'il reçoive les eaux que reçut Dieu lui-même ;
Et qu'à l'onde de son baptême,
Le monde rassuré reconnaisse un sauveur.

À vous, comme à Clovis, prince, Dieu se révèle.
Soyez du temple saint la colonne nouvelle.
Votre âme en vain du lys efface la blancheur ;
Quittez l'orgueil du rang, l'orgueil de l'innocence ;
Dieu vous offre, dans sa puissance,
La piscine du pauvre et la croix du pécheur.

V.

L'enfant, quand du Seigneur sur lui brille l'aurore,
Ignore le martyre et sourit à la croix ;
Mais un autre baptême, hélas ! attend encore
Le front infortuné des rois. -
Des jours viendront, jeune homme, où ton âme troublée,
Du fardeau d'un peuple accablée
Frémira d'un effroi pieux,
Quand l'évêque sur toi répandra l'huile austère,
Formidable présent qu'aux maîtres de la terre
La colombe apporta des cieux.

Alors, ô roi chrétien ! au Seigneur sois semblable ;
Sache être grand par toi, comme il est grand par lui ;
Car le sceptre devient un fardeau redoutable
Dès qu'on veut s'en faire un appui.
Un vrai roi sur sa tête unit toutes les gloires ;
Et si, dans ses justes victoires,
Par la mort il est arrêté,
Il voit, comme Bayard, une croix dans son glaive,
Et ne fait, quand le ciel à la terre l'enlève,
Que changer d'immortalité !

À LA MUSE.

Je vais, ô Muse ! où tu m'envoies ;
Je ne sais que verser des pleurs ;
Mais qu'il soit fidèle à leurs joies,
Ce luth fidèle à leurs douleurs !
Ma voix, dans leur récente histoire,
N'a point, sur des tons de victoire,
Appris à louer le Seigneur.
Ô roi, victimes couronnées !
Lorsqu'on chante vos destinées,
On sait mal chanter le bonheur.

Mai 1821.
La lune plaquait ses teintes de zinc
Par angles obtus.
Des bouts de fumée en forme de cinq
Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.

Le ciel était gris. La bise pleurait
Ainsi qu'un basson.
Au ****, un matou frileux et discret
Miaulait d'étrange et grêle façon.

Moi, j'allais, rêvant du divin Platon
Et de Phidias,
Et de Salamine et de Marathon,
Sous l'oeil clignotant des bleus becs de gaz.
Voilà que tout cela est passé... Mon enfance n'est plus ;
Elle est morte, pour ainsi dire, quoique je vive encore.
Saint Augustin, Confessions.


I.

J'ai des rêves de guerre en mon âme inquiète ;
J'aurais été soldat, si je n'étais poète.
Ne vous étonnez point que j'aime les guerriers !
Souvent, pleurant sur eux, dans ma douleur muette,
J'ai trouvé leur cyprès plus beau que nos lauriers.

Enfant, sur un tambour ma crèche fut posée.
Dans un casque pour moi l'eau sainte fut puisée.
Un soldat, m'ombrageant d'un belliqueux faisceau,
De quelque vieux lambeau d'une bannière usée
Fit les langes de mon berceau.

Parmi les chars poudreux, les armes éclatantes,
Une muse des camps m'emporta sous les tentes ;
Je dormis sur l'affût des canons meurtriers ;
J'aimai les fiers coursiers, aux crinières flottantes,
Et l'éperon froissant les rauques étriers.

J'aimai les forts tonnants, aux abords difficiles ;
Le glaive nu des chefs guidant les rangs dociles ;
La vedette, perdue en un bois isolé ;
Et les vieux bataillons qui passaient dans les villes,
Avec un drapeau mutilé.

Mon envie admirait et le hussard rapide,
Parant de gerbes d'or sa poitrine intrépide,
Et le panache blanc des agiles lanciers,
Et les dragons, mêlant sur leur casque gépide
Le poil taché du tigre aux crins noirs des coursiers.

Et j'accusais mon âge : « Ah ! dans une ombre obscure,
Grandir, vivre ! laisser refroidir sans murmure
Tout ce sang jeune et pur, bouillant chez mes pareils,
Qui dans un noir combat, sur l'acier d'une armure,
Coulerait à flots si vermeils !

Et j'invoquais la guerre, aux scènes effrayantes ;
Je voyais en espoir, dans les plaines bruyantes,
Avec mille rumeurs d'hommes et de chevaux,
Secouant à la fois leurs ailes foudroyantes,
L'un sur l'autre à grands cris fondre deux camps rivaux.

J'entendais le son clair des tremblantes cymbales,
Le roulement des chars, le sifflement des balles,
Et de monceaux de morts semant leurs pas sanglants,
Je voyais se heurter au ****, par intervalles,
Les escadrons étincelants !

II.

Avec nos camps vainqueurs, dans l'Europe asservie
J'errai, je parcourus la terre avant la vie ;
Et, tout enfant encor, les vieillards recueillis
M'écoutaient racontant, d'une bouche ravie,
Mes jours si peu nombreux et déjà si remplis !

Chez dix peuples vaincus je passai sans défense,
Et leur respect craintif étonnait mon enfance.
Dans l'âge où l'on est plaint, je semblais protéger.
Quand je balbutiais le nom chéri de France,
Je faisais pâlir l'étranger.

Je visitai cette île, en noirs débris féconde,
Plus ****, premier degré d'une chute profonde.
Le haut Cenis, dont l'aigle aime les rocs lointains,
Entendit, de son antre où l'avalanche gronde,
Ses vieux glaçons crier sous mes pas enfantins.

Vers l'Adige et l'Arno je vins des bords du Rhône.
Je vis de l'Occident l'auguste Babylone,
Rome, toujours vivante au fond de ses tombeaux,
Reine du monde encor sur un débris de trône,
Avec une pourpre en lambeaux.

Puis Turin, puis Florence aux plaisirs toujours prête,
Naples, aux bords embaumés, où le printemps s'arrête
Et que Vésuve en feu couvre d'un dais brûlant,
Comme un guerrier jaloux qui, témoin d'une fête,
Jette au milieu des fleurs son panache sanglant.

L'Espagne m'accueillit, livrée à la conquête.
Je franchis le Bergare, où mugit la tempête ;
De ****, pour un tombeau, je pris l'Escurial ;
Et le triple aqueduc vit s'incliner ma tête
Devant son front impérial.

Là, je voyais les feux des haltes militaires
Noircir les murs croulants des villes solitaires ;
La tente, de l'église envahissait le seuil ;
Les rires des soldats, dans les saints monastères,
Par l'écho répétés, semblaient des cris de deuil.

III.

Je revins, rapportant de mes courses lointaines
Comme un vague faisceau de lueurs incertaines.
Je rêvais, comme si j'avais, durant mes jours,
Rencontré sur mes pas les magiques fontaines
Dont l'onde enivre pour toujours.

L'Espagne me montrait ses couvents, ses bastilles ;
Burgos, sa cathédrale aux gothiques aiguilles ;
Irun, ses toits de bois ; Vittoria, ses tours ;
Et toi, Valadolid, tes palais de familles,
Fiers de laisser rouiller des chaînes dans leurs cours.

Mes souvenirs germaient dans mon âme échauffée ;
J'allais, chantant des vers d'une voix étouffée ;
Et ma mère, en secret observant tous mes pas,
Pleurait et souriait, disant : « C'est une fée
Qui lui parle, et qu'on ne voit pas ! »

1823.
PAUVRE femme ! son lait à sa tête est monté.
Et, dans ses froids salons, le monde a répété,
Parmi les vains propos que chaque jour emporte,
Hier, qu'elle était folle, aujourd'hui, qu'elle est morte ;
Et, seul au champ des morts, je foule ce gazon,
Cette tombe où sa vie a suivi sa raison !

Folle ! morte ! pourquoi ? Mon Dieu ! pour peu de chose !
Pour un fragile enfant dont la paupière est close,
Pour un doux nouveau-né, tête aux fraîches couleurs,
Qui naguère à son sein, comme une mouche aux fleurs,
Pendait, riait, pleurait, et, malgré ses prières,
Troublant tout leur sommeil pendant des nuits entières,
Faisait mille discours, pauvre petit ami !
Et qui ne dit plus rien, car il est endormi.

Quand elle vit son fils, le soir d'un jour bien sombre,
Car elle l'appelait son fils, cette vaine ombre !
Quand elle vit l'enfant glacé dans sa pâleur,
- Oh ! ne consolez point une telle douleur ! -
Elle ne pleura pas. Le lait avec la fièvre
Soudain troubla sa tête et fit trembler sa lèvre ;
Et depuis ce jour-là, sans voir et sans parler,
Elle allait devant elle et regardait aller.
Elle cherchait dans l'ombre une chose perdue,
Son enfant disparu dans la vague étendue ;
Et par moments penchait son oreille en marchant,
Comme si sous la terre elle entendait un chant.

Une femme du peuple, un jour que dans la rue
Se pressait sur ses pas une foule accourue,
Rien qu'à la voir souffrir devina son malheur.
Les hommes, en voyant ce beau front sans couleur,
Et cet œil froid toujours suivant une chimère,
S'écriaient : Pauvre folle ! Elle dit : Pauvre mère !

Pauvre mère, en effet ! Un soupir étouffant
Parfois coupait sa voix qui murmurait : L'enfant !
Parfois elle semblait, dans la cendre enfouie,
Chercher une lueur au ciel évanouie ;
Car la jeune âme enfuie, hélas ! de sa maison
Avait en s'en allant emporté sa raison !

On avait beau lui dire, en parlant à voix basse,
Que la vie est ainsi ; que tout meurt, que tout passe ;
Et qu'il est des enfants, - mères, sachez-le bien !
Que Dieu, qui prête tout et qui ne donne rien,
Pour rafraîchir nos fronts avec leurs ailes blanches,
Met comme des oiseaux pour un jour sur nos branches !
On avait beau lui dire, elle n'entendait pas.
L'œil fixe, elle voyait toujours devant ses pas
S'ouvrir les bras charmants de l'enfant qui l'appelle.
Elle avait des hochets fait une humble chapelle.
Car rien n'est plus puissant que ces petits bras morts
Pour tirer promptement les mères dans la tombe.
Où l'enfant est tombé bientôt la femme tombe.
Qu'est-ce qu'une maison dont le seuil est désert ?
Qu'un lit sans un berceau ? Dieu clément ! à quoi sert
Le regard maternel sans l'enfant qui repose ?
A quoi bon ce sein blanc sans cette bouche rose ?

Après avoir longtemps, le cœur mort, les yeux morts,
Erré sur le tombeau comme étant en dehors,
- Longtemps ! ce sont ici des paroles humaines,
Hélas ! il a suffi de bien peu de semaines ! -
Malheureuse ! en deux mois tout s'est évanoui.
Hier elle était folle, elle est morte aujourd'hui !

Il suffit qu'un oiseau vienne sur une rive
Pour qu'un deuxième oiseau tout en hâte l'y suive.
Sur deux il en est un toujours qui va devant.
Après avoir à peine ouvert son aile au vent,
Il vint, le bel enfant, s'abattre sur la tombe ;
Elle y vint après lui, comme une autre colombe.

On a creusé la terre, et là, sous le gazon,
On a mis la nourrice auprès du nourrisson.

Et moi je dis : - Seigneur ! votre règne est austère !
Seigneur ! vous avez mis partout un noir mystère,
Dans l'homme et dans l'amour, dans l'arbre et dans l'oiseau,
Et jusque dans ce lait que réclame un berceau,
Ambroisie et poison, doux miel, liqueur amère,
Fait pour nourrir l'enfant ou pour tuer la mère !

Le 17 février 1837.
La petite vieille ratatinée se sentit toute réjouie en voyant ce joli enfant à qui chacun faisait fête, à qui tout le monde voulait plaire ; ce joli être, si fragile comme elle, la petite vieille, et, comme elle aussi, sans dents et sans cheveux.

Et elle s'approcha de lui, voulant lui faire des risettes et des mines agréables.

Mais l'enfant épouvanté se débattait sous les caresses de la bonne femme décrépite, et remplissait la maison de ses glapissements.

Alors la bonne vieille se retira dans sa solitude éternelle, et elle pleurait dans un coin, se disant : - « Ah ! pour nous, malheureuses vieilles femelles, l'âge est passé de plaire, même aux innocents ; et nous faisons horreur aux petits enfants que nous voulons aimer ! »
Je vis d'abord sur moi des fantômes étranges
Traîner de longs habits ;
Je ne sais si c'étaient des femmes ou des anges !
Leurs manteaux m'inondaient avec leurs belles franges
De nacre et de rubis.

Comme on brise une armure au tranchant d'une lame,
Comme un hardi marin
Brise le golfe bleu qui se fend sous sa rame,
Ainsi leurs robes d'or, en grands sillons de flamme,
Brisaient la nuit d'airain !

Ils volaient ! - Mon rideau, vieux spectre en sentinelle,
Les regardait passer.
Dans leurs yeux de velours éclatait leur prunelle ;
J'entendais chuchoter les plumes de leur aile,
Qui venaient me froisser.

Ils volaient ! - Mais la troupe, aux lambris suspendue,
Esprits capricieux,
Bondissait tout à coup, puis, tout à coup perdue,
S'enfuyait dans la nuit, comme une flèche ardue
Qui s'enfuit dans les cieux !

Ils volaient ! - Je voyais leur noire chevelure,
Où l'ébène en ruisseaux
Pleurait, me caresser de sa longue frôlure ;
Pendant que d'un baiser je sentais la brûlure
Jusqu'au fond de mes os.

Dieu tout-puissant ! j'ai vu les sylphides craintives
Qui meurent au soleil !
J'ai vu les beaux pieds nus des nymphes fugitives !
J'ai vu les seins ardents des dryades rétives,
Aux cuisses de vermeil !

Rien, non, rien ne valait ce baiser d'ambroisie,
Plus frais que le matin !
Plus pur que le regard d'un oeil d'Andalousie !
Plus doux que le parler d'une femme d'Asie,
Aux lèvres de satin !

Oh ! qui que vous soyez, sur ma tête abaissées,
Ombres aux corps flottants !
Laissez, oh ! laissez-moi vous tenir enlacées,
Boire dans vos baisers des amours insensées,
Goutte à goutte et longtemps !

Oh ! venez ! nous mettrons dans l'alcôve soyeuse
Une lampe d'argent.
Venez ! la nuit est triste et la lampe joyeuse !
Blonde ou noire, venez ; nonchalante ou rieuse,
Coeur naïf ou changeant !

Venez ! nous verserons des roses dans ma couche ;
Car les parfums sont doux !
Et la sultane, au soir, se parfume la bouche ;
Lorsqu'elle va quitter sa robe et sa babouche
Pour son lit de bambous !

Hélas ! de belles nuits le ciel nous est avare
Autant que de beaux jours !
Entendez-vous gémir la harpe de Ferrare,
Et sous des doigts divins palpiter la guitare ?
Venez, ô mes amours !

Mais rien ne reste plus que l'ombre froide et nue,
Où craquent les cloisons.
J'entends des chants hurler, comme un enfant qu'on tue ;
Et la lune en croissant découpe, dans la rue,
Les angles des maisons.
V.

Où sont-ils ? Sur les quais, dans les cours, sous les ponts,
Dans l'égout, dont Maupas fait lever les tampons,
Dans la fosse commune affreusement accrue,
Sur le trottoir, au coin des portes, dans la rue,
Pêle-mêle entassés, partout ; dans les fourgons
Que vers la nuit tombante escortent les dragons,
Convoi hideux qui vient du Champ de Mars, et passe,
Et dont Paris tremblant s'entretient à voix basse.
Ô vieux mont des martyrs, hélas, garde ton nom !
Les morts, sabrés, hachés, broyés par le canon,
Dans ce champ que la tombe emplit de son mystère,
Etaient ensevelis la tête hors de terre.
Cet homme les avait lui-même ainsi placés,
Et n'avait pas eu peur de tous ces fronts glacés.
Ils étaient là, sanglants, froids, la bouche entrouverte,
La face vers le ciel, blêmes dans l'herbe verte,
Effroyables à voir dans leur tranquillité,
Eventrés, balafrés, le visage fouetté
Par la ronce qui tremble au vent du crépuscule
Tous, l'homme du faubourg qui jamais ne recule,
Le riche à la main blanche et le pauvre au bras fort,
La mère qui semblait montrer son enfant mort,
Cheveux blancs, tête blonde, au milieu des squelettes,
La belle jeune fille aux lèvres violettes,
Côte à côte rangés dans l'ombre au pied des ifs,
Livides, stupéfaits, immobiles, pensifs,
Spectres du même crime et des mêmes désastres,
De leur oeil fixe et vide ils regardaient les astres.
Dès l'aube, on s'en venait chercher dans ce gazon
L'absent qui n'était pas rentré dans la maison ;
Le peuple contemplait ces têtes effarées ;
La nuit, qui de décembre abrège les soirées,
Pudique, les couvrait du moins de son linceul.
Le soir, le vieux gardien des tombes, resté seul,
Hâtait le pas parmi les pierres sépulcrales,
Frémissant d'entrevoir toutes ces faces pâles
Et tandis qu'on pleurait dans les maisons en deuil,
L'âpre bise soufflait sur ces fronts sans cercueil,
L'ombre froide emplissait l'enclos aux murs funèbres ;
Ô morts, que disiez-vous à Dieu dans ces ténèbres ?

On eût dit, en voyant ces morts mystérieux
Le cou hors de la terre et le regard aux cieux,
Que, dans le cimetière où le cyprès frissonne,
Entendant le clairon du jugement qui sonne,
Tous ces assassinés s'éveillaient brusquement,
Qu'ils voyaient, Bonaparte, au seuil du firmament
Amener devant Dieu ton âme horrible et fausse,
Et que, pour témoigner, ils sortaient de leur fosse.

Montmartre ! enclos fatal ! quand vient le soir obscur
Aujourd'hui le passant évite encor ce mur.

Du 16 au 22 novembre 1852, à Jersey
J'allais par des chemins perfides,
Douloureusement incertain.
Vos chères mains furent mes guides.

Si pâle à l'horizon lointain
Luisait un faible espoir d'aurore ;
Votre regard fut le matin.

Nul bruit, sinon son pas sonore,
N'encourageait le voyageur.
Votre voix me dit : " Marche encore ! "

Mon coeur craintif, mon sombre coeur
Pleurait, seul, sur la triste voie ;
L'amour, délicieux vainqueur,

Nous a réunis dans la joie.

— The End —