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Écoutez. Une femme au profil décharné,
Maigre, blême, portant un enfant étonné,
Est là qui se lamente au milieu de la rue.
La foule, pour l'entendre, autour d'elle se rue.
Elle accuse quelqu'un, une autre femme, ou bien
Son mari. Ses enfants ont faim. Elle n'a rien ;
Pas d'argent ; pas de pain ; à peine un lit de paille.
L'homme est au cabaret pendant qu'elle travaille.
Elle pleure, et s'en va. Quand ce spectre a passé,
Ô penseurs, au milieu de ce groupe amassé,
Qui vient de voir le fond d'un cœur qui se déchire,
Qu'entendez-vous toujours ? Un long éclat de rire.

Cette fille au doux front a cru peut-être, un jour,
Avoir droit au bonheur, à la joie, à l'amour.
Mais elle est seule, elle est sans parents, pauvre fille !
Seule ! - n'importe ! elle a du courage, une aiguille,
Elle travaille, et peut gagner dans son réduit,
En travaillant le jour, en travaillant la nuit,
Un peu de pain, un gîte, une jupe de toile.
Le soir, elle regarde en rêvant quelque étoile,
Et chante au bord du toit tant que dure l'été.
Mais l'hiver vient. Il fait bien froid, en vérité,
Dans ce logis mal clos tout en haut de la rampe ;
Les jours sont courts, il faut allumer une lampe ;
L'huile est chère, le bois est cher, le pain est cher.
Ô jeunesse ! printemps ! aube ! en proie à l'hiver !
La faim passe bientôt sa griffe sous la porte,
Décroche un vieux manteau, saisit la montre, emporte
Les meubles, prend enfin quelque humble bague d'or ;
Tout est vendu ! L'enfant travaille et lutte encor ;
Elle est honnête ; mais elle a, quand elle veille,
La misère, démon, qui lui parle à l'oreille.
L'ouvrage manque, hélas ! cela se voit souvent.
Que devenir ! Un jour, ô jour sombre ! elle vend
La pauvre croix d'honneur de son vieux père, et pleure ;
Elle tousse, elle a froid. Il faut donc qu'elle meure !
A dix-sept ans ! grand Dieu ! mais que faire ?... - Voilà
Ce qui fait qu'un matin la douce fille alla
Droit au gouffre, et qu'enfin, à présent, ce qui monte
À son front, ce n'est plus la pudeur, c'est la honte.
Hélas, et maintenant, deuil et pleurs éternels !
C'est fini. Les enfants, ces innocents cruels,
La suivent dans la rue avec des cris de joie.
Malheureuse ! elle traîne une robe de soie,
Elle chante, elle rit... ah ! pauvre âme aux abois !
Et le peuple sévère, avec sa grande voix,
Souffle qui courbe un homme et qui brise une femme,
Lui dit quand elle vient : « C'est toi ? Va-t-en, infâme ! »

Un homme s'est fait riche en vendant à faux poids ;
La loi le fait juré. L'hiver, dans les temps froids ;
Un pauvre a pris un pain pour nourrir sa famille.
Regardez cette salle où le peuple fourmille ;
Ce riche y vient juger ce pauvre. Écoutez bien.
C'est juste, puisque l'un a tout et l'autre rien.
Ce juge, - ce marchand, - fâché de perdre une heure,
Jette un regard distrait sur cet homme qui pleure,
L'envoie au bagne, et part pour sa maison des champs.
Tous s'en vont en disant : « C'est bien ! » bons et méchants ;
Et rien ne reste là qu'un Christ pensif et pâle,
Levant les bras au ciel dans le fond de la salle.

Un homme de génie apparaît. Il est doux,
Il est fort, il est grand ; il est utile à tous ;
Comme l'aube au-dessus de l'océan qui roule,
Il dore d'un rayon tous les fronts de la foule ;
Il luit ; le jour qu'il jette est un jour éclatant ;
Il apporte une idée au siècle qui l'attend ;
Il fait son œuvre ; il veut des choses nécessaires,
Agrandir les esprits, amoindrir les misères ;
Heureux, dans ses travaux dont les cieux sont témoins,
Si l'on pense un peu plus, si l'on souffre un peu moins !
Il vient. - Certe, on le va couronner ! - On le hue !
Scribes, savants, rhéteurs, les salons, la cohue,
Ceux qui n'ignorent rien, ceux qui doutent de tout,
Ceux qui flattent le roi, ceux qui flattent l'égout,
Tous hurlent à la fois et font un bruit sinistre.
Si c'est un orateur ou si c'est un ministre,
On le siffle. Si c'est un poète, il entend
Ce chœur : « Absurde ! faux ! monstrueux ! révoltant ! »
Lui, cependant, tandis qu'on bave sur sa palme,
Debout, les bras croisés, le front levé, l'œil calme,
Il contemple, serein, l'idéal et le beau ;
Il rêve ; et, par moments, il secoue un flambeau
Qui, sous ses pieds, dans l'ombre, éblouissant la haine,
Éclaire tout à coup le fond de l'âme humaine ;
Ou, ministre, il prodigue et ses nuits et ses jours ;
Orateur, il entasse efforts, travaux, discours ;
Il marche, il lutte ! Hélas ! l'injure ardente et triste,
À chaque pas qu'il fait, se transforme et persiste.
Nul abri. Ce serait un ennemi public,
Un monstre fabuleux, dragon ou basilic,
Qu'il serait moins traqué de toutes les manières,
Moins entouré de gens armés de grosses pierres,
Moins haï ! -- Pour eux tous et pour ceux qui viendront,
Il va semant la gloire, il recueille l'affront.
Le progrès est son but, le bien est sa boussole ;
Pilote, sur l'avant du navire il s'isole ;
Tout marin, pour dompter les vents et les courants,
Met tour à tour le cap sur des points différents,
Et, pour mieux arriver, dévie en apparence ;
Il fait de même ; aussi blâme et cris ; l'ignorance
Sait tout, dénonce tout ; il allait vers le nord,
Il avait tort ; il va vers le sud, il a tort ;
Si le temps devient noir, que de rage et de joie !
Cependant, sous le faix sa tête à la fin ploie,
L'âge vient, il couvait un mal profond et lent,
Il meurt. L'envie alors, ce démon vigilant,
Accourt, le reconnaît, lui ferme la paupière,
Prend soin de la clouer de ses mains dans la bière,
Se penche, écoute, épie en cette sombre nuit
S'il est vraiment bien mort, s'il ne fait pas de bruit,
S'il ne peut plus savoir de quel nom on le nomme,
Et, s'essuyant les yeux, dit : « C'était un grand homme ! »

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs, que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
« Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »
Ô servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain -
D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? Que veut-il ? »
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l'homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,
Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !
Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, saint, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !

Le pesant chariot porte une énorme pierre ;
Le limonier, suant du mors à la croupière,
Tire, et le roulier fouette, et le pavé glissant
Monte, et le cheval triste à le poitrail en sang.
Il tire, traîne, geint, tire encore et s'arrête ;
Le fouet noir tourbillonne au-dessus de sa tête ;
C'est lundi ; l'homme hier buvait aux Porcherons
Un vin plein de fureur, de cris et de jurons ;
Oh ! quelle est donc la loi formidable qui livre
L'être à l'être, et la bête effarée à l'homme ivre !
L'animal éperdu ne peut plus faire un pas ;
Il sent l'ombre sur lui peser ; il ne sait pas,
Sous le bloc qui l'écrase et le fouet qui l'assomme,
Ce que lui veut la pierre et ce que lui veut l'homme.
Et le roulier n'est plus qu'un orage de coups
Tombant sur ce forçat qui traîne des licous,
Qui souffre et ne connaît ni repos ni dimanche.
Si la corde se casse, il frappe avec le pié ;
Et le cheval, tremblant, hagard, estropié,
Baisse son cou lugubre et sa tête égarée ;
On entend, sous les coups de la botte ferrée,
Sonner le ventre nu du pauvre être muet !
Il râle ; tout à l'heure encore il remuait ;
Mais il ne bouge plus, et sa force est finie ;
Et les coups furieux pleuvent ; son agonie
Tente un dernier effort ; son pied fait un écart,
Il tombe, et le voilà brisé sous le brancard ;
Et, dans l'ombre, pendant que son bourreau redouble,
Il regarde quelqu'un de sa prunelle trouble ;
Et l'on voit lentement s'éteindre, humble et terni,
Son œil plein des stupeurs sombres de l'infini,
Où luit vaguement l'âme effrayante des choses.
Hélas !

Cet avocat plaide toutes les causes ;
Il rit des généreux qui désirent savoir
Si blanc n'a pas raison, avant de dire noir ;
Calme, en sa conscience il met ce qu'il rencontre,
Ou le sac d'argent Pour, ou le sac d'argent Contre ;
Le sac pèse pour lui ce que la cause vaut.
Embusqué, plume au poing, dans un journal dévot,
Comme un bandit tuerait, cet écrivain diffame.
La foule hait cet homme et proscrit cette femme ;
Ils sont maudits. Quel est leur crime ? Ils ont aimé.
L'opinion rampante accable l'opprimé,
Et, chatte aux pieds des forts, pour le faible est tigresse.
De l'inventeur mourant le parasite engraisse.
Le monde parle, assure, affirme, jure, ment,
Triche, et rit d'escroquer la dupe Dévouement.
Le puissant resplendit et du destin se joue ;
Derrière lui, tandis qu'il marche et fait la roue,
Sa fiente épanouie engendre son flatteur.
Les nains sont dédaigneux de toute leur hauteur.
Ô hideux coins de rue où le chiffonnier morne
Va, tenant à la main sa lanterne de corne,
Vos tas d'ordures sont moins noirs que les vivants !
Qui, des vents ou des cœurs, est le plus sûr ? Les vents.
Cet homme ne croit rien et fait semblant de croire ;
Il a l'œil clair, le front gracieux, l'âme noire ;
Il se courbe ; il sera votre maître demain.

Tu casses des cailloux, vieillard, sur le chemin ;
Ton feutre humble et troué s'ouvre à l'air qui le mouille ;
Sous la pluie et le temps ton crâne nu se rouille ;
Le chaud est ton tyran, le froid est ton bourreau ;
Ton vieux corps grelottant tremble sous ton sarrau ;
Ta cahute, au niveau du fossé de la route,
Offre son toit de mousse à la chèvre qui broute ;
Tu gagnes dans ton jour juste assez de pain noir
Pour manger le matin et pour jeûner le soir ;
Et, fantôme suspect devant qui l'on recule,
Regardé de travers quand vient le crépuscule,
Pauvre au point d'alarmer les allants et venants,
Frère sombre et pensif des arbres frissonnants,
Tu laisses choir tes ans ainsi qu'eux leur feuillage ;
Autrefois, homme alors dans la force de l'âge,
Quand tu vis que l'Europe implacable venait,
Et menaçait Paris et notre aube qui naît,
Et, mer d'hommes, roulait vers la France effarée,
Et le Russe et le *** sur la terre sacrée
Se ruer, et le nord revomir Attila,
Tu te levas, tu pris ta fourche ; en ces temps-là,
Tu fus, devant les rois qui tenaient la campagne,
Un des grands paysans de la grande Champagne.
C'est bien. Mais, vois, là-bas, le long du vert sillon,
Une calèche arrive, et, comme un tourbillon,
Dans la poudre du soir qu'à ton front tu secoues,
Mêle l'éclair du fouet au tonnerre des roues.
Un homme y dort. Vieillard, chapeau bas ! Ce passant
Fit sa fortune à l'heure où tu versais ton sang ;
Il jouait à la baisse, et montait à mesure
Que notre chute était plus profonde et plus sûre ;
Il fallait un vautour à nos morts ; il le fut ;
Il fit, travailleur âpre et toujours à l'affût,
Suer à nos malheurs des châteaux et des rentes ;
Moscou remplit ses prés de meules odorantes ;
Pour lui, Leipsick payait des chiens et des valets,
Et la Bérésina charriait un palais ;
Pour lui, pour que cet homme ait des fleurs, des charmilles,
Des parcs dans Paris même ouvrant leurs larges grilles,
Des jardins où l'on voit le cygne errer sur l'eau,
Un million joyeux sortit de Waterloo ;
Si bien que du désastre il a fait sa victoire,
Et que, pour la manger, et la tordre, et la boire,
Ce Shaylock, avec le sabre de Blucher,
A coupé sur la France une livre de chair.
Or, de vous deux, c'est toi qu'on hait, lui qu'on vénère ;
Vieillard, tu n'es qu'un gueux, et ce millionnaire,
C'est l'honnête homme. Allons, debout, et chapeau bas !

Les carrefours sont pleins de chocs et de combats.
Les multitudes vont et viennent dans les rues.
Foules ! sillons creusés par ces mornes charrues :
Nuit, douleur, deuil ! champ triste où souvent a germé
Un épi qui fait peur à ceux qui l'ont semé !
Vie et mort ! onde où l'hydre à l'infini s'enlace !
Peuple océan jetant l'écume populace !
Là sont tous les chaos et toutes les grandeurs ;
Là, fauve, avec ses maux, ses horreurs, ses laideurs,
Ses larves, désespoirs, haines, désirs, souffrances,
Qu'on distingue à travers de vagues transparences,
Ses rudes appétits, redoutables aimants,
Ses prostitutions, ses avilissements,
Et la fatalité des mœurs imperdables,
La misère épaissit ses couches formidables.
Les malheureux sont là, dans le malheur reclus.
L'indigence, flux noir, l'ignorance, reflux,
Montent, marée affreuse, et parmi les décombres,
Roulent l'obscur filet des pénalités sombres.
Le besoin fuit le mal qui le tente et le suit,
Et l'homme cherche l'homme à tâtons ; il fait nuit ;
Les petits enfants nus tendent leurs mains funèbres ;
Le crime, antre béant, s'ouvre dans ces ténèbres ;
Le vent secoue et pousse, en ses froids tourbillons,
Les âmes en lambeaux dans les corps en haillons :
Pas de cœur où ne croisse une aveugle chimère.
Qui grince des dents ? L'homme. Et qui pleure ? La mère.
Qui sanglote ? La vierge aux yeux hagards et doux.
Qui dit : « J'ai froid ? » L'aïeule. Et qui dit : « J'ai faim ? » Tous !
Et le fond est horreur, et la surface est joie.
Au-dessus de la faim, le festin qui flamboie,
Et sur le pâle amas des cris et des douleurs,
Les chansons et le rire et les chapeaux de fleurs !
Ceux-là sont les heureux. Ils n'ont qu'une pensée :
A quel néant jeter la journée insensée ?
Chiens, voitures, chevaux ! cendre au reflet vermeil !
Poussière dont les grains semblent d'or au soleil !
Leur vie est aux plaisirs sans fin, sans but, sans trêve,
Et se passe à tâcher d'oublier dans un rêve
L'enfer au-dessous d'eux et le ciel au-dessus.
Quand on voile Lazare, on efface Jésus.
Ils ne regardent pas dans les ombres moroses.
Ils n'admettent que l'air tout parfumé de roses,
La volupté, l'orgueil, l'ivresse et le laquais
Ce spectre galonné du pauvre, à leurs banquets.
Les fleurs couvrent les seins et débordent des vases.
Le bal, tout frissonnant de souffles et d'extases,
Rayonne, étourdissant ce qui s'évanouit ;
Éden étrange fait de lumière et de nuit.
Les lustres aux plafonds laissent pendre leurs flammes,
Et semblent la racine ardente et pleine d'âmes
De quelque arbre céleste épanoui plus haut.
Noir paradis dansant sur l'immense cachot !
Ils savourent, ravis, l'éblouissement sombre
Des beautés, des splendeurs, des quadrilles sans nombre,
Des couples, des amours, des yeux bleus, des yeux noirs.
Les valses, visions, passent dans les miroirs.
Parfois, comme aux forêts la fuite des cavales,
Les galops effrénés courent ; par intervalles,
Le bal reprend haleine ; on s'interrompt, on fuit,
On erre, deux à deux, sous les arbres sans bruit ;
Puis, folle, et rappelant les ombres éloignées,
La musique, jetant les notes à poignées,
Revient, et les regards s'allument, et l'archet,
Bondissant, ressaisit la foule qui marchait.
Ô délire ! et d'encens et de bruit enivrées,
L'heure emporte en riant les rapides soirées,
Et les nuits et les jours, feuilles mortes des cieux.
D'autres, toute la nuit, roulent les dés joyeux,
Ou bien, âpre, et mêlant les cartes qu'ils caressent,
Où des spectres riants ou sanglants apparaissent,
Leur soif de l'or, penchée autour d'un tapis vert,
Jusqu'à ce qu'au volet le jour bâille entr'ouvert,
Poursuit le pharaon, le lansquenet ou l'hombre ;
Et, pendant qu'on gémit et qu'on frémit dans l'ombre,
Pendant que le
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige,
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.

Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !
Paul d'Aubin Dec 2014
atherien [1]

Que tu étais vive et jolie
sous les flambées très ondulées
de ta chevelure rousse,
comme un incendie en brousse.

Ardente et vive tu étais,
à soigner les corps et les maux,
de tes malades, un peu tes enfants,
dont je crois que tu n’avais pas.

Dans ton cabinet de la « rue des soupirs »,
tu ravissais des vies promises
à la Mort hideuse et cruelle
qui se vengea de cette offense.

Et pourtant ta science et ta passion
resteront inoubliées de tes malades
et ta photo de la belle naïade continue à nous charmer
dans la salle d’attente comme un diamant très pur.

Oh, jeune docteur Soleilhavoup
Comment se fait il que tu la vie t’ait été ôtée si tôt
par l’infâme camarde, hélas, de la vie toujours victorieuse ?
vielle blafarde qui hait les médecins comme autant d’obstacles à la malfaisance de sa faux.

Paul Arrighi – Toulouse – le 15-11-2008

[1] Ce poème fut commencé le 24 -01-2009, sous le choc et la douleur du décès d’une jeune doctoresse si secourables. Jamais alors je n’imaginais que, ce si jeune femme ait pu partir la première. Son décès fulgurant vient l’injustice et le chaos qui régissent le règne des maladies et l’insolent scandale des jeunes vies écourtées.
( Elegy for The youg doctor Catherine Soleilhavoup from Touluse
O sweet pain, help me
your claws sends me to paradise
but it rips my soul and humanity
and that is too high of a price

I got nothing left, Im broke
and yet, I keep paying
I hate it I'm disgusting
all I wish is to be gone in smoke

Without a soul I'm dying
It hurts so much; I love it
I just deserve it

Life was short and painfull
but Im just dust
with a heart filled with rust

O douce soufrance, reconforte moi
Je te hait mais j'y revien toujours
Tes griffe sanglante me font roi
je te hait et m'en irai un jour

Esseyant de me tuer
Je suis mon Antechrist
Je suis mon Christ
Esseyant de me sauver

Je rampe a default de marcher
s'il n'y a de héro je le saurai
just, va t'en laisse moi soufrir

Si tu continue tu ve redevenir
rien de plus que poussière
avec un coeur de verre
I personnaly prefer the french version
Ô temps miraculeux ! ô gaîtés homériques !
Ô rires de l'Europe et des deux Amériques !
Croûtes qui larmoyez ! bons dieux mal accrochés
Qui saignez dans vos coins ! madones qui louchez !
Phénomènes vivants ! ô choses inouïes !
Candeurs ! énormités au jour épanouies !
Le goudron déclaré fétide par le suif,
Judas flairant Shylock et criant : c'est un juif !
L'arsenic indigné dénonçant la morphine,
La hotte injuriant la borne, Messaline
Reprochant à Goton son regard effronté,
Et Dupin accusant Sauzet de lâcheté !

Oui, le vide-gousset flétrit le tire-laine,
Falstaff montre du doigt le ventre de Silène,
Lacenaire, pudique et de rougeur atteint,
Dit en baissant les yeux : J'ai vu passer Castaing !

Je contemple nos temps. J'en ai le droit, je pense.
Souffrir étant mon lot, rire est ma récompense.
Je ne sais pas comment cette pauvre Clio
Fera pour se tirer de cet imbroglio.
Ma rêverie au fond de ce règne pénètre,
Quand, ne pouvant dormir, la nuit, à ma fenêtre,
Je songe, et que là-bas, dans l'ombre, à travers l'eau,
Je vois briller le phare auprès de Saint-Malo.

Donc ce moment existe ! il est ! Stupeur risible !
On le voit ; c'est réel, et ce n'est pas possible.
L'empire est là, refait par quelques sacripants.
Bonaparte le Grand dormait. Quel guet-apens !
Il dormait dans sa tombe, absous par la patrie.
Tout à coup des brigands firent une tuerie
Qui dura tout un jour et du soir au matin ;
Napoléon le Nain en sortit. Le destin,
De l'expiation implacable ministre,
Dans tout ce sang versé trempa son doigt sinistre
Pour barbouiller, affront à la gloire en lambeau,
Cette caricature au mur de ce tombeau.

Ce monde-là prospère. Il prospère, vous dis-je !
Embonpoint de la honte ! époque callipyge !
Il trône, ce cokney d'Eglinton et d'Epsom,
Qui, la main sur son cœur, dit : Je mens, ergo sum.
Les jours, les mois, les ans passent ; ce flegmatique,
Ce somnambule obscur, brusquement frénétique,
Que Schœlcher a nommé le président Obus,
Règne, continuant ses crimes en abus.
Ô spectacle ! en plein jour, il marche et se promène,
Cet être horrible, insulte à la figure humaine !
Il s'étale effroyable, ayant tout un troupeau
De Suins et de Fortouls qui vivent sur sa peau,
Montrant ses nudités, cynique, infâme, indigne,
Sans mettre à son Baroche une feuille de vigne !
Il rit de voir à terre et montre à Machiavel
Sa parole d'honneur qu'il a tuée en duel.
Il sème l'or ; - venez ! - et sa largesse éclate.
Magnan ouvre sa griffe et Troplong tend sa patte.
Tout va. Les sous-coquins aident le drôle en chef.
Tout est beau, tout est bon, et tout est juste ; bref,
L'église le soutient, l'opéra le constate.
Il vola ! Te Deum. Il égorgea ! cantate.

Lois, mœurs, maître, valets, tout est à l'avenant.
C'est un bivouac de gueux, splendide et rayonnant.
Le mépris bat des mains, admire, et dit : courage !
C'est hideux. L'entouré ressemble à l'entourage.
Quelle collection ! quel choix ! quel Œil-de-boeuf !
L'un vient de Loyola, l'autre vient de Babeuf !
Jamais vénitiens, romains et bergamasques
N'ont sous plus de sifflets vu passer plus de masques.
La société va sans but, sans jour, sans droit,
Et l'envers de l'habit est devenu l'endroit.
L'immondice au sommet de l'état se déploie.
Les chiffonniers, la nuit, courbés, flairant leur proie,
Allongent leurs crochets du côté du sénat.
Voyez-moi ce coquin, normand, corse, auvergnat :
C'était fait pour vieillir bélître et mourir cuistre ;
C'est premier président, c'est préfet, c'est ministre.
Ce truand catholique au temps jadis vivait
Maigre, chez Flicoteaux plutôt que chez Chevet ;
Il habitait au fond d'un bouge à tabatière
Un lit fait et défait, hélas, par sa portière,
Et griffonnait dès l'aube, amer, affreux, souillé,
Exhalant dans son trou l'odeur d'un chien mouillé.
Il conseille l'état pour ving-cinq mille livres
Par an. Ce petit homme, étant teneur de livres
Dans la blonde Marseille, au pays du mistral,
Fit des faux. Le voici procureur général.
Celui-là, qui courait la foire avec un singe,
Est député ; cet autre, ayant fort peu de linge,
Sur la pointe du pied entrait dans les logis
Où bâillait quelque armoire aux tiroirs élargis,
Et du bourgeois absent empruntait la tunique
Nul mortel n'a jamais, de façon plus cynique,
Assouvi le désir des chemises d'autrui ;
Il était grinche hier, il est juge aujourd'hui.
Ceux-ci, quand il leur plaît, chapelains de la clique,
Au saint-père accroupi font pondre une encyclique ;
Ce sont des gazetiers fort puissants en haut lieu,
Car ils sont les amis particuliers de Dieu
Sachez que ces béats, quand ils parlent du temple
Comme de leur maison, n'ont pas tort ; par exemple,
J'ai toujours applaudi quand ils ont affecté
Avec les saints du ciel des airs d'intimité ;
Veuillot, certe, aurait pu vivre avec Saint-Antoine.
Cet autre est général comme on serait chanoine,
Parce qu'il est très gras et qu'il a trois mentons.
Cet autre fut escroc. Cet autre eut vingt bâtons
Cassés sur lui. Cet autre, admirable canaille,
Quand la bise, en janvier, nous pince et nous tenaille,
D'une savate oblique écrasant les talons,
Pour se garer du froid mettait deux pantalons
Dont les trous par bonheur n'étaient pas l'un sur l'autre.
Aujourd'hui, sénateur, dans l'empire il se vautre.
Je regrette le temps que c'était dans l'égout.
Ce ventre a nom d'Hautpoul, ce nez a nom d'Argout.
Ce prêtre, c'est la honte à l'état de prodige.
Passons vite. L'histoire abrège, elle rédige
Royer d'un coup de fouet, Mongis d'un coup de pied,
Et fuit. Royer se frotte et Mongis se rassied ;
Tout est dit. Que leur fait l'affront ? l'opprobre engraissé.
Quant au maître qui hait les curieux, la presse,
La tribune, et ne veut pour son règne éclatant
Ni regards, ni témoins, il doit être content
Il a plus de succès encor qu'il n'en exige ;
César, devant sa cour, son pouvoir, son quadrige,
Ses lois, ses serviteurs brodés et galonnés,
Veut qu'on ferme les veux : on se bouche le nez.

Prenez ce Beauharnais et prenez une loupe ;
Penchez-vous, regardez l'homme et scrutez la troupe.
Vous n'y trouverez pas l'ombre d'un bon instinct.
C'est vil et c'est féroce. En eux l'homme est éteint
Et ce qui plonge l'âme en des stupeurs profondes,
C'est la perfection de ces gredins immondes.

À ce ramas se joint un tas d'affreux poussahs,
Un tas de Triboulets et de Sancho Panças.
Sous vingt gouvernements ils ont palpé des sommes.
Aucune indignité ne manque à ces bonshommes ;
Rufins poussifs, Verrès goutteux, Séjans fourbus,
Selles à tout tyran, sénateurs omnibus.
On est l'ancien soudard, on est l'ancien bourgmestre ;
On tua Louis seize, on vote avec de Maistre ;
Ils ont eu leur fauteuil dans tous les Luxembourgs ;
Ayant vu les Maurys, ils sont faits aux Sibours ;
Ils sont gais, et, contant leurs antiques bamboches,
Branlent leurs vieux gazons sur leurs vieilles caboches.
Ayant été, du temps qu'ils avaient un cheveu,
Lâches sous l'oncle, ils sont abjects sous le neveu.
Gros mandarins chinois adorant le tartare,
Ils apportent leur cœur, leur vertu, leur catarrhe,
Et prosternent, cagneux, devant sa majesté
Leur bassesse avachie en imbécillité.

Cette bande s'embrasse et se livre à des joies.
Bon ménage touchant des vautours et des oies !

Noirs empereurs romains couchés dans les tombeaux,
Qui faisiez aux sénats discuter les turbots,
Toi, dernière Lagide, ô reine au cou de cygne,
Prêtre Alexandre six qui rêves dans ta vigne,
Despotes d'Allemagne éclos dans le Rœmer,
Nemrod qui hais le ciel, Xercès qui bats la mer,
Caïphe qui tressas la couronne d'épine,
Claude après Messaline épousant Agrippine,
Caïus qu'on fit césar, Commode qu'on fit dieu,
Iturbide, Rosas, Mazarin, Richelieu,
Moines qui chassez Dante et brisez Galilée,
Saint-office, conseil des dix, chambre étoilée,
Parlements tout noircis de décrets et d'olims,
Vous sultans, les Mourads, les Achmets, les Sélims,
Rois qu'on montre aux enfants dans tous les syllabaires,
Papes, ducs, empereurs, princes, tas de Tibères !
Bourreaux toujours sanglants, toujours divinisés,
Tyrans ! enseignez-moi, si vous le connaissez,
Enseignez-moi le lieu, le point, la borne où cesse
La lâcheté publique et l'humaine bassesse !

Et l'archet frémissant fait bondir tout cela !
Bal à l'hôtel de ville, au Luxembourg gala.
Allons, juges, dansez la danse de l'épée !
Gambade, ô Dombidau, pour l'onomatopée !
Polkez, Fould et Maupas, avec votre écriteau,
Toi, Persil-Guillotine, au profil de couteau !

Ours que Boustrapa montre et qu'il tient par la sangle,
Valsez, Billault, Parieu, Drouyn, Lebœuf, Delangle !
Danse, Dupin ! dansez, l'horrible et le bouffon !
Hyènes, loups, chacals, non prévus par Buffon,
Leroy, Forey, tueurs au fer rongé de rouilles,
Dansez ! dansez, Berger, d'Hautpoul, Murat, citrouilles !

Et l'on râle en exil, à Cayenne, à Blidah !
Et sur le Duguesclin, et sur le Canada,
Des enfants de dix ans, brigands qu'on extermine,
Agonisent, brûlés de fièvre et de vermine !
Et les mères, pleurant sous l'homme triomphant,
Ne savent même pas où se meurt leur enfant !
Et Samson reparaît, et sort de ses retraites !
Et, le soir, on entend, sur d'horribles charrettes
Qui traversent la ville et qu'on suit à pas lents,
Quelque chose sauter dans des paniers sanglants !
Oh ! laissez ! laissez-moi m'enfuir sur le rivage !
Laissez-moi respirer l'odeur du flot sauvage !
Jersey rit, terre libre, au sein des sombres mers ;
Les genêts sont en fleur, l'agneau paît les prés verts ;
L'écume jette aux rocs ses blanches mousselines ;
Par moments apparaît, au sommet des collines,
Livrant ses crins épars au vent âpre et joyeux,
Un cheval effaré qui hennit dans les cieux !

Jersey, le 24 mai 1853.
À force d'insulter les vaillants et les justes,
À force de flatter les trahisons augustes,
À force d'être abject et d'ajuster des tas
De sophismes hideux aux plus noirs attentats,
Cet homme espère atteindre aux grandeurs ; il s'essouffle
À passer scélérat, lui qui n'est que maroufle.
Ce pédagogue aspire au grade de coquin.
Ce rhéteur, ver de terre et de lettres, pasquin
Qui s'acharne sur nous et dont toujours nous rîmes,
Tâche d'être promu complice des grands crimes.
Il raillait l'art, et c'est tout simple en vérité,
La laideur est aveugle et sourde à la beauté.
Mais être un idiot ne peut plus lui suffire,
Il est jaloux du tigre à qui la peur dit : sire !
Il veut être aussi lui sénateur des forêts ;
Il veut avoir, ainsi que Montluc ou Verrès,
Sa caverne ou sa cage avec grilles et trappes
Dans la ménagerie énorme des satrapes.
Ah çà, tu perds ton temps et ta peine, grimaud !
Aliboron n'est pas aisément Béhémoth ;
Le burlesque n'est pas facilement sinistre ;
Fusses-tu meurtrier, tu demeurerais cuistre.
Quand ces êtres sanglants qu'il te plaît d'envier,
Mammons que hait Tacite et qu'admire Cuvier,
Sont là, brigands et dieux, on n'entre pas d'emblée
Dans leur épouvantable et royale assemblée.
Devenir historique ! Impossible pour toi.
Sortir du mépris simple et compter dans l'effroi,
Toi, jamais ! Ton front bas exclut ce noir panache.
Ton sort est d'être, jeune, inepte ; et, vieux, ganache.
Vers l'avancement vrai tu n'as point fait un pas ;
Tu te gonfles, crapaud, mais tu n'augmentes pas ;
Si Myrmidon croissait, ce serait du désordre ;
Tu parviens à ramper sans parvenir à mordre.
La nature n'a pas de force à dépenser
Pour te faire grandir et te faire pousser.
Quoi donc ! N'est-elle point l'impassible nature ?
Parce que des têtards, nourris de pourriture,
Souhaitent devenir dragons et caïmans,
Elle consentirait à ces grossissements !
Le ver serait boa ! L'huître deviendrait l'hydre !
Locuste empoisonnait le vin, et non le cidre ;
L'enfer fit Arétin terrible, et non Brusquet.
Un avorton ne peut qu'avorter. Le roquet
S'efforce d'être loup, mais il s'arrête en route.
Le ciel mystérieux fait des guépards sans doute,
De fiers lions bandits, pires que les démons,
Des éléphants, des ours ; mais il livre les monts,
Les antres et les bois à leur majesté morne !
Mais il lui faut l'espace et les sables sans borne
Et l'immense désert pour les démuseler !
Le chat qui veut rugir ne peut que miauler ;
En vain il copierait le grand jaguar lyrique
Errant sur la falaise au bord des mers d'Afrique,
Et la panthère horrible, et le lynx moucheté ;
Dieu ne fait pas monter jusqu'à la dignité
De crime, de furie et de scélératesse,
Cette méchanceté faite de petitesse.
Les montagnes, pignons et murs de granit noir
D'où tombent les torrents affreux, riraient de voir
Ce preneur de souris rôder sur leur gouttière.
Un nain ne devient pas géant au vestiaire.
Pour être un dangereux et puissant animal,
Il faut qu'un grand rayon tombe sur vous ; le mal
N'arrive pas toujours à sa hideuse gloire.
Dieu tolère, c'est vrai, la création noire,
Mais d'aussi plats que toi ne sont pas exaucés.
Tu ne parviendras pas, drôle, à t'enfler assez
Pour être un python vaste et sombre au fond des fanges ;
Tu n'égaleras point ces reptiles étranges
Dont l'œil aux soupiraux de l'enfer est pareil.
Tu demeureras laid, faible et mou. Le soleil
Dédaigne le lézard, candidat crocodile.

Sois un cœur monstrueux, mais reste une âme vile.
(À Brunette, le chien de Sophie.)


Objet si cher à ma Sophie,
Toi que nourrit sa belle main,
Toi qui passes toute ta vie
Entre ses genoux et son sein ;
Que ton sort, heureuse Brunette,
Hélas ! est différent du mien !
En amant elle traite un chien,
En chien, c'est l'amant qu'elle traite.

Et pourtant, cette préférence
Qui peut te l'obtenir sur moi ?
Ai-je moins de persévérance,
Moins de fidélité que toi ?
De mes fers **** que je m'échappe,
Enchaîné sans aucuns liens,
Toujours battu, toujours je viens
Baiser cette main qui me frappe.

Le pur sentiment qui m'enflamme
Vaut ton instinct, s'il ne vaut mieux ;
Et le feu qui brûle en mon âme
Vaut le feu qui brille en tes yeux :
Mais près de ma beauté suprême
Je suis trop coupable en effet,
Quand je hais tout ce qu'elle hait,
De n'aimer pas tout ce qu'elle aime.

Dans le dépit qui me transporte,
Souvent je ne connais plus rien.
Le grelot que Brunette porte
Serait mieux à mon cou qu'au sien.
Soins, constance, pleurs, sacrifice,
Je vous crois perdus sans retour :
Je n'espère plus de l'amour ;
Mais j'espère encor du caprice.

Écrit en 1792.
Riqui Holla Oct 2013
France
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789
Une Devise
trois mots
Liberté, Égalité, Fraternité
un parti
FN
mais où va mon pays ???
j'ai peur ...
mes amis arabes
mes amis africains
mes amis, mes amis
vous n'avez pas de chance
vous vivez dans un pays qui sous-estime vos talents
un pays qui vous juge pour votre couleur
un pays qui hait le mot arabe
...
étant petit j'ai appris
mais ou est donc or ni car

j'écris
mais ou est donc
La Liberté
l'Égalité
La Fraternité

mais ou est donc
votre
COEUR
...
**Omertà
Pourtant, si tu m'aimais ! si cette raillerie

Avait jeté racine et germé sourdement ;

Si, moi qui me jouais, si tu m'avais, Marie,

De la bouche et du cœur appelé ton amant !


Si je t'avais trompée, et si j'avais su rendre

Si puissant et si doux mon sourire moqueur.

Que ton âme crédule ait pu se laisser prendre

Aux semblants d'un amour qui n'est point dans mon cœur,


Malheur à tous les deux ! Tôt ou **** l'imposture

Rapportera ses fruits d'angoisse et de douleur ;

Et toi, qui n'a rien fait, toi, pauvre créature,

Tu prendras comme moi ta moitié du malheur.


Et si j'avais dit vrai ; cependant, quand j'y songe...

Ô femme ! vois un peu ce que c'est que de nous !

Pour peu que cette voix, qui riait du mensonge.

Eût de torrents d'amour inondé tes genoux !


Comme un berceau d'enfant à la branche fleurie,

Si j'avais suspendu mon bonheur à tes pas,

Malheur, encor malheur ! car cette fois, Marie,

Hélas ! ce serait toi qui ne m'aimerais pas !


Était-ce donc ta loi, pitoyable nature.

De reculer toujours le but que j'entrevois,

Et de ne mettre au cœur de chaque créature

Qu'un désir sans espoir, et qu'un écho sans voix.


Ô malédiction ! était-ce ton envie

De n'accomplir jamais qu'une part du souhait,

Et le seul avenir est-il pour cette vie,

De haïr qui nous aime, ou d'aimer qui nous hait.
Mon rêve le plus cher et le plus caressé,

Le seul qui rit encore à mon cœur oppressé,

C'est de m'ensevelir au fond d'une chartreuse,

Dans une solitude inabordable, affreuse ;

****, bien ****, tout là-bas, dans quelque Sierra

Bien sauvage, où jamais voix d'homme ne vibra,

Dans la forêt de pins, parmi les âpres roches,

Où n'arrive pas même un bruit lointain de cloches ;

Dans quelque Thébaïde, aux lieux les moins hantés,

Comme en cherchaient les saints pour leurs austérités ;

Sous la grotte où grondait le lion de Jérôme,

Oui, c'est là que j'irais pour respirer ton baume

Et boire la rosée à ton calice ouvert,

Ô frêle et chaste fleur, qui crois dans le désert

Aux fentes du tombeau de l'Espérance morte !

De non cœur dépeuplé je fermerais la porte

Et j'y ferais la garde, afin qu'un souvenir

Du monde des vivants n'y pût pas revenir ;

J'effacerais mon nom de ma propre mémoire ;

Et de tous ces mots creux : Amour, Science et Gloire

Qu'aux jours de mon avril mon âme en fleur rêvait,

Pour y dormir ma nuit j'en ferais un chevet ;

Car je sais maintenant que vaut cette fumée

Qu'au-dessus du néant pousse une renommée.

J'ai regardé de près et la science et l'art :

J'ai vu que ce n'était que mensonge et hasard ;

J'ai mis sur un plateau de toile d'araignée

L'amour qu'en mon chemin j'ai reçue et donnée :

Puis sur l'autre plateau deux grains du vermillon

Impalpable, qui teint l'aile du papillon,

Et j'ai trouvé l'amour léger dans la balance.

Donc, reçois dans tes bras, ô douce somnolence,

Vierge aux pâles couleurs, blanche sœur de la mort,

Un pauvre naufragé des tempêtes du sort !

Exauce un malheureux qui te prie et t'implore,

Egraine sur son front le pavot inodore,

Abrite-le d'un pan de ton grand manteau noir,

Et du doigt clos ses yeux qui ne veulent plus voir.

Vous, esprits du désert, cependant qu'il sommeille,

Faites taire les vents et bouchez son oreille,

Pour qu'il n'entende pas le retentissement

Du siècle qui s'écroule, et ce bourdonnement

Qu'en s'en allant au but où son destin la mène

Sur le chemin du temps fait la famille humaine !


Je suis las de la vie et ne veux pas mourir ;

Mes pieds ne peuvent plus ni marcher ni courir ;

J'ai les talons usés de battre cette route

Qui ramène toujours de la science au doute.

Assez, je me suis dit, voilà la question.


Va, pauvre rêveur, cherche une solution

Claire et satisfaisante à ton sombre problème,

Tandis qu'Ophélia te dit tout haut : Je t'aime ;

Mon beau prince danois marche les bras croisés,

Le front dans la poitrine et les sourcils froncés,

D'un pas lent et pensif arpente le théâtre,

Plus pâle que ne sont ces figures d'albâtre,

Pleurant pour les vivants sur les tombeaux des morts ;

Épuise ta vigueur en stériles efforts,

Et tu n'arriveras, comme a fait Ophélie,

Qu'à l'abrutissement ou bien à la folie.

C'est à ce degré-là que je suis arrivé.

Je sens ployer sous moi mon génie énervé ;

Je ne vis plus ; je suis une lampe sans flamme,

Et mon corps est vraiment le cercueil de mon âme.


Ne plus penser, ne plus aimer, ne plus haïr,

Si dans un coin du cœur il éclot un désir,

Lui couper sans pitié ses ailes de colombe,

Être comme est un mort, étendu sous la tombe,

Dans l'immobilité savourer lentement,

Comme un philtre endormeur, l'anéantissement :

Voilà quel est mon vœu, tant j'ai de lassitude,

D'avoir voulu gravir cette côte âpre et rude,

Brocken mystérieux, où des sommets nouveaux

Surgissent tout à coup sur de nouveaux plateaux,

Et qui ne laisse voir de ses plus hautes cimes

Que l'esprit du vertige errant sur les abîmes.


C'est pourquoi je m'assieds au revers du fossé,

Désabusé de tout, plus voûté, plus cassé

Que ces vieux mendiants que jusques à la porte

Le chien de la maison en grommelant escorte.

C'est pourquoi, fatigué d'errer et de gémir,

Comme un petit enfant, je demande à dormir ;

Je veux dans le néant renouveler mon être,

M'isoler de moi-même et ne plus me connaître ;

Et comme en un linceul, sans y laisser un seul pli,

Rester enveloppé dans mon manteau d'oubli.


J'aimerais que ce fût dans une roche creuse,

Au penchant d'une côte escarpée et pierreuse,

Comme dans les tableaux de Salvator Rosa,

Où le pied d'un vivant jamais ne se posa ;

Sous un ciel vert, zébré de grands nuages fauves,

Dans des terrains galeux clairsemés d'arbres chauves,

Avec un horizon sans couronne d'azur,

Bornant de tous côtés le regard comme un mur,

Et dans les roseaux secs près d'une eau noire et plate

Quelque maigre héron debout sur une patte.

Sur la caverne, un pin, ainsi qu'un spectre en deuil

Qui tend ses bras voilés au-dessus d'un cercueil,

Tendrait ses bras en pleurs, et du haut de la voûte

Un maigre filet d'eau suintant goutte à goutte,

Marquerait par sa chute aux sons intermittents

Le battement égal que fait le cœur du temps.

Comme la Niobé qui pleurait sur la roche,

Jusqu'à ce que le lierre autour de moi s'accroche,

Je demeurerais là les genoux au menton,

Plus ployé que jamais, sous l'angle d'un fronton,

Ces Atlas accroupis gonflant leurs nerfs de marbre ;

Mes pieds prendraient racine et je deviendrais arbre ;

Les faons auprès de moi tondraient le gazon ras,

Et les oiseaux de nuit percheraient sur mes bras.


C'est là ce qu'il me faut plutôt qu'un monastère ;

Un couvent est un port qui tient trop à la terre ;

Ma nef tire trop d'eau pour y pouvoir entrer

Sans en toucher le fond et sans s'y déchirer.

Dût sombrer le navire avec toute sa charge,

J'aime mieux errer seul sur l'eau profonde et large.

Aux barques de pêcheur l'anse à l'abri du vent,

Aux simples naufragés de l'âme, le couvent.

À moi la solitude effroyable et profonde,

Par dedans, par dehors !


Par dedans, par dehors ! Un couvent, c'est un monde ;

On y pense, on y rêve, on y prie, on y croit :

La mort n'est que le seuil d'une autre vie ; on voit

Passer au long du cloître une forme angélique ;

La cloche vous murmure un chant mélancolique ;

La Vierge vous sourit, le bel enfant Jésus

Vous tend ses petits bras de sa niche ; au-dessus

De vos fronts inclinés, comme un essaim d'abeilles,

Volent les Chérubins en légions vermeilles.

Vous êtes tout espoir, tout joie et tout amour,

À l'escalier du ciel vous montez chaque jour ;

L'extase vous remplit d'ineffables délices,

Et vos cœurs parfumés sont comme des calices ;

Vous marchez entourés de célestes rayons

Et vos pieds après vous laissent d'ardents sillons !


Ah ! grands voluptueux, sybarites du cloître,

Qui passez votre vie à voir s'ouvrir et croître

Dans le jardin fleuri de la mysticité,

Les pétales d'argent du lis de pureté,

Vrais libertins du ciel, dévots Sardanapales,

Vous, vieux moines chenus, et vous, novices pâles,

Foyers couverts de cendre, encensoirs ignorés,

Quel don Juan a jamais sous ses lambris dorés

Senti des voluptés comparables aux vôtres !

Auprès de vos plaisirs, quels plaisirs sont les nôtres !

Quel amant a jamais, à l'âge où l'œil reluit,

Dans tout l'enivrement de la première nuit,

Poussé plus de soupirs profonds et pleins de flamme,

Et baisé les pieds nus de la plus belle femme

Avec la même ardeur que vous les pieds de bois

Du cadavre insensible allongé sur la croix !

Quelle bouche fleurie et d'ambroisie humide,

Vaudrait la bouche ouverte à son côté livide !

Notre vin est grossier ; pour vous, au lieu de vin,

Dans un calice d'or perle le sang divin ;

Nous usons notre lèvre au seuil des courtisanes,

Vous autres, vous aimez des saintes diaphanes,

Qui se parent pour vous des couleurs des vitraux

Et sur vos fronts tondus, au détour des arceaux,

Laissent flotter le bout de leurs robes de gaze :

Nous n'avons que l'ivresse et vous avez l'extase.

Nous, nos contentements dureront peu de jours,

Les vôtres, bien plus vifs, doivent durer toujours.

Calculateurs prudents, pour l'abandon d'une heure,

Sur une terre où nul plus d'un jour ne demeure,

Vous achetez le ciel avec l'éternité.

Malgré ta règle étroite et ton austérité,

Maigre et jaune Rancé, tes moines taciturnes

S'entrouvrent à l'amour comme des fleurs nocturnes,

Une tête de mort grimaçante pour nous

Sourit à leur chevet du rire le plus doux ;

Ils creusent chaque jour leur fosse au cimetière,

Ils jeûnent et n'ont pas d'autre lit qu'une bière,

Mais ils sentent vibrer sous leur suaire blanc,

Dans des transports divins, un cœur chaste et brûlant ;

Ils se baignent aux flots de l'océan de joie,

Et sous la volupté leur âme tremble et ploie,

Comme fait une fleur sous une goutte d'eau,

Ils sont dignes d'envie et leur sort est très-beau ;

Mais ils sont peu nombreux dans ce siècle incrédule

Creux qui font de leur âme une lampe qui brûle,

Et qui peuvent, baisant la blessure du Christ,

Croire que tout s'est fait comme il était écrit.

Il en est qui n'ont pas le don des saintes larmes,

Qui veillent sans lumière et combattent sans armes ;

Il est des malheureux qui ne peuvent prier

Et dont la voix s'éteint quand ils veulent crier ;

Tous ne se baignent pas dans la pure piscine

Et n'ont pas même part à la table divine :

Moi, je suis de ce nombre, et comme saint Thomas,

Si je n'ai dans la plaie un doigt, je ne crois pas.


Aussi je me choisis un antre pour retraite

Dans une région détournée et secrète

D'où l'on n'entende pas le rire des heureux

Ni le chant printanier des oiseaux amoureux,

L'antre d'un loup crevé de faim ou de vieillesse,

Car tout son m'importune et tout rayon me blesse,

Tout ce qui palpite, aime ou chante, me déplaît,

Et je hais l'homme autant et plus que ne le hait

Le buffle à qui l'on vient de percer la narine.

De tous les sentiments croulés dans la ruine,

Du temple de mon âme, il ne reste debout

Que deux piliers d'airain, la haine et le dégoût.

Pourtant je suis à peine au tiers de ma journée ;

Ma tête de cheveux n'est pas découronnée ;

À peine vingt épis sont tombés du faisceau :

Je puis derrière moi voir encore mon berceau.

Mais les soucis amers de leurs griffes arides

M'ont fouillé dans le front d'assez profondes rides

Pour en faire une fosse à chaque illusion.

Ainsi me voilà donc sans foi ni passion,

Désireux de la vie et ne pouvant pas vivre,

Et dès le premier mot sachant la fin du livre.

Car c'est ainsi que sont les jeunes d'aujourd'hui :

Leurs mères les ont faits dans un moment d'ennui.

Et qui les voit auprès des blancs sexagénaires

Plutôt que les enfants les estime les pères ;

Ils sont venus au monde avec des cheveux gris ;

Comme ces arbrisseaux frêles et rabougris

Qui, dès le mois de mai, sont pleins de feuilles mortes,

Ils s'effeuillent au vent, et vont devant leurs portes

Se chauffer au soleil à côté de l'aïeul,

Et du jeune et du vieux, à coup sûr, le plus seul,

Le moins accompagné sur la route du monde,

Hélas ! C'est le jeune homme à tête brune ou blonde

Et non pas le vieillard sur qui l'âge a neigé ;

Celui dont le navire est le plus allégé

D'espérance et d'amour, lest divin dont on jette

Quelque chose à la mer chaque jour de tempête,

Ce n'est pas le vieillard, dont le triste vaisseau

Va bientôt échouer à l'écueil du tombeau.

L'univers décrépit devient paralytique,

La nature se meurt, et le spectre critique

Cherche en vain sous le ciel quelque chose à nier.

Qu'attends-tu donc, clairon du jugement dernier ?

Dis-moi, qu'attends-tu donc, archange à bouche ronde

Qui dois sonner là-haut la fanfare du monde ?

Toi, sablier du temps, que Dieu tient dans sa main,

Quand donc laisseras-tu tomber ton dernier grain ?
Qu'il est joyeux aujourd'hui
Le chêne aux rameaux sans nombre,
Mystérieux point d'appui
De toute la forêt sombre !

Comme quand nous triomphons,
Il frémit, l'arbre civique ;
Il répand à plis profonds
Sa grande ombre magnifique.

D'où lui vient cette gaieté ?
D'où vient qu'il vibre et se dresse,
Et semble faire à l'été
Une plus fière caresse ?

C'est le quatorze juillet.
À pareil jour, sur la terre
La liberté s'éveillait
Et riait dans le tonnerre.

Peuple, à pareil jour râlait
Le passé, ce noir pirate ;
Paris prenait au collet
La Bastille scélérate.

À pareil jour, un décret
Chassait la nuit de la France,
Et l'infini s'éclairait
Du côté de l'espérance.

Tous les ans, à pareil jour,
Le chêne au Dieu qui nous crée
Envoie un frisson d'amour,
Et rit à l'aube sacrée.

Il se souvient, tout joyeux,
Comme on lui prenait ses branches !
L'âme humaine dans les cieux,
Fière, ouvrait ses ailes blanches.

Car le vieux chêne est gaulois :
Il hait la nuit et le cloître ;
Il ne sait pas d'autres lois
Que d'être grand et de croître.

Il est grec, il est romain ;
Sa cime monte, âpre et noire,
Au-dessus du genre humain
Dans une lueur de gloire.

Sa feuille, chère aux soldats,
Va, sans peur et sans reproche,
Du front d'Epaminondas
À l'uniforme de Hoche.

Il est le vieillard des bois ;
Il a, richesse de l'âge,
Dans sa racine Autrefois,
Et Demain dans son feuillage.

Les rayons, les vents, les eaux,
Tremblent dans toutes ses fibres ;
Comme il a besoin d'oiseaux,
Il aime les peuples libres.

C'est son jour. Il est content.
C'est l'immense anniversaire.
Paris était haletant.
La lumière était sincère.

Au **** roulait le tambour...?
Jour béni ! jour populaire,
Où l'on vit un chant d'amour
Sortir d'un cri de colère !

Il tressaille, aux vents bercé,
Colosse où dans l'ombre austère
L'avenir et le passé
Mêlent leur double mystère.

Les éclipses, s'il en est,
Ce vieux naïf les ignore.
Il sait que tout ce qui naît,
L'oeuf muet, le vent sonore,

Le nid rempli de bonheur,
La fleur sortant des décombres,
Est la parole d'honneur
Que Dieu donne aux vivants sombres.

Il sait, calme et souriant,
Sérénité formidable !
Qu'un peuple est un orient,
Et que l'astre est imperdable.

Il me salue en passant,
L'arbre auguste et centenaire ;
Et dans le bois innocent
Qui chante et que je vénère,

Étalant mille couleurs,
Autour du chêne superbe
Toutes les petites fleurs
Font leur toilette dans l'herbe.

L'aurore aux pavots dormants
Verse sa coupe enchantée ;
Le lys met ses diamants ;
La rose est décolletée.

Aux chenilles de velours
Le jasmin tend ses aiguières ;
L'arum conte ses amours,
Et la garance ses guerres.

Le moineau-franc, ***, taquin,
Dans le houx qui se pavoise,
D'un refrain républicain
Orne sa chanson grivoise.

L'ajonc rit près du chemin ;
Tous les buissons des ravines
Ont leur bouquet à la main ;
L'air est plein de voix divines.

Et ce doux monde charmant,
Heureux sous le ciel prospère,
Épanoui, dit gaiement :
C'est la fête du grand-père.
(Ajoutée dans l'Édition des Souscripteurs de 1849.)

Que l'on soit homme ou Dieu, tout génie est martyre :
Du supplice plus **** on baise l'instrument ;
L'homme adore la croix où sa victime expire,
Et du cachot du Tasse enchâsse le ciment.

Prison du Tasse ici, de Galilée à Rome,
Échafaud de Sidney, bûchers, croix ou tombeaux,
Ah ! vous donnez le droit de bien mépriser l'homme,
Qui veut que Dieu l'éclaire, et qui hait ses flambeaux !

Grand parmi les petits, libre chez les serviles,
Si le génie expire, il l'a bien mérité ;
Car nous dressons partout aux portes de nos villes
Ces gibets de la gloire et de la vérité.

**** de nous amollir, que ce sort nous retrempe !
Sachons le prix du don, mais ouvrons notre main.
Nos pleurs et notre sang son l'huile de la lampe
Que Dieu nous fait porter devant le genre humain !
J'ai dit à l'esprit vain, à l'ostentation,

L'Ilion de l'orgueil futile, le Sion

De la frivolité sans cœur et sans entrailles,

La citadelle enfin du Faux :

« Croulez, murailles

Ridicules et pis, remparts bêtes et pis.

Contrescarpes, sautez comme autant de tapis

Qu'un valet matinal aux fenêtres secoue,

Fossés que l'eau remplit, concrétez-vous en boue

Qu'il ne reste plus rien qu'un souvenir banal

De tout votre appareil, et que cet arsenal,

Chics fougueux et froids, mots secs, phrase redondante,

Et cætera, se rende à l'émeute grondante

Des sentiments enfin naturels et réels. »


Ah ! j'en suis revenu, des « dandysmes » « cruels »

Vrais ou faux, dans la vie (accident ou coutume)

Ou dans l'art ou tout bêtement dans le costume.

Le vêtement de son état avec le moins

De taches et de trous possible, apte aux besoins,

Aux lies, aux chics qu'il faut, le linge, mal terrible

D'empois et d'amidon, le plus fréquent possible,

Et souple et frais autour du corps dispos aussi,

Voilà pour le costume, et quant à l'art, voici :


L'art tout d'abord doit être et paraître sincère

Et clair, absolument : c'est la loi nécessaire

Et dure, n'est-ce pas, les jeunes, mais la loi ;

Car le public, non le premier venu, mais moi,

Mais mes pairs et moi, par exemple, vieux complices,

Nous, promoteurs de vos, de nos pauvres malices.

Nous autres qu'au besoin vous sauriez bien chercher,

Le vrai, le seul Public qu'il faille raccrocher.

Le Public, pour user de ce mot ridicule,

Dorénavant il bat en retraite et recule

Devant vos trucs un peu trop niais d'aujourd'hui,

Tordu par le fou rire ou navré par l'ennui.

L'art, mes enfants, c'est d'être absolument soi-même,

Et qui m'aime me suive et qui me suit qu'il m'aime,

Et si personne n'aime ou me suit, allons seul.

Mais traditionnel et soyons notre aïeul !

Obéissons au sang qui coule dans nos veines

Et qui ne peut broncher en conjectures vaines.

Flux de verve gauloise et flot d'aplomb romain

Avec, puisqu'un peu Franc, de bon limon germain,

Moyennant cette allure et par cette assurance

Il pourra bien germer des artistes en France.

Mais, plus de fioritures, bons petits,

Ni de ce pessimisme et ni du cliquetis

De ce ricanement comme d'armes faussées,

Et ni de ce scepticisme en sottes fusées ;

Autrement c'est la mort et je vous le prédis

De ma voix de bonhomme, encore un peu. Jadis.

Foin ! d'un art qui blasphème et fi ! d'un art qui pose,

Et vive un vers bien simple, autrement c'est la prose.

La Simplicité, - c'est d'ailleurs l'avis rara, -

Ô la Simplicité, tout-puissant, qui l'aura

Véritable, au service, en outre, de la Vie

Elle vous rend bon, franc, vous demi-déifie.

Que dis-je ? elle vous déifie en Jésus-Christ

Par l'opération du même Saint-Esprit

Et l'humblesse sans nom de son Eucharistie,

Sur les siècles épand l'ordre et la sympathie,

Règne avec la candeur et lutte par la foi,

Mais la foi tout de go, sans peur et sans émoi

Ni de ces grands raffinements des exégètes,

Elle trempe les cœurs, rassérène les têtes,

Enfante la vertu, met en fuite le mal

Et fixerait le monde en son état normal

N'était la Liberté que Dieu dispense aux âmes

Et dont le premier homme et nous, nous abusâmes

Jusqu'aux tristes excès où nous nous épuisons

Dans des complexités comme autant de prisons.

Et puis, c'est l'unité désirable et suprême :

On vit simple, comme on naît simple, comme on aime

Quand on aime vraiment et fort, et comme on hait

Et comme l'on pardonne, au bout, lorsque l'on est

Purement, nettement simple et l'on meurt de même,

Comme on naît, comme on vit, comme on hait, comme on aime,


Car aimer c'est l'Alpha, fils, et c'est l'Oméga

Des simples que le Dieu simple et bon délégua

Pour témoigner de lui sur cette sombre terre

En attendant leur vol calme dans sa lumière.


Oui, d'être absolument soi-même, absolument !

D'être un brave homme épris de vivre, et réclamant

Sa place à toi, juste Soleil de tout le monde.

Sans plus se soucier, naïveté profonde !

De ce tiers, l'apparat, que du fracas, ce quart,

Pour le costume, dans la vie et quant à l'art ;

Dédaigneux au superlatif de la réclame,

Un digne homme amoureux et frère de la Femme,

Élevant ses enfants pour ici-bas et pour

Leur lot gagné dûment en le meilleur Séjour,

Fervent de la patrie et doux aux misérables,

Fier pourtant, partant, aux refus inexorables

Devant les préjugés et la banalité

Assumant à l'envi ce masque dégoûté

Qui rompt la patience et provoque la claque

Et, pour un peu, ferait défoncer la baraque !

Rude à l'orgueil tout en pitoyant l'orgueilleux,

Mais dur au fat et l'écrasant d'un mot joyeux

S'il juge toutefois qu'il en vaille la peine

Et que sa nullité soit digne de l'aubaine.


Oui, d'être et de mourir **** d'un siècle gourmé

Dans la franchise, ô vivre et mourir enfermé,

Et s'il nous faut, par surcroît, de posthumes socles,

Gloire au poète pur en ces jours de monocles !
Tous les bas âges sont épars sous ces grands arbres.
Certes, l'alignement des vases et des marbres,
Ce parterre au cordeau, ce cèdre résigné,
Ce chêne que monsieur Despréaux eut signé,
Ces barreaux noirs croisés sur la fleur odorante,
Font honneur à Buffon qui fut l'un des Quarante
Et mêla, de façon à combler tous nos vœux,
Le peigne de Lenôtre aux effrayants cheveux
De Pan, dieu des halliers, des rochers et des plaines ;
Cela n'empêche pas les roses d'être pleines
De parfums, de désirs, d'amour et de clarté ;
Cela n'empêche pas l'été d'être l'été ;
Cela n'ôte à la vie aucune confiance ;
Cela n'empêche pas l'aurore en conscience
D'apparaître au zénith qui semble s'élargir,
Les enfants de jouer, les monstres de rugir.

Un bon effroi joyeux emplit ces douces têtes.
Écoutez-moi ces cris charmants. - Viens voir les bêtes !
Ils courent. Quelle extase ! On s'arrête devant
Des cages où l'on voit des oiseaux bleus rêvant
Comme s'ils attendaient le mois où l'on émigre.
- Regarde ce gros chat. - Ce gros chat c'est le tigre.
Les grands font aux petits vénérer les guenons,
Les pythons, les chacals, et nomment par leurs noms
Les vieux ours qui, dit-on, poussent l'humeur maligne
Jusqu'à manger parfois des soldats de la ligne.

Spectacle monstrueux ! Les gueules, les regards
De dragon, lueur fauve au fond des bois hagards,
Les écailles, les dards, la griffe qui s'allonge,
Une apparition d'abîme, l'affreux songe
Réel que l'oeil troublé des prophètes amers
Voit sous la transparence effroyable des mers
Et qui se traîne épars dans l'horreur inouïe,
L'énorme bâillement du gouffre qui s'ennuie,
Les mâchoires de l'hydre ouvertes tristement,
On ne sait quel chaos blême, obscur, inclément,
Un essai d'exister, une ébauche de vie
D'où sort le bégaiement furieux de l'envie.
C'est cela l'animal ; et c'est ce que l'enfant
Regarde, admire et craint, vaguement triomphant ;
C'est de la nuit qu'il vient contempler, lui l'aurore.
Ce noir fourmillement mugit, hurle, dévore ;
On est un chérubin rose, frêle et tremblant ;
On va voir celui-ci que l'hiver fait tout blanc,
Cet autre dont l'oeil jette un éclair du tropique ;
Tout cela gronde, hait, menace, siffle, pique,
Mord ; mais par sa nourrice on se sent protéger ;
Comme c'est amusant d'avoir peur sans danger !
Ce que l'homme contemple, il croit qu'il le découvre.
Voir un roi dans son antre, un tigre dans son Louvre,
Cela plaît à l'enfance. - Il est joliment laid !
Viens voir ! - Étrange instinct ! Grâce à qui l'horreur plaît !
On vient chercher surtout ceux qu'il faut qu'on évite.
- Par ici ! - Non, par là ! - Tiens, regarde ! - Viens vite !
- Jette-leur ton gâteau. - Pas tout. - Jette toujours.
- Moi, j'aime bien les loups. - Moi, j'aime mieux les ours.
Et les fronts sont riants, et le soleil les dore,
Et ceux qui, nés d'hier, ne parlent pas encore
Pendant ces brouhahas sous les branchages verts,
Sont là, mystérieux, les yeux tout grands ouverts,
Et méditent.

Afrique aux plis infranchissables,
Ô gouffre d'horizons sinistres, mer des sables,
Sahara, Dahomey, lac Nagain, Darfour,
Toi, l'Amérique, et toi, l'Inde, âpre carrefour
Où Zoroastre fait la rencontre d'Homère,
Paysages de lune où rôde la chimère,
Où l'orang-outang marche un bâton à la main,
Où la nature est folle et n'a plus rien d'humain,
Jungles par les sommeils de la fièvre rêvées,
Plaines où brusquement on voit des arrivées
De fleuves tout à coup grossis et déchaînés,
Où l'on entend rugir les lions étonnés
Que l'eau montante enferme en des îles subites,
Déserts dont les gavials sont les noirs cénobites,
Où le boa, sans souffle et sans tressaillement,
Semble un tronc d'arbre à terre et dort affreusement,
Terre des baobabs, des bambous, des lianes,
Songez que nous avons des Georges et des Jeannes,
Créez des monstres ; lacs, forêts, avec vos monts
Vos noirceurs et vos bruits, composez des mammons ;
Abîmes, condensez en eux toutes vos gloires,
Donnez-leur vos rochers pour dents et pour mâchoires,
Pour voix votre ouragan, pour regard votre horreur ;
Donnez-leur des aspects de pape et d'empereur,
Et faites, par-dessus les halliers, leur étable
Et leur palais, bondir leur joie épouvantable.
Certes, le casoar est un bon sénateur,
L'oie a l'air d'un évêque et plaît par sa hauteur,
Dieu quand il fit le singe a rêvé Scaramouche,
Le colibri m'enchante et j'aime l'oiseau-mouche ;
Mais ce que de ta verve, ô nature, j'attends
Ce sont les Béhémoths et les Léviathans.
Le nouveau-né qui sort de l'ombre et du mystère
Ne serait pas content de ne rien voir sur terre ;
Un immense besoin d'étonnement, voilà
Toute l'enfance, et c'est en songeant à cela
Que j'applaudis, nature, aux géants que tu formes ;
L'oeil bleu des innocents veut des bêtes énormes ;
Travaillez, dieux affreux ! Soyez illimités
Et féconds, nous tenons à vos difformités
Autant qu'à vos parfums, autant qu'à vos dictames,
Ô déserts, attendu que les hippopotames,
Que les rhinocéros et que les éléphants
Sont évidemment faits pour les petits enfants.
Ayant vu le massacre immense, le combat,
Le peuple sur sa croix, Paris sur son grabat,
La pitié formidable était dans tes paroles ;
Tu faisais ce que font les grandes âmes folles,
Et lasse de lutter, de rêver, de souffrir,
Tu disais : J'ai tué ! car tu voulais mourir.

Tu mentais contre toi, terrible et surhumaine.
Judith la sombre juive, Arria la romaine,
Eussent battu des mains pendant que tu parlais.
Tu disais aux greniers : J'ai brûlé les palais !
Tu glorifiais ceux qu'on écrase et qu'on foule ;
Tu criais : J'ai tué, qu'on me tue ! Et la foule
Écoutait cette femme altière s'accuser.
Tu semblais envoyer au sépulcre un baiser ;
Ton oeil fixe pesait sur les juges livides,
Et tu songeais, pareille aux graves Euménides.
La pâle mort était debout derrière toi.
Toute la vaste salle était pleine d'effroi,
Car le peuple saignant hait la guerre civile.
Dehors on entendait la rumeur de la ville.

Cette femme écoutait la vie aux bruits confus,
D'en haut, dans l'attitude austère du refus.
Elle n'avait pas l'air de comprendre autre chose
Qu'un pilori dressé pour une apothéose,
Et trouvant l'affront noble et le supplice beau,
Sinistre, elle hâtait le pas vers le tombeau.
Les juges murmuraient : Qu'elle meure. C'est juste.
Elle est infâme. -A moins qu'elle ne soit auguste,
Disait leur conscience ; et les juges pensifs,
Devant oui, devant non, comme entre deux récifs,
Hésitaient, regardant, la sévère coupable.

Et ceux qui comme moi te savent incapable
De tout ce qui n'est pas héroïsme et vertu,
Qui savent que si Dieu te disait : D'où viens-tu ?
Tu répondrais : Je viens de la nuit où l'on souffre ;
Dieu, je sors du devoir dont vous faites un gouffre !
Ceux qui savent tes vers mystérieux et doux,
Tes jours, tes nuits, tes soins, tes pleurs, donnés à tous,
Ton oubli de toi-même à secourir les autres,
Ta parole semblable aux flammes des apôtres ;
Ceux qui savent le toit sans feu, sans air, sans pain,
Le lit de sangle avec la table de sapin,
Ta bonté, ta fierté de femme populaire,
L'âpre attendrissement qui dort sous ta colère,
Ton long regard de haine à tous les inhumains,
Et les pieds des enfants réchauffés dans tes mains ;
Ceux-là, femme, devant ta majesté farouche,
Méditaient, et, malgré l'amer pli de ta bouche,
Malgré le maudisseur qui, s'acharnant sur toi,
Te jetait tous les cris indignés de la loi,
Malgré ta voix fatale et haute qui t'accuse,
Voyaient resplendir l'ange à travers la méduse.

Tu fus belle et semblas étrange en ces débats ;
Car, chétifs comme sont les vivants d'ici-bas,
Rien ne les trouble plus que deux âmes mêlées,
Que le divin chaos des choses étoilées
Aperçu tout au fond d'un grand coeur inclément,
Et qu'un rayonnement vu dans un flamboiement.

Le 18 décembre 1871.
Sonnet.

Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse,
Et de toi fais-tu dire : " Oh ! l'homme singulier ! "
- J'allais mourir. C'était dans mon âme amoureuse,
Désir mêlé d'horreur, un mal particulier ;

Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse.
Plus allait se vidant le fatal sablier,
Plus ma torture était âpre et délicieuse ;
Tout mon coeur s'arrachait au monde familier.

J'étais comme l'enfant avide du spectacle,
Haïssant le rideau comme on hait un obstacle...
Enfin la vérité froide se révéla :

J'étais mort sans surprise, et la terrible aurore
M'enveloppait. - Eh quoi ! n'est-ce donc que cela ?
La toile était levée et j'attendais encore.
I.

Quand la terre engloutit les cités qui la couvrent,
Que le vent sème au **** un poison voyageur,
Quand l'ouragan mugit, quand des monts brûlants s'ouvrent,
C'est le réveil du Dieu vengeur.
Et si, lassant enfin les clémences célestes,
Le monde à ces signes funestes
Ose répondre en les bravant,
Un homme alors, choisi par la main qui foudroie,
Des aveugles fléaux ressaisissant la proie,
Paraît, comme un fléau vivant !

Parfois, élus maudits de la fureur suprême,
Entre les nations des hommes sont passés,
Triomphateurs longtemps armés de l'anathème,
Par l'anathème renversés.
De l'esprit de Nemrod héritiers formidables,
Ils ont sur les peuples coupables
Régné par la flamme et le fer ;
Et dans leur gloire impie, en désastres féconde,
Ces envoyés du ciel sont apparus au monde,
Comme s'ils venaient de l'enfer !

II.

Naguère, de lois affranchis,
Quand la reine des nations
Descendit de la monarchie,
Prostituée aux factions,
On vit, dans ce chaos fétide
Naître de l'hydre régicide
Un despote, empereur d'un camp.
Telle souvent la mer qui gronde
Dévore une plaine féconde
Et ***** un sombre volcan.

D'abord, troublant du Nil les hautes catacombes,
Il vint, chef populaire, y combattre en courant,
Comme pour insulter des tyrans dans leurs tombes,
Sous sa tente de conquérant. -
Il revint pour régner sur ses compagnons d'armes.
En vain l'auguste France en larmes
Se promettait des jours plus beaux ;
Quand des vieux pharaons il foulait la couronne,
Sourd à tant de néant, ce n'était qu'un grand trône
Qu'il rêvait sur leurs grands tombeaux.

Un sang royal teignit sa pourpre usurpatrice ;
Un guerrier fut frappé par ce guerrier sans foi ;
L'anarchie, à Vincennes, admira son complice,
Au Louvre elle adora son roi.
Il fallut presque un Dieu pour consacrer cet homme.
Le Prêtre-Monarque de Rome
Vint bénir son front menaçant ;
Car, sans doute en secret effrayé de lui-même,
Il voulait recevoir son sanglant diadème
Des mains d'où le pardon descend.

III.

Lorsqu'il veut, le Dieu secourable,
Qui livre au méchant les pervers,
Brise le jouet formidable
Dont il tourmentait l'univers.
Celui qu'un instant il seconde
Se dit le seul maître du monde ;
Fier, il s'endort dans son néant ;
Enfin, bravant la loi commune,
Quand il croit tenir sa fortune,
Le fantôme échappe au géant.

IV.

Dans la nuit des forfaits, dans l'éclat des victoires,
Cet homme, ignorant Dieu qui l'avait envoyé,
De cités en cités promenant ses prétoires,
Marchait, sur sa gloire appuyé.
Sa dévorante armée avait, dans son passage,
Asservi les fils de Pélage
Devant les fils de Galgacus ;
Et, quand dans leurs foyers il ramenait ses braves
Aux fêtes qu'il vouait à ces vainqueurs esclaves,
Il invitait les rois vaincus !

Dix empires conquis devinrent ses provinces.
Il ne fut pas content dans son orgueil fatal.
Il ne voulait dormir qu'en une cour de princes,
Sur un trône continental.
Ses aigles, qui volaient sous vingt cieux parsemées,
Au nord, de ses longues armées
Guidèrent l'immense appareil ;
Mais là parut l'écueil de se course hardie,
Les peuples sommeillaient : un sanglant incendie
Fut l'aurore du grand réveil.

Il tomba roi ; - puis, dans sa route,
Il voulut, fantôme ennemi,
Se relever, afin sans doute
De ne plus tomber à demi.
Alors, **** de sa tyrannie,
Pour qu'une effrayante harmonie
Frappât l'orgueil anéanti,
On jeta ce captif suprême
Sur un rocher, débris lui-même
De quelque ancien monde englouti !

Là, se refroidissant comme un torrent de lave,
Gardé par ses vaincus, chassé de l'univers,
Ce reste d'un tyran, en s'éveillant esclave,
N'avait fait que changer de fers.
Des trônes restaurés écoutant la fanfare,
Il brillait de **** comme un phare,
Montrant l'écueil au nautonier.
Il mourut. - Quand ce bruit éclata dans nos villes,
Le monde respira dans les fureurs civiles,
Délivré de son prisonnier.

Ainsi l'orgueil s'égare en sa marche éclatante,
Colosse né d'un souffle et qu'un regard abat.
Il fit du glaive un sceptre, et du trône une tente.
Tout son règne fut un combat.
Du fléau qu'il portait lui-même tributaire,
Il tremblait, prince de la terre ;
Soldat, on vantait sa valeur.
Retombé dans son cœur comme dans un abîme,
Il passa par la gloire, il passa par le crime,
Et n'est arrivé qu'au malheur.

V.

Peuples, qui poursuivez d'hommages
Les victimes et les bourreaux,
Laissez-le fuir seul dans les âges ; -
Ce ne sont point là les héros.
Ces faux dieux, que leur siècle encense,
Dont l'avenir hait la puissance,
Vous trompent dans votre sommeil ;
Tels que ces nocturnes aurores
Où passent de grands météores,
Mais que ne suit pas le soleil.

Mars 1822.
Je l'avais saisi par la bride ;
Je tirais, les poings dans les noeuds,
Ayant dans les sourcils la ride
De cet effort vertigineux.

C'était le grand cheval de gloire,
Né de la mer comme Astarté,
À qui l'aurore donne à boire
Dans les urnes de la clarté ;

L'alérion aux bonds sublimes,
Qui se cabre, immense, indompté,
Plein du hennissement des cimes,
Dans la bleue immortalité.

Tout génie, élevant sa coupe,
Dressant sa torche, au fond des cieux,
Superbe, a passé sur la croupe
De ce monstre mystérieux.

Les poètes et les prophètes,
Ô terre, tu les reconnais
Aux brûlures que leur ont faites
Les étoiles de son harnais.

Il souffle l'ode, l'épopée,
Le drame, les puissants effrois,
Hors des fourreaux les coups d'épée,
Les forfaits hors du coeur des rois.

Père de la source sereine,
Il fait du rocher ténébreux
Jaillir pour les Grecs Hippocrène
Et Raphidim pour les Hébreux.

Il traverse l'Apocalypse ;
Pâle, il a la mort sur son dos.
Sa grande aile brumeuse éclipse
La lune devant Ténédos.

Le cri d'Amos, l'humeur d'Achille
Gonfle sa narine et lui sied ;
La mesure du vers d'Eschyle,
C'est le battement de son pied.

Sur le fruit mort il penche l'arbre,
Les mères sur l'enfant tombé ;
Lugubre, il fait Rachel de marbre,
Il fait de pierre Niobé.

Quand il part, l'idée est sa cible ;
Quand il se dresse, crins au vent,
L'ouverture de l'impossible
Luit sous ses deux pieds de devant.

Il défie Éclair à la course ;
Il a le Pinde, il aime Endor ;
Fauve, il pourrait relayer l'Ourse
Qui traîne le Chariot d'or.

Il plonge au noir zénith ; il joue
Avec tout ce qu'on peut oser ;
Le zodiaque, énorme roue,
A failli parfois l'écraser.

Dieu fit le gouffre à son usage.
Il lui faut les cieux non frayés,
L'essor fou, l'ombre, et le passage
Au-dessus des pics foudroyés.

Dans les vastes brumes funèbres
Il vole, il plane ; il a l'amour
De se ruer dans les ténèbres
Jusqu'à ce qu'il trouve le jour.

Sa prunelle sauvage et forte
Fixe sur l'homme, atome nu,
L'effrayant regard qu'on rapporte
De ces courses dans l'inconnu.

Il n'est docile, il n'est propice
Qu'à celui qui, la lyre en main,
Le pousse dans le précipice,
Au-delà de l'esprit humain.

Son écurie, où vit la fée,
Veut un divin palefrenier ;
Le premier s'appelait Orphée ;
Et le dernier, André Chénier.

Il domine notre âme entière ;
Ézéchiel sous le palmier
L'attend, et c'est dans sa litière
Que Job prend son tas de fumier.

Malheur à celui qu'il étonne
Ou qui veut jouer avec lui !
Il ressemble au couchant d'automne
Dans son inexorable ennui.

Plus d'un sur son dos se déforme ;
Il hait le joug et le collier ;
Sa fonction est d'être énorme
Sans s'occuper du cavalier.

Sans patience et sans clémence,
Il laisse, en son vol effréné,
Derrière sa ruade immense
Malebranche désarçonné.

Son flanc ruisselant d'étincelles
Porte le reste du lien
Qu'ont tâché de lui mettre aux ailes
Despréaux et Quintilien.

Pensif, j'entraînais **** des crimes,
Des dieux, des rois, de la douleur,
Ce sombre cheval des abîmes
Vers le pré de l'idylle en fleur.

Je le tirais vers la prairie
Où l'aube, qui vient s'y poser,
Fait naître l'églogue attendrie
Entre le rire et le baiser.

C'est là que croît, dans la ravine
Où fuit Plaute, où Racan se plaît,
L'épigramme, cette aubépine,
Et ce trèfle, le triolet.

C'est là que l'abbé Chaulieu prêche,
Et que verdit sous les buissons
Toute cette herbe tendre et fraîche
Où Segrais cueille ses chansons.

Le cheval luttait ; ses prunelles,
Comme le glaive et l'yatagan,
Brillaient ; il secouait ses ailes
Avec des souffles d'ouragan.

Il voulait retourner au gouffre ;
Il reculait, prodigieux,
Ayant dans ses naseaux le soufre
Et l'âme du monde en ses yeux.

Il hennissait vers l'invisible ;
Il appelait l'ombre au secours ;
À ses appels le ciel terrible
Remuait des tonnerres sourds.

Les bacchantes heurtaient leurs cistres,
Les sphinx ouvraient leurs yeux profonds ;
On voyait, à leurs doigts sinistres,
S'allonger l'ongle des griffons.

Les constellations en flamme
Frissonnaient à son cri vivant
Comme dans la main d'une femme
Une lampe se courbe au vent.

Chaque fois que son aile sombre
Battait le vaste azur terni,
Tous les groupes d'astres de l'ombre
S'effarouchaient dans l'infini.

Moi, sans quitter la plate-longe,
Sans le lâcher, je lui montrais
Le pré charmant, couleur de songe,
Où le vers rit sous l'antre frais.

Je lui montrais le champ, l'ombrage,
Les gazons par juin attiédis ;
Je lui montrais le pâturage
Que nous appelons paradis.

- Que fais-tu là ? me dit Virgile.
Et je répondis, tout couvert
De l'écume du monstre agile :
- Maître, je mets Pégase au vert.
Que je prenne un moment de repos ? Impossible.
Koran, Zend-Avesta, livres sibyllins, Bible,
Talmud, Toldos Jeschut, Védas, lois de Manou,
Brahmes sanglants, santons fléchissant le genou,
Les contes, les romans, les terreurs, les croyances,
Les superstitions fouillant les consciences,
Puis-je ne pas sentir ces creusements profonds ?
J'en ai ma part. Veaux d'or, sphinx, chimères, griffons,
Les princes des démons et les princes des prêtres,
Synodes, sanhédrins, vils muphtis, scribes traîtres,
Ceux qui des empereurs bénissaient les soldats,
Ceux que payait Tibère et qui payaient Judas,
Ceux qui tendraient encore à Socrate le verre,
Ceux qui redonneraient à Jésus le calvaire,
Tous ces sadducéens, tous ces pharisiens,
Ces anges, que Satan reconnaît pour les siens,
Tout cela, c'est partout. C'est la puissance obscure.

Plaie énorme que fait une abjecte piqûre !

Ce contre-sens : Dieu vrai, les dogmes faux ; cuisson
Du mensonge qui s'est glissé dans la raison !
Démangeaison saignante, incurable, éternelle,
Que sent l'homme en son âme et l'oiseau sous son aile !

Oh ! L'infâme travail ! Ici Mahomet ; là
Cette tête, Wesley, sur ce corps, Loyola ;
Cisneros et Calvin, dont on sent les brûlures.
Ô faux révélateurs ! Ô jongleurs ! Vos allures
Sont louches, et vos pas sont tortueux ; l'effroi,
Et non l'amour, tel est le fond de votre loi ;
Vous faites grimacer l'éternelle figure ;
Vous naissez du sépulcre, et l'on sent que l'augure
Et le devin son pleins de l'ombre du tombeau,
Et que tous ces rêveurs, compagnons du corbeau,
Tous ces fakirs d'Ombos, de Stamboul et de Rome,
N'ont pu faire tomber tant de fables sur l'homme
Qu'en secouant les plis sinistres des linceuls.
Dieu n'étant aperçu que par les astres seuls,
Les penseurs, sachant bien qu'il est là sous ses voiles,
Ont toujours conseillé d'en croire les étoiles ;
Dieu, c'est un lieu fermé dont l'aurore a la clé,
Et la religion, c'est le ciel contemplé.

Mais vous ne voulez pas, prêtres, de cette église.
Vous voulez que la terre en votre livre lise
Tous vos songes, moloch, Vénus, Ève, Astarté,
Au lieu de lire au front des cieux la vérité.
De là la foi changée en crédulité ; l'âme
Éclipsant la raison dans une sombre flamme ;
De là tant d'êtres noirs serpentant dans la nuit.

L'imposture, par qui le vrai temple est détruit,
Est un colosse fait d'un amas de pygmées ;
Les sauterelles sont d'effrayantes armées ;
Ô mages grecs, romains, payens, indous, hébreux,
Le genre humain, couvert de rongeurs ténébreux,
Sent s'élargir sur lui vos hordes invisibles ;
Vous lui faites rêver tous les enfers possibles ;
Le peuple infortuné voit dans son cauchemar
Surgir Torquemada quand disparaît Omar.
Nul répit. Vous aimez les ténèbres utiles,
Et vous y rôdez, vils et vainqueurs, ô reptiles !
Sur toute cette terre, en tous lieux, dans les bois,
Dans le lit nuptial, dans l'alcôve des rois,
Dans les champs, sous l'autel sacré, dans la cellule,
Ce qui se traîne, couve, éclôt, va, vient, pullule,
C'est vous. Vous voulez tout, vous savez tout ; damner,
Bénir, prendre, jurer, tromper, servir, régner,
Briller même ; ramper n'empêche pas de luire.
Chuchotement hideux ! Je vous entends bruire.
Vous mangez votre proie énorme avec bonheur,
Et vous vous appelez entre vous monseigneur.
L'acarus au ciron doit donner de l'altesse.
Quelles que soient votre ombre et votre petitesse,
Je devine, malgré vos soins pour vous cacher,
Que vous êtes sur nous, et je vous sens marcher
Comme on sent remuer les mineurs dans la mine,
Et je ne puis dormir, tant je hais la vermine !
Vous êtes ce qui hait, ce qui mord, ce qui ment.
Vous êtes l'implacable et noir fourmillement.
Vous êtes ce prodige affreux, l'insaisissable.
Qu'on suppose vivants tous les vils grains de sable,
Ce sera vous. Rien, tout. Zéro, des millions.
L'horreur. Moins que des vers et plus que des lions.
L'insecte formidable. Ô monstrueux contraste !
Pas de nains plus chétifs, pas de pouvoir plus vaste.
L'univers est à vous, puisque vous l'emplissez.
Vous possédez les jours futurs, les jours passés,
Le temps, l'éternité, le sommeil, l'insomnie.
Vous êtes l'innombrable, et, dans l'ombre infinie,
Fétides, sur nos peaux mêlant vos petits pas,
Vous vous multipliez ; et je ne comprends pas
Dans quel but Dieu livra les empires, le monde,
Les âmes, les enfants dressant leur tête blonde,
Les temples, les foyers, les vierges, les époux,
L'homme, à l'épouvantable immensité des poux.

Le 26 juillet 1874.
I.

Je disais : - Ces soldats ont la tête trop basse.
Il va leur ouvrir des chemins.
Le peuple aime la poudre, et quand le clairon passe
La France chante et bat des mains.
La guerre est une pourpre où le meurtre se drape ;
Il va crier son : quos ego !
Un beau jour, de son crime, ainsi que d'une trappe,
Nous verrons sortir Marengo.
Il faut bien qu'il leur jette enfin un peu de gloire
Après tant de honte et d'horreur !
Que, vainqueur, il défile avec tout son prétoire
Devant Troplong le procureur ;
Qu'il tâche de cacher son carcan à l'histoire,
Et qu'il fasse par le doreur
Ajuster sa sellette au vieux char de victoire
Où monta le grand empereur.
Il voudra devenir César, frapper, dissoudre
Les anciens états ébranlés,
Et, calme, à l'univers montrer, tenant la foudre,
La main qui fit des fausses clés.
Il fera du vieux monde éclater la machine ;
Il voudra vaincre et surnager.
Hudson Lowe, Blücher, Wellington, Rostopschine,
Que de souvenirs à venger !
L'occasion abonde à l'époque où nous sommes.
Il saura saisir le moment.
On ne peut pas rester avec cinq cent mille hommes
Dans la fange éternellement.
Il ne peut les laisser courbés sous leur sentence
Il leur faut les hauts faits lointains
À la meute guerrière il faut une pitance
De lauriers et de bulletins.
Ces soldats, que Décembre orne comme une dartre,
Ne peuvent pas, chiens avilis,
Ronger à tout jamais le boulevard Montmartre,
Quand leurs pères ont Austerlitz ! -

II.

Eh bien non ! je rêvais. Illusion détruite !
Gloire ! songe, néant, vapeur !
Ô soldats ! quel réveil ! l'empire, c'est la fuite.
Soldats ! l'empire, c'est la peur.
Ce Mandrin de la paix est plein d'instincts placides ;
Ce Schinderhannes craint les coups.
Ô châtiment ! pour lui vous fûtes parricides,
Soldats, il est poltron pour vous.
Votre gloire a péri sous ce hideux incube
Aux doigts de fange, au cœur d'airain.
Ah ! frémissez ! le czar marche sur le Danube,
Vous ne marchez pas sur le Rhin !

III.

Ô nos pauvres enfants ! soldats de notre France !
Ô triste armée à l'œil terni !
Adieu la tente ! Adieu les camps ! plus d'espérance !
Soldats ! soldats ! tout est fini !
N'espérez plus laver dans les combats le crime
Dont vous êtes éclaboussés.
Pour nous ce fut le piège et pour vous c'est l'abîme.
Cartouche règne ; c'est assez.
Oui, Décembre à jamais vous tient, hordes trompées !
Oui, vous êtes ses vils troupeaux !
Oui, gardez sur vos mains, gardez sur vos épées,
Hélas ! gardez sur vos drapeaux
Ces souillures qui font horreur à vos familles
Et qui font sourire Dracon,
Et que ne voudrait pas avoir sur ses guenilles
L'équarrisseur de Montfaucon !
Gardez le deuil, gardez le sang, gardez la boue !
Votre maître hait le danger,
Il vous fait reculer ; gardez sur votre joue
L'âpre soufflet de l'étranger !
Ce nain à sa stature a rabaissé vos tailles.
Ce n'est qu'au vol qu'il est hardi.
Adieu la grande guerre et les grandes batailles !
Adieu Wagram ! adieu Lodi !
Dans cette horrible glu votre aile est prisonnière.
Derrière un crime il faut marcher.
C'est fini. Désormais vous avez pour bannière
Le tablier de ce boucher !
Renoncez aux combats, au nom de Grande Armée,
Au vieil orgueil des trois couleurs ;
Renoncez à l'immense et superbe fumée,
Aux femmes vous jetant des fleurs,
À l'encens, aux grands ares triomphaux que fréquentent
Les ombres des héros le soir ;
Hélas ! contentez-vous de ces prêtres qui chantent
Des Te Deum dans l'abattoir !
Vous ne conquerrez point la palme expiatoire,
La palme des exploits nouveaux,
Et vous ne verrez pas se dorer dans la gloire
La crinière de vos chevaux !

IV.

Donc l'épopée échoue avant qu'elle commence !
Annibal a pris un calmant ;
L'Europe admire, et mêle une huée immense
À cet immense avortement.
Donc ce neveu s'en va par la porte bâtarde !
Donc ce sabreur, ce pourfendeur,
Ce masque moustachu dont la bouche vantarde
S'ouvrait dans toute sa grandeur,
Ce césar qu'un valet tous les matins harnache
Pour s'en aller dans les combats,
Cet ogre galonné dont le hautain panache
Faisait oublier le front bas,
Ce tueur qui semblait l'homme que rien n'étonne,
Qui jouait, dans les hosanna,
Tout barbouillé du sang du ruisseau Tiquetonne,
La pantomime d'Iéna,
Ce héros que Dieu fit général des jésuites,
Ce vainqueur qui s'est dit absous,
Montre à Clio son nez meurtri de pommes cuites,
Son œil éborgné de gros sous !
Et notre armée, hélas ! sa dupe et sa complice,
Baisse un front lugubre et puni,
Et voit sous les sifflets s'enfuir dans la coulisse
Cet écuyer de Franconi !
Cet histrion, qu'on cingle à grands coups de lanière,
À le crime pour seul talent ;
Les Saint-Barthélemy vont mieux à sa manière
Qu'Aboukir et que Friedland.
Le cosaque stupide arrache à ce superbe
Sa redingote à brandebourgs ;
L'âne russe a brouté ce Bonaparte en herbe.
Sonnez, clairons ! battez, tambours !
Tranche-Montagne, ainsi que Basile, a la fièvre ;
La colique empoigne Agramant ;
Sur le crâne du loup les oreilles du lièvre
Se dressent lamentablement.
Le fier-à-bras tremblant se blottit dans son antre
Le grand sabre a peur de briller ;
La fanfare bégaie et meurt ; la flotte rentre
Au port, et l'aigle au poulailler.

V.

Et tous ces capitans dont l'épaulette brille
Dans les Louvres et les châteaux
Disent : « Mangeons la France et le peuple en famille.
Sire, les boulets sont brutaux. »
Et Forey va criant : « Majesté, prenez garde. »
Reibell dit : « Morbleu, sacrebleu !
Tenons-nous coi. Le czar fait manœuvrer sa garde.
Ne jouons pas avec le feu. »
Espinasse reprend : « César, gardez la chambre.
Ces kalmoucks ne sont pas manchots. »
Coiffez-vous, dit Leroy, du laurier de décembre,
Prince, et tenez-vous les pieds chauds. »
Et Magnan dit : « Buvons et faisons l'amour, sire ! »
Les rêves s'en vont à vau-l'eau.
Et dans sa sombre plaine, ô douleur, j'entends rire
Le noir lion de Waterloo !

Jersey, le  ler septembre 1853.
À un ami.

Jeanne a laissé de son jarret
Tomber un joli ruban rose
Qu'en vers on diviniserait,
Qu'on baise simplement en prose.

Comme femme elle met des bas,
Comme ange elle a droit à des ailes ;
Résultat : demain je me bats.
Les jours sont longs, les nuits sont belles,

On fait les foins, et ce barbon,
L'usage, roi de l'équipée,
Veut qu'on prenne un pré qui sent bon
Pour se donner des coups d'épée.

Pendant qu'aux lueurs du matin
La lame à la lame est croisée,
Dans l'herbe humide et dans le thym,
Les grives boivent la rosée.

Tu sais ce marquis insolent ?
Il ordonne, il rit. Jamais ivre
Et toujours gris ; c'est son talent.
Il faut ou le fuir, ou le suivre.

Qui le fuit a l'air d'un poltron,
Qui le suit est un imbécile.
Il est jeune, ***, fanfaron,
Leste, vif, pétulant, fossile.

Il hait Voltaire ; il se croit né
Pas tout à fait comme les autres ;
Il sert la messe, il sert Phryné ;
Il mêle Gnide aux patenôtres.

Le ruban perdu, ce muguet
L'a trouvé ; quelle bonne fête !
Il s'en est vanté chez Saguet ;
Moi, je passais par là, tout bête ;

J'analysais, précisément
Dans cet instant-là, les bastilles,
Les trônes, Dieu, le firmament,
Et les rubans des jeunes filles ;

Et j'entendis un quolibet ;
Comme il s'en donnait, le coq d'Inde !
Car on insulte dans Babet
Ce qu'on adore dans Florinde.

Le marquis agitait en l'air
Un fil, un chiffon, quelque chose
Qui parfois semblait un éclair
Et parfois semblait une rose.

Tout de suite je reconnus
Ce diminutif admirable
De la ceinture de Vénus.
J'aime, donc je suis misérable ;

Mon pouls dans mes tempes battait ;
Et le marquis riait de Jeanne !
Le soir la campagne se tait,
Le vent dort, le nuage flâne ;

Mais le poète a le frisson,
Il se sent extraordinaire,
Il va, couvant une chanson
Dans laquelle roule un tonnerre.

Je me dis : Cyrus dégaina
Pour reprendre une bandelette
De la reine Abaïdorna
Que ronge aujourd'hui la belette.

Serais-je moins brave et moins beau
Que Cyrus, roi d'Ur et de Sarde ?
Cette reine dans son tombeau
Vaut-elle Jeanne en sa mansarde ?

Faire le siège d'un ruban !
Quelle oeuvre ! il faut un art farouche ;
Et ce n'est pas trop d'un Vauban
Complété par un Scaramouche.

Le marquis barrait le chemin.
Prompt comme Joubert sur l'Adige,
J'arrachai l'objet de sa main.
- Monsieur ! cria-t-il. - Soit, lui dis-je.

Il se dressa tout en courroux,
Et moi, je pris ma mine altière.
- Je suis marquis, dit-il, et vous ?
- Chevalier de la Jarretière.

- Soyez deux. - J'aurai mon témoin.
- Je vous tue, et je vous tiens quitte.
- Où ça ? - Là, dans ces tas de foin.
- Vous en déjeunerez ensuite.

C'est pourquoi demain, réveillés,
Les faunes, au bruit des rapières,
Derrière les buissons mouillés,
Ouvriront leurs vagues paupières.
Un rhinocéros jeune et fort
Disait un jour au dromadaire :
Expliquez-moi, s'il vous plaît, mon cher frère,
D'où peut venir pour nous l'injustice du sort.
L'homme, cet animal puissant par son adresse,
Vous recherche avec soin, vous loge, vous chérit,
De son pain même vous nourrit,
Et croit augmenter sa richesse
En multipliant votre espèce.
Je sais bien que sur votre dos
Vous portez ses enfants, sa femme, ses fardeaux ;
Que vous êtes léger, doux, sobre, infatigable ;
J'en conviens franchement : mais le rhinocéros
Des mêmes vertus est capable.
Je crois même, soit dit sans vous mettre en courroux,
Que tout l'avantage est pour nous :
Notre corne et notre cuirasse
Dans les combats pourraient servir ;
Et cependant l'homme nous chasse,
Nous méprise, nous hait, et nous force à le fuir.
Ami, répond le dromadaire,
De notre sort ne soyez point jaloux ;
C'est peu de servir l'homme, il faut encor lui plaire.
Vous êtes étonné qu'il nous préfère à vous :
Mais de cette faveur voici tout le mystère,
Nous savons plier les genoux.
Va ton chemin sans plus t'inquiéter !

La route est droite et tu n'as qu'à monter,

Portant d'ailleurs le seul trésor qui vaille,

Et l'arme unique au cas d'une bataille,

La pauvreté d'esprit et Dieu pour toi.


Surtout il faut garder toute espérance.

Qu'importe un peu de nuit et de souffrance ?

La route est bonne et la mort est au bout.

Oui, garde toute espérance surtout.

La mort là-bas te dresse un lit de joie.


Et fais-toi doux de toute la douceur.

La vie est laide, encore c'est ta soeur.

Simple, gravis la côte et même chante,

Pour écarter la prudence méchante

Dont la voix basse est pour tenter ta foi.


Simple comme un enfant, gravis la côte,

Humble comme un pécheur qui hait la faute,

Chante, et même sois ***, pour défier

L'ennui que l'ennemi peut t'envoyer

Afin que tu t'endormes sur la voie.


Ris du vieux piège et du vieux séducteur,

Puisque la Paix est là, sur la hauteur,

Qui luit parmi des fanfares de gloire.

Monte, ravi, dans la nuit blanche et noire.

Déjà l'Ange Gardien étend sur toi


Joyeusement des ailes de victoire.
Je ne te cache pas que j'aime aussi les bêtes ;
Cela t'amuse et moi cela m'instruit ; je sens
Que ce n'est pas pour rien qu'en ces farouches têtes
Dieu met le clair-obscur des grands bois frémissants.

Je suis le curieux qui, né pour croire et plaindre,
Sonde, en voyant l'aspic sous des roses rampant,
Les sombres lois qui font que la femme doit craindre
Le démon, quand la fleur n'a pas peur du serpent.

Pendant que nous donnons des ordres à la terre,
Rois copiant le singe et par lui copiés,
Doutant s'il est notre œuvre ou s'il est notre père,
Tout en bas, dans l'horreur fatale, sous nos pieds,

On ne sait quel noir monde étonné nous regarde
Et songe, et sous un joug, trop souvent odieux,
Nous courbons l'humble monstre et la brute hagarde
Qui, nous voyant démons, nous prennent pour des dieux.

Oh ! que d'étranges lois ! quel tragique mélange !
Voit-on le dernier fait, sait-on le dernier mot,
Quel spectre peut sortir de Vénus, et quel ange
Peut naître dans le ventre affreux de Béhémoth ?

Transfiguration ! mystère ! gouffre et cime !
L'âme rejettera le corps, sombre haillon ;
La créature abjecte un jour sera sublime,
L'être qu'on hait chenille on l'aime papillon.
Puisque ce monde existe, il sied qu'on le tolère.
Sachons considérer les êtres sans colère.
Cet homme est le bourgeois du siècle où nous vivons.
Autrefois il vendait des suifs et des savons,
Maintenant il est riche ; il a prés, bois, vignobles.
Il déteste le peuple, il n'aime pas les nobles ;
Étant fils d'un portier, il trouve en ce temps-ci
Inutile qu'on soit fils des Montmorency.
Il est sévère. Il est vertueux. Il est membre,
Ayant de bons tapis sous les pieds en décembre,
Du grand parti de l'ordre et des honnêtes gens.
Il hait les amoureux et les intelligents ;
Il fait un peu l'aumône, il fait un peu l'usure ;
Il dit du progrès saint, de la liberté pure,
Du droit des nations : je ne veux pas de ça !
Il a ce gros bon sens du cher Sancho Pança
Qui laisserait mourir à l'hôpital Cervantes ;
Il admire Boileau, caresse les servantes,
Et crie, après avoir chiffonné Jeanneton,
À l'immoralité du roman feuilleton.
À la messe où sans faute il va chaque dimanche,
Il porte sous son bras Jésus doré sur tranche,
La crèche, le calvaire et le Dies illa.
- Non qu'entre nous je croie à ces bêtises-là,
Nous dit-il. - S'il y va, cela tient à sa gloire,
C'est que le peuple vil croira, le voyant croire,
C'est qu'il faut abrutir ces gens, car ils ont faim,
C'est qu'un bon Dieu quelconque est nécessaire enfin.
Là-dessus, rangez-vous, le suisse frappe, il entre,
Il étale au banc d'œuvre un majestueux ventre,
Fier de sentir qu'il prend, dans sa dévotion,
Le peuple en laisse et Dieu sous sa protection.
Rire étant si jolie,
C'est mal. Ô trahison
D'inspirer la folie,
En gardant la raison !

Rire étant si charmante !
C'est coupable, à côté
Des rêves qu'on augmente
Par son trop de beauté.

Une chose peut-être
Qui va vous étonner,
C'est qu'à votre fenêtre
Le vent vient frissonner,

Qu'avril commence à luire,
Que la mer s'aplanit,
Et que cela veut dire :
Fauvette, fais ton nid.

Belle aux chansons naïves,
J'admets peu qu'on ait droit
Aux prunelles très vives,
Ayant le coeur très froid.

Quand on est si bien faite,
On devrait se cacher.
Un amant qu'on rejette,
À quoi bon l'ébaucher ?

On se lasse, ô coquette,
D'être toujours tremblant,
Vous êtes la raquette,
Et je suis le volant.

Le coq battant de l'aile,
Maître en son pachalick,
Nous prévient qu'une belle
Est un danger public.

Il a raison. J'estime
Qu'en leur gloire isolés,
Deux beaux yeux sont un crime,
Allumez, mais brûlez.

Pourquoi ce vain manège ?
L'eau qu'échauffe le jour,
La fleur perçant la neige,
Le loup hurlant d'amour,

L'astre que nos yeux guettent,
Sont l'eau, la fleur, le loup,
Et l'étoile, et n'y mettent
Pas de façons du tout.

Aimer est si facile
Que, sans coeur, tout est dit,
L'homme est un imbécile,
La femme est un bandit.

L'oeillade est une dette.
L'insolvabilité,
Volontaire, complète
Ce monstre, la beauté.

Craindre ceux qu'on captive !
Nous fuir et nous lier !
Être la sensitive
Et le mancenillier !

C'est trop. Aimez, madame.
Quoi donc ! quoi ! mon souhait
Où j'ai tout mis, mon âme
Et mes rêves, me hait !

L'amour nous vise. Certes,
Notre effroi peut crier,
Mais rien ne déconcerte
Cet arbalétrier.

Sachez donc, ô rebelle,
Que souvent, trop vainqueur,
Le regard d'une belle
Ricoche sur son coeur.

Vous pouvez être sûre
Qu'un jour vous vous ferez
Vous-même une blessure
Que vous adorerez.

Vous comprendrez l'extase
Voisine du péché,
Et que l'âme est un vase
Toujours un peu penché.

Vous saurez, attendrie,
Le charme de l'instant
Terrible, où l'on s'écrie :
Ah ! vous m'en direz tant !

Vous saurez, vous qu'on gâte,
Le destin tel qu'il est,
Les pleurs, l'ombre, et la hâte
De cacher un billet.

Oui, - pourquoi tant remettre -
Vous sentirez, qui sait ?
La douceur d'une lettre
Que tiédit le corset.

Vous riez ! Votre joie
À Tout préfère Rien.
En vain l'aube rougeoie,
En vain l'air chante. Eh bien,

Je ris aussi ! Tout passe.
Ô muse, allons-nous-en.
J'aperçois l'humble grâce
D'un toit de paysan ;

L'arbre, libre volière,
Est plein d'heureuses voix ;
Dans les pousses du lierre
Le chevreau fait son choix ;

Et, jouant sous les treilles,
Un petit villageois
A pour pendant d'oreilles
Deux cerises des bois.
Bobèche, adieu ! bonsoir, Paillasse ! arrière, Gille !

Place, bouffons vieillis, au parfait plaisantin,

Place ! très grave, très discret et très hautain,

Voici venir le maître à tous, le clown agile.


Plus souple qu'Arlequin et plus brave qu'Achille,

C'est bien lui, dans sa blanche armure de satin ;

Vides et clairs ainsi que des miroirs sans tain,

Ses yeux ne vivent pas dans son masque d'argile.


Ils luisent bleus parmi le fard et les onguents,

Cependant que la tête et le buste, élégants,

Se balancent sur l'arc paradoxal des jambes.


Puis il sourit. Autour le peuple bête et laid,

La canaille puante et sainte des Iambes,

Acclame l'histrion sinistre qui la hait.
Quiconque a peint Amour, il fut ingenieux,
Non le faisant enfant chargé de traicts et d'ailes,
Non luy chargeant les mains de flames eternelles,
Mais bien d'un double crespe enveloppant ses yeux.


Amour hait la clarté, le jour m'est odieux :
J'ay, qui me sert de jour, mes propres estincelles,
Sans qu'un Soleil jaloux de ses flames nouvelles
S'amuse si long temps à tourner dans les cieux.


Argus regne en Esté, qui d'une œillade espesse
Espie l'amoureux parlant à sa maistresse
Le jour est de l'Amour ennemy dangereux.


Soleil, tu me desplais : la nuict m'est bien meilleure :
Pren pitié de mon mal, cache toy de bonne heure :
Tu fus, comme je suis, autrefois amoureux.
Un jour je vis le sang couler de toutes parts ;
Un immense massacre était dans l'ombre épars ;
Et l'on tuait. Pourquoi ? Pour tuer. Ô misère !
Voyant cela, je crus qu'il était nécessaire
Que quelqu'un élevât la voix, et je parlai.
Je dis que Montrevel et Bâville et Harlay
N'étaient point de ce siècle, et qu'en des jours de trouble
Par la noirceur de tous l'obscurité redouble ;
J'affirmai qu'il est bon d'examiner un peu
Avant de dire En joue et de commander Feu !
Car épargner les fous, même les téméraires,
A ceux qu'on a vaincus montrer qu'on est leurs frères,
Est juste et sage ; il faut s'entendre, il faut s'unir ;
Je rappelai qu'un Dieu nous voit, que l'avenir,
Sombre lorsqu'on se hait, s'éclaire quand on s'aime,
Et que le malheur croit pour celui qui le sème ;
Je déclarai qu'on peut tout calmer par degrés ;
Que des assassinats ne sont point réparés
Par un crime nouveau que sur l'autre on enfonce ;
Qu'on ne fait pas au meurtre une bonne réponse
En mitraillant des tas de femmes et d'enfants ;
Que changer en bourreaux des soldats triomphants,
C'est leur faire une gloire où la honte surnage ;
Et, pensif, je me mis en travers du carnage.
Triste, n'approuvant pas la grandeur du linceul,
Estimant que la peine est au coupable seul,
Pensant qu'il ne faut point, hélas ! jeter le crime
De quelques-uns sur tous, et punir par l'abîme
Paris, un peuple, un monde, su hasard châtié,
Je dis : Faites justice, oui, mais ayez pitié !
Alors je fus l'objet de la haine publique.
L'église m'a lancé l'anathème biblique,
Les rois l'expulsion, les passants des cailloux ;
Quiconque a de la boue en a jeté ; les loups,
Les chiens, ont aboyé derrière moi ; la foule
M'a hué presque autant qu'un tyran qui s'écroule ;
On m'a montré le poing dans la rue ; et j'ai dû
Voir plus d'un vieil ami m'éviter éperdu.
Les tueurs souriants et les viveurs féroces,
Ceux qui d'un tombereau font suivre leurs carrosses,
Les danseurs d'autrefois, égorgeurs d'à présent,
Ceux qui boivent du vin de Champagne et du sang,
Ceux qui sont élégants tout en étant farouches,
Les Haynau, les Tavanne, ayant d'étranges mouches,
Noires, que le charnier connaît, sur leur bâton,
Les improvisateurs des feux de peloton,
Le juge Lynch, le roi Bomba, Mingrat le prêtre,
M'ont crié : Meurtrier ! et Judas m'a dit : Traître !

— The End —