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Paul d'Aubin Oct 2013
Sonnet pour mon épagneul anglais Nils
De son smoking de noir vêtu,
mêmes quand il court dans les rues,
à un artiste de gala
il semble emprunter le pas

Ton ventre est blanc comme une hermine.
Sur ton museau blanc, une truffe
Son dos de noir tout habillé.
Sur le front, il se fait doré.

De « prince », il s’attire le nom
Tant sa démarche est altiere ;
mais de « Nils », il a le surnom,
Car autant qu’un jar, il est fier.

Assis, il paraît méditer,
Sur le monde sa vanité.
De ses yeux noirs il vous regarde,
Comme un reproche qui s’attarde.

Quand il court, parmi les genêts,
Il fend l’air comme un destrier ;
Et le panache de sa queue
En flottant, vous ravit les yeux.

Mon épagneul est très dormeur,
Et aux sofas, il fait honneur.
Mais lorsque se lève le jour,
A se promener, il accourt.

Quand il dort, il est écureuil,
mais jamais, il ne ferme l’œil.
Un léger murmure l’éveille
Tant aérien est son sommeil.
Il semble emprunter le pas

Lorsqu’un aboiement le réveille
De sa voix, il donne l’éveil.
Et les chats, les chiens maraudeurs,
Il met en fuite avec bonheur.

Lorsque dans mes bras, il vient,
Son pelage se fait câlin.
Et la douceur de sa vêture
Lui fait une jolie voilure.

Sur ma table, sa tête repose
Lorsque je taquine la prose,
Comme pour dire ; même par-là,
je veux que tu restes avec moi.

Sous ma caresse, il se blottit,
comme le ferait un petit.
De ma tristesse, il vient à bout,
tant le regard qu’il pose est doux.

Paul d’Aubin (Paul Arrighi), Toulouse.

                     *

Poème à ma chienne Laika dite «Caquine»

Tu as un gros museau,
Cocker chocolatine,
Des yeux entre amandes et noisettes
Teintés  d’une humeur suppliante.

Ta fourrure est quelque peu rêche
Mais prend l’éclat de la noisette
et le reflet du renard roux.
La caresse se fait satin.

Ma fille Célia t’appelle : «Caquine»
Pour des raisons que je ne peux
Au lecteur dévoiler ici,
Mais toute ta place tu tiens.

A ta maitresses adorée
Tu dresses ton gros museau
Et te blottis pour la garder
En menaçant ceux qui approchent.

Tu es peureuse comme un lézard,
Et sait ramper devant Célia.
Mais ton museau, sur mes genoux
Au petit déjeuner veille et guette.

Quand je te sors, tu tires en laisse
Jusqu’à m’en laisser essoufflé,
Après avoir d’énervement
Dans ta gueule, mes chaussons saisis.

Sur les sentiers de senteur,
Ton flair à humer se déploie.
Tu es, ma chienne, compagnie.
De mes longues après-midi.

Paul d’Aubin (Paul Arrighi), Toulouse.
Paul d'Aubin Oct 2016
Peire-Roger, le Chevalier Faydit.

C'est Peire-Roger le Faydit
regardant la vie avec hauteur
Comme l'aigrette flottant
sur son heaume argenté.
Ses terres furent mises en proie
Par les prélats du Pape
Au profit de barons pillards.
Venus de Septentrion.
Il était Languedocien,
Par la langue et le cœur
Sa sœur Esclarmonde, était une «Cathare»,
l’une de ces chrétiens hétérodoxes,
Se vouant à l'Esprit,
Et disant rejeter ce mal
Qui corrompt l'esprit humain,
En colorant de sombre
Les œuvres terrestres.
Très jeune, les jeux de guerre
Furent, pour lui, comme un breuvage ardent.
Il éprouva l'amour brûlant
Pour de belles châtelaines,
Si dures à séduire,
Au jeu du «fin Amor».
Mais il était certes moins aimé
Pour ses vers d'ingénieux troubadour,
Que comme homme fort,
ayant belle prestance,
Et apparaissant triomphant,
dans ses courses au galop,
Et les grands coups
Qu'il donnait pour se frayer
Un passage dans la mêlée,
Dans les éclats, les étincelles
De l'entrechoc des épées.
Bien jeune, il vit son père
Spolié de sa seigneurie,
Confisquée au bénéfice
de la lignée maudite
De la maison de Montfort.
Il fut tout jeune humilié
par la tourbe des seigneurs pillards
Conduite par des fanatiques
Et masquant sous l'apparence
De religion, leur vile convoitise
Et leur voracité de loups.
Une fausse paix obligea son père
A rompre l'allégeance
Avec les comtes de Toulouse.
Alors que la persécution
Des «bonshommes» s'amplifiait,
Et que les libertés Toulousaines
Étaient sous le talon de fer.
Son père s'en vint en Aragon
Parmi tant d'autres hommes,
droits et valeureux,
Pour sauvegarder l'honneur,
Et préparer la reconquête
Des terres confisquées,
par l'avidité de ces nuées
De corbeaux et des loups
Venus faire bombance
De terres Languedociennes.
Comme plus ****,
les Lys viendraient agrandir,
Leurs fiefs pour le seul profit
De Paris la dominante et la vorace.
Sa jeunesse se passa à s'entraîner
Et à rêver au jour où
Il traverserait les cols
Pour la revanche de son sang
Et la mémoire de son père,
Mort en exil en Aragon.
Enfin les appels de Raymond VII de Toulouse,
De Trencavel et du peuple de Tolosa révolté,
Résonnèrent comme buccin
Dans tout le Languedoc sous le joug,
Et l'oriflamme de Tolosa fut levé
Qui embrasa plaines et collines.
Le temps était venu de combattre
Et ce fut une guerre
Aussi ardente que cruelle,
comme une chasse à courre,
Faite de sièges et d'escarmouches
Contre les troupes du Roi Louis VIII.
Peirce-Roger chevaucha et guerroya
Donnant tout son corps et son âme,
Et fut maintes fois blessé,
Mais il lui fallut bien du courage
Pour déposer les armes
Quand les chefs s'entendirent
Pour donner en mariage
Jeanne de Toulouse
A Alphonse de France.
Ce mariage funeste,
annonçait et scellait la perte,
Des libertés et de la tolérance
De la haute civilisation
des pays Tolédans et Languedociens.
Aussi Peire-Roger, l'esprit blessé
Plus encore que ses chairs
Meurtries et tailladées,
Décida de consacrer sa vie
Au soutien et a la protection,
Des «bonshommes» traqués,
Par cette infamie nommée l'inquisition,
Usant des pires moyens,
Dont la délation et la torture,
Pour extirper par les cordes,
les tenailles et le feu,
Ce que la Papauté ne pouvait obtenir
Du choix des consciences,
Par le libre débat et le consentement.
Peire-Roger vint à Montségur
Sur les hauteurs du Po
Transforme en abri, en refuge et en temple,
Sur les terres du comte de Foix.
Il admira Esclarmonde la pure, la parfaite,
Et la pureté de mœurs
De cette communauté de «Bonhommes»,
de Femmes et d'Hommes libres,
Bien divers, mais si fraternels,
Ayant choisi de vivre leur spiritualité.
Contrairement aux calomnies,
Qui les disait adorateurs du Diable,
Ils mettaient par-dessus tout
Leur vie spirituelle et leur idéal commun.
Et leurs autres vertus étaient
Le dépouillement et la simplicité.
Hélas vautours et corbeaux,
Planaient autour de l'altier Pog.
Alors que la bise des premiers froids
Se faisait sentir les matins.
C'est alors qu'un groupe d'inquisiteurs
Chevaucha jusqu'à Avignonet
pour y chercher des proies.
Cela embrasa de colère
nombre de Chevaliers Faydits,
Dont les parents avaient tant soufferts
Le feu de la vengeance l’emporta
Sur la prudente et sage patience.
Et Peire-Roger lui-même
Pris le commandement de la troupe.
Qui arriva de nuit à Avignonet
Pour punir la cruauté par le fer.
Le Bayle, Raymond d'Alfaro
Ouvrit les portes aux vengeurs,
Et un nouveau crime s'ajouta
Aux précédents crimes innombrables.
L’inquisiteur Guillaume Arnaud
Et Étienne de Saint Thibery,
furent massacres avec leurs compagnons.
Leurs cris d'épouvante et d'agonie
Résonnèrent dans cette Avignonet
Qui huma l'acre parfum du sang,
La peur semblait disparue
Et la vengeance rendue.
Mais la lune aussi pleura du sang
Dans le ciel blafard et blême
Vengeance fut ainsi accomplie
Pour les chairs et les âmes martyrisées.
Mais le sang répandu appelle
Toujours plus de sang encore.
Quelques mois après un ost
De plusieurs centaines de soldats,
Sous le commandement
D'Hugues des Arcis.
Vint en mai 1243,
Mettre le siège de la place fortifiée.
Peire-Roger se battit comme un Lion
Avec ses compagnons Faydits,
Ils accomplirent des prouesses
De courage et de vaillance
Furent données.
Mais lorsque de nuit par un chemin secret
Qui leur avait été révélé,
Les assaillant s'emparèrent
Du roc de la tour,
Et y posèrent une Perrière
Pour jeter des projectiles
Sur les fortifications et les assiégés.
L'espoir de Peire-Roger,
des défenseurs et des bonshommes,
Commença à fléchir.
Et une reddition fut conclue
Le 1er mars 1244 laissant aux cathares,
Le choix de la conversion ou de la mort dans les flammes.
Ce fut grand pitié ce 16 mars de voir
Plus de deux cent femmes et hommes bons et justes,
Choisir en conscience de ne pas renier leur choix et leur foi,
Préférant terminer leur vie
D'une manière aussi affreuse,
en ce début du printemps
Qui pointait ses lumières.
Et jusqu'à l'ignoble bûcher,
Leurs chants d'amour,
Furent entendus puis couvert,
Par leurs cris de douleur
Et les crépitements des buches.
Aussi; qu’une honte dans pareille
En retombe sur le Pape si mal nomme, Innovent III
Et sur le roi Louis IX, sanctifié par imposture,
Et sur l'archevêque de Narbonne, Pierre Amiel.
Que surtout vienne le temps
Où la Paix aux doux, aux justes
Et aux Pacifiques s'établisse.
Et qu'une honte et un remord sans fin
Punissent ceux et celles qui continuent
A se comporter en inquisiteurs
qu'elle qu'en soient les raisons et les circonstances.
Il semblerait sans aucune certitude
Que Peire-Roger, le chevalier Faydit
Témoin de ces temps de fer et de feu.
Soit allé, au ****, se retirer et prier
Dans une communauté de bonshommes
En Aragon ou en Lombardie.

Paul Arrighi
Le personnage de Peire-Vidal n'est pas imaginaire. Il a bien existe mais je rassemble en lui les qualités de plusieurs Chevaliers Faydits qui se battirent pour la sauvegarde de leurs terres et des libertés des pays d'Oc et du Languedoc face a l'avidité et au fanatisme - Paul Arrighi
Obscuritate rerum verba saepè obscurantur.
GERVASIUS TILBERIENSIS.


Amis, ne creusez pas vos chères rêveries ;
Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries ;
Et quand s'offre à vos yeux un océan qui dort,
Nagez à la surface ou jouez sur le bord.
Car la pensée est sombre ! Une pente insensible
Va du monde réel à la sphère invisible ;
La spirale est profonde, et quand on y descend,
Sans cesse se prolonge et va s'élargissant,
Et pour avoir touché quelque énigme fatale,
De ce voyage obscur souvent on revient pâle !

L'autre jour, il venait de pleuvoir, car l'été,
Cette année, est de bise et de pluie attristé,
Et le beau mois de mai dont le rayon nous leurre,
Prend le masque d'avril qui sourit et qui pleure.
J'avais levé le store aux gothiques couleurs.
Je regardais au **** les arbres et les fleurs.
Le soleil se jouait sur la pelouse verte
Dans les gouttes de pluie, et ma fenêtre ouverte
Apportait du jardin à mon esprit heureux
Un bruit d'enfants joueurs et d'oiseaux amoureux.

Paris, les grands ormeaux, maison, dôme, chaumière,
Tout flottait à mes yeux dans la riche lumière
De cet astre de mai dont le rayon charmant
Au bout de tout brin d'herbe allume un diamant !
Je me laissais aller à ces trois harmonies,
Printemps, matin, enfance, en ma retraite unies ;
La Seine, ainsi que moi, laissait son flot vermeil
Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil
Faisait évaporer à la fois sur les grèves
L'eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves !

Alors, dans mon esprit, je vis autour de moi
Mes amis, non confus, mais tels que je les vois
Quand ils viennent le soir, troupe grave et fidèle,
Vous avec vos pinceaux dont la pointe étincelle,
Vous, laissant échapper vos vers au vol ardent,
Et nous tous écoutant en cercle, ou regardant.
Ils étaient bien là tous, je voyais leurs visages,
Tous, même les absents qui font de longs voyages.
Puis tous ceux qui sont morts vinrent après ceux-ci,
Avec l'air qu'ils avaient quand ils vivaient aussi.
Quand j'eus, quelques instants, des yeux de ma pensée,
Contemplé leur famille à mon foyer pressée,
Je vis trembler leurs traits confus, et par degrés
Pâlir en s'effaçant leurs fronts décolorés,
Et tous, comme un ruisseau qui dans un lac s'écoule,
Se perdre autour de moi dans une immense foule.

Foule sans nom ! chaos ! des voix, des yeux, des pas.
Ceux qu'on n'a jamais vus, ceux qu'on ne connaît pas.
Tous les vivants ! - cités bourdonnant aux oreilles
Plus qu'un bois d'Amérique ou des ruches d'abeilles,
Caravanes campant sur le désert en feu,
Matelots dispersés sur l'océan de Dieu,
Et, comme un pont hardi sur l'onde qui chavire,
Jetant d'un monde à l'autre un sillon de navire,
Ainsi que l'araignée entre deux chênes verts
Jette un fil argenté qui flotte dans les airs !

Les deux pôles ! le monde entier ! la mer, la terre,
Alpes aux fronts de neige, Etnas au noir cratère,
Tout à la fois, automne, été, printemps, hiver,
Les vallons descendant de la terre à la mer
Et s'y changeant en golfe, et des mers aux campagnes
Les caps épanouis en chaînes de montagnes,
Et les grands continents, brumeux, verts ou dorés,
Par les grands océans sans cesse dévorés,
Tout, comme un paysage en une chambre noire
Se réfléchit avec ses rivières de moire,
Ses passants, ses brouillards flottant comme un duvet,
Tout dans mon esprit sombre allait, marchait, vivait !
Alors, en attachant, toujours plus attentives,
Ma pensée et ma vue aux mille perspectives
Que le souffle du vent ou le pas des saisons
M'ouvrait à tous moments dans tous les horizons,
Je vis soudain surgir, parfois du sein des ondes,
A côté des cités vivantes des deux mondes,
D'autres villes aux fronts étranges, inouïs,
Sépulcres ruinés des temps évanouis,
Pleines d'entassements, de tours, de pyramides,
Baignant leurs pieds aux mers, leur tête aux cieux humides.

Quelques-unes sortaient de dessous des cités
Où les vivants encor bruissent agités,
Et des siècles passés jusqu'à l'âge où nous sommes
Je pus compter ainsi trois étages de Romes.
Et tandis qu'élevant leurs inquiètes voix,
Les cités des vivants résonnaient à la fois
Des murmures du peuple ou du pas des armées,
Ces villes du passé, muettes et fermées,
Sans fumée à leurs toits, sans rumeurs dans leurs seins,
Se taisaient, et semblaient des ruches sans essaims.
J'attendais. Un grand bruit se fit. Les races mortes
De ces villes en deuil vinrent ouvrir les portes,
Et je les vis marcher ainsi que les vivants,
Et jeter seulement plus de poussière aux vents.
Alors, tours, aqueducs, pyramides, colonnes,
Je vis l'intérieur des vieilles Babylones,
Les Carthages, les Tyrs, les Thèbes, les Sions,
D'où sans cesse sortaient des générations.

Ainsi j'embrassais tout : et la terre, et Cybèle ;
La face antique auprès de la face nouvelle ;
Le passé, le présent ; les vivants et les morts ;
Le genre humain complet comme au jour du remords.
Tout parlait à la fois, tout se faisait comprendre,
Le pélage d'Orphée et l'étrusque d'Évandre,
Les runes d'Irmensul, le sphinx égyptien,
La voix du nouveau monde aussi vieux que l'ancien.

Or, ce que je voyais, je doute que je puisse
Vous le peindre : c'était comme un grand édifice
Formé d'entassements de siècles et de lieux ;
On n'en pouvait trouver les bords ni les milieux ;
A toutes les hauteurs, nations, peuples, races,
Mille ouvriers humains, laissant partout leurs traces,
Travaillaient nuit et jour, montant, croisant leurs pas,
Parlant chacun leur langue et ne s'entendant pas ;
Et moi je parcourais, cherchant qui me réponde,
De degrés en degrés cette Babel du monde.

La nuit avec la foule, en ce rêve hideux,
Venait, s'épaississant ensemble toutes deux,
Et, dans ces régions que nul regard ne sonde,
Plus l'homme était nombreux, plus l'ombre était profonde.
Tout devenait douteux et vague, seulement
Un souffle qui passait de moment en moment,
Comme pour me montrer l'immense fourmilière,
Ouvrait dans l'ombre au **** des vallons de lumière,
Ainsi qu'un coup de vent fait sur les flots troublés
Blanchir l'écume, ou creuse une onde dans les blés.

Bientôt autour de moi les ténèbres s'accrurent,
L'horizon se perdit, les formes disparurent,
Et l'homme avec la chose et l'être avec l'esprit
Flottèrent à mon souffle, et le frisson me prit.
J'étais seul. Tout fuyait. L'étendue était sombre.
Je voyais seulement au ****, à travers l'ombre,
Comme d'un océan les flots noirs et pressés,
Dans l'espace et le temps les nombres entassés !

Oh ! cette double mer du temps et de l'espace
Où le navire humain toujours passe et repasse,
Je voulus la sonder, je voulus en toucher
Le sable, y regarder, y fouiller, y chercher,
Pour vous en rapporter quelque richesse étrange,
Et dire si son lit est de roche ou de fange.
Mon esprit plongea donc sous ce flot inconnu,
Au profond de l'abîme il nagea seul et nu,
Toujours de l'ineffable allant à l'invisible...
Soudain il s'en revint avec un cri terrible,
Ébloui, haletant, stupide, épouvanté,
Car il avait au fond trouvé l'éternité.

Mai 1830.
I

La chambre est pleine d'ombre ; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encore alourdi par le rêve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève...
- Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux ;
Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux ;
Et la nouvelle Année, à la suite brumeuse,
Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant...

II

Or les petits enfants, sous le rideau flottant,
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.
Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure...
Ils tressaillent souvent à la claire voix d'or
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor
Son refrain métallique en son globe de verre...
- Puis, la chambre est glacée... on voit traîner à terre,
Épars autour des lits, des vêtements de deuil
L'âpre bise d'hiver qui se lamente au seuil
Souffle dans le logis son haleine morose !
On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose...
- Il n'est donc point de mère à ces petits enfants,
De mère au frais sourire, aux regards triomphants ?
Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée,
D'exciter une flamme à la cendre arrachée,
D'amonceler sur eux la laine et l'édredon
Avant de les quitter en leur criant : pardon.
Elle n'a point prévu la froideur matinale,
Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale ?...
- Le rêve maternel, c'est le tiède tapis,
C'est le nid cotonneux où les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches !...
- Et là, - c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur,
Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ;
Un nid que doit avoir glacé la bise amère...

III

Votre coeur l'a compris : - ces enfants sont sans mère.
Plus de mère au logis ! - et le père est bien **** !...
- Une vieille servante, alors, en a pris soin.
Les petits sont tout seuls en la maison glacée ;
Orphelins de quatre ans, voilà qu'en leur pensée
S'éveille, par degrés, un souvenir riant...
C'est comme un chapelet qu'on égrène en priant :
- Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes !
Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes
Dans quelque songe étrange où l'on voyait joujoux,
Bonbons habillés d'or, étincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore !
On s'éveillait matin, on se levait joyeux,
La lèvre affriandée, en se frottant les yeux...
On allait, les cheveux emmêlés sur la tête,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête,
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher...
On entrait !... Puis alors les souhaits... en chemise,
Les baisers répétés, et la gaîté permise !

IV

Ah ! c'était si charmant, ces mots dits tant de fois !
- Mais comme il est changé, le logis d'autrefois :
Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée,
Toute la vieille chambre était illuminée ;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer...
- L'armoire était sans clefs !... sans clefs, la grande armoire !
On regardait souvent sa porte brune et noire...
Sans clefs !... c'était étrange !... on rêvait bien des fois
Aux mystères dormant entre ses flancs de bois,
Et l'on croyait ouïr, au fond de la serrure
Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure...
- La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui
Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui ;
Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises :
Partant, point de baisers, point de douces surprises !
Oh ! que le jour de l'an sera triste pour eux !
- Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus,
Silencieusement tombe une larme amère,
Ils murmurent : "Quand donc reviendra notre mère ?"

V

Maintenant, les petits sommeillent tristement :
Vous diriez, à les voir, qu'ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible !
Les tout petits enfants ont le coeur si sensible !
- Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil met un rêve joyeux,
Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose...
- Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond,
Doux geste du réveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d'eux se pose...
Ils se croient endormis dans un paradis rose...
Au foyer plein d'éclairs chante gaîment le feu...
Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu ;
La nature s'éveille et de rayons s'enivre...
La terre, demi-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil...
Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil
Les sombres vêtements ne jonchent plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire ...
On dirait qu'une fée a passé dans cela ! ...
- Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris... Là,
Près du lit maternel, sous un beau rayon rose,
Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose...
Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants ;
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots gravés en or : "À NOTRE MÈRE !"
Ils vont sans trêve ; ils vont sous le ciel bas et sombre,
Les Fugitifs, chassés des anciens paradis ;
Et toute la tribu, depuis des jours sans nombre,
Dans leur sillon fatal traîne ses pieds roidis.

Ils vont, les derniers-nés des races primitives,
Les derniers dont les yeux, sur les divins sommets,
Dans les herbes en fleur ont vu fuir les Eaux vives
Et grandir un Soleil, oublié désormais.

Tout est mort et flétri sur les plateaux sublimes
Où l'aurore du monde a lui pour leurs aïeux ;
Et voici que les fils, à l'étroit sur les cimes,
Vers l'Occident nocturne ont cherché d'autres cieux.

Ils ont fui. Le vent souffle et pousse dans l'espace
La neige inépuisable en tourbillons gonflés ;
Un hiver éternel suspend, en blocs de glace,
De rigides torrents aux flancs des monts gelés.

Des amas de rochers, blancs d'une lourde écume,
Témoins rugueux d'un monde informe et surhumain.
Visqueux, lavés de pluie et noyés dans la brume,
De leurs blocs convulsés ferment l'âpre chemin.

Des forêts d'arbres morts, tordus par les tempêtes,
S'étendent ; et le cri des voraces oiseaux,
Près de grands lacs boueux, répond au cri des bêtes
Qui râlent en glissant sur l'épaisseur des eaux.

Mais l'immense tribu, par les sentiers plus rudes,
Par les ravins fangeux où s'engouffre le vent,
Comme un troupeau perdu, s'enfonce aux solitudes,
Sans hâte, sans relâche et toujours plus avant.

En tête, interrogeant l'ombre de leurs yeux ternes,
Marchent les durs chasseurs, les géants et les forts,
Plus monstrueux que l'ours qu'au seuil de leurs cavernes
Ils étouffaient naguère en luttant corps à corps.

Leurs longs cheveux, pareils aux lianes farouches,
En lanières tombaient de leurs crânes étroits,
Tandis qu'en se figeant l'haleine de leurs bouchés
Hérissait de glaçons leurs barbes aux poils droits.

Les uns, ceints de roseaux tressés ou d'herbes sèches,
Aux rafales de grêle offraient leurs larges flancs ;
D'autres, autour du col attachant des peaux fraîches,
D'un manteau ******* couvraient leurs reins sanglants.

Et les femmes marchaient, lentes, mornes, livides,
Haletant et pliant sous les doubles fardeaux
Des blêmes nourrissons pendus à leurs seins vides
Et des petits enfants attachés sur leur dos.

En arrière, portés sur des branches unies,
De grands vieillards muets songeaient aux jours lointains
Et, soulevant parfois leurs paupières ternies,
Vers l'horizon perdu tournaient des yeux éteints.

Ils allaient. Mais soudain, quand la nuit dans, l'espace
Roulait, avec la peur, l'obscurité sans fin,
La tribu tout entière, épuisée et trop lasse,
Multipliait le cri terrible de sa faim.

Les chasseurs ont hier suivi des pistes fausses ;
Le renne prisonnier a rompu ses liens ;
L'ours défiant n'a pas trébuché dans les fosses ;
Le cerf n'est pas tombé sous les crocs blancs des chiens.

Le sol ne livre plus ni germes ni racines,
Le poisson se dérobe aux marais submergés ;
Rien, ni les acres fruits ni le flux des résines,
Ni la moelle épaisse au creux des os rongés.

Et voici qu'appuyés sur des haches de pierre,
Les mâles, dans l'horreur d'un songe inassouvi,
Ont compté tous les morts dont la chair nourricière
Fut le festin des loups, sur le chemin suivi.

Voici la proie humaine, offerte à leur délire,
Vieillards, femmes, enfants, les faibles, autour d'eux
Vautrés dans leur sommeil stupide, sans voir luire
Les yeux des carnassiers en un cercle hideux.

Les haches ont volé. Devant les corps inertes,
Dans la pourpre qui bout et coule en noirs ruisseaux,
Les meurtriers, fouillant les poitrines ouvertes,
Mangent les cœurs tout vifs, arrachés par morceaux.

Et tous, repus, souillés d'un sang qui fume encore,
Parmi les os blanchis épars sur le sol nu,
Aux blafardes lueurs de la nouvelle aurore,
Marchent, silencieux, vers le but inconnu.

Telle, de siècle en siècle incessamment errante,
Sur la neige durcie et le désert glacé
Ne laissant même pas sa trace indifférente,
La tribu, sans espoir et sans rêve, a passé.

Tels, les Fils de l'Exil, suivant le bord des fleuves
Dont les vallons emplis traçaient le large cours,
Sauvages conquérants des solitudes neuves,
Ont avancé, souffert et pullulé toujours ;

Jusqu'à l'heure où, du sein des vapeurs méphitiques,
Dont le rideau flottant se déchira soudain,
Une terre, pareille aux demeures antiques,
A leurs yeux éblouis fleurit comme un jardin.

Devant eux s'étalait calme, immense et superbe,
Comme un tapis changeant au pied des monts jeté,
Un pays, vierge encore, où, mugissant dans l'herbe,
Des vaches au poil blanc paissaient en liberté.

Et sous les palmiers verts, parmi les fleurs nouvelles,
Les étalons puissants, les cerfs aux pieds légers
Et les troupeaux épars des fuyantes gazelles
Écoutaient sans effroi les pas des étrangers.

C'était là. Le Destin, dans l'aube qui se lève,
Au terme de l'Exil ressuscitait pour eux,
Comme un réveil tardif après un sombre rêve,
Le vivant souvenir des siècles bienheureux.

La Vie a rejailli de la source féconde,
Et toute soif s'abreuve à son flot fortuné,
Et le désert se peuple et toute chair abonde,
Et l'homme pacifique est comme un nouveau-né.

Il revoit le Soleil, l'immortelle Lumière,
Et le ciel où, témoins des clémentes saisons,
Des astres reconnus, à l'heure coutumière,
Montent, comme autrefois, sur les vieux horizons.

Et plus ****, par delà le sable monotone,
Il voit irradier, comme un profond miroir,
L'étincelante mer dont l'infini frissonne
Quand le Soleil descend dans la rougeur du soir.

Et le Ciel sans limite et la Nature immense,
Les eaux, les bois, les monts, tout s'anime à ses yeux.
Moins aveugle et moins sourd, un univers commence
Où son cœur inquiet sent palpiter des Dieux.

Ils naissent du chaos où s'ébauchaient leurs formes,
Multiples et sans noms, l'un par l'autre engendrés ;
Et le reflet sanglant de leurs ombres énormes
D'une terreur barbare emplit les temps sacrés.

Ils parlent dans l'orage ; ils pleurent dans l'averse.
Leur bras libérateur darde et brandit l'éclair,
Comme un glaive strident qui poursuit et transperce
Les monstres nuageux accumulés dans l'air.

Sur l'abîme éternel des eaux primordiales
Nagent des Dieux prudents, tels que de grands poissons ;
D'infaillibles Esprits peuplent les nuits astrales ;
Des serpents inspirés sifflent dans les buissons.

Puis, lorsque surgissant comme un roi, dans l'aurore,
Le Soleil triomphal brille au firmament bleu,
L'homme, les bras tendus, chante, contemple, adore
La Majesté suprême et le plus ancien Dieu ;

Celui qui féconda la Vie universelle,
L'ancêtre vénéré du jour propice et pur,
Le guerrier lumineux dont le disque étincelle
Comme un bouclier d'or suspendu dans l'azur ;

Et celui qui parfois, formidable et néfaste,
Immobile au ciel fauve et morne de l'Été,
Flétrit, dévore, embrase, et du désert plus vaste
Fait, jusqu'aux profondeurs, flamber l'immensité.

Mais quand l'homme, éveillant l'éternelle Nature,
Ses formes, ses couleurs, ses clartés et ses voix,
Fut seul devant les Dieux, fils de son âme obscure,
Il tressaillit d'angoisse et supplia ses Rois.

Alors, ô Souverains ! les taureaux et les chèvres
D'un sang expiatoire ont inondé le sol ;
Et l'hymne évocateur, en s'échappant des lèvres,
Comme un aiglon divin tenta son premier vol.

Idoles de granit, simulacres de pierre,
Bétyles, Pieux sacrés, Astres du ciel serein,
Vers vous, avec l'offrande, a monté la prière,
Et la graisse a fumé sur les autels d'airain.

Les siècles ont passé ; les races successives
Ont bâti des palais, des tours et des cités
Et des temples jaloux, dont les parois massives
Aux profanes regards cachaient les Dieux sculptés.

Triomphants tour à tour ou livrés aux insultes,
Voluptueux, cruels, terribles ou savants,
Tels, vous avez versé pour jamais, ô vieux cultes !
L'ivresse du Mystère aux âmes des vivants.

Tels vous traînez encore, au fond de l'ombre ingrate,
Vos cortèges sacrés, lamentables et vains,
Du vieux Nil à la mer et du Gange à l'Euphrate,
Ô spectres innommés des ancêtres divins !

Et dans le vague abîme où gît le monde antique,
Luit, comme un astre mort, au ciel religieux,
La sombre majesté de l'Orient mystique,
Berceau des nations et sépulcre des Dieux.
Sur un écueil battu par la vague plaintive,
Le nautonier de **** voit blanchir sur la rive
Un tombeau près du bord par les flots déposé ;
Le temps n'a pas encor bruni l'étroite pierre,
Et sous le vert tissu de la ronce et du lierre
On distingue... un sceptre brisé !

Ici gît... point de nom !... demandez à la terre !
Ce nom ? il est inscrit en sanglant caractère
Des bords du Tanaïs au sommet du Cédar,
Sur le bronze et le marbre, et sur le sein des braves,
Et jusque dans le cœur de ces troupeaux d'esclaves
Qu'il foulait tremblants sous son char.

Depuis ces deux grands noms qu'un siècle au siècle annonce,
Jamais nom qu'ici-bas toute langue prononce
Sur l'aile de la foudre aussi **** ne vola.
Jamais d'aucun mortel le pied qu'un souffle efface
N'imprima sur la terre une plus forte trace,
Et ce pied s'est arrêté là !...

Il est là !... sous trois pas un enfant le mesure !
Son ombre ne rend pas même un léger murmure !
Le pied d'un ennemi foule en paix son cercueil !
Sur ce front foudroyant le moucheron bourdonne,
Et son ombre n'entend que le bruit monotone
D'une vague contre un écueil !

Ne crains rien, cependant, ombre encore inquiète,
Que je vienne outrager ta majesté muette.
Non. La lyre aux tombeaux n'a jamais insulté.
La mort fut de tout temps l'asile de la gloire.
Rien ne doit jusqu'ici poursuivre une mémoire.
Rien !... excepté la vérité !

Ta tombe et ton berceau sont couverts d'un nuage,
Mais pareil à l'éclair tu sortis d'un orage !
Tu foudroyas le monde avant d'avoir un nom !
Tel ce Nil dont Memphis boit les vagues fécondes
Avant d'être nommé fait bouilloner ses ondes
Aux solitudes de Memnom.

Les dieux étaient tombés, les trônes étaient vides ;
La victoire te prit sur ses ailes rapides
D'un peuple de Brutus la gloire te fit roi !
Ce siècle, dont l'écume entraînait dans sa course
Les mœurs, les rois, les dieux... refoulé vers sa source,
Recula d'un pas devant toi !

Tu combattis l'erreur sans regarder le nombre ;
Pareil au fier Jacob tu luttas contre une ombre !
Le fantôme croula sous le poids d'un mortel !
Et, de tous ses grands noms profanateur sublime,
Tu jouas avec eux, comme la main du crime
Avec les vases de l'autel.

Ainsi, dans les accès d'un impuissant délire
Quand un siècle vieilli de ses mains se déchire
En jetant dans ses fers un cri de liberté,
Un héros tout à coup de la poudre s'élève,
Le frappe avec son sceptre... il s'éveille, et le rêve
Tombe devant la vérité !

Ah ! si rendant ce sceptre à ses mains légitimes,
Plaçant sur ton pavois de royales victimes,
Tes mains des saints bandeaux avaient lavé l'affront !
Soldat vengeur des rois, plus grand que ces rois même,
De quel divin parfum, de quel pur diadème
L'histoire aurait sacré ton front !

Gloire ! honneur! liberté ! ces mots que l'homme adore,
Retentissaient pour toi comme l'airain sonore
Dont un stupide écho répète au **** le son :
De cette langue en vain ton oreille frappée
Ne comprit ici-bas que le cri de l'épée,
Et le mâle accord du clairon !

Superbe, et dédaignant ce que la terre admire,
Tu ne demandais rien au monde, que l'empire !
Tu marchais !... tout obstacle était ton ennemi !
Ta volonté volait comme ce trait rapide
Qui va frapper le but où le regard le guide,
Même à travers un cœur ami !

Jamais, pour éclaircir ta royale tristesse,
La coupe des festins ne te versa l'ivresse ;
Tes yeux d'une autre pourpre aimaient à s'enivrer !
Comme un soldat debout qui veille sous les armes,
Tu vis de la beauté le sourire ou les larmes,
Sans sourire et sans soupirer !

Tu n'aimais que le bruit du fer, le cri d'alarmes !
L'éclat resplendissant de l'aube sur tes armes !
Et ta main ne flattait que ton léger coursier,
Quand les flots ondoyants de sa pâle crinière
Sillonnaient comme un vent la sanglante poussière,
Et que ses pieds brisaient l'acier !

Tu grandis sans plaisir, tu tombas sans murmure !
Rien d'humain ne battait sous ton épaisse armure :
Sans haine et sans amour, tu vivais pour penser :
Comme l'aigle régnant dans un ciel solitaire,
Tu n'avais qu'un regard pour mesurer la terre,
Et des serres pour l'embrasser !

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S'élancer d'un seul bon au char de la victoire,
Foudroyer l'univers des splendeurs de sa gloire,
Fouler d'un même pied des tribuns et des rois ;
Forger un joug trempé dans l'amour et la haine,
Et faire frissonner sous le frein qui l'enchaîne
Un peuple échappé de ses lois !

Etre d'un siècle entier la pensée et la vie,
Emousser le poignard, décourager l'envie ;
Ebranler, raffermir l'univers incertain,
Aux sinistres clarté de ta foudre qui gronde
Vingt fois contre les dieux jouer le sort du monde,
Quel rêve ! et ce fut ton destin !...

Tu tombas cependant de ce sublime faîte !
Sur ce rocher désert jeté par la tempête,
Tu vis tes ennemis déchirer ton manteau !
Et le sort, ce seul dieu qu'adora ton audace,
Pour dernière faveur t'accorda cet espace
Entre le trône et le tombeau !

Oh ! qui m'aurait donné d'y sonder ta pensée,
Lorsque le souvenir de te grandeur passée
Venait, comme un remords, t'assaillir **** du bruit !
Et que, les bras croisés sur ta large poitrine,
Sur ton front chauve et nu, que la pensée incline,
L'horreur passait comme la nuit !

Tel qu'un pasteur debout sur la rive profonde
Voit son ombre de **** se prolonger sur l'onde
Et du fleuve orageux suivre en flottant le cours ;
Tel du sommet désert de ta grandeur suprême,
Dans l'ombre du passé te recherchant toi-même,
Tu rappelais tes anciens jours !

Ils passaient devant toi comme des flots sublimes
Dont l'oeil voit sur les mers étinceler les cimes,
Ton oreille écoutait leur bruit harmonieux !
Et, d'un reflet de gloire éclairant ton visage,
Chaque flot t'apportait une brillante image
Que tu suivais longtemps des yeux !

Là, sur un pont tremblant tu défiais la foudre !
Là, du désert sacré tu réveillais la poudre !
Ton coursier frissonnait dans les flots du Jourdain !
Là, tes pas abaissaient une cime escarpée !
Là, tu changeais en sceptre une invincible épée !
Ici... Mais quel effroi soudain ?

Pourquoi détournes-tu ta paupière éperdue ?
D'où vient cette pâleur sur ton front répandue ?
Qu'as-tu vu tout à coup dans l'horreur du passé ?
Est-ce d'une cité la ruine fumante ?
Ou du sang des humains quelque plaine écumante ?
Mais la gloire a tout effacé.

La gloire efface tout !... tout excepté le crime !
Mais son doigt me montrait le corps d'une victime ;
Un jeune homme! un héros, d'un sang pur inondé !
Le flot qui l'apportait, passait, passait, sans cesse ;
Et toujours en passant la vague vengeresse
Lui jetait le nom de Condé !...

Comme pour effacer une tache livide,
On voyait sur son front passer sa main rapide ;
Mais la trace du sang sous son doigt renaissait !
Et, comme un sceau frappé par une main suprême,
La goutte ineffaçable, ainsi qu'un diadème,
Le couronnait de son forfait !

C'est pour cela, tyran! que ta gloire ternie
Fera par ton forfait douter de ton génie !
Qu'une trace de sang suivra partout ton char !
Et que ton nom, jouet d'un éternel orage,
Sera par l'avenir ballotté d'âge en âge
Entre Marius et César !

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Tu mourus cependant de la mort du vulgaire,
Ainsi qu'un moissonneur va chercher son salaire,
Et dort sur sa faucille avant d'être payé !
Tu ceignis en mourant ton glaive sur ta cuisse,
Et tu fus demander récompense ou justice
Au dieu qui t'avait envoyé !

On dit qu'aux derniers jours de sa longue agonie,
Devant l'éternité seul avec son génie,
Son regard vers le ciel parut se soulever !
Le signe rédempteur toucha son front farouche !...
Et même on entendit commencer sur sa bouche
Un nom !... qu'il n'osait achever !

Achève... C'est le dieu qui règne et qui couronne !
C'est le dieu qui punit ! c'est le dieu qui pardonne !
Pour les héros et nous il a des poids divers !
Parle-lui sans effroi ! lui seul peut te comprendre !
L'esclave et le tyran ont tous un compte à rendre,
L'un du sceptre, l'autre des fers !

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Son cercueil est fermé ! Dieu l'a jugé ! Silence !
Son crime et ses exploits pèsent dans la balance :
Que des faibles mortels la main n'y touche plus !
Qui peut sonder, Seigneur, ta clémence infinie ?
Et vous, fléaux de Dieu ! qui sait si le génie
N'est pas une de vos vertus ?...
Voyez-vous de l'or de ces urnes
S'échapper ces esprits des fleurs,
Tout trempés de parfums nocturnes,
Tout vêtus de fraîches couleurs ?

Ce ne sont pas de vains fantômes
Créés par un art décevant,
Pour donner un corps aux arômes
Que nos gazons livrent au vent.

Non : chaque atome de matière
Par un esprit est habité ;
Tout sent, et la nature entière
N'est que douleur et volupté !

Chaque rayon d'humide flamme
Qui jaillit de vos yeux si doux ;
Chaque soupir qui de mon âme
S'élance et palpite vers vous ;

Chaque parole réprimée
Qui meurt sur mes lèvres de feu,
N'osant même à la fleur aimée
D'un nom chéri livrer l'aveu ;

Ces songes que la nuit fait naître
Comme pour nous venger du jour,
Tout prend un corps, une âme, un être,
Visibles, mais au seul amour !

Cet ange flottant des prairies,
Pâle et penché comme ses lis,
C'est une de mes rêveries
Restée aux fleurs que je cueillis.

Et sur ses ailes renversées
Celui qui jouit d'expirer,
Ce n'est qu'une de mes pensées
Que vos lèvres vont respirer.
(Au Marquis de Lamaisonfort)

Oh ! qui m'emportera vers les tièdes rivages,
Où l'Arno couronné de ses pâles ombrages,
Aux murs des Médicis en sa course arrêté,
Réfléchit le palais par un sage habité,
Et semble, au bruit flatteur de son onde plus lente,
Murmurer les grands noms de Pétrarque et du Dante ?
Ou plutôt, que ne puis-je, au doux tomber du jour,
Quand le front soulagé du fardeau de la cour,
Tu vas sous tes bosquets chercher ton Égérie,
Suivre, en rêvant, tes pas de prairie en prairie ;
Jusqu'au modeste toit par tes mains embelli,
Où tu cours adorer le silence et l'oubli !
J'adore aussi ces dieux : depuis que la sagesse
Aux rayons du malheur a mûri ma jeunesse,
Pour nourrir ma raison des seuls fruits immortels,
J'y cherche en soupirant l'ombre de leurs autels ;
Et, s'il est au sommet de la verte colline,
S'il est sur le penchant du coteau qui s'incline,
S'il est aux bords déserts du torrent ignoré
Quelque rustique abri, de verdure entouré,
Dont le pampre arrondi sur le seuil domestique
Dessine en serpentant le flexible portique ;
Semblable à la colombe errante sur les eaux,
Qui, des cèdres d'Arar découvrant les rameaux,
Vola sur leur sommet poser ses pieds de rose,
Soudain mon âme errante y vole et s'y repose !
Aussi, pendant qu'admis dans les conseils des rois,
Représentant d'un maître honoré par son choix,
Tu tiens un des grands fils de la trame du monde ;
Moi, parmi les pasteurs, assis aux bords de l'onde,
Je suis d'un oeil rêveur les barques sur les eaux ;
J'écoute les soupirs du vent dans les roseaux ;
Nonchalamment couché près du lit des fontaines,
Je suis l'ombre qui tourne autour du tronc des chênes,
Ou je grave un vain nom sur l'écorce des bois,
Ou je parle à l'écho qui répond à ma voix,
Ou dans le vague azur contemplant les nuages,
Je laisse errer comme eux mes flottantes images ;
La nuit tombe, et le Temps, de son doigt redouté,
Me marque un jour de plus que je n'ai pas compté !

Quelquefois seulement quand mon âme oppressée
Sent en rythmes nombreux déborder ma pensée ;
Au souffle inspirateur du soir dans les déserts,
Ma lyre abandonnée exhale encor des vers !
J'aime à sentir ces fruits d'une sève plus mûre,
Tomber, sans qu'on les cueille, au gré de la nature,
Comme le sauvageon secoué par les vents,
Sur les gazons flétris, de ses rameaux mouvants
Laisse tomber ces fruits que la branche abandonne,
Et qui meurent au pied de l'arbre qui les donne !
Il fut un temps, peut-être, où mes jours mieux remplis,
Par la gloire éclairés, par l'amour embellis,
Et fuyant **** de moi sur des ailes rapides,
Dans la nuit du passé ne tombaient pas si vides.
Aux douteuses clartés de l'humaine raison,
Egaré dans les cieux sur les pas de Platon,
Par ma propre vertu je cherchais à connaître
Si l'âme est en effet un souffle du grand être ;
Si ce rayon divers, dans l'argile enfermé,
Doit être par la mort éteint ou rallumé ;
S'il doit après mille ans revivre sur la terre ;
Ou si, changeant sept fois de destins et de sphère,
Et montant d'astre en astre à son centre divin,
D'un but qui fuit toujours il s'approche sans fin ?
Si dans ces changements nos souvenirs survivent ?
Si nos soins, nos amours, si nos vertus nous suivent
S'il est un juge assis aux portes des enfers,
Qui sépare à jamais les justes des pervers ?
S'il est de saintes lois qui, du ciel émanées,
Des empires mortels prolongent les années,
Jettent un frein au peuple indocile à leur voix,
Et placent l'équité sous la garde des rois ?
Ou si d'un dieu qui dort l'aveugle nonchalance
Laisse au gré du destin trébucher sa balance,
Et livre, en détournant ses yeux indifférents,
La nature au hasard, et la terre aux tyrans ?
Mais ainsi que des cieux, où son vol se déploie,
L'aigle souvent trompé redescend sans sa proie,
Dans ces vastes hauteurs où mon oeil s'est porté
Je n'ai rien découvert que doute et vanité !
Et las d'errer sans fin dans des champs sans limite,
Au seul jour où je vis, au seul bord que j'habite,
J'ai borné désormais ma pensée et mes soins :
Pourvu qu'un dieu caché fournisse à mes besoins !
Pourvu que dans les bras d'une épouse chérie
Je goûte obscurément les doux fruits de ma vie !
Que le rustique enclos par mes pères planté
Me donne un toit l'hiver, et de l'ombre l'été ;
Et que d'heureux enfants ma table couronnée
D'un convive de plus se peuple chaque année !
Ami ! je n'irai plus ravir si **** de moi,
Dans les secrets de Dieu ces comment ; ces pourquoi,
Ni du risible effort de mon faible génie,
Aider péniblement la sagesse infinie !
Vivre est assez pour nous ; un plus sage l'a dit :
Le soin de chaque jour à chaque jour suffit.
Humble, et du saint des saints respectant les mystères,
J'héritai l'innocence et le dieu de mes pères ;
En inclinant mon front j'élève à lui mes bras,
Car la terre l'adore et ne le comprend pas :
Semblable à l'Alcyon, que la mer dorme ou gronde,
Qui dans son nid flottant s'endort en paix sur l'onde,
Me reposant sur Dieu du soin de me guider
A ce port invisible où tout doit aborder,
Je laisse mon esprit, libre d'inquiétude,
D'un facile bonheur faisant sa seule étude,
Et prêtant sans orgueil la voile à tous les vents,
Les yeux tournés vers lui, suivre le cours du temps.

Toi, qui longtemps battu des vents et de l'orage,
Jouissant aujourd'hui de ce ciel sans nuage,
Du sein de ton repos contemples du même oeil
Nos revers sans dédain, nos erreurs sans orgueil ;
Dont la raison facile, et chaste sans rudesse,
Des sages de ton temps n'a pris que la sagesse,
Et qui reçus d'en haut ce don mystérieux
De parler aux mortels dans la langue des dieux ;
De ces bords enchanteurs où ta voix me convie,
Où s'écoule à flots purs l'automne de ta vie,
Où les eaux et les fleurs, et l'ombre, et l'amitié,
De tes jours nonchalants usurpent la moitié,
Dans ces vers inégaux que ta muse entrelace,
Dis-nous, comme autrefois nous l'aurait dit Horace,
Si l'homme doit combattre ou suivre son destin ?
Si je me suis trompé de but ou de chemin ?
S'il est vers la sagesse une autre route à suivre ?
Et si l'art d'être heureux n'est pas tout l'art de vivre.
Le soleil de nos jours pâlit dès son aurore,
Sur nos fronts languissants à peine il jette encore
Quelques rayons tremblants qui combattent la nuit ;
L'ombre croit, le jour meurt, tout s'efface et tout fuit !
Qu'un autre à cet aspect frissonne et s'attendrisse,
Qu'il recule en tremblant des bords du précipice,
Qu'il ne puisse de **** entendre sans frémir
Le triste chant des morts tout prêt à retentir,
Les soupirs étouffés d'une amante ou d'un frère
Suspendus sur les bords de son lit funéraire,
Ou l'airain gémissant, dont les sons éperdus
Annoncent aux mortels qu'un malheureux n'est plus !
Je te salue, ô mort ! Libérateur céleste,
Tu ne m'apparais point sous cet aspect funeste
Que t'a prêté longtemps l'épouvante ou l'erreur ;
Ton bras n'est point armé d'un glaive destructeur,
Ton front n'est point cruel, ton oeil n'est point perfide,
Au secours des douleurs un Dieu clément te guide ;
Tu n'anéantis pas, tu délivres! ta main,
Céleste messager, porte un flambeau divin ;
Quand mon oeil fatigué se ferme à la lumière,
Tu viens d'un jour plus pur inonder ma paupière ;
Et l'espoir près de toi, rêvant sur un tombeau,
Appuyé sur la foi, m'ouvre un monde plus beau !
Viens donc, viens détacher mes chaînes corporelles,
Viens, ouvre ma prison ; viens, prête-moi tes ailes,
Que tardes-tu? Parais ; que je m'élance enfin
Vers cet être inconnu, mon principe et ma fin !
Qui m'en a détaché ? qui suis-je, et que dois-je être ?
Je meurs et ne sais pas ce que c'est que de naître.
Toi, qu'en vain j'interroge, esprit, hôte inconnu,
Avant de m'animer, quel ciel habitais-tu ?
Quel pouvoir t'a jeté sur ce globe fragile ?
Quelle main t'enferma dans ta prison d'argile ?
Par quels noeuds étonnants, par quels secrets rapports
Le corps tient-il à toi comme tu tiens au corps ?
Quel jour séparera l'âme de la matière ?
Pour quel nouveau palais quitteras-tu la terre ?
As-tu tout oublié ? Par-delà le tombeau,
Vas-tu renaître encor dans un oubli nouveau ?
Vas-tu recommencer une semblable vie ?
Ou dans le sein de Dieu, ta source et ta patrie,
Affranchi pour jamais de tes liens mortels,
Vas-tu jouir enfin de tes droits éternels ?
Oui, tel est mon espoir, ô moitié de ma vie !
C'est par lui que déjà mon âme raffermie
A pu voir sans effroi sur tes traits enchanteurs
Se faner du printemps les brillantes couleurs.
C'est par lui que percé du trait qui me déchire,
Jeune encore, en mourant vous me verrez sourire,
Et que des pleurs de joie à nos derniers adieux,
A ton dernier regard, brilleront dans mes yeux.
" Vain espoir ! " s'écriera le troupeau d'Epicure,
Et celui dont la main disséquant la nature,
Dans un coin du cerveau nouvellement décrit,
Voit penser la matière et végéter l'esprit ;
Insensé ! diront-ils, que trop d'orgueil abuse,
Regarde autour de toi : tout commence et tout s'use,
Tout marche vers un terme, et tout naît pour mourir ;
Dans ces prés jaunissants tu vois la fleur languir ;
Tu vois dans ces forêts le cèdre au front superbe
Sous le poids de ses ans tomber, ramper sous l'herbe ;
Dans leurs lits desséchés tu vois les mers tarir ;
Les cieux même, les cieux commencent à pâlir ;
Cet astre dont le temps a caché la naissance,
Le soleil, comme nous, marche à sa décadence,
Et dans les cieux déserts les mortels éperdus
Le chercheront un jour et ne le verront plus !
Tu vois autour de toi dans la nature entière
Les siècles entasser poussière sur poussière,
Et le temps, d'un seul pas confondant ton orgueil,
De tout ce qu'il produit devenir le cercueil.
Et l'homme, et l'homme seul, ô sublime folie !
Au fond de son tombeau croit retrouver la vie,
Et dans le tourbillon au néant emporté.
Abattu par le temps, rêve l'éternité !
Qu'un autre vous réponde, ô sages de la terre !
Laissez-moi mon erreur : j'aime, il faut que j'espère ;
Notre faible raison se trouble et se confond.
Oui, la raison se tait : mais l'Instinct vous répond.
Pour moi, quand je verrais dans les célestes plaines,
Les astres, s'écartant de leurs routes certaines,
Dans les champs de l'éther l'un par l'autre heurtés,
Parcourir au hasard les cieux épouvantés ;
Quand j'entendrais gémir et se briser la terre ;
Quand je verrais son globe errant et solitaire
Flottant **** des soleils, pleurant l'homme détruit,
Se perdre dans les champs de l'éternelle nuit ;
Et quand, dernier témoin de ces scènes funèbres,
Entouré du chaos, de la mort, des ténèbres,
Seul je serais debout : seul, malgré mon effroi,
Etre infaillible et bon, j'espérerais en toi,
Et, certain du retour de l'éternelle aurore,
Sur les mondes détruits, je t'attendrais encore !
Souvent, tu t'en souviens, dans cet heureux séjour
Où naquit d'un regard notre immortel amour,
Tantôt sur les sommets de ces rochers antiques,
Tantôt aux bords déserts des lacs mélancoliques,
Sur l'aile du désir, **** du monde emportés,
Je plongeais avec toi dans ces obscurités.
Les ombres à longs plis descendant des montagnes,
Un moment à nos yeux dérobaient les campagnes
Mais bientôt s'avançant sans éclat et sans bruit
Le choeur mystérieux des astres de la nuit,
Nous rendant les objets voilés à notre vue,
De ses molles lueurs revêtait l'étendue ;
Telle, en nos temples saints par le jour éclairés,
Quand les rayons du soir pâlissent par degrés,
La lampe, répandant sa pieuse lumière,
D'un jour plus recueilli remplit le sanctuaire.
Dans ton ivresse alors tu ramenais mes yeux,
Et des cieux à la terre, et de la terre aux cieux ;
Dieu caché, disais-tu, la nature est ton temple !
L'esprit te voit partout quand notre oeil la contemple ;
De tes perfections, qu'il cherche à concevoir,
Ce monde est le reflet, l'image, le miroir ;
Le jour est ton regard, la beauté ton sourire
Partout le coeur t'adore et l'âme te respire ;
Eternel, infini, tout-puissant et tout bon,
Ces vastes attributs n'achèvent pas ton nom ;
Et l'esprit, accablé sous ta sublime essence,
Célèbre ta grandeur jusque dans son silence.
Et cependant, ô Dieu! par sa sublime loi,
Cet esprit abattu s'élance encore à toi,
Et sentant que l'amour est la fin de son être,
Impatient d'aimer, brûle de te connaître.
Tu disais : et nos coeurs unissaient leurs soupirs
Vers cet être inconnu qu'attestaient nos désirs ;
A genoux devant lui, l'aimant dans ses ouvrages,
Et l'aurore et le soir lui portaient nos hommages,
Et nos yeux enivrés contemplaient tour à tour
La terre notre exil, et le ciel son séjour.
Ah! si dans ces instants où l'âme fugitive
S'élance et veut briser le sein qui la captive,
Ce Dieu, du haut du ciel répondant à nos voeux,
D'un trait libérateur nous eût frappés tous deux !
Nos âmes, d'un seul bond remontant vers leur source,
Ensemble auraient franchi les mondes dans leur course
A travers l'infini, sur l'aile de l'amour,
Elles auraient monté comme un rayon du jour,
Et, jusqu'à Dieu lui-même arrivant éperdues,
Se seraient dans son sein pour jamais confondues !
Ces voeux nous trompaient-ils? Au néant destinés,
Est-ce pour le néant que les êtres sont nés ?
Partageant le destin du corps qui la recèle,
Dans la nuit du tombeau l'âme s'engloutit-elle ?
Tombe-t-elle en poussière ? ou, prête à s'envoler,
Comme un son qui n'est plus va-t-elle s'exhaler ?
Après un vain soupir, après l'adieu suprême
De tout ce qui t'aimait, n'est - il plus rien qui t'aime ?
Ah ! sur ce grand secret n'interroge que toi !
Vois mourir ce qui t'aime, Elvire, et réponds-moi !
Et j'ai dit dans mon coeur : Que faire de la vie ?
Irai-je encor, suivant ceux qui m'ont devancé,
Comme l'agneau qui passe où sa mère a passé,
Imiter des mortels l'immortelle folie ?

L'un cherche sur les mers les trésors de Memnom,
Et la vague engloutit ses voeux et son navire ;
Dans le sein de la gloire où son génie aspire,
L'autre meurt enivré par l'écho d'un vain nom.

Avec nos passions formant sa vaste trame,
Celui-là fonde un trône, et monte pour tomber ;
Dans des pièges plus doux aimant à succomber,
Celui-ci lit son sort dans les yeux d'une femme.

Le paresseux s'endort dans les bras de la faim ;
Le laboureur conduit sa fertile charrue ;
Le savant pense et lit, le guerrier frappe et tue ;
Le mendiant s'assied sur les bords du chemin.

Où vont-ils cependant ? Ils vont où va la feuille
Que chasse devant lui le souffle des hivers.
Ainsi vont se flétrir dans leurs travaux divers
Ces générations que le temps sème et cueille !

Ils luttaient contre lui, mais le temps a vaincu ;
Comme un fleuve engloutit le sable de ses rives,
Je l'ai vu dévorer leurs ombres fugitives.
Ils sont nés, ils sont morts : Seigneur, ont-ils vécu ?

Pour moi, je chanterai le maître que j'adore,
Dans le bruit des cités, dans la paix des déserts,
Couché sur le rivage, ou flottant sur les mers,
Au déclin du soleil, au réveil de l'aurore.

La terre m'a crié : Qui donc est le Seigneur ?
Celui dont l'âme immense est partout répandue,
Celui dont un seul pas mesure l'étendue,
Celui dont le soleil emprunte sa splendeur ;

Celui qui du néant a tiré la matière,
Celui qui sur le vide a fondé l'univers,
Celui qui sans rivage a renfermé les mers,
Celui qui d'un regard a lancé la lumière ;

Celui qui ne connaît ni jour ni lendemain,
Celui qui de tout temps de soi-même s'enfante,
Qui vit dans l'avenir comme à l'heure présente,
Et rappelle les temps échappés de sa main :

C'est lui ! c'est le Seigneur : que ma langue redise
Les cent noms de sa gloire aux enfants des mortels.
Comme la harpe d'or pendue à ses autels,
Je chanterai pour lui, jusqu'à ce qu'il me brise...
Jacob Reilly Jan 2019
La vie est un bateau
Qui ne doit pas couler
Mais qui ne peut voler
Flottant sur l’eau

Sur une jolie toile
Il avance tranquillement
Grâce à la voile
Et au vent changeant

Mais parfois ça devient rugueux
Et l’équilibre devient instable
Et les vagues sont grandes
Et le bateau ne peut pas supporter la tempête

Il s’enfonce profondément,
Plus profond, encore plus
Et au fond
Le bateau est oublié

Mais pourquoi ? Pourquoi le bateau a-t-il été oublié ?
Parce qu’il n’y avait personne qui l’attendait.
Il a erré dans le monde
À la recherche de quelqu’un qui l’accepterait

Personne ne l’a vu pour qui il était
Mais c’est ainsi que la vie est parfois
Et ainsi, à jamais le bateau doit reposer
Sur le fond de l’océan.
I.

Sur la terre, tantôt sable, tantôt savane,
L'un à l'autre liés en longue caravane,
Echangeant leur pensée en confuses rumeurs,
Emmenant avec eux les lois, les faits, les mœurs,
Les esprits, voyageurs éternels, sont en marche.
L'un porte le drapeau, les autres portent l'arche ;
Ce saint voyage a nom Progrès. De temps en temps,
Ils s'arrêtent, rêveurs, attentifs, haletants,
Puis repartent. En route ! ils s'appellent, ils s'aident,
Ils vont ! Les horizons aux horizons succèdent,
Les plateaux aux plateaux, les sommets aux sommets.
On avance toujours, on n'arrive jamais.
À chaque étape un guide accourt à leur rencontre ;
Quand Jean Huss disparaît, Luther pensif se montre
Luther s'en va, Voltaire alors prend le flambeau
Quand Voltaire s'arrête, arrive Mirabeau.
Ils sondent, pleins d'espoir, une terre inconnue
À chaque pas qu'on fait, la brume diminue ;
Ils marchent, sans quitter des yeux un seul instant
Le terme du voyage et l'asile où l'on tend,
Point lumineux au fond d'une profonde plaine,
La Liberté sacrée, éclatante et lointaine,
La Paix dans le travail, l'universel *****,
L'Idéal, ce grand but, Mecque du genre humain.

Plus ils vont, plus la foi les pousse et les exalte.

Pourtant, à de certains moments, lorsqu'on fait halte,
Que la fatigue vient, qu'on voit le jour blêmir,
Et qu'on a tant marché qu'il faut enfin dormir,
C'est l'instant où le Mal, prenant toutes les formes,
Morne oiseau, vil reptile ou monstre aux bonds énormes,
Chimère, préjugé, mensonge ténébreux,
C'est l'heure où le Passé, qu'ils laissent derrière eux,
Voyant dans chacun d'eux une proie échappée,
Surprend la caravane assoupie et campée,
Et, sortant hors de l'ombre et du néant profond,
Tâche de ressaisir ces esprits qui s'en vont.

II.

Le jour baisse ; on atteint quelque colline chauve
Que l'âpre solitude entoure, immense et fauve,
Et dont pas même un arbre, une roche, un buisson
Ne coupe l'immobile et lugubre horizon ;
Les tchaouchs, aux lueurs des premières étoiles,
Piquent des pieux en terre et déroulent les toiles ;
En cercle autour du camp les feux sont allumés,
Il est nuit. Gloire à Dieu ! voyageurs las, dormez.

Non, veillez ! car autour de vous tout se réveille.
Ecoutez ! écoutez ! debout ! prêtez l'oreille !
Voici qu'à la clarté du jour zodiacal,
L'épervier gris, le singe obscène, le chacal,
Les rats abjects et noirs, les belettes, les fouines,
Nocturnes visiteurs des tentes bédouines,
L'hyène au pas boiteux qui menace et qui fuit,
Le tigre au crâne plat où nul instinct ne luit,
Dont la férocité ressemble à de la joie,
Tous, les oiseaux de deuil et les bêtes de proie,
Vers le feu rayonnant poussant d'étranges voix,
De tous les points de l'ombre arrivent à la fois.
Dans la brume, pareils aux brigands qui maraudent,
Bandits de la nature, ils sont tous là qui rôdent.

Le foyer se reflète aux yeux des léopards.
Fourmillement terrible ! on voit de toutes parts
Des prunelles de braise errer dans les ténèbres.
La solitude éclate en hurlements funèbres.
Des pierres, des fossés, des ravins tortueux,
De partout, sort un bruit farouche et monstrueux.
Car lorsqu'un pas humain pénètre dans ces plaines,
Toujours, à l'heure où l'ombre épanche ses haleines,
Où la création commence son concert,
Le peuple épouvantable et rauque du désert,
Horrible et bondissant sous les pâles nuées,
Accueille l'homme avec des cris et des huées.
Bruit lugubre ! chaos des forts et des petits
Cherchant leur proie avec d'immondes appétits !
L'un glapit, l'autre rit, miaule, aboie, ou gronde.
Le voyageur invoque en son horreur profonde
Ou son saint musulman ou son patron chrétien.

Soudain tout fait silence et l'on n'entend plus rien.

Le tumulte effrayant cesse, râles et plaintes
Meurent comme des voix par l'agonie éteintes,
Comme si, par miracle et par enchantement,
Dieu même avait dans l'ombre emporté brusquement
Renards, singes, vautours, le tigre, la panthère,
Tous ces monstres hideux qui sont sur notre terre
Ce que sont les démons dans le monde inconnu.
Tout se tait.

Le désert est muet, vaste et nu.
L'œil ne voit sous les cieux que l'espace sans borne.

Tout à coup, au milieu de ce silence morne
Qui monte et qui s'accroît de moment en moment,
S'élève un formidable et long rugissement !

C'est le lion.

III.

Il vient, il surgit où vous êtes,
Le roi sauvage et roux des profondeurs muettes !

Il vient de s'éveiller comme le soir tombait,
Non, comme le loup triste, à l'odeur du gibet,
Non, comme le jaguar, pour aller dans les havres
Flairer si la tempête a jeté des cadavres,
Non, comme le chacal furtif et hasardeux,
Pour déterrer la nuit les morts, spectres hideux,
Dans quelque champ qui vit la guerre et ses désastres ;
Mais pour marcher dans l'ombre à la clarté des astres.
Car l'azur constellé plaît à son œil vermeil ;
Car Dieu fait contempler par l'aigle le soleil,
Et fait par le lion regarder les étoiles.
Il vient, du crépuscule il traverse les voiles,
Il médite, il chemine à pas silencieux,
Tranquille et satisfait sous la splendeur des cieux ;
Il aspire l'air pur qui manquait à son antre ;
Sa queue à coups égaux revient battre son ventre,
Et, dans l'obscurité qui le sent approcher,
Rien ne le voit venir, rien ne l'entend marcher.
Les palmiers, frissonnant comme des touffes d'herbe,
Frémissent. C'est ainsi que, paisible et superbe,
Il arrive toujours par le même chemin,
Et qu'il venait hier, et qu'il viendra demain,
À cette heure où Vénus à l'occident décline.

Et quand il s'est trouvé proche de la colline,
Marquant ses larges pieds dans le sable mouvant,
Avant même que l'œil d'aucun être vivant
Eût pu, sous l'éternel et mystérieux dôme,
Voir poindre à l'horizon son vague et noir fantôme,
Avant que dans la plaine il se fût avancé,
Il se taisait ; son souffle a seulement passé,
Et ce souffle a suffi, flottant à l'aventure,
Pour faire tressaillir la profonde nature,
Et pour faire soudain taire au plus fort du bruit
Toutes ces sombres voix qui hurlent dans la nuit.

IV.

Ainsi, quand, de ton antre enfin poussant la pierre,
Et las du long sommeil qui pèse à ta paupière,
Ô peuple, ouvrant tes yeux d'où sort une clarté,
Tu te réveilleras dans ta tranquillité,
Le jour où nos pillards, où nos tyrans sans nombre
Comprendront que quelqu'un remue au fond de l'ombre,
Et que c'est toi qui viens, ô lion ! ce jour-là,
Ce vil groupe où Falstaff s'accouple à Loyola,
Tous ces gueux devant qui la probité se cabre,
Les traîneurs de soutane et les traîneurs de sabre,
Le général Soufflard, le juge Barabbas,
Le jésuite au front jaune, à l'œil féroce et bas,
Disant son chapelet dont les grains sont des balles,
Les Mingrats bénissant les Héliogabales,
Les Veuillots qui naguère, errant sans feu ni lieu,
Avant de prendre en main la cause du bon Dieu,
Avant d'être des saints, traînaient dans les ribotes
Les haillons de leur style et les trous de leurs bottes,
L'archevêque, ouléma du Christ ou de Mahom,
Mâchant avec l'hostie un sanglant Te Deum,
Les Troplong, Les Rouher, violateurs de chartes,
Grecs qui tiennent les lois comme ils tiendraient les cartes,
Les beaux fils dont les mains sont rouges sous leurs gants.
Ces dévots, ces viveurs, ces bedeaux, ces brigands,
Depuis les hommes vils jusqu'aux hommes sinistres,
Tout ce tas monstrueux de gredins et de cuistres
Qui grincent, l'œil ardent, le mufle ensanglanté,
Autour de la raison et de la vérité,
Tous, du maître au goujat, du bandit au maroufle,
Pâles, rien qu'à sentir au **** passer ton souffle,
Feront silence, ô peuple ! et tous disparaîtront
Subitement, l'éclair ne sera pas plus prompt,
Cachés, évanouis, perdus dans la nuit sombre,
Avant même qu'on ait entendu, dans cette ombre
Où les justes tremblants aux méchants sont mêlés,
Ta grande voix monter vers les cieux étoilés !

Jersey, le 25 novembre 1852.
Vois, ce spectacle est beau. Ce paysage immense
Qui toujours devant nous finit et recommence ;
Ces blés, ces eaux, ces prés, ce bois charmant aux yeux ;
Ce chaume où l'on entend rire un groupe joyeux ;
L'océan qui s'ajoute à la plaine où nous sommes ;
Ce golfe, fait par Dieu, puis refait par les hommes,
Montrant la double main empreinte en ses contours,
Et des amas de rocs sous des monceaux de tours ;
Ces landes, ces forêts, ces crêtes déchirées ;
Ces antres à fleur d'eau qui boivent les marées ;
Cette montagne, au front de nuages couvert,
Qui dans un de ses plis porte un beau vallon vert,
Comme un enfant des fleurs dans un pan de sa robe ;
La ville que la brume à demi nous dérobe,
Avec ses mille toits bourdonnants et pressés ;
Ce bruit de pas sans nombre et de rameaux froissés,
De voix et de chansons qui par moments s'élève ;
Ces lames que la mer amincit sur la grève,
Où les longs cheveux verts des sombres goémons  
Tremblent dans l'eau moirée avec l'ombre des monts ;
Cet oiseau qui voyage et cet oiseau qui joue ;
Ici cette charrue, et là-bas cette proue,
Traçant en même temps chacune leur sillon ;
Ces arbres et ces mâts, jouets de l'aquilon ;
Et là-bas, par-delà les collines lointaines,
Ces horizons remplis de formes incertaines ;
Tout ce que nous voyons, brumeux ou transparent,
Flottant dans les clartés, dans les ombres errant,
Fuyant, debout, penché, fourmillant, solitaire,
Vagues, rochers, gazons, - regarde, c'est la terre !

Et là-haut, sur ton front, ces nuages si beaux
Où pend et se déchire une pourpre en lambeaux ;
Cet azur, qui ce soir sera l'ombre infinie ;
Cet espace qu'emplit l'éternelle harmonie ;
Ce merveilleux soleil, ce soleil radieux
Si puissant à changer toute forme à nos yeux
Que parfois, transformant en métaux les bruines,
On ne voit plus dans l'air que splendides ruines,
Entassements confus, amas étincelants
De cuivres et d'airains l'un sur l'autre croulants,
Cuirasses, boucliers, armures dénouées,
Et caparaçons d'or aux croupes des nuées ;
L'éther, cet océan si liquide et si bleu,
Sans rivage et sans fond, sans borne et sans milieu,
Que l'oscillation de toute haleine agite,
Où tout ce qui respire, ou remue, ou gravite,
A sa vague et son flot, à d'autres flots uni,
Où passent à la fois, mêlés dans l'infini,
Air tiède et vents glacés, aubes et crépuscules,
Bises d'hiver, ardeur des chaudes canicules,
Les parfums de la fleur et ceux de l'encensoir,
Les astres scintillant sur la robe du soir,
Et les brumes de gaze, et la douteuse étoile,
Paillette qui se perd dans les plis noirs du voile,
La clameur des soldats qu'enivre le tambour,
Le froissement du nid qui tressaille d'amour,
Les souffles, les échos, les brouillards, les fumées,
Mille choses que l'homme encor n'a pas nommées,
Les flots de la lumière et les ondes du bruit,
Tout ce qu'on voit le jour, tout ce qu'on sent la nuit ;
Eh bien ! nuage, azur, espace, éther, abîmes,
Ce fluide océan, ces régions sublimes
Toutes pleines de feux, de lueurs, de rayons,
Où l'âme emporte l'homme, où tous deux nous fuyons,
Où volent sur nos fronts, selon des lois profondes,
Près de nous les oiseaux et **** de nous les mondes,
Cet ensemble ineffable, immense, universel,
Formidable et charmant, contemple, c'est le ciel !

Oh oui ! la terre est belle et le ciel est superbe ;
Mais quand ton sein palpite et quand ton oeil reluit,
Quand ton pas gracieux court si léger sur l'herbe
Que le bruit d'une lyre est moins doux que son bruit ;

Lorsque ton frais sourire, aurore de ton âme,
Se lève rayonnant sur moi qu'il rajeunit,
Et de ta bouche rose, où naît sa douce flamme,
Monte jusqu'à ton front comme l'aube au zénith ;

Quand, parfois, sans te voir, ta jeune voix m'arrive,
Disant des mots confus qui m'échappent souvent,
Bruit d'une eau qui se perd sous l'ombre de sa rive
Chanson d'oiseau caché qu'on écoute en rêvant ;

Lorsque ma poésie, insultée et proscrite,
Sur ta tête un moment se repose en chemin ;
Quand ma pensée en deuil sous la tienne s'abrite,
Comme un flambeau de nuit sous une blanche main ;

Quand nous nous asseyons tous deux dans la vallée ;
Quand ton âme, soudain apparue en tes yeux,
Contemple avec les pleurs d'une soeur exilée,
Quelque vertu sur terre ou quelque étoile aux cieux ;

Quand brille sous tes cils, comme un feu sous les branches,
Ton beau regard, terni par de longues douleurs ;
Quand sous les maux passés tout à coup tu te penches,
Que tu veux me sourire et qu'il te vient des pleurs ;

Quand mon corps et ma vie à ton souffle résonnent,
Comme un tremblant clavier qui vibre à tout moment ;
Quand tes doigts, se posant sur mes doigts qui frissonnent,
Font chanter dans mon coeur un céleste instrument ;

Lorsque je te contemple, ô mon charme suprême !
Quand ta noble nature, épanouie aux yeux,
Comme l'ardent buisson qui contenait Dieu même,
Ouvre toutes ses fleurs et jette tous ses feux ;

Ce qui sort à la fois de tant de douces choses,
Ce qui de ta beauté s'exhale nuit et jour,
Comme un parfum formé du souffle de cent roses,
C'est bien plus que la terre et le ciel, c'est l'amour !
Sois avare du moindre écart d'honnêteté.
Sois juste en détail. Voir des deuils, rire à côté,
Mentir pour un plaisir, tricher pour un centime,
Cela ne te fait rien perdre en ta propre estime,
Eh bien, prends garde. Tout finit par s'amasser ;
Des choses que tu fais presque sans y penser,
Vagues improbités parfois inaperçues
De toi-même, te font tomber, sont des issues
Sur le mal, et par là tu descends dans la nuit.
Un lourd câble est de fils misérables construit ;
Qu'est-ce que l'océan ? une onde après une onde ;
Un ver creuse un abîme, un pou construit un monde ;
C'est brin à brin que l'aigle énorme fait son nid ;
Un tas de petits faits peu scrupuleux finit
Par faire le total d'une action mauvaise.
Et d'atome en atome on empire, et l'on pèse,
Souvent, quand vient le jour du compte solennel,
En n'étant qu'imprudent, le poids d'un criminel.
Homme, la conscience est une minutie.
L'âme est plus aisément que l'hermine, noircie.
Le vrai sans s'amoindrir toujours partout entra.
Ne crois pas que jamais, parce qu'on les mettra
Dans les moindres recoins de l'âme, on rapetisse
La probité, l'honneur, le droit et la justice.
Devant les cieux qu'emplit un vague aspect d'effroi,
Sur tout, sans savoir qui, sans demander pourquoi,
Le philosophe pleure, aime, intercède, prie.
Il pense ; il sonde avec sa prunelle attendrie
Le mystère, et comprend que quelqu'un gémit là.
Il parle à l'infini comme Jean lui parla ;
Il y penche son âme et par cette ouverture
Répand un sombre amour sur la vaste nature ;
Il bénit à voix basse en marchant devant lui
Toutes les profondeurs de l'ombre et de l'ennui,
L'antre, l'herbe, les monts glacés, les arbres torses,
Les courants, les aimants, l'hydre aveugle des forces,
Les joncs tremblants, les bois tristes, les rochers nus,
L'air, l'onde, et le troupeau des monstres inconnus ;
Il console, incliné ; ce qui vit, ce qui souffre,
Et, tous les noirs captifs invisibles du gouffre,
Epars dans l'Être horrible aux effrayants halliers,
Enchaînés aux carcans ou tirant des colliers.
Il perçoit les soupirs des visions funèbres ;
Il console et secourt plus bas que l'animal ;
Tendre, il fait du bien, même à ce qui fait du mal ;
Sans distinguer sur qui tombent ses pleurs, lui-même
N'étant qu'une lueur flottant dans le problème,
Il prie, argile, chair, larve ; et semble un rayon
Aux sombres yeux ouverts dans l'expiation.
L'ardeur d'apaiser tout est sa sublime fièvre ;
Il va ! prophète ou non, qu'importe que sa lèvre
Ait ou n'ait pas le feu du céleste charbon !
Il sait bien qu'on l'entend, qu'il suffit d'être bon,
Et que les exilés rêvent la délivrance ;
Il passe en murmurant Espérance ! espérance !
Et toute la souffrance est un appel confus
A son coeur d'où jamais il ne sort un refus.

Le 19 juin 1839.
Voilà le banc rustique où s'asseyait mon père,
La salle où résonnait sa voix mâle et sévère,
Quand les pasteurs assis sur leurs socs renversés
Lui comptaient les sillons par chaque heure tracés,
Ou qu'encor palpitant des scènes de sa gloire,
De l'échafaud des rois il nous disait l'histoire,
Et, plein du grand combat qu'il avait combattu,
En racontant sa vie enseignait la vertu !
Voilà la place vide où ma mère à toute heure
Au plus léger soupir sortait de sa demeure,
Et, nous faisant porter ou la laine ou le pain,
Vêtissait l'indigence ou nourrissait la faim ;
Voilà les toits de chaume où sa main attentive
Versait sur la blessure ou le miel ou l'olive,
Ouvrait près du chevet des vieillards expirants
Ce livre où l'espérance est permise aux mourants,
Recueillait leurs soupirs sur leur bouche oppressée,
Faisait tourner vers Dieu leur dernière pensée,
Et tenant par la main les plus jeunes de nous,
A la veuve, à l'enfant, qui tombaient à genoux,
Disait, en essuyant les pleurs de leurs paupières :
Je vous donne un peu d'or, rendez-leur vos prières !

Voilà le seuil, à l'ombre, où son pied nous berçait,
La branche du figuier que sa main abaissait,
Voici l'étroit sentier où, quand l'airain sonore
Dans le temple lointain vibrait avec l'aurore,
Nous montions sur sa trace à l'autel du Seigneur
Offrir deux purs encens, innocence et bonheur !
C'est ici que sa voix pieuse et solennelle
Nous expliquait un Dieu que nous sentions en elle,
Et nous montrant l'épi dans son germe enfermé,
La grappe distillant son breuvage embaumé,
La génisse en lait pur changeant le suc des plantes,
Le rocher qui s'entr'ouvre aux sources ruisselantes,
La laine des brebis dérobée aux rameaux
Servant à tapisser les doux nids des oiseaux,
Et le soleil exact à ses douze demeures,
Partageant aux climats les saisons et les heures,
Et ces astres des nuits que Dieu seul peut compter,
Mondes où la pensée ose à peine monter,
Nous enseignait la foi par la reconnaissance,
Et faisait admirer à notre simple enfance
Comment l'astre et l'insecte invisible à nos yeux
Avaient, ainsi que nous, leur père dans les cieux !
Ces bruyères, ces champs, ces vignes, ces prairies,
Ont tous leurs souvenirs et leurs ombres chéries.
Là, mes soeurs folâtraient, et le vent dans leurs jeux
Les suivait en jouant avec leurs blonds cheveux !
Là, guidant les bergers aux sommets des collines,
J'allumais des bûchers de bois mort et d'épines,
Et mes yeux, suspendus aux flammes du foyer,
Passaient heure après heure à les voir ondoyer.
Là, contre la fureur de l'aquilon rapide
Le saule caverneux nous prêtait son tronc vide,
Et j'écoutais siffler dans son feuillage mort
Des brises dont mon âme a retenu l'accord.
Voilà le peuplier qui, penché sur l'abîme,
Dans la saison des nids nous berçait sur sa cime,
Le ruisseau dans les prés dont les dormantes eaux
Submergeaient lentement nos barques de roseaux,
Le chêne, le rocher, le moulin monotone,
Et le mur au soleil où, dans les jours d'automne,
Je venais sur la pierre, assis près des vieillards,
Suivre le jour qui meurt de mes derniers regards !
Tout est encor debout; tout renaît à sa place :
De nos pas sur le sable on suit encor la trace ;
Rien ne manque à ces lieux qu'un coeur pour en jouir,
Mais, hélas ! l'heure baisse et va s'évanouir.

La vie a dispersé, comme l'épi sur l'aire,
**** du champ paternel les enfants et la mère,
Et ce foyer chéri ressemble aux nids déserts
D'où l'hirondelle a fui pendant de longs hivers !
Déjà l'herbe qui croît sur les dalles antiques
Efface autour des murs les sentiers domestiques
Et le lierre, flottant comme un manteau de deuil,
Couvre à demi la porte et rampe sur le seuil ;
Bientôt peut-être... ! écarte, ô mon Dieu ! ce présage !
Bientôt un étranger, inconnu du village,
Viendra, l'or à la main, s'emparer de ces lieux
Qu'habite encor pour nous l'ombre de nos aïeux,
Et d'où nos souvenirs des berceaux et des tombes
S'enfuiront à sa voix, comme un nid de colombes
Dont la hache a fauché l'arbre dans les forêts,
Et qui ne savent plus où se poser après !
Le ciel si pâle et les arbres si grêles
Semblent sourire à nos costumes clairs
Qui vont flottant légers avec des airs
De nonchalance et des mouvements d'ailes.

Et le vent doux ride l'humble bassin,
Et la lueur du soleil qu'atténue
L'ombre des bas tilleuls de l'avenue
Nous parvient bleue et mourante à dessein.

Trompeurs exquis et coquettes charmantes,
Coeurs tendres mais affranchis du serment,
Nous devisons délicieusement,
Et les amants lutinent les amantes
De qui la main imperceptible sait
Parfois donner un souffle qu'on échange
Contre un baiser sur l'extrême phalange
Du petit doigt, et comme la chose est
Immensément excessive et farouche,
On est puni par un regard très sec,
Lequel contraste, au demeurant, avec
La moue assez clémente de la bouche.
Oui, l'oeuvre sort plus belle
D'une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail.

Point de contraintes fausses !
Mais que pour marcher droit
Tu chausses,
Muse, un cothurne étroit.

Fi du rythme commode,
Comme un soulier trop grand,
Du mode
Que tout pied quitte et prend !

Statuaire, repousse
L'argile que pétrit
Le pouce
Quand flotte ailleurs l'esprit :

Lutte avec le carrare,
Avec le paros dur
Et rare,
Gardiens du contour pur ;

Emprunte à Syracuse
Son bronze où fermement
S'accuse
Le trait fier et charmant ;

D'une main délicate
Poursuis dans un filon
D'agate
Le profil d'Apollon.

Peintre, fuis l'aquarelle,
Et fixe la couleur
Trop frêle
Au four de l'émailleur.

Fais les sirènes bleues,
Tordant de cent façons
Leurs queues,
Les monstres des blasons ;

Dans son nimbe trilobe
La Vierge et son Jésus,
Le globe
Avec la croix dessus.

Tout passe. - L'art robuste
Seul a l'éternité.
Le buste
Survit à la cité.

Et la médaille austère
Que trouve un laboureur
Sous terre
Révèle un empereur.

Les dieux eux-mêmes meurent,
Mais les vers souverains
Demeurent
Plus forts que les airains.

Sculpte, lime, cisèle ;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant !
Enter your collective and inner consciousness
Seek, deep inside, the energies within.
Take a deep breath and expect this rebirth
That this new era is slowly paving in
Be a part of this revolution. Breathe in.

Pénètre ta conscience collective et unique
Cherche, au plus profond, les énergies cachées
Respire profondément et espère cette renaissance
Que cette période est en train de mettre en place doucement
Fais partie de cette révolution. Respire.

Your body is light as a feather
Floating on a silver river
A delicate cherry-blossom petal
Trusting the wind to propel it forward
To the edges of eternity, for this voyage

Ton corps est aussi léger qu’une plume
Flottant sur une rivière argentée
Telle une délicate fleur de cerisier
Qui fait confiance au vent pour la mener à bon port
Aux confins de l’espace-temps, pour ce voyage.


Birds of a rare rainbow plumage hum a prayer
A song of gratitude and joy
Your eyes marvel at the sight
Of this inner zen garden, made home

Des oiseaux dotés d’un rare plumage arc-en-ciel
Murmurent une prière
Un chant de gratitude et de joie
Tes yeux s’émerveillent à la vue
De ce jardin zen intérieur, fait tien.

Emerald-hued bamboos form a cathedral
Of protection and wisdom that you pass
Cradled by the fresh stream on which you rest
Light, free, you continue your journey deeper

Des bambous de la teinte d’une émeraude forment une cathédrale
De protection et de sagesse que tu découvres maintenant
Bercé par le frais courant sur lequel tu te trouves
Libre et léger, tu continues ton voyage profondément

And deeper, moved back and forth by nature
A vivid orange koi carp salutes you, undulating
You feel her breath create air bubbles underneath you
And from within, you become a calming mantra

Au plus profond, te mouvant par la nature
Une carpe koï aux vives écailles orange te salue, ondulant
Tu sens son souffle qui crée des bulles d’air en-dessous de toi
Et, de l’intérieur, tu deviens un mantra apaisant

Resonating throughout this luxuriant garden
Alone and well, encountering your own self
Meditating in a pure, regenerative slumber
Stay there, don’t come back up into the world

Qui résonne à travers ce jardin luxuriant
Tu y es seul(e) et tu y es bien, rencontrant ton être propre
En méditation, dans un sommeil pur et réparateur
Restes-y, ne remonte pas dans le monde

For a few more instants of silence and unity
With nature and everything that vibrates within
You are carried to a waterfall of turquoise waters
Become part of this whole, color your own soul

Pour quelques instants de plus de silence et d’unité
Avec la nature et tout ce qui vibre en dedans
Tu es porté(e) jusqu’à une cascade aux eaux limpides
Deviens une partie de ce tout, colore ta propre âme

Vibrate an echo that is yours only. Let it resonate
As you come back up refreshed. Throughout the Earth
Be a channel of joy and happiness for the planet
And close your eyes, go back, to this enchanted place.

Vibre un écho qui te définit. Laisse-le résonner.
Alors que tu remontes, rassasié. Autour de toute la Terre
Sois ce canal de joie et de bonheur pour la planète entière
Et ferme les yeux, retourne, vers cet endroit enchanté.

Nancy, April 15, 2020. 12 :45 pm. 15 Avril 2020, 12h 45.
This poem didn't receive that many an edit. I wanted to really capture the stream of my meditative thought. It first came to me in English, I translated the stanza in French just underneath.
Ce poème n'a pas fait l'objet de tant de modifications. Je voulais qu'il traduise le flux de ma pensée méditative. Il m'est d'abord venu en anglais,  tout est traduit en dessous de chaque strophe.
De vous gronder je n'ai plus le courage,
Enfants ! ma voix s'enferme trop souvent.
Vous grandissez, impatients d'orage ;
Votre aile s'ouvre, émue au moindre vent.
Affermissez votre raison qui chante ;
Veillez sur vous comme a fait mon amour ;
On peut gronder sans être bien méchante :
Embrassez-moi, grondez à votre tour.

Vous n'êtes plus la sauvage couvée,
Assaillant l'air d'un tumulte innocent ;
Tribu sans art, au désert préservée,
Bornant vos voeux à mon zèle incessant :
L'esprit vous gagne, ô ma rêveuse école,
Quand il fermente, il étourdit l'amour.
Vous adorez le droit de la parole :
Anges, parlez, grondez à votre tour.

Je vous fis trois pour former une digue
Contre les flots qui vont vous assaillir :
L'un vigilant, l'un rêveur, l'un prodigue,
Croissez unis pour ne jamais faillir,
Mes trois échos ! l'un à l'autre, à l'oreille,
Redites-vous les cris de mon amour ;
Si l'un s'endort, que l'autre le réveille ;
Embrassez-le, grondez à votre tour !

Je demandais trop à vos jeunes âmes ;
Tant de soleil éblouit le printemps !
Les fleurs, les fruits, l'ombre mêlée aux flammes,
La raison mûre et les joyeux instants,
Je voulais tout, impatiente mère,
Le ciel en bas, rêve de tout amour ;
Et tout amour couve une larme amère :
Punissez-moi, grondez à votre tour.

Toi, sur qui Dieu jeta le droit d'aînesse,
Dis aux petits que les étés sont courts ;
Sous le manteau flottant de la jeunesse,
D'une lisière enferme le secours !
Parlez de moi, surtout dans la souffrance ;
Où que je sois, évoquez mon amour :
Je reviendrai vous parler d'espérance ;
Mais gronder... non : grondez à votre tour !
I

La chambre est pleine d'ombre ; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encore alourdi par le rêve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève...
- Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux ;
Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux ;
Et la nouvelle Année, à la suite brumeuse,
Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant...

II

Or les petits enfants, sous le rideau flottant,
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.
Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure...
Ils tressaillent souvent à la claire voix d'or
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor
Son refrain métallique en son globe de verre...
- Puis, la chambre est glacée... on voit traîner à terre,
Épars autour des lits, des vêtements de deuil
L'âpre bise d'hiver qui se lamente au seuil
Souffle dans le logis son haleine morose !
On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose...
- Il n'est donc point de mère à ces petits enfants,
De mère au frais sourire, aux regards triomphants ?
Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée,
D'exciter une flamme à la cendre arrachée,
D'amonceler sur eux la laine et l'édredon
Avant de les quitter en leur criant : pardon.
Elle n'a point prévu la froideur matinale,
Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale ?...
- Le rêve maternel, c'est le tiède tapis,
C'est le nid cotonneux où les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches !...
- Et là, - c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur,
Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ;
Un nid que doit avoir glacé la bise amère...

III

Votre coeur l'a compris : - ces enfants sont sans mère.
Plus de mère au logis ! - et le père est bien **** !...
- Une vieille servante, alors, en a pris soin.
Les petits sont tout seuls en la maison glacée ;
Orphelins de quatre ans, voilà qu'en leur pensée
S'éveille, par degrés, un souvenir riant...
C'est comme un chapelet qu'on égrène en priant :
- Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes !
Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes
Dans quelque songe étrange où l'on voyait joujoux,
Bonbons habillés d'or, étincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore !
On s'éveillait matin, on se levait joyeux,
La lèvre affriandée, en se frottant les yeux...
On allait, les cheveux emmêlés sur la tête,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête,
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher...
On entrait !... Puis alors les souhaits... en chemise,
Les baisers répétés, et la gaîté permise !

IV

Ah ! c'était si charmant, ces mots dits tant de fois !
- Mais comme il est changé, le logis d'autrefois :
Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée,
Toute la vieille chambre était illuminée ;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer...
- L'armoire était sans clefs !... sans clefs, la grande armoire !
On regardait souvent sa porte brune et noire...
Sans clefs !... c'était étrange !... on rêvait bien des fois
Aux mystères dormant entre ses flancs de bois,
Et l'on croyait ouïr, au fond de la serrure
Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure...
- La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui
Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui ;
Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises :
Partant, point de baisers, point de douces surprises !
Oh ! que le jour de l'an sera triste pour eux !
- Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus,
Silencieusement tombe une larme amère,
Ils murmurent : "Quand donc reviendra notre mère ?"

V

Maintenant, les petits sommeillent tristement :
Vous diriez, à les voir, qu'ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible !
Les tout petits enfants ont le coeur si sensible !
- Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil met un rêve joyeux,
Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose...
- Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond,
Doux geste du réveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d'eux se pose...
Ils se croient endormis dans un paradis rose...
Au foyer plein d'éclairs chante gaîment le feu...
Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu ;
La nature s'éveille et de rayons s'enivre...
La terre, demi-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil...
Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil
Les sombres vêtements ne jonchent plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire ...
On dirait qu'une fée a passé dans cela ! ...
- Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris... Là,
Près du lit maternel, sous un beau rayon rose,
Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose...
Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants ;
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots gravés en or : "À NOTRE MÈRE !"
Parmi l'obscur champ de bataille

Rôdant sans bruit sous le ciel noir

Les loups obliques font ripaille

Et c'est plaisir que de les voir,


Agiles, les yeux verts, aux pattes

Souples sur les cadavres mous,

- Gueules vastes et têtes plates -

Joyeux, hérisser leurs poils roux.


Un rauquement rien moins que tendre

Accompagne les dents mâchant

Et c'est plaisir que de l'entendre,

Cet hosannah vil et méchant.


- « Chair entaillée et sang qui coule

Les héros ont du bon vraiment.

La faim repue et la soif soûle

Leur doivent bien ce compliment.

« Mais aussi, soit dit sans reproche,

Combien de peines et de pas

Nous a coûtés leur seule approche,

On ne l'imaginerait pas.


« Dès que, sans pitié ni relâches,

Sonnèrent leurs pas fanfarons

Nos cœurs de fauves et de lâches,

À la fois gourmands et poltrons,


« Pressentant la guerre et la proie

Pour maintes nuits et pour maints jours

Battirent de crainte et de joie

À l'unisson de leurs tambours.


« Quand ils apparurent ensuite

Tout étincelants de métal,

Oh, quelle peur et quelle fuite

Vers la femelle, au bois natal !


« Ils allaient fiers, les jeunes hommes,

Calmes sous leur drapeau flottant,

Et plus forts que nous ne le sommes

Ils avaient l'air très doux pourtant.


« Le fer terrible de leurs glaives

Luisait moins encor que leurs yeux

Où la candeur d'augustes rêves

Éclatait en regards joyeux.


« Leurs cheveux que le vent fouette

Sous leurs casques battaient, pareils

Aux ailes de quelque mouette,

Pâles avec des tons vermeils.


« Ils chantaient des choses hautaines !

Ça parlait de libres combats,

D'amour, de brisements de chaînes

Et de mauvais dieux mis à bas. -


« Ils passèrent. Quand leur cohorte

Ne fut plus là-bas qu'un point bleu,

Nous nous arrangeâmes en sorte

De les suivre en nous risquant peu.


« Longtemps, longtemps rasant la terre,

Discrets, **** derrière eux, tandis

Qu'ils allaient au pas militaire,

Nous marchâmes par rangs de dix,


« Passant les fleuves à la nage

Quand ils avaient rompu les ponts

Quelques herbes pour tout carnage,

N'avançant que par faibles bonds,


« Perdant à tout moment haleine...

Enfin une nuit ces démons

Campèrent au fond d'une plaine

Entre des forêts et des monts.


« Là nous les guettâmes à l'aise,

Car ils dormaient pour la plupart.

Nos yeux pareils à de la braise

Brillaient autour de leur rempart,


« Et le bruit sec de nos dents blanches

Qu'attendaient des festins si beaux

Faisaient cliqueter dans les branches

Le bec avide des corbeaux.


« L'aurore éclate. Une fanfare

Épouvantable met sur pied

La troupe entière qui s'effare.

Chacun s'équipe comme il sied.


« Derrière les hautes futaies

Nous nous sommes dissimulés

Tandis que les prochaines haies

Cachent les corbeaux affolés.


« Le soleil qui monte commence

À brûler. La terre a frémi.

Soudain une clameur immense

A retenti. C'est l'ennemi !


« C'est lui, c'est lui ! Le sol résonne

Sous les pas durs des conquérants.

Les polémarques en personne

Vont et viennent le long des rangs.


« Et les lances et les épées

Parmi les plis des étendards

Flambent entre les échappées

De lumières et de brouillards.


« Sur ce, dans ses courroux épiques

La jeune bande s'avança,

Gaie et sereine sous les piques,

Et la bataille commença.


« Ah, ce fut une chaude affaire :

Cris confus, choc d'armes, le tout

Pendant une journée entière

Sous l'ardeur rouge d'un ciel d'août.


« Le soir. - Silence et calme. À peine

Un vague moribond tardif

Crachant sa douleur et sa haine

Dans un hoquet définitif ;


« À peine, au lointain gris, le triste

Appel d'un clairon égaré.

Le couchant d'or et d'améthyste

S'éteint et brunit par degré.


« La nuit tombe. Voici la lune !

Elle cache et montre à moitié

Sa face hypocrite comme une

Complice feignant la pitié.


« Nous autres qu'un tel souci laisse

Et laissera toujours très cois,

Nous n'avons pas cette faiblesse,

Car la faim nous chasse du bois,


« Et nous avons de quoi repaître

Cet impérial appétit,

Le champ de bataille sans maître

N'étant ni vide ni petit.


« Or, sans plus perdre en phrases vaines

Dont quelque sot serait jaloux

Cette heure de grasses aubaines,

Buvons et mangeons, nous, les Loups ! »
Lorsqu'un vaisseau vaincu dérive en pleine mer ;
Que ses voiles carrées
Pendent le long des mâts, par les boulets de fer
Largement déchirées ;

Qu'on n'y voit que des morts tombés de toutes parts,
Ancres, agrès, voilures,
Grands mâts rompus, traînant leurs cordages épars
Comme des chevelures ;

Que le vaisseau, couvert de fumée et de bruit,
Tourne ainsi qu'une roue ;
Qu'un flux et qu'un reflux d'hommes roule et s'enfuit
De la poupe à la proue ;

Lorsqu'à la voix des chefs nul soldat ne répond ;
Que la mer monte et gronde ;
Que les canons éteints nagent dans l'entre-pont,
S'entre-choquant dans l'onde ;

Qu'on voit le lourd colosse ouvrir au flot marin
Sa blessure béante,
Et saigner, à travers son armure d'airain,
La galère géante ;

Qu'elle vogue au hasard, comme un corps palpitant,
La carène entr'ouverte,
Comme un grand poisson mort, dont le ventre flottant
Argente l'onde verte ;

Alors gloire au vainqueur ! Son grappin noir s'abat
Sur la nef qu'il foudroie ;
Tel un aigle puissant pose, après le combat,
Son ongle sur sa proie !

Puis, il pend au grand mât, comme au front d'une tour,
Son drapeau que l'air ronge,
Et dont le reflet d'or dans l'onde, tour à tour,
S'élargit et s'allonge.

Et c'est alors qu'on voit les peuples étaler
Les couleurs les plus fières,
Et la pourpre, et l'argent, et l'azur onduler
Aux plis de leurs bannières.

Dans ce riche appareil leur orgueil insensé
Se flatte et se repose,
Comme si le flot noir, par le flot effacé,
En gardait quelque chose !

Malte arborait sa croix ; Venise, peuple-roi,
Sur ses poupes mouvantes,
L'héraldique lion qui fait rugir d'effroi
Les lionnes vivantes.

Le pavillon de Naples est éclatant dans l'air,
Et quand il se déploie
On croit voir ondoyer de la poupe à la mer
Un flot d'or et de soie.

Espagne peint aux plis des drapeaux voltigeant
Sur ses flottes avares,
Léon aux lions d'or, Castille aux tours d'argent,
Les chaînes des Navarres.

Rome a les clefs; Milan, l'enfant qui hurle encor
Dans les dents de la guivre ;
Et les vaisseaux de France ont des fleurs de lys d'or
Sur leurs robes de cuivre.

Stamboul la turque autour du croissant abhorré
Suspend trois blanches queues ;
L'Amérique enfin libre étale un ciel doré
Semé d'étoiles bleues.

L'Autriche a l'aigle étrange, aux ailerons dressés,
Qui, brillant sur la moire,
Vers les deux bouts du monde à la fois menacés
Tourne une tête noire.

L'autre aigle au double front, qui des czars suit les lois,
Son antique adversaire,
Comme elle regardant deux mondes à la fois,
En tient un dans sa serre.

L'Angleterre en triomphe impose aux flots amers
Sa splendide oriflamme,
Si riche qu'on prendrait son reflet dans les mers
Pour l'ombre d'une flamme.

C'est ainsi que les rois font aux mâts des vaisseaux
Flotter leurs armoiries,
Et condamnent les nefs conquises sur les eaux
A changer de patries.

Ils traînent dans leurs rangs ces voiles dont le sort
Trompa les destinées,
Tout fiers de voir rentrer plus nombreuses au port
Leurs flottes blasonnées.

Aux navires captifs toujours ils appendront
Leurs drapeaux de victoire,
Afin que le vaincu porte écrite à son front
Sa honte avec leur gloire !

Mais le bon Canaris, dont un ardent sillon
Suit la barque hardie,
Sur les vaisseaux qu'il prend, comme son pavillon,
Arbore l'incendie !

Novembre 1828.
II.

Ma fille, va prier ! - D'abord, surtout, pour celle
Qui berça tant de nuits ta couche qui chancelle,
Pour celle qui te prit jeune âme dans le ciel,
Et qui te mit au monde, et depuis, tendre mère,
Faisant pour toi deux parts dans cette vie amère,
Toujours a bu l'absinthe et t'a laissé le miel !

Puis ensuite pour moi ! j'en ai plus besoin qu'elle !
Elle est, ainsi que toi, bonne, simple et fidèle !
Elle a le coeur limpide et le front satisfait.
Beaucoup ont sa pitié, nul ne lui fait envie ;
Sage et douce, elle prend patiemment la vie ;
Elle souffre le mal sans savoir qui le fait.

Tout en cueillant des fleurs, jamais sa main novice
N'a touché seulement à l'écorce du vice ;
Nul piège ne l'attire à son riant tableau ;
Elle est pleine d'oubli pour les choses passées ;
Elle ne connaît pas les mauvaises pensées
Qui passent dans l'esprit comme une ombre sur l'eau.

Elle ignore - à jamais ignore-les comme elle ! -
Ces misères du monde où notre âme se mêle,
Faux plaisirs, vanités, remords, soucis rongeurs,
Passions sur le coeur flottant comme une écume,
Intimes souvenirs de honte et d'amertume
Qui font monter au front de subites rougeurs !

Moi, je sais mieux la vie ; et je pourrai te dire,
Quand tu seras plus grande et qu'il faudra t'instruire,
Que poursuivre l'empire et la fortune et l'art,
C'est folie et néant ; que l'urne aléatoire
Nous jette bien souvent la honte pour la gloire,
Et que l'on perd son âme à ce jeu de hasard !

L'âme en vivant s'altère ; et, quoique en toute chose
La fin soit transparente et laisse voir la cause,
On vieillit sous le vice et l'erreur abattu ;
À force de marcher l'homme erre, l'esprit doute.
Tous laissent quelque chose aux buissons de la route,
Les troupeaux leur toison, et l'homme sa vertu !

Va donc prier pour moi ! - Dis pour toute prière :
-- Seigneur, Seigneur mon Dieu, vous êtes notre père,
Grâce, vous êtes bon ! grâce, vous êtes grand ! -
Laisse aller ta parole où ton âme l'envoie ;
Ne t'inquiète pas, toute chose a sa voie,
Ne t'inquiète pas du chemin qu'elle prend !

Il n'est rien ici-bas qui ne trouve sa pente.
Le fleuve jusqu'aux mers dans les plaines serpente ;
L'abeille sait la fleur qui recèle le miel.
Toute aile vers son but incessamment retombe,
L'aigle vole au soleil, le vautour à la tombe,
L'hirondelle au printemps, et la prière au ciel !

Lorsque pour moi vers Dieu ta voix s'est envolée,
Je suis comme l'esclave, assis dans la vallée,
Qui dépose sa charge aux bornes du chemin ;
Je me sens plus léger ; car ce fardeau de peine,
De fautes et d'erreurs qu'en gémissant je traîne,
Ta prière en chantant l'emporte dans sa main !

Va prier pour ton père ! - Afin que je sois digne
De voir passer en rêve un ange au vol de cygne,
Pour que mon âme brûle avec les encensoirs !
Efface mes péchés sous ton souffle candide,
Afin que mon coeur soit innocent et splendide
Comme un pavé d'autel qu'on lave tous les soirs !

Mai 1830.

— The End —