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Paul d'Aubin Feb 2016
Trois Poèmes sur l’été en Corse et Letia
L’été Corse

L'été est la saison bleue
tant attendue, tant espérée
quand le froid de l'hiver vous glace,
quand le printemps pleure à grands eaux.
L'été s'installe quand le soleil
brule, hardi, de tous ses feux,
que la lumière devient reine de jour
et que les soirs s'étirent et se prélassent
Les fleurs et plantes du Maquis
ne sont pas encoure roussies
et forment comme un tapis bariolé de couleurs.
Les senteurs nous embaument
de leurs sucs capiteux
et nous nous croirons presque
dans une vaste parfumerie à ciel ouvert.
La mer parfois ridée de mousse blanche
devient parfois turquoise, émeraude ou bleu outre-mer.
Mais le soir venu le soleil se plonge
dans des rougeoiements varies
qui irritent et bariolent l'horizon.
Alors que s'assombrit ces curieuses tours génoises trapues ou rondes qui faisaient mine de protéger les anciens.
Et sont autant de rappels des périls barbaresques durant les temps médiévaux et modernes



                                                      *
Le café de Letia Saint Roch

Il est dans ce gracieux village de Letia, à flanc de Rocher, un endroit ayant résisté à la disparition des commerces. C'est le café de Toussaint Rossi, placé au cœur du village et tenant lieu de salle commune. Ce centre de vies, de rires et de joie comporte un antique et majestueux poêle en fonte, et des décors muraux faits de multiples coupes d'anciennes victoires aux tournois de boules et de foot et chargé des espoirs à venir. Surtout, les murs sont décorés de gravures austères de Sanpiero Corsu et de Pascal Paoli, attestant de l'attachement des villageois aux temps forts de l'histoire Corse. L'hospitalité est depuis bien longtemps assurée par l'excellent Toussaint Rossi, lequel fait aussi le partenaire des parties de belotes contrées. Maintenant sa nièce Emmanuelle apporte aujourd'hui, à ce café,  son dynamisme souriant et son sourire enjôleur. A l'occasion de la Saint-Roch et du tournoi de boules, «Vincent Battesti»,  la salle prend des airs de café-concert et cousins, amis et villageois entonnent le répertoire des chants «nustrale», lequel dure parfois **** dans la nuit quand scintille un peu l'Esprit du village. Aux anciennes chansons de nos parents : «la boudeuse» et «Il pescatore dell'onda» s’ajoutent les succès nouveaux comme «Amerindianu» et l'admirable chant du Catalan, Lluis Llach,  «l'Estaca», traduit en langue Corse. Les voix s'accordent et les chœurs vibrent à l'unisson, sur ce répertoire commun qui arrive à élever le sentiment d'unité et à souder les valeurs des êtres.

                                                               *


Le pont de l’embouchure du Liamone,

Sous la fausse apparence d'une large rivière tranquille se perdant dans les sables,
Le «Liamone», prenant sa source sur les montagnes de Letia peut se révéler torrent furieux.
Cependant il se jette mollement dans le grand bleu en s’infiltrant par un mole de sable.
Cet endroit est magique car il mêle, mer et rivière, poissons d'eau douce et de mer,
La plaine alluviale qui l'entoure est large et propice aux cultures,
ce qui est rare dans cette partie de la Corse aux côtes déchiquetés.
Il annonce les vastes plages de Sagone dont la plus belle,
mais non la moins dangereuse fait face à l'hôtel «Santana».
Le nouveau pont du Liamone a des formes de grand oiseau bleu,
Et déploie des deux ailes blanches sur les eaux vertes de la rivière.
Cet endroit peu hospitalier aux nageurs car l’on à pied que peu de temps sur de fins galets tranchants
Il l'est en revanche très agréable aux poissons et aux pêcheurs,
car il mêle les eaux et le plancton
C’est aussi un endroit magique pour celles et ceux qui goûtent par-dessus tout,
La Liberté sans contrainte, le soleil, une vaste étendue de sable et les points de vue,
car plusieurs promontoires ou collines inspirées sont encore coiffées de vestiges de tour,
et le regard porte **** comme pour surveiller et protéger les populations des antiques razzias barbaresques.

Paul Arrighi.
Paul d'Aubin Feb 2016
Les deux Oliviers de Paomia,

(Un épisode de l'exode de «Mainotes  en Corse»)

Ridés, bossus, ces deux oliviers ressemblaient au passeur de l'Achéron,
veillant aux portes du fleuve de l'enfer.
Ce n’étaient pourtant que des pousses venues de Sparte,
Replantées sur la terre Corse, pour nourrir une colonie d'émigrés.
Ces oliviers furent même bénis par des popes,
Puis soumis aux êtes brûlants, au sirocco dévastateurs,
Mais ils avaient tenus debouts avec leurs nervures noueuses,
et ni les entailles des hommes, ni le feu du ciel, ni les orages dévastateurs ne leur avait fait baisser rameux,
Grecs et Corses s'étaient affrontés pour cette terre si bien plantée et cultivée,
Mais ce n'était pas simple jalousies, ni rivalités de cultivateurs et de bergers,
Il s'agissait d’affaire d'honneur et de désaccords avec Gènes qui avait donné ce qui ne lui appartenait point.
Ils en virent; ces oliviers noueux, des saisons de félicité, de récoltes riantes d'olives et de figues,
Ils entendirent aussi les conques de guerre et les cris effroyables lors des sièges de Paomia.
Et puis un jour, les «mainotes» subjugués sous le nombre durent quitter la terre qu’ils avaient éveillée de leur sueur.
Ils s'en vinrent résider à Ajacciu, y exercèrent d'autres métiers en attendant des temps meilleurs.
Puis Marbeuf leur construisit Cargèse, plus près de la mer et les anciennes terres de Paomia furent désormais délaissées pour le pacage et les transhumances.
L'Eglise elle-même et les pierres les maisons s'écroulèrent;
Mais jamais ne disparurent ces deux oliviers gardiens des lieux, véritables cerbères des temps antiques.
Ils veillaient désormais sur la quiétude des geais, des renards et des bandits.
C'était un peu comme si l'esprit  et les vertus de l'ancienne Sparte et de Paomia la neuve s'étaient fécondés et avaient donné enfantement à ces deux Oliviers.

Paul Arrighi
Jeune homme ! je te plains ; et cependant j'admire
Ton grand parc enchanté qui semble nous sourire,
Qui fait, vu de ton seuil, le tour de l'horizon,
Grave ou joyeux suivant le jour et la saison,  
Coupé d'herbe et d'eau vive, et remplissant huit lieues
De ses vagues massifs et de ses ombres bleues.
J'admire ton domaine, et pourtant je te plains !
Car dans ces bois touffus de tant de grandeur pleins,
Où le printemps épanche un faste sans mesure,
Quelle plus misérable et plus pauvre masure
Qu'un homme usé, flétri, mort pour l'illusion,
Riche et sans volupté, jeune et sans passion,  
Dont le coeur délabré, dans ses recoins livides,
N'a plus qu'un triste amas d'anciennes coupes vides,  
Vases brisés qui n'ont rien gardé que l'ennui,
Et d'où l'amour, la joie et la candeur ont fui !

Oui, tu me fais pitié, toi qui crois faire envie !
Ce splendide séjour sur ton coeur, sur ta vie,
Jette une ombre ironique, et rit en écrasant
Ton front terne et chétif d'un cadre éblouissant.

Dis-moi, crois-tu, vraiment posséder ce royaume
D'ombre et de fleurs, où l'arbre arrondi comme un dôme,
L'étang, lame d'argent que le couchant fait d'or,
L'allée entrant au bois comme un noir corridor,
Et là, sur la forêt, ce mont qu'une tour garde,
Font un groupe si beau pour l'âme qui regarde !
Lieu sacré pour qui sait dans l'immense univers,
Dans les prés, dans les eaux et dans les vallons verts,
Retrouver les profils de la face éternelle
Dont le visage humain n'est qu'une ombre charnelle !

Que fais-tu donc ici ? Jamais on ne te voit,
Quand le matin blanchit l'angle ardoisé du toit,
Sortir, songer, cueillir la fleur, coupe irisée
Que la plante à l'oiseau tend pleine de rosée,
Et parfois t'arrêter, laissant pendre à ta main
Un livre interrompu, debout sur le chemin,
Quand le bruit du vent coupe en strophes incertaines
Cette longue chanson qui coule des fontaines.

Jamais tu n'as suivi de sommets en sommets
La ligne des coteaux qui fait rêve ; jamais
Tu n'as joui de voir, sur l'eau qui reflète,
Quelque saule noueux tordu comme un athlète.
Jamais, sévère esprit au mystère attaché,
Tu n'as questionné le vieux orme penché
Qui regarde à ses pieds toute la pleine vivre
Comme un sage qui rêve attentif à son livre.

L'été, lorsque le jour est par midi frappé,
Lorsque la lassitude a tout enveloppé,
A l'heure où l'andalouse et l'oiseau font la sieste,
Jamais le faon peureux, tapi dans l'antre agreste,
Ne te vois, à pas lents, **** de l'homme importun,
Grave, et comme ayant peur de réveiller quelqu'un,
Errer dans les forêts ténébreuses et douces
Où le silence dort sur le velours des mousses.

Que te fais tout cela ? Les nuages des cieux,
La verdure et l'azur sont l'ennui de tes yeux.
Tu n'est pas de ces fous qui vont, et qui s'en vantent,
Tendant partout l'oreille aux voix qui partout chantent,
Rendant au Seigneur d'avoir fait le printemps,
Qui ramasse un nid, ou contemple longtemps
Quelque noir champignon, monstre étrange de l'herbe.
Toi, comme un sac d'argent, tu vois passer la gerbe.
Ta futaie, en avril, sous ses bras plus nombreux
A l'air de réclamer bien des pas amoureux,
Bien des coeurs soupirants, bien des têtes pensives ;

Toi qui jouis aussi sous ses branches massives,
Tu songes, calculant le taillis qui s'accroît,
Que Paris, ce vieillard qui, l'hiver, a si froid,
Attend, sous ses vieux quais percés de rampes neuves,
Ces longs serpents de bois qui descendent les fleuves !
Ton regard voit, tandis que ton oeil flotte au ****,
Les blés d'or en farine et la prairie en foin ;
Pour toi le laboureur est un rustre qu'on paie ;
Pour toi toute fumée ondulant, noire ou gaie,
Sur le clair paysage, est un foyer impur
Où l'on cuit quelque viande à l'angle d'un vieux mur.
Quand le soir tend le ciel de ses moires ardentes
Au dos d'un fort cheval assis, jambes pendantes,
Quand les bouviers hâlés, de leur bras vigoureux
Pique tes boeufs géants qui par le chemin creux
Se hâtent pêle-mêle et s'en vont à la crèche,
Toi, devant ce tableau tu rêves à la brèche
Qu'il faudra réparer, en vendant tes silos,
Dans ta rente qui tremble aux pas de don Carlos !

Au crépuscule, après un long jour monotone,
Tu t'enfermes chez toi. Les tièdes nuits d'automne
Versent leur chaste haleine aux coteaux veloutés.
Tu n'en sais rien. D'ailleurs, qu'importe ! A tes côtés,
Belles, leur bruns cheveux appliqués sur les tempes,
Fronts roses empourprés par le reflet des lampes,
Des femmes aux yeux purs sont assises, formant
Un cercle frais qui borde et cause doucement ;
Toutes, dans leurs discours où rien n'ose apparaître,
Cachant leurs voeux, leur âmes et leur coeur que peut-être
Embaume un vague amour, fleur qu'on ne cueille pas,
Parfum qu'on sentirait en se baissant tout bas.
Tu n'en sais rien. Tu fais, parmi ces élégies,
Tomber ton froid sourire, où, sous quatre bougies,
D'autres hommes et toi, dans un coin attablés
Autour d'un tapis vert, bruyants, vous querellez
Les caprices du whist, du brelan ou de l'hombre.
La fenêtre est pourtant pleine de lune et d'ombre !

Ô risible insensé ! vraiment, je te le dis,
Cette terre, ces prés, ces vallons arrondis,
Nids de feuilles et d'herbe où jasent les villages,
Ces blés où les moineaux ont leurs joyeux pillages,
Ces champs qui, l'hiver même, ont d'austères appas,
Ne t'appartiennent point : tu ne les comprends pas.

Vois-tu, tous les passants, les enfants, les poètes,
Sur qui ton bois répand ses ombres inquiètes,
Le pauvre jeune peintre épris de ciel et d'air,
L'amant plein d'un seul nom, le sage au coeur amer,
Qui viennent rafraîchir dans cette solitude,
Hélas ! l'un son amour et l'autre son étude,
Tous ceux qui, savourant la beauté de ce lieu,
Aiment, en quittant l'homme, à s'approcher de Dieu,
Et qui, laissant ici le bruit vague et morose
Des troubles de leur âme, y prennent quelque chose
De l'immense repos de la création,
Tous ces hommes, sans or et sans ambition,
Et dont le pied poudreux ou tout mouillé par l'herbe
Te fait rire emporté par ton landau superbe,
Sont dans ce parc touffu, que tu crois sous ta loi,
Plus riches, plus chez eux, plus les maîtres que toi,
Quoique de leur forêt que ta main grille et mure
Tu puisses couper l'ombre et vendre le murmure !

Pour eux rien n'est stérile en ces asiles frais.
Pour qui les sait cueillir tout a des dons secrets.
De partout sort un flot de sagesse abondante.
L'esprit qu'a déserté la passion grondante,
Médite à l'arbre mort, aux débris du vieux pont.
Tout objet dont le bois se compose répond
A quelque objet pareil dans la forêt de l'âme.
Un feu de pâtre éteint parle à l'amour en flamme.
Tout donne des conseils au penseur, jeune ou vieux.
On se pique aux chardons ainsi qu'aux envieux ;
La feuille invite à croître ; et l'onde, en coulant vite,
Avertit qu'on se hâte et que l'heure nous quitte.
Pour eux rien n'est muet, rien n'est froid, rien n'est mort.
Un peu de plume en sang leur éveille un remord ;
Les sources sont des pleurs ; la fleur qui boit aux fleuves,
Leur dit : Souvenez-vous, ô pauvres âmes veuves !

Pour eux l'antre profond cache un songe étoilé ;
Et la nuit, sous l'azur d'un beau ciel constellé,
L'arbre sur ses rameaux, comme à travers ses branches,
Leur montre l'astre d'or et les colombes blanches,
Choses douces aux coeurs par le malheur ployés,
Car l'oiseau dit : Aimez ! et l'étoile : Croyez !

Voilà ce que chez toi verse aux âmes souffrantes
La chaste obscurité des branches murmurantes !
Mais toi, qu'en fais tu ? dis. - Tous les ans, en flots d'or,
Ce murmure, cette ombre, ineffable trésor,
Ces bruits de vent qui joue et d'arbre qui tressaille,
Vont s'enfouir au fond de ton coffre qui bâille ;
Et tu changes ces bois où l'amour s'enivra,
Toute cette nature, en loge à l'opéra !

Encor si la musique arrivait à ton âme !
Mais entre l'art et toi l'or met son mur infâme.
L'esprit qui comprend l'art comprend le reste aussi.
Tu vas donc dormir là ! sans te douter qu'ainsi
Que tous ces verts trésors que dévore ta bourse,
Gluck est une forêt et Mozart une source.

Tu dors ; et quand parfois la mode, en souriant,
Te dit : Admire, riche ! alors, joyeux, criant,
Tu surgis, demandant comment l'auteur se nomme,
Pourvu que toutefois la muse soit un homme !
Car tu te roidiras dans ton étrange orgueil
Si l'on t'apporte, un soir, quelque musique en deuil,
Urne que la pensée a chauffée à sa flamme,
Beau vase où s'est versé tout le coeur d'une femme.

Ô seigneur malvenu de ce superbe lieu !
Caillou vil incrusté dans ces rubis en feu !
Maître pour qui ces champs sont pleins de sourdes haines !
Gui parasite enflé de la sève des chênes !
Pauvre riche ! - Vis donc, puisque cela pour toi
C'est vivre. Vis sans coeur, sans pensée et sans foi.
Vis pour l'or, chose vile, et l'orgueil, chose vaine.
Végète, toi qui n'as que du sang dans la veine,
Toi qui ne sens pas Dieu frémir dans le roseau,
Regarder dans l'aurore et chanter dans l'oiseau !

Car, - et bien que tu sois celui qui rit aux belles
Et, le soir, se récrie aux romances nouvelles, -
Dans les coteaux penchants où fument les hameaux,
Près des lacs, près des fleurs, sous les larges rameaux,
Dans tes propres jardins, tu vas aussi stupide,
Aussi peu clairvoyant dans ton instinct cupide,
Aussi sourd à la vie à l'harmonie, aux voix,
Qu'un loup sauvage errant au milieu des grands bois !

Le 22 mai 1837.
À Albert Mérat.


J'ai peur d'avril, peur de l'émoi
Qu'éveille sa douceur touchante ;
Vous qu'elle a troublés comme moi,
C'est pour vous seuls que je la chante.

En décembre, quand l'air est froid,
Le temps brumeux, le jour livide,
Le cœur, moins tendre et plus étroit,
Semble mieux supporter son vide.

Rien de joyeux dans la saison
Ne lui fait sentir qu'il est triste ;
Rien en haut, rien à l'horizon
Ne révèle qu'un ciel existe.

Mais, dès que l'azur se fait voir,
Le cœur s'élargit et se creuse,
Et s'ouvre pour le recevoir
Dans sa profondeur douloureuse ;

Et ce bleu qui lui rit de ****,
L'attirant sans jamais descendre,
Lui donne l'infini besoin
D'un essor impossible à prendre.

Le bonheur candide et serein
Qui s'exhale de toutes choses,
L'oppresse, et son premier chagrin
Rajeunit à l'odeur des roses.

Il sent, dans un réveil confus,
Les anciennes ardeurs revivre,
Et les mêmes anciens refus
Le repousser dès qu'il s'y livre.

J'ai peur d'avril, peur de l'émoi
Qu'éveille sa douceur touchante ;
Vous qu'elle a troublés comme moi,
C'est pour vous seuls que je la chante.
Mon coeur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux
Et planait librement à l'entour des cordages ;
Le navire roulait sous un ciel sans nuages,
Comme un ange enivré d'un soleil radieux.

Quelle est cette île triste et noire ? - C'est Cythère,
Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons,
Eldorado banal de tous les vieux garçons.
Regardez, après tout, c'est une pauvre terre.

- Ile des doux secrets et des fêtes du coeur !
De l'antique Vénus le superbe fantôme
Au-dessus de tes mers plane comme un arôme,
Et charge les esprits d'amour et de langueur.

Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses,
Vénérée à jamais par toute nation,
Où les soupirs des coeurs en adoration
Roulent comme l'encens sur un jardin de roses

Ou le roucoulement éternel d'un ramier !
- Cythère n'était plus qu'un terrain des plus maigres,
Un désert rocailleux troublé par des cris aigres.
J'entrevoyais pourtant un objet singulier !

Ce n'était pas un temple aux ombres bocagères,
Où la jeune prêtresse, amoureuse des fleurs,
Allait, le corps brûlé de secrètes chaleurs,
Entre-bâillant sa robe aux brises passagères ;

Mais voilà qu'en rasant la côte d'assez près
Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches,
Nous vîmes que c'était un gibet à trois branches,
Du ciel se détachant en noir, comme un cyprès.

De féroces oiseaux perchés sur leur pâture
Détruisaient avec rage un pendu déjà mûr,
Chacun plantant, comme un outil, son bec impur
Dans tous les coins saignants de cette pourriture ;

Les yeux étaient deux trous, et du ventre effondré
Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses,
Et ses bourreaux, gorgés de hideuses délices,
L'avaient à coups de bec absolument châtré.

Sous les pieds, un troupeau de jaloux quadrupèdes,
Le museau relevé, tournoyait et rôdait ;
Une plus grande bête au milieu s'agitait
Comme un exécuteur entouré de ses aides.

Habitant de Cythère, enfant d'un ciel si beau,
Silencieusement tu souffrais ces insultes
En expiation de tes infâmes cultes
Et des péchés qui t'ont interdit le tombeau.

Ridicule pendu, tes douleurs sont les miennes !
Je sentis, à l'aspect de tes membres flottants,
Comme un vomissement, remonter vers mes dents
Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes ;

Devant toi, pauvre diable au souvenir si cher,
J'ai senti tous les becs et toutes les mâchoires
Des corbeaux lancinants et des panthères noires
Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair.

- Le ciel était charmant, la mer était unie ;
Pour moi tout était noir et sanglant désormais,
Hélas ! et j'avais, comme en un suaire épais,
Le coeur enseveli dans cette allégorie.

Dans ton île, ô Vénus ! je n'ai trouvé debout
Qu'un gibet symbolique où pendait mon image...
- Ah ! Seigneur ! donnez-moi la force et le courage
De contempler mon coeur et mon corps sans dégoût !
Sur fond sombre noyant un riche vestibule

Où le buste d'Horace et celui de Tibulle

Lointain et de profil rêvent en marbre blanc,

La main gauche au poignard et la main droite au flanc,

Tandis qu'un rire doux redresse la moustache,

Le duc César, en grand costume, se détache.

Les yeux noirs, les cheveux noirs et le velours noir

Vont contrastant, parmi l'or somptueux d'un soir,

Avec la pâleur mate et belle du visage

Vu de trois quarts et très ombré, suivant l'usage

Des Espagnols ainsi que des Vénitiens,

Dans les portraits de rois et de patriciens.

Le nez palpite, fin et droit. La bouche, rouge,

Est mince, et l'on dirait que la tenture bouge

Au souffle véhément qui doit s'en exhaler.

Et le regard errant avec laisser-aller,

Devant lui, comme il sied aux anciennes peintures,

Fourmille de pensers énormes d'aventures.

Et le front, large et pur, sillonné d'un grand pli,

Sans doute de projets formidables rempli,

Médite sous la toque où frissonne une plume

S'élançant hors d'un nœud de rubis qui s'allume.
Plates-bandes d'amarantes jusqu'à
L'agréable palais de Jupiter.
- Je sais que c'est Toi qui, dans ces lieux,
Mêles ton bleu presque de Sahara !

Puis, comme rose et sapin du soleil
Et liane ont ici leurs jeux enclos,
Cage de la petite veuve !...
Quelles
Troupes d'oiseaux, ô ia io, ia io !...

- Calmes maisons, anciennes passions !
Kiosque de la Folle par affection.
Après les fesses des rosiers, balcon
Ombreux et très bas de la Juliette.

- La Juliette, ça rappelle l'Henriette,
Charmante station du chemin de fer,
Au coeur d'un mont, comme au fond d'un verger
Où mille diables bleus dansent dans l'air !

Banc vert où chante au paradis d'orage,
Sur la guitare, la blanche Irlandaise.
Puis, de la salle à manger guyanaise,
Bavardage des enfants et des cages.

Fenêtre du duc qui fais que je pense
Au poison des escargots et du buis
Qui dort ici-bas au soleil.
Et puis
C'est trop beau ! trop ! Gardons notre silence.

- Boulevard sans mouvement ni commerce,
Muet, tout drame et toute comédie,
Réunion des scènes infinie
Je te connais et t'admire en silence.
Victoriaa May 2018
Et si la vie était une simulation?
Et si la vie recommencé à chacune de nos erreurs et nous effacé la mémoire ?
Cette impression de déjà vu, de deja vécu n’etait qu’un fragment de souvenirs de notre ancienne vie?
Serions nous déjà rencontrer 100 fois auparavant ?
Quelles étaient nos anciennes versions?
Et si tout n’etais qu’illusion pour tester nos limites et nos réactions?
Elle me dit, un soir, en souriant :
- Ami, pourquoi contemplez-vous sans cesse
Le jour qui fuit, ou l'ombre qui s'abaisse,
Ou l'astre d'or qui monte à l'orient ?
Que font vos yeux là-haut ? je les réclame.
Quittez le ciel; regardez dans mon âme !

Dans ce ciel vaste, ombre où vous vous plaisez,
Où vos regards démesurés vont lire,
Qu'apprendrez-vous qui vaille mon sourire ?
Qu'apprendras-tu qui vaille nos baisers ?
Oh ! de mon coeur lève les chastes voiles.
Si tu savais comme il est plein d'étoiles !

Que de soleils ! vois-tu, quand nous aimons,
Tout est en nous un radieux spectacle.
Le dévouement, rayonnant sur l'obstacle,
Vaut bien Vénus qui brille sur les monts.
Le vaste azur n'est rien, je te l'atteste ;
Le ciel que j'ai dans l'âme est plus céleste !

C'est beau de voir un astre s'allumer.
Le monde est plein de merveilleuses choses.
Douce est l'aurore et douces sont les roses.
Rien n'est si doux que le charme d'aimer !
La clarté vraie et la meilleure flamme,
C'est le rayon qui va de l'âme à l'âme !

L'amour vaut mieux, au fond des antres frais,
Que ces soleils qu'on ignore et qu'on nomme.
Dieu mit, sachant ce qui convient à l'homme,
Le ciel bien **** et la femme tout près.
Il dit à ceux qui scrutent l'azur sombre :
"Vivez ! aimez ! le reste, c'est mon ombre !"

Aimons ! c'est tout. Et Dieu le veut ainsi.
Laisse ton ciel que de froids rayons dorent !
Tu trouveras, dans deux yeux qui t'adorent,
Plus de beauté, plus de lumière aussi !
Aimer, c'est voir, sentir, rêver, comprendre.
L'esprit plus grand s'ajoute au coeur plus tendre.

Viens, bien-aimé ! n'entends-tu pas toujours
Dans nos transports une harmonie étrange ?
Autour de nous la nature se change
En une lyre et chante nos amours.
Viens ! aimons-nous ! errons sur la pelouse
Ne songe plus au ciel ! j'en suis jalouse !

Ma bien-aimée ainsi tout bas parlait,
Avec son front posé sur sa main blanche,
Et l'oeil rêveur d'un ange qui se penche,
Et sa voix grave, et cet air qui me plaît ;
Belle et tranquille, et de me voir charmée,
Ainsi tout bas parlait ma bien-aimée.

Nos coeurs battaient ; l'extase m'étouffait ;
Les fleurs du soir entr'ouvraient leurs corolles ...
Qu'avez-vous fait, arbres, de nos paroles ?
De nos soupirs, rochers, qu'avez-vous fait ?
C'est un destin bien triste que le nôtre,
Puisqu'un tel jour s'envole comme un autre !

Ô souvenirs ! trésor dans l'ombre accru !
Sombre horizon des anciennes pensées !
Chère lueur des choses éclipsées !
Rayonnement du passé disparu !
Comme du seuil et du dehors d'un temple,
L'oeil de l'esprit en rêvant vous contemple !

Quand les beaux jours font place aux jours amers,
De tout bonheur il faut quitter l'idée ;
Quand l'espérance est tout à fait vidée,
Laissons tomber la coupe au fond des mers.
L'oubli ! l'oubli ! c'est l'onde où tout se noie ;
C'est la mer sombre où l'on jette sa joie.
Je plains les exilés qui laissent derrière eux
L'amour et la beauté d'une amante chérie ;
Mais ceux qu'elle a suivis au désert sont heureux :
Ils ont avec la femme emporté la patrie.

Ils retrouvent le jour de leur pays natal
Dans la clarté des yeux qui leur sourient encor,
Et des champs paternels, sur un front virginal,
Les lis abandonnés recommencent d'éclore.

Le ciel quitté les suit sous les nouveaux climats ;
Car l'amante a gardé, dans l'âme et sur la bouche,
Un fidèle reflet des soleils de là-bas
Et les anciennes nuits pour la nouvelle couche.

Je ne plains point ceux-là ; ceux-là n'ont rien perdu :
Ils vont, les yeux ravis et les mains parfumées
D'un vivant souvenir ! Et tout leur est rendu,
Saisons, terre et famille, au sein des bien-aimées.

Je plains ceux qui, partant, laissent, vraiment bannis,
Tout ce qu'ils possédaient sur terre de céleste !
Mais plus encor, s'il n'a dans son propre pays
Point d'amante à pleurer, je plains celui qui reste.

Ah ! Jour et nuit chercher dans sa propre maison
Cet être nécessaire, une amante chérie !
C'est plus de solitude avec moins d'horizon ;
Oui, c'est le pire exil, l'exil dans la patrie.

Et ni le ciel, ni l'air, ni le lis virginal,
Ni le champ paternel, n'en guérissent la peine :
Au contraire, l'amour tendre du sol natal
Rend l'absente plus douce au cœur et plus lointaine.
Le dernier coup de vêpres a sonné : l'on tinte.

Entrons donc dans l'Église et couvrons-nous d'eau sainte.


Il y a peu de monde encore. Qu'il fait frais !

C'est bon par ces temps lourds, ça semble fait exprès.


On allume les six grands cierges, l'on apporte

Le ciboire pour le salut. Voici la porte


De la sacristie entr'ouverte, et l'on voit bien

S'habiller les enfants de chœur et le doyen.


Voici venir le court cortège, et les deux chantres

Tiennent de gros antiphonaires sur leurs ventres.


Une clochette retentit et le clergé

S'agenouille devant l'autel, dûment rangé.


Une prière est murmurée à voix si basse

Qu'on entend comme un vol de bons anges qui passe.


Le prêtre, se signant, adjure le Seigneur,

Et les clers, se signant, appellent le Seigneur.


Et chacun exaltant la Trinité, commence,

Prophète-roi, David, ta psalmodie immense :


Le Seigneur dit... » « Je vous louerai... » « Qu'heureux les saints.

« Fils, louez le Seigneur... » et, vibrant par essaims,


Les versets de ce chant militaire et mystique :

« Quand Israël sortit d'Égypte... » Et la musique


Du grêle harmonium et du vaste plain-chant !

L'Église s'est remplie. Il fait tiède. L'argent


Pour le culte et celui du denier de Saint-Pierre

Et des pauvres tombe à bruit doux dans l'aumônière.


L'hymme propre et Magnificat aux flots d'encens !

Une langueur céleste envahit tous les sens.


Au court sermon qui suit sur un thème un peu rance,

On somnole sans trop pourtant d'irrévérence.


Le soleil lui faisant un nimbe mordoré,

Le vieux saint du village est tout transfiguré.


Ça sent bon. On dirait des fleurs très anciennes.

S'exhalant, lentes, dans le latin des antiennes.


Et le Salut ayant béni l'humble troupeau

Des fidèles, on rejoint meilleurs le hameau.


Le soir on soupe mieux, et quand la nuit invite

Au sommeil, on s'endort bien à l'aise et plus vite.
Je devine, à travers un murmure,
Le contour subtil des voix anciennes
Et dans les lueurs musiciennes,
Amour pâle, une aurore future !

Et mon âme et mon coeur en délires
Ne sont plus qu'une espèce d'oeil double
Où tremblote à travers un jour trouble
L'ariette, hélas ! de toutes lyres !

O mourir de cette mort seulette
Que s'en vont, cher amour qui t'épeures,
Balançant jeunes et vieilles heures !
O mourir de cette escarpolette !
Fable IX, Livre III.


Dans une rue, au bord du moins clair des ruisseaux
Etait un tas de neige auprès d'un tas de boue.
Un carrosse a passé ; sous la quadruple roue,
Du noir bourbier au **** j'ai vu jaillir les eaux.
Au tas de boue en vain l'onde impure s'attache :
Il parut tel après qu'il paraissait avant.
Mais quant au tas de neige il en fut autrement :
La moindre goutte avait fait tâche.

Tel sort d'un mauvais pas sans paraître gâté,
Grâce à d'anciennes flétrissures ;
Lorsque sur la pudeur et sur la probité
J'aperçois des éclaboussures.
Parisien, mon frère à jamais étonné,

Montons sur la colline où le soleil est né

Si glorieux qu'il fait comprendre l'idolâtre,

Sous cette perspective inconnue au théâtre.

D'arbres au vent et de poussière d'ombre et d'or.

Montons. Il est si frais encor, montons encor.

Là ! nous voilà placés comme dans une « loge

De face », et le décor vraiment tire un éloge,

La cathédrale énorme et le beffroi sans fin.

Ces toits de tuile sous ces verdures, le vain

Appareil des remparts pompeux et grands quand même,

Ces clochers, cette tour, ces autres, sur l'or blême

Des nuages à l'ouest réverbérant l'or dur

De derrière chez nous, tous ces lourds joyaux sur

Ces ouates, n'est-ce pas, l'écrin vaut le voyage,

Et c'est ce qu'on peut dire un brin de paysage ?

- Mais descendons, si ce n'est pas trop abuser

De vos pieds las, à fin seule de reposer

Vos yeux qui n'ont jamais rien vu que Montmartre,

- « Campagne » vert de plaie et ville blanc de dartre

(Et les sombres parfums qui grimpent de Pantin !) -

Donc, par ce lent sentier de rosée et de thym,

Cheminons vers la ville au long de la rivière,

Sous les frais peupliers, dans la fine lumière.

L'une des portes ouvre une rue, entrons-y.

Aussi bien, c'est le point qu'il faut, l'endroit choisi :

Si blanches, les maisons anciennes, si bien faites.

Point hautes, çà et là des bronches sur leurs faîtes,

Si doux et sinueux le cours de ces maisons,

Comme un ruisseau parmi de vagues frondaisons,

Profilant la lumière et l'ombre en broderies

Au lieu du long ennui de vos haussmanneries,

Et si gentil l'accent qui confine au patois

De ces passants naïfs avec leurs yeux matois !...

Des places ivres d'air et de cris d'hirondelles

Où l'histoire proteste en formules fidèles

À la crête des toits comme au fer des balcons,

Des portes ne tournant qu'à regret sur leurs gonds,

Jalouses de garder l'honneur et la famille...

Ici tout vit et meurt calme, rien ne fourmille,

Le « Théâtre » fait four, et ce dieu des brouillons.

Le « Journal » n'en est plus à compter ses bouillons,

L'amour même prétend conserver ses noblesses

Et le vice se gobe en de rares drôlesses.

Enfin rien de Paris, mon frère « dans nos murs ».

Que les modes... d'hier, et que les fruits bien mûrs

De ce fameux progrès que vous mangez en herbe.

Du reste on vit à l'aise. Une chère superbe,

La raison raisonnable et l'esprit des aïeux,

Beaucoup de sain travail, quelques loisirs joyeux,

Et ce besoin d'avoir peur de la grande route !

Avouez, la province est bonne, somme toute.

Et vous regrettez moins que tantôt la « splendeur »

Du vieux monstre, et son pouls fébrile, et cette odeur !
Je n'aime pas les maisons neuves :
Leur visage est indifférent ;
Les anciennes ont l'air de veuves
Qui se souviennent en pleurant.

Les lézardes de leur vieux plâtre
Semblent les rides d'un vieillard ;
Leurs vitres au reflet verdâtre
Ont comme un triste et bon regard !

Leurs portes sont hospitalières,
Car ces barrières ont vieilli ;
Leurs murailles sont familières
À force d'avoir accueilli.

Les clés s'y rouillent aux serrures,
Car les cœurs n'ont plus de secrets ;
Le temps y ternit les dorures,
Mais fait ressembler les portraits.

Des voix chères dorment en elles,
Et dans les rideaux des grands lits
Un souffle d'âmes paternelles
Remue encor les anciens plis.

J'aime les âtres noirs de suie,
D'où l'on entend bruire en l'air
Les hirondelles ou la pluie
Avec le printemps ou l'hiver ;

Les escaliers que le pied monte
Par des degrés larges et bas
Dont il connaît si bien le compte,
Les ayant creusés de ses pas ;

Le toit dont fléchissent les pentes ;
Le grenier aux ais vermoulus,
Qui fait rêver sous ses charpentes
À des forêts qui ne sont plus.

J'aime surtout, dans la grand'salle
Où la famille a son foyer,
La poutre unique, transversale,
Portant le logis tout entier ;

Immobile et laborieuse,
Elle soutient comme autrefois
La race inquiète et rieuse
Qui se fie encore à son bois.

Elle ne rompt pas sous la charge,
Bien que déjà ses flancs ouverts
Sentent leur blessure plus large
Et soient tout criblés par les vers ;

Par une force qu'on ignore
Rassemblant ses derniers morceaux,
Le chêne au grand cœur tient encore
Sous la cadence des berceaux.

Mais les enfants croissent en âge,
Déjà la poutre plie un peu ;
Elle cédera davantage ;
Les ingrats la mettront au feu...

Et, quand ils l'auront consumée,
Le souvenir de son bienfait
S'envolera dans sa fumée.
Elle aura péri tout à fait,

Dans ses restes de toutes sortes
Éparses sous mille autres noms ;
Bien morte, car les choses mortes
Ne laissent pas de rejetons.

Comme les servantes usées
S'éteignent dans l'isolement,
Les choses tombent méprisées,
Et finissent entièrement.

C'est pourquoi, lorsqu'on livre aux flammes
Les débris des vieilles maisons,
Le rêveur sent brûler des âmes
Dans les bleus éclairs des tisons.
J'aime les grottes où la torche
Ensanglante une épaisse nuit,
Où l'écho fait, de porche en porche,
Un grand soupir du moindre bruit.

Les stalactites à la voûte
Pendent en pleurs pétrifiés
Dont l'humidité, goutte à goutte,
Tombe lentement à mes pieds.

Il me semble qu'en ces ténèbres
Règne une douloureuse paix ;
Et devant ces longs pleurs funèbres
Suspendus sans sécher jamais,

Je pense aux âmes affligées
Où dorment d'anciennes amours :
Toutes les larmes sont figées,
Quelque chose y pleure toujours.
Plates-bandes d'amarantes jusqu'à
L'agréable palais de Jupiter.
- Je sais que c'est Toi qui, dans ces lieux,
Mêles ton bleu presque de Sahara !

Puis, comme rose et sapin du soleil
Et liane ont ici leurs jeux enclos,
Cage de la petite veuve !...
Quelles
Troupes d'oiseaux, ô ia io, ia io !...

- Calmes maisons, anciennes passions !
Kiosque de la Folle par affection.
Après les fesses des rosiers, balcon
Ombreux et très bas de la Juliette.

- La Juliette, ça rappelle l'Henriette,
Charmante station du chemin de fer,
Au coeur d'un mont, comme au fond d'un verger
Où mille diables bleus dansent dans l'air !

Banc vert où chante au paradis d'orage,
Sur la guitare, la blanche Irlandaise.
Puis, de la salle à manger guyanaise,
Bavardage des enfants et des cages.

Fenêtre du duc qui fais que je pense
Au poison des escargots et du buis
Qui dort ici-bas au soleil.
Et puis
C'est trop beau ! trop ! Gardons notre silence.

- Boulevard sans mouvement ni commerce,
Muet, tout drame et toute comédie,
Réunion des scènes infinie
Je te connais et t'admire en silence.

— The End —